#gaytipla
Explore tagged Tumblr posts
clemjolichose · 2 years ago
Text
Rating (and commenting) Vilebrequin's Videos #1
Woohoo! Their first video ever!
Title: ON DÉCOUPE LE TOIT D'UNE VOITURE !!! PEUGEOT 106 CABRIOLET - Vilebrequin WE CUT OFF A CAR'S ROOF!!! PEUGEOT 106 CABRIOLET - Vilebrequin
Release: July 23rd 2017 (6th year anniversary soon!!)
Length: 9:25
youtube
So, uh, their first intro... It doesn't look good but we see here something that haven't changed yet and that I quite like actually : the Vilebrequin FontTM.
The "on s'en bat les couilles" jingle makes me feel bad because
[TW rape, grooming]
It has been made by French rock artist Sunyel who raped and groomed young fans. She admitted to it.
[End of TW]
Sylvain trying to start his car and not succeeding will never not be funny on this channel. They drive too many fucked up cars.
Then it's a lot of actually pretty scenes with rock music in the background, nice. Also, why the fuck are you sawing a car's roof off??? These guys ARE stupid. Morons, even. I love them.
Can we take a moment to appreciate this man's style?
Tumblr media
The flow of the bicolor vest (with a low-cut tank top that we can't see here), the coolness of the mismatched socks, the sharp sense of style. Lazy gay/20
Also the way he opens the gate and enter the car is very sexy to me but I might have a problem.
Warning: you will never see Pierre sitting straight (or standing straight, in any videos). That man doesn't know the word straight.
They're driving in such a fucked up way after that omg. No seatbelts, standing in the car, trying to use broken stuff... (please don't do that. Stay safe in cars).
NOT THE SPLASHING SCENE iudfaeiudfge I KNOW this is Pierre filming so like. He's just getting splashed. Just for ONE clip.
Why the fuck are they making someone without a license drive??? At least they got wiser 'bout that.
So weird hearing my name (Clem) in there.
Anyway, Pierre is driving, eyefucking Sylvain and having the latter fall on him. He's clearly serenading him. As I've always said: this man is in love since day 1.
And so the little car (Sylvain's first one) has died. A bit emotional...
Also I always lose my mind over the postcredit scene. A badly written dialogue about the channel's future... knowing where they are now, that could make me sob. But then they go drink a beer, like the funny idiots they are.
Clearly not my fav video though, but it's the starting point of everything coming after... I'd say a solid 6/10. The sound is bad, the images are bad, they're not acting well, but they're just friends having a great time together and that's actually fun (and gay) to watch.
15 notes · View notes
clemjolichose · 2 years ago
Text
à part les rires en farandole
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Gaytipla (Sylvain Levy x Pierre Chabrier)
Nombre de mots : 19 818
Avertissement : discussion d'abus sexuels sur mineur, pédophilie, réactions traumatiques (PTSD ?), violence physique
Résumé : C’était un mot, une phrase, une situation décrite, une blague innocente en somme. Ce n’était rien, pas grand-chose, une maladresse. Oui, une maladresse, comme lorsqu’on trébuche et qu’on tombe. On se fait mal et on repart, tout va bien, hein.
Alors pourquoi Sylvain Levy y pensait-il autant ?
Note d’auteurice : Ce texte s'inspire d'expériences personnelles. Vous pouvez aussi le lire sur Wattpad ou AO3 !
Partie : 1/1
Chanson : jardin de Pomme
C'était un mot, une phrase, une situation décrite, une blague innocente en somme. Ce n'était rien, pas grand-chose, une maladresse. Oui, une maladresse, comme lorsqu'on trébuche et qu'on tombe. On se fait mal et on repart, tout va bien, hein. Alors pourquoi Sylvain Levy y pensait-il autant ?
Sylvain détesta son cerveau du plus profond de son cœur à cet instant. Pourquoi y pensait-il encore, près d'une heure après la fin de sa soirée avec ses amis ? Il l'avait finie en mauvais état, mais pas à cause de l'alcool. Son corps avait été pris d'une espèce de torpeur étrange, son esprit avait été brumeux, il avait été sec, apparemment. Il ne s'en était pas rendu compte...
Et maintenant que tous ses amis s'étaient endormis dans leurs lits, ayant déjà oublié ces mots, ces phrases, ces blagues maladroites, lui n'avait que l'insomnie. Mais celle-ci était différente : son corps était figé dans son lit, ses yeux grands ouverts qui clignaient à peine, comme s'il faisait une crise d'angoisse sans qu'il n'en comprenne le déclencheur.
Il avait l'impression que quelque chose s'était cassé en lui. Il fallait bien, pour qu'il soit autant hors de lui-même depuis plusieurs heures. Malgré son manque de contact avec son environnement, Sylvain avait l'impression d'être particulièrement lucide, ce qui n'était pas rare dans ses insomnies. C'était peut-être la nuit qui lui permettait de penser plus clairement.
Il se tourna, se retourna, encore et encore sans trouver le sommeil. Et plus il réfléchissait à son malaise de plutôt, plus celui-ci s'intensifiait. Oh, il comprenait que la blague avait pu ne pas lui plaire, c'était de l'humour noir, il avait un peu l'habitude avec ses amis. Mais quand même, d'habitude, ça ne provoquait pas une telle réaction !
Il était perdu, et puis tout à coup il ne le fut plus. Un frisson le parcourut, tétanisant son corps, et il rappela. Il aurait préféré que ça ne soit pas le cas, rester dans l'ignorance, plutôt que de ressentir des mains qu'il avait oubliées sur lui. Ça revenait par petites vagues, où chaque souvenir en apportait d'autres, mais ils restaient lointains et impersonnels. Ça lui permit de ne pas pleurer, alors qu'il le voulait... Oh, ce qu'il aurait donné pour ne pas avoir été seul à ce moment-là !
Il ferma les yeux, fort, il voulait seulement dormir... Mais non, maintenant qu'il se rappelait, il ne pouvait pas échapper à la vision de ce garçon, plus vieux que lui, qu'il avait longtemps oublié. Il ne pouvait pas échapper non plus aux sensations qui revenaient, et qu'importe combien il les détestait, son corps y réagissait un peu trop positivement. Ça le dégoûtait, il voulait vomir, quitter sa peau et disparaître, c'était trop, trop, trop...
