#père chabrier
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spockette11a2b · 1 year ago
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Je me sens vide.
C’est bizarre, tu te dis ce n’est que des youtubers, tu ne les as jamais rencontré, et puis ce n’est pas comme si ils arrêtaient tout. Et pourtant, ça me touche beaucoup cette annonce. Voilà Vilebrequin c’est fini!
Peut-être que c’est la soudaineté de l’annonce qui me donne cette impression d’abandon. Une semaine ils prennent un rond point à 130 et celle d’après, ils disent au revoir. Comme ça, sans préavis, sans indication au préalable.
Je ne leur en veux pas, ce n’est pas une critique. En vrai, je comprends leurs décisions. J’ai toujours détesté les séries qui ne savent pas s’arrêter à temps (looking at you spn).
Et honnêtement, après le 1er gp et le mondial de l’auto ça s’est vu que Sylvain était à bout. Surtout dans la vidéo où ils ont fait voler la voiture. J’avoue que je ne sais pas si cette vidéo a été tournée avant ou après le gp, mais ça m’a vraiment marqué de voir Sylvain dans cet état où tu sentais qu’il tirait sur la corde.
Ce qui me manque aussi avec cette annonce, c’est la réaction des gens. Je m’attendais a un peu plus de bruit du côté d’autres youtubeurs mais à part Etienne Moustache, j’ai rien vu passer pour les saluer. Ok ils sont pas mort et ils s’arrêtent pas d’être présent sur les réseaux, mais quand même, ça manque de réaction envers Vilebrequin en tant que soi.
Après comme j’ai toujours beaucoup été dans des fandoms actifs où dès qu’il se passe quelque chose on en entend parler pendant 3 jours, c’est plus dur d’accepter la chose quand je vois pas de réaction d’autres personnes…
Bref tout ça pour dire, qu’ils auront été une hyper fixation pendant presque 2 ans (bien que je les regardais avant mais je suis devenue vraiment fan qu’il y a 2 ans) et que maintenant il n’y aura plus rien. J’ai du mal à m’y faire. Ça m’a bien mis un coup sur la tête. Comme une rupture qu’on voit pas venir ou comme arriver à la fin totalement inattendu d’un bon livre, il y a cette espèce de dépression « post bonne chose », à laquelle il faut un peu de temps avant de pouvoir s’y faire. Là c’est pareil, je vais avoir besoin de temps pour digérer la nouvelle et pouvoir passer à autre chose…
16 notes · View notes
clemjolichose · 2 years ago
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comme des hommes bien élevés
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC masculin, gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 30 563
Avertissement : discussion de maladie (VIH et sida), de mort, de sérophobie
Résumé : C'est une curiosité innocente qui poussa Sylvain à fouiller dans les affaires de Pierre, dans les souvenirs d'une vie qu'il taisait. Trop peu en avait entendu parler, son meilleur ami lui-même n'en savait rien.
Mais voilà : la curiosité ne s'arrête pas là.
Note d’auteurice : Vous pouvez aussi lire ce texte sur Wattpad ou AO3 !
Partie : 1/4
Chanson : Nos joies répétitives de Pierre Lapointe
Pierre Chabrier était assis sur le fauteuil à côté de la fenêtre. Tourné vers le lit, il tenait dans ses mains un carnet et un critérium, dessinant avec application à la lumière du petit jour. C’était une matinée calme et agréable, juste assez chaude pour pouvoir traîner paresseusement. Il dessinait des traits qu’il connaissait bien, très bien même, ne levant pas souvent le regard pour regarder son modèle. Quand il le faisait, c’était pour l’admonester :
« Sofiane, arrête de bouger, tu vas être flou. »
Ledit Sofiane éclata de rire, continuant ses étirements en se redressant. Il sourit à Pierre, moqueur.
« Tu es en train de me dessiner, si je suis flou, c’est de ta faute et pas de la mienne. »
Son interlocuteur sourit en retour, reportant son regard sur la feuille, ne répondant pas à la pique.
Sofiane se leva, fit le tour du lit sans prendre la peine de cacher sa nudité, et regarda par-dessus l’épaule de son amant l’œuvre qui se dessinait sous ses coups de crayon. Puis il embrassa sa tempe, commentant :
« Tu commences à bien me dessiner, tu arrives presque à saisir mon nez. Presque.
-Enfoiré, l’insulta le dessinateur en retour. »
Ils rirent ensemble, pendant que Sofiane s’habillait.
Quand il eut fini, il marcha en direction de la porte, s’arrêtant sur le seuil. Il jeta un regard à Pierre, toujours concentré sur son dessin, l’observant un doux instant.
« Allez, viens prendre ton petit-déjeuner avec moi, lança Sofiane d’une voix mielleuse. »
Mais son amant ne réagit pas. Il soupira, réitérant sa demande pour se voir répondre :
« Attends, deux minutes. »
Sofiane soupira, abandonnant, lui tournant le dos.
« Compte pas sur moi pour te le préparer alors. »
Et il quitta la pièce.
Pierre soupira à son tour et posa son carnet et son crayon. D’un bond, il se leva et rejoignit l’autre homme en quelques enjambées. Il l’attrapa par la taille et le tira vers lui.
« C’est bon, je suis là, je suis là… »
Il embrassa son cou, mais Sofiane ne semblait pas intéressé. Pierre se redressa – parce que quand même, son amant ne faisait qu’un mètre soixante-trois contre son mètre quatre-vingt-sept – et le tourna vers lui.
« Tu vas arrêter de faire la tête, oui ?
-Comment tu me donneras de l’attention si j’arrête ? répliqua Sofiane avec un sourire espiègle. »
Son interlocuteur sourit en secouant la tête, se rapprochant de lui pour l’embrasser.
Les deux hommes échangèrent un long baiser, qui gagna en force et en sensualité, particulièrement quand Pierre poussa son amant contre le mur. Mais ils s’arrêtèrent avant que ça ne dérape, se souriant comme deux idiots.
« T’en as pas eu assez hier soir ? blagua Sofiane, une main posée sur sa poitrine, levant la tête pour croiser son regard. »
Pierre ne verbalisa rien en retour, mais lui fit comprendre sa réponse d’une main bien placée sur la chute de ses reins, glissant même un peu plus bas…
Sofiane entra le premier dans le séjour, se dirigeant vers le frigo qu’il ouvrit, s’appuyant contre le plan de travail.
« Tu veux quoi ?
-Sors juste le beurre pour moi. »
Pierre prit du pain et un couteau, alors son amant lui lança un regard moralisateur.
« Des tartines ? Mais je couche avec un grand-père ou quoi ? se moqua-t-il, un sourcil arqué.
-Parfaitement, acquiesça son homologue, et le grand-père voudrait manger son petit-déj’ en paix. Occupe-toi de ta bouffe. »
Sofiane pouffa mais obéit.
Les deux hommes s’installèrent au comptoir de la cuisine, l’un avec ses tartines et l’autre avec un bol de céréales. Le premier ne put s’empêcher de lancer une pique :
« Tu peux parler, avec ton petit-déjeuner de gamin.
-Mais tu continues de me les acheter, contra Sofiane avec fierté. »
Il savait qu’il ne recevrait pas de réponse, alors il enchaîna immédiatement avec une question qui lui brûlait les lèvres :
« Je dois débarrasser le plancher avant quelle heure ?
-Sylvain arrive vers midi, répliqua Pierre. »
Il semblait à côté de la plaque, dit comme ça, mais Sofiane savait très bien ce que ça voulait dire : vers onze heures trente, il devait disparaître. Il avait l’habitude.
« Ah, vous déjeunez ensemble ? remarqua-t-il avec amertume.
-Dis comme ça, on dirait que t’es jaloux, rigola Pierre. Oui, on va déjeuner ensemble, et après boulot.
-Il y en a qui ont de la chance. »
Sofiane n’avait pas vraiment envie de rire.
Son animosité envers Sylvain n’était pas nouvelle : depuis qu’il avait rencontré Pierre, il avait pris son meilleur ami en grippe, se comparant sans cesse et piquant des crises à son sujet.
« On est même pas ensemble, tu vas pas me faire une crise de jalousie quand même, si ? demanda son amant en l’enlaçant. »
Sofiane fit la moue.
« Tu sais que c’est un de mes vices, répliqua-t-il sans chercher à se défendre.
-Et si c’était le seul, rit Pierre. »
Il embrassa sa joue, souriant toujours, et ne le lâcha que lorsqu’il vit le même sourire sur son visage.
Le reste du petit-déjeuner se passa en silence, et même le rangement qui suivit. Sofiane rassembla ses affaires, le visage fermé et impassible. Pierre n’aimait pas ça, ces humeurs auxquelles il ne pouvait rien faire. Ils avaient passé une bonne soirée, pourtant, et même le réveil avait été si agréable…
Alors, comme pour se faire pardonner, il l’enlaça au milieu du salon, avant qu’il n’enfile ses chaussures. Sofiane se laissa faire, posant ses mains sur ses bras, secoué d’un petit rire.
« Pourquoi t’es si grand ? »
Son amant rit à son tour et l’embrassa. Il chercha une réponse, une blague à faire, salace si possible. Il trouva enfin :
« C’est parce que c’est proportionnel à… »
Sofiane éclata de rire.
« C’est pas vrai, je l’ai vue, je sais de quoi je parle.
-Chut. La ferme. »
Ils s’embrassèrent encore en riant.
Et puis vint l’heure de se quitter. Sofiane ne put s’empêcher de faire une dernière remarque acerbe au sujet de Sylvain, qu’il rattrapa d’une blague. Pierre laissa couler, le saluant avant de claquer la porte. Bon, il devait se changer avant que son collègue n’arrive.
Pierre se doucha rapidement et enfila un t-shirt et un jean slim, avant de finir de ranger le séjour. On frappa à la porte au même instant, alors il lâcha ce qu’il tenait pour aller ouvrir à Sylvain, l’accueillant chaleureusement.
« Alors, qu’est-ce que tu nous fais de bon à manger ce midi ? demanda ce dernier avec un grand sourire sur le visage.
-Bah MacDo j’pense. Quoi, tu t’attendais au resto trois étoiles ? blagua le propriétaire des lieux. Tu pourras attendre longtemps dans ce cas.
-Mince, je pensais mettre mes pieds sous la table et me faire servir de la truffe et du caviar ! s’exclama Sylvain avec un faux air déçu.
-Et tu veux pas que je te suce non plus ? »
Les deux hommes éclatèrent de rire, abandonnant la discussion là comme ils le faisaient souvent.
A la place, ils commandèrent ce qu’ils voulaient au fast-food pour se le faire livrer, ce qui leur permit de s’affaler dans le canapé en discutant.
« T’as fait quoi de beau ce matin ? demanda Sylvain.
-Rien, pas grand-chose, juste dessiner, répliqua son ami d’un ton désintéressé. Et toi ?
-Je me suis réveillé, rigola son interlocuteur. »
Pierre avait fait exprès d’omettre la présence de Sofiane chez lui cette nuit. A vrai dire, si son amant connaissait son ami, le contraire n’était pas vrai : il était très discret au sujet de ses relations, même auprès de son meilleur ami. Cela tenait plus du réflexe et de l’habitude que d’une véritable volonté de garder ses amants secrets. Il ne parlait pas d’eux. Comme ça, il ne risquait pas de dévoiler plus qu’il ne lui était confortable d’admettre.
Leur repas vint rapidement, alors qu’ils étaient en pleine discussion. Pierre insista pour qu’ils s’installent à table, pour ne pas dégueulasser son canapé ni son tapis. Soit, Sylvain se plia facilement à son exigence raisonnable.
Les deux hommes s’installèrent donc à table, préparant déjà la réunion qui allait suivre. Ils devaient choisir et préparer les projets qui viendraient ensuite. Plus tard. A une date indéterminée. C’était un travail compliqué, déjà, parce qu’ils ne savaient jamais quelle merde, ou quel heureux hasard au contraire, viendrait chambouler leur planning.
« T’as le bloc-notes, non ? demanda Sylvain, la bouche pleine. »
Pierre hocha la tête en prenant une gorgée de son Coca.
« Ouais, dans la chambre. Tu pourras aller le chercher quand t’auras fini de manger ? »
Son interlocuteur acquiesça – il mangeait plus vite que Pierre, tous deux le savaient. Et celui-ci ne voulait pas se presser pour ça, mais il se doutait que ça démangeait son ami, de relire leurs notes.
Quand Sylvain eut fini, donc, il nettoya son côté de la table, balança les déchets dans un des deux sachets que le livreur avait ramenés, et quitta la pièce. Il entra dans la chambre sans peine – il connaissait les lieux comme sa poche maintenant. Mais voilà : il fut surpris du désordre. Oh, il n’entrait pas souvent dans la chambre de Pierre, mais quand c’était le cas, le lit était toujours fait, rien ne traînait sur le bureau ni sur le sol… Tout le contraire du tableau qu’il avait devant les yeux.
Il fut interpellé par plusieurs choses. La première : le lit était défait, certes, mais il l’était des deux côtés. Pierre avait dormi avec quelqu’un ? S’était-il mis en couple sans lui avoir dit, à lui, son meilleur ami ? Ce serait des questions à lui poser plus tard, ça…
La deuxième, qui allait de paire avec la précédente, était les vêtements éparpillés sur le parquet. Tous à Pierre, il lui semblait. Mais il ne regarda pas de trop près, comme cela semblait être lié au lit défait. Ç’aurait été trop indiscret.
La troisième et ultime chose, enfin, était le carnet à dessin posé sur le bureau. D’où il était, Sylvain ne voyait qu’une grande feuille blanche couverte de gribouillages, alors il s’approcha pour consulter l’œuvre… et rougit. C’était des dessins d’hommes, d’un homme en particulier, partiellement ou totalement nu, dans diverses positions. Ce carnet, Sylvain ne l’avait jamais vu avant. Il ne put résister à l’envie de feuilleter quelques pages, juste quelques-unes, deux-trois… et il vit sur ces pages d’autres visages, des silhouettes habillées ou non, contorsionnées bizarrement, ne posant jamais. Pierre semblait aimer les modèles vivants…
Comme il baissait les yeux sur le carnet, il remarqua un carton à ses pieds. Il était vieux et abîmé, avec écrit en gros au feutre bleu : ARCHIVES. Peut-être que son ami avait tiré ce carnet de là. Sylvain ne savait pas qu’il dessinait toujours, il pensait ce hobby révolu.
Toujours curieux, il se baissa pour fouiller le carton : il y avait beaucoup de dossiers fermés, des magazines – que Sylvain reconnaissait pour certains, comme Têtu, mais d’autres beaucoup moins – et des livres en vrac – là, il devait avouer ne reconnaître aucun titre. Il saisit un dossier, au hasard, une pochette rouge avec des ficelles jaunes, qu’il ouvrit : il rougit de plus belle. C’était des photos, de beaux tirages sur papier glacé, toutes d’hommes qui, cette fois-ci, posaient pour la plupart. Il y avait des noms, des dates, des citations… Parfois, attachés avec un trombone, des dessins qui résultaient de ces clichés ou des poèmes et autres textes en prose de graphies inconnues, souvent la même. Sofiane, Gunther, Julien, David, Tommaso, Vincent… Il y avait là une dizaine d’inconnus pour Sylvain, que Pierre semblait bien connaître, vu l’intimité que reflétaient les clichés.
S’il ne reconnaissait pas de visage, Sylvain reconnaissait des lieux : son ami semblait aimer photographier chez lui. Un des seuls clichés en mouvement était celui de Tommaso, qui semblait être en train de cuisiner chez Pierre. Le fouineur consulta d’autres photos : là, Vincent et un certain Léo, dans ce qui semblait être leur jardin, enlacés sur un transat et entourés de fleurs. Ici, David, à peine habillé et regardant fixement, d’un air à la fois charmeur et coupable, l’objectif.
Sylvain déglutit. Plus il regardait ces photos, plus il se disait qu’il n’aurait jamais dû tomber dessus. Il se sentait mal, mais ce n’était pas suffisant pour le faire arrêter. Il avait l’impression d’avoir touché du doigt quelque chose de gros, de plus grand que lui, un secret…
Il referma le dossier rouge et en sortit un autre, d’un geste fébrile et maladroit, bleu et vert. Il l’ouvrit et encore une fois, les rougeurs s’invitèrent sur son visage, avec l’impression viscérale de marcher sur des plates-bandes. Mais la machine infernale était lancée et il ne pouvait pas l’enrayer tant sa curiosité le poussait et le bousculait.
Ce nouveau dossier était pire que les autres : il était écrit PRIVÉ dessus et contenait des photos des mêmes visages, mais cette fois-ci, Pierre les accompagnait souvent. Dans des positions équivoques ou tendres, dans des tableaux sans aucun sens, comme celui où Sofiane et lui était assis à une table – celle de la salle à manger de Pierre – face-à-face, comme un duel, comme s’ils jouaient aux échecs. Mais il n’y avait pas de pièces, pas de plateau, juste la table et des pilules. Des boîtes renversées couvertes de noms barbares : Zidovudine, Lamivudine, Efavirenz… La date était récente : la photo datait d’il y a trois mois.
La porte claqua derrière Sylvain, le faisant sursauter si fort qu’il faillit en lâcher ce qu’il tenait. Il se retourna précipitamment en refermant le dossier, le jetant sur le bureau. Pierre était là, froid comme le marbre, il semblait mu de colère. Son ami n’avait jamais vu sur lui un regard si dur, une attitude si enragée, et pourtant immobile. Il ne l’avait jamais vu si furieux. Et pourtant sa voix trembla à peine lorsqu’il demanda, sur un ton monocorde, mesuré :
« Qu’est-ce que tu foutais, au juste ?
-Je cherchais le bloc-notes, mentit Sylvain trop vite pour y réfléchir convenablement. »
Il venait de lâcher une bêtise plus grosse que lui, il le savait, il se sentait si mal… Il voulait se faire tout petit, disparaître, ne plus exister, revenir en arrière et tout recommencer pour ne jamais avoir commis cette imprudence, pour ne jamais avoir cédé à sa curiosité.
« Ça y ressemble pas, lâcha seulement Pierre. »
Il bougea enfin, deux enjambées à peine, se rapprochant de Sylvain. Le bloc-notes était sur le bureau, sous le dossier qu’il avait lâché, et Pierre s’était considérablement approché, menaçant. Oui, pour la première fois depuis toujours, l’autre homme le trouvait menaçant. Réellement menaçant.
Pierre récupéra le bloc-notes, donc, planta son regard dans celui de son collègue, puis quitta la pièce sans un mot. Sylvain se dépêcha de le suivre, s’excusant à profusion. Mais l’autre ne réagissait pas, ne répondait pas. Oh, qu’il s’en voulait d’avoir ainsi provoqué sa colère.
« Je suis vraiment désolé, Pierre. Je pensais pas que c’était autre chose, j’ai vu un carton avec des dossiers alors j’ai cru—pardonne-moi, Pierre. Je voulais pas…
-La ferme, on bosse, le coupa le susnommé. »
Sylvain ravala sa tirade et sa fierté. Ses larmes, aussi. Bon Dieu, il n’aimait vraiment pas ça… Cette froideur, cette distance entre eux… Mais c’était de sa faute, il récoltait ce qu’il avait semé, et il avait blessé son meilleur ami. Il lui obéit, s’asseyant et prenant une attitude presque égale, professionnelle plus qu’inamical.
La réunion fut remarquablement froide, dénuée de blagues et de complicité. Chaque fois que Sylvain essayait de traverser la ligne, testait, du bout du pied, son collègue s’éloignait et gardait la même distance. Au moins, ils travaillèrent vite. Au moins, ils furent efficaces. Au moins…
Sylvain ne s’attarda pas chez son ami, pour une fois. Il préféra partir avant que Pierre ne le mette dehors. Alors il rentra chez lui, seul, coupable et le cœur lourd. Toute la soirée, toute la nuit, il se tortura, il réfléchit sous tous les angles à la manière dont il pouvait se faire pardonner. Lui envoyer un message ? L’appeler ? Il était presque sûr de se faire remballer, ou pire : ignoré. Alors quoi, il devait retourner le voir ? Ne pas lui donner le choix ? Il ne savait même pas ce que son attitude signifiait, pourquoi il lui cachait tout ça… Il connaissait son homosexualité pourtant, depuis le début – grâce à une blague d’un goût discutable de son père. Il savait d’où venait son humour, en tout cas.
Il dormit à peine cette nuit-là, et ne voulut pas quitter son lit le lendemain. Mais voilà, il avait des occupations dans l’après-midi et l’idée de revoir Pierre avait fait le chemin dans son esprit : il lui envoya un message, demandant seulement s’il pouvait passer. Sans réponse pendant une heure entière, il prit quand même la route.
Sylvain frappa à la porte, fébrile, peu rassuré. Il avait particulièrement peur que Pierre n’élève la voix, qu’il ne lui crie dessus. A ce titre, il préférait l’indifférence. Il sautilla sur place, pour se dépouiller du stress qui tétanisait ses doigts et qui faisait battre son cœur dans ses tempes. Il transpirait, il le sentait, ce qui s’ajoutait à son malaise.
Pierre ouvrit au bout de quelques minutes. Les cheveux décoiffés, le torse nu, portant seulement un pantalon de jogging. Il ne portait même pas ses lunettes. Et surtout : il semblait sincèrement étonné de voir son ami sur son porche.
« Sylvain ? Qu’est-ce tu fous là ? demanda-t-il comme l’autre homme ne semblait pas décidé à lancer la conversation.
-Parler. M’excuser. »
Sylvain jeta un regard vers la rue.
« Je peux entrer ? »
Il parlait d’une toute petite voix.
Après une seconde de réflexion, Pierre se décala, le laissant entrer. Il claqua un peu lourdement la porte derrière lui, retrouvant sa froideur qu’il avait oubliée à cause de la surprise.
« Installe-toi, fais comme chez toi, lança-t-il avec sarcasme. »
Sylvain grimaça. Il supposait qu’il ne l’avait pas volée, celle-là.
Il s’assit sur le canapé que lui montra l’hôte, droit comme un piquet, les jambes croisées. Il fixait le sol, incertain, alors que Pierre s’asseyait à côté de lui.
« J’attends, ordonna Pierre, autoritaire.
-Euh, ben. Je suis vraiment désolé. Je sais pas pourquoi tu cachais ça, et j’ai pas à savoir, hein ! bégaya Sylvain. Mais euh, je suis désolé de l’avoir vu. Même si je comprends pas trop pourquoi tu n’en parles pas. Je sais très bien que t’es gay, ça fait des années, c’est pas un secret. Y’a peut-être autre chose, ou peut-être pas, j’ai bien compris que c’était pas mes oignons. J’ai rien compris à ce que j’ai trouvé, je te jure, et je veux pas que ça nique notre amitié.
-Ça va pas la niquer, lui assura son interlocuteur. »
Visiblement, il était satisfait de la tirade de son ami, puisqu’il s’était adouci, même s’il ne semblait pas des plus à l’aise. Ils étaient deux.
« J’ai pas mal réfléchi cette nuit, reprit Pierre, et je pense qu’il faut que—
-Que tu reviennes dans la chambre, le lit est froid, lança une voix du couloir. »
Les deux hommes sur le canapé levèrent la tête en direction du son.
Là, contre le mur, était appuyé un homme d’une bonne vingtaine d’années, portant seulement un peignoir court, qui ne descendait qu’à mi-cuisse. Pierre rit nerveusement en le voyant, baissant la tête. Sylvain, lui, ne put s’empêcher de blaguer :
« Je vois que t’as bien réfléchi cette nuit, ouais.
-Ta gueule, le rabroua son ami avec plus de chaleur. »
Et juste ça fit sourire le pauvre traître, qui avait eu le malheur de céder à sa curiosité.
L’homme ne semblait pas si amusé, pourtant. Il portait un regard défiant sur l’intrus, croisant les bras sur sa poitrine nue – le peignoir était largement ouvert, à se demander pourquoi il le portait. Il leva même un sourcil.
« Le fameux Sylvain… T’as l’air plus petit que je ne l’imaginais, commenta-t-il.
-Je fais souvent cet effet, sourit Sylvain, joueur. »
Il trouvait la situation trop cocasse, trop drôle, d’autant plus que son ami semblait mortifié. Ce dernier râla d’ailleurs contre son amant :
« Sofiane, retourne dans la chambre, j’arrive.
-Vu le temps que tu prends quand tu parles de lui, je suis pas sûr de vouloir te croire quand tu parles avec lui, contra ledit Sofiane. »
Il décroisa les bras et se redressa.
« T’façon je vais y aller, ajouta-t-il, il est bientôt midi, mon carrosse va se transformer en citrouille. »
Sylvain rit en jetant un regard en coin à Pierre.
Sofiane se retourna, tout en dénouant la ceinture du peignoir, et le retira avant de quitter la pièce, permettant à l’invité de comprendre qu’il était bel et bien nu dessous. Celui-ci éclata de rire, tandis que Pierre secouait la tête, dépité.
« Je l’aime bien lui, il a l’air aussi pudique que moi ! s’exclama Sylvain. »
Un peu trop fort, puisqu’il entendit une voix lui répondre de la chambre :
« C’est gentil chéri, mais pas forcément réciproque, mon cœur est déjà pris ! »
Et il rit encore plus.
Sofiane réapparut quelques minutes plus tard, habillé d’un ensemble de sport noir et d’un sac banane rose, un style qui surprit quelque peu Sylvain, lui qui ne l’avait vu qu’en petite tenue, avec sa boucle d’oreille pendante argentée et ses boucles noires en bataille. Mais ça lui allait bien, aussi.
Pierre se pencha, l’embrassa rapidement, trop rapidement au goût de son amant qui passa une main sur sa nuque pour prolonger le baiser. Sylvain détourna le regard, comme si c’était un secret, ça aussi. Après tout, s’il se souvenait bien, Sofiane fréquentait Pierre depuis des mois et lui ne le connaissait pas. Ça ne le surprendrait pas que ce soit le cas.
Le propriétaire des lieux referma enfin la porte derrière son amant avec un soupir. Il se mordit la lèvre, réprimant à peine le rire qui le secouait alors qu’il se tournait vers son ami.
« Quel pot de colle, se plaignit-il.
-C’est pas gentil pour ton mec, ça, répliqua Sylvain avec un sourire en coin. »
Pierre secoua la tête.
« C’est pas mon mec, on sort pas ensemble, nia-t-il.
-Ah, je comprends mieux, acquiesça son interlocuteur. »
Il observa un instant l’attitude de son homologue, qui se recomposait, passant ses mains sur son visage.
Pierre claqua dans ses mains ensuite, se redressant. Il marcha à travers la pièce, passa devant l’autre homme, lui intimant en même temps :
« Suis-moi. »
Et l’autre ne put qu’obéir, souriant. Ça s’était bien passé, il pouvait tout affronter ensuite.
Les deux hommes entrèrent dans la chambre, qui était dans le même état dans lequel Sylvain l’avait trouvée la veille – il comprenait mieux pourquoi. Il resta sur le seuil, tandis que Pierre enfilait un t-shirt puis ses lunettes, après avoir essayé l’inverse, ce qui marchait vachement moins bien. Il tira ensuite le fameux carton dans lequel Sylvain avait fouillé et le posa sur le lit, invitant celui-ci à s’asseoir face à lui.
L’autre homme obéit, sans trop comprendre ce qui se passait, s’installant en tailleur. Sa curiosité revenait au galop alors qu’il se penchait par-dessus le carton ouvert, zyeutant les dossiers familiers.
« Puisque tu veux tant que ça tout savoir de moi, je vais te donner des réponses, expliqua Pierre. »
Sylvain fronça les sourcils et posa une main sur son bras.
« Non, Pierre, attends, c’est pas ce que je voulais… Je voulais pas que tu te sentes obligé de m’en parler.
-Je m’y sens pas obligé, répliqua Pierre d’un air blasé. Ça fait six ans qu’on se côtoie quotidiennement, faut bien que tu saches à un moment. »
Disant cela, il sortit le premier dossier que son ami avait ouvert. Il en extirpa les photographies et ce qui les accompagnait, les présentant devant eux sur le lit.
Sylvain l’observait faire, respirant à peine. Il avait peur d’encore le contrarier s’il faisait trop de bruit. Il avait l’impression solennelle que ce qui se passait actuellement était important.
« C’est une série ? Il y a un thème ou… ? demanda-t-il au bout d’un moment pour montrer son intérêt. »
L’artiste hocha la tête, souriant à peine. Il était concentré.
« Tu peux lire, si tu veux, ajouta-t-il verbalement. »
Et Sylvain lut, à voix haute, les mots qui accompagnaient le cliché d’un certain Roman, 1981-2018, photographié de 18 janvier 2018, marquant une pause à chaque vers :
« When I no longer, feel it breathing down, my neck it’s just around, the corner hi neighbor. Tim Dlugos, c’est le gars qui a écrit ça ?
-Oui, le poème s’appelle My Death, expliqua Pierre.
-Joyeux. »
Sylvain se saisit d’une autre photo, accompagnée d’un dessin cette fois-ci. Il reconnut le coup de crayon de Pierre, bien que le style fût un peu différent, beaucoup plus abstrait. Il reconnaissait à peine le visage de l’homme capturé, à peine ses traits, avec tout ce tas d’éléments qui l’encadraient… C’était déroutant et impressionnant tout à la fois, et Sylvain en recevait l’impression d’une mélancolie traînante…
« Ça veut dire quoi, tout ça ? C’est quoi le thème ? demanda-t-il enfin en reposant la photo. »
Il ne voulait plus les regarder, il se doutait bien de ce que la deuxième année présente sur certaines d’entre elles voulait dire. Alors il reporta son regard sur Pierre, qui évitait le sien.
« C’est une série sur le sida et le VIH. »
Silence.
Sylvain s’était attendu à beaucoup de mots, beaucoup de raisons pour l’existence de ces œuvres, certainement pas à ça. Le sida ? Est-ce que tous les modèles étaient séropositifs ? Il n’osa pas demander. Il fronça les sourcils, se demandant pourquoi. Pourquoi Pierre réalisait-il cette série ? Ces photos, ces dessins, avec des textes attachés… Il y avait autre chose derrière, sûrement, mais il avait trop peur de lui demander.
« Ce qui me fait penser que je dois toujours faire mon autoportrait, ajouta Pierre au bout de quelques minutes, d’une voix blanche et faible. »
Son ami sursauta. Ça venait d’où, cette affirmation ? Le cœur de Sylvain se serra atrocement, au fur et à mesure qu’il réalisait les implications de ce que l’autre homme venait de dire. Son autoportrait. Pour une série sur le sida. Pierre avait—
« Attends, quoi ?! s’exclama Sylvain, un peu fort. Pourquoi tu ferais ton autoportrait ??
-Parce que je suis séropositif, Levy. »
La phrase était lancée, Pierre n’avait plus qu’à observer la réaction de son ami, qui passa de la surprise à l’inquiétude.
Sylvain ne savait pas quoi dire, quoi répondre, quoi faire. Tout un tas de questions se bousculaient dans son esprit, alors aucune ne pouvait sortir, elles étaient trop nombreuses, trop personnelles, son cœur battait si fort… Il ne cessa de regarder Pierre, de l’observer comme s’il avait changé : mais non, il n’en était rien, c’était toujours le même.
Pierre, justement, se sentait mal à l’aise d’être scruté ainsi après avoir révélé un si grand secret. Il se recroquevilla sur lui-même, ses jambes contre son torse, ses bras autour, attendant que l’autre homme parle. Comme il ne semblait pas décidé, il l’encouragea :
« Je peux répondre à tes questions, si tu en as…
-Depuis quand ? questionna immédiatement Sylvain, alors.
-2014.
-Comment t’as su ? continua-t-il avec plus de douceur.
-Je t’en parlerai plus tard, pas aujourd’hui, promit Pierre.
-Tous ces hommes, tes modèles, ils sont tous… ?
-Quoi ? Gay ? Séropositif ? Mes amants ? »
L’artiste rit nerveusement et, comme son interlocuteur ne répondait pas, il comprit qu’il avait touché juste.
« Non, oui, presque, répondit-il honnêtement avant d’expliciter. Il y a des mecs bi, aussi, et d’autres sans labels, ou ace. Leur point commun, c’est d’être séropositifs, c’est pour ça que je les choisis. J’ai couché avec certains d’entre eux, voire j’ai eu des relations amoureuses comme avec Gunther ou…
-Sofiane ? »
Pierre secoua la tête.
« Non. On passe beaucoup de temps ensemble, mais on est juste amis. Sex friends à la limite.
-Je vois, répliqua Sylvain, un peu dubitatif. »
Son homologue rit et insista :
« Je te jure, je suis pas amoureux, j’ai des vues sur quelqu’un d’autre. »
Sylvain aussi les sourcils, avec un air de curiosité, avant de rire à son tour.
Pierre se détendait au fil des questions. Elles n’étaient pas si terribles, finalement, surtout venant de son meilleur ami. Il relâcha ses bras, s’asseyant en tailleur, totalement tourné vers Sylvain.
« Et tu en as retiré quoi ? demanda ce dernier en jetant un regard aux photos. »
L’artiste suivit son regard avec un petit sourire. Il n’avait même pas besoin de réfléchir, il connaissait déjà la réponse :
« Surtout de bonnes rencontres.
-Ok Edouard Baer, se moqua gentiment son ami.
-T’es con, sourit Pierre. Je suis sérieux, j’ai pu retrouver une vie sexuelle avec ça. C’est Gunther qui m’en a donné l’idée justement, c’est pour ça que c’est mon premier modèle. La photo a été prise dans son appart’, à Berlin, quand je vivais avec lui—
-T’as vécu à Berlin ?! le coupa Sylvain. »
L’autre homme acquiesça en souriant, avant de reprendre :
« C’était juste l’affaire de quelques semaines, mais elles étaient bien remplies, ces semaines. C’est un putain de fêtard, j’ai arrêté l’alcool après lui, en 2017. Oui, c’était juste au moment de notre rencontre. J’ai pas vraiment eu de vie sexuelle entre 2014 et 2016, quand j’ai rencontré Aurélien, mais c’était un connard, je t’en parlerai sûrement un autre jour.
-T’en as des choses à me dire. Mais je crois que t’avais déjà mentionné son nom, non ? interrogea Sylvain en se remémorant d’anciennes conversations, des indices qu’il n’avait pas remarqués.
-Sûrement. Je parlais pas beaucoup d’eux parce que je me disais que moins j’en parlais, moins je risquais de dévoiler des trucs que je voulais pas.
-Mais tu te rends compte que j’ai vraiment plein de questions, maintenant ? »
Pierre rit de l’enthousiasme de son ami, le poussant à les poser. Seulement, Sylvain regarda sa montre.
« Oh merde, désolé, je dois y aller. J’ai un truc cet aprem, et faut que je mange rapidement. Merci de m’avoir parlé de ça, affirma-t-il d’une voix douce malgré sa précipitation. »
Il se leva et, suivi par l’hôte jusqu’à la porte, il quitta l’appartement rapidement.
Tant mieux, au fond. Ça arrangeait Pierre, que la discussion avait épuisé. Il avait besoin de temps, même s’il était enfin prêt à s’ouvrir, à cause de la difficulté de la chose : il avait fait le plus grand pas, et pourtant il n’avait pas dévoilé la moitié de ce qu’il cachait. Les prochaines semaines allaient être fun, se dit-il, s’il se décidait à tout raconter à Sylvain – ce dont il ne doutait pas, c’était Sylvain après tout.
Pierre n’oublia rien de la conversation dans les jours qui suivirent, au contraire. Il préparait déjà ses futures révélations, tout ce qu’il n’avait jamais dit à ses proches. Ses amants savaient parfois plus de choses sur lui que ses amis. Enfin, ça dépendait de quoi, ou de qui.
Sofiane était peut-être celui qui le connaissait le mieux. Il passait tellement de temps avec lui, après tout… C’était sûrement à cause de cette tendance à lui coller aux basques et à traîner chez lui que celui-ci avait fini par tomber amoureux. Il essayait de ne jamais y penser trop fort, parce qu’il savait que c’était vain, un amour à sens unique. Mais merde, qu’il aimait Pierre et sa grande gueule et ses blagues vaseuses et son talent. Sa sincérité, sa sensibilité. Il fallait gratter un peu pour la voir, mais elle était là. Ça lui brisait le cœur qu’elle ressorte si facilement quand il parlait de Lui, de l’Autre, l’Homme de sa vie.
L’Homme. Sofiane avait beau aimer les hommes, il ne pouvait s’empêcher de détester Celui-là. Oh, rien de personnel, Il était juste ce qui l’empêchait de former un couple parfait avec celui qu’il aimait. Ce n’était pas de sa faute s’il ne pouvait pas le blairer, du coup. D’autant plus qu’en sa présence, il en avait fait l’expérience récemment, il oubliait son animosité, parce que Pierre disait vrai : cet Homme n’avait pas son égal. Sofiane ne pouvait pas gagner.
Mais pourquoi diable pensait-il à Lui, alors que c’était lui, Sofiane, dans les bras de Pierre ce soir-là ? Et ce dernier sentait bien la contrariété dans les sourcils froncés de son amant. Il baissa les yeux vers lui, curieux :
« A quoi tu penses ? On dirait que t’as du mal à chier là. »
Sofiane éclata de rire et serra son amant plus fort.
« Rien, de la merde, justement. J’ai pas envie de parler ce soir, soupira-t-il avec une moue.
-Je vois ça, tu m’as à peine adressé la parole depuis que t’es là, commenta Pierre avec une pointe de déception dans la voix.
-T’façon, on se voit pas souvent pour causer. »
Pierre rit à son tour.
« T’es mauvais, on fait pas que baiser non plus. T’es celui avec qui je passe le plus de temps. »
Il passa ses doigts entre ses boucles, se disant combien leur différence de taille était grande et visible dans n’importe quelle position. Ses pensées s’égaraient déjà…
Sofiane afficha toujours sa moue boudeuse. C’était son truc à lui, faire des manières, être exigent en sexe comme en attention. Peut-être que Pierre aimait ça, au fond. Peut-être qu’il l’aimait un peu, mais que cet amour était éclipsé par un autre, plus grand.
« Après l’autre, marmonna Sofiane. Tu passes plus de temps avec lui.
-Mais je couche pas avec lui, précisa Pierre. On est collègue et meilleur pote, c’est tout.
-Et pourtant t’aimerais bien… »
Leurs regards se croisèrent. Celui de Sofiane était presque accusateur, comme si son amant devait se sentir coupable de ses sentiments.
Heureusement, Pierre ne l’entendait pas de cette oreille. Il n’était pas parfait, mais il avait suffisamment de jugeote pour savoir ce qui était bon ou non, ou du moins en partie. En tout cas, dans cette situation, il savait qu’il était dans son bon droit et que c’était la jalousie de son homologue qui parlait à sa place, comme souvent quand il était question de Sylvain.
« C’est pas la question, Sof’, on couche pas ensemble, c’est tout. Alors que nous deux… »
Pierre avait prononcé sa dernière phrase d’une voix douce, un peu plus grave, comme il savait que son amant aimait. Il se plia pour venir embrasser son cou à plusieurs surprises, remontant vers ses lèvres, l’embrassant passionnément.
L’ambiance changea rapidement tandis que Sofiane se laissait faire. L’autre homme commença à le déshabiller, donc il fit de même, passant ses mains sur sa poitrine, descendant le long de son ventre… Il s’arrêta, les yeux rivés sur cette partie de son corps, ayant suivi la traînée de poils qui, étalée sur ses pectoraux et son estomac, pointait vers un endroit…
« Un jour, je réussirai à te faire porter un crop top, commenta Sofiane avec un sourire malicieux. »
Pierre roula des yeux.