Il allait exploser, il fallait qu'il arrête, qu'il pense à autre chose, qu'il fasse autre chose, qu'il oublie si possible. Il rouvrit les yeux et se leva d'un coup, traversant la chambre vide comme une furie, rejoignant la salle de bain. Il avait tant transpiré, sans s'en rendre compte, et pourtant il avait terriblement froid.
Sylvain approcha de la cabine de douche, y fit couler l'eau froide, il hésita. Oh et puis merde, ça l'aiderait sûrement à penser à autre chose. Il se déshabilla et entra dans la cabine, laissant l'eau glacer laisser des traînées douloureuses sur sa peau. Ses muscles étaient bandés, il avait la chair de poule et toujours envie de pleurer, mais ça faisait du bien, alors il resta comme cela un moment, gardant la température glaciale.
Quand son corps lui fit trop mal, quand il fut trop fatigué de trembler, quand il manqua de tomber à cause de ses jambes trop faibles, il se décida enfin à faire couler de l'eau plus chaude à la place. Son esprit s'était posé, ses pensées avaient arrêté de courir partout, il pouvait enfin souffler alors que son corps se réchauffait et récupérait une couleur normale.
Les événements de la soirée se reproduisirent, pour son plus grand malheur, à des moments aléatoires de la journée, mais surtout la nuit. Quand Sylvain le pouvait, il allait prendre une douche glacée, pour que la douleur physique efface ses pensées. Il voulait le vide, la paix, mais sa mémoire venait de lui déclarer la guerre et il ne savait pas comment s'en sortir.
Pour les journées de torpeur, quand il était accompagné, souvent de Pierre ou d'autres personnes, Sylvain n'avait pas d'autre solution que de tout contenir. Il divaguait alors, n'écoutait plus rien, remarquait à peine les gens autour. Il savait qu'il les inquiétait, mais que pouvait-il y faire ? Il n'allait pas leur parler de ça...
Alors il resta seul au milieu de ses souvenirs, qu'il devait trier, étiqueter, déceler le vrai du faux. Il aurait peut-être dû s'atteler à s'en protéger, au lieu de se rendre si vulnérable par son exposition à leurs épines. Peut-être. C'était trop tard, un bout de lui était définitivement mort.
Une seule chose lui permettait de se sentir bien : la douleur. C'était la sensation la plus efficace pour lui remettre les pieds sur terre, et il la recherche de plus en plus souvent.
La douche froide n'était plus assez douloureuse ? Qu'à cela ne tienne, il pouvait tester l'autre côté du spectre des températures et se brûler la peau. Elle devenait rouge et, à certains endroits, gardait cette coloration plusieurs jours. Elle devenait plus sensible aussi, alors il était plus facile d'avoir mal.
Ça n'allait pas beaucoup plus loin que ses douches quotidiennes, au début. Mais voilà : ça ne marchait qu'un temps, ce n'était pas assez. Il avait passé vingt ans à oublier, il n'avait pas appris à vivre avec, il ne savait pas comment traiter les informations que sa mémoire lui envoyer. Par faiblesse, par destruction, il s'abandonna à toutes sortes de comportements désastreux...
Sylvain alimenta, sans le vouloir, les pensées malsaines. Il les nourrit à repenser à celui qui avait redébarqué dans son esprit, aux événements qui les avaient liés, la culpabilité augmentait proportionnellement au désir. Il se mit en quête de quelque chose de différent, qui répondait à plus de besoins que sa cabine de douche... Il se mit en quête de sexe. Il était célibataire, il pouvait bien faire ce qu'il voulait, non ? Alors il passa de plus en plus de temps sur les applications de rencontre, sans trouver son bonheur. Oh, il acceptait quand même les coups d'un soir, avec n'importe qui, n'importe où, n'importe quand, mais ça l'ennuyait. Il ne le voulait pas vraiment, il se forçait, comme pour se punir.
L'alternative aux applications de rencontre était les lieux de rencontre. Par chance, à Paris, il y en avait plein. Beaucoup, partout, remplis d'un tas de gens venus chercher des choses similaires. Il en testa plusieurs, en s'y rendant régulièrement, en goûtant à tout sans jamais être rassasié. Mais plus il cherchait, plus il avait faim, c'était un cercle vicieux...
Son hypersexualité se développa sans que personne ne le voit pas. Pourtant, il parlait de la majorité de ses conquêtes à ses amis, mais c'était presque normal : bah oui, un homme célibataire, ça couche à droite à gauche, ça peut tout faire sans vouloir dire qu'il allait mal, ou qu'il était tout à coup une mauvaise personne. Sylvain aurait peut-être préféré qu'on le lui dise, qu'il était une mauvaise personne. Vu ses pensées, il aurait jugé ça vrai. Alors à force de vouloir l'entendre, il le devint.
Sylvain entra dans un bar bondé, un bar avec une mauvaise réputation, principalement peuplé d'hommes, un soir où ses pensées obsessionnelles avaient été particulièrement mauvaises avec lui. C'était une mauvaise idée, il devait se lever tôt le lendemain pour un tournage, mais ce n'était pas comme si sa tête allait le laissait tranquille. Non, il savait qu'il ne trouverait pas le sommeil, autant faire quelque chose de productif.
Il s'assit à une table, seul, bien en vue, et commanda un verre d'alcool. Il observait les gens autour, qui parlaient trop fort, qui étaient trop nombreux, qui l'observaient curieusement, tous. Ils savaient. Sylvain ne savait pas comment, mais tous savaient ce qu'il y avait derrière ses yeux innocents, et c'était l'exact opposé. Le verre servi, il le vida en deux ou trois gorgées, puis il attendit quelques minutes avant d'en consommer un second.
Quand il se leva de sa chaise, il titubait et se sentait plus léger. Il riait seul face à ses propres mouvements maladroits, essayant de sortir sans encombre, sans remarquer qu'il était suivi. Ou peut-être qu'il avait remarqué et qu'il s'en foutait.
En tout cas, il ne fut pas surpris quand il vit le même homme dans la rue, dans le métro, au pied de son immeuble... Il ne fut pas surpris non plus quand celui-ci le choppa d'une poigne ferme et douloureuse, tordant son bras. Il ferma les yeux et le laissa faire. C'est ça, le laisser faire, tout ira mieux...