« Jamais de la vie, répliqua-t-il avec détermination.
-Même pas pour moi ? supplia son interlocuteur avec un regard de chien battu. Ça t’irait vachement bien…
-Tu rigoles ? J’ai trop de poils, protesta l’autre homme. »
Et il prit ses mains pour les poser ailleurs, l�� où il ne serait pas gêné.
Mais Sofiane ne voulait pas abandonner là, il reposa ses mains sur le ventre de l’autre et caressa la zone avec douceur et un peu de sensualité. Bon, beaucoup de sensualité. Il souriait, son regard toujours plongé dans celui de Pierre, qui n’était devenu qu’un simple observateur.
« C’est justement ça qui est sexy, Pierre. Crois-moi, t’auras beaucoup de succès comme ça… Même auprès de Sylvain. »
Sofiane avait prononcé le prénom de l’autre homme avec un certain sarcasme qui, dans cette situation, lui allait foutrement bien. Pierre était conquis : il n’y avait rien d’autre à dire.
Quand la nuit tomba sur eux, que Sofiane s’endormit comme souvent dans les draps, Pierre, lui, ne pouvait pas trouver le sommeil. La précédente révélation de sa séropositivité à son meilleur ami – pour qui il n’ignorait pas ses sentiments – et les discussions autour de sa sexualité qui allait avec avaient réveillé en Pierre la flamme des premiers jours. Elle ne s’était jamais vraiment éteinte, cette flamme, mais elle avait diminué, tue par l’habitude du secret.
Mais maintenant que ses secrets lui étaient arrachés et un à un soumis au regard indiscret de Sylvain, que lui restait-il ? Qu’avait-il pour lui qui l’éloignait encore de son désir ? Rien, pas grand-chose, du temps sûrement avant que la source ne soit tarie et son jardin asséché. Il n’en avait pas beaucoup, du temps, et il ne savait pas quoi faire, à part rêver de lui à la nuit tombée, alors qu’un autre homme nu se trouvait à ses côtés. Il comprenait la colère de Sofiane, c’était moche, de penser à un autre quand il avait devant lui une chair accessible. Pourquoi celle qui lui était refusée était-elle si tentante ?
Pierre s’en voulait, au fond. La culpabilité revenait, la même qu’aux premières heures de sa séropositivité. Celle qui empêchait de faire le premier pas, de se mouvoir librement, de s’autoriser à aimer et à être aimé en retour. Il avait enfin ce tendre contact qu’il avait si longtemps éloigné de son corps malade, de la part de Sofiane, de David, d’autres encore dont il ne connaissait pas les noms, et pourtant il voulait l’inaccessible et l’impossible. Quoi qu’il arrive, il était foutu.
Sylvain ne posa pas de question. Pendant plusieurs semaines, le sujet passa complètement sous silence. Pourtant, Pierre y réfléchissait constamment : comment lui dire tout ce qu’il avait caché ? Que dire ? Que ne pas dire ? Mais il était soulagé que son meilleur ami n’empiète pas sur sa pudeur, en tout cas pas plus qu’il ne l’avait déjà fait.
Mais il lui fallait se rendre à l’évidence : il ne pouvait pas s’arrêter là. Le désir était depuis né, celui de parler, de raconter, à une personne qu’il savait avoir durablement à ses côtés, et lui narrer une vie qu’il ne pouvait pas dévoiler à tout le monde. Alors, un soir, il l’invita chez lui et se prépara à de longues discussions jusqu’au bout de la nuit sur le sujet. Il se prépara à se mettre vraiment à nu pour la première fois – figurativement.
Sylvain arriva avec un peu de retard à sa maison, ce qui n’arrangeait pas son ami. Ah, le stress, sa némésis. Il lui ouvrit avec un sourire et immédiatement, le retardataire s’excusa en entrant :
« Pardon, c’était la merde sur la route, j’ai même failli me faire renverser…
-T’es venu à moto ? s’étonna Pierre en observant l’autre homme poser son casque de moto dans un coin et retirer sa veste épaisse.
-Bah oui, j’étais déjà en retard en partant alors je me suis dit que ça serait plus rapide, se justifia-t-il. »
Il retira ses chaussures et récupéra une paire de chaussons – à vrai dire, c’était la sienne, qu’il mettait toujours pour être à l’aise chez Pierre.
« Mais Sylvain, il va pleuvoir ce soir, l’informa ce dernier, incrédule. »
Sylvain se figea, l’air coupable, avant de s’exclamer :
« Ah ! Bon bah on va transformer le truc en soirée pyjama, c’est pas grave. »
Il reprit ses mouvements, se dirigeant vers le salon. Puis il s’arrêta à nouveau et se tourna vers son ami qui le suivait :
« A moins que tu voulais voir ton mec.
-Mon—Putain, pour la dernière fois, Sofiane n’est pas mon mec, soupira Pierre. »
Sylvain rit en s’installant dans le canapé, mais ne répondit pas. Il se contenta d’un regard entendu et d’un sourire narquois.
Pierre l’ignora et se rendit dans la cuisine à la place, pour récupérer des verres et de quoi grignoter. Un petit apéro, quoi. Pour changer de sujet, il demanda à son invité :
« Tu veux boire quoi ?
-Juste un coca, ça ira. »
Et il récupéra donc deux cannettes dans le frigo. Il apporta le tout sur un plateau qu’il posa sur la table basse. Immédiatement, son ami tapa dans les biscuits apéritifs.
L’hôte s’installa aux côtés de son ami et l’imita, feignant d’être détendu. Il ne l’était pas, comment pouvait-il l’être ? Il n’était pas discret non plus, apparemment, puisque Sylvain fronça les sourcils en l’observant et s’inquiéta :
« Tout va bien ? On dirait qu’y’a un truc qui t’énerve.
-Pas qui m’énerve, non, répliqua Pierre. »
Il fit une pause pour boire une gorgée de Coca, puis reprit :
« C’est juste que… Oh, et puis merde. Ce soir, je voulais te reparler de… tout ça.
-Quoi, tout ça ? répéta son interlocuteur sans comprendre.
-Le sida, tout ça quoi. Les photos, les dessins, mes ex, euh… Tout ça, quoi.
-Ah c’est une soirée papotage, du coup ? se moqua gentiment Sylvain avec un regard malicieux. Parfait. J’adore ça. Je t’écoute. »
Et, en disant cela, il se tourna entièrement vers son homologue, tout ouïe.
L’action eut le mérite de faire rire Pierre et de l’aider à se détendre. Il s’installa lui aussi face à l’autre homme, une jambe repliée sur le canapé, l’autre pendante en dehors. Il posa ses mains sur sa cheville, comme si la prise pouvait l’aider à se concentrer.
« T’as des questions ? interrogea-t-il après quelques secondes, comme il ne trouvait plus ses mots pour commencer.
-Quelques-unes, ouais, acquiesça Sylvain. Qu’est-ce que tu foutais à Berlin ? »
Pierre éclata de rire, doucement, et répondit avec sérieux :
« Pour suivre un gars que j’avais rencontré sur un tournage en Suisse. Il était allemand, basé à Berlin, et c’était un acteur et un modèle.
-Tu t’es tapé un top model ! siffla son ami avec un ton d’admiration presque sarcastique. T’y es resté combien de temps ?
-Un mois, je crois, se remémora l’autre homme. Il est une de mes premières relations après Aurélien, mais ça s’était mal passé aussi. D’une façon différente, ceci dit. On s’est mis d’accord, on s’aimait bien mais on arrivait pas à s’entendre…
-C’est con, ça. »
Pierre acquiesça.
Il marqua une pause à nouveau, pour manger une poignée de biscuits, réfléchissant à ce qu’il révélerait ensuite. Puis, décidé, il reprit :
« En vrai, ça a quand même été positif. On pouvait pas rester ensemble, mais il m’a aidé à reprendre une vie normale.
-Et il s’est passé quoi avec Aurélien ? demanda ensuite Sylvain, qui commençait à bien retenir ce prénom. »
Ah, voilà les questions qui fâchent.
Pierre soupira, juste un peu. Son ami comprit que c’était un sujet sensible et il se rétracta immédiatement :
« T’es pas obligé de répondre, hein, c’est juste que t’arrêtes pas d’en parler, alors je me demandais.
-Non mais c’est normal, sourit son homologue pour le rassurer. Puis ça fait longtemps, ça va. Attends. »
Il se leva avant que Sylvain ne puisse répondre et quitta le salon.
Quelques minutes plus tard, il revint avec un livre entre les mains. Pas très grand, pas trop épais, ça n’étonna pas son ami qui ne lui connaissait aucun goût pour la lecture.
« Je me suis mis en couple avec Aurélien fin 2015. Avant lui, j’avais à peine osé tomber amoureux.
-Pierre au cœur de pierre, rit Sylvain, ça te va pas du tout.
-La ferme, lui sourit le susnommé, un sourire doux-amer. J’avais mes raisons avant lui, et il m’a bien donné des raisons après. Mais il m’avait offert ça à Noël. »
Il tendit le livre à son ami.
Celui-ci s’en saisit, lut le titre, observa la première de couverture, puis la quatrième… Il ouvrit même le livre pour en feuilleter quelques pages.
« Angels in America… C’est une pièce de théâtre ?
-Oui, sur le VIH, précisa Pierre. »
Puis, avec un rire qui sonnait faux :
« Et il a quand même eu le culot de se barrer quand je lui ai dit. Après quatre mois à forcer pour qu’on couche ensemble. »
Sylvain grimaça et ne put se retenir :
« L’enfoiré. Sans rien dire ?
-Il a glissé sa clé sous la porte et a bloqué mon numéro, donc je l’ai vu en rentrant de la fac. »
Pierre remarqua l’énervement dans l’expression de son ami et ça lui fit chaud au cœur. Il fallait que l’indignation remplace la culpabilité, ça lui ferait le plus grand bien.
Sylvain sembla hésiter un instant, de peur de dépasser quelque limite tacite sûrement, mais se lança quand même avec toute sa bienveillance :
« Il a réagi comment, quand tu lui as dit ?
-Il a rien dit. Rien. Il est sorti je sais pas où et je l’ai plus revu. Le lendemain, je suis allé en cours, je suis revenu, et ses affaires avaient disparues. J’ai même pas eu le temps de lui parler de Charlie, ajouta Pierre à voix basse. »
L’autre homme sourit doucement en entendant ce nouveau prénom et sauta sur l’occasion pour changer de sujet, en espérant que ce serait plus joyeux :
« Charlie ? C’est qui ? »
Il lança un regard plein de questions à son interlocuteur.
Mais raté, le visage de Pierre s’assombrit et il ouvrit la bouche, sans rien dire. Il la referma. Déglutit. La rouvrit encore. Enfin, il parla :
« Mon ex-fiancé, avant Aurélien. »
Il se recroquevilla sur lui-même, comme pour s’accrocher aux souvenirs.
« Je pense que c’est lui qui m’a infecté, expliqua-t-il, sans laisser à Sylvain le temps de réagir.
-Merde, c’est à cause de ça que vous vous êtes séparés ? demanda ce dernier malgré tout. »
Pierre secoua la tête en se mordant fortement la lèvre, ses traits tirés formant une expression triste.
De toute évidence, il était au bord des larmes, et Sylvain, si innocent, si ignorant, ne comprenait pas pourquoi. Alors son ami dut verbaliser ses pensées et les événements du passé :
« Pardon, je voulais pas forcément en parler ce soir… On a appris qu’il était séropositif sur son lit de mort. »
Une exclamation soufflée par l’autre homme, Pierre était maintenant sûr qu’il avait compris et ne dit rien d’autre à ce sujet.
A la place, il en chercha un autre, un peu plus léger, même s’il y avait peu de choses légères, peu de choses insignifiantes concernant la maladie. Il y en avait des plus simples que la mort, en tout cas.
« C’était une période très compliquée, mine de rien, et je me suis beaucoup réfugié dans mes études puis mon boulot. Je bossais tout le temps. Tu comprends pourquoi l’allemand fêtard, ça a été une bouffée d’oxygène ?
-Ouais, soupira Sylvain. Et t’as déjà… été vraiment malade ? »
Il n’était pas sûr de poser la question correctement. A vrai dire, il était certain qu’elle était mal posée, mais son interlocuteur la comprit tout de même et y répondit :
« Deux fois. La première fois, c’était en 2016, peu de temps après qu’Aurélien soit parti. J’ai été malade pendant trois mois, mais j’ai eu la chance de pas être hospitalisé à long terme. Par contre, j’ai eu un suivi à chier, pendant et après. Je faisais n’importe quoi et mon médecin de l’époque me laissait faire… Alors j’ai juste arrêté ma trithérapie de l’époque, qui était mal fichue en plus. Elle me refilait plein d’effets secondaires de merde. J’ai commencé à faire plus attention après Gunther, et surtout depuis le début de la chaîne. Mais c’est des saloperies, les maladies opportunes. J’avais plus de traitement, mon système immunitaire s’est encore affaibli et… tu te souviens de ma grosse grippe de 2019 ? Qui était en fait une pneumonie du coup j’ai été hospitalisé ? On blaguait que c’était le covid avant l’heure… »
Sylvain, qui avait écouté le récit avec horreur et étonnement, et qui ne s’attendait pas à ce qu’on lui pose une question ni à ce qu’on lui rappelle ce moment lointain, se retrouva un peu dépourvu.
« Oui, oui, acquiesça-t-il vivement. Attends—c’était le sida ?? »
Et Pierre hocha simplement la tête, soutenant son regard incrédule.
Quelques secondes passèrent, des secondes de silence et de répit pour Pierre, durant lesquelles il ferma les yeux et détendit son corps de cette position prostrée qu’il avait adoptée. Il se recula et se pencha légèrement en arrière, appuyé contre le dossier du canapé, respirant doucement. Son ami l’observa un instant avec inquiétude, avant de le questionner à nouveau :
« Et après ça ? »
Pierre rouvrit les yeux et posa un regard plus assuré sur son homologue, avec un petit sourire fier.
« Après ça j’ai commencé mon traitement. Je prends plus le même aujourd’hui, avec les ajustements, mais depuis 2020, je suis officiellement négatif aux tests.
-Et ça veut dire quoi ? sourit Sylvain en retour.
-Je transmets plus le VIH, même sans me protéger, tant que je continue de prendre mon traitement correctement, révéla-t-il. »
Pierre se délecta de l’étonnement sur le visage de son ami.
Ce dernier ne put s’empêcher de poser davantage de questions à ce sujet : comment ça marche ? Et si t’arrêtes ? C’est à vie ? Son ami y répondait avec une plus grande tranquillité qu’auparavant. Normal, parler du présent était bien plus positif que du passé dans son cas. Il y avait une raison à son silence là-dessus, même si ça avait été la seule tâche dans sa jeunesse mouvementée.
Toutes les questions répondues, au moins pour ce soir, les deux hommes se régalèrent d’un bon dîner et, comme il était déjà bien tard, ils se préparèrent à aller au lit. Ils se saluèrent et chacun rejoignit sa chambre, extinction des feux.
Mais Pierre n’arrivait pas à dormir. Il pensait à tout ce qu’il n’avait pas encore dit. Tout ce qui lui restait à dire, à décrire, à conter. Chose inédite, il allait livrer des morceaux de son ancienne vie à sa nouvelle, une vie que seuls ses amis de l’époque et ses parents connaissaient. Est-ce qu’il était prêt ?
La réponse était simple : oui. Ça faisait longtemps qu’il l’était, mais il avait repoussé l’échéance par confort, tant qu’il le pouvait. Il ne pouvait plus attendre et lézarder dans ses non-dits, dorénavant. Plus il y pensait, moins ça l’effrayait, et la nuit silencieuse l’apaisait…
Quand même, il n’arrivait vraiment pas à s’endormir, et il ne pouvait pas rester comme ça allongé dans son lit. Il se leva alors, sans prendre la peine de remettre ses lunettes sur son nez, et quitta sa chambre. Il vit de la lumière dans le séjour et s’y rendit avec curiosité.
En pénétrant dans la pièce, il vit Sylvain assis sur le plan de travail de la cuisine, en tailleur, en train de manger quelques chips. Il ne put s’empêcher d’éclater de rire face à ce spectacle, ce qui fit sursauter son ami.
« Tu dors pas ? demanda-t-il en rangeant rapidement le paquet, pris la main dans le sac.
-Attends, je vais en manger aussi, l’arrêta Pierre en s’installant à côté de lui. »
Il plongea sa main dans le paquet et dégusta son butin avec un petit sourire.
« Je suis même pas étonné de te voir là, commenta-t-il. »
Sylvain rit, baissant la tête vers le sol, acquiesçant.
Pendant un moment, on n’entendait que le son du paquet de chips et celui de leurs mastications respectives. Un soupir. Un bruissement de tissu. Une horloge au loin. Les voitures dehors. Quelque part sonna une heure du matin, sûrement chez la voisine.
Pierre ne pensa qu’à parler, qu’à raconter sa vie à Sylvain, plus amplement. Il hésita un moment, il savait que sa fatigue et l’heure avancée de la nuit ne joueraient pas en sa faveur. Mais c’était Sylvain et les pensées le torturaient, alors il se lança :
« Tu veux voir à quoi ressemblait Charlie ? »
Sylvain pausa, le temps de se souvenir du prénom, de celui à qui il était attaché. Il grimaça mais, tout doucement, il hocha la tête.
« Mais ça va aller, Pierre ? »
Le susnommé acquiesça en se levant.
Il se rendit dans le bureau et fouilla le fond de son étagère, à genoux devant elle. Il trouva ce qu’il cherchait et se redressa avec une exclamation de victoire, sans bouger tout de suite. Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas revu ces photos. Il les consulta avec un doux sourire, pour se les remettre en tête, pour se remémorer les circonstances…
« Pierre ? »
Pierre sursauta et manqua de faire tomber les photos, mais il les retint contre sa poitrine. Sylvain se trouvait dans l’encadrement de porte, l’air inquiet.
« Ça faisait dix minutes que t’étais parti, ça va ? demanda-t-il.
-Déjà ? Merde, oui, pardon, je regardais les photos. Mais viens, on retourne dans la cuisine. »
Sylvain haussa un sourcil. La cuisine ? Pourquoi pas le salon ?
Mais il comprit pourquoi très rapidement : perchés sur le plan de travail, de là-haut, ils avaient accès à tout ce dont ils avaient besoin en nourriture, verres, boissons… Pierre les servit en eau et récupéra un paquet de chocolats.
« Le cliché, se moqua Sylvain. Tu veux pas de la glace et du vin rouge en plus, Bridget Jones ? »
Pierre souffla du nez en ouvrant le paquet. Il prit un chocolat et le mangea avant d’en proposer à son collègue d’insomnie, qui accepta.
« Je t’emmerde, Levy. »
Un silence, puis :
« C’est qui Bridget Jones ? »
Sylvain éclata de rire, mais ne répondit pas directement. Il se contenta d’un « c’est toi » et son ami ne chercha pas à en savoir plus. En tout cas, ça n’avait pas l’air flatteur.
Pierre tira les photos et les tourna vers l’autre homme, le laissant s’imprégner du visage inconnu qui se trouvait sur la première. On y voyait un jeune homme, brun, les cheveux mi-longs ondulés, à peine barbu, avec des yeux en amande et quelques tâches de rousseur sombres étalées sur sa peau. Il souriait, il était beau.
« C’est Charlie ? réalisa Sylvain. Bordel.
-Je sais, rit doucement Pierre. C’était lui à Noël 2012. On venait d’emménager au quartier latin pour nos études. Lui il était en anglais et moi en cinéma, du coup. On avait galéré à trouver cet appart’ et avant ça on logeait chez mes darons, parce qu’ils étaient plus proches que les siens de nos écoles et… bref. Donc vraiment, on était putain de contents de l’avoir… »
Sylvain l’écoutait avec un grand bonheur. Sa voix était si douce, il parlait avec sa main libre, animé par l’amour qu’il avait autrefois éprouvé. C’était émouvant.
Et immédiatement, une question vint à l’esprit de Sylvain, alors il coupa la tirade de son interlocuteur :
« Tu l’as rencontré comment ? »
Pierre y réfléchit un instant, frottant sa barbe, avant de répondre :
« J’avais seize ans et j’étais au fond de la classe, en seconde. Notre prof principal l’a assis à côté de moi. On passait notre temps à se marrer, les profs en avaient marre… mais ils disaient rien parce qu’il avait des bonnes notes et qu’il se faisait aimer par tout le monde, l’enfoiré. »
Il rit doucement, les yeux fixés sur la première photo, qui n’avait pas bougé. Ça sera une longue nuit…
« Et puis il a fini par me dire qu’il avait flashé sur moi, et qu’il avait pas su comment me le dire pendant le début de l’année. C’était la veille des vacances d’hiver et le lendemain, il partait en vacances avec ses parents pendant que moi je restais à Paris avec mes darons. Je l’ai un peu détesté sur ce coup là.
-Merde, ça se comprend, lança Sylvain. Et vous avez fait quoi du coup ? »
Pierre éclata de rire.
« On a passé les vacances à s’échanger des messages, et dès qu’il est revenu, paf, premier baiser. Mais on était pas dans la même classe en première, alors on se rejoignait aux pauses et on rentrait ensemble le soir. »
Immédiatement, Sylvain tourna un regard plein de sous-entendu vers son ami.
« Pour dormir ? Ou pour—
-Oh la ferme. Oui. Peut-être, soupira Pierre. T’es pire que ma mère. Bon. En tout cas, quand il a su qu’il allait à la fac à Paris, on a commencé à chercher un appart’ pour se mettre en coloc, mais on n’a pas trouvé tout de suite, comme j’ai dit. »
Son locuteur souriait derrière son verre, alors l’autre homme le bouscula, pour se chamailler.
Pierre devait l’admettre, il n’avait pas pensé que parler de Charlie serait si agréable, au final. C’était drôle. C’était doux. C’était émouvant et beau. Oui, plus il racontait l’histoire qu’il avait vécu avec lui, plus il la trouvait belle.
« Du coup vous vous êtes installés ensemble fin 2012 ? le rappela à l’ordre Sylvain. Et après ? »
Pierre lui montra alors la photo suivante : quelques sorties, un nouveau déménagement à la fin de l’année scolaire, des portraits de cet homme si beau…
Et puis une photo d’une main, en gros plan, devant un visage apparemment ému. A son annulaire, une bague. Sylvain écarquilla les yeux en attrapant la photo, pour la regarder de plus près. C’était bien Charlie. Il tourna un regard incrédule vers Pierre.
« Tu l’as demandé en mariage ? »
L’autre homme hocha la tête, fier, amusé. Il reprit la photo.
« Ouais, mais on n’a pas eu le temps de se marier. »
Il la plaça au fond du paquet et en tira une autre.
Dessus, Charlie était plus maigre, le visage pâle, l’œil vitreux. Mais il riait quand même en essayant de repousser le photographe.
« Il était déjà malade à ce moment-là, expliqua Pierre, mais on savait pas que c’était le sida. Les médecins évoquaient d’autres trucs, ils partaient plutôt sur un cancer. »
Une pause, le visage fermé tout à coup.
« Il a fini par être admis à l’hôpital, c’est là qu’il a appris qu’il était séropo. Il avait déjà des problèmes de santé avant ça, alors les infirmiers me prenaient à part et me disaient qu’ils allaient tout faire, mais que ça semblait mal engagé. Je passais à l’hôpital le matin avant mes cours, puis le soir dès que j’avais fini. Mes notes ont un peu chuté sur le coup. Et puis un mois plus tard, ils m’ont appelé en plein cours pour m’annoncer la nouvelle, et après ça, je me suis totalement donné à mon art. »
Pierre fut secoué d’un rire amer. Il pleurait. Sylvain mit du temps à le remarquer, les yeux fixés sur la dernière photo : Charlie, sur un lit d’hôpital. Quand il sortit de sa contemplation, il enlaça son ami et le tira contre lui, le laissant poser sa tête sur son épaule malgré leur différence de taille.
« Et toi ?
-Je l’ai su qu’après, répliqua Pierre d’une voix lointaine. J’ai refusé les tests avant. Si c’était positif, je voulais pas… J’étais quasiment sûr que c’était lui, je voulais pas qu’il culpabilise. Alors un mois après sa mort, j’ai fait le test, et j’ai dû annoncer à mes parents que j’avais la même maladie qui avait pris mon fiancé. C’était pas la période la plus fun de ma vie… »
Encore un rire, Sylvain passa une main sur les siennes pour les tenir.
Les deux hommes restèrent ainsi en silence pendant de longues minutes. Pierre somnolait contre Sylvain, épuisé, maintenant qu’il avait lâché un si gros morceau du récit. Son ami le remarqua et lui donna un léger coup de coude pour qu’il se redresse.
« Allez, au dodo monsieur Chabrier. »
Il sauta du plan de travail et attendit que le susnommé fasse de même pour se diriger vers le couloir.
Après avoir partagé un dernier câlin tous les deux, une fois que Sylvain avait glissé une blague à son oreille pour le faire rire, ils se séparèrent, chacun dans leur chambre à nouveau, alors que l’horloge au loin sonnait trois heures.
Une semaine plus tard, Pierre et Sylvain se rendaient ensemble au bar. Le premier avait récupéré le second chez lui pour qu’il puisse boire à sa soif et ils se retrouvèrent donc tous les deux assis dans la voiture, discutant du programme de la soirée.
« T’es déjà allé dans un bar gay ? demanda tout à coup Sylvain, par curiosité. »
Pierre ne put empêcher un rire nerveux.
« Ça m’arrive, pourquoi ?
-Pour savoir, pour savoir… Et c’est comment ? insista le passager. »
L’autre homme lui lança un drôle de regard, un peu suspicieux, surtout incertain de la direction de la conversation.
« Comme un bar normal, sauf que c’est des mecs qui se pécho. Dites-moi, monsieur Levy, vous avez l’air vachement curieux…
-Je demande juste, je m’intéresse… T’as jamais autant parlé de ta sexualité que depuis que tu m’as annoncé que t’étais séropo, alors j’pose des questions.
-Bah, t’as pas à savoir ce que je fais de mon cul, en soit, rit Pierre. Si ça t’intéresse tant que ça, faudrait commencer à te poser des questions ! »
Pierre riait, évidemment. Mais quand il tourna la tête et qu’il remarqua le silence de son ami, il rit de plus belle avec une espèce de bienveillance. Il avait tout à coup l’impression que quelque chose était en train de changer.
Il ne fit aucun commentaire sur le silence de son passager, il ne se moqua même pas, même s’il avait un peu envie de le chambrer sur le sujet. A la place, il proposa :
« Tu veux qu’on y aille ce soir ? Ça fait un moment que j’y suis pas allé, je suis curieux de voir si ça a changé. »
Il changea déjà son itinéraire, avant même d’avoir la confirmation de son ami, roulant en direction d’un bar dont il connaissait encore l’adresse. Il savait que Sylvain allait accepter.
Le bar était toujours là, toujours sous le même nom. Il faisait encore clair, même si le soleil allait bientôt se coucher – c’était encore le mois de mai. Il faisait bon, pas encore très chaud, et des hommes en débardeurs et t-shirts se trouvaient déjà sur le trottoir devant l’établissement. Pierre dut se garer plus loin, mais c’était tant mieux. Il pourrait apporter quelques explications à Sylvain avant d’entrer.
Les deux hommes marchèrent côte à côte en direction du bar, à quelques dizaines de mètres de la voiture. Pierre commença à mettre l’autre en garde :
« Ok alors, il y a des codes.
-Ah bon ? Genre, pour avoir des réductions ? blagua Sylvain »
Son interlocuteur rit d’abord puis râla, parlant avec ses mains :
« Non, des codes sociaux ! Genre, pour montrer qu’on est intéressé, ou non justement. Si tu vois un mec te regarder avec insistance, ça peut arriver, bah tu détournes le regard pour montrer que toi c’est pas le cas.
-Et si c’est le cas ? demanda l’autre homme, déguisant sa question sincère derrière une blague.
-Tu l’imites. S’il te regarde, tu le regardes. S’il tente un truc, tu fais pareil. S’il commence à se toucher…
-Il peut faire ça ?? s’étonna Sylvain. »
Pierre hocha la tête avec un rire.
Ils se retrouvaient maintenant devant la porte. Celui qui parlait marqua une pause le temps de rentrer avant de répondre :
« Ça arrive. Ça dépend où. Y’a plus de gars qui cruisent qu’on ne le croit. »
Sylvain, qui n’avait jamais entendu ce mot, du moins pas dans ce contexte, fronça les sourcils.
« Qui cruisent ? répéta-t-il. C’est quoi ça ? Ils vont en croisière ? »
Pierre éclata de rire en s’asseyant au bar et secoua la tête.
« Non, c’est quand ils cherchent des partenaires. Mais genre, en public, donc ils essayent d’être discrets. »
Son interlocuteur haussa un sourcil avec un sourire en coin.
« Tu l’as déjà fait ?
-Tu me prends pour qui ? répliqua Pierre. Bien sûr. »
Et les deux hommes éclatèrent de rire.
Le barman s’approcha d’eux et prit leurs commandes – pour l’instant, ils en étaient encore aux sodas, mais ça changerait au cours de la soirée pour Sylvain. Ils récupérèrent rapidement leurs verres et la discussion continua entre eux tout naturellement :
« Mais ça se passe comment ? demanda le nouvel arrivant dans cet univers. Genre, deux mecs se regardent dans les yeux, se touchent la teub et c’est bon ?
-C’est vachement résumé, quand même, rit Pierre, un brin timide de parler si ouvertement de ce sujet. Nan, des fois il y a plus de contacts avant, même une discussion, puis faut trouver l’endroit aussi. »
Sylvain prit une gorgée de son verre et le reposa, les sourcils froncés.
« Genre, chez qui vous allez ?
-Là aussi ça dépend, répliqua Pierre. Ça peut être chez nous, ça peut être dans des toilettes, ou… »
Son ami écarquilla les yeux, alors il éclata de rire.
« Je vais te traumatiser, lança-t-il. Tu veux changer de sujet ? »
Il observa l’autre homme avec un petit sourire et des yeux brillants, fortement amusé.
Sylvain secoua la tête, buvant à nouveau, presque plus pour se donner contenance qu’autre chose.
« Nan, ça ira, ça m’intéresse. Mais ça arrive souvent la baise dans les lieux publics ?
-Je sais pas, souffla Pierre, se retenant de rire de plus belle. Mais c’est souvent des lieux dédiés, t’inquiète pas, si t’es pas tombé dessus depuis que t’es ici c’est pour une raison. Il y a aussi des saunas, d’autres bars, des boîtes de nuit, des cabarets…
-Seulement à Paris ? »
Sylvain lui jetait un regard curieux, rempli d’une innocence en rupture totale avec le sujet de ses questions. Son interlocuteur secoua la tête en avalant la gorgée de son soda.
« Non, je suis déjà allé à un bar gay à Lyon en 2015. Je sais pas s’il y est toujours, mais ça doit pas être le seul. C’est courant dans les grandes villes. »
Son auditeur enthousiaste hocha la tête, pour montrer qu’il comprenait.
Sylvain rit doucement, enregistrant peu à peu les informations. C’était compliqué, avec tous les bruits ambiants, les voix, la musique – du Madonna, à cet instant – ou encore les verres qui s’entrechoquaient. Et puis il réalisa deux-trois trucs, qui le poussèrent à poser davantage de question :
« Des saunas ? Genre des saunas gays ? Et qu’est-ce que tu foutais à Lyon ? J’y ai passé cinq ans, j’ai jamais vu de bars gays… »
Pierre se tourna vers lui sur le tabouret, posant son talon sur l’assise, un bras autour de sa jambe relevée et l’autre appuyé sur le comptoir. Il éleva un peu la voix, comme les clients se faisaient plus nombreux.
« Des saunas gays, oui. On se balade à poils, avec une serviette, et en général tu sais ce que tu veux quand t’y vas. C’est pas pour te baigner ou te faire suer. »
Il rit, et Sylvain rit avec lui.
« Bordel, y’avait ça à Lyon aussi ? »
Son interlocuteur acquiesça.
« J’étais à Saint-Etienne pour un tournage YouTube, expliqua-t-il, et j’en ai profité pour monter sur Lyon voir une connaissance. Un pote de lycée qui était allé faire ses études là-bas. Gay aussi, du coup, donc on est allé au bar gay.
-Et t’as pécho du lyonnais, du coup ? taquina Sylvain avec un sourire en coin.
-Eh, Levy, tu deviens beaucoup trop intéressé par ce qui se passe dans mon lit.
-Réponds, insista le susnommé. »
Pierre soupira, en souriant quand même, pas blessé par l’indiscrétion de son meilleur ami.
« Non, pas après Charlie. J’ai recommencé les relations fin 2015, donc avec Aurélien et après mon passage à Lyon. »
Il prit une nouvelle gorgée de son verre.
Son interlocuteur baissa la tête, comprenant sa bourde. Ah, oui, Pierre lui avait dit… Il s’excusa brièvement et voulut changer de sujet, mais l’autre le devança en se levant.
« Mh, je vais pisser, je reviens. »
Il disparut dans la foule, en direction des toilettes, laissant Sylvain seul au bar.
Il pénétra dans les toilettes des hommes et trouva un urinoir pour faire son affaire. A peine quelques secondes plus tard, un homme entre à son tour, s’installa à sa gauche, lui lançant des regards. Pierre ne l’ignorait pas et lui glissa un regard pour l’observer, juste comme ça, par curiosité. L’homme faisait la même taille que lui, à peu près, plus barbu, avec des yeux bleus… Le contact visuel dura un instant, suffisamment pour que l’homme comprenne que Pierre le trouvait beau. Mais il ne voulait rien, et il lui fit comprendre. Rapidement, il finit, se lava les mains et retourna au bar en pensant toujours à cet inconnu, en se demandant ce qu’il se serait passé s’il avait initié quelque chose… Il avait remarqué ce foulard bleu clair dans la poche droite de son pantalon, il savait ce que ça voulait dire – il l’avait lui-même porté, de l’autre côté, quand il était à Berlin.
Il retrouva son ami, toujours un peu dans la lune, et termina son verre cul-sec. Sylvain ne lui lança qu’un regard amusé sans faire de commentaires. La conversation reprit avec fluidité, sur d’autres sujets, d’autres intérêts, de futurs projets, bref, ils passèrent un bon moment dans ce lieu, si bien que le nouveau venu se disait qu’ils pourraient bien y retourner, tous les deux...
Et ils y retournèrent, quelques fois. Pierre lui parlait toujours un peu plus de son passé, de sa sexualité, comme son ami semblait toujours avoir des questions sur le sujet. Il le stoppait seulement quand la conversation devenait trop personnelle à son goût.
Au fond, Pierre se répétait que quelque chose était définitivement en train de changer chez l’autre homme : dans ses questions, ses manières, son intérêt. Mais rien ne confirmait ses soupçons et il n’osait pas demander, voulant lui laisser le temps de faire son bout de chemin. Ça le faisait sourire, malgré tout, de revoir cette période de questionnement révolue depuis bien des années pour lui – le collège, à vrai dire.
Ses soupçons s’étiolèrent cependant une après-midi où ils traînaient chez Sylvain. C’était le début du mois de juillet, le rythme des tournages ralentissait déjà et ils préparaient leurs vacances d’août : ils allaient passer un peu plus d’une semaine avec d’autres amis dans une maison louée pour l’occasion sur la côte. Ça faisait du bien, de ne plus travailler autant, surtout avec les premières canicules de juin.
Sylvain était allongé sur son canapé, ses pieds par-dessus l’un des accoudoirs. Son ami était assis à côté de sa tête, sur la place restante, les jambes croisées, à boire un verre de jus de fruit frais. Il faisait terriblement chaud dans l’appartement, la fenêtre du salon était grande ouverte, mais ça n’aidait pas beaucoup.
« Faut vraiment que t’achètes une clim’, toi, se plaignit Pierre. »
Il jeta un regard à l’autre qui ne faisait pas attention à lui, concentré sur son téléphone. Il passa sa main devant ses yeux pour attirer son attention, le faisant sursauter, lui provoquant un rire.
« Eh beh, y’avait quoi sur ton téléphone pour que tu m’écoutes pas ? se moqua Pierre.
-Rien, répliqua Sylvain. Rien de spécial. T’as dit quoi ?
-Mh, rien d’intéressant. Je vais me resservir du jus de fruit. »
Pierre se leva, son verre à la main, et se dirigea vers la cuisine.
Son ami le suivit du regard, avec un peu d’insistance, le reluquant tant qu’il était de dos. Ses yeux tombèrent sur son tatouage au mollet, visible puisqu’il portait un short – et un débardeur, un peu transparent à cause de la transpiration, il l’avait remarqué. Mais bientôt tout ça disparut de son champ de vision, alors il reporta son regard sur son téléphone, scrollant sans trop y réfléchir.
Pierre revint rapidement vers lui, tenant toujours son verre, maintenant plein, en s’asseyant à nouveau. L’autre homme leva les yeux vers lui, du bas de sa position étrange, et demanda tout à coup en éteignant son téléphone et en le posant face contre sa poitrine :
« Ça fait quoi d’embrasser un mec ? »
Son locuteur, qui était sur le point de boire une nouvelle gorgée de jus de fruit, éclata de rire. Il éloigna son verre pour ne pas le renverser et s’exclama :
« C’est quoi cette question ?! »
Mais Sylvain était sérieux. Il le fixait toujours avec une petite moue, se sentant moqué.
« Quoi ? Je suis curieux.
-Oui, tu me dis ça à chaque fois, mais ça commence à faire beaucoup de curiosité quand même, commenta Pierre.
-Réponds-moi, ordonna l’autre homme avec autorité, se redressant. »
Il s’installa en tailleur sous le regard de Pierre, qui souriait largement.
« Si ça t’intéresse tant que ça, embrasse un mec, répliqua celui-ci. Essaye. On n’a qu’à aller au bar ce soir. »
Et Sylvain était un peu trop intéressé par l’idée. Bordel, se dit Pierre, mon pote n’est définitivement pas hétéro.
Ils se rendirent donc au bar le soir même, le même que la première fois il y avait presque deux mois. Les deux hommes y avaient leurs habitudes maintenant, ils s’installaient à l’extrémité du bar quand ils le pouvaient, sinon à une table un peu reculée, et avaient leurs boissons favorites. Heureusement pour Pierre, la carte des boissons sans alcool était plutôt complète.
Quand ils arrivèrent ce soir-là, le comptoir était complet. Ils prirent donc une petite table pour deux à côté de l’entrée et Sylvain demanda à son ami ce qu’il voulait pour aller commander. Pierre s’installa pendant que l’autre vadrouillait à sa mission, appréciant la musique qui passait actuellement – sans forcément la reconnaître. Il se mit à en tapoter le rythme sur la table en attendant son compagnon de soirée.
Sylvain revint avec leurs verres une dizaine de minutes plus tard, mais il ne se rassit pas de suite.
« Garde mon verre, cria-t-il à Pierre par-dessus la musique. Je reviens ! »
Pensant qu’il allait seulement aux toilettes, celui-ci acquiesça et le laissa partir. Et il attendit. Il attendit longtemps, au point de se dire qu’il n’était pas aux toilettes.
Curieux, il se leva. Une nouvelle musique se lança, qu’il reconnut – I Kissed A Girl de Katy Perry. Ça le faisait marrer de l’entendre ici. Il fouilla la salle du regard, du haut de son mètre quatre-vingt-sept, et trouva ce qu’il cherchait : Sylvain. Il était assis au bar et visiblement, il avait déjà trouvé un gars à embrasser, puisqu’il était en train d’échanger un baiser avec son voisin de tabouret.
Rapidement, Pierre se rassit, avec un sourire sur le visage et un pincement au cœur, qu’il repoussa. Au lieu de trop y réfléchir, il regarda les notifications sur son téléphone. Sofiane l’avait bombardé de message pour sortir ce soir, justement, mais il ne les avait pas vus. Il lui répondit donc qu’il était déjà de sortie avec Sylvain, précisant quel bar – on ne sait jamais, s’il voulait les rejoindre… Sofiane répondit après quelques minutes qu’il avait déjà trouvé un groupe avec lequel traîner, tant pis, il ne pourra pas voir Sylvain, lui qui l’adore… La réponse fit rire Pierre, qui n’insista pas, même s’il se disait que c’était peut-être un mensonge.
C’était vrai que depuis peu, il passait moins de temps avec lui, et Sofiane, exigeant qu’il était, lui faisait bien savoir. Mais il ne lui devait rien, ils n’étaient pas ensemble. Alors pourquoi se sentait-il coupable ? Il espérait que Sylvain revienne vite, il avait vraiment besoin de se changer les idées tout à coup.
Quelques minutes plus tard, Sylvain revint avec un grand sourire aux lèvres, l’air fier. Avant qu’il n’ouvre la bouche, son ami lança avec amusement :
« Alors comme ça, ça pécho ?
-Ah merde, t’as vu ?
-Bah oui mon coco, t’étais pas super discret quand même. »
Ils éclatèrent de rire et chacun prit une gorgée de sa boisson. Pierre ajouta :
« T’as ta réponse, maintenant ?
-J’crois que pas encore, je vais devoir tester encore deux-trois fois, blagua Sylvain. »
Encore des rires.
« Faites gaffe, c’est un peu gay ça, m’sieur Levy, le mit en garde Pierre avec humour.
-Rien à foutre, contra le susnommé avec sérieux. J’commence à comprendre pourquoi toi tu l’es. »
Son ami faillit s’étouffer avec sa boisson, parce qu’il ne s’attendait certainement pas à cette réaction. Un rire nerveux le prit.
Sylvain changea rapidement de sujet après ça, et l’autre homme comprit très bien le message, ne faisant aucun commentaire sur l’aveu, même s’il lui lançait des regards insistants pendant leur conversation, les questions tourbillonnant dans sa propre tête.
Les deux hommes se séparèrent aux premières heures de la nuit, fatigués. Ils dormirent chacun de leur côté, même s’ils devaient se retrouver chez Pierre le lendemain pour un événement bien spécial… Il allait enfin réaliser son autoportrait pour sa série, celle que Sylvain avait découverte par hasard il y a quelques mois.
Pierre se sentit seul, une fois chez lui. Il repensait à la soirée, au baiser que son ami avait échangé avec un autre, au refus de Sofiane de le voir – ce qui était rare. Il l’appela, parce qu’il avait besoin d’un corps à serrer.
« Ton rencard t’a laissé ? demanda le jeune homme en décrochant, avec sarcasme.
-C’était pas un rencard, soupira Pierre. Viens.
-T’as de la chance que je puisse pas te dire non, sourit Sofiane. J’arrive, prépare-toi. »
Et il raccrocha, avant même que son interlocuteur ne puisse lui répondre. En même temps, il l’aurait sûrement insulté.
Il attendit donc, assis sur son canapé, alternant entre son téléphone et la contemplation de son jardin éclairé par les lampadaires de la ville, jusqu’à ce qu’on frappe à sa porte. Il se leva, traîna des pieds jusqu’à son entrée et ouvrit. Sofiane, qui souriait, perdit sa jovialité en voyant l’expression de son amant.
« Merde, fallait me le dire si je devais faire SAV des cœurs brisés. T’as trop réfléchi à ta soirée ?
-Je veux juste penser à autre chose. »
Et Pierre le tira à l’intérieur, contre lui, pour l’embrasser. Et Sofiane le laissa faire.
Ils restèrent ainsi à s’embrasser un moment, se serrant, tenant le visage de l’autre ou ses hanches, s’enlaçant enfin avec un empressement de plus en plus violent. Pierre en avait besoin et le faisait savoir dans la témérité de ses gestes quand il déshabillait son amant.
Rapidement, les deux hommes se retrouvèrent dans la chambre, entre les draps, pour y passer le reste de la nuit. Tant pis s’ils ne dormaient pas, ils n’en avaient pas besoin. Pas pour quelques heures au moins. Vers quatre heures, malgré tout, ils s’assoupirent dans les bras l’un de l’autre.
Quelques heures plus tard, Pierre se réveilla seul dans son lit. Il se souvenait pourtant très bien de la venue de Sofiane, et jamais celui-ci n’était reparti sans lui dire. Il était d’ailleurs celui qui restait le plus longtemps au lit, d’où l’inquiétude de son amant.
Il sortit du lit en enfilant ses lunettes et couvrit sa nudité d’un simple bas de jogging avant de sortir de la chambre. Il passa une tête dans la salle de bain : personne. Il avança vers le séjour avec plus de crainte qu’il ne l’aurait cru.
Quand il aperçut enfin Sofiane, adossé au plan de travail de la cuisine, les bras croisés, une tasse de café fumant à côté de lui, comme s’il attendait l’autre homme. Il haussa un sourcil face à son expression.
« T’avais peur que je me sois barré ? l’accusa-t-il immédiatement, sec.
-Non, mais… »
Pierre bâilla.
« D’habitude…
-Les habitudes changent, en ce moment, répliqua Sofiane. »
Son interlocuteur fronça les sourcils, pas bien réveillé mais bien au courant que quelque chose clochait.
« Qu’est-ce que t’as putain ? râla-t-il. Tu veux pas dire clairement ce qui t’emmerde ?! »
Il perdait patience, surtout que Sylvain était censé arriver dans quelque temps et qu’il ne voulait pas que cette discussion s’éternise.
Sofiane, en revanche, voulait le laisser poiroter. C’était son côté dramatique, il aimait se mettre en scène, dans sa colère comme dans sa joie. Ce matin-là, Pierre s’apprêtait à en payer les frais.
« J’ai que j’en ai marre de pas savoir sur quel pied danser avec toi, Pierre. J’ai l’impression que même toi, tu sais pas. Mais au bout d’un moment, faudra faire un choix, trancha Sofiane.
-Un choix ? répéta le susnommé, perdu.
-Sylvain a appelé ce matin, lâcha enfin son interlocuteur. »
Quelque chose n’allait pas.
« Tu m’avais pas dit qu’il venait aujourd’hui. »
Quelque chose n’allait vraiment pas.
« Pour une séance photo ? Je pensais pas que ça bougerait si vite entre vous. »
Pierre le sentait, le voyait, l’entendait dans son ton, son langage corporel, l’ambiance froide…
Il n’aimait pas ça. Son cœur se tordait d’appréhension, comme une mauvaise rupture. Mais rupture de quoi ? Sofiane et lui, c’était que physique, ils ne sortaient pas ensemble… Pierre n’était pas amoureux de Sofiane.
« Attends, tu me fais quoi, là ? demanda-t-il sur un tout autre ton, plus doux, moins méfiant, presque suppliant.
-Là, t’as la rage parce que c’est pas censé être une rupture mais ça y ressemble vachement, hein ? lança Sofiane avec un sourire en coin, visiblement satisfait de l’air blessé de son amant. Comme ça tu sais ce que ça putain de fait de se faire briser le cœur. »
Pierre baissa la tête. Sofiane ne savait pas, pour les autres, ce qui l’avait blessé, il n’arrivait pas à lui en vouloir pour ses mots, mais merde, ça faisait mal.
Il ne répondit pas aux nouvelles accusations, il baissa seulement la tête, laissant l’autre homme poursuivre sa tirade. Il ne semblait pas vouloir s’épuiser et, quelque part au milieu des mots emmêlés, il se mit même à pleurer, mais sa voix ne faiblit pas. Puis une idée vint à Pierre – il n’aimait pas le voir pleurer, il fallait qu’il le stoppe. Il s’approcha doucement, relevant la tête, le coupant avec un ton bas, tendre :
« Sofiane, je t’avais prévenu quand on a commencé. Je t’ai dit qu’il n’y aurait pas de sentiments, pas de ma part. J’aurais dû arrêter avant, je suis désolé… »
Il ouvrit les bras et l’autre s’y réfugia sans réfléchir, pleurant tout son saoul contre sa poitrine.
Pierre avait vraiment merdé, en refusant d’arrêter de le voir alors qu’il avait aperçu les sentiments naître à son encontre. Il l’avait remarqué, avait essayé d’en parler, mais Sofiane lui avait dit qu’il pouvait le supporter, que ça lui passerait, et il l’avait cru. La belle connerie. Ah elle était belle, leur histoire, à finir bâclée ainsi.
« C’est pas moi qui devrais te consoler, murmura Pierre en commençant à se détacher. Ça te fait plus de mal que—
-Encore un peu, supplia Sofiane en le serrant plus fort. »
Son interlocuteur s’en voulut de ne pas réussir à lui dire non, et le serra de plus belle, séchant les larmes qui coulaient par sa faute.
Sofiane brisa l’étreinte quelques minutes plus tard, reniflant, essuyant son visage avec une moue.
« T’es chiant, ça devait pas se passer comme ça, c’est toi qui devais pleurer, râla-t-il.
-Crois-moi, c’est pas l’envie qui manque, rit Pierre nerveusement. »
Son amant, ou ex, le frappa un peu fort dans le bras.
« T’es un connard. Un enfoiré.
-Je sais, murmura-t-il, sans trop d’émotion. »
Il voulait surtout déguiser sa tristesse et la boule dans sa gorge.
« Je vais me casser, ajouta Sofiane. Tu me verras plus.
-Sof’…
-Non y’a pas de Sof’ qui tienne, répliqua le susnommé avec plus de véhémence, repoussant définitivement Pierre. »
Et l’autre le regarda, les bras ballants, un mètre plus loin.
Il le suivit des yeux quand il disparut dans le couloir, quand il revint, chargé de ses quelques affaires laissées là, quand il s’approcha pour l’embrasser, en silence, une dernière fois, quand enfin il passa la porte, portant un dernier regard sur celui qu’il aimait, qu’il aime, avant de la claquer sur leur relation.
Merde, se dit Pierre alors qu’il ne pouvait plus retenir les quelques larmes qui mouillaient déjà son regard auparavant, ça fait vraiment, vraiment mal…
Sylvain arriva une heure plus tard. Entre-temps, son hôte avait pu sécher ses larmes, ranger sa maison et préparer le lieu qui servirait à la séance, ainsi que son appareil photo. Quand l’autre homme sonna enfin, il alla lui ouvrir avec une mine encore toute triste qui fut immédiatement reconnue.
« Oulà ! s’exclama Sylvain. Mauvaise nouvelle ?
-Ouais, rentre. »
Pierre s’écarta pour le laisser passer, fermant la porte derrière lui.
Il passa une main sur son visage avec un soupir, suivant son ami à travers sa propre maison. Avant de commencer la séance, ils s’installèrent dans le canapé, pour que Sylvain écoute ce que son ami avait à lui annoncer.
« Je me suis fait larguer comme une merde, avoua-t-il enfin. »
Son locuteur fronça les sourcils, s’interrogeant immédiatement :
« Mais… par qui ? T’étais en couple ?
-Sofiane, répliqua simplement Pierre.
-J’croyais que vous étiez pas…
-Ouais bah je croyais aussi. On a passé la nuit ensemble, ce matin il a claqué la porte après t’avoir eu au téléphone et merde, je me suis plus attaché que je le pensais ! »
Sylvain se redressa tout à coup, sous le coup d’une indignation conduite par sa culpabilité.
« Après m’avoir eu ? Mais c’est quoi le problème ? C’est pas de ma faute j’espère ? »
Pierre rit amèrement en basculant la tête en arrière, regardant le plafond.
« Non, c’est totalement de ma faute. Je me suis attaché, mais j’suis pas amoureux. Lui oui. Je le savais et j’ai pas voulu arrêter. Le beurre, l’argent du beurre…
-… et le cul du crémier, blagua Sylvain sur un ton blasé malgré tout. Pardon, c’était trop tentant. »
Pierre lui lança un regard, puis éclata d’un rire sincère.
Il se tourna vers son invité, arborant une expression plus calme, plus souriante, revigoré par la présence de son ami.
« Tant mieux que tu sois là, lança Pierre avec un remerciement sous-jacent. J’ai besoin de penser à autre chose.
-Pas de problème, sourit Sylvain. Mais j’peux demander c’était quoi le souci avec moi ? Sofiane m’aimait pas ? Je trouvais qu’on avait l’air de bien s’entendre, pourtant. »
Son interlocuteur baissa la tête, sans perdre son sourire.
« Il était jaloux de personne d’autre, mais je sais pas… Il trouvait que je parlais trop de toi, et que tu prenais la place que lui voulait, je pense. »
L’autre homme se sentit tout bizarre à l’entente de ces mots. Comment ça, il prenait la place que Sofiane, amoureux de Pierre qu’il était, voulait ?
Ok, il en avait assez de cette discussion, c’était encore trop tôt pour se poser des questions. Il passa rapidement à autre chose :
« Okay, mh, et sinon quoi de prévu pour la séance photo ? Ce sera quoi mon rôle ? »
Pierre remarqua le rapide changement de sujet mais ne fit aucun commentaire. A la place, il se leva et guida son invité vers la chambre, lui expliquant la suite des événements.
Arrivé dans la pièce, Sylvain se mit sourire et, joueur, un brin moqueur, il blagua :
« C’est quoi la nature de cette séance photo, au juste ? C’est pas pour ton OnlyFan quand même ? Sinon je demande une part, hein… »
Pierre éclata de rire et l’insulta entre ses dents :
« L’enfoiré. »
Puis, plus fort :
« Désolé, pas aujourd’hui. Je sais que ça t’aurait intéressé mais c’est pas le programme.
-Ça veut dire quoi, ça ? s’indigna Sylvain.
-Que t’es trop curieux en ce moment, sourit Pierre en allumant l’appareil. Mais t’en fais pas, ça me dérange pas.
-Parfait, je comptais pas arrêter, répliqua son ami avec arrogance. »
Pierre baissa la tête en l’entendant, dépité. Même si, en réalité, il ne l’était pas vraiment.
Il peaufina quelques réglages puis avec sa main il fit signe à Sylvain d’approcher. Celui-ci obéit, observant l’écran de l’appareil qui était tourné vers le fauteuil près de la fenêtre. Il lui expliqua d’abord le fonctionnement général de la caméra, puis quelques fonctionnalités qui pourraient l’intéresser. Enfin, il lui parla de ses idées, de son intention :
« Le but de la série, c’est de nous montrer dans un milieu familier, qui fait appel à la vie de tous les jours, au quotidien quoi. Moi, j’avais envie de représenter mon activité de photographe et… bon, je sais pas si je peux vraiment utiliser ce mot-là, mais bref. Et d’artiste. Je les dessine pas mal, mine de rien. Bref, quand je dessine chez moi, j’ai tendance à le faire sur ce fauteuil. »
Il pointa le fauteuil, et s’en approcha immédiatement pour s’installer. A côté de lui, sur le bureau de la chambre, se trouvait son carnet à dessin et un pot à crayon. Sylvain observa avec un œil neuf l’environnement, comprenant mieux l’intérêt du plan.
Son regard tomba sur le carnet et il sourit en voyant Pierre s’en saisir, ainsi que d’un crayon. Il blagua à nouveau, parce que ça détendait l’atmosphère, parce que ça le faisait rire, parce qu’ils savait que ça remontait le moral de son ami :
« Tu vas me dessiner pendant que je te prends en photo ?
-Tu veux que je te dessine ? demanda Pierre doucement, avec sérieux. »
Leurs regards se croisèrent. Sylvain, avec son sourire en coin, acquiesça.
« Je veux voir comment tu me dessines. »
L’artiste hocha la tête à son tour, ouvrant le carnet sur une page vierge, ignorant les dessins de Sofiane qu’il avait réalisés précédemment.
Sylvain reporta son regard sur la caméra devant lui, timide tout à coup. Il avait difficilement la fibre artistique, pas comme Pierre, et une pression supplémentaire s’ajoutait à celle du terrain inconnu sur lequel il évoluait : celle de décevoir son ami.
« Et du coup, j’appuie juste sur le bouton ?
-Tu peux jouer un peu avec, tester des trucs, le corrigea le photographe. Je viendrais prendre des autoportraits après. Et si t’as une idée de pose en tête, tu peux demander. »
Sylvain rit avant de verbaliser sa connerie en faisant mine de regarder l’appareil :
« Attends, j’en ai une, écarte un peu les jambes, là, retire ton débardeur ? »
Et son ami éclata à nouveau de rire, accompagné d’insultes affectueuses. Le photographe amateur en profita pour prendre ses premières photos, capturant le rire de l’autre homme à son insu.
Les deux hommes reprirent un minimum leur sérieux ensuite, pour poursuivre la séance. Pierre se mit à dessiner avec application, changeant quelques fois de position. Alors qu’il était concentré sur son dessin, Sylvain approcha en marmonnant quelque chose et, sans prévenir, il posa un pied sur le fauteuil, entre les jambes de Pierre, pour se hisser dessus. Son ami, surpris, lâcha son carnet pour le retenir par réflexe au niveau des hanches, détournant la tête pour qu’elle ne se trouve pas au niveau de son entrejambe.
« Qu’est-ce que tu fous ? s’exclama-t-il en souriant.
-Y’a un problème avec ton rideau, t’inquiète, le rassura Sylvain.
-Bah bien sûr que je m’inquiète, tu viens m’agresser là et t’es à deux doigts de te casser la gueule, se plaignit Pierre avec humour.
-Mais non ! s’exclama son interlocuteur. Je maîtrise la situation.
-Connaissant ta chance, je parierai pas sur ton intégrité physique. »
Sylvain descendit de son perchoir et baissa le regard vers son ami, lâchant un soupir après cet effort. Il se frotta les mains.
« Eh bah voilà, parfait. Tu peux reprendre. »
Il retourna derrière la caméra comme si de rien n’était, et l’autre reprit son activité avec un regard suspicieux.
Après quelques minutes, Pierre leva son crayon, en portant le bout contre sa lèvre tandis qu’il observait son dessin.
« Redresse un peu la tête ? le guida Sylvain, qui prenait son rôle très à cœur. »
Il obéit, contemplant toujours son œuvre. Puis il rangea le crayon dans le pot.
« J’ai fini. Allez, je vais faire un peu d’autoportrait ! Pendant ce temps, tu peux regarder le dessin. »
Il se leva et tandis le carnet à l’autre homme, qui abandonna l’appareil photo pour s’en saisir.
Il observa les traits en silence, tandis que Pierre regardait les quelques dernières photos. Pas toutes, il voulait se garder la surprise, juste assez pour faire de nouveaux réglages et ajouter un minuteur, qui lui permettrait de se placer et de ne pas se relever entre les photos, s’il voulait tester d’autres poses. Il se réinstalla et prit ses photos tandis que son ami était à peine concentré sur lui.
« C’est trop beau, complimenta celui-ci au bout d’un moment. »
Pierre tourna la tête vers lui avec un grand sourire, se retrouvant penché par-dessus l’accoudoir du fauteuil, le crâne basculé en arrière. Une photo fut prise ainsi.
« Merci. C’est vrai que je suis plutôt fier. »
Il se leva à nouveau et récupéra l’appareil photo, tandis que Sylvain posait le carnet sur le bureau.
L’homme observa son hôte s’asseoir sur le bord du lit, bidouillant son appareil, sûrement pour regarder la galerie. Il approcha donc de lui et s’installa à genoux derrière, pour regarder par-dessus son épaule. Il se concentra sur les quelques autoportraits de Pierre, qui avaient déjà l’air plus beaux sur ses photos, alors même que rien n’était modifié. Il ne savait pas pourquoi. C’était la même caméra, pourtant. Même modèle, même cadre. Il ne comprenait pas et était admiratif du travail du photographe.
Cependant, il détourna le regard au moment d’arriver à ses photos. Il avait un peu honte, après avoir vu ce qu’avait fait Pierre, et s’assit sur ses propres talons, toujours posté derrière lui. Le photographe, lui, observa avec un doux sourire les photos de l’amateur. Particulièrement celles prises quand il ne posait pas, mais quand il changeait justement de position, ou riait à une blague de Sylvain. Au final, elles étaient ses préférées. Il aimait l’impression de mouvement, qui n’était pas toujours réussie, mais sur les quelques clichés où c’était le cas, ça rendait vraiment bien.
« J’crois que ma préférée, c’est celle-là. »
Il se pencha vers Sylvain, qui se redressa, collant son torse à l’épaule de son ami pour regarder par-dessus. Il était en train de lui montrer l’une des premières photos, où il riait aux éclats. Son visage et l’une de ses mains étaient plutôt flous, striés de lignes de mouvements, grâce à l’exposition qu’avait l’habitude de paramétrer Pierre. Il ne pensait pourtant pas obtenir ce résultat.
Sylvain sourit avec un brin de fierté et posa une main sur l’épaule de son hôte pour attirer son attention, comme il avait toujours le regard concentré sur l’écran.
« C’est vrai ? Je savais même pas ce que je faisais, là. »
Pierre rit.
« Ah bah c’est pas mauvais. Bordel, même en photo, t’arrives à être vite bon. J’te déteste, blagua-t-il.
-Arrête, contra son interlocuteur. C’était cent pour cent un coup de chance, t’es mille fois meilleur que moi ! »
L’intéressé ne répondit pas, prenant le compliment avec un sourire.
Après quelques minutes supplémentaires de contemplation, Pierre éteignit l’appareil et le posa sur le côté.
« Je les trierai une autre fois, sur ordi, informa-t-il son ami. T’as faim ?
-Affamé, acquiesça Sylvain. On mange quoi ?
-Je vais voir ce qu’il me reste dans les placards. »
L’hôte se leva, son invité l’imita, et tous deux quittèrent la chambre pour rejoindre la cuisine.
Les deux hommes étaient tous les deux satisfaits de cette petite séance photo. Mais quand même, Sylvain y réfléchissait beaucoup. Il tournait et retournait le résultat dans sa tête et trouvait que quelque chose manquait, sans trop savoir quoi. Alors il essayait de trouver.
Et il réussit, en comparant les photos de Pierre au souvenir qu’il gardait de celles des autres hommes. Il verbalisa sa réalisation avec précaution, pendant qu’ils mangeaient :
 « C’était super, les photos, mais je trouve qu’il leur manque un truc…
-Ah oui ? Quoi donc ? demanda l’autre homme, intéressé.
-Je sais pas. Je trouve que les photos que t’avais prises pour le reste de ta série avaient l’air plus… intimes ? Enfin, pas que… pas—je trouve que ça matche pas totalement avec ce que t’as fait avant, tu vois ? »
Pierre acquiesça sans regarder son interlocuteur et ajouta :
« Je suis d’accord. Même si je trouve que tu t’en rapprochais déjà pas mal. Tu veux qu’on réessaye après manger ?
-Je pense qu’on peut retenter un truc, ouais. Enfin, après, c’est toi le photographe, moi je suis qu’un assistant.
-Nan mais t’as raison, l’encouragea Pierre. On fera ça. »
Il aimait bien entendre les opinions artistiques de son ami, qui semblait se retenir par manque d’expérience et de confiance en lui. C’était dommage, il avait souvent de bonnes idées, entre deux blagues pour cacher son malaise.
Après manger, donc, ils s’y remirent. Cette fois-ci, ils discutèrent plus amplement de l’ambiance voulue, du cadre, des idées, ensemble. C’était une discussion beaucoup plus productive que les explications de Pierre au premier contact de l’appareil photo. Sylvain comprenait un peu mieux ce qu’il faisait et comment le faire, même s’il nécessitait toujours l’aide du modèle pour appliquer la théorie.
En retour, Pierre lui demanda de le guider dans le cadre, au niveau du corps. Il n’était pas vraiment à l’aise avec ça et, sans voir le retour de la caméra, il n’était pour une fois pas le mieux placé pour situer le sujet. Il lui demanda même de le placer physiquement s’il n’arrivait pas à lui expliquer ce qu’il avait en tête.
Alors que Pierre était de nouveau assis dans ce fauteuil, à la lumière d’une après-midi ensoleillée, dont les rayons étaient adoucis par des rideaux semi-transparents, Sylvain quitta son poste derrière l’appareil.
« Attends, regarde, comme ça, lui intima-t-il. »
Joignant le geste à la parole, il poussa l’épaule de son ami pour qu’il s’adosse au fauteuil, et tira le bras opposé, pour le tourner en partie vers l’objectif.
Dans le mouvement, ils étaient proches, et Pierre avait tout le loisir d’admirer l’expression concentrée de son ami, avec ses sourcils légèrement froncés, ses yeux rivés sur ce que faisaient ses mains, mains qui touchaient son corps à plusieurs endroits. A bien y réfléchir, ça avait peut-être été une mauvaise idée de lui proposer de venir le bouger lui-même. Le modèle sentait son cœur battre un peu plus fort. Enfin, quelque chose d’intime se passait, à la manière des séances qu’il avait dirigées avec d’autres hommes. Cette fois-ci, il n’était pas l’œil mais l’objet, et il y avait quelque chose d’horriblement gênant et d’excitant tout à la fois. Maintenant que Sylvain était pleinement dans son rôle, c’était quelque peu difficile de retenir son désir et ses sentiments. Bordel, c’était vraiment une mauvaise idée. Sa tête était encore pleine de sa rupture récente avec Sofiane, et pourtant il ne pensait qu’à tirer le photographe amateur par le col du t-shirt pour l’embrasser. Et c’était pire quand il réalisa quelques poses plus lascives.
Finalement, il décida de mettre fin à la séance. Sylvain en semblait déçu, mais ne demanda pas à continuer. Heureusement. Parce que c’était le bordel dans la tête de Pierre, et que s’il avait essayé de tenir plus longtemps, il aurait bien pu craquer.
A nouveau, les deux hommes observèrent les photos prises, mais Pierre ne s’attarda pas cette fois-ci, il éteignit assez rapidement la caméra, pour calmer ses ardeurs et penser à autre chose. Il proposa à son ami une partie de jeux vidéo à la place, qui accepta avec joie. Voilà une bonne après-midi en perspective.
Les jours passèrent, ils n’étaient pas retournés au bar, par manque de temps. Ils allaient bientôt partir en vacances, alors le rythme s’intensifiait pour qu’ils puissent boucler leur programme et se délester du plus de travail possible. Ce ne fut que quelques jours avant le départ qu’ils se retrouvèrent chez Sylvain avant d’y retourner, dans ce bar.
Sylvain était assis à la table de salle à manger, adossé au dossier de sa chaise, les jambes croisées. Avec une petite lime, il s’occupait de ses ongles. Pierre, lui, lui jetait parfois des regards de la chaise d’en face, levant la tête de son téléphone par moment au fil de leur discussion.
Puis soudainement, il s’arrêta, les yeux fixés sur les mains de Sylvain, manucurées, fines et délicates. Avec un rire, il remarqua :
« En quelques mois, t’es devenu un putain de cliché. Pire que moi. »
Sylvain leva les yeux sans lever la tête, lui lançant un regard désabusé. Se reconcentrant sur son activité, il se défendit :
« J’étais déjà pas mal un cliché avant.
-Pas plus que moi, contra son ami. »
L’autre posa alors sa lime et pencha la tête sur le côté, avec un sourire en coin. Il soupira, mimant l’exaspération sans en ressentir – oh non, ça le faisait plutôt marrer.
« On est vraiment en train de faire la course du plus pédé là ? Parce que du coup je m’incline, lança-t-il en levant les mains. Pour une fois, c’est toi qui gagnes.
-Oh t’es pas mal non plus ! s’exclama Pierre avec force. Au moins sur le podium.
-C’est de ta faute. »
Sylvain reprit sa lime et son limage, ignorant la réponse indignée de son interlocuteur.
Pierre ne comprenait pas ce qu’il voulait dire par là : comment ça, c’était de sa faute ? Il n’avait rien fait lui, c’était Sylvain qui, le premier, était venu fouiller dans ses affaires, puis avait commencé à poser des questions. Son ami n’avait fait qu’y répondre, qu’être indulgent et bienveillant… à moins qu’il n’y eût autre chose. Il l’espérait, au fond de lui.
« Tu veux bien m’aider ? demanda Sylvain tout à coup. »
Son ami, tiré de ses pensées, tourna la tête vers lui et le vit tenir un flacon d’une couleur lavande. Il fronça les sourcils en approchant, attrapant l’objet pour le considérer.
« T’as acheté du vernis ?! s’étonna-t-il.
-Nan, je l’ai volé à ma sœur, expliqua l’autre homme. Mais mes mains tremblent trop pour le mettre, tu peux m’aider ? »
Pierre le considéra un instant, avant de rire, baissant la tête en reposant le flacon.
« Un cliché, je disais, se moqua-t-il.
-Ta gueule et mets-le-moi, répliqua Sylvain avec autorité. »
Et son interlocuteur obéit, avec un large sourire.
Pierre s’assit face à son ami et ouvrit le bouchon, l’égouttant sur le bord du goulot.
« T’as de la chance que je sais l’appliquer, commenta Pierre en attrapant délicatement sa main. »
Il était exagérément penché sur son travail, à cause de sa mauvaise vue, pendant qu’il appliquait le vernis.
« Et je peux savoir comment ? questionna son homologue avec intérêt.
-Gunther en mettait aussi. Et il me demandait de lui mettre. »
Sylvain hocha la tête à l’information, veillant à ne pas trop bouger les mains. Il observait attentivement ce que l’autre homme faisait, et son visage concentré par la même occasion. Ses sourcils froncés, ses yeux légèrement plissés, sa lèvre mordue, et la délicatesse qu’il mettait dans ses gestes…
Une inspiration profonde le trahit : Pierre lève le pinceau en même temps que son regard, interrogateur.
« Ça va ?
-Ouais, aucun problème, tout va bien. Nickel. »
Sylvain essayait d’être convaincant, mais vu le rire que contenait son ami, c’était raté. Il ne fit aucun commentaire cependant et reprit sa mission. Il venait de finir l’auriculaire droit et il passa donc à la main gauche, à commencer par le pouce.
Pierre devait l’avouer, en même temps qu’il appliquait ce fichu vernis – qui allait drôlement bien à son ami – il contemplait également ses mains. Les paumes étaient plutôt larges, vu le reste de sa morphologie, avec des doigts longs. Mais tout était fin, pas épais pour un sou, ce qui leur donnait un aspect fragile et délicat. Sylvain était décidément beau jusqu’au bout des ongles.
L’application du vernis achevée, les deux hommes se séparèrent, Sylvain restant assis en attendant que cela sèche, l’autre homme se levant pour finir de se préparer. Il enfila ses chaussures et attendit, assis sur le canapé, que son ami soit prêt, ce qui prit bien vingt minutes supplémentaires. Mais il le connaissait, aussi il resta patient.
Les deux hommes mirent longtemps à arriver au bar. Heureusement, et merci l’été, il faisait encore largement jour. Comme à leur habitude, ils commandèrent et s’installèrent un peu à l’écart avec leurs boissons, entamant une discussion animée.
Sylvain était survolté, son ami ne savait pas pourquoi. Un sursaut de confiance en lui ? Malgré tout, ça le faisait rire, encore plus quand il se leva pour aller danser. Pierre le suivit du regard, il restait loin de la piste mais était pleinement concentré sur son ami, riant par moment à ses mouvements aléatoires. Mais il avait l’air de s’amuser, c’était le principal.
L’homme qui dansait parmi les autres clients sentit un corps se coller à lui tout à coup. Il sursauta et se retourna pour voir un homme, à peine plus grand que lui, lui sourire.
« Pardon, je voulais rejoindre mon ami au bar, s’excusa-t-il.
-Ah, pas de problème, lui sourit Sylvain en retour. »
Il s’écarta en collant ses mains à sa poitrine pour le laisser passer. Le regard de l’homme tomba sur celles-ci et il le complimenta :
« Le vernis vous va bien. »
Son interlocuteur rougit. Une hésitation, puis l’inconnu ajouta :
« Vous voulez que je vous paye un verre ? Je m’appelle Arthur, au fait.
-Sylvain. Avec plaisir, accepta-t-il. »
Et il suivit Arthur jusqu’au bar.
Là, il fut présenté à Romain, le fameux ami – et colocataire – d’Arthur. Les trois hommes discutèrent en buvant un verre d’alcool, riant. Le courant passait très bien entre eux. Mais Sylvain se souvint de Pierre et lança tout à coup, en posant son verre vide :
« Je suis aussi accompagné, faut que je rejoigne mon pote, désolé !
-Tu peux nous le présenter, sinon, proposa Romain avec un sourire enjôleur. »
Il avait passé la discussion à draguer Sylvain avec peu de subtilité, mais de jolies tournures qui l’avaient fait rougir. Il acquiesça sans trop savoir où cette histoire allait le mener.
Pierre sourit en voyant son ami revenir, il l’avait attendu si longtemps – quinze minutes, au moins !
« Tu t’es perdu en chemin ? se moqua-t-il.
-Non, j’ai rencontré des gens, répliqua Sylvain. »
Et il présenta les deux hommes qui l’accompagnaient. Pierre leur serra la main en se présentant à son tour, tout sourire. La discussion, toute naturelle, suivit des heures durant.
Romain était définitivement le dragueur des deux, que ce soit envers Pierre ou Sylvain. Arthur, lui, était plus réservé malgré sa témérité première qui l’avait poussé à payer un verre à l’inconnu qu’il venait de bousculer. Si Sylvain y réagissait avec des rougissements et de la timidité, Pierre, plus habitué, y répondait sur le même ton.
La nuit était tombée depuis deux ou trois heures maintenant. Les deux amis, qui n’avaient rien mangé alors que minuit était passée, voulurent se retirer pour rejoindre la voiture avec laquelle ils étaient venus. Leurs compagnons de soirée proposèrent de les raccompagner pour continuer à discuter, ce qu’ils acceptèrent.
Les quatre hommes marchaient donc dans les rues animées de Paris en direction du parking souterrain où Pierre avait garé son véhicule. Ils marchaient en partie sur la route mais tant pis, peu de voitures passaient pour l’instant. Et ils s’amusaient bien, tous les quatre : ils riaient, flirtaient, faisaient connaissance, leurs mains se trouvant être parfois baladeuses.
Ils entrèrent dans le parking, marchèrent vers la voiture, là, il fallait se dire au revoir : bizarrement, ils ne voulaient pas. Sylvain s’appuya contre le coffre de la voiture tandis que Pierre échangeait son numéro avec Romain. Arthur essayait de le faire accélérer, en vain.
« Attends ! se plaignit son colocataire. Je suis en train de pécho, rage ailleurs. »
Pierre rit en entendant cela, rangeant son téléphone dans sa poche. Son ami écouta les deux inconnus avec un sourcil haussé alors qu’ils se disputaient plus ou moins. Il intervint finalement :
« Qui a dit que tu pouvais pas pécho aussi ? »
Il glissa un regard à Arthur, qui s’était stoppé dans sa tirade.
Sylvain, d’un geste lent, se redressa d’où il était adossé, s’approcha d’Arthur, attrapa son visage et l’embrassa, devant leurs amis. Les au revoir risquaient de durer longtemps encore…
Sylvain et Pierre, laissés seuls une trentaine de minutes plus tard, quittèrent enfin le parking pour rejoindre un McDo sur le chemin du retour. Ils y mangèrent rapidement, comme la salle fermait prochainement, puis Pierre déposa son ami chez lui avant de rentrer à sa maison.
Il était seul, enfin, dans sa chambre. Et comme souvent la nuit, il réfléchissait trop. Il repensait à ce qui s’était passé dans le parking, à ce qu’ils avaient fait avec les inconnus, à la vision qu’il avait eue à l’arrière de la voiture, à son ami… Ces sensations n’étaient pas nouvelles pour lui, encore moins lorsqu’il invoquait Sylvain dans son imagination, rendue fertile ce soir-là par des activités peu séantes dans le parking.
Il n’y avait pas que ça. Ces derniers mois, Sylvain s’ouvrait énormément à la culture gay et découvrait sa propre bisexualité par la même occasion. Et ça le rendait terriblement attirant, dans ses manières, dans son enthousiasme, dans son charisme lorsqu’il flirtait avec des mecs devant Pierre ou qu’il posait ses questions à moitié innocentes… Pierre le sentait, leur relation était en train de changer, et il était également terrifié et impatient.
Son style vestimentaire avait également évolué : en plus du vernis qu’il arborait maintenant sur ses ongles, dans le privé malgré tout, en plus de ses cheveux longs qu’il pouvait maintenant nouer en une queue de cheval, ses vêtements avaient commencé à se parer d’un peu plus de couleurs, à être un peu plus excentriques. Oh, ce n’était pas un changement profond de garde-robe, juste quelques accessoires, quelques pièces qu’il prenait soin de porter dans des contextes précis, pas en vidéo souvent. Il portait régulièrement un anneau en argent à son pouce, ou une chaîne du même matériau avec un pendentif quelconque. Et ça lui allait bien, se disait Pierre.
Il se mordit la lèvre en imaginant le contact froid de la bague sur sa peau si Sylvain la portait en posant ses mains sur lui, ou celui du collier, toujours au cou de l’autre homme, tombant sur lui alors qu’il était penché au-dessus de son corps. Il pensait à ses mains ainsi décorées de couleurs et d’accessoires, sur lui. Il voulait passer ses doigts dans ses cheveux, il voulait le toucher plus intimement qu’il ne l’avait jamais touché et ce soir-même, il avait été si près du but…
S’en souvenir le poussa à bout, son corps tendu, son souffle lourd dans le silence nocturne, la seule source de lumière étant sa lampe de chevet. Il se leva de son lit après quelques minutes pour faire un tour dans la salle de bain avant de se rallonger sur le matelas pour dormir définitivement. Il était déjà bien assez tard et il devait préparer ses affaires le lendemain, pour le grand départ.
Le réveil sonnait déjà depuis un moment quand Pierre émergea enfin de sa nuit. C’était le milieu de la matinée et pourtant, il avait l’impression qu’il était six heures du matin à cause de sa courte nuit. Il éloigna les événements de sa mémoire pour se concentrer sur la liste des choses qu’il devait faire. Le départ était le lendemain, et il n’avait pas encore touché à son sac, ce qui n’était pas vraiment dans ses habitudes. Les dernières semaines avaient été trop intenses, il avait bien besoin de ces vacances.
Il se leva avec un soupir et alla se préparer un petit déjeuner accompagné d’un jus de fruit, quelque chose de frais et vitaminé pour le réveiller. Il avait presque l’impression d’avoir une gueule de bois, mais il savait que c’était seulement la fatigue et la pression du rush de pré-vacances. Il se demandait dans quel état se trouvait son collègue actuellement… Avait-il réussi à s’endormir ?
Après manger, Pierre s’occupa de son traitement. Seulement, en comptant les boîtes qui se trouvaient dans son placard, il se rendit compte qu’il y en avait une de trop, qui n’était pas la sienne. Il reconnut le traitement de Sofiane et sentit son estomac se tordre : du manque, de la culpabilité, du regret…
Immédiatement, il lui envoya un message tout à fait formel à ce sujet, espérant ne pas être bloqué. Il essaya de se reconcentrer sur sa routine en attendant la réponse, qui arriva peu de temps après. Sofiane lui donnait rendez-vous chez lui pour lui rendre le jour-même, si ça lui allait… Pierre avait certes des choses à faire, mais il pouvait bien faire un saut par chez son ex en allant déposer Oslo, son chien, chez ses parents. Il accepta.