C'était ce qu'il avait voulu, ce qu'il avait provoqué, il ne pouvait donc s'en prendre qu'à lui-même, n'est-ce pas ? Sylvain et son esprit malade, tordu, obsédé, qui n'en avait jamais assez et en demandait toujours plus. Il avait eu sa dose, là, non ? Eh non, il provoqua ces entrevues à nouveau, au même bar, avec le même homme, ne se rappelant plus de leurs activités bien souvent, ne récoltant que les séquelles sur sa peau.
Mais il cachait ces blessures. Il se disait que les autres ne comprendraient pas, que ses amis s'inquiéteraient trop pour rien, qu'ils contrôlaient parfaitement la situation. Evidemment qu'il contrôlait la situation, puisqu'il obtenait ce qu'il voulait. C'était bien là le signe qu'il contrôlait, que rien ne lui échappait.
Les hallucinations et les visions continuaient pourtant de le harceler. Sylvain avait espéré les faire disparaître, oublier à nouveau, remplacer les souvenirs par d'autres, tout aussi violents. Rien n'y faisait. Rien, rien, rien. Et lui, il désespérait...
Pierre commençait à voir les changements. Il remarquait les sursauts de son ami, quand il posa sa main sur lui. Il apercevait ses efforts pour cacher, cacher son corps et ses sentiments, lui qui était si ouvert.
Chaque fois, il insistait, élevait la voix, pressait le sujet, devant un Sylvain tout bonnement muet. Ça l'énervait au plus haut point, et il abandonnait souvent pour ne pas se retrouver à le disputer. Même s'il ne savait pas quelle mouche l'avait piquée, son ami ne méritait sûrement pas sa colère.
Mais comme toujours, il y eut la fois de trop. La fois où Pierre était fatigué, inquiet, la fois où, se trouvant chez Sylvain, il remarqua de nouveaux détails, des choses qui ne devaient pas être là. La trousse à pharmacie ouverte, l'antiseptique à portée de main à côté du savon, quelques gouttes de sang qui n'avaient pas été nettoyées...
Pierre sortit en trombe de la salle de bain, furieux. Il ne savait pas trop pourquoi. Sylvain s'était blessé récemment, alors quoi ? En quoi ça le regardait ? Mais il n'était pas con, il savait additionner deux et deux.
Il se retrouva dans le salon de son ami, qui sursauta en l'entendant arriver, lui qui l'attendait en traînant sur son téléphone.
« Tu m'as pas dit que tu t'étais blessé, l'accusa immédiatement Pierre. »
Le visage de Sylvain se décomposa. Il se redressa, les yeux hagards.
« Bah, euh, c'est rien en même temps, se défendit-il mollement. J'ai pas le droit ? Il faut absolument que je le dise à papa ?
-Tu sais très bien pourquoi je dis ça, Sylvain, répliqua Pierre d'un ton froid. Bordel, joue pas à ça avec moi, ça fait des semaines que j'essaye de savoir ce qui se passe et tu me dis rien !
-Mais y'a rien à savoir parce qu'il se passe rien ! Lâche-moi avec ça ! »
Il était définitivement sur la défensive.
D'habitude, Pierre en restait là, parce qu'il savait qu'il ne tirerait rien. Pas cette fois-ci, son inquiétude parla pour lui, sans filtre :
« Je vais pas te lâcher parce que je vois bien que ça va pas mais putain si tu me dis rien, ça va être dur de t'aider !
-Pourquoi tu veux m'aider, même ?! Tu t'es pris pour le sauveur ? Puisque je te dis que j'ai pas besoin d'aide, tu veux pas me faire confiance un peu ? Ou alors tu me prends vraiment pour un enfant. C'est ça, en fait... Mais t'es pas mon putain de daron, Pierre.
-Je suis pas ton daron mais je suis ton pote ! rétorqua le susnommé en élevant la voix. C'est toi qui fais l'enfant, là. C'est pas ma faute si tu joues à garder tes petits secrets de merde alors que moi j'ai peur ! Putain, je me chie dessus en me demandant ce qui va pas ! »
Il se stoppa enfin, essoufflé.
Les mots de Pierre commençaient à vraiment dépasser sa pensée. Il se stoppa, respira profondément pour se calmer, les yeux fermés, juste l'espace d'un instant... Puis il rouvrit les yeux et posa un regard déterminé sur Sylvain, qui était toujours assis, les muscles tendus, le regard lançant des éclairs.
« C'est où ? demanda Pierre tout à coup. Tu t'es blessé où ? »
Sous la surprise, Sylvain ne répondit pas tout de suite. Il baissa la tête et murmura :
« Dans le dos...
-Fais voir. »
Immédiatement, il approcha.
La réaction fut immédiate : Sylvain sursauta et se roula en boule, voulant empêcher son ami de soulever son t-shirt. Celui-ci ne l'entendit pas de cette oreille. D'une main, il retint ses bras, et il tira sur le tissu de l'autre.
Sylvain sentit la peau contre la sienne, les doigts qui glissèrent sous ses vêtements, pour chercher le pansement, la main contre sa hanche... Il éclata en sanglots. C'était plus fort que lui, c'était trop, il ne pouvait pas...
Il poussa Pierre beaucoup plus violemment, le frappant au niveau du ventre, avant de se rouler en boule à nouveau. Pierre recula soudainement, prêt à lui crier dessus pour qu'il se laisse faire. Il n'avait pas remarqué ses pleurs, jusqu'ici, mais il voyait maintenant son visage baigné de larmes. Sa colère redescendit d'un seul coup, l'étourdissant, laissant place à la culpabilité et à la honte. Il allait s'excuser, mais Sylvain le devança d'une petite voix :
« Casse-toi.
-Sylvain, je suis désolé, tenta Pierre. Je voulais juste—
-Casse-toi ! le coupa son interlocuteur avec plus de véhémence. Casse-toi de chez moi, Pierre. »
Sa voix se cassa, à cause des larmes et des sanglots. Il n'avait même plus l'air énervé, juste brisé.
Pierre s'approcha de lui, la main tendue, voulant l'enlacer, le rassurer, l'apaiser... Son geste eut l'effet contraire. Sylvain se braqua d'autant plus, fermant les yeux comme s'il appréhendait la suite, comme s'il allait être frappé, tout son corps se contractant pour se faire encore plus petit... Bordel, quelque chose clochait vraiment.