En parlant d’Oslo, son maître joua avec lui avant de vaquer à ses obligations, commençant à remplir son sac de voyage. Il prit ensuite un déjeuner tardif, joua encore avec son animal – qui allait définitivement lui manquer pendant ces presque deux semaines… mais il savait que Chantal lui enverrait des nouvelles régulièrement – puis il prépara les affaires de celui-ci. En milieu d’après-midi, il fit monter l’animal et chargea ses bagages dans la voiture avant de se mettre en route.
Le tour chez ses parents s’éternisa comme cela arrivait parfois, tant la famille était prise dans leurs discussions. Après tout, Pierre était très proche d’eux et il trouvait beaucoup à leur dire. En les quittant, il leur promit de les appeler au moins une ou deux fois pendant son séjour sur la côte.
Maintenant, il fallait se rendre chez Sofiane. Cela faisait quelques mois que Pierre n’avait pas pris le temps ni la peine d’y aller, mais quand l’intéressé ouvrit, il remarqua que ça n’avait vraiment pas changé… Alors, sur le seuil, il essaya de ne pas éterniser leur entrevue et lui tendit sa boîte de médicament avec un sourire.
« Hey, tiens, je suis content qu’on ait réglé ça rapidement. Je vais pas—
-Tu veux rentrer ? le coupa Sofiane. »
Il semblait maussade. Pierre, choqué de la proposition, mit un moment avant de répondre :
« Euh, oui, pourquoi pas… »
Alors son ex ouvrit la porte plus largement et s’écarta du passage pour le laisser entrer.
Pierre entra en prenant le moins de place possible, visiblement peu à l’aise. Revoir l’autre homme rappela à son cœur l’attachement dont il était finalement victime. Il savait que ce n’était pas romantique, ou peut-être un peu, pas suffisamment pour éclipser celui qui occupait ses pensées, mais assez pour que la séparation lui fasse mal, laisse une marque.
Il ne savait pas quoi faire de lui-même, à part rester debout au milieu du petit séjour, les bras ballants, observant l’environnement pour s’y familiariser. Sofiane passa devant lui avec un faible sourire, se dirigeant vers la cuisine.
« Tu veux boire quelque chose ? »
Il ne regardait pas son invité, mais sa voix était douce, ses gestes mesurés. Pierre le suivit du regard, peiné.
« Non, ça ira, refusa-t-il poliment. »
L’hôte se servit un verre d’alcool et zigzagua jusqu’au canapé, s’y laissant tomber. Il tapota la place à côté de lui.
« Viens là chéri. »
Il leva enfin les yeux vers Pierre en prenant une gorgée de son verre.
Celui-ci posa la boîte de médicaments sur la table basse et hésita face à son ex. Mais Sofiane attrapa son poignet avec autorité pour le faire asseoir, alors il ne put qu’obéir.
« Assis-toi j’ai dit, répéta-t-il. Alors, dis-moi, comment ça va ? »
Pierre ne savait pas comment agir. Il était tout perdu face à la familiarité de l’autre homme, qui semblait déplacée vu comment il était parti l’autre jour.
« T’en fais pas, Pierre, je m’en suis remis, soupira Sofiane. J’ai fait mon deuil, t’aimes Sylvain, j’aurais pas dû m’accrocher en sachant ça.
-J’aurais pas dû te laisser faire, répliqua Pierre. Mais…
-Mais je te donnais un truc que tu pensais jamais recevoir de lui… »
Une pause, puis Sofiane ajouta avec un rire :
« Mon cul. »
Son interlocuteur explosa de rire, tapant doucement son bras.
« T’es con putain.
-Ose me dire que j’ai tort ! se moqua son ex. »
Et il ne répondit pas, apportant l’aveu que l’autre désirait. Ce dernier en riait, le salaud.
Pierre se laissa tomber contre lui, sa tête sur son épaule, blotti. Ça lui avait manqué, cette proximité avec lui. Il pouvait bien se laisser aller ce soir… Puisque l’autre ne disait rien, puisque l’autre passait son bras autour de ses épaules pour caresser doucement son épaule, puisque tout allait au moins un peu mieux.
« Comment ça se passe avec Sylvain ? questionna Sofiane avec curiosité – bien que sa voix gardait une certaine animosité en prononçant le nom de son adversaire.
-Y’a tellement de changements que je sais pas par où commencer, sourit son interlocuteur. On va de plus en plus au bar gay ensemble. Il se met à rouler des pelles à des mecs randoms. Hier soir, on a… il nous a trouvé deux gars. »
Il rit nerveusement.
« Il met du vernis. »
Sofiane poussa une exclamation surprise, cassant son poignet vers lui dans un geste dramatique.
« Du vernis ??? Et tu arrives toujours à fonctionner ? »
L’autre homme rit encore et le poussa sans pour autant vouloir l’éloigner. Il faillit renverser son verre au passage, que Sofiane finit cul-sec.
« Je suis pas en chien non plus. Mais frère, ça lui va tellement bien… Je pense qu’à ça.
-Gnagnagna, je suis pas en chien, l’imita exagérément son homologue en riant. J’te crois, ouais. Autant que quand tu disais qu’on était pas ensemble. »
Pierre grimaça.
Il avait clairement été dans le déni, maintenant qu’il y repensait. Mais il avait fait son choix depuis longtemps, aussi, et ne voulait pas croire qu’il pouvait autant s’attacher à quelqu’un d’autre. Puis ce gars a ouvert la porte de son appartement il y a deux ans environ – même si beaucoup pensait que c’était moins – pour un shooting, présomptueux et superbe, et ne l’avait pas quitté depuis. Et il avait apprivoisé le photographe avec toute son autorité et sa douceur. Bordel, comment avait-il fait pour ne pas le voir venir ?
« Pourquoi personne m’a dit que j’étais dans le déni ? questionna-t-il rhétoriquement.
-Tout le monde te l’a dit, Pierre. Même Sylvain, tu m’en avais parlé. »
L’autre éclata de rire et passa un bras par-dessus son ventre pour le serrer.
« Je voulais pas vivre comme ça. Je voulais être un bon garçon et me caser, pas aller voir à droite à gauche et essayer de bouffer à tous les râteliers.
-On fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, soupira Sofiane. »
Il joua avec son verre en le fixant avec une allure théâtrale.
Pierre ne lui avait jamais dit ce qu’il s’était passé avant qu’il ne le rencontre. Au fond de lui, il sentait qu’il lui devait bien ça, même s’il ne lui en voulait pas trop pour ses propos lors de leur rupture…
« Je sais. J’aurais dû être marié, là, lança-t-il. »
Son interlocuteur fronça les sourcils en le repoussant, histoire de pouvoir le regarder dans les yeux.
« Qu’est-ce que tu racontes ?? Toi, fiancé, à qui ?
-Un gars que j’ai rencontré quand j’étais ado. On vivait ensemble pendant nos études sup’ et on a fini par se fiancer. Mais il est mort avant qu’on puisse se marier. »
Sofiane se figea.
Presque immédiatement, il se rappela ce qu’il avait pu balancer sans considération quelques semaines plus tôt. Il porta une main à sa bouche, une expression profondément désolée sur son visage.
« Merde, je savais pas. Bordel, Pierre, t’en caches d’autres comme ça ?!
-Ouais, répondit-il honnêtement. Mais je veux pas en parler, tais-toi.
-Comment ça tu veux pas en parler ? Tu me balances ça comme ça et tu veux que je l’accepte ! s’indigna Sofiane.
-Je veux plus parler, répéta Pierre, changeant un peu sa phrase pour plus de précision. »
Mais son interlocuteur n’était pas de cet avis, prêt à se lancer dans un monologue.
Cependant, Pierre était vraiment fatigué des mots. Le contact avait réveillé sa nostalgie, des souvenirs physiques qui fourmillaient sur sa peau. Ni une ni deux, il se jeta sur les lèvres de Sofiane et l’embrassa, espérant que ce soit suffisant pour le faire taire – ces précédents essais lui avaient enseigné que ce n’était pas toujours le cas.
Sofiane sourit et répondit au baiser, son corps épousant machinalement celui de Pierre alors qu’il tombait en arrière, contre l’accoudoir, se retrouvant rapidement allongé sous l’autre homme. Il leva les mains vers son visage, l’attrapant pour qu’il n’ait pas l’idée de s’éloigner…
« Et ton crush est au courant que t’es là ? se moqua Sofiane.
-Ta gueule, répliqua son homologue avec verve. »
Il l’embrassa avec plus d’empressement, faisant rire son amant.
« Bordel mais qu’est-ce que t’as en ce moment ? Avec ce que tu viens de me raconter, tu devrais être rassasié, ou alors tu peux pas te passer de moi ? »
Il afficha un sourire en coin, mesquin et fier de lui, que Pierre effaça d’un nouveau baiser. Il ne voulait vraiment, vraiment pas parler. Et surtout pas de ça.
Une main, plutôt téméraire, passa sous le t-shirt de Sofiane – qui était pourtant plutôt près du corps – pour caresser sa peau, le faisant soupirer. Pierre ne savait pas d’où venait ce besoin soudain de le sentir contre lui, et plus si affinité, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Il ne l’avait pas vu venir, n’avait jamais pensé que revoir son ex lui provoquerait cette réaction. Tant pis, c’était trop tard et il avait bien le temps, quelques dizaines de minutes, pour s’abandonner aux plaisirs charnels.
Pierre quitta l’appartement mi-honteux mi-satisfait. Il pouvait enfin rentrer chez lui et… et faire quoi ? Il lui restait quelques trucs à régler pour son départ, mais ce ne serait pas suffisant pour remplir sa soirée. Alors il était livré à lui-même, et n’avait cette fois-ci personne à appeler pour se changer les idées. Peut-être qu’aller se coucher tôt n’était pas une mauvaise idée, ou son esprit s’égarerait trop au sujet d’une certaine personne…
[Second part in reblog]
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focusmonumentum · 2 years ago
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Le Théâtre des Champs-Élysées
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Le Théâtre des Champs-Elysées ne se situe pas à proprement parlement sur le célèbre axe éponyme, mais sur la non distante avenue Montaigne, proche de la place de l’Alma. Construit en 1913 dans un style sobre et rigoureux, le bâtiment est considéré comme l’un des premiers représentants du style Art déco en architecture. Il abrite actuellement trois salles de spectacle et un restaurant au sommet, aligné sur les immeubles voisins.
Il était initialement prévu que la structure soit en acier, ce qui avait poussé son premier directeur, Gabriel Astruc, à choisir les architectes Henry Fivaz et Roger Bouvard. En 1910, Henry Van de Velde est « appuyé » à Bouvard. Van de Velde fait la connaissance d'Auguste Perret un an après ; c'est alors que la structure est envisagée en béton. Ayant fait appel à l'entreprise Perret pour l'ossature en béton, Van de Velde est finalement évincé du projet. Auguste Perret transige un peu avec ses principes : s'il affirme ultérieurement que le « béton se suffit à lui-même », il habille ici la façade de plaques de travertin et le cadre de scène de plaques de marbre de l'Allier, où sont intégrés plusieurs bas-reliefs en partie basse de l’édifice, de gauche à droite, cinq allégories des arts : La Sculpture et l’Architecture, La Musique, La Tragédie, La Comédie et La Danse, en marbre blanc sculpté par Antoine Bourdelle. Les quatre groupes de poteaux intérieurs sont quant à eux laissés visibles.
Il fut inauguré le 31 mars 1913 par un concert de musique française avec la participation de Camille Saint-Saëns : La Mer de Claude Debussy, L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas et le Prélude de Fervaal de Vincent d'Indy (toutes les œuvres étant dirigées par les compositeurs eux-mêmes), ainsi que la création de l’Ode à la musique d’Emmanuel Chabrier. À cette occasion, le faisceau de la tour Eiffel éclaire exceptionnellement la façade du théâtre. C'est dans cette salle qu'eurent lieu en particulier deux créations mondiales qui firent scandale : la première fut la création du Sacré du Printemps d'Igor Stravinsky le 29 mai 1913 (sous la direction de Pierre Monteux), qui suscita un formidable tollé où détracteurs et adjuvants en vinrent aux mains ; la deuxième, le 2 décembre 1954, fut la création de la véritable première œuvre musicale « mixte » (à savoir une œuvre pour instruments de musique et dispositif électroacoustique): Déserts d'Edgar Varèse, avec Pierre Henry à la bande magnétique et Hermann Scherchen à la baguette. Le choc inspiré par les interpolations provoqua huées, rires et quolibets. Le scandale qui en résulta fut comparable à celui du Sacre quelques 40 années plus tôt. À la suite de problèmes financiers, le directeur Jacques Hébertot se brouille avec son associé Rolf de Maré (également impresario des ballets suédois) et quitte le théâtre en 1925, abandonnant la direction de la Comédie à Louis Jouvet, et celle du Studio à Gaston Baty. De Maré fait de la grande salle un music-hall et programme une nouvelle attraction : les Black Birds et les danseurs de la Revue nègre. Parmi eux, une jeune femme noire, à peine couverte d’une jupette de plumes verte, les cheveux courts plaqués sur la tête, fait sensation. Il s’agit de la danseuse Joséphine Baker. Sa façon de se mouvoir dans l’espace, d’emprunter des gestes animaliers ou de faire des grands écarts désarticulés bouscule tous les canons de la danse, dans ces "années folles" empruntes de Charleston. Pour certains, cette impudeur est un scandale. Le journaliste Robert de Flers écrit même : « Nous sommes en train de remonter au singe plus vite que nous en étions descendus. » [...] Mais Baker a ses fans. Parmi eux, les peintres Pablo Picasso (qui la fait connaître dans toute l’Europe), Fernand Léger et Kees Van Dongen, les écrivains René Crevel (qui revient chaque soir pendant un mois), Colette ou encore Jean Cocteau. Née à Saint-Louis, dans le Missouri, d’une mère blanche et d’un père noir, Joséphine Baker échappe par la danse à sa condition. Avec la Revue nègre, elle débarque à Paris, qui deviendra sa terre d’accueil, son fameux « deuxième amour », avec son pays. Elle triomphera aux Folies Bergère quelques années plus tard, mais nous y reviendrons à l’occasion. 
De 1949 à 1978, le Théâtre des Champs-Élysées a accueilli les Musigrains, des cycles de concerts-conférences pédagogiques, axés sur la musique classique, avec des incursions dans la musique contemporaine, la danse classique ou moderne, le folk et le jazz. En 1986, à l’initiative de Georges Francois Hirsch, alors directeur général, une rénovation intégrale de la cage de scène de la grande salle est opérée, remettant en valeur les dorures de l'écran de fond de scène en acier, conçu à l'origine comme un monumental coupe-feu en cas d'incendie, leçon tirée des tragiques incendies de l'Opéra Comique et du Bazar de la Charité à la fin du XIXème siècle. 
Le bâtiment comporte de nos jours trois salles de spectacle, ordonnées comme suit : une grande salle à l'italienne de 1 905 places, destinée à l'opéra et à la musique ; une salle moyenne de 601 places (la Comédie) et une petite de 230 places (le Studio), toutes deux consacrées au théâtre. Haut lieu de la musique classique à Paris (avec la salle Pleyel, la Cité de la Musique et la salle Gaveau), le Théâtre des Champs-Élysées a accueilli de nombreux orchestres symphoniques tels les orchestres philharmoniques de Vienne, de Munich, de New York, l'orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise ou l'orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam. L’Orchestre national de France y est actuellement en résidence.
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Le toit-terrasse du théâtre accueillit en 1924 le tournage d’Entr’acte, le moyen-métrage expérimental de René Clair, à l'occasion de l'entracte du ballet bien nommé Relâche, orchestré par Francis Picabia. Représentant la première intervention du cinéma dans un spectacle de danse, Entr'acte est aujourd'hui considéré comme le film précurseur du mouvement surréaliste au cinéma.
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opera-ghosts · 4 years ago
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Jeanne Granier (31 March 1852 – 18 or 19 December 1939) was a French soprano, born and died in Paris, whose career was centred on the French capital. Granier was a pupil of Madame Barthe-Banderali, studying both opéra-comique and Italian music. Her debut was in 1873 at the Théâtre de la Renaissance, replacing at short notice Louise Théo as Rose Michon in the opening run of La jolie parfumeuse. Thus noticed by Offenbach, she went on to create Giroflé-Girofla (Paris premiere), title role in La Marjolaine, the title role in Le petit duc, Janot, Ninella, Mme le Diable, Belle Lurette and Fanfreluche. She became for a period of 20 years one of the biggest musical stars in Paris, gifted both as an actress and singer. For the gala re-opening of La Vie de Bohème at the Théâtre de l'Odéon in 1875, Granier appeared in Act I as Musette, singing "La Jeunesse et l'amour" (with words by Meilhac and music by Massenet); likewise a song for Esmeralda "Mon père est oyseau, ma mère est oyselle" was composed by Massenet in 1879 for the appearance of Alice LODY, as Esmeralda, in Notre-Dame de Paris. On 15 October 1876, she appeared in a benefit performance of Berengère et Anatole at the Théâtre de la Renaissance. For the gala re-opening of La Vie de Bohème at the Théâtre de l'Odéon in 1875, Granier appeared in Act I as Musette, singing "La Jeunesse et l'amour" (with words by Meilhac and music by Massenet); likewise a song for Esmeralda "Mon père est oyseau, ma mère est oyselle" was composed by Massenet in 1879 for the appearance of Alice LODY, as Esmeralda, in Notre-Dame de Paris. On 15 October 1876, she appeared in a benefit performance of Berengère et Anatole at the Théâtre de la Renaissance. Chabrier dedicated his 1889 song "Ballade des gros dindons" to Granier. Later stage appearances included Joujou by Henri Bernstein at the Théâtre du Gymnase in 1902, L'Habit vert by Robert de Flers and Gaston Arman de Caillavet at the Théâtre des Variétés in 1912, Le Ruisseau by Pierre Wolff at the Théâtre de la Porte Saint-Martin in 1913 and Madame by Abel Hermant and Alfred Savoir at the Théâtre de la Porte Saint-Martin in 1914.
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revuedepresse30 · 5 years ago
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Livres : la sélection des immanquables de Noël par la rédaction
Auteurs et éditeurs nous ont encore fait vivre une année riche en lectures. Faites-nous confiance, et surtout faites plaisir avec notre sélection des essais, romans, catalogues, beaux livres et bande dessinées qui ont marqué l'année 2019.
>> Retrouvez aussi les meilleures sorties musiques de cette fin d'année
sas.cmd.push(function() { sas.render("84812"); });
>> Sans oublier les meilleurs coffrets et ouvrages dédiés au cinéma, aux séries et documentaires
La tempête qui vient
de James Ellroy
Histoire interdite C’est peut-être le meilleur roman de l’auteur du Dahlia Noir – c’est dire comme cette Tempête d’histoires fera le cadeau idéal. Ellroy continue de fouiller les arcanes les plus sombres de l’Amérique post-Pearl Harbor. Avec son phrasé au rythme nerveux, musclé, inégalable.
Rivages/Noir, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias et Sophie Aslanides, 697 p., 24,50 €
A offrir d'urgence :
Yves Chaland – Une vie en dessins
Ligne claire Disparu en 1990 à 33 ans, Yves Chaland n’aura eu qu’une carrière éclair. Son œuvre continue pourtant de fasciner tant, entre la BD traditionnelle franco-belge et une ironie punk, elle faisait souffler un vent de révolution. Avec plus de 200 originaux reproduits, cette monographie, accompagnée d’un texte instructif de Jean-Christophe Ogier, rend un bel hommage au maître de la ligne claire ironique et à son trait toujours vif.
Champaka/Dupuis, édition XXL - 55 €
A offrir d'urgence :
Le Ghetto intérieur
de Santiago H. Amigorena
Onde de choc Le roman le plus fort, le plus bouleversant de la rentrée. Santiago Amigorena raconte comment son grand-père, Juif polonais installé à Buenos Aires dès les années 1920, va suivre de loin l’arrivée des nazis en Pologne et comprendre, peu à peu, que sa mère se retrouve prise au piège du ghetto de Varsovie. Un des textes les plus forts jamais écrits sur le sentiment de culpabilité de ceux qui restent.
P.O.L, 192 p., 18 €
A offrir d'urgence :
Rouge Impératrice
de Léonora Miano
Afrofuturisme Nous l’avons choisie pour faire la couverture de notre numéro de rentrée littéraire : Léonora Miano est devenue l’une des voix les plus fortes de la littérature française. Vaste fresque futuriste, Rouge Impératrice nous emporte dans une grande histoire d’amour sur fond d’Afrique unifiée, où les Occidentaux demandent asile. A dévorer pendant les vacances.
Grasset, 608 p., 24 €
A offrir d'urgence :
Ecrits stupéfiants – Drogues & littérature de Homère à Will Self
de Cécile Guilbert
Addictif De Homère à Will Self, de William Burroughs à Thomas de Quincey, ce livre est une bible sur les rapports turbulents qu’entretiennent les écrivains avec les hallucinogènes et autres drogues, racontés par eux-mêmes dans leurs œuvres. Une anthologie hautement stimulante.
Robert Laffont/Bouquins, 1440 p., 32 €
A offrir d'urgence :
Le Bouquin de la mode
d'Olivier Saillard
Du style De l’histoire des vêtements avant la mode à l’évolution de la mode à travers les décennies, de la présence des fringues dans les œuvres des plus grands écrivains à la poésie des plus grands couturiers, ceci est l’encyclopédie à avoir si vous aimez le style. D’autant qu’elle est signée par Saillard himself. Et c’est toujours moins cher qu’une robe Alaïa.
Robert Laffont/Bouquins, 1280 p., 32 €
A offrir d'urgence :
77
de Marin Fouqué
Chronique rurbaine Révélation de la rentrée, Marin Fouqué, 29 ans, nous a laissés pantois avec sa tchatche inspirée du rap et de la poésie sonore. Plongée en banlieue, dans le 77, autour d’un abribus, où quelques jeunes se croisent et se retrouvent. Ça pulse, c’est fort, et ça vaut le détour.
Actes Sud, 222 p., 19 €
A offrir d'urgence :
Le Modèle noir – de Géricault à Matisse
Décoloniser le regard C'est une exposition qui fera date. A Orsay, Le Modèle noir se penchait sur la représentation des figures noires à travers l'histoire de l'art, de Manet jusqu'à l'ère contemporaine. Dans le catalogue, une vingtaine d'essais mêlant histoire de l'art et histoire des idées approfondissent encore la problématique.
Musées d'Orsay et de l'Orangerie/Flammarion, 45 €
A offrir d'urgence :
Back Side – Dos à la mode
d'Alexandre Samson
L'envers du décor Il y a encore tout à dire du dos, dans une société obsédée par le visage. Tout, ou du moins de quoi construire une exposition, celle élaborée par le Palais Galliera au musée Bourdelle. Soit le traitement du dos dans la mode à travers les siècles, de la haute couture au vernaculaire. Les essais du catalogue permettent d'en approfondir toute la charge symbolique.
Paris Musées Editions, 35 €
A offrir d'urgence :
Mon année de repos et de détente
d'Ottessa Moshfegh
Press pause Si vous comptez sur Noël pour vous reposer, c’est le roman qu’il vous faut : une jeune héroïne décide de dormir pendant un an, à coups d’antidépresseurs et de somnifères. Pas forcément gai, mais diablement original, le deuxième roman d’Ottessa Moshfegh impose une nouvelle voix de la littérature US, proche de Bret Easton Ellis.
Fayard, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 304 p., 20,90 €
A offrir d'urgence :
Beloved
de Toni Morrison
Classique américain Cette année, Toni Morrison nous a quittés. Il faut profiter du break de saison pour lire ou relire le chef-d’œuvre de cette immense voix de la littérature américaine, nobélisée en 1993. Inspiré de l’histoire vraie d’une esclave ayant tué son enfant, Beloved reste l’un des textes les plus puissants de l’histoire afro-américaine.
10/18, édition spéciale, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Hortense Chabrier et Sylviane Rué, 432 p., 9,10 €
A offrir d'urgence :
Peter Hujar – Speed of Life
Visages de l'East Village Il en sera passé, du beau monde, sur cette simple chaise en bois. Dans son loft de l'East Village, Peter Hujar fait poser la faune des années 1970-80 : les belles âmes anonymes, mais également Susan Sontag, David Wojnarowicz ou Gary Indiana. Sa vie elle-même est un roman, narrée dans le catalogue de l'exposition.
Jeu de Paume, Paris/MAPFRE, Barcelone, 49 €
A offrir d'urgence :
Paris de ma jeunesse
de Pierre Le-Tan
Paris de son cœur C’est le dernier livre que nous laisse le grand dessinateur Pierre Le-Tan, disparu en septembre dernier : une déambulation très modianesque (l’écrivain en signe la préface) dans ses souvenirs d’un Paris évanoui, nostalgique d’une élégance disparue. On y croise une galerie de personnages à haute charge romanesque. Et les dessins du maître : rues de Paris désertes comme s’il n’était déjà plus.
Stock, 144 p., 20 €
A offrir d'urgence :
Americanah
de Chimamanda Ngozi Adichie
Saga africaine En une poignée de romans, la jeune Chimamanda Ngozi Adichie s’est imposée comme la star de la littérature afro-américaine aujourd’hui. Son Americanah suit l’installation d’une jeune Africaine aux Etats-Unis, puis son retour au pays, avec un souffle puissamment romanesque. Poétique, amoureux, féministe : à mettre entre toutes les mains.
Folio, édition à tirage limité, traduction de l'anglais (Nigeria) par Anne Damour, 704 p., 9 €
A offrir d'urgence :
Encre sympathique
de Patrick Modiano
A la recherche du temps perdu Un nouveau voyage dans la mémoire, le Paris du passé, à travers une enquête : un homme recherche une femme disparue. Et s’il l’avait déjà connue ? Magnifique réflexion sur le destin et l’amour, un Modiano qui se dévore tout seul sous le sapin.
Gallimard, 144 p., 16 €
A offrir d'urgence :
L’avenir de la planète commence dans notre assiette
de Jonathan Safran Foer
Noël vegan Lâchez cette putain de tranche de foie gras ! Le climat est bousillé en grande partie à cause de l’élevage industriel (oui, même les oies), ce qui occasionnera des catastrophes à venir. Un livre urgent à lire et à offrir à Noël, par l’auteur du culte Faut-il manger les animaux ?.
Editions de l'Olivier, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville, 304 p., 22 €
A offrir d'urgence :
Greco
sous la direction de Guillaume Kientz
Un Grec à Paris Né Domínikos Theotokópoulos en Crète en 1541, on le connaît surtout par son surnom, Le Greco, soit Le Grec, que l'on associe immédiatement à ces corps allongés aux couleurs acides. A l'occasion de sa première rétrospective en France, le catalogue se plonge sur l'histoire d'une reconnaissance tardive où Picasso, on le sait peu, jouera un rôle majeur.
Editions RMN/Grand Palais, 45 €
A offrir d'urgence :
Cassandra Darke
de Posy Simmonds
Féroce Albion Après avoir commis des fraudes, une marchande d’art misanthrope connaît la chute. Un concours de circonstances va l’impliquer dans une affaire de meurtre. Après les jeunes femmes fatales de Gemma Bovery et Tamara Drewe, l’Anglaise Posy Simmonds s’amuse avec le personnage de Cassandra Darke, vaguement inspirée du Scrooge de Dickens, et propose un reflet féroce de l’Angleterre contemporaine.
Denoël Graphic, traduit de l'anglais par Lili Sztajn, édition spéciale Noël 21.90 €
A offrir d'urgence :
Watchmen (édition annotée)
d'Alan Moore et Dave Gibbons, avec Leslie Klinger pour les commentaires
Chef-d'œuvre noir sur blanc Il n’est jamais trop tard pour (re) découvrir Watchmen, chef-d’œuvre d’uchronie signé Alan Moore et Dave Gibbons, récit de super-héros qui éclipse et transcende presque tous les autres. Accompagnée par les commentaires sourcés de Leslie Klinger, cette édition en noir et blanc permet d’apprécier le trait de Gibbons mais aussi l’intelligence de la construction de cette histoire où rien n’a été laissé au hasard.
Urban Comics, traduit de l'anglais par Jean-Patrick Manchette et Doug Headline, 39 €
La Saison des roses
de Chloé Wary
Good sport Dans un club de foot de banlieue parisienne, l’existence de l’équipe féminine est menacée. Alors, Barbara et les autres prennent en main leur destin et se rebellent. Récit d’émancipation réalisé au feutre, La Saison des roses nous immerge avec naturel dans une jeunesse française qui invente ses codes. Si Chloé Wary est aussi à l’aise avec les séquences de sport que les scènes plus intimistes, c’est parce qu’elle sait de quoi elle parle : elle-même joue au foot.
Editions Flblb, 23 €
Exclusivité Inrocks : offrez cet album avec un dessin unique et original de l'autrice :
Jim Curious, voyage à travers la jungle
de Matthias Picard
Aventure en 3D La BD en 3D a finalement été peu explorée. Heureusement, il y a Matthias Picard qui, sept ans après Jim Curious, voyage au cœur de l’océan, envoie à nouveau à l’aventure son héros muet, protégé par un scaphandrier. Après avoir chaussé une des paires de lunettes fournies, on s’émerveillera devant les reliefs de ce périple étonnant et poétique imaginé par un élève moderne de Gustave Doré. Pour petits et grands, forcément.
Edition 2024, 19 €
A offrir d'urgence :
Dans l’abîme du temps – les chefs-d’œuvre de Lovecraft
de Gou Tanabe
Conte halluciné Dans le passé, Philippe Druillet ou Alberto Breccia ont su mettre en images les contes hallucinés de H.P. Lovecraft. Mais le Japonais Gou Tanabe s’impose comme celui qui aura retranscrit avec le plus de fidélité le vertige procuré par les textes de l’écrivain américain. Après La Couleur tombée du ciel et Les Montagnes hallucinées, il s’attaque ici à une nouvelle tardive – Lovecraft meurt un an après sa première publication – qui mêle voyage dans le temps et horreur cosmique.
Editions Ki-oon, traduction du japonais par Sylvain Chollet, 17€
Edward Gorey, une anthologie
Plume noire Ce n’est pas une coïncidence si Gorey (1925-2000) a durablement marqué Tim Burton. Dans l’œuvre de l’illustrateur, on trouve le goût pour le fantastique et l’humour noir que le cinéaste reprendra à son compte. Réunissant cinq ouvrages – dont l’abécédaire cruel des Enfants fichus ou l’intrigant Aile Ouest –, cette anthologie montre comment, avec son trait minutieux et sa plume noire, Gorey pouvait frapper l’imaginaire. Un cadeau malin qui pourra faire naître des vocations.
Le Tripode, 16 €
A offrir d'urgence :
Sumographie
de David Prudhomme et Sonia Déchamps
Dieux vivants En 2012, le dessinateur David Prudhomme assiste à son premier combat de sumos. L’affrontement entre ces colosses japonais lui inspire des dessins, puis une exposition suivie par la publication de ce beau livre riche en surprises graphiques (pages qui se déplient, etc.). Avec les textes de Sonia Deschamps, les illustrations pleines de vie de Prudhomme nous plongent dans cet univers codifié. Les fans du Japon vont adorer.
Soleil, 39,95 €
A offrir d'urgence :
Une année sans Cthulhu
de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse
Thriller pop Après Souvenirs de l’empire de l’atome et L’Eté Diabolik, Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse continuent de revisiter les époques et les genres populaires. Dans un village du Lot, une séance de jeu de rôles semble avoir eu des conséquences funestes. Avec son scénario malin qui ne manque pas de fausses pistes et son graphisme flirtant avec l’esthétique des premiers jeux vidéo, ce thriller coloré bat Stranger Things à son propre jeu.
Dargaud, 21 €
A offrir d'urgence :
Dans un rayon de soleil
de Tillie Walden
Odyssée féministe Virtuose et prolifique, la dessinatrice américaine Tillie Walden figure parmi les nouveaux talents à surveiller de très près. Après l’autobiographique Spinning, où elle racontait la découverte de son homosexualité sur fond de patinage artistique, elle prend une direction tout à fait autre avec ce space opera féministe – les hommes en sont totalement absents – qui vire à l’odyssée amoureuse. Un épais et émouvant roman graphique.
Gallimard BD, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand, 29 €
A offrir d'urgence :
Bacon en toutes lettres
sous la direction de Didier Ottinger
L'informe mode d'emploi On connaît peu la dernière période de Bacon, pourtant la plus intense. Au Centre Pompidou, qui rassemble soixante tableaux de 1971 à sa mort en 1992, on le découvre presque abstrait, aux confins de l'informe. L'exposition ponctue le parcours de lectures extraites de sa bibliothèque, d'Eschyle à Bataille, reproduits et analysés dans le catalogue qui l'accompagne.
Centre Pompidou, 42 €
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clemjolichose · 2 years ago
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et la lune s'est moquée de moi
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Gaytipla (Sylvain Levy x Pierre Chabrier)
Nombre de mots : 24 000 mots
Avertissement : Mention de dépression post-partum
Résumé : Sylvain Levy était jeune, trop pour être père à son sens. Et puis il était célibataire, alors la paternité était un souci qui ne le concernait pas. Ou presque...
Ainsi, Mélissa est entrée dans sa vie.
Note d’auteurice : J'espère que vous allez aimer cette douceur ! Vous pouvez aller la lire sur Wattpad et AO3 aussi <3
Partie : 1/?
Chanson : J'ai demande à la lune d'Indochine
Sylvain ne s’y était pas attendu : près d’un an après leur rupture, son ex reprenait contact avec lui. Il était passé par plusieurs émotions, l’étonnement, l’incrédulité, l’inquiétude, le stress… Il ne savait pas pourquoi, après autant de temps, elle revenait vers lui.
Au départ, elle n’envoya que quelques messages cryptiques qu’il avait du mal à déchiffrer. Puis il l’eut au téléphone et, au son de sa voix, il comprenait que quelque chose n’allait vraiment pas. Elle demanda à le voir, à ce qu’il vienne chez elle, le pressa, il ne put qu’accepter, comprenant tacitement que l’enjeu le dépassait.
Il ne dit rien à personne, pas même à Pierre. Il ne savait pas trop pourquoi, peut-être à cause du secret que la jeune femme semblait garder, qu’elle allait lui dévoiler, à lui et rien qu’à lui. Alors, par respect, il garda leur rendez-vous pour lui.
Sylvain arriva devant la porte de son appartement stressé comme jamais. Il avait terriblement peur de ce qu’il allait voir de l’autre côté car, de ce qu’il avait compris de leurs échanges, la jeune femme était en détresse psychologique et avait besoin de son aide. L’idée lui fendait le cœur… Il ne l’aimait plus, mais tous deux étaient resté·es en bons termes. Et puis, au-delà de ça, apprendre que quelqu’un dont il avait été si proche n’allait pas bien l’inquiétait.
Il frappa donc, et n’eut pas à attendre longtemps avant que la porte ne s’ouvre. Il reconnut à peine la jeune femme, qui avait perdu du poids, ses cheveux, qui avait de si grandes cernes et semblait vieillie de dix ans. La vision fut un choc, qu’il dissipa en la prenant dans ses bras, sans un mot, un réconfort spontané. Elle fondit en larmes immédiatement.
Puis elle le tira à l’intérieur, pour refermer la porte, et Sylvain s’aperçut alors de l’état de l’appartement. Il était encombré, sale, en désordre, et pourtant il n’avait jamais connu sa propriétaire ainsi… Il se tourna vers elle, une seule question sur les lèvres :
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Il la fixa un instant, en attendant une réponse qui ne vint pas.
Comme elle ne répondit pas, le jeune homme jeta un nouveau regard à la pièce, avec plus de concentration, observant les détails. Peu à peu, il remarqua des affaires qui n’étaient pas à elle, des affaires de bébé, de nourrisson, et il avait peur de comprendre.
Elle, elle quitta la pièce. Pendant de longues minutes, Sylvain se retrouva seul face à la réalisation de la situation, ne voulant pas y croire. Il dut bien s’y résoudre, pourtant, quand son ex revint dans la pièce avec un bébé dans les bras. Elle avait eu un enfant ? Mais pourtant, la dernière fois qu’il lui avait parlée, il y a six mois, elle n’était pas enceinte… Ou en tout cas, elle n’en avait pas parlé. Et où était son nouveau petit ami, d’ailleurs ?
Sylvain fut sorti de ses pensées par la jeune femme, qui lui tendit l’enfant. Il eut une réaction de panique d’abord, son cerveau n’arrivant pas à intégrer les informations, puis, comme elle allait se mettre à pleurer de nouveau, il accepta et prit maladroitement l’enfant dans ses bras. Il s’assit sur le canapé, de peur de le faire tomber s’il restait debout, observant son visage à peine éveillé.
« Je comprends rien, là, qu’est-ce qu’il se passe ?
-Je suis en dépression, annonça-t-elle. Je peux pas… je peux pas m’occuper d’elle. »
Elle éclata en sanglots à nouveau. La scène était lunaire, aux yeux de Sylvain qui ne comprenait rien.
Mais il n’eut pas le cœur de la presser pour obtenir des explications. Elle semblait vraiment au bout du rouleau, la pauvre… Alors il attendit, en regardant l’enfant qui n’avait pas conscience du drame, pour ne pas voir la douleur de son ancienne petite amie.
Cette dernière s’assit par terre, les genoux relevés, ses bras les encerclant. Elle ravala ses larmes, suffisamment pour parler à nouveau :
« Je vais essayer de tout t’expliquer… Ça fait trois mois que plus rien ne va. Depuis qu’elle est née, en fait. »
Elle renifla, fit une pause pour respirer, comme elle avait du mal. Sylvain leva la tête, étant déjà en train de calculer mentalement.
« Attends… elle a trois mois ? Emma, c’est qui le père ? »
La susnommée marmonna une réponse que son interlocuteur ne put entendre, alors il lui demanda de répéter.
« C’est toi. »
Il se figea.
Comment ça, « c’est toi » ? Comment pouvait-il être le père, si cela faisait plus de dix mois depuis leur séparation ? Mais il avait fait les calculs, il savait que ça concordait, son cerveau ne voulait juste pas l’assimiler. Il court-circuitait.
« C’est pour ça que mon mec s’est barré, ajouta Emma. Avec la putain de voiture ! »
Sylvain fronça les sourcils.
« Attends, il devait bien savoir que t’étais enceinte quand vous vous êtes mis ensemble, si c’est moi le père… »
Silence. Emma commença à se ronger les ongles.
« J’ai fait un déni. »
Nouveau silence. Heureusement que Sylvain s’était assis…
Emma se leva tout à coup et commença à faire les cent pas, se rongeant toujours les ongles. Son ex compagnon s’apaisa, avec quelques respirations profondes, ne cédant ni à la panique, ni à la colère. Il choisit plutôt la compassion et demanda doucement :
« Pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ?
-Je sais pas. C’était compliqué, mon frère était tout le temps chez moi pour m’aider. Mais là il a dû repartir et j’ai personne d’autre pour… pour la garder. Si tu la reconnais pas, je dois la placer. »
Encore une fois, ce fut trop d’informations pour que Sylvain réagisse.
Il baissa les yeux vers la petite chose dans ses bras, qui avait les yeux un peu plus ouverts maintenant et semblait l’observer. Il ne put s’empêcher de lui sourire et de jouer avec une de ses mains, se rendant compte alors qu’il ne connaissait pas son prénom.
« Tu l’as appelée comment ? »
Emma se stoppa dans sa marche furieuse à travers la pièce, surprise.
« Mélissa.
-Coucou Mélissa, gazouilla-t-il à l’intention de l’enfant. »
Emma sourit, un peu rassurée. Elle s’agenouilla devant lui, suppliante.
« Dis-moi que tu vas la garder… »
Elle avait les yeux brillants, les joues mouillées de larmes, Sylvain en avait si mal au cœur en la regardant… Il déglutit et baissa le regard vers la petite qui s’agitait dans ses bras.
« Ok. Je vais la garder. Mais… et toi ? Tu veux pas d’aide pour—
-Pas besoin, le coupa-t-elle. Mes amies vont passer pendant que je serais à l’hôpital. Tout est déjà prévu. Ah… tu peux pas savoir comme je suis soulagée. »
Elle se pencha en arrière, assise sur ses talons, la tête levée vers le plafond. Elle ferma les yeux et pleura encore.
C’était une vision étrange, le soulagement chez un être au bord du gouffre. Emma pleurait encore et Sylvain la contemplait, toujours inquiet, ne sachant pas comment réagir. Tout était bizarre : elle, l’enfant, la situation, quoi, il était père maintenant ? il avait une fille ? mais qu’allait-il en faire ?
L’élever, voilà ce qu’il allait faire. Malgré les doutes, il ne voulait pas revenir en arrière, il lui suffisait d’un regard vers le visage d’ange de sa fille pour être sûr de sa décision. Alors, pendant les derniers jours de liberté d’Emma, avec son aide, il prépara la nouvelle vie de Mélissa. La reconnaissance, pour avoir son nom sur son livret de famille, le changement de nom, pour qu’elle prenne celui de son père, l’installation, l’apprentissage où l’assistance de son ex était bien plus limitée, tout son quotidien était chamboulé et personne ne le savait.
Sylvain se retrouva donc à se lever tôt, un dimanche matin, alors qu’il avait pris congé de son activité avec Pierre Chabrier. Il n’avait pas dit pourquoi. Il se disait que c’était encore trop tôt, que lui devait assimiler l’information avant de la partager. Il lui avait juste dit qu’il avait besoin d’une semaine, promis, pas plus, juste une semaine pour se reposer, il était trop fatigué…
Pierre avait été sceptique, bien sûr, mais avait accepté à contre-cœur. Les tournages allaient être reportés, tant pis. Sylvain en prendrait la responsabilité. Mais il ne travaillait pas, là, il pouvait donc entièrement se concentrer sur le petit rayon de soleil qu’était Mélissa.
Il se leva tôt un dimanche matin, donc, pour donner le biberon. Ce n’était pas le premier, mais c’était toujours un moment qu’il appréciait particulièrement. Comme le coucher, ou lorsqu’il jouait avec elle. Bon, tous les moments, en fait. Sauf un… Il avait eu beaucoup de mal à s’y faire, pour changer ses couches. Il avait toujours du mal, d’ailleurs.
Ce n’était pas sa faute : il était maniaque, et l’idée de toucher quelque chose d’aussi sale le dégoûtait. Mais il prenait sur lui, il avait atteint un niveau professionnel pour changer sa fille rapidement et correctement.
Au-delà de ce désagrément, il y avait tous les moments de joie, nombreux. Les rires, les gazouillis, les débuts de sons, mots désarticulés, les cris de joie qu’elle poussait parfois, ses yeux brillants de plus en plus ouverts sur le monde qu’elle découvre, ses mains agrippant tout ce qui passe…
Mélissa ne pleurait pas tant que ça et faisait plutôt bien ses nuits – des deux, Sylvain restait donc le plus insomniaque. Il arrivait parfois qu’elle éclate en sanglots, évidemment. Et son père, comme iels partageaient la chambre, l’entendait aussitôt.
Une nuit, il se leva, il venait de la nourrir, de la changer, elle n’avait besoin de rien, alors il la berça seulement, à demi-allongé dans le lit, la lampe de chevet comme seule source de lumière. Il était fatigué, mais ça ne changeait pas vraiment de d’habitude.
Sylvain la contempla. Il tenait dans ses mains un corps si fragile, plus fragile que le sien, qui s’assoupissait tout en douceur. Mélissa avait les yeux fermés, sa poitrine se levait et s’abaissait régulièrement, elle respirait calmement, elle s’endormait… et son papa, le pauvre, le cœur fendu en deux, trop sensible pour contenir tout son amour qui n’avait fait que grandir, il pleura. Ce n’était que des larmes qui coulaient, pas de sanglot, heureusement, il aurait eu peur de la réveiller sinon.
Encore quelques minutes et il la déposa dans son berceau, avant d’essuyer ses joues avec un mouchoir. Il avait fait le bon choix, mais il ne savait vraiment, vraiment pas comment annoncer ça aux autres, à Pierre surtout, à ses parents, à sa sœur…
Sylvain tenait souvent sa fille dans ses bras, même s’il ne s’occupait pas vraiment d’elle, mais quand il faisait autre chose. Il aimait tout simplement ça, et elle aussi, à en juger par son calme. Elle était un peu plus turbulente quand elle restait trop longtemps dans son berceau… Il voulait juste l’avoir près de lui, lui parlant de temps en temps – bien qu’il ne fût sûr qu’elle veuille en savoir plus sur sa comptabilité ou sur l’écriture d’un prochain Vultech. Eh oui, il travaillait quand même…
Pierre contacta souvent Sylvain, tout au long de la semaine. Pour des raisons professionnelles, souvent, échangeant sur l’organisation de sa reprise, puisqu’ils avaient un tournage le dimanche même, lui partageant quelques informations, et puis parfois pour discuter et prendre des nouvelles, comme il avait invoqué sa fatigue en tant que raison de son retrait.
Et Sylvain ne lui dit rien, pas un mot sur Mélissa. Parce qu’il n’avait vraiment aucune fichue idée, comment pouvait-il bien annoncer à son meilleur ami qu’il était papa ? Quel mot employer ? Que pouvait-il faire ? Juste lui présenter l’enfant, comme l’avait fait Emma ? Vu sa propre réaction, il n’était pas vraiment sûr que ce soit la chose à faire. Alors il se laissait le temps d’y réfléchir.
Le jeune père prévint sa sœur, en revanche, qui décida de venir rencontrer l’enfant. C’était la première visite que Sylvain reçut depuis que Mélissa était arrivée chez lui. Un mercredi après-midi, tout simplement. Sylvain salua chaleureusement sa sœur, qui lui prêta attention un moment avant de se tourner vers l’enfant. Vexé, le père fit remarquer :
« Je vois que t’étais vraiment impatiente de voir ton frère adoré. Non mais je retiens, Marine, je retiens.
-Oh tais-toi, t’as fait pareil quand je t’ai présenté Malo. J’arrive pas à croire qu’il a une cousine ! s’exclama-t-elle toute heureuse.
-Ah non, ton clebs n’est pas le cousin de ma fille ! s’indigna Sylvain. »
Marine éclata de rire alors que Mélissa tenait fermement son doigt et l’observait avec de grands yeux curieux.
« Si tu veux. En tout cas, j’arrive pas à croire que je suis tata. Coucou Mélissa, comment ça va ? T’es contente de voir tata ? Est-ce que papa t’as parlé de moi ? Tu lui as parlé de moi ? demanda-t-elle finalement en se tournant vers son frère, les sourcils froncés, accusatrice. »
Sylvain éclata de rire à son tour et lui assura que, si, si, il avait bien parlé d’elle à Mélissa. Bizarrement, elle n’y croyait pas.
Le reste de la journée, Marine aida le jeune papa, lui donna quelques conseils supplémentaires, bien qu’elle n’avait pas d’expertise, lui promettant de faire plus de recherches pour lui. C’était son petit frère après tout, elle pouvait bien faire ça pour lui.
La grande sœur avait tout de même une expérience en baby-sitting, qu’elle offrit à Sylvain. Il accepta avec joie. Justement, dimanche…
« Toi et ta manie de bosser le dimanche. Pourquoi vous vous obstinez à organiser vos tournages ce jour-là ?
-Bah, parce que les autres jours, ils bossent dans le garage… répliqua Sylvain.
-Ah oui. Pas con. Bon, eh bien, je viendrais dimanche du coup.
-Merci beaucoup, tu me sauves, la remercia-t-il. »
Il l’enlaça avant de lui dire au revoir.
Dimanche arriva trop vite au goût de Sylvain, qui n’avait pas vu la semaine passer. Il avait quand même réussi à ne pas la finir plus fatigué qu’il ne l’avait commencée, ce qui était une victoire en soit. Il était un petit peu blessé, cependant. Trois fois rien, juste trois doigts.
Mélissa avait réussi à déchirer une de ses peluches en jouant avec, la veille, en l’agrippant alors que son papa la tenait devant elle. Il avait dû la recoudre avec ce qu’il avait, un petit nécessaire de couture qu’il n’avait jamais utilisé…
Et les aiguilles, c’est pointu. Il se la planta tellement dans les doigts qu’il faillit arrêter sous la colère et à cause de la douleur. Il était fragile, lui, il n’était pas fait pour travailler avec ses mains. Mais il alla au bout de sa mission, parce que Mélissa pleurait l’absence de sa peluche préférée et il ne pouvait pas lui dire non. De toute façon, il n’était pas sûr qu’elle comprenne ce que ça voulait dire à bientôt quatre mois.
Sauf que voilà, certaines manipulations avaient laissé des entailles plus profondes, et il avait dû panser son pouce, son index et son majeur pour éviter une infection. Ces pansements, Marine les refit le dimanche matin, avant qu’il ne parte en tournage.
« T’es sûr que c’est une seule aiguille qui t’a fait tout ça ? Tu t’es pas raté, bosseigne, le plaignit-elle.
-Oui, mais à ma décharge maman m’a jamais appris à coudre, se défendit-il.
-A moi non plus et je me charcute pas dès qu’on me met une aiguille dans les mains, répliqua Marine. Arrête de bouger. »
Elle tapa un peu fort sa main et il grimaça mais obéit, essayant de stabiliser sa main.
Marine finit le pansement, mais ne lâcha pas la main de son frère pour autant, la caressant doucement, les yeux dans le vague. Elle réfléchissait, Sylvain ne savait pas à quoi. Il resta silencieux, l’observant, attendant qu’elle parle, quand enfin :
« Tu vas le dire quand aux parents ? Ils vont vouloir voir leur petite-fille…
-Je sais pas. J’aimerais le dire à Pierre avant, avoua Sylvain. Et après organiser la rencontre avec les parents. Peut-être que je pourrais les inviter un week-end ? »
Marine soupira et lâcha sa main, se redressant.
Comme Mélissa commençait à gesticuler là où elle était allongée, sa tante la prit dans ses bras et la fit sautiller contre son flanc. Sylvain sourit dès qu’il la vit et caressa sa joue, la chatouillant doucement.
« Et tu comptes le dire quand à Pierre ? reprit-elle avec un ton de reproches.
-La semaine prochaine, soupira Sylvain, abandonnant son sourire. Je peux pas lui cacher ça plus longtemps… On a une réunion à deux chez lui…
-Je garderais pas la petite. Tu la prendras avec toi et comme ça tu lui diras et tu lui présenteras en même temps, hein ? »
Marine n’avait aucun remords à le forcer ainsi, à le brusquer. Elle savait qu’il avait besoin de ça pour continuer à avancer, alors… Sylvain hocha la tête, les yeux rivés sur son enfant qui semblait vouloir mâchonner ses doigts.
Le jeune père regarda l’heure et se leva immédiatement, récupérant sa veste et son sac.
« Allez, je dois y aller, je vais être en retard sinon. Merci de la garder Ririne, je te revaudrais ça !
-Ouais, c’est ça, file, répliqua la susnommée avec un faux air ennuyé, lui adressant quand même un sourire. »
Il embrassa le crâne de sa fille, qui ne comprenait pas grand-chose, et disparut derrière la porte.
Sylvain arriva presque à l’heure au garage. Pierre était déjà à l’intérieur, en train de mettre en place la caméra.
« Eh bah enfin ! s’exclama-t-il, un peu amer, en lui lançant un bref regard. Déjà que monsieur se prend des vacances surprises d’une semaine, en plus il arrive en retard pour sa rentrée !
-T’exagères, je suis pas si en retard que ça. Et c’était pas des vacances, hein. »
Pierre marmonna quelque chose en réponse tandis que Sylvain allait poser ses affaires dans la pièce à côté.
« Je vais me faire un café, signala-t-il. »
Et son collègue ne répondit pas. Super ambiance…
Sylvain récupéra son café et s’approcha de la porte, mais il fut stoppé par Pierre, qui était là.
« Je vais prendre un truc aussi. Assis-toi, lança-t-il avec un peu plus de douceur. »
Il avait l’air frustré, mais pourquoi ? Ce n’était pas la première fois que son ami arrivait en retard, et il avait justifié ses congés.
Sylvain s’assit et Pierre le rejoignit avec une boisson et un soupir. Pendant quelques secondes, aucun mot ne sortit de leurs deux bouches.
« Pourquoi t’as pris ces congés ? se lança enfin Pierre.
-Je t’ai dit, raison familiale.
-Et tu peux pas m’en dire plus ? »
Pierre leva les yeux vers lui et son ami comprit. C’était l’inquiétude qui le rendait si sarcastique. Ah… Sylvain trouvait presque ça mignon. Il sourit doucement.
« On en reparlera pendant notre réunion, ok ? C’est fait pour ça. »
Pierre hocha la tête, pas satisfait pour un sous, mais il ne dit rien de plus.
Son regard glissa vers les mains de Sylvain et il remarqua les bandages. Il fronça les sourcils, les pointant du doigt.
« Qu’est-ce que tu t’es fait encore ? T’as essayé de resouder ton PC ? De réparer ta plomberie ? De décatalyser toi-même ta caisse ? Te connaissant, peut-être les trois, blagua-t-il pour détendre l’atmosphère. »
Et Sylvain rit, un rire un peu fatigué, en levant sa main pour l’observer.
« Non, je me suis coupé en cuisinant, mentit-il.
-Bordel, tu t’es pas raté, le plaignit Pierre, y croyant. »
Son ami hocha la tête en finissant son café.
Quelques minutes après, le tournage était lancé et l’ambiance était redevenue normale entre eux. Ça faisait du bien à Sylvain, de reprendre son activité et de retrouver Pierre. Même si, il devait se l’avouer, Mélissa lui manquait un peu… C’était difficile de ne rien dire à son meilleur ami, mais non, il ne pouvait pas, il avait passé tout le trajet à imaginer un scénario de rencontre entre les deux qui lui convenait, alors il allait s’y tenir.
Les deux hommes se séparèrent dans l’après-midi, après avoir déjeuné ensemble, et Pierre insista sur son désir de savoir ce qui avait tenu l’autre loin de son travail, qu’il ne pourra pas se défiler pendant leur réunion. Sylvain rit, lui assura qu’il saura tout, et partit de son côté rejoindre sa fille.
Marine l’accueillit avec soulagement, son frère le vit dès qu’elle lui ouvrit la porte.
« Ta fille a pas arrêté de pleurer dès que t’es parti, se plaignit-elle immédiatement. Elle s’est seulement calmé quand je lui ai donné sa peluche… Là elle dort, ne va pas la réveiller. »
Elle pointa un doigt accusateur vers le père, qui sourit seulement en retour.
« J’ai dû lui manquer.
-Clairement. Elle est déjà très attachée à toi, fit remarquer Marine. »
Et le sourire de Sylvain s’élargit. C’était réciproque, il était très attaché à Mélissa… Trop attaché, certains diraient, mais il n’en avait rien à faire. Elle était le soleil de sa vie depuis qu’elle était arrivée.
Sylvain remercia sa sœur et la laissa partir pour qu’elle puisse se reposer. Il allait prendre le relais. Enfin, pour l’instant, il allait surtout laisser son bébé dormir, et peut-être qu’il pourrait faire deux-trois parties de Warzone en attendant…
Le jeune papa joua alors en attendant que sa fille se réveille, ce qu’elle fit après cinq parties. Il arrêta donc le jeu et rejoignit la chambre, où elle dormait. Enfin, elle pleurait maintenant, et il grimaça un peu aux sons stridents, mais ça ne l’empêcha pas d’approcher et de la prendre dans ses bras.
« Tu dois avoir faim ma chérie, lui dit-il quand même elle ne comprenait rien, on va te préparer un biberon, hein ? »
La tenant fermement contre son flanc, il l’emmena dans la cuisine, où il prépara le biberon sous les yeux fatigués et à peine ouverts de la gamine qui geignait faiblement.
Avec une seule main, c’était compliqué, mais il s’en sortait. Sylvain le laissa chauffer, puis testa la température sur sa peau. Comme elle était suffisante, il s’installa dans le canapé pour lui donner. Mélissa agrippa le récipient en buvant avec application sous le regard adorateur de son père. Il s’en fichait que ce soit salissant, il s’en fichait que ça puisse être fatiguant, il aimait juste contempler l’enfant apprendre de nouvelles choses et sa simple existence le remplissait de joie maintenant, après trois mois à ignorer son existence.
Une fois que la gamine fut rassasiée, il la garda contre lui, jouant avec elle et lui parlant. Il essayait de garder un registre normal, parce que Marine lui avait dit que c’était mieux, et discutait souvent avec elle. Enfin, il jacassait tout seul, quoi. Mais Mélissa savait très bien écouter !
« Regarde-toi, Pierre pourra pas m’en vouloir quand il te verra. T’es trop mignonne, il va juste tomber en adoration lui aussi. »
Et comme il s’était mis à la chatouiller, elle éclata de rire. Un rire de bébé, un peu dissonant, sans contrôle aucun des cordes vocales, mais terriblement beau et sincère. Sylvain adorait l’entendre, ça et ses babillements récents.
Sylvain passa les jours suivant à travailler de chez lui et à s’occuper de sa fille. Il commençait à tenir un bon rythme, à trouver de nouvelles habitudes dans son quotidien renversé. Ce n’était pas simple, il se sentait beaucoup perdu, très stressé, un peu mauvais, mais Marine venait l’aider un jour sur deux à peu près, après le boulot.
Pierre commençait à se douter de quelque chose, son ami le savait. Oh, il ne comprenait certainement pas à quel point sa vie avait changé en si peu de temps, mais il y avait de nombreux indices d’un quotidien perturbé.
Et l’ultime indice, Sylvain était sur le point de lui donner en la forme d’un bébé de cinq kilos qu’il porterait dans ses bras. Il était maintenant garé devant chez lui, le siège auto juste à côté sur le siège passager, Mélissa à moitié endormie dedans. Il la réveilla avec des caresses sur les joues, jouant avec ses petites mains, essayant surtout de reculer le moment fatidique. Le sourire de l’enfant était si radieux, et la façon qu’elle avait de gesticuler… Il était vraiment sous le charme, Pierre le charrierait s’il le voyait.
En parlant de lui, Pierre se tenait dans l’encadrement de la porte d’entrée, observant la voiture garée devant chez lui, attendant que son propriétaire en sorte… ce qu’il fit. Mais au lieu de le rejoindre directement, il fit le tour de la voiture et ouvrit la portière côté passager, se penchant à l’intérieur. Il était fébrile, ses mains tremblant doucement, mais ça ne l’empêcha pas de saisir Mélissa et de la tenir contre sa poitrine. Il ferma la portière et rejoignit son collègue en évitant soigneusement son regard.
Sylvain passa devant l’autre homme, s’apprêta à rentrer, mais fut arrêté par une main attrapant sa manche. Il se stoppa, déglutit et se retourna au son de la voix de son ami :
« Sylvain ? C’est qui ? »
Il pointa l’enfant, une espèce de panique dans le regard.
« Mélissa, répliqua l’autre. On peut rentrer se poser et je t’explique ? »
Pierre resta bouche bée, les yeux rivés sur la gamine.
Son ami entra et il le suivit précipitamment, refermant la porte en la claquant. Ça ne plut pas le moins du monde à Mélissa qui en fut effrayée et se mit à geindre.
« Merde ! Pardon ! s’excusa Pierre qui ne savait comment réagir.
-C’est pas grave, mais évite les gros mots s’il te plaît, lui demanda poliment Sylvain. »
Il consolait déjà sa fille, avec des mots rassurants et des sautillements pour la bercer. Pierre l’observa faire, abasourdi. Il n’arrivait pas à réfléchir parce que bordel, pourquoi son meilleur ami tenait-il une enfant ?
« Elle est à qui ? demanda-t-il finalement. Tu la gardes pour quelqu’un ? »
Ah, voilà les questions qui fâchaient.
Sylvain ne répondit pas tout de suite. Il s’assit dans le canapé en saluant Oslo, le chien de Pierre, et en l’éloignant du bébé qu’il essayait de saluer avec l’excitation propre aux canidés. Il faisait exprès de se concentrer dessus et pas sur l’autre homme, parce qu’il était complètement paniqué et avait oublié tout ce qu’il avait préparé pour ce moment.
Pierre comprit le message et éloigna son chien, jouant avec pour dépenser son énergie avant de le faire sortir quelques minutes plus tard. Puis il s’assit à côté de Sylvain et observa l’enfant, qui tourna son regard marron vers lui, découvrant cet inconnu pour la première fois.
« Sylvain, elle est à qui ? répéta-t-il en tournant le regard vers son homologue. »
Ce dernier lui jeta enfin un regard en se mordant l’intérieur des joues. Il croisa deux yeux durs, qui réclamaient une réponse rapide, alors il soupira et obéit :
« C’est ma fille… Écoute, attends, je vais t’expliquer, le coupa-t-il avant qu’il n’explose, parce qu’il le sentait venir. C’est mon ex qui a accouché, il y a presque quatre mois. Elle m’avait rien dit parce qu’elle avait refait sa vie mais ça s’est mal passé. Elle pouvait pas la garder, alors elle m’a appelé en dernier recours.
-Sympa de te refiler la patate chaude après te l’avoir cachée pendant des mois, commenta sarcastiquement Pierre. »
Mais il se prit un regard énervé de Sylvain, qui le reprit :
« Je lui en veux pas, elle a fait ce qu’elle a pu, alors ferme-la si t’as envie de l’insulter. C’est mieux que de dire des conneries. »
Sa voix était ferme et n’acceptait aucune contradiction. Son ami l’avait rarement vu ainsi.
Pierre baissa les yeux, peu fier, mais les releva en entendant la voix de Mélissa. Elle tendait une main vers lui. Il la prit tout doucement, avec un petit sourire, en silence, et il laissa l’enfant serrer son index. Elle avait des mains si petites, et déjà si fortes à en juger par la pression qu’elle exerçait sur lui. Il rit doucement, retenant une blague – il sentait toujours l’énervement de Sylvain, ce n’était pas le moment. Il devait plutôt s’excuser.
« Pardon. Je voulais pas l’insulter… mais quand même, de ce que je comprends tu es seul, comment tu fais ? »
Et Sylvain comprit que c’était de l’inquiétude, mal communiquée certes.
Avant de répondre, le jeune papa attira l’attention de sa fille en l’appela et en caressant son visage avec son pouce.
« Emma aussi l’a élevée seule un temps, après s’être fait larguée dans une relation abusive. Elle en a fait une dépression… Elle me l’a confiée pour l’aider. »
L’émotion s’était incrustée au fond de sa voix et avait noué sa gorge. Pierre resta silencieux, toujours plus honteux, en comprenant peu à peu l’histoire. Il laissa son ami vider son sac.
« On a pas mal discuté, pendant qu’on préparait les papiers. J’ai été la reconnaître et changer son nom, pour qu’elle ait le mien. Emma ne veut plus rien avoir à faire avec elle pour l’instant, elle est à l’hôpital. Ça a juste été une très mauvaise expérience pour elle, mais pas à cause de Mélissa. Elle voulait l’épargner justement… »
Pierre hocha la tête et se rapprocha de Sylvain, les yeux toujours fixés sur le bébé qui souriait et riait aux grimaces de son père.
Ça le calmait, le pauvre Sylvain, d’interagir avec sa fille sans prêter attention au monde autour. Tout était tellement stressant et elle, elle était là, juste contente de le voir. Son cœur à lui battait trop fort, ses mains étaient trop moites, ses nerfs trop à vif. Il avait juste envie de pleurer, mais de quelle émotion ? Il n’en était même pas sûr. Tout ça le rendait triste, heureux, frustré et en colère, le dégoûtait et le réjouissait, il aimait Mélissa et détestait ce qui était arrivé à Emma, il avait peur de ne pas réussir comme elle…
« Je peux la prendre ? »
Pierre avait suivi le fil de ses pensées à travers la crispation de ses mains et l’inconfort du bébé, dont le visage se tordait, dont les cordes vocales poussaient de petits sons plaintifs… Sylvain la relâcha en s’en rendant compte et laissa son ami la prendre sur ses genoux, la suivant du regard.
Pierre savait s’y prendre avec les enfants. Il y en avait dans sa famille, qu’il voyait souvent et dont il s’occupait. Sylvain n’avait aucun doute sur ses capacités, non. C’était de lui qu’il doutait, de ses capacités. Il aurait pu blesser Mélissa, à s’aventurer dans ses pensées les moins joyeuses ainsi.
« Je suis désolé de pas avoir été là, reprit finalement Pierre, peiné. Mon pauvre, t’as l’air d’avoir accumulé plus de stress qu’autre chose…
-Je suis un peu stressé, ouais, acquiesça son interlocuteur en se rongeant les ongles, recroquevillé maintenant que ses bras étaient libres. »
Il avait l’air si frêle comme ça, se dit Pierre. Comment pouvait-il être papa ? Avoir la force de s’occuper seul de cette terreur sans voler en éclats ? Ça le dépassait et le fascinait tout à la fois. Et plus il regardait cette petite, si angélique, plus il interagissait avec elle, la faisait rire et sourire avec des chatouilles et des jeux, plus il entendait sa voix naissante et ses yeux éveillés, plus la certitude grandissait en lui : il devait aider Sylvain. Il ne pouvait pas le laisser seul dans cette aventure, ça le briserait.
« Tu as de l’aide ? demanda-t-il alors.
-Marine vient m’aider de temps en temps, mais elle pourra pas continuer longtemps. M’enfin, c’est sa nièce, mais ça demande trop de boulot et c’est pas son rôle d’être un co-parent ou je sais pas quoi… »
Et il se recroquevilla un peu plus sur lui-même, croisant les jambes.
Sylvain était tout de même embarrassé de demander autant d’aide à sa sœur, qui n’avait rien demandé et n’habitait pas la porte à côté non plus. Elle avait un foyer, elle aussi, un travail, des obligations, des responsabilités… Il se sentait mal de lui en réclamer autant, même s’il ne l’avait jamais forcée.
« Je vais t’aider, lança Pierre avec un sourire, comme si ce n’était rien. Elle a besoin d’adultes autour d’elle. »
Il souriait parce que Mélissa venait d’attraper sa barbe. Elle faisait cela de plus en plus souvent, attraper tout ce qu’il y avait à sa portée, et apparemment ça faisait rire le porteur de ladite barbe.
Sylvain regarda Pierre tout à coup, étonné. Il se demanda un instant s’il avait bien entendu, si ce n’était pas son cerveau angoissé qui venait de lui jouer un tour, mais non, Pierre était en train de jouer avec sa fille et venait de lui proposer de l’élever avec lui. Enfin, de l’aider à cela. Il ne fallait pas qu’il surinterprète.
« Tu ferais ça ? demanda-t-il d’une petite voix. Enfin, je veux pas t’embêter, t’habites pas à côté de chez moi non plus…
-Vous pourriez venir passer une ou deux nuits chez tonton Pierrot, elle pourra même avoir sa propre chambre ! proposa-t-il avec entrain. »
Et alors Sylvain éclata de rire, parce que c’était absurde, parce que c’était émouvant, parce que ça lui faisait du bien.
Pierre ne comprit pas et lui lança un regard interrogateur alors que son ami riait aux éclats à côté de lui, se tenant le ventre.
« Ecoute toi, « tonton Pierrot », tu viens à peine d’apprendre que j’ai une fille et t’es déjà à fond. »
Ses rires cessèrent peu à peu et il tomba contre le dossier du canapé, avachi. Pierre s’écarta pour pouvoir se tourner vers lui, un sourire coupable sur le visage.
« Oui bah c’est pas ma faute, elle est trop mignonne aussi !
-Je sais, moi non plus j’ai pas pu résister, répliqua-t-il avec un sourire mi-fatigué mi-épanoui. »
Il passait d’une émotion à l’autre à la seconde, ce qui attira l’attention de Pierre et l’inquiéta. Il ne l’avait jamais vu aussi fatigué…
Pierre tourna la question dans sa tête, peu sûr de la formulation, de la manière dont elle sera accueillie, avant de se décider :
« Comment tu tiens le coup, moralement ? »
Sylvain se redressa, surpris, et observa son ami avec des yeux hagards. Puis son regard tomba sur Mélissa, qui jouait avec les lunettes de Pierre, laissant plein de petites traces de doigts sur les verres. Il lui retira de la bouche quand elle essaya de les mâchouiller avec un petit rire.
« Je sais pas, honnêtement, répondit-il finalement. Aucune idée. Marine m’aide mais… je suis un peu d’accord, c’est pas une bonne idée de me laisser l’élever seul. »
Son interlocuteur lui lança un regard peiné, entre inquiétude et tendresse, et posa une main sur son épaule.
« Je vais t’aider. »
C’était une affirmation qui n’appelait aucune contestation. Sylvain n’en avait pas la force de toute façon.
Celui-ci se laissa tomber contre le flanc de son ami, les yeux fixés sur l’enfant toute heureuse d’avoir un nouveau compagnon de jeu. La main de Pierre glissa vers son autre épaule, il l’enlaça en silence, tenant toujours la petite de son autre main.
« Merci, murmura Sylvain au bout d’un moment. Merci beaucoup Pierre. »
Le susnommé caressa son bras doucement, voulant le rassurer. Il pouvait sentir son anxiété paternelle d’ici et il le comprenait. Il n’avait jamais pu se préparer à avoir un enfant dans les bras, il avait été lâché dans la cage aux lions, comme ça, seul, et il ne revenait qu’à lui d’assurer. Plus maintenant. Pierre était entré dans l’arène, prêt à le rejoindre dans la galère.
Plongé dans ses pensées, alors que Mélissa essayait en vain d’attraper son pull, il se mit à réfléchir. Oh, pas à grand-chose, des pensées pragmatiques avant tout à propos du bébé qu’il tenait. Puis il brisa le silence, s’adressant au papa qui somnolait :
« Mais t’as pas de baignoire, chez toi… Comment tu fais pour le bain ? »
Sylvain marmonna quelque chose et se frotta les yeux. Il bâilla, s’étira un peu, prit son temps pour comprendre la question avant de répondre :
« Avec Marine, on a trouvé une bassine. C’est pas l’idéal mais ça aide.
-Si tu veux lui donner le bain dans ma baignoire, y’a pas de soucis, hein. »
Le papa leva la tête vers lui, s’écartant légèrement pour ne pas être trop prêt, un petit sourire sur le visage.
« Merci. »
Pierre ne put s’empêcher de rire, voyant bien sur le visage de son ami l’étendue de sa fatigue. Il ne pouvait pas le laisser comme ça.
Pierre retira son bras des épaules de Sylvain, qui aurait bien voulu que le contact se prolonge pourtant, et redressa Mélissa contre lui. Elle put enfin attraper le tissu tant convoité, et l’agrippa donc de toutes ses forces de bébé.
« Va faire la sieste, je m’occupe d’elle, lança Pierre à son homologue. »
Ce dernier ne réagit pas tout de suite, se frottant encore les yeux. Le coup de barre était terrible pour lui.
« Tu as mis ses affaires où ? insista Pierre avec un sourire en coin.
-Elles sont restées dans la voiture, je crois. J’y vais. »
Réagissant enfin, Sylvain se leva et sortit de la maison. Pierre se retrouva seul avec la petite fille.
Mélissa tenait toujours fermement le pull de l’homme, il le sentit quand il essaya de la changer de position. Elle protesta d’ailleurs avec un petit cri, comme si elle allait se mettre à pleurer, alors il la garda contre sa poitrine, tenant sa nuque et son dos, appliquant des petites caresses du pouce.
« Hey, il faudra que tu me lâches un jour, tu sais. Je vais devoir te rendre à ton papa, quand il aura fini sa sieste… »
Il ne parlait pas très fort, comme s’il allait blesser les oreilles délicates de l’enfant avec sa voix, et joua la déception sur la dernière phrase. Elle lui répondit par un son, sûrement involontaire.
Pas découragé par son début de discussion avec Mélissa, il réessaya de la changer de position, parce qu’elle lui faisait mal comme elle était. Elle geignit encore, moins fort, et il aperçut une grimace sur son visage.
« Hey, ça va aller, y’a pas à pleurer comme ça ! Je vais te laisser me le déformer, mon pull, mais tu pèses sur ma jambe là. Ton papa te nourrit bien. »
Il la cala de nouveau contre lui, contre sa poitrine, et elle s’apaisa. Il souffla, rassuré qu’elle ne se mette pas à pleurer.
Sylvain entra de nouveau, un sac à la main, le siège auto dans l’autre, et posa le tout à côté du canapé. Il regarda Mélissa et Pierre, juste un instant, attendri.
« Je vois que ça se passe bien ici.
-Ouais, plus besoin de toi, répliqua Pierre. Tu peux aller te coucher. »
Il avait gardé un peu de mesquinerie dans sa voix, mais il était sérieux : il voulait qu’il se repose.
« Mais… et la réunion ? demanda le pauvre homme d’une petite voix.
-On la fera quand tu seras capable d’ouvrir les yeux plus de cinq minutes. Prends mon lit, celui de la chambre d’ami n’est pas fait. »
Sylvain resta figé quelques secondes, les yeux plongés dans ceux de Pierre, le temps que l’information monte à son cerveau. Il acquiesça doucement et se pencha pour embrasser le crâne de Mélissa. Celle-ci leva la tête et lâcha enfin le pull de Pierre, claquant sa main contre la joue de son père.
« Doucement Mélou, rit-il doucement en attrapant sa main. »
Il la caressa doucement, ne la lâchant pas du regard avec un grand sourire.
Pierre le laissa faire avant de le repousser doucement, d’une main. Il ne plia pas face à l’expression indignée de son ami.
« Tu m’éloignes de ma fille ?!
-Oui, va te coucher, ordonna-t-il avec un peu plus d’autorité.
-Je savais que t’allais me la voler ! Sal- méchant ! se corrigea-t-il de justesse. »
Ils éclatèrent tous les deux de rire, avant que Pierre ne lui fasse une nouvelle fois signe de partir.
Sylvain obéit enfin, non sans soupirer. Il adressa un dernier au revoir à sa fille – décidemment, il avait du mal à la quitter – puis à Pierre, et sortit de la pièce. Il longea le couloir jusqu’à la chambre de son ami, y entra, retira seulement son jean. Enfin, il put se glisser dans les draps, le cœur battant un peu trop fort. Maintenant qu’il était seul, son cerveau ne pensait qu’à l’acceptation si facile et rapide de Pierre, à sa volonté d’aide, à sa détermination. Il lui en était redevable, ça le rendait plus heureux que jamais, plus serein aussi. Il se sentait mieux et pouvait maintenant dormir sur ses deux oreilles… s’endormir fut rarement aussi simple.
Pierre fit rentrer son chien, qui était allongé près de la baie vitrée, et lui présenta l’enfant maintenant qu’il était plus calme. Il essaye à nouveau de la lécher, ce qui fit bien rire Mélissa, mais le maître le disciplina un peu. Ce n’était pas sa fille, il voulait faire attention…
L’homme se rassit dans le canapé ensuite, au fond, et se mit à jouer avec Mélissa. Oslo grimpa sur le canapé à côté d’elleux et les observa, assis, alerte. Pierre avait rarement vu son chien ainsi. Quand la petite bougeait un peu trop, qu’elle versait d’un côté ou de l’autre, l’animal avait des sursauts ou avancer le museau, sans vraiment la toucher. C’était fascinant à observer pour l’adulte, surtout en sachant son chien jeune et particulièrement énergique.
Après quelques dizaines de minutes de jeu, Mélissa commença à montrer des signes de fatigue. Pierre le comprit facilement et, la tenant allongée dans ses bras, il se leva pour la bercer en faisant les cent pas dans la pièce.
« Eh bien, comme ton papa, hein ? Allez, tu vas faire un gros dodo… »
Il avait une voix douce, un peu plus aiguë qu’habituellement, le même timbre que lorsqu’il parlait à Oslo, mais avec une intonation moins enjouée.
« Bon, faudra m’excuser, j’ai que ton siège auto pour te laisser dormir, monologua-t-il. Mais promis, je vais corriger ça. Tu verras, tu seras super bien dans la deuxième chambre. Et puis t’auras de la place, hein. Oh et puis m- mince, je vais te garder dans le salon pour aujourd’hui. Ton père va me chier une pendule s’il remarque que je t’ai laissée seule, je pense. Puis bon, je veux pas que quoique ce soit t’arrives. Tu vas faire la sieste avec tonton Pierrot, du coup, ça te va ? De toute façon, t’as pas ton mot à dire, comme ça c’est réglé… »
Il sourit à la fin de sa tirade : Mélissa s’était endormie au son de sa voix.
Pierre la déposa donc dans le siège auto, qu’il garda à terre, au pied du canapé. Oslo se déplaça immédiatement, quittant les coussins moelleux pour la dureté du sol, s’allongeant en boule juste à côté de l’enfant. Son maître ne put s’empêcher de sourire en voyant la loyauté de l’animal envers Mélissa. Rien ne pouvait arriver à cette gamine, avec cette protection.
L’homme s’installa devant la télévision et l’allumant, vérifiant brièvement que ça ne réveillait en rien Mélissa. Et pendant que l’appareil fonctionnait, il traina sur son téléphone, pendant une heure environ. Après quoi, il entendit du mouvement à ses pieds et remarqua que le bébé était réveillé et avait déjà la bougeotte.
Pierre sortit la petite de son siège et la tint contre lui à nouveau. Il se leva ensuite, soucieux.
« Je crois qu’il y a un truc à changer, là. Enfin, je le sens, précisa-t-il. »
Il récupéra le sac de Sylvain et se rendit dans la salle de bain pour changer Mélissa. Ce n’était pas la première fois qu’il s’occupait d’un bébé, aussi il n’eut pas besoin d’aide ou de mode d’emploi et l’affaire fut pliée en peu de temps…
Mais Mélissa n’était toujours pas à l’aise, et elle le fit savoir, geignant à nouveau. Ce n’était pas des pleurs et Pierre en était reconnaissant, il ne voulait pas que Sylvain se réveille. Il essaya de la faire sautiller dans ses bras, pour la calmer, se demandant quelle était la raison de son inconfort. Et puis il vit dans le sac un biberon et comprit : elle était sûrement affamée, la pauvre…
Pierre amena le nécessaire dans la cuisine et déposa Mélissa dans son siège le temps de préparer son biberon. Elle ne cessa pas de geindre, même quand Oslo s’approcha curieusement d’elle, penchant la tête sur le côté en l’observant. L’homme essaya de se dépêcher, de préparer le biberon avant que les pleurs n’éclatent – ce qui était stressant, comme une minuterie incontrôlable. Si Sylvain vivait cela au quotidien, pas étonnant qu’il fût aussi crevé.
Enfin, Mélissa put se nourrir, prostrée dans les bras de Pierre, recevant le biberon de sa main. Elle se calma rapidement au contact du liquide et ne voulait plus lâcher la tétine, au grand dam de celui qui s’occupait d’elle et qui voulait éviter un renvoi. Il ne savait pas comment son émétophobie y réagirait, sinon.
Finalement, il n’y eut pas de problème et Pierre put nettoyer ce qu’il avait utilisé avant de récupérer la petite dans ses bras, jouant avec elle, lui souriant, faisant des grimaces… Elle était toute joyeuse et riait, agitant ses petits bras. Oh, comme il aimait s’occuper d’elle…
Peu de temps après, Sylvain émergea enfin du couloir, ayant fini sa sieste. Ses yeux étaient toujours cernés, ses paupières à peine ouvertes, et ses cheveux étaient en bataille. Il n’avait pas l’air d’aller beaucoup mieux qu’avant ses presque deux heures de repos.