Comme il était plus proche, Pierre entendit d'ailleurs la litanie que répétait son ami, un mélange d'excuses et de supplications, tellement bas que les mots se distinguaient à peine les uns des autres.
Pierre tenta malgré tout un contact. Un sursaut, une explosion, voilà la réponse qu'il reçut. Sylvain frappa sa main et s'énerva encore :
« T'as pas entendu ? Casse-toi ! Tu fais pire que mieux... »
C'était déstabilisant, jamais il ne l'avait vu comme ça. En fait, il n'avait jamais vu personne réagir ainsi, être autant entre les pleurs et la colère, autant en détresse et fermé...
Il capitula. A quoi bon ? Si sa présence blessait son ami plus qu'autre chose, il valait mieux le laisser, qu'importe ses propres remords et sa culpabilité. Il récupéra ses affaires, essayant d'ignorer les sanglots qu'il entendait. Merde, il voulait pleurer lui aussi. Comment avait-il pu déraper autant et se déchaîner sur lui ? Mais il les fera, ses excuses. Il se le promettait. Et en bonne et due forme.
Sylvain pleura longtemps cet événement, même pendant les jours qui suivirent. Il avait été plongé dans une dissociation intense entrecoupée de douleurs, avant de devoir remettre son masque. Les jours avaient passé sans qu'il ne le remarque, le tournage suivant le prit de court.
Il se força à sourire à Pierre, à se détendre, à être bon et naturel. C'était de plus en plus dur, surtout qu'il voyait bien le regard de chien battu que lui lançait l'autre en permanence, avec ses yeux brillants, ses sourcils légèrement froncés et ses lèvres pincées. Parfois, il se surprenait à vouloir le frapper et crier à nouveau contre lui, une envie qu'il réprimait avec peine tant elle était obsédante.
Depuis leur dispute, Sylvain ne pouvait s'empêcher de penser que peut-être, Pierre avait raison. Que c'était de la merde, plus insignifiant qu'il ne se le représentait, que peut-être ça ne s'était pas passé comme ça et qu'il inventait... Qu'il faisait l'enfant, quoi, à tout mélanger et voir les dangers plus grands qu'ils ne l'étaient en réalité. Il ne lui en voulait pas. De toute cette histoire, il ne pouvait en vouloir à personne.
Comme un malheur n'arrivait jamais seul, il apprit bientôt le décès d'un de ses grands-parents, qu'il communiqua rapidement à Pierre. Il fut incroyable pour le consoler, et Sylvain se rassura de parvenir à être touché de nouveau par lui.
Pendant qu'il pleurait dans ses bras, Sylvain lui annonça qu'il irait à Saint-Etienne prendre sa part de l'héritage et vider la maison. Immédiatement, Pierre lança :
« Je vais venir avec toi. »
Ce n'était pas une question. Sylvain rit doucement en reniflant.
« Tu seras mes bras, comme ça, blagua-t-il. Puis ton Range est plus grand.
-C'est ça, je serais ton sbire à ton service. »
Pierre sourit en le serrant contre lui. Il se sentait toujours mal pour la dispute précédente et le son du rire de son ami le rassurait profondément. Son contact, aussi. Il n'avait pas tout gâché.
Dans le mois qui suivit, donc, les deux hommes se retrouvèrent pour prendre la route de Saint-Etienne. Pierre récupéra Sylvain chez lui, le pauvre semblait crevé... Il le laissa dormir sur le chemin, ne le réveillant qu'à l'arrivée, où il lui donna le temps d'ouvrir les yeux et de s'étirer.
« Voilà. Tu veux entrer en premier ? »
Il prenait ses précautions, lui laissait de l'espace, comme son ami avait été à fleur de peau ces derniers temps.
« Non, viens avec moi, demanda Sylvain. »
Il posa son regard sur lui, suppliant et fatigué. Pierre ne pouvait qu'accepter.
« D'accord, bien sûr, répondit-il doucement en acquiesçant. »
Il se détacha alors.
Les deux hommes quittèrent le véhicule, mais Sylvain ne bougea pas. De la où il était, il voyait la maison des voisins, qu'il fixait avec un regard absent. Pierre s'approcha de lui comme il n'avançait pas et fronça les sourcils en suivant son regard.
« Il y a un problème ?
-Hein ? Non, rien. »
Comme si de rien n'était, Sylvain alla ouvrir la porte d'entrée.
Il avança doucement dans la maison, observant les pièces et visitant. Ça faisant longtemps qu'il n'y était pas allé, il regrettait un peu. Il passa dans le salon, dans la salle à manger, dans la cuisine, il monta les escaliers... Pierre le suivait de près, ne disant rien, attendant les autres pour savoir ce qu'ils allaient embarquer. Mais son ami semblait vouloir visiter, avant. Il n'était pas en droit d'interférer avec ce souhait. Il visita avec lui les chambres.
Puis ils descendirent ensemble. Enfin, Sylvain donna ses instructions, l'aidant quand il pouvait. C'était majoritairement Pierre qui faisait les allers-retours, malgré tout, pour que l'autre se concentre sur le mobilier et les bibelots.
Sylvain prenait son temps. Il observait les souvenirs avec nostalgie et montrait avec excitation les photos de lui et sa sœur enfants à Pierre, qui se foutait de sa gueule. Ils riaient bien. Jusqu'à une photo qui ne fit plus du tout rire Sylvain... Dessus se trouvait lui, enfant, entouré de son meilleur ami d'enfance et d'un autre garçon, bien plus grand, presqu'adulte. Ce dernier était accroupi entre les deux enfants, ses bras autour d'eux.
Le pauvre homme fixa la photo sans montrer d'émotion. En fait, il se sentait vide, hostile à la limite. Voilà un visage qu'il avait oublié, et il n'eut aucun mal à y associer un corps, des mains, des gestes, des mots, des souvenirs.
« C'est qui ? demanda Pierre avec curiosité. »
Il était debout derrière lui, très proche, la tête baissée vers ce que son ami regardait. Il tourna la tête vers lui, il avait bien remarqué son changement de comportement, le sourire disparu.