Son ami retint un rire en le voyant arriver, remarquant les traces du tissu sur sa peau rougie et son air endormi.
« Eh bien, regarde qui voilà Mélissa ? C’est ton papa qui s’est réveillé ! Enfin, presque… »
Sylvain s’assit à côté d’elleux sur le canapé, frottant ses yeux.
« Pu—rée Pierre, je suis désolé, ça a vachement retardé notre réunion… s’excusa-t-il d’une petite voix. »
Il bâilla et s’étira vers l’avant.
En entendant la voix de son père, Mélissa se tourna vers lui et tendit une de ses mains, cherchant son contact. Il ne le remarqua pas comme il était encore en train de se réveiller, alors Pierre réagit :
« Sylvain, ta gamine veut aller dans tes bras. »
Le susnommé ne put s’empêcher de sourire à l’entente de la phrase avec un peu d’émotion. Il avait décidément du mal à s’y faire. Pas grave, ça le rendait tellement heureux de toute façon…
Sylvain passa ses mains sur celles de Pierre et souleva l’enfant. L’autre homme accompagna le geste, pour la sécurité du bébé, et ne la lâcha que lorsqu’il fut sûr de la poigne du père.
« Elle a mangé et je l’ai changée, l’informa Pierre.
-Oh c’est vrai ? demanda son ami avec étonnement, sa voix partant dans les aigus. Merci Pierrot, t’es le meilleur. T’as pas trop galéré à trouver tout ce qui te fallait ? »
Tout en parlant, Sylvain installa confortablement Mélissa sur ses genoux.
Celle-ci se mit à agripper son visage et jouer avec, rigolant par moment quand il réagissait par des grimaces. Pierre les observa avec tendresse et un petit brin de fierté, de voir son meilleur ami devenir un si bon père.
« Nickel, c’était pas trop compliqué non plus. Je sais fouiller tu sais !
-Ah ouais, ça fouille dans mes affaires persos pendant que je pionce, blagua Sylvain. »
Ils rirent puis son interlocuteur se défendit :
« Ça va, on partage déjà plein de trucs ! Genre un bébé… »
Il pointa Mélissa avec un rire, mais son ami devint plus sérieux tout à coup, un peu pensif.
Pierre s’inquiéta du silence soudain. Est-ce qu’il avait fait une connerie en s’appropriant déjà le gardiennage de Mélissa ? Sylvain venait de lui dire après tout…
« Désolé, c’est toujours ta fille, je suis pas en train de dire que je suis le p—
-Non, c’est pas ça, le coupa Sylvain une fois sorti de ses pensées. Ça me fait juste un peu bizarre de me dire que j’ai une fille, et en même temps je suis pas tout seul. J’ai tellement redouté de te le dire et tu l’as tellement vite acceptée… »
Il eut un sourire humide, comme s’il était prêt à pleurer, alors Pierre l’enlaça pour l’en empêcher – il pourrait bien pleurer aussi. Faire dans le sentimentalisme à son réveil avait été une mauvaise idée, ajouta Pierre dans ses pensées avec une grimace, il était encore plus vulnérable.
Les hommes se quittèrent peu de temps après, parce qu’il faisait nui et tant pis pour cette réunion. Mais la séparation ne fut pas longue : deux jours plus tard, Sylvain revint chez son ami avec tout le nécessaire de bain de Mélissa. Il était vrai que la bassine achetée d’abord devenait trop petite, l’enfant n’était pas confortable dedans, il lui fallait le grand bain…
Pierre les accueillit avec joie, jouant avec Mélissa pendant que son père mettait tout en place dans la salle de bain. Il était debout dans le couloir, face à la petite pièce, Oslo en chien de garde à ses pieds.
« C’est bon. Pas trop chaud, pas trop froid… lança-t-il en secouant sa main qu’il venait de plonger dans l’eau. Tu me l’amènes ? »
Pierre acquiesça en enjamba le chien et déposa l’enfant dans les bras de son père, tout en douceur.
« Voilà, je te la laisse et je vais préparer l’apéro en attendant ! s’exclama Pierre avec un petit sourire en coin. »
Il se doutait que ce genre de choses était étranger au nouveau quotidien de son ami. Mais il avait besoin de se détendre, enfin ! Il quitta donc la pièce, laissant Sylvain donner le bain à Mélissa.
Oslo resta devant la porte de la salle de bain, pleurant pour rentrer – ce à quoi Pierre consentit quand il eut l’aval de l’autre homme. Et il retourna dans sa cuisine préparer cet apéritif promis.
Oslo s’assit derrière Sylvain, l’observant ainsi que Mélissa. Il l’avait déjà déshabillée et il commença à la plonger dans l’eau, pas très haute et un peu mousseuse. La petite gazouillait, toute heureuse de pouvoir toucher la mousse et taper dedans avec de grands gestes imprécis qui éclaboussaient son père.
« Mélou, ma chérie, tu me fous mon t-shirt en l’air là… »
Mais elle ne comprenait rien, la petite Mélou, alors elle continuait tout en riant, et Sylvain ne put s’empêcher de la rejoindre dans son hilarité.
Il se décida à enlever son haut au bout d’un moment. Il était trop mouillé, lui collait à la peau, il n’aimait pas ça… Une fois torse nu, il reprit sa besogne, à savoir laver sa fille qui ne se laissait décidément pas faire. Elle gigotait dans tous les sens, essayait de se déplacer même si elle ne savait pas encore comment faire, attrapait tout ce qui lui passait sous la main…
Le bain fut donc long, très long. Sylvain fut seulement fier d’avoir évité la catastrophe et qu’il n’y ait pas trop d’eau sur le sol. Il sortit Mélissa de la baignoire et l’enroula rapidement dans une serviette qui avait attendu sur le radiateur de la salle de bain, pour qu’elle soit suffisamment chaude. Il avait trop peur qu’elle attrape froid…
Sylvain sécha donc sa fille minutieusement, veillant à ne pas irriter sa peau si douce, la faisant rire de temps en temps juste comme ça, pour entendre les éclats stridents encore une fois. Elle ne contrôlait pas ses cordes vocales, et c’était sûrement le plus adorable dans tout ça… Il s’était assis sur les toilettes dont la lunette était fermée pour cela, gardant l’enfant sur ses cuisses.
Il prit son temps, parce qu’il aimait bien la voir sourire, emmaillotée dans une serviette, avant de lui enfiler son pyjama. Oh, il était bien trop fan de sa propre fille… Mais il n’en avait rien à faire. Elle lui apportait trop de joie pour ne pas l’aimer inconditionnellement.
Le père dut bien habiller l’enfant, au bout d’un moment. Il le vêtit d’un pyjama simple bicolore et la cala contre sa poitrine avant de sortir de la salle de bain. Immédiatement, Oslo les suivit en trottinant.
Quand iels arrivèrent dans le séjour, où se trouvait Pierre, celui-ci se figea, ses yeux rivés sur son ami.
« Elle t’as arraché ton t-shirt ou quoi ? blagua-t-il. »
Sylvain installa Mélissa dans la chaise haute qu’il avait apportée.
« Non, elle l’a trempé en jouant, répliqua-t-il. Elle trouve ça vachement amusant, l’eau qui vole. Surtout quand c’est sur papa, hein ? »
Il toucha le bout du nez de l’intéressée en lui souriant. Pierre rit.
« Si j’avais su que c’était ce qu’il fallait faire… »
Son ami se redressa tout à coup, lui jetant un regard de reproche amusé. Pierre leva les mains avec un air innocent.
« La ferme, toi, l’admonesta-t-il. »
Et Pierre la ferma alors, non sans un nouveau rire.
Mais c’était trop tard. Le cerveau et le cœur de Sylvain avaient déjà réagi au commentaire, une perche tendue pour lui : la chaleur engourdit ses muscles, les battements de son cœur s’accélère un peu, son imagination s’égare. Quand est-ce la dernière fois qu’il avait imaginé un corps contre le sien ? Mais… à quoi pensait-il enfin ?! Pierre venait seulement de lui faire une blague. N’empêche que lui le prenait comme un compliment, parce que ça faisait longtemps, ça lui manquait un peu. Il se laissa tomber sur une chaise, tout pensif, sous le regard de Pierre.
Sylvain se mit à tapoter un drôle de rythme sur la table, du bout des doigts. Il était silencieux, un moment de repos après les efforts lors du bain – il aimait ces moments, mais ça ne voulait pas dire que ce n’était pas fatiguant.
Soucieux, son ami lui présenta le saucisson qu’il avait coupé, laissant la planche à équidistance entre eux deux.
« Tu veux boire quoi ? questionna-t-il pour rompre le silence. Il doit me rester du pastis, je pense.
-Ah non, pas d’alcool, refusa-t-il poliment, levant la main. Mais je veux bien un Coca, ça va peut-être me réveiller… Je sais pas ce que j’ai, mais j’ai un gros coup de bar là… »
Il se frotta les yeux avec un soupir.
Mélissa, laissée sans attention trop longtemps à son goût, comment ça à taper du poing sur sa chaise haute. Son père ne réagissait pas, alors elle frappa plus fort. Il finit par se redresser, lui sourire, et tendre les mains vers elle.
« D’accord, d’accord, princesse, tu vas venir sur mes genoux. »
Il la sortit de sa chaise haute et la cala contre lui.
Pendant ce temps, Pierre était allé cherché une bouteille de Coca-Cola et deux verres, qu’il remplit en reprenant la conversation :
« Alors, ça s’est bien passé le bain ? A part le raz-de-marée sur ton t-shirt.
-Nickel. C’est vrai que c’est vachement plus pratique, merci… »
Sylvain lui lança un regard reconnaissant, bien que fatigué.
« Et Mélou s’est bien amusée, poursuivit-il. Hein, ma chérie ? »
Il baissa la tête vers elle et attrapa sa main pour la secouer, la faisant rire.
« Si t’as besoin d’aide pour le bain, la prochaine fois, n’hésite pas, proposa Pierre. T’as l’air claqué là…
-C’est pu—rée de fatiguant, ouais. »
Sylvain reporta son regard sur son ami avec un sourire.
Pierre attrapa son verre et en but quelques gorgées. Quand il le reposa, il prit quelques tranches de saucisson et les mangea.
« Je suis désolé que ça chamboule autant notre emploi du temps, s’excusa Sylvain après quelques secondes. »
Son ami fronça les sourcils.
« Bah c’est normal, répliqua-t-il avec simplicité. Et puis on a des épisodes d’avance et on n’a pas totalement arrêté non plus. On s’en sortira. C’est important la vie de famille, aussi. »
Disant cela, Pierre étendit le bras vers Mélissa et caressa sa joue, soulignant qu’il parlait d’elle.
Sylvain observa son ami faire avec une drôle d’impression. Oui, il avait raison, la vie de famille était importante. Restait à définir ce qu’était la famille pour lui, Sylvain Levy. Mélissa en faisait partie la première, bien sûr, et ensuite ? Il savait qu’il se mentirait à lui-même s’il disait que ce n’était qu’elleux deux. Non, Pierre était trop présent pour le virer de l’équation. De quoi Sylvain pouvait-il le qualifier, de tonton ? L’intéressé avait lui-même utilisé ce mot, après tout. Mais au fond de lui, l’autre homme savait que c’était encore inexact. Il n’y avait qu’à observer la façon que son ami avait d’interagir et de s’occuper de l’enfant.
Et Sylvain profitait de lui, de sa présence, si réconfortante et nécessaire. Où en serait-il sans lui ? Peut-être dans le même état que la mère… Il avait quelque chose qu’Emma n’avait pas : un soutien indéfectible et quotidien, ce qu’il aurait pu lui donner si les aléas de la vie ne les avaient pas séparés.
Il s’en voulait parfois, regrettait de ne pas être resté avec elle. Elle était sa dernière relation sérieuse. Entre-temps, il n’avait eu que quelques rendez-vous qui n’avaient mené à rien. Depuis que Mélissa était dans sa vie, plus rien. Il aspirait parfois à cette vie de famille stable, pour la petite : Sylvain, Emma, Mélissa. C’était plus simple, mais surtout impossible, il le savait.
Pierre n’avait cessé de jouer avec Mélissa, jusqu’à ce qu’il remarque l’absence de son ami. Il leva les yeux vers lui, exagérément penché sur la chaise qu’il avait déplacée pour se rapprocher.
« A ton avis, ton papa pense à quoi ? demanda-t-il à Mélissa, qui ne comprenait toujours pas. »
Et Sylvain non plus ne sembla pas comprendre. Son homologue passa une main devant ses yeux.
« Allô la terre, est-ce que vous me recevez monsieur Levy ?
-Hein ? »
Sylvain sursauta, clignant plusieurs fois des yeux. Il se redressa et raffermit sa prise sur sa fille. Pierre rit.
« Eh beh, t’étais parti loin. Qu’est-ce qui te préoccupe comme ça ?
-Toi, répliqua son interlocuteur sans trop y réfléchir. »
Ça, c’était une surprise.
Pierre se rassit correctement sur sa chaise, les sourcils froncés. Peut-être son cœur avait-il raté un battement, mais il ne l’avouerait jamais.
« Pardon ? »
Sylvain mit quelques secondes à réaliser et clarifia :
« Ah non mais. Attends, laisse-moi t’expliquer. Je repensais juste à ce que t’as dit, là, profiter de sa famille et tout ça. Et du coup je me suis demandé c’était quoi ma famille. Bien sûr il y a Mélissa, mais vu comment t’es présent, t’en fais partie aussi, et je sais pas trop quel rôle te donner… et puis j’ai repensé à Emma et—
-Est-ce qu’il me faut vraiment un rôle défini ? le coupa Pierre qui ne voulait pas d’un nouveau monologue névrosé. »
Ça lui arrivait trop souvent, ces derniers temps. Il n’y avait pas grand-chose de clair dans sa tête depuis quelques jours.
Sa diversion fut une réussite. Sylvain rit nerveusement et hocha la tête.
« T’as raison, c’est pas important. Tu veux la prendre sur tes genoux ? »
Il souleva l’enfant qui s’agitait et se penchait vers Pierre. Ce dernier la prit dans ses bras alors, l’installant sur son genou.
« Je crois qu’elle me donne pas trop le choix, de toute façon. Elle sait ce qu’elle veut ta gamine, hein ! Comme son père. Tu ressembles à papa, hein ? »
Il avait adressé sa dernière phrase à Mélissa, mais Sylvain l’avait très bien entendue. Son cerveau beugua un instant sur l’absence de possessif, mais il essaya de ne pas trop y réfléchir, observant seulement avec tendresse les deux personnes devant lui.
Sylvain et Mélissa restèrent chez Pierre toute la soirée, dînant là avant de repartir. Et ce genre de soirée se multiplièrent durant le mois qui suivit, pour le plus grand bonheur du jeune père. C’était nécessaire : voir quelqu’un d’autre, être délesté de quelques-unes de ses responsabilités, vider son sac quand il en avait besoin, se sentir aimé et soutenu…
Et pourtant, c’était toujours des visites à sens unique : Sylvain qui allait chez Pierre, jamais le contraire. Alors un jour, ce dernier décida qu’il rendrait visite à la petite famille, plutôt. Il arriva dans la matinée, garant son véhicule comme il le put aux abords de l’immeuble, grimpant les escaliers…
Sylvain lui ouvrit rapidement, Mélissa dans les bras. Il n’avait pas totalement fini de s’habiller, mais personne n’en fit cas. Les deux hommes se saluèrent seulement puis l’invité salua l’enfant, qui semblait à moitié endormie.
« Elle vient de se réveiller, expliqua Sylvain. Laisse-lui cinq minutes et un petit-déjeuner et ça ira mieux, elle sera toute pimpante. Nom de Dieu que je l’envie. »
Pierre éclata de rire à la blague et tendit les mains.
« Donne-la-moi, je vais m’occuper de sa purée, toi tu finis de t’habiller. »
Sylvain le remercia immédiatement avant de vite lui refiler le bébé. Il s’éclipsa ensuite dans la salle de bain.
L’enfant dans les bras, Pierre la nourrit et s’en occupa, assis sur le canapé, tandis qu’elle se réveillait tout doucement. Elle gigotait de plus en plus et vocalisait des sons presque cohérents – mais elle était encore loin de former des mots complets. Il lui parla, un peu, commentant l’état de la pièce dans laquelle il se trouvait – qui était plus en désordre qu’habituellement. Evidemment, Sylvain n’avait sûrement pas eu le temps de ranger dernièrement…
« T’en fais pas Mélou, je vais aider papa à ranger tout ça, tu pourras gambader partout sans te viander après ça. Enfin, gambader, on s’entend hein. A quatre pattes. »
Elle répondit par des syllabes, jouant avec son t-shirt en l’agrippant à pleines mains et tirant dessus. Pierre essayait de l’en empêcher sans être trop ferme, parce qu’il préférait jouer avec elle.
Sylvain réapparut au bout d’une quinzaine de minutes, complètement habillé, frais et dispo. Il récupéra Mélissa pour lui faire un câlin et pour déposer un bisou sur sa joue.
« Merci, Pierre. C’est un peu compliqué de tout géré.
-Je vois ça, répliqua le susnommé avec un léger sarcasme. »
Sylvain jeta un bref regard au bordel.
« Ouais, pardon, c’est pas hyper hospitalier de ma part mais—
-Pas de mais, va, je comprends. Si tu veux, je peux m’en occuper pendant que tu t’occupes d’elle ? proposa-t-il avec un sourire. »
Il éclata à nouveau de rire en voyant le visage de son ami s’illuminer.
« Mais je peux pas te demander ça !
-Bah t’es pas en train de me le demander, alors ça tombe bien. »
Il se leva avec une exclamation d’encouragement.
« Allez, si je m’y prends bien, j’aurais fini avant le déjeuner. Toi, tu fais ce que tu veux, tu te détends, tu t’occupes de Mélou, mais je veux pas te voir travailler. »
Et il se mit à ranger le bordel – le linge sale, en premier.
Sylvain l’observa instant, tenant toujours sa fille. Il était sous le choc, se disait qu’il ne méritait pas cette aide. C’était quelque chose qu’il était censé faire lui-même, non ? Il avait honte, un peu, mais la reconnaissance qu’il avait envers Pierre éclipsait ce sentiment. De bonne humeur, donc, il décida d’emmener la petite en balade, préparant donc la poussette. Il fut arrêté sur le palier par Pierre, qui lui tendait son écharpe.
« Tiens, mets ça, il caille à fond. »
Son ami le remercia un peu timidement en l’enfilant, avant de partir, le saluant plus chaleureusement. »
Seul, Pierre put se concentrer sur son rangement. Il lança une playlist aléatoire sur son téléphone et s’attela à la tâche ô combien immense. Ça ne le décourageait pas, il aimait bien ça, même. Il lança une machine de linge et une autre de vaisselle, dans la cuisine. Il nettoya certaines surfaces sales, rangea les affaires du bébé qui se multipliaient, et celles de Sylvain qu’il n’arrivait pas à garder sous contrôle.
Au final, ce fut très rapide, si bien que Pierre se décida à aller plus loin, entraîné par la musique : il fit les poussières, passa l’aspirateur puis lava le sol et suspendit les vêtements mouillés sortis de la machine sur l’étendoir.
Quand Sylvain rentra, son ami était en train de cuisiner tout en chantonnant les paroles de la chanson qui passait. Il était aux alentours de midi, il fallait bien commencer. Il n’entendit pas les deux autres entrer, cependant, comme il faisait dos à la porte et qu’il était trop concentré.
Sylvain le remarqua. Il se dépouilla de son manteau et de son écharpe, se réchauffant doucement, puis fit de même avec Mélissa qui était toute emmitouflée. Il laissa la poussette dans l’entrée – il la pliera plus tard. En attendant, il préférait observer l’œuvre de son ami, qui était époustouflante dans l’appartement avait changé.
Dans un second temps, Sylvain observa Pierre qui se déhanchait tout en mélangeant quelque chose dans une casserole. Il ne put retenir un rire qui lui fit tourner la tête. Sans se démonter, parce que le ridicule ne tuait pas, Pierre s’approcha de Sylvain et attrapa sa main libre, l’autre tenant Mélissa contre lui, pour le faire tourner. Celui-ci se laissa faire en riant et le rejoignit dans sa danse, comme il remarquait que ça rendait Mélissa heureuse.
« Ça fait combien de temps que t’as pas dansé ? demanda Pierre avec un brin de malice dans le regard.
-Tu sais que je danse jamais, Pierre, répliqua son homologue, la voix empreinte d’un faux ton blasé. »
Les deux hommes se calmèrent un peu, Pierre s’occupant de son repas et Sylvain s’appuyant contre le plan de travail.
« Et c’est bien dommage. Je vais te faire danser, moi ! s’exclama le premier. »
En quelque pas, il rejoignit l’autre homme et l’emporta à nouveau dans une danse sans queue ni tête et fort peu en rythme avec la musique qui passait.
Mais ce n’était pas grave, rien n’était grave, ils étaient juste heureux et ça faisait du bien. Sylvain ne se laissait pas souvent embarquer dans ce genre de bêtises, alors Pierre en profitait. Il y mit fin seulement quand le minuteur le rappela à sa préparation, et même après ça son ami continua à danser avec Mélissa, la petite étant vachement intéressée par la mélodie.
Comme Pierre avait bientôt fini leur déjeuner, Sylvain prépara celui de sa fille et lui donna juste avant de mettre la table. Les deux hommes s’y installèrent ensuite pour déguster le repas.
« Heureusement que tu me fais la cuisine de temps en temps, lança Sylvain. C’est trop bon.
-Oh, tu t’en sors bien aussi, répliqua modestement son ami.
-Ouais mais je fais que deux trucs en boucle. T’apportes de la variété dans mon régime. »
Ils rirent doucement, tous les deux.
« Je pourrais t’apprendre, si tu veux, proposa Pierre.
-Nan, j’aurais plus d’excuses après. »
Nouveau rire complice.
La discussion allait de bon train, comme souvent. Pierre remarquait déjà que le jeune père allait mieux, avec son aide. Oh, il avait toujours l’air crevé au possible, mais il était plus stable et disponible émotionnellement, plus souriant, et il ne pouvait pas s’empêcher d’être fier. A deux, rien ne pouvait les arrêter. Ça sonnait tellement bien dans sa tête… dommage que ce n’était pas exactement vrai. Il était conscient qu’il ne pouvait pas aider son ami partout…
S’il disait la vérité, il dirait qu’il en était absolument capable, de son côté. C’était quelque chose qu’il voulait donner depuis longtemps. Mais Sylvain ne serait jamais capable de le recevoir, il le savait, et Mélissa ne changerait pas cela, qu’importe à quel point ils se rapprochaient l’un de l’autre. Leur amitié faisait partie des choses immuables de ce monde, pour le meilleur comme pour le pire.
La semaine suivante, les deux vidéastes devaient tourner un nouveau Vultech. C’était prévu depuis des semaines, c’était préparé, Sylvain s’était arrangé pour que Marine vienne garder Mélissa… Seulement voilà : le matin même, alors qu’il attendait sa sœur, il reçut un appel de celle-ci.
« Sylve, je suis désolée, je pourrais pas venir, annonça-t-elle immédiatement. »
Un sursaut de panique bouscula le cœur du jeune père, mais il garda son calme.
« Comment ça tu peux pas venir ? demanda-t-il.
-Malo a un gros souci, je dois l’emmener chez le vétérinaire et c’est la grosse galère. Je suis vraiment désolée, j’aurais préféré ne pas te laisser tomber comme ça, mais je peux pas faire autrement. »
Il passa une main sur son visage en soupirant.
Mélissa, assise par terre face à lui, s’impatientait que son papa ne joue plus avec elle. Elle agita les bras en geignant, l’observant. La pauvre n’était pas consciente qu’elle augmentait le stress de son père en faisant cela, elle voulait seulement son attention…
« Ok et je fais quoi, moi, du coup ?
-Je sais pas, tu peux pas appeler une baby-sitter ? proposa Marine avec douceur. »
Elle n’était pas dupe, elle entendait bien la frustration de son frère même à travers le téléphone, et elle savait combien il pouvait avoir du mal à la gérer.
« Un dimanche ? En urgence ? Ouais je suis pas dans la merde… Pardon Mélissa, n’écoute pas. »
Il attrapa sa main pour l’apaiser.
Marine réfléchit un instant, comprenant le désarroi de son frère, puis une illumination lui vint. Elle s’exclama :
« T’as qu’à appeler Pierre, vous trouverez une solution… non ? »
Un silence au bout du fil, puis une réponse simple :
« T’as raison. Je vais te laisser… Tu me donnes des nouvelles pour Malo ?
-Ouais, et toi pour Mélou ? »
Il accepta avant de raccrocher.
Sylvain resta assis là un moment, à observer Mélissa jouer avec ses doigts, essayant de rassembler le courage nécessaire pour appeler Pierre. Il trouva son contact rapidement – de toute façon, il était dans ses favoris – et cliqua sur le bouton pour téléphoner. Une sonnerie. Deux sonneries. Pierre décrocha.
« Salut Levy, tout va bien ? J’allais partir de chez moi, là, l’informa-t-il.
-Marine peut pas garder la petite, je sais pas quoi faire, lança-t-il rapidement, la voix emprunte de stress. »
Pierre ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait, sûrement. Sylvain n’angoissait que plus.
Après quelques secondes, Pierre trancha avec calme, sans animosité aucune, ce qui faisait du bien à son ami :
« Amène-là. Je fais rien derrière la caméra pendant les Vultech. Enfin, j’ai pas grand-chose à faire. Je pourrais la surveiller dans son siège.
-Tu me sauves, merci, souffla Sylvain.
-T’as pas à t’en faire, on aurait trouvé une solution, le rassura son interlocuteur. Bon, ramène toi maintenant, je veux bien que tu ramènes ta gosse mais pas que tu sois en retard, je suis déjà dans ma caisse moi. »
Sylvain rit, parce qu’il savait qu’il n’y avait que de l’affection derrière ces reproches. Il le remercia une dernière fois avant de décrocher.
Le jeune père fut plutôt rapide pour rassembler les affaires nécessaires et tout installer dans sa voiture, lui y compris. Mélissa se trouvait dans son siège, bien en vue, il était prêt à partir. Il démarra et élança son véhicule en direction du garage, espérant ne pas finir en retard – mais cela ne dépendait pas de sa seule conduite.
Sylvain n’arriva presque pas en retard sur le lieu de tournage. Pierre était déjà là, à gérer la technique et à installer le matériel. Quand son ami entra, il se tourna vers lui avec un air moqueur.
« Qu’est-ce que j’avais dit ? lui reprocha-t-il avec un sourire.
-Tais-toi. Je sais, j’ai fait ce que j’ai pu, ça n’arrivera pas la prochaine fois, se justifia le jeune père.
-Comme à chaque fois. »
Mais Pierre ne s’énervait pas. Il le savait, il s’en fichait à force. Et puis devoir gérer un bébé en plus ne devait pas être simple pour lui, alors il le laissa tranquille à ce sujet.
Les deux hommes se saluèrent donc et immédiatement après, Pierre se pencha par-dessus le siège auto pour saluer Mélissa :
« Salut toi, t’es prête à passer un moment avec tonton Pierrot pendant que papa travaille ? »
Sylvain rit en l’entendant, un rire moqueur, mais il ne fit aucun commentaire. En faire serait prendre le risque qu’il arrête et il ne voulait pas ça, pour rien au monde.
Sylvain se plaça donc face à la caméra, prêt à tourner. Son collègue, comme toujours pour ces tournages, se trouvait derrière à ajuster les derniers réglages. Après une introduction des plus chaotiques, il laissa le présentateur de l’émission débiter son texte et vaqua à ses occupations, à savoir surveiller Mélissa.
L’enfant semblait particulièrement intéressée par ce que faisait son père et voulait le rejoindre, se penchant, prête à ramper. Pierre l’en empêcha d’une main, la forçant à se rallonger. Il lui murmura :
« Non, non, non, tu ne vas pas embêter papa et tu vas rester avec moi, d’accord ? Il est en train de travailler, je sais qu’on dirait pas mais c’est un truc très sérieux, alors il faut le laisser faire. Je suis sûr que tu lui manques aussi, allez, rallonge-toi. »
Mais Mélissa ne l’entendait pas de cette oreille. Elle laissa tomber sa tétine et se mit à geindre. Des plaintes faibles d’abord, elles devinrent rapidement plus bruyantes.
Sylvain dut s’arrêter dans son monologue, jetant un regard peiné à sa fille. Bah oui, il aimerait bien s’occuper d’elle, mais il ne pouvait pas…
« T’inquiète pas, le rassura Pierre, je contrôle, attends. »
Il détacha la petite fille de son siège et la prit dans ses bras pour jouer avec elle. La portant, il imita le vol d’un avion pour calmer ses pleurs, ce qui fonctionna.
Sylvain put donc reprendre. Il était à peine à la moitié de son argumentaire qu’il entendit un éclat de rire venant de sa droite, bien plus loin, où Pierre et Mélissa se trouvait. Le premier était assis par terre en tailler, tenant la seconde contre lui, entre ses jambes. Il lui lisait à voix un livre que le père avait ramené parmi d’autres jouets, mais la gamine semblait plus intéressée par la destruction dudit livre que son contenu lu par sa nounou.
« Hey, arrête Mélou, non, pas bien ! Méchant bébé ! »
Sylvain entendait mal la voix de son ami, mais il comprit très bien ce qu’il venait de dire tant il l’avait entendu dirigé vers Oslo. Il éclata de rire.
« Si tu pouvais éviter de traiter ma fille comme ton chien, ce serait sympa, merci, lui cria-t-il.
Pierre se retourna, l’air étonné et innocent, se défendant :
« Oui bah qu’elle ait pas le même comportement qu’Oslo, du coup ! »
Le papa secoua la tête et lui signifia d’un signe de la main qu’il abandonnait. Soit, il avait une vidéo à tourner.
Il approchait de la fin quand il entendit un nouvel éclat de rire venant à la fois de Pierre et de Mélissa, mais il essaya de l’ignorer, se coupant quelques secondes avant de reprendre sa phrase. Cependant, son regard glissa sur sa droite. Il vit alors la petite fille assise sur les épaules de son ami, il la tenait de ses deux mains et semblait lui faire visiter le garage à hauteur d’un mètre quatre-vingt-dix environ. Elle semblait parfaitement heureuse de cela. Il ne put s’empêcher de sourire et de les observer quelques secondes durant lesquelles il oublia même la caméra. Les mains sur les hanches, les mots qu’il voulait prononcer s’envolant de son esprit, il profita simplement de voir son meilleur ami et sa fille s’amuser.
Pierre se tourna vers lui avec un air ahuri et lui demanda comme si de rien n’était :
« Bah… Pourquoi tu t’es arrêté ? T’as déjà fini ?
-Non, bientôt… J’ai été déconcentré. »
Il sourit une dernière fois aux deux énergumènes avant de revenir à son propos, dont il eut du mal à retrouver le fil.
La vidéo bouclée, Sylvain récupéra sa fille d’où elle était perchée – des épaules de Pierre, donc, qui semblait adorer l’avoir là-haut. Son collègue s’occupa de ranger pendant que lui câlinait sa fille et la couvrait de baisers pour la faire rire et sourire, ce qui était de bien plus jolis sons que ses pleurs au début du tournage.
Quand il eut fini, Pierre approcha et s’assit près de son ami avec un soupir, histoire de se poser un peu après le rangement.
« Tu vois, je m’en suis super bien sorti, meilleur baby-sitter. Pas vrai Mélou ? »
Il prit sa main et mima un high-five qui fit rire le père.
« Ah mais je n’en doutais pas monsieur Chabrier. T’as bien remarqué que j’ai pas accouru quand tu l’avais sur tes épaules, fit-il remarquer.
-C’est vrai, acquiesça Pierre. Je m’y attendais pas, en vrai. Peut-être que tu me fais confiance au final. »
Mélou babilla en tendant la main vers lui. Il lui prit et la caressa, lui adressant un sourire.
« Evidemment que je te fais confiance, Pierre, confirma Sylvain d’une voix douce. »
Le susnommé ne répondit pas, malgré le petit sursaut de son cœur. Il ne dit rien et se concentra seulement sur l’enfant, tout comme son homologue. Oui, il valait mieux ne pas faire de commentaire.
Pendant la semaine qui suivit ce tournage, Sylvain apporta un nouveau sac de vêtements lui appartenant ainsi qu’à l’enfant chez son ami qui l’hébergeait. Pierre leur avait fait encore un peu plus de place, laissant à Mélissa tous les rangements de la chambre d’amis – qui était complètement devenue sa chambre – et à Sylvain le tiers de son armoire, jusqu’ici. Ça allait sûrement évoluer à nouveau, étant donné qu’il ramener chaque semaine plus que ce dont il avait besoin…
Bref, il était dix-huit heures et Sylvain était installé dans le canapé, la petite sur les genoux, à regarder la télé sans trop d’intérêt. Pierre se posta devant lui, debout.
« Faut qu’on aille faire les courses, lança-t-il.
-Mais tu peux pas y aller tout seul ? demanda sincèrement le jeune père en se redressant pour lever les yeux vers lui. Comme ça je garde Mélou.
-Non, j’ai presque plus rien dans les placards parce que maintenant, au lieu d’être seul, on est trois genre, 80% du temps, alors la bouffe suit pas, expliqua Pierre. »
Sylvain se leva alors, tenant Mélissa contre lui.
« Et on fait comment pour elle ? questionna-t-il alors que son interlocuteur était déjà parti enfiler ses chaussures.
-Bah on la prend, répliqua-t-il simplement. T’as ramené le porte-bébé, non ? »
L’autre homme hocha la tête en le rejoignant dans l’entrée.
Sylvain mit le bébé dans les bras de son ami pour enfiler ses chaussures à son tour.
« Je l’ai pris, mais il est toujours un peu trop grand pour moi. Apparemment c’est fait pour des gens d’un mètre quatre-vingt ou je sais pas quoi… râla-t-il. »
Pierre hausse les épaules.
« Bah je le mettrai, c’est pas grave. Peut-être il m’ira à moi. »
Et ces bonnes paroles scellèrent la discussion : ils étaient prêts à partir.
Le supermarché n’était pas loin, mais suffisamment pour qu’il soit nécessaire de prendre la voiture – surtout avec un bébé pendant les derniers mois de l’automne. Les deux hommes s’y rendirent donc avec la voiture de Sylvain, qui était plus simple à manœuvrer et contenait déjà le siège auto.
En en sortant, Pierre enfila le porte-bébé sous son manteau et y installa Mélissa, qui était calme pour une fois. Elle devait commençait à fatiguer, la pauvre…
« Et voilà ! s’exclama Pierre en se tournant vers son ami. »
Sylvain lui jeta un regard en souriant.
« Pas trop petit ?
-Non, parfait, sourit Pierre. Et Mélou est super bien installée ! »
Le père rit en entendant son enthousiasme et alla prendre un caddie.
Tous deux se rejoignirent devant la porte d’entrée et pénétrèrent ensemble à l’intérieur. Sylvain n’avait qu’une vague idée de ce qui était nécessaire et ne connaissait pas très bien ce supermarché, alors il se laissa guider à travers les rayons par un Pierre plus que motivé. Le caddie se remplit rapidement.
Mélissa se mettait à geindre parfois et Sylvain était toujours le premier à réagir, interagissant avec elle pour la calmer alors qu’elle était prostrée contre le torse de Pierre. Il remarquait quelques regards indiscrets de la part d’autres clients, mais rien qui ne l’alarmait. Il se demandait simplement pourquoi, car ça l’étonnait qu’autant de cinquantenaires les reconnaissent… Il entendit même l’exclamation chuchotée d’une dame à son mari :
« Ils laissent vraiment tout passer, aujourd’hui ! »
Tout en le fixant d’un œil mauvais. Il ne comprenait pas.
Et puis tout à coup il comprit. Il comprit très bien, même, en jetant un regard à Pierre, et il éclata de rire. L’autre homme, qui n’avait rien remarqué, se retrouva fort étonné par son rire et lui lança un regard interrogateur.
« Y’a quoi de drôle ? Je suis juste en train de chercher une marque de sauce tomate. »
En effet, il tenait un pot dans une de ses mains. Sylvain rit de plus belle, se penchant sur la poignée du caddie, posant son front contre ses bras croisés.
« Les gens te regardent bizarre là, et je les comprends. Pourquoi tu te marres ? réitéra Pierre.
-Il nous regarde pas bizarre parce que je ris, Pierre. Regarde-nous. »
Le susnommé obéit, mais ne voyait pas le problème. Sylvain l’explicita alors, une fois son fou rire calmé :
« On dirait une sortie en famille.
-Et c’est pas le cas ? interrogea Pierre innocemment. »
Son interlocuteur releva la tête, le coude appuyé sur le caddie et la tête contre sa main, un sourire en coin.
« Si, si, une super sortie en famille, ouais.
-J’aime pas ton sarcasme, ajouta Pierre. »
Il posa le pot de sauce dans le chariot et passa à autre chose, regardant d’un air mauvais le petit sourire narquois de son ami.
Alors que la petite famille attendait dans la file d’une caisse, Sylvain croisa le regard de la vieille de toute à l’heure, qui empêcha son mari d’avancer vers eux.
« Viens André, on va changer de caisse, lança-t-elle haut et fort. »
Ledit André fronça les sourcils et bredouilla :
« Mais… c’est la file la plus courte ! Ah non, je n’vais pas faire la queue là-bas.
-On va s’éloigner d’eux mon André, insista la vieille. »
Interpelé, Pierre tourna la tête et la remarqua enfin. Il se pencha vers Sylvain qui lui faisait presque dos et murmura dans son oreille :
« Elle parle de nous là ?
-Ouais, acquiesça l’autre. Parce qu’on dirait une famille, justement. »
Au son de sa voix, on entendait son mépris pour la dame.
Pierre eut une seconde d’absence avant de comprendre, enfin. Il s’exclama alors, peut-être un peu fort :
« Ah mais c’est pour ça ton fou rire de tout à l’heure ? »
Sylvain lui sourit et hocha la tête.
« Pauvre petite ! s’écria plus fort la dame en voyant la main de Pierre caresser les cheveux du bébé. »
L’homme fronça les sourcils et cacha l’enfant presque par réflexe, tournant le dos à l’importune.
Mais Sylvain, lui, avait envie de jouer. Il se redressa de la poignée du caddie sur laquelle il était appuyé et, regardant le vieux couple s’éloigner, il répondit :
« Vous avez raison, on risque de contaminer André, on sait jamais. »
Le susnommé leva la tête – il ne comprenait définitivement rien à ce que sa femme disait, et il comprit encore moins quand Sylvain lui fit un signe de la main, accompagné d’un clin d’œil. Ça dégoutait un peu le jeune homme, mais l’outrage de la vieille en valait la chandelle. Il arborait un sourire fier en se tournant vers Pierre, le voyant rire dans sa barbe.
« C’est un magasin de dépravés ici ! Je ne reviendrai plus.
-Mais on va faire nos courses où Josie ? s’interrogea son mari immédiatement.
-Ailleurs ! »
Il haussa les épaules et soupira. Pierre et Sylvain échangèrent un regard et éclatèrent de rire en même temps, le premier posant sa main sur l’épaule du second.
En sortant du magasin, les courses payées, Mélou tenait la main de tonton Pierre et essayait de la porter à sa bouche. Celui-ci la laissait faire. Il se tourna plutôt vers Sylvain et lança la conversation :
« Je pensais pas qu’on croiserait des homophobes dès notre première sortie à trois. Et je pensais pas que tu lui aurais répondu.