« Personne, mentit Sylvain. »
Et son interlocuteur ne dit rien, le tirant seulement pour l'éloigner de l'objet maudit, pour qu'il détache enfin son regard du visage inconnu.
Et la ronde reprit, sans commentaire si ce n'est le regard inquisiteur de Pierre sur l'autre homme, dont les mouvements étaient devenus semblables à ceux d'une machine. Il croisa les bras en l'observant fouiller une boîte. Il était tout concentré dessus, tout humain à nouveau, comme s'il avait oublié la photo. Mais il n'avait rien oublié.
Après le rez-de-chaussée, Pierre et Sylvain attaquèrent l'étage, réservant pour la fin la chambre qu'il avait partagé avec sa sœur. C'était rapide, malgré tout. Sylvain ne voulait pas récupérer tant de choses de ses grands-parents. Alors il ne resta qu'une pièce.
Sylvain poussa la porte avec un pincement au cœur. Cette chambre ressemblait à une autre chambre, à laquelle il ne voulait plus penser. Il y avait là deux lits contre deux murs opposés de la pièce, chacun ayant sa propre table de chevet, et sa lampe, et son tapis. Les draps étaient toujours faits, même s'ils n'avaient pas dû être changés depuis des années.
Un pas, deux pas, l'homme s'approcha du lit qu'il avait occupé. La nostalgie se fit plus forte ici : il n'était plus question de partager avec Pierre ses souvenirs d'enfance, mais d'en retrouver un pour lui-même. Une peluche grise – autrefois blanche sûrement – à l'effigie d'un lapin. Il lui manquait un œil et il s'effilochait, mais il était toujours parfaitement reconnaissable.
L'objet était si petit dans ses grandes mains d'adulte. Sylvain le tourna et le retourna, le contemplant sous toutes ses coutures sans rien dire. Il remarqua des traces de morsures au niveau des oreilles, et un peu de sang.
« Tu les bouffais tes doudous ou quoi ? blagua Pierre qui l'avait suivi. »
Il ne répondit pas, éloignant de son esprit la raison de ces morsures, continuant son observation méthodique.
Quand il n'y eut plus rien à observer, plus rien dont il fallait se souvenir, Sylvain laissa sa main tomber, la peluche au bout, la tenant comme un enfant.
« Je vais le prendre, commenta-t-il seulement.
-Pas de soucis. Autre chose ?
-Non, tu peux m'attendre à la voiture, j'arrive. »
Pierre acquiesça, un peu réticent à l'idée de le laisser seul. Il avait l'air d'en avoir besoin, en même temps, alors il abdiqua et le quitta.
L'escalier en bois grinça sous ses pieds, le même bruit qu'il y a vingt ans, comme une musique à ses oreilles. Il traversa ensuite le couloir, tourna dans le salon et sortit par la baie vitrée. Le jardin. Ils ne s'y étaient pas rendus comme il avait déjà été vidé.
Il avança sur la terrasse puis sur l'herbe, jusqu'au fond du jardin. Tiens, il restait une vieille table en plastique entre les hautes herbes qui n'avaient pas été coupées depuis deux ans sûrement. Il grimpa dessus, s'y assis en tailleurs, jetant un regard circulaire aux alentours d'où il était perché. Ses mains jouaient avec la peluche qu'il tenait toujours.
Puis ses yeux se stoppèrent. Par-dessus le muret qui séparaient le jardin de celui des voisins, il pouvait voir l'intérieur, qui n'avait pas tellement changé depuis la dernière fois qu'il y avait joué. Jouer. Il n'avait pas fait que ça, entre les arbres, il le savait. Il avait perdu bien plus que des billes...
L'envie de pleurer arriva sans prévenir, alors qu'elle s'était faite toute petite depuis le début de la matinée. Sylvain ne put la réprimer : il pleura silencieusement, le visage déformé par la tristesse, serrant contre sa poitrine ce qui l'avait tant aidé auparavant : le petit lapin en peluche.
Il se laissa tomber sur le côté, se roulant en boule encore une fois, ignorant la saleté qui d'habitude le dégoûtait. Il pleura là longtemps, si bien que Pierre s'en inquiéta. Il l'appela, Sylvain l'entendait crier son prénom au loin, mais sa voix se mélangea à celle de sa mémoire, une voix qui n'avait pas encore totalement muée ou qui était en train, une voix qu'il avait souvent entendue dans ce jardin...
Sylvain sentit une main dans ses cheveux. Elle était douce, aimante, il sourit en la sentant, même s'il pleurait encore.
« Tu me fais une place ? demanda Pierre. »
Entendre sa voix d'aussi près lui fit du bien. Elle parlait par-dessus l'autre, il les distinguait maintenant, et ça le rassurait.
Il leva la tête, laissa son ami s'asseoir, qui fit exprès de se caler à moitié sous lui. Sa main retrouva rapidement son crâne, caressant ses cheveux à nouveau. Il était plus à l'aise, comme ça, avec sa tête contre la cuisse de Pierre.
« Tu veux bien me dire ce qu'il se passe ? l'interrogea ce dernier. Je sais que j'ai dépassé les limites la dernière fois, je comprendrais si tu veux pas me le dire...
-Si je le dis à quelqu'un, ce serait toi, chuchota Sylvain d'une voix cassée. »
Son ami ne put s'empêcher de se sentir fier à ces mots. Il n'avait pas brisé sa confiance, il n'avait pas niqué leur amitié. Tout ira bien.
La main de Pierre continuait ses allers et venues dans les cheveux de l'autre homme, le calmant, essuyant ses larmes, attendant qu'il parle. Plusieurs minutes s'écoulèrent ainsi. Parfois, les pleurs redoublaient avant de se calmer à nouveau.
Quand il fut suffisamment apaisé et stable, capable de s'exprimer, il se mit à parler doucement, sans que l'autre homme ne l'interrompe :
« Quand j'étais petit, j'avais un meilleur pote. Tu le connais, je t'ai parlé de lui... Eh bah il avait un grand frère. Il avait au moins dix ans de plus que nous, du coup il s'occupait souvent de nous. Il venait nous chercher à l'école puis on allait à l'épicerie chercher un goûter. Il nous surveillait, jouait avec nous... »
Sylvain marqua une pause. Jouer. Encore ce mot qui sonnait si dur à ses oreilles. Pierre le laissa se taire comme il le laissa parler ensuite, sans cesser ses caresses :
« La première fois qu'il m'a touché, on était dans le jardin. Je jouais dans mon coin, je sais plus trop pourquoi, et le gars s'est approché. Il s'est assis à côté de moi et m'a posé plein de questions, mais elles étaient de plus en plus bizarres. A l'époque, j'ai pas compris le problème, alors je l'ai laissé faire quand il a mis sa main sur moi... »
La main de Pierre se stoppa un instant, puis reprit sa danse, plus tendre encore.
« Il m'a dit de rien dire, et moi je comprenais pas. Putain, je comprenais pas... Et, et—il m'a dit que sinon, il arrêterait. »
Sylvain se mordit la lèvre, retenant de nouvelles larmes.
« Je voulais pas qu'il arrête. Je me suis fait ça tout seul, je suis vraiment qu'un con... Mais, je sais pas, il me donnait de l'attention et... ça faisait du bien, tu vois ? Bordel, je sonne comme un pervers ! Je me souviens juste que je voulais pas que ça s'arrête, alors il a recommencé. Je savais pas du tout ce qu'il se passait... »
Et il se tut, pleurant à nouveau en silence.
Comme il ne parla pas pendant plusieurs minutes, Pierre prit la parole, la voix un peu étranglée :
« Tu avais quel âge ?
-Je sais plus trop, huit ans je crois... Mais ça a peut-être commencé avant. En CP ? Aucune idée, désolé... »
Son interlocuteur avait envie de pleurer aussi, maintenant.
Jamais Pierre n'avait soupçonné que son ami avait pu vivre ce genre d'abus. Ça le déchirait de savoir que quelqu'un avait pu lui faire du mal ainsi, alors qu'il était si jeune, innocent et vulnérable. Et surtout, ça lui donnait envie de retrouver ce gars et de le battre jusqu'au sang.
Il avait bien compris l'étendue de l'abus malgré les périphrases. En réaction, sa main s'était crispée, comme le reste de son corps à vrai dire, et sa respiration était devenue irrégulière. Mais il voulait laisser Sylvain parler et lui dire tout ce qu'il avait sur le cœur, avant de quitter cet endroit pour la dernière fois sûrement.
« Ça a duré combien de temps ? questionna-t-il en mesurant sa voix. »
Sylvain baissa le regard vers la peluche qu'il tenait toujours, réfléchissant.
« Plusieurs années, je crois ? J'en sais rien. C'est flou et j'ai l'impression que je me souviens pas de tout... J'ai commencé à me souvenir il y a deux mois environ, à cause d'un truc tout con qu'Arthur a dit.
-J'vais le défoncer, lâcha Pierre.
-C'est pas de sa faute, il pouvait pas savoir... »
Pierre secoua la tête, sa main quittant les cheveux de son ami pour se poser sur son épaule.
« Je parle pas de lui. »
Juste ça. Sylvain comprit et hocha la tête.
Lui avait du mal à le détester, parce qu'il l'avait trop aimé. Pourtant, vu la réaction de Pierre, il se doutait qu'il devrait être plus véhément, le détester et brûler son nom, mais c'était si compliqué... Il n'y arrivait tout simplement pas, qu'importe combien il essayait. Et ce n'était pas normal, hein ? Il faut détester les abuseurs, pas les aimer. Si seulement son cœur y mettait du sien, aussi...
Les deux hommes traînèrent là une dizaine de minutes encore, s'étreignant un peu plus. Pierre bougea doucement, brisant le moment à contre-cœur, passant une dernière fois sa main sur la joue de Sylvain pour en chasser les larmes.
« On va manger quelque chose ? Je suis affamé... »
Son ami hocha la tête. Il ne voulait plus parler, il était fatigué...
Ils retournèrent à la voiture, où Sylvain déposa sa peluche. Il l'installa à sa place, sous le regard légèrement amusé de l'autre homme. Il aurait pu l'être plus, s'il n'avait pas entendu son témoignage plutôt. Il se serait sûrement moqué aussi. Là, il n'en avait aucune envie, il voulait lui laisser ça.
Il y avait un restaurant ouvert dans le centre-ville, mais il était trop tard pour que les deux amis y déjeunent. Ils se rabattirent donc sur la solution de secours : trouver des sandwichs au supermarché du coin. Heureusement, il n'était pas très grand et ils trouvèrent vite leur bonheur, le moral remonté par leurs péripéties marchandes.
Une fois les sandwichs payés, Pierre et Sylvain sortirent du magasin et s'arrêtèrent en retrait, pour potentiellement trouver un endroit sympathique où déguster ces délicats mets Sodebo.
« Hey mais je me disais bien que je t'avais reconnu ! cria une voix derrière eux. »
L'homme d'à peine quarante ans marchait dans leur direction en faisant un signe de la main. Sylvain lui jeta un regard et se figea.
Ces yeux, ces lèvres, ce visage malgré la chevelure plus longue qui l'encadrait... Tout chez ce supposé inconnu mettait le jeune homme en alerte, ce que son ami remarqua bien.
« C'est qui ? chuchota-t-il en fixant l'homme.
-C'est lui, souffla Sylvain.
-Lui... répéta Pierre, confus, les sourcils froncés, avant de comprendre. Oh bordel, celui qui t'a... ? »
Un hochement de tête, très léger, et c'était suffisant pour que Pierre sente son sang bouillir. La colère monta si violemment qu'il en eut la nausée.
L'homme arriva à leur hauteur et tendit la main pour serrer celle de Sylvain, qui ne réagit pas. L'autre ne se démonta pas et parla à nouveau :
« Purée, ça fait longtemps que je t'ai pas vu, la dernière fois t'étais pas plus haut que ça ! »
Il montra une hauteur approximative avec sa main.
« Mais je vois que tu es devenu un beau jeune homme, poursuivit-il. Ton visage n'a pas changé... »
Il leva la main pour le toucher, mais Pierre réagit au quart de tour et lui attrapa fermement le poignet.
« Le touche pas, enfoiré. »
L'homme cligna des yeux, surpris, avant de glisser un regard vers Sylvain, comme pour obtenir confirmation. Celui-ci baissa les yeux d'un air coupable, incroyablement mal à l'aise.