-Elle me faisait trop—elle m’embêtait trop. Fallait que je fasse un truc, c’était trop tentant. »
Il rit doucement en apportant le caddie contre le coffre de la voiture.
Pierre ne répondit rien, mais il n’en pensait pas moins : il avait trouvé ça très drôle et divertissant, bien que personne n’ait réagi autour d’eux. Bordel, Sylvain n’avait honte de rien. C’était ça le plus drôle, sûrement. Il le laissa charger le coffre pendant que lui allait installer l’enfant dans son siège. Elle était en train de s’endormir contre lui et la bouger ne la réveilla pas. Pierre eut un sourire tendre en la voyant assoupie, il la trouvait adorable. Il déposa un bisou sur son front et caressa ses cheveux avant de refermer la portière et de rejoindre son ami pour l’aider.
Tous les trois purent ensuite rentrer à la maison, où Oslo leur fit la fête et Mélissa se réveilla enfin de sa petite sieste.
Pierre s’installa à la cuisine, commençant à découper quelques légumes pour le repas. Sylvain prit sa fille dans ses bras et prévint son ami :
« Je vais lui donner son bain avant de manger, sinon elle va s’endormir pendant. »
Immédiatement, Pierre posa son couteau et se lava les mains.
« Ah bah attends, je vais venir t’aider. Comme ça tu pourras m’aider pour la cuisine après, le taquina-t-il. »
Sylvain soupira, un sourire résigné aux lèvres, pris au piège.
« Ok, je t’aiderais. »
Et l’autre homme le suivit donc dans la salle de bain.
Sylvain s’installa de la même manière que la dernière fois : à genou à côté de la baignoire, penché par-dessus le rebord.
« Tu veux que je m’assoie sur le rebord au bout ? demanda Pierre en pointant l’endroit dont il parlait. »
Sylvain suivit la direction du regard avant de lever les yeux vers lui.
« Mais tu vas faire comment pour ton pantalon ?
-Je l’enlève. A moins que tu veuilles pas, dans ce cas je me mets à côté de toi, proposa Pierre. »
Sylvain considéra la maigre place à côté de lui et secoua la tête.
« Nan, c’est bon, accepta-t-il. Moi je vais enlever mon t-shirt sûrement.
-Oh bah sinon t’iras te changer, avec tes quarante-cinq t-shirts et chemises dans mon armoire, se moqua son interlocuteur. »
L’autre rit également mais ne répondit pas, il préféra se concentrer sur sa fille que de répondre à d’aussi grossières – mais vraies – accusations.
Pierre retira donc son pantalon et ses chaussettes et s’installa sur le rebord de la baignoire. Effectivement, ça ne semblait pas être la première fois qu’il faisait ça. Quand il fut installé, il tint la petite en place pour que Sylvain retire son haut. L’enfant s’agrippa au mollet de l’homme et ce dernier grimaça.
« Ah pu—rée, elle a des ongles la petite, se plaignit-il. Eh, Mélou, rentre tes griffes. »
Le père rit et attrapa les poignets de l’enfant pour la faire lâcher, en vain.
« Allez chérie, lâche tonton Pierre, il a rien fait pour mériter ça. »
Mais Mélissa ne répondit qu’avec une exclamation frustrée, déjà contestataire, et eut le réflexe de tenir Pierre plus fort.
« Ah merde ! Arrête, elle veut pas lâcher, c’est bon, lâcha-t-il avec douleur.
-Merde, ça va ? s’inquiéta Sylvain. Elle t’a griffé ?
-Ouais mais c’est rien, t’inquiète. C’est pas grave, elle va rester accrochée telle une sangsue, rigola l’autre homme. »
Il se prit un regard blasé de la part du père.
« Je te serai gré d’arrêter de comparer ma famille à un animal, et surtout à une sangsue. »
Pierre ne répondit pas, mais rit de plus belle.
Pendant que Sylvain lavait Mélissa, Pierre s’occupait de jouer avec elle, et ils inversèrent quand ce fut au tour de ses cheveux, puisque le second avait une meilleure position pour les laver. Souvent, la gamine s’amuser à les éclabousser et voulait s’éloigner d’eux, partir en vadrouille – au moins la baignoire n’était pas grande pour cela.
Par moment, les deux hommes s’échangeaient des regards complices, faisaient des blagues ou les idiots pour faire rire la petite… Ils prenaient tous deux leurs rôles de gardiens très au sérieux. Et puis pendant qu’il rinçait sa fille, Sylvain lança sur le ton de la discussion :
« Merci vraiment, Pierre. Je sais pas où j’en serais sans toi. »
Le susnommé, qui tenait les mains de Mélissa pour jouer, se figea et se redressa, lançant un regard étonné à Sylvain.
Pierre prit le temps de l’observer un petit moment : ses cheveux trop longs en bataille – d’habitude, il ne les laissait jamais atteindre cette longueur – ses cernes, son teint pâle, ses petits yeux, les muscles de son cou et des épaules tendus, qui le faisaient parfois grimacer, ses soupirs, ses éclats de rire fatigués ou nerveux… Si, en l’aidant, Sylvain ressemblait à cela, alors il ne voulait vraiment pas savoir où il en serait seul, effectivement.
« Te lève pas cette nuit, répliqua-t-il. »
Et comme ça n’avait rien à voir avec ce qu’il venait de dire, l’autre homme ne fit que s’exclamer, confus.
« Si elle pleure, dort. Je m’occuperais d’elle, sourit Pierre. Mais toi, t’as besoin de dormir.
-Toi aussi t’as besoin de dormir, contra le père en haussant les épaules. »
Il se détourna de la baignoire après en avoir vidé l’eau pour récupérer la serviette de Mélissa.
« C’est ma fille, c’est à moi de me lever. »
Il déplia la serviette sans lancer un regard à son ami.
Celui-ci se sentit piqué par la remarque : Sylvain sous-entendait que, comme Mélissa n’était pas sa fille à lui, Pierre, alors il ne devait pas s’en occuper, jusqu’à l’insomnie en tout cas. Ça partait d’une bonne intention, très bonne même, c’était adorable de sa part de toujours vouloir prendre la responsabilité. Mais c’était aussi très con et, vu comment Pierre s’occupait de Mélissa, elle pouvait très bien être sa fille aussi. Mais il ne verbalisa aucune de ses pensées et leva seulement le bébé, pour que Sylvain l’enveloppe de la serviette.
« Et voilà princesse ! s’exclama-t-il en la frottant avec énergie, la faisant rire. »
Pierre resta assis là, à les regarder avec un petit sourire, un peu triste cependant.
Le père s’assit sur les toilettes fermées, sa fille sur les genoux, et tendit une serviette à l’autre homme pour qu’il puisse se sécher les jambes et remettre son pantalon. Pierre s’en saisit en le remerciant et essuya ses mollets et ses pieds. Il remarqua alors quelques gouttes de sang.
« Ah merde ! s’exclama-t-il par réflexe.
-Les insultes, Pierre, le reprit mécaniquement Sylvain sans le regarder – il était trop concentré sur la tâche de sécher sa fille avant de l’habiller. »
Le susnommé s’excusa en se levant. Il attrapa la trousse à pharmacie dans le meuble-vasque et se rassit sur le bord de la baignoire.
Sylvain suivit son geste du regard et s’en inquiéta.
« T’es blessé ? interrogea-t-il.
-Je pense que c’est juste une griffe, mais flemme d’avoir du sang sur mon jean, expliqua Pierre en sortant un pansement de la trousse.
-Attends, fais-moi voir, je vais te le mettre. »
L’homme cala l’enfant contre son torse et tendit une main vers son ami. Il se saisit du pansement pendant que Pierre se retournait, levant sa jambe blessée. Avec une poigne ferme, Sylvain attrapa la cheville de son homologue et posa son pied juste à côté de sa propre jambe, l’obligeant à sautiller pour ne pas perdre l’équilibre à cause de la surprise.
Rapidement, le pansement fut placé et Sylvain se pencha pour embrasser la zone avant de lâcher son ami.
« Et voilà ! »
Pierre éclata de rire en se tournant vers lui.
« C’était quoi, ça ?
-Un bisou qui guérit, répliqua Sylvain comme si ça allait de soi. »
Pierre secoua la tête avant d’attraper ses chaussettes pour les remettre, puis son pantalon.
Une fois rhabillé, il lissa son t-shirt, dont le bas était mouillé malgré tout, et posa ses mains sur ses hanches.
« Allez, le dîner va pas se faire tout seul. »
Il tendit les bras vers l’enfant pour la prendre et laisser Sylvain remettre son haut. Puis les deux hommes déposèrent l’enfant dans son berceau d’appoint, dans le salon, et se dirigèrent vers la cuisine.
Ils pouvaient la voir d’où ils étaient, ce qui rassura Sylvain, qui lui lançait parfois des regards en écoutant vaguement les instructions de son chef de cuisine : Pierre. Lui, petit commis, faisait de son mieux pour suivre ses gestes, mais il fallait dire que ce n’était pas toujours facile. L’autre le remarqua et lâcha ce qu’il faisait pour passer un bras autour des épaules de son apprenti. Il se saisit de ses mains et lui montra le geste ainsi. Seulement, Sylvain eut du mal à l’écouter, figé à cause du contact et de la proximité de son ami. Il fit de son mieux pour reproduire le geste.
« Eh bah voilà ! Tu vois que tu peux le faire, le félicita Pierre. Mais t’as pas un truc pour tes cheveux ? Tu dois voir que dalle avec.
-Il y a un serre-tête dans le sac, répliqua Sylvain sans bouger – non, il devait finir de découper cette carotte.
-Ok, j’ai compris, je vais le chercher, soupira Pierre. »
Il essuya ses mains dans son tablier et alla fouiller dans le sac. Il y trouva un serre-tête noir en dent de scie et l’apporta à son ami, qui ne bougea toujours pas. Il soupira à nouveau et le plaça avec précaution sur son crâne, puis il se pencha pour vérifier qu’il avait bien attrapé toutes les mèches. Il sourit.
« T’es mignon comme ça. »
Puis il reprit son activité de plus tôt comme si de rien n’était, alors que Sylvain bégayait, fier de lui.
Les deux hommes mangèrent à la table de salle à manger, face-à-face, comme ils le faisaient si souvent maintenant. Ils discutaient de tout et de rien pendant ce temps-là, souvent du boulot, presque toujours dans la bonne humeur.
Sylvain n’avait pas retiré le serre-tête, et son ami l’avait bien remarqué. Il lui lançait quelques regards sans rien dire, souriant seulement. Au bout d’un moment, il ne put s’empêcher de faire une remarque :
« Ça te va bien, ton truc.
-Hein ? Quel truc ? demanda l’autre homme, confus.
-Ton serre-tête. »
Sylvain réalisa enfin qu’il l’avait et se dépêcha de le retirer. Pierre fit la moue.
« Bah… je préférais avant… râla-t-il d’une petite voix. Ça te va bien les cheveux en arrière. »
L’autre homme rougit et rit nerveusement. Qu’est-ce que Pierre avait ce soir, à le complimenter comme ça ?
Il passa une main dans ses cheveux, les plaquant en arrière justement. Pierre suivit le mouvement du regard, avant de baisser la tête vers son assiette, comme s’il venait d’être pris sur le fait. Décidément, il avait un comportement étrange…
Après le repas, une fois Mélissa nourrie et couchée, Sylvain et Pierre se retrouvèrent dans la chambre de ce dernier pour se changer. Mais le second avait une idée en tête et arrêta son ami alors qu’ils se trouvaient tous les deux en sous-vêtements – ils avaient appris à se passer de la pudeur. Juste une main sur son épaule, qui le tenait fermement.
« Ça va ? »
Une simple question qui contenait beaucoup d’autres interrogations que Pierre ne voulait pas verbaliser. Mais il n’en avait pas besoin, Sylvain comprenait. Ce dernier se figea, laissa retomber ses bras de chaque côté de son corps, mais il n’était pas détendu pour autant. Son ami le sentait.
Pierre guida l’autre homme vers le lit et le fit asseoir là, face à lui, attendait une réponse, le questionnant du regard.
« Je suis là si tu as aussi besoin de parler, pas juste pour Mélissa, tu sais, insista-t-il. »
Sylvain soupira et se lança :
« J’ai des courbatures. Je sais que je suis trop tendu en ce moment, et que je dors pas assez… enfin, je dors jamais assez. Mais là encore moins, du coup. J’ai peur de—j’ai peur de pas être à la hauteur, si je me repose sur mes lauriers. Et j’ai peur… je sais pas, de me retrouver seul, comme elle ? Parce que je sais que je ne ferais pas mieux. »
Pierre pinça ses lèvres, soucieux, inquiet. Il n’avait pas les mots juste pour aider son ami, il aurait aimé les avoir.
Il ne lui restait qu’une chose : les gestes. Ça, il les avait. Il tendit la main vers Sylvain en demandant :
« Tu veux un massage ? Si ça peut t’aider à te détendre. »
Sylvain rit nerveusement. Il eut l’idée, l’espace d’un instant, de refuser. Heureusement, il se ravisa et se retourna, parce qu’il savait qu’il en avait besoin.
Pierre posa ses mains sur ses épaules et les pressa doucement, testant la douleur et la tension. Elles étaient étonnamment chaudes, ses mains, contrairement aux siennes toujours froides. Le premier contact le fit presque gémir, sa tête dodelinant doucement alors qu’il essayait de relâcher la tension dans ses muscles.
« Eh beh, ça fait combien de temps qu’on t’a pas touché ? se moqua Pierre.
-Des mois, soupira Sylvain. »
Son ami reprit son sérieux pour l’interroger un peu plus :
« Ça te manque tant que ça ?
-Quoi ? lança Sylvain, un peu confus.
-De partager ton intimité avec quelqu’un, expliqua Pierre. Ça te manque beaucoup ? »
L’autre homme resta silencieux un instant, en pleine réflexion. Pierre le laissa réfléchir, le massant toujours, ses mains descendant sur ses omoplates.
Il n’y avait jamais vraiment pensé. En endossant son rôle de père, Sylvain avait consciemment ou non abandonné celui d’amant, qui lui permettait pourtant de recevoir de l’affection. Oh oui, cette affection lui manquait tant, et il n’osait pas la rechercher avec Pierre, qui semblait pourtant prêt à lui offrir. Timidement, il avoua :
« Oui, ça me manque… J’y avais pas trop réfléchi jusqu’ici. Faut dire que j’ai des responsabilités, maintenant. »
Il rit doucement, pour faire passer ça pour une blague.
Les mains de Pierre arrivaient au milieu de son dos et il soupira de nouveau, se courbant légèrement.
« Et tu veux retenter Tinder ? questionna le masseur d’un soir.
-Ça ne m’intéresse plus vraiment, répliqua rapidement Sylvain.
-Mais tu veux faire comment, sinon ? Sortir en boîte ? Attendre que ça te tombe dessus ? »
Il y avait une légère amertume dans la voix de Pierre, de la peur peut-être, de l’appréhension.
Sylvain tourna la tête vers son ami, comme pour le rassurer. Il lui sourit doucement, ses yeux descendirent un peu plus bas que son visage…
« Je ressens pas le besoin de ça, précisément, expliqua-t-il. »
Et, pour appuyer son propos, il se décala vers l’arrière, se rapprochant de Pierre. Celui-ci comprit et laissa ses mains s’égarer sur les hanches de l’autre avec un petit sourire.
« T’es là, continua Sylvain. Je… c’est suffisant, si tu veux bien…
-Ce que tu veux, répliqua son homologue sans le laisser finir, lui arrachant un sourire. »
Le moment n’appartenait qu’à eux. Il était assez tard pour justifier toutes les dérives, même lorsque Sylvain pencha suffisamment sa tête en arrière pour la poser contre l’épaule de son ami, même lorsque Pierre embrassa son épaule et lui murmura :
« Montre-moi. »
Même encore lorsque Sylvain répondit en posant ses mains sur les siennes et en les guidant sur son ventre et sa poitrine. Pendant un bref instant, il voulut lui demander de l’embrasser aussi, avec la même douceur avec laquelle il avait embrassé sa peau, mais il n’en eut pas le courage. Les mots restèrent bloqués dans sa gorge et il les laissa là. Tant pis.
Sylvain avait fermé les yeux. Il ne savait pas depuis combien de temps Pierre touchait son corps, le massant encore parfois, mais il s’en foutait. Il ne voulait pas que ça s’arrête, sans forcément que ça aille plus loin. C’était suffisant, le contact de ces grandes mains chaudes, un peu abîmées, sur sa peau tendre et délicate. Il se sentait fragile entre ses bras, et c’était bon. Il voulait être vulnérable, encore un peu, laisser les responsabilités aux autres, être délesté des siennes, et profiter seulement. Pierre pouvait lui donner ça, et il espérait sincèrement qu’il le voulait aussi. Il ne savait pas ce qu’il adviendrait de lui sinon. Oh, il ne lui dirait pas pour autant, c’était un secret trop honteux à avouer.
Pierre appréciait ce moment intime et tendre, il en profitait de peur qu’il ne se représente pas de nouveau. Sylvain n’était pas intéressé par les rencontres, certes, mais pour combien de temps ? Il se doutait qu’il n’était pas son choix numéro un, sans savoir ce qu’il pensait vraiment. Mais lui non plus n’allait pas en parler : toujours cette histoire de honte et de secret.
« Attends… »
Pierre n’avait presque pas entendu le murmure de son ami. Il se stoppa, soulevant ses mains pour laisser à l’autre le loisir de faire ce qu’il voulait, de partir s’il le souhaitait. Sylvain sembla hésiter un instant, avant de se redresser. Il n’alla pas loin cependant, il se retourna seulement et considéra son homologue, dans la même tenue que lui.
« Merci, chuchota encore Sylvain qui ne voulait décidément pas se faire entendre. »
Il passa ses bras autour du cou de Pierre et embrassa sa joue. Plusieurs fois. Puis sa mâchoire. Et son cou. Son épaule enfin. Des baisers terriblement doux qui délogèrent de sa cage thoracique le cœur de Pierre. Il ne comprenait pas trop ce que son ami était en train de faire, où il voulait aller avec cette étroite embrassade et ces baisers. Sa peau le brûlait, le démangeait…
Dans le doute, ne rien faire. Il répondit à l’étreinte, l’enlaçant par la taille, et se laissa embrasser sans aller plus loin. Les gestes de Sylvain dépassaient toutes les limites qu’ils avaient pu fixer plus ou moins tacitement dans leur amitié, sans que cela ne dérangeât Pierre. C’était tout ce qu’il attendait depuis un moment maintenant, il n’avait pas le cœur à se refuser ça.
Doucement, Pierre tira son ami au fond du lit, et tant pis pour les pyjamas qu’ils mettaient habituellement. Il gardait son corps contre lui en s’allongeant, ajustant l’oreiller sous sa tête d’une main. Sylvain redressa la tête pour croiser son regard. Il avait l’air terriblement fatigué mais surtout terriblement craquant, avec son petit sourire en coin et son air épanoui. Pierre avait du mal à résister, il voulait l’embrasser. Il opta pour sa joue à la place, lui souhaitant bonne nuit. Il éteignit la lampe de chevet avant que Sylvain ne se blottisse contre lui dans ses bras. Il le serra un peu plus fort, un peu plus près de son cœur, se laissant aller à des élans d’amant tendre, sans en avoir le titre – il y prétendant pourtant.
C’était la première fois que les deux hommes dormaient ainsi, dans les bras l’un de l’autre, sans vouloir autre chose que la présence apaisante de l’ami, qui était plus un amant qui taisait son nom. Il fallait les pardonner, il était tard, il faisait nuit et la pleine lune brillait, ils étaient fatigués et n’avaient que l’autre pour comprendre sa peine… Ou peut-être qu’il y avait une autre raison. Les secrets, les hontes, tout ça…
Sylvain dormit rarement aussi bien. La nuit les sépara pourtant : Pierre s’était levé pour aider Mélissa à se rendormir. Le père ne l’avait même pas entendue, mais n’arrivait pas à s’en vouloir vu les remontrances de l’autre homme. Pour une fois, il avait aussi réussi à dormir une nuit complète, Pierre était content, Mélissa allait bien, c’était tout ce qui comptait.
« Il faut qu’on parle. »
Sylvain grimaça avant de finir son verre d’eau. A côté d’eux, Mélissa pleurait, comme souvent ces deux derniers jours, et Pierre venait lui lâcher ça. Il n’était vraiment pas d’humeur.
« Quoi ? répliqua-t-il un peu sèchement, sur la défensive.
-C’est quoi, l’idée, maintenant ? demanda doucement Pierre. T’es presque plus dans ton appart’ et tout le temps ici, je pense qu’il faudra prendre une décision bientôt.
-On peut pas vivre dans mon appart’, il n’y a qu’une chambre. Je vais chercher autre chose, mais vu mon secteur et—
-Hey, je suis pas en train de vous mettre dehors, le coupa Pierre. Au contraire. »
Il lui sourit doucement, voulut prendre sa main, mais l’enfant poussa un cri et Sylvain trembla.
Ce n’était pas un tremblement habituel, non. Pierre avait appris à lire son langage corporel avec le temps, les années passant… Il était frustré, énervé, et essayait de se retenir. L’autre en eut la confirmation quand Sylvain :
« Mais pourquoi elle arrête pas de pleurer ?! On lui a donné tout ce qu’on pouvait !
-Parce qu’elle fait ses dents loulou, ça se fait pas en un jour, essaya de l’apaiser Pierre. »
Mais Sylvain ne l’écoutait pas, il avait du mal à l’entendre par-dessus la voix stridente du bébé, ça l’énervait encore plus et il frappa le plan de travail de la cuisine. Il ignora la douleur, les larmes montant à ses yeux.
Le jeune père lança un regard à sa fille, qui pleurait encore et toujours, sans qu’il puisse y faire quelque chose. Ça le rendait malade, il se sentait incapable, nul, inutile… Qu’importe ses efforts, elle avait toujours mal. C’était injuste. Il amorça un nouveau coup, mais Pierre attrapa sa main avant qu’il ne se blesse à nouveau.
D’un mouvement, Pierre tira son ami contre lui, le tenant fermement, et parla dans son oreille pour qu’il se concentre sur sa voix :
« Prends tes écouteurs, va dans la chambre et repose-toi. Je m’occupe d’elle.
-Mais…
-Pas de mais, tu as besoin de t’éloigner un peu et de te calmer. Je t’appelle si y’a un problème. »
Rassuré par la dernière affirmation, Sylvain hocha la tête et s’éloigna, essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues.
Il obéit, s’allongeant dans le lit et lançant de la musique dans ses écouteurs pour penser à autre chose. Il avait tant de mal à ignorer les pleurs, pourtant, tant de mal à oublier qu’à deux pas de lui, sa fille, la chair de sa chair, geignait de douleur. Et lui, son père, ne pouvait rien y faire. Il s’en voulait, même s’il savait que Pierre avait raison.
Pierre, d’ailleurs, entra dans la chambre presque une heure après. Sylvain avait eu le temps de s’assoupir doucement, mais se réveilla en sentant la porte s’ouvrir. D’un signe, son ami lui demanda de retirer ses écouteurs, ce qu’il fit.
« Mélou dort, elle est épuisée, l’informa Pierre. J’espère que ça ira bientôt mieux pour elle… »
Il fit la moue, il était inquiet pour elle, lui aussi. L’autre homme le réalisait, et lui demanda alors :
« Ça va ?
-C’est plutôt à toi qu’il faut demander ça, contra Pierre en avançant vers le lit, les bras ballants, l’air nonchalant. Comment va ta main ? »
Sylvain l’observa : la tranche était rougie et il avait toujours mal. Il plia et déplia ses doigts plusieurs fois.
« Ça va, mentit-il. »
Son interlocuteur ne semblait pas convaincu.
Ce dernier s’agenouilla sur le matelas, à côté de Sylvain, tendant les mains.
« Fais voir ? murmura-t-il. »
Hésitant, l’autre homme posa sa main dans les siennes, le laissant l’observer sous toutes les coutures. Pierre caressait sa peau du bout des doigts, avant de masser la zone endolorie. Le souffle de Sylvain se bloqua dans sa trachée le temps d’une seconde quand son ami porta son bleu à ses lèvres et l’embrassa. Puis il rit nerveusement, se souvenant de ce qu’il avait fait la semaine dernière.
Pierre lâcha sa main et s’installa contre lui, passant un bras autour de ses épaules. Sans poser de question, Sylvain se blottit contre son flanc, posant sa tête contre sa poitrine.
« Et moralement ? Comment ça va ? »
Il hésita sur sa réponse, avant d’ouvrir les vannes :
« J’aurais pas dû être père.
-Ouh là ! s’exclama Pierre, surpris par son honnêteté brute. Qu’est-ce qui te fait raconter des conneries comme ça ? »
Un petit rire, et Sylvain se radoucit, calmé par la présence de son ami.
« J’ai eu envie de lui crier dessus. Mais je sais que ça sert à rien, j’ai juste… atteint ma limite. Mais purée, comment je peux atteindre ma limite alors que c’est elle ? Je sais déjà pas gérer moi-même, qui a pensé que c’était une bonne idée de me donner une gamine ? »
Pierre se mit à caresser son bras, en silence, cherchant ses mots.
Quand il fut prêt à répondre, il embrassa le crâne du jeune père déboussolé et parla à voix basse, mesurée :
« C’est normal d’arriver à ta limite quand t’as une alarme dans les oreilles jour et nuit et que tu peux pas la désactiver. T’es tout le temps en mode alerte parce que ta fille a mal et te le fait savoir comme elle peut, alors ça te fout sur les nerfs. Bah oui, c’est logique. Mais tu t’es retenu et je suis fier de toi. »
Il embrassa sa tempe et lui sourit à nouveau. Le cœur de Sylvain fit un drôle de looping en entendant la dernière phrase et il se blottit un peu plus dans ses bras.
« Mais je suis un gamin. Je peux pas…
-On est deux gamins, le coupa Pierre, et je trouve qu’on s’en sort super bien tous les deux, pour l’élever. Et ta sœur nous aide aussi. »
Sylvain hocha la tête, sans répondre. Les mots se faisaient un chemin dans son esprit, même s’il avait du mal à les accepter.
Le silence s’installa entre eux. Il faisait du bien à Sylvain, qui s’assoupissait à nouveau. Le lendemain, Marine avait accepté de venir tôt pour garder Mélissa pendant que les deux hommes se rendaient à un tournage qui s’annonçait long et éprouvant, et lui était juste épuisé…
Pierre ne le laissa pas dormir malgré tout – à sa décharge, il n’avait pas remarqué qu’il s’endormait. Il recommença la conversation qu’il avait essayé d’avoir plus tôt :
« Il faut prendre une décision, pour ton appart’…
-Je vais arrêter le bail, répliqua Sylvain. »
Il y avait un peu réfléchi, et c’était la seule certitude à laquelle il était parvenu. Pour le reste, il ne se sentait pas le courage de demander à Pierre de rester.
Mais il n’en eut pas besoin : si Pierre avait entamé la conversation à ce sujet, c’est parce qu’il avait une idée en tête, qu’il clarifia enfin pour son ami :
« Installe-toi définitivement ici. Il y a assez de place pour trois, et c’est le plus économique. Puis le plus pratique aussi, pour que je t’aide avec Mélou, au lieu que tu reprennes un autre appart’… Bon, je sais que c’est pas Saint-Denis ici, et ça peut devenir délicat si tu veux rencontrer des filles, mais on pourra aviser… Moi, je voudrais vraiment que tu restes. »
Voilà ce dont Sylvain avait besoin : la détermination de Pierre dans sa voix quand il lui demandait de rester, son espoir aussi. Il ne pouvait pas lui dire non mais, en l’état, il ne pouvait pas lui dire oui non plus. Il était en train de pleurer, en silence, sans le montrer, parce que depuis le premier jour, son ami avait juste été parfait. Comment pouvait-il résister ?
Il acquiesça finalement, et enfin Pierre remarqua ses larmes. Il rit doucement en le serrant plus fort et déposant quelques baisers sur sa peau et dans ses cheveux. Les signes d’affection de ce genre se multipliaient entre eux depuis ce soir où Pierre l’avait massé. C’était doux, c’était bon, ça les faisait se sentir vivant et entier. Pourquoi arrêter ?
Sylvain finit par verbaliser ses pensées, embêté que son ami ait encore une fois mentionné les rencontres. Il lui avait dit, il n’en voulait pas, pas tant que Pierre voulait de lui.
« Je m’en fiche de rencontrer des gens, c’est pas ce que je veux.
-Et qu’est-ce que tu veux ? demanda Pierre d’une voix blanche. »
Son interlocuteur fronça les sourcils. Il entendait de la peur, de l’appréhension dans sa voix, et il ne comprenait pas pourquoi. Il soupira.
« Je sais pas. Que ça continue comme ça ? On est bien, là, non ? »
Il leva le regard vers le visage de Pierre, appuyant sa question.
Leurs regards se croisèrent, longuement. Pierre semblait hésiter, indécis. Finalement, il se pencha, rapprochant encore plus Sylvain de son corps si c’était possible, et embrassa sa joue, mais si proche de ses lèvres que le doute planait quant à sa volonté. Personne ne parla ensuite et Sylvain reprit sa sieste peu de temps après, rassuré, heureux : il avait un toit sur la tête et un meilleur ami qui ne le lâcherait pas, il venait de lui assurer cela. Il n’avait aucun doute à avoir sur l’avenir, alors.
Sylvain se réveilla en début de soirée, seul. Il avait froid, comme il s’était endormi au-dessus des draps, et se recroquevilla par réflexe pour récupérer un peu de chaleur. Comme ça ne fonctionnait pas, il décida de se lever en grognant et fouilla dans l’armoire, attrapant un pull au hasard. Ce ne fut que lorsqu’il l’enfila qu’il remarqua que le vêtement n’était pas à la bonne taille. Il sourit en laissant tomber les trop longues manches sur ses mains et battit un peu des bras, appréciant la sensation du tissu dans l’air.
Après quelques minutes à jouer, il sortit de la chambre, guidé par le son de la voix de Pierre. Il parlait à voix basse, sans chuchoter non plus, la voix calme et posée, le ton doux… Sylvain savait qu’il était en train de parler à Mélou, de lui faire la conversation à sens unique. Pour ne pas les déranger, il s’arrêta au seuil du séjour, les observant avec un sourire.
Pierre était allongé sur le flanc, son coude plié maintenant son buste surélevé, au sol. Mélissa se trouvait devant lui, jouant avec un doudou pendant que l’homme lui expliquait – sans trop de succès – ce qui était prévu pour le tournage du lendemain. Il était dos à Sylvain, qui eut alors tout le loisir de l’écouter choisir ses mots et interpeler Mélou avec des surnoms tous plus adorables les uns que les autres : crevette, chérie, louloute, chat et tout le reste du lexique animalier. C’était attendrissant, le papa ne s’en lassait pas.
Cependant, sa fille brisa sa discrétion en tournant la tête vers lui. Il n’était pas très loin, alors elle reconnut son visage et y réagit avec un sourire, tendant les bras. Pierre regarda donc derrière lui et se redressa d’un coup pour s’asseoir en tailler avec un petit rire.
« Ça fait longtemps que t’es là ? demanda-t-il d’un ton faussement accusateur.
-Suffisamment longtemps, se moqua Sylvain. T’as vraiment la fibre paternelle, hein… »
Pierre haussa les épaules, baissant le regard vers la petite qui, elle, fixait toujours son père. Elle voulait visiblement être dans ses bras.
Sylvain s’assit en face de Pierre, récupérant son enfant pour la poser entre ses jambes en tailleur. Elle essayait déjà de pousser sur ses jambes, pas longtemps, suffisamment pour que son père doive suspendre son geste avant qu’elle n’atteigne le sol.
« Toi aussi tu l’as, répliqua enfin Pierre après un temps de contemplation. Elle t’adore. »
Le papa fier ne put s’empêcher de sourire, alors que sa fille était blottie contre son ventre, tenant toujours son doudou.
« C’est vrai que je m’en sors vraiment mieux que ce que j’imaginais. Grâce à toi, ajouta Sylvain.
-C’est toi qui fais le plus, répliqua son interlocuteur.
-Tu rigoles ?! Tu nous héberges gratuitement, tu t’occupes d’elle quand je peux pas, tu m’aides sur tout plein de trucs… T’es super investi ! »
Pierre en rougit mais ne répondit pas. Sur ce sujet, il laissa le dernier mot à son ami.
A la place, Pierre commença à parler du programme du lendemain : quand Marine viendrait, quand eux partiraient, où, avec qui, comment, quand ils rentreraient aussi, bref, tout un tas de détails techniques dont ils avaient déjà parlé, mais qu’il fallait vérifier et revérifier pour qu’il n’y ait pas de couac. Il avait l’air particulièrement stressé : ça allait être une longue journée, où les deux hommes n’auront pas beaucoup de nouvelles de la petite, et il craignait qu’une urgence survienne. Même s’il avait confiance en Marine, il avait peur, au même titre que Sylvain.
Alors les deux hommes discutèrent longuement, jusqu’à ce que l’heure du dîner sonne. Enfin, ils étaient en avance par rapport à leurs habitudes, mais ils devront se lever vers quatre heures le lendemain alors il fallait bien faire quelques sacrifices.
Mélissa ne sembla pas trop perturbée par le changement d’horaire, au moins pour son repas. Ce fut plus compliqué pour le coucher, qu’importe combien de temps Sylvain la berçait, elle ne voulait pas dormir. Pierre suggéra alors de lui lire une histoire, peut-être que ça l’aiderait, ce à quoi le père répondit avec un sourire moqueur :
« Ouais, ça va surtout nous endormir nous. On est devenu des papis depuis qu’elle est là. »
L’autre homme éclata de rire, hochant la tête en baissant le regard vers ses pieds.
« Ouais, je vois ce que tu veux dire. On peut essayer quand même ?
-Dis-le si tu veux juste lui lire une histoire hein, je vais pas te juger, sourit Sylvain.
-Je vais choisir le livre, répliqua alors Pierre, provoquant le rire de son ami. »
Il s’approcha de l’étagère où une dizaine de livres pour bébés se trouvaient et en saisit un après avoir soigneusement consulté les titres.
Pierre guida ensuite Sylvain jusque la chambre parentale – ils l’appelaient déjà comme ça avec plus ou moins de gêne, évitant soigneusement de dire ‘’conjugale’’. Il le laissa s’installer en ignorant son regard interrogateur.
« Pourquoi tu veux pas lui lire dans sa chambre ? demanda le père.
-Pour qu’on soit à trois, lança Pierre, tout fier de lui. »
Il s’allongea à son tour à côté de son ami, qui déposa l’enfant entre eux. Pierre ouvrit le livre à la première page, commençant à conter.
Sylvain réprima un rire en lui lançant un regard. Il souriait à tel point que ses joues lui faisaient mal, et ses yeux, plissaient, brillaient de reconnaissance. Oh, il savait qu’il jouait à un jeu dangereux, là, allongé avec Pierre dans le lit qu’ils partageaient trop souvent, l’enfant qu’ils élevaient ensemble entre eux. Il le savait très bien. Il le sentait dans la façon qu’avaient ses entrailles de se tordre, dans la chaleur qui chatouillait son ventre, dans le picotement de sa peau qui n’attendait que d’être touchée, dans ses envies, ses désirs, ses rêves, son imagination, tout ce qui avait changé depuis que Pierre avait commencé à s’occuper de Mélissa… Il était en train de tomber amoureux, et il adorait ça. Il se laissait faire, se prélassait dans la douceur d’un nouveau quotidien à deux, avec celui qu’il ne pouvait jamais décevoir même s’il essayait.
Au final, il avait été mauvaise langue. Il ne s’endormit pas, alors que la petite fille tomba de fatigue après vingt minutes. Il fallait dire que la voix de Pierre se prêtait à l’exercice : plus grave que la sienne, il arrivait à lui donner un ton si doux, pas vraiment monotone mais régulier, qu’il en devenait un merveilleux conteur pour l’enfant. Et même si Sylvain avait remarqué que sa fille dormait, il n’en dit rien à Pierre, juste pour l’entendre parler encore un peu, pour profiter…
Alors Pierre finit le livre. Il le referma doucement, vérifiant que Mélissa dormait bien, puis lança un regard vers l’autre homme. Il était un peu plus affalé que Sylvain, alors il dut lever la tête. Il lui adressa un petit sourire qui lui fut rendu.
« Tu me voles mes fringues, maintenant ? murmura-t-il en donnant un coup de tête en direction du pull.
-Je pensais que tu l’avais pas remarqué, avoua Sylvain avec une expression d’enfant pris la main dans le sac. J’adore parce que les manches sont trop longues. »
Il leva un bras et lui fit la démonstration de son jeu favori avec un petit rire. Pierre se redressa suffisamment pour embrasser sa mâchoire, à défaut d’atteindre sa joue.
« Tu peux le garder, t’es mignon dedans, le complimenta-t-il.
-Tu devrais pas me dire ça, tu ne posséderas plus aucun vêtement dans cette maison, le prévint son interlocuteur.
-Je crois que j’ai signé pour ça en te proposant d’emménager, soupira Pierre, faussement blasé. Allez, je vais la coucher. »
Il attrapa l’enfant endormie en douceur et se leva, quittant la pièce.
Sylvain, lui, était figé. Lors de leur discussion antérieure à propos de la maison, il n’avait pas totalement saisi l’implication de ses paroles, de ce qu’il avait accepté. Enfin si, mais l’entendre aussi platement déclaré, comme un fait certain, lui tordait le ventre d’une toute autre façon. Emménager. Oui, il avait bien dit qu’il allait résilier son bail après tout. Oui, Pierre lui avait expliqué qu’il pouvait rester, qu’il en était heureux. Mais emménager, c’était sérieux, ça prenait du temps, ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère…
Il tourna son regard vers l’armoire qu’il n’avait pas totalement refermée tout à l’heure, d’où dépassait ses t-shirts, ses pantalons… Il y avait là plus de la moitié de son dressing. Bordel, il avait déjà emménagé. Et Pierre, qui avait démonté le lit de la chambre d’amis, qui avait préparé pour Mélissa une chambre toute à elle, qui leur faisait à manger tous les soirs, ce Pierre-là, trop gentil, l’avait laissé faire. Mais il n’arrivait pas à s’en vouloir, la réalisation le rendait trop heureux, au fond.
Oslo entra dans la chambre et sauta sur le lit, à la place de Pierre, comme il le faisait parfois quand Sylvain s’y trouvait. La ‘’place de Pierre’’, parce que l’autre était réservée à Sylvain, maintenant. Oh, il était vraiment, vraiment dans la merde.
Sylvain jeta un regard au chien et tendit la main pour le caresser, mais Oslo se mit immédiatement à la lécher, faisant rire l’homme qui le laissa faire. Puis après quelques secondes, l’animal se tourna pour offrir son ventre à son humain, que ce dernier caressa donc avec joie.
Quand Pierre revint, il vira rapidement le chien du lit, le faisant sortir de la chambre en silence. Habitué, l’animal obéit et trotta vers son panier.
« Quelle idée de venir me voler ma place tous les soirs, marmonna le maître.
-T’es jaloux ? se moqua Sylvain. »
Son interlocuteur se tourna vers lui avec un sourire, faisant le tour du lit pour s’allonger là où se trouvait le chien plus tôt.
« Peut-être.
-Quoi, tu veux des caresses ? rigola doucement son homologue. »
Pierre s’installa sous le drap et son ami fit de même
« Peut-être, répéta le premier. »
Sylvain le tira alors, si bien que sa tête se retrouva contre le ventre de l’autre, et ses doigts passèrent contre son crâne.