« Lâche-le, Pierre, demanda-t-il doucement.
-Certainement pas, il mériterait que je le bute. »
L'homme repoussa Pierre, qui essayait de ne pas exploser parce que Sylvain était juste à côté. Oui, c'était juste pour Sylvain. S'il n'avait pas été là, ce gars serait déjà mort.
L'homme se recula de deux pas, ignorant Pierre pour reporter son attention sur Sylvain. Il avait l'air énervé à son tour.
« Tu lui as dit ? Bordel, Sylvain, je t'avais dit quoi ? »
Le susnommé ne répondit pas, il en était incapable. Il voulait juste pleurer, il n'aimait pas l'idée de l'avoir déçu.
Heureusement pour lui, Pierre n'avait aucun mal à remettre l'autre à sa place. Il fit un pas en avant, se plaçant entre son ami et son ennemi, le toisant d'un regard plus noir que Sylvain ne l'avait jamais vu.
« T'as rien à lui dire du tout, t'es qu'un putain de pédophile et t'as pas intérêt à poser tes mains de gros dégueulasse sur lui !
-C'est drôle, moi j'ai un tout autre souvenir de tout ça... Demande-lui ce qu'il faisait quand on arrivait à la maison. »
Derrière Pierre, Sylvain ferma les yeux, retenant à peine ses larmes. Il était étourdi par les accusations, d'autant plus qu'il savait qu'elles étaient vraies, qu'il avait parfois cherché son malheur. C'était l'idée ancrée dans sa tête, déformée par la culpabilité et l'affection qu'il portait toujours à cet homme, et ça lui faisait mal. Il avait presque envie de tout lui pardonner et de recommencer, là.
Pierre ne l'entendit pas de cette oreille. De son œil extérieur, le constat était simple, peut-être un peu trop : Sylvain était l'innocente victime et l'autre, le criminel. L'intéressé ne se trouvait pas du tout innocent, mais son ami comptait lui faire entendre raison. Cependant, il devait d'abord s'occuper du problème devant lui, qui continuait de jacasser :
« Il a pas toujours été comme ça, tu sais. Il n'était pas aussi timide... J'ai juste répondu, j'ai rien fait de mal, moi...
-C'était un putain d'enfant, bordel ! cria Pierre, ne se retenant plus. »
Il l'attrapa par le col, le soulevant légèrement. Immédiatement, l'homme attrapa ses mains et tira pour qu'il le lâche. En vain.
La poigne de Pierre était puissante, et il plaqua son corps contre le mur adjacent avec tellement de force qu'un craquement retentit, ainsi qu'une plainte étouffée. Tant mieux, se dit Pierre, ça devait continuer.
Sylvain ne réagissait pas. Il était trop sous le choc pour bouger, ou même regarder. Non, il ne voulait pas voir ça, ni même entendre. Il plaqua ses mains sur ses oreilles, tournant le dos à la scène, refusant d'en prendre connaissance. Comme si ça servait à quelque chose... Les images s'imposaient à son esprit quoiqu'il arrive, et c'était sûrement pire : d'autres visions les accompagnaient, celles de ses souvenirs.
Pierre ne se redressa que lorsque son opposant le supplia, affaibli par les coups. Il ne savait même plus combien il en avait asséné, ni même où. En fait, il n'avait aucun souvenir de ce qu'il venait de faire. C'était le vide dans son esprit, un immense trou noir. Tant mieux, sûrement.
« Si tu portes plainte, t'inquiète pas que ferais tout ce que je peux pour que tu payes vraiment, le menaça-t-il. Et j'en ai rien à battre si y'a prescription, je trouverai un moyen. »
Il se releva enfin, quand il sut que l'autre avait compris, et se tourna immédiatement vers Sylvain.
Il lui faisait toujours dos, n'avait pas bougé, figé dans sa dissociation. Pierre posa une main sur son épaule, doucement, malgré son sursaut.
« Allez viens, on y va, dit-il doucement en le guidant vers la voiture. »
Son ami retira ses mains de ses oreilles et rouvrit les yeux. Ses bras enlacèrent son propre corps, comme s'il se câlinait, alors qu'il tenait toujours le sac de victuailles. Il se laissa faire, le regard dans le vide.
Aucun des deux hommes ne parla sur le chemin. Pierre installa son ami sur la place du passager, prenant soin de retirer la peluche qui avait été déposée là. En la voyant, le visage de Sylvain s'illumina un peu et il se détendit doucement, incertain. Il leva ses deux mains, comme un enfant profondément triste réclamant son jouet. Pierre lui donna avec un petit sourire, rassuré, et alla s'asseoir lui-même à la place du conducteur.
Sylvain se tourna vers lui et grimaça. Il n'avait pas levé les yeux vers lui depuis qu'il avait tabassé cet homme – la pensée seule le rendait malade – et le tableau était plus misérable qu'il ne se l'était représenté.
« Pierre... murmura-t-il, attirant son attention. »
Il lâcha sa peluche qui tomba sur ses cuisses et attrapa les mains de Pierre. Elles étaient blessées, coupées par endroit et se couvrant peu à peu d'ecchymoses. Mais surtout, elles étaient couvertes de sang.
Immédiatement, Sylvain fouilla dans ses poches avec une certaine maladresse et sortit un paquet de mouchoirs. Il en tira un, le déchirant un peu, soupira, le déplia, se battit contre les plis... Finalement, il put essuyer les mains de son ami. Ami qui regardait fixement ce qu'il faisait.
Il ne s'était pas rendu compte des dégâts du combat contre son corps. Combat, oui. Maintenant qu'il reprenait ses esprits et que l'adrénaline quittait son corps, il sentait son visage et ses mains le brûler et son ventre comme écrasé. Tout lui faisait tellement mal, en fait.
Et Sylvain, si gentil, si bienveillant, s'occupait de ses blessures comme il le pouvait, avec son mouchoir tout déchiré et ses yeux humides.
« Je ressemble à quoi ? demanda Pierre que le silence angoissait. »
Son ami jeta un regard à son visage, à sa lèvre inférieure fendue, à sa pommette noircissant, au sang qui coulait sur son menton...
« A rien, répliqua Sylvain avec honnêteté. »
Il ne fit pas d'autres commentaires.