Pierre n’avait pas eu le temps de réagir, mais il appréciait bien trop la nouvelle position pour dire quoi que ce soit. Il retira juste ses lunettes, que Sylvain prit de sa main libre pour les poser sur sa table de chevet, et ferma les yeux en souriant. L’autre homme jouait avec ses mèches courtes, avec la peau sensible derrière son oreille, avec les poils drus de sa barbe… Son pouce passa contre sa lèvre, ce n’était pas de sa faute, il ne voyait pas vraiment ce qu’il faisait comme Pierre se trouvait dos à lui. Pas grave, il continuait ses tendres attentions.
Les doigts de Sylvain effleurèrent le cou de l’autre, avant de remonter dans ses cheveux à nouveau.
« C’est agréable, quand même, remarqua Pierre à voix toute basse. »
Sylvain ne pouvait s’empêcher de penser à la nuit dernière, quand son ami avait caressé son corps à la manière d’un amant. Il voulait ressentir ça de nouveau, il en crevait de désir, il en avait besoin même. C’était plus fort que lui, ça le démangeait, ça bouillonnait dans son ventre…
Alors il obéit à ses tentations, sa main glissant dans le dos de Pierre aussi loin qu’il put, tirant son t-shirt, passant ses doigts dessous pour se poser contre son flanc. L’autre homme se souleva même pour que le haut de son pyjama remonte plus facilement. Visiblement, ils avaient la même envie. Sylvain ne s’arrêta pas. Encouragé, il caressa le ventre de son homologue, osant à peine toucher sa poitrine… Il s’y aventura malgré tout, suivant la traînée de poils qui s’épaississait au niveau des pectoraux.
Après quelques minutes, Pierre souleva de nouveau son corps avec effort. Son ami suspendit son geste pour le laisser faire ce qu’il voulait, sans savoir ce que c’était. Pierre se retourna, levant vers lui un regard brillant. Sa tête se trouvait maintenant sur la poitrine de l’autre, contre son cœur, qu’il entendait battre un peu vite, avec quelques irrégularités. Ça le fit sourire, parce que le sien était dans le même état.
Aucun des deux ne parla. Ils restaient résolument silencieux, même quand Sylvain reprit ses caresses et que Pierre entama les siennes, moins timide que son ami. Il se redressa même, approchant son visage du sien, les yeux posés sur les lèvres de l’autre. Il voulait y posait ses lèvres à la place et était bien parti pour… sans compter sur l’enfant qui, à quelques mètres d’eux, éclata en sanglots.
Sylvain se racla la gorge, donc, et repoussa doucement son homologue pour ne pas le brusquer. Il avait l’air un petit peu mal à l’aise malgré tout, quand il se leva pour aller s’occuper de sa fille, laissant Pierre penché sur du vide.
Ce dernier soupira, retombant contre le matelas, roulant sur le dos. Il passa ses mains sur son visage, jusqu’à ce que le bord de ses paumes se trouvent contre ses yeux.
« Bordel, souffla-t-il. Pierre, t’es trop con. »
Il soupira et se réinstalla normalement dans le lit, à sa place, n’envahissant plus l’espace de Sylvain.
Celui-ci revint rapidement, Mélissa s’était rapidement rendormie après son réveil en sursaut sûrement causé par un cauchemar. Le père se glissa à nouveau sous les draps et, sans demander la permission à son ami, se blottit contre son flanc en passant un bras en travers de son torse, comme il avait l’habitude de le faire. Le geste soulagea quelque peu Pierre, qui avait eu peur d’avoir tout fait foirer. Sylvain ne semblait pas lui tenir rigueur du mouvement qu’il avait amorcé plus tôt… avait-il seulement compris ce qui était en train de se passer ? Voilà une question qui torturerait Pierre durant la nuit. Il espérait qu’elle ne le tienne pas éveillé trop longtemps, tout de même.
Le lendemain, comme prévu, fut une journée compliquée. Les deux hommes étaient fatigués, ce qui transforma le tournage en une succession d’événements chaotiques et de blagues bancales. Ils riaient bien, tous les deux, au moins. Leur équipe leur jetait parfois des regards étranges, mais ils s’en fichaient. Ce n’était pas la première fois qu’ils étaient dans leur monde.
Peut-être que c’était différent, cette fois. Ils ne savaient pas trop, ils passaient trop de temps ensemble maintenant pour s’en rendre compte. Anaëlle leur glissa d’ailleurs quelques remarques pendant la pause déjeuner, Pierre en rit nerveusement, Sylvain sourit poliment en restant silencieux. Bizarre, pensa leur employée.
Après d’innombrables problèmes, blagues plus ou moins bonnes et heures de tournage, la journée se termina enfin. Sylvain était plus qu’épuisé, fixant souvent le vide, faisant peu attention au monde qui l’entourait. Pierre lui attrapa le bras et le prit à part pour lui intimer :
« Va te reposer dans la voiture pendant qu’on remballe.
-Mais faut que je vous aide, je peux pas vous laisser ranger comme un connard, s’indigna le jeune homme.
-T’as l’air à deux doigts de clamser frère, vraiment, va te reposer, contra son interlocuteur. En plus, on devra s’occuper de Mélou quand on rentrera, faut que tu reprennes des forces. »
Sylvain baissa le regard, l’air boudeur. Comme son ami le poussait vers le véhicule, il soupira, défait :
« Ok, ok, j’y vais. Pas besoin de m’y conduire !
-On sait jamais, si tu tombes de fatigue en chemin, se moqua doucement Pierre. »
Mais il lâcha malgré tout son collègue pour le laisser s’installer dans le véhicule.
Arthur s’avança vers Pierre avec un sourire en coin, s’arrêtant face à lui, les mains sur les hanches.
« Vous allez rentrer ensemble ? demanda-t-il en voyant Sylvain s’installer dans la voiture de Pierre. »
Ah, c’est vrai, il ne les avait pas vu arriver ensemble, et l’emménagement de Sylvain n’était pas encore officiel.
« Ouais, vu qu’il dort chez moi, répliqua simplement l’autre homme en glissant ses mains dans ses poches – eh oui, il commençait à faire froid, maintenant que le mois de novembre avait commencé.
-Ah ouais, vous faites soirée pyjama ? blagua Arthur.
-Un peu longue la soirée pyjama, ça fait un mois quand même. »
Pierre sourit, fier de lui face à l’étonnement de son ami. Puis il se prit un coup de coude qui le déstabilisa un peu.
« Ah bah enfin, vous avez passé le pas. »
Ce fut au tour de Pierre d’être étonné. Il rit, baissant la tête, gâchant la pointe de déception qui teintait sa voix :
« Te méprends pas, c’est pour l’aider avec Mélissa. »
Son homologue hocha la tête, pas l’air convaincu pour un sou. Tant pis, il aurait essayé. Il disait la vérité après tout, pas vrai ?
Les deux hommes se décidèrent à aider les autres à ranger, remballant le matériel et nettoyant le lieu avant toute chose. Quelqu’un proposa d’aller boire un verre, comme ça arrivait parfois, mais Pierre refusa. Sylvain était trop fatigué, il voulait juste rentrer et retrouver Mélou. Il laissa donc son équipe là, les saluant et les remerciant chaleureusement, rejoignant la voiture.
Quand il entra dans le véhicule, Sylvain ouvrit les yeux et sortit la tête de la boule qu’il formait sur le siège passager.
« Il t’a dit quoi Arthur ? marmonna-t-il, visiblement à moitié endormi. »
Pierre se mordit la lèvre. Les mots de son ami le travaillaient toujours, et pour cette raison il décida de les partager :
« Il a demandé si on rentrait ensemble, et quand je lui ai répondu que oui, il a dit qu’on avait enfin passé le pas. Comme ça. C’était même pas une question… On ressemble tant que ça à un couple ? »
Il se tourna vers son interlocuteur, un bras sur le volant et l’autre accoudé à son siège. Sylvain lui lança un regard espiègle.
« Faut croire, c’est pas le premier à nous faire la réflexion. Regarde au supermarché, lança-t-il, avec la vieille homophobe.
-Oui mais elle, elle nous connaît pas ! rétorqua Pierre.
-Mais c’est encore pire ! argua son collègue.
-Ah non, je suis pas d’accord ! répliqua l’autre homme avec énergie. Je me pose mille fois plus de questions quand Anaëlle nous lance un regard en coin en disant qu’on est mignons à deux que quand une espèce de connasse nous insulte au Super U ! »
Sylvain se tut, parce que l’autre avait raison. A la place, il éclata de rire. C’était trop bizarre pour ne pas se le permettre… Comment sa vie avait-elle pu basculer autant en trois mois ?
Le retour se déroula dans la bonne humeur, quoique leurs discussions avaient parfois la même énergie que le débat précédent. Ils s’amusaient bien, même si ça ne reposait pas Sylvain, du coup. Il semblait toujours énergisé quand l’autre homme était à ses côtés. La nuit était tombée depuis un moment, il fallait bien combattre la déprime.
Marine fut heureuse de les voir revenir avec le repas du soir : un MacDo pour trois. Elle avait passé la journée à s’occuper de la petite, et bien qu’elle fût plutôt facile à vivre, elle méritait tout de même salaire pour ses longues heures – de six heures du matin à huit heures du soir, quatorze heures !
Après les embrassades avec la sœur, Sylvain se dirigea vers sa fille pour la prendre dans ses bras. Celle-ci le câlina en collant sa tête contre son épaule, ce qui eut pour effet de faire fondre son cœur. Il ne la garda pas longtemps ceci dit, parce qu’il avait faim mais surtout parce que Pierre voulait aussi la prendre dans ses bras, ce qu’il fit quelques minutes, le temps que les deux autres ne déballent le repas.
Puis les trois adultes passèrent à table, la petite se trouvant installée dans sa chaise haute. Alors qu’il avait entamé son sandwich, Sylvain demanda à sa sœur :
« Mar’, tu trouves qu’on ressemble à un couple ? »
Elle mit un temps avant de percuter ce qu’il lui demander. Alors elle rit et répondit honnêtement :
« Avec Pierre ? J’osais pas le dire. ‘Fin, tu m’as quand même demandée ce matin si j’étais libre dans le mois pour t’aider à déménager. Je veux pas dire, mais c’est suspect. Enfin, t’inquiètes pas, si les parents ont bien pris la nouvelle pour Mélissette, je pense qu’il y a aucun souci pour Pierre. Ils l’attendent, même. »
Sylvain éclata de rire à la dernière phrase, tandis que son ami s’obstinait à fixer son repas, silencieux.
« Comment ça, ils l’attendent ?! s’indigna le premier. Mais on est pas ensemble, hein…
-Pour l’instant, ajouta la jeune femme avec un sourire moqueur. Ils parlent toujours de lui en disant ‘’ton grand dadais’’, ils ont pas l’air au courant que vous êtes juste amis, hein. »
Enfin, Pierre explosa à son tour, riant à gorge déployée si bien que Mélissa se tourna vers lui, curieuse.
Sylvain mit rapidement fin à la conversation en réitérant que non, il ne sortait évidemment pas avec Pierre, ils étaient amis et son ami l’aidait simplement à élever sa fille, comme il était père célibataire. Pierre cessa de rire : pourquoi semblait-il si gêné d’un coup ? C’était bien lui qui avait lancé la conversation pourtant, à quoi s’était-il attendu ? Il baissa à nouveau le regard, trouvant ça vachement moins amusant, d’un coup.
Pourtant, Sylvain n’avait pas voulu paraître si rude. Ses pensées étant ce qu’elles aidaient, il s’était mis à réfléchir un peu trop fort à ce que son futur pouvait être. Et il le voulait avec Pierre. Pierre qui lui offrait son hospitalité, qui ne se doutait pas… Ou peut-être que si. Il avait essayé de l’embrasser après tout, non ? Pourtant quelque chose bloquait, Sylvain doutait, méritait-il seulement cette attention ? Décidément, la fatigue était trop forte et jouait avec ses sentiments.
Marine partit rapidement après le repas, pressée de retrouver son chez-elle. Son frère soupira en claquant la porte derrière elle. Pierre, derrière lui, hésita un instant avant de l’enlacer doucement, collant son torse à son dos.
« T’as l’air crevé mon pauvre, remarqua-t-il doucement. »
Sylvain fondit dans l’étreinte, calant son crâne sous le menton de son ami.
« Ouais, souffla-t-il. Je crois que je suis trop fatigué pour penser, ça me rend triste… Je vais prendre une douche. »
Il s’extirpa de l’étreinte et traîna des pieds vers le couloir.
Pierre l’interpella avant qu’il ne quitte la pièce, se rapprochant de lui en quelques enjambées.
« Attends, je vais te couler un bain, ce sera plus sympa non ? »
Son homologue ne put s’empêcher de sourire. Oh, qu’il se sentait chanceux… Oh, qu’il aimait ces petites attentions. Il ne s’en lasserait jamais, probablement. Pierre était plus galant qu’il ne voulait l’admettre.
Sylvain hocha la tête, alors son ami passa devant lui et entra dans la salle de bain d’abord, préparant le bain avec méthode. Il était visiblement habitué. L’autre commença à retirer sa chemise pendant ce temps, puis son pantalon. Cependant, quand Mélissa commença à pleurer, il renfila ce dernier. Pierre l’arrêta en attrapant son bras, le dépassa, s’apprêtant à sortir de la salle de bain pour s’occuper de l’enfant. En passant devant Sylvain, leurs corps se rapprochant, il embrassa son front rapidement et murmura :
« Je vais m’en occuper, t’inquiète pas. »
Avant même que l’autre puisse répondre, il était déjà parti.
Sylvain accepta donc son dur sort et termina de se déshabiller. Il plongea dans l’eau avec un soupir : elle était un poil trop chaude, mais ce n’était pas très dérangeant, sa peau s’adapterait. Elle rougit malgré tout à cause de la différence de température.
Il se prélassa longuement, prenant tout son temps pour se laver les cheveux et le corps, pour détendre ses muscles endoloris par la fatigue, le stress et le froid, pour se reposer. Il ferma les yeux au bout d’un moment, se laissant couler au fond doucement. Son visage resta seul au-dessus de l’eau.
Après plusieurs dizaines de minutes, Pierre frappa à la porte. Son ami sursauta en rouvrant les yeux et se redressa.
« Oui ?
-Mélou est en train de s’endormir, tu veux lui dire bonne nuit ? demanda doucement l’autre homme.
-Attends. »
Sylvain rinça ses cheveux aussi vite qu’il le put puis sortit de la baignoire. Il glissa sur le tapis et se rattrapa maladroitement sur le lavabo, son poignet prenant un drôle d’angle. Il grimaça mais n’y accorda aucune attention, s’enroulant dans une serviette à la place.
Il ouvrit enfin la porte, un poil essoufflé, ce qui poussa Pierre à rire.
« Elle pouvait attendre deux minutes de plus, hein…
-Je voulais pas faire attendre ma princesse. »
Il la prit dans ses bras pour la câliner et l’embrasser un moment, sous le regard attendri et un brin moqueur de Pierre, avant de la remettre dans ses bras comme elle s’endormait définitivement contre lui.
« Bonne nuit Mélou, murmura-t-il, embrassant une dernière fois son crâne. »
Pierre disparut à nouveau, le laissant se sécher correctement et enfiler son pyjama.
Les deux hommes se retrouvèrent dans la chambre. Pierre était déjà allongé, ses lunettes posées sur la table de chevet à côté de lui, attendant son ami. Sylvain se pencha sur le lit, posa sa main pour s’y asseoir… et jura bruyamment. Son poignet le brûla soudainement et il vacilla sur son appui. L’autre homme se redressa, inquiet.
« Ça va ? Tu t’es fait mal ?
-Ouais, j’ai glissé dans la salle de bain et je me suis mal rattrapé, se plaignit Sylvain.
-Attends-moi. »
Pierre se leva et sortit de la chambre, alors son ami n’eut pas d’autre choix.
Il revint à peine une minute après de toute façon, une trousse de soin à la main. Il s’assit face à son homologue sur le lit et tendit la main.
« Fais voir. »
Sylvain obéit, lui présentant son poignet et expliquant sa douleur. Pierre le massa alors, doucement, appuyant quand il le fallait tout en veillant à ne pas en rajouter à sa blessure.
Quand il eut fini, Pierre porta le bras de l’autre homme à ses lèvres et l’embrassa près de la blessure tout en évitant la zone enduite de pommade. Sylvain sourit au geste, qui devenait décidément récurrent entre eux.
« Et voilà, j’espère que ça ira mieux demain.
-J’espère aussi. Merci beaucoup, Pierre, murmura Sylvain. Pour toute la soirée, le tournage, le bain, ça… Merci. »
Il avait les yeux humides, la voix tremblante, le nez retroussé et les lèvres pincées. Pierre savait ce que cela voulait dire, il leva la main pour caresser sa joue, le voyant ferme les yeux et se pencher dans le geste.
« C’est la fatigue qui te rend émotionnel ? questionna-t-il sans reproche. »
Sylvain hocha la tête, ne pouvant retenir les premières larmes qui coulaient déjà.
Comme un réflexe, Pierre passa une main derrière sa nuque et le tira vers lui. Son homologue posa son front contre son épaule en s’accrochant sans grande force à son haut de pyjama. Il lâcha entre deux sanglots, entre deux larmes, d’une voix toute serrée d’enfant épuisé :
« Je sais pas où je serais sans toi…
-Normalement, tu serais encore chez Bosch, blagua Pierre en caressant son dos, lui arrachant un rire mouillé. »
Il le laissa pleurer tout son saoul, s’allongeant au bout de moment pour être plus confortable. Il ne le lâcha pas, au contraire il le serra plus fort contre lui.
Sylvain cacha son visage dans le creux de son cou et emmêla ses jambes aux siennes, retrouvant une respiration lente et régulière après quelques minutes.
« Eteins la lumière s’il te plaît, chuchota Sylvain d’une voix légèrement cassée. »
Pierre obéit et reprit sa position. Il sentait l’autre homme s’assoupir dans ses bras et il le laissa faire, passant une main dans ses cheveux, s’endormant lui aussi. Ils pouvaient enfin se reposer un peu, en espérant que Mélissa ne se réveille pas dans la nuit…
Deux nouveaux mois passèrent ainsi, durant lesquels Sylvain, avec l’aide de sa sœur, de ses ami·es et avant tout de Pierre, déménagea la totalité de ses possessions de son appartement jusqu’à sa nouvelle résidence. Son ami lui avait définitivement laissé la moitié de son armoire pour y ranger ses vêtements, mais aussi de son bureau, de son étagère à DVDs, de son meuble de télévision pour les consoles, du lavabo dans la salle de bain…
Sylvain n’eut aucun mal à trouver ses marques, puisque cela faisait déjà deux mois qu’il y passait la majorité de son temps. Ça avait été plus progressif qu’il ne l’avait imaginé, au final, et Mélissa s’était parfaitement acclimatée à la nouvelle maison. De toute façon, elle y avait déjà passé bien plus de temps qu’à l’appartement.
Les fêtes étaient passées entre temps, séparant les deux amis et surtout Pierre de Mélissa. Il fit donc promettre à Sylvain de lui envoyer régulièrement des nouvelles, ce que l’autre respecta à la lettre avec de nombreuses photos, soigneusement sauvegardées par Pierre. Il fallait dire qu’elle était vraiment adorable, dans sa robe verte, entourée de tous ses jouets. C’était le premier Noël de l’enfant et elle avait été gâtée par la famille de son père et tous ses proches.
L’installation achevée, la stabilité retrouvée, le jeune père eut un meilleur sommeil, toujours passé dans les bras de Pierre, et put enfin se reposer. Il se réveillait plus facilement, du coup, pour le plus grand bonheur de son colocataire qui n’avait plus à subir sa mauvaise humeur matinale.
D’ailleurs, ce matin-là, un matin fatidique de janvier, Sylvain se leva alors que Pierre était déjà dans la salle de bain, en train de se doucher. Il attendit donc son tour avant d’entrer dans la pièce. Il avait besoin de se raser, il arborait déjà une barbe de deux semaines et, même s’il allait mieux, il n’avait pas vraiment les capacités de s’en occuper correctement. La solution était radicale, mais il verrait plus tard pour la garder.
Il s’installa donc face au miroir, déployant le nécessaire sur les bords du lavabo. A peine avait-il commencé que Pierre ouvrit la porte, juste de quelques centimètres, pour lui annoncer :
« Mélou est réveillée !
-Je peux pas m’occuper d’elle là, tu peux le faire ? répondit Sylvain d’une voix absente, concentré sur son rasage.
-Bien sûr ! »
Et la porte se referma, mais ça n’empêche pas le papa d’entendre son ami parler à Mélissa :
« Allez, viens par-là mon chat, c’est tonton Pierrot qui te donne ton petit-déjeuner ce matin ! Papa est en train de se raser pour être tout beau après. »
Sylvain sourit, attendri, sans cesser les gestes répétitifs.
Une dizaine de minutes plus tard, il entendit le cri un peu paniqué, un peu excité de Pierre, qui le pressait de venir. Il ne lui restait pas grand-chose, alors il le fit patienter un petit peu pour finir. Quelques minutes encore, et il put rejoindre les deux autres dans le séjour, sans même avoir prit le temps d’enfiler un t-shirt.
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Pierre avait les yeux brillants, un peu humides. Le cœur de Sylvain rata un battement : il n’avait pas compris que c’était si urgent…
Pierre était assis sur le canapé, Mélou lui faisant face, assise sur ses genoux. Le papa les rejoignit tandis que son ami demandait à l’enfant :
« Tu peux répéter ce que tu m’as dit ?
-Elle a parlé ?! s’exclama Sylvain, ne voulait pas tirer de conclusion hâtive. »
Mais Pierre ne lui répondit pas et répéta seulement sa question. Alors Mélissa, le fixant de ses grands yeux de bébés, avec son sourire gai, parla :
« Papa ! »
Et le monde s’arrêta pour Sylvain.
Il mit un moment avant de réaliser que ce n’était pas à lui que ce mot était adressé, et Pierre semblait bien embêté par l’affaire. Il s’excusa même :
« Je suis désolé, je sais pas pourquoi elle me le dit à moi… »
Mais la déception passée, Sylvain était juste profondément heureux. Euphorique, même. Il se jeta dans le canapé, à côté de Pierre, et se pencha vers sa fille pour la féliciter abondamment. Elle avait parlé. Elle venait de prononcer son premier mot. Et au final, peu lui importait que ce ‘’papa’’ ait été adressé à Pierre, ou plutôt si, ça lui importait, parce qu’il mérite ce titre plus que celui de tonton, parce qu’il était le meilleur père qu’il aurait pu espérer pour sa fille, parce qu’il faisait ce qu’il pouvait depuis le début.
Oui, Pierre était un père pour Mélissa. Ce n’était pas illogique, en y réfléchissant. Il s’occupait d’elle, lui donnait le bain, le biberon et la cuillère, l’habillait, la changeait, la consolait et la berçait des heures durant, et surtout il l’aimait comme un père. Alors Sylvain ne lui en voulait pas, comment pouvait-il ? Son ami avait simplement rempli toutes les cases.
L’émotion l’étouffait. Il pleurait des grosses larmes de joie tout en riant, interpellant sa fille pour lui parler malgré sa gorge serrée :
« T’es trop forte princesse, tu veux pas le redire pour papa ? Le redire à Pierre ? Pu—rée je suis tellement heureux, t’as pas idée de ce que tu viens de faire Mélou, ma chérie… Mer—Hum, je chiale… »
Pierre le laissait faire, souriant largement devant la scène, pleurant lui aussi. En voyant que l’autre homme ne lui en tenait pas rigueur, il ne pouvait que se sentir fier et heureux, tout comme lui.
Sylvain se redressa et échangea un regard avec Pierre, riant nerveusement. C’était des à-coups par-ci par-là, secouant tout son pauvre corps épuisé par l’adrénaline. Elle retombait peu à peu, tandis qu’il se rapprochait de Pierre, laissant son pauvre cœur reprendre un rythme régulier. Ses yeux continuaient de pleurer pourtant, ils ne pouvaient pas s’arrêter, ils ne pouvaient pas faire autrement.
« J’ai du mal à y croire, murmura Sylvain d’une toute petite voix. »
Et comme il se remettait à pleurer, Pierre l’enlaça d’un bras et le tira vers lui, le laissant se blottir contre sa poitrine.
« Moi non plus, répondit-il doucement, d’une voix plus claire et un peu plus assurée. Je pensais pas… Je pensais pas qu’elle me le dirait à moi, je suis désolé, je… »
Il se mordit la lèvre un instant, se recomposant, avant de reprendre :
« Elle l’a dit comme ça, pendant que je lui parlais, mais j’avais arrêté de lui parler de toi et—enfin, peut-être qu’elle t’appelait. En même temps je t’appelle tout le temps comme ça, je sais pas. J’en sais rien. Tu crois que c’est moi qu’elle a appelé comme ça ? Nom de dieu, tu crois qu’elle m’a appelé papa ?! »
Son exclamation fit sourire son ami, le fit rire même. Oh, qu’il était heureux…
Il passa sa main sur le torse de Pierre, jusqu’à sa poitrine, pour l’aider à se calmer. Il se redressa, prenant appui sur lui, tournant ses yeux vers les siens. Comme l’autre ne le regardait pas, il posa son autre main sur sa joue pour lui faire tourner la tête.
« Tu le mérites, Pierre.
-Hein ? lâcha avec éloquence le susnommé. »
Son regard se baissa un bref instant vers le menton de son interlocuteur, ou plutôt ses lèvres, et celui-ci le comprit. Il sourit tendrement.
« Tu le mérites Pierre, répéta-t-il. Tu es un super papa pour elle. Tu l’aimes tellement, ça crève les yeux, et t’es juste tellement doué avec elle que j’en suis jaloux. Je me demande comment tu fais. T’es le meilleur père qu’elle pouvait avoir. »
Et Sylvain, pour éviter qu’il ne réponde, qu’il ne s’indigne, qu’il ne rit, ou les trois en même temps, l’embrassa. Il en mourait d’envie depuis des semaines, et il savait que c’était aussi le cas de son homologue.
Pierre se figea, juste une fraction de seconde, sous le baiser. Quand son cerveau enregistra ce qui était en train de se passer, il y répondit. Un peu timide, un peu hésitant, c’était Sylvain qui menait et ça lui allait de le laisser faire. C’était seulement une poignée de secondes mais ça leur parut à tous les deux plus longs.
Quand ils se séparèrent, Sylvain se détourna rapidement pour prendre Mélissa dans ses bras et le câliner, dansant avec elle au milieu de la pièce. Pierre, lui, était toujours abasourdi, les observant.
« Tu… tenta-t-il dans sa confusion.
-Tais-toi, ordonna l’autre homme, ferme avec juste un brin de douceur. »
Il ne voulait pas en parler maintenant. Ni ce jour-là ni le lendemain. Il voulait juste profiter et ne pas réfléchir à ce qu’il venait de faire. Et Pierre, pauvre Pierre, si heureux aussi, si étonné, Pierre n’eut pas le cœur de transgresser l’ordre. Il obéit donc, avec un doux sourire et un regard tendre pour celui qu’il aimait et leur fille. Leur fille à eux. Eux deux. Oui, ça sonnait bien. Il pourrait s’y faire…
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revuedepresse30 · 5 years ago
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A la recherche du temps perdu Un nouveau voyage dans la mémoire, le Paris du passé, à travers une enquête : un homme recherche une femme disparue. Et s’il l’avait déjà connue ? Magnifique réflexion sur le destin et l’amour, un Modiano qui se dévore tout seul sous le sapin.
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L’avenir de la planète commence dans notre assiette
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Noël vegan Lâchez cette putain de tranche de foie gras ! Le climat est bousillé en grande partie à cause de l’élevage industriel (oui, même les oies), ce qui occasionnera des catastrophes à venir. Un livre urgent à lire et à offrir à Noël, par l’auteur du culte Faut-il manger les animaux ?.
Editions de l'Olivier, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville, 304 p., 22 €
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Un Grec à Paris Né Domínikos Theotokópoulos en Crète en 1541, on le connaît surtout par son surnom, Le Greco, soit Le Grec, que l'on associe immédiatement à ces corps allongés aux couleurs acides. A l'occasion de sa première rétrospective en France, le catalogue se plonge sur l'histoire d'une reconnaissance tardive où Picasso, on le sait peu, jouera un rôle majeur.
Editions RMN/Grand Palais, 45 €
A offrir d'urgence :
Cassandra Darke
de Posy Simmonds
Féroce Albion Après avoir commis des fraudes, une marchande d’art misanthrope connaît la chute. Un concours de circonstances va l’impliquer dans une affaire de meurtre. Après les jeunes femmes fatales de Gemma Bovery et Tamara Drewe, l’Anglaise Posy Simmonds s’amuse avec le personnage de Cassandra Darke, vaguement inspirée du Scrooge de Dickens, et propose un reflet féroce de l’Angleterre contemporaine.
Denoël Graphic, traduit de l'anglais par Lili Sztajn, édition spéciale Noël 21.90 €
A offrir d'urgence :
Watchmen (édition annotée)
d'Alan Moore et Dave Gibbons, avec Leslie Klinger pour les commentaires
Chef-d'œuvre noir sur blanc Il n’est jamais trop tard pour (re) découvrir Watchmen, chef-d’œuvre d’uchronie signé Alan Moore et Dave Gibbons, récit de super-héros qui éclipse et transcende presque tous les autres. Accompagnée par les commentaires sourcés de Leslie Klinger, cette édition en noir et blanc permet d’apprécier le trait de Gibbons mais aussi l’intelligence de la construction de cette histoire où rien n’a été laissé au hasard.
Urban Comics, traduit de l'anglais par Jean-Patrick Manchette et Doug Headline, 39 €
La Saison des roses
de Chloé Wary
Good sport Dans un club de foot de banlieue parisienne, l’existence de l’équipe féminine est menacée. Alors, Barbara et les autres prennent en main leur destin et se rebellent. Récit d’émancipation réalisé au feutre, La Saison des roses nous immerge avec naturel dans une jeunesse française qui invente ses codes. Si Chloé Wary est aussi à l’aise avec les séquences de sport que les scènes plus intimistes, c’est parce qu’elle sait de quoi elle parle : elle-même joue au foot.
Editions Flblb, 23 €
Exclusivité Inrocks : offrez cet album avec un dessin unique et original de l'autrice :
Jim Curious, voyage à travers la jungle
de Matthias Picard
Aventure en 3D La BD en 3D a finalement été peu explorée. Heureusement, il y a Matthias Picard qui, sept ans après Jim Curious, voyage au cœur de l’océan, envoie à nouveau à l’aventure son héros muet, protégé par un scaphandrier. Après avoir chaussé une des paires de lunettes fournies, on s’émerveillera devant les reliefs de ce périple étonnant et poétique imaginé par un élève moderne de Gustave Doré. Pour petits et grands, forcément.
Edition 2024, 19 €
A offrir d'urgence :
Dans l’abîme du temps – les chefs-d’œuvre de Lovecraft
de Gou Tanabe
Conte halluciné Dans le passé, Philippe Druillet ou Alberto Breccia ont su mettre en images les contes hallucinés de H.P. Lovecraft. Mais le Japonais Gou Tanabe s’impose comme celui qui aura retranscrit avec le plus de fidélité le vertige procuré par les textes de l’écrivain américain. Après La Couleur tombée du ciel et Les Montagnes hallucinées, il s’attaque ici à une nouvelle tardive – Lovecraft meurt un an après sa première publication – qui mêle voyage dans le temps et horreur cosmique.
Editions Ki-oon, traduction du japonais par Sylvain Chollet, 17€
Edward Gorey, une anthologie
Plume noire Ce n’est pas une coïncidence si Gorey (1925-2000) a durablement marqué Tim Burton. Dans l’œuvre de l’illustrateur, on trouve le goût pour le fantastique et l’humour noir que le cinéaste reprendra à son compte. Réunissant cinq ouvrages – dont l’abécédaire cruel des Enfants fichus ou l’intrigant Aile Ouest –, cette anthologie montre comment, avec son trait minutieux et sa plume noire, Gorey pouvait frapper l’imaginaire. Un cadeau malin qui pourra faire naître des vocations.
Le Tripode, 16 €
A offrir d'urgence :
Sumographie
de David Prudhomme et Sonia Déchamps
Dieux vivants En 2012, le dessinateur David Prudhomme assiste à son premier combat de sumos. L’affrontement entre ces colosses japonais lui inspire des dessins, puis une exposition suivie par la publication de ce beau livre riche en surprises graphiques (pages qui se déplient, etc.). Avec les textes de Sonia Deschamps, les illustrations pleines de vie de Prudhomme nous plongent dans cet univers codifié. Les fans du Japon vont adorer.
Soleil, 39,95 €
A offrir d'urgence :
Une année sans Cthulhu
de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse
Thriller pop Après Souvenirs de l’empire de l’atome et L’Eté Diabolik, Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse continuent de revisiter les époques et les genres populaires. Dans un village du Lot, une séance de jeu de rôles semble avoir eu des conséquences funestes. Avec son scénario malin qui ne manque pas de fausses pistes et son graphisme flirtant avec l’esthétique des premiers jeux vidéo, ce thriller coloré bat Stranger Things à son propre jeu.
Dargaud, 21 €
A offrir d'urgence :
Dans un rayon de soleil
de Tillie Walden
Odyssée féministe Virtuose et prolifique, la dessinatrice américaine Tillie Walden figure parmi les nouveaux talents à surveiller de très près. Après l’autobiographique Spinning, où elle racontait la découverte de son homosexualité sur fond de patinage artistique, elle prend une direction tout à fait autre avec ce space opera féministe – les hommes en sont totalement absents – qui vire à l’odyssée amoureuse. Un épais et émouvant roman graphique.
Gallimard BD, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Alice Marchand, 29 €
A offrir d'urgence :
Bacon en toutes lettres
sous la direction de Didier Ottinger
L'informe mode d'emploi On connaît peu la dernière période de Bacon, pourtant la plus intense. Au Centre Pompidou, qui rassemble soixante tableaux de 1971 à sa mort en 1992, on le découvre presque abstrait, aux confins de l'informe. L'exposition ponctue le parcours de lectures extraites de sa bibliothèque, d'Eschyle à Bataille, reproduits et analysés dans le catalogue qui l'accompagne.
Centre Pompidou, 42 €
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revuedepresse30 · 5 years ago
Text
L’avenir de la planète commence dans notre assiette
de Santiago H. Amigorena
Onde de choc Le roman le plus fort, le plus bouleversant de la rentrée. Santiago Amigorena raconte comment son grand-père, Juif polonais installé à Buenos Aires dès les années 1920, va suivre de loin l’arrivée des nazis en Pologne et comprendre, peu à peu, que sa mère se retrouve prise au piège du ghetto de Varsovie. Un des textes les plus forts jamais écrits sur le sentiment de culpabilité de ceux qui restent.
P.O.L, 192 p., 18 €
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de Léonora Miano
Afrofuturisme Nous l’avons choisie pour faire la couverture de notre numéro de rentrée littéraire : Léonora Miano est devenue l’une des voix les plus fortes de la littérature française. Vaste fresque futuriste, Rouge Impératrice nous emporte dans une grande histoire d’amour sur fond d’Afrique unifiée, où les Occidentaux demandent asile. A dévorer pendant les vacances.
Grasset, 608 p., 24 €
de Cécile Guilbert 
Addictif De Homère à Will Self, de William Burroughs à Thomas de Quincey, ce livre est une bible sur les rapports turbulents qu’entretiennent les écrivains avec les hallucinogènes et autres drogues, racontés par eux-mêmes dans leurs œuvres. Une anthologie hautement stimulante.
Robert Laffont/Bouquins, 1440 p., 32 €
d'Olivier Saillard
Du style De l’histoire des vêtements avant la mode à l’évolution de la mode à travers les décennies, de la présence des fringues dans les œuvres des plus grands écrivains à la poésie des plus grands couturiers, ceci est l’encyclopédie à avoir si vous aimez le style. D’autant qu’elle est signée par Saillard himself. Et c’est toujours moins cher qu’une robe Alaïa.
Robert Laffont/Bouquins, 1280 p., 32 €
de Marin Fouqué
Chronique rurbaine Révélation de la rentrée, Marin Fouqué, 29 ans, nous a laissés pantois avec sa tchatche inspirée du rap et de la poésie sonore. Plongée en banlieue, dans le 77, autour d’un abribus, quelques jeunes se croisent et se retrouvent. Ça pulse, c’est fort, et ça vaut le détour.
Actes Sud, 222 p., 19 €
d'Ottessa Moshfegh
Press pause Si vous comptez sur Noël pour vous reposer, c’est le roman qu’il vous faut : une jeune héroïne décide de dormir pendant un an, à coups d’antidépresseurs et de somnifères. Pas forcément gai, mais diablement original, le deuxième roman d’Ottessa Moshfegh impose une nouvelle voix de la littérature US, proche de Bret Easton Ellis.
Fayard, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Clément Baude, 304 p., 20,90 €
de Toni Morrison
Classique américain Cette année, Toni Morrison nous a quittés. Il faut profiter du break de saison pour lire ou relire le chef-d’œuvre de cette immense voix de la littérature américaine, nobélisée en 1993. Inspiré de l’histoire vraie d’une esclave ayant tué son enfant, Beloved reste l’un des textes les plus puissants de l’histoire afro-américaine.
10/18, édition spéciale, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Hortense Chabrier et Sylviane Rué, 432 p., 9,10 €
de Pierre Le-Tan
Paris de son cœur C’est le dernier livre que nous laisse le grand dessinateur Pierre Le-Tan, disparu en septembre dernier : une déambulation très modianesque (l’écrivain en signe la préface) dans ses souvenirs d’un Paris évanoui, nostalgique d’une élégance disparue. On y croise une galerie de personnages à haute charge romanesque. Et les dessins du maître : rues de Paris désertes comme s’il n’était déjà plus.
Stock, 144 p., 20 €
de James Ellroy
Histoire interdite C’est peut-être le meilleur roman de l’auteur du Dahlia Noir – c’est dire comme cette Tempête d’histoires fera le cadeau idéal. Ellroy continue de fouiller les arcanes les plus sombres de l’Amérique post-Pearl Harbor. Avec son phrasé au rythme nerveux, musclé, inégalable.
Rivages/Noir, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias et Sophie Aslanides, 697 p., 24,50 €
de Chimamanda Ngozi Adichie
Saga africaine En une poignée de romans, la jeune Chimamanda Ngozi Adichie s’est imposée comme la star de la littérature afro-américaine aujourd’hui. Son Americanah suit l’installation d’une jeune Africaine aux Etats-Unis, puis son retour au pays, avec un souffle puissamment romanesque. Poétique, amoureux, féministe : à mettre entre toutes les mains.
Folio, édition à tirage limité, traduction de l'anglais (Nigeria) par Anne Damour, 704 p., 9 €
de Patrick Modiano
A la recherche du temps perdu Un nouveau voyage dans la mémoire, le Paris du passé, à travers une enquête : un homme recherche une femme disparue. Et s’il l’avait déjà connue ? Magnifique réflexion sur le destin et l’amour, un Modiano qui se dévore tout seul sous le sapin.
Gallimard, 144 p., 16 €
de Jonathan Safran Foer
Noël vegan Lâchez cette putain de tranche de foie gras ! Le climat est bousillé en grande partie à cause de l’élevage industriel (oui, même les oies), ce qui occasionnera des catastrophes à venir. Un livre urgent à lire et à offrir à Noël, par l’auteur du culte Faut-il manger les animaux ?.
Editions de l'Olivier, traduction de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville, 304 p., 22 €
Adam Levine : Bubblegum (Inculte)
(Je ne suis pas sûre de le faire, je vais peut-être le remplacer. Ça dépend du Médicis de vendredi.)
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