Ses mains tenaient avec une telle délicatesse celles blessées de son ami que celui-ci aurait bien pu fondre en larmes. Peut-être la culpabilité était-elle en train de monter. Pas pour cet homme, oh non, il ne regrettait rien à son encontre... Mais il culpabilisait pour Sylvain, qu'il n'avait pas pu protéger de la violence. Il se sentait nul, incapable, il avait l'impression que la douleur de son ami était impossible à éponger, mais il voulait quand même essayer. Pour l'instant, c'était lui qui épongeait le sang de ses mains, sang qui n'était pas toujours le sien.
Et le silence revint, toujours lui. Pierre le détestait, il voulait entendre la voix de son comparse, l'écouter parler comme si de rien n'était, comme si rien ne s'était passé... Mais Sylvain était ailleurs. Il y avait, dans ses gestes, dans ses yeux, dans sa voix, une douceur enfantine et presqu'innocente. Et ça tordait encore plus le cœur et les entrailles de Pierre, qui ne comprenait pas comment on avait pu faire du mal à cet homme et à l'enfant qu'il était autrefois.
Quand Sylvain eut fini avec les mains de son homologue, il tira un autre mouchoir, en faisant attention à ne pas le déchirer cette fois, et le passa sur sa lèvre. Le souffle de Pierre se coupa. Il ne s'attendait pas à ce geste, mais l'autre homme était concentré sur son activité et le remarqua à peine. Le contact avec le mouchoir le brûla d'autant plus, surtout lorsque son infirmier attitré appuya. Oh, ce n'était pas fort, mais la chair exposée n'apprécia pas le geste. Il grimaça, mais Sylvain n'arrêta pas. Il murmura seulement :
« Désolé... »
Un mot. Pierre avait obtenu de lui un mot prononcé spontanément, et il sauta sur l'occasion pour poursuivre la conversation, malgré la pression sur sa lèvre :
« C'est moi qui suis désolé, j'aurais dû réfléchir, j'aurais pas dû t'exposer à ça...
-J'ai rien vu, le rassura Sylvain. T'en fais pas...
-Non, je m'en fais Sylvain, parce que j'ai pas... »
Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Pierre ferma les yeux une seconde à peine, repoussant les larmes, encore ces foutues larmes, mais il devait être fort et ne pas céder à ses émotions, pas encore une fois, pas devant Sylvain...
« J'ai pas réussi à te protéger. J'aurais dû. »
Et le silence à nouveau.
Sylvain retira doucement le tissu blanc de sa lèvre, maintenant imbibé de sang. Son regard était planté dans celui de son ami, qui avait du mal à le soutenir. Il tourna le mouchoir pour essuyer sa joue, penchant la tête sur le côté en suivant son propre geste du regard.
« S'il te plaît, Pierre, ne t'en veux pas. T'as fait ce que j'aurais jamais pu faire.
-J'avais la bonne motivation, répliqua-t-il d'un ton blasé. »
Sylvain soupira doucement. Il posa le mouchoir sur le tableau de bord et passa son pouce sur l'hématome qui apparaissait sur le visage vaillant de son ami. Celui-ci grimaça encore, sifflant de douleur, mais l'autre homme ne cessa pas de caresser sa peau tuméfiée pour autant.
« Alors ça dit quoi sur moi ? Je pourrais jamais lever la main sur lui... commenta-t-il. »
A son ton, Pierre comprit qu'il en avait gros sur le cœur. Il n'arrivait pas à comprendre. Comment ça, il ne voulait pas faire de mal à celui qui avait abusé de lui ? Il pressa le sujet :
« Pourquoi ? »
Il vit Sylvain se mordre l'intérieur des joues et les larmes lui monter.
Immédiatement, Pierre réagit : il se rapprocha, qu'importe ce qu'il y avait entre eux, et il le prit dans ses bras. La réaction immédiate de son ami fut de caler son visage contre sa poitrine, avant de répondre à voix basse :
« Je l'aime trop...
-Comment ça, tu l'aimes ? Mais Sylvain, il t'a—
-Je sais, le coupa-t-il. Bordel, je sais et je me sens mal. Ça dit quoi sur moi ? Je sais. Je suis pas une bonne—je suis pas une bonne victime parce que je ne suis pas en colère... Mais merde, il m'a appris à l'aimer, je peux pas envoyer valser ça comme ça. »
Et tout à coup, Pierre comprit. L'expression ''apprendre à aimer'' le toucha particulièrement. Il serra son ami plus fort, embrassa son crâne, et répondit d'un ton plus apaisé :
« Y'a pas à être une bonne ou une mauvaise victime. Ça existe pas, ça. J'ai... un peu de mal à comprendre parce que je suis pas à ta place mais... ça a du sens, ce que tu dis. Je suis désolé, je voulais pas sous-entendre...
-Arrête de t'excuser, putain. »
L'insulte avait été prononcée avec une telle tristesse que Pierre ne trouva pas matière à répondre. Il se tut, encore. Il se tut et il attendit que Sylvain aille mieux, caressant tendrement ses cheveux et son dos.
Il fallut de longues minutes au jeune homme pour aller mieux et pouvoir se détacher de l'autre. Il frotta son visage, essuya les larmes et la brûlure de ses yeux, la salive de sa bouche aussi. Pierre sortit pour lui un troisième mouchoir et lui tendit, il accepta le présent avec gratitude.
Après ces péripéties, les deux hommes pouvaient finalement manger. Ils n'avaient plus forcément très faim, l'un comme l'autre, mais ils ne se forcèrent pas non plus. Une indifférence. Voilà. Une indifférence au monde qui les entourait. Pour Pierre, elle s'opposait à la fureur et à la tendresse. Pour Sylvain, elle s'opposait à la tristesse et à l'affection, à la reconnaissance sûrement aussi.
Leurs sandwichs finis, Pierre démarra et se mit en route sans trop parler. Il voulait rentrer rapidement, s'occuper de ses blessures, s'occuper de Sylvain aussi. Le pauvre semblait épuisé, une bonne sieste pourrait lui faire du bien... Bref, il avait mieux à faire ailleurs, alors il ne traîna pas.
A côté de lui, Sylvain somnolait déjà, tenant dans ses bras son doudou. Il était roulé en boule sur son siège, le visage contre la portière, comme un enfant à cet âge où rien ne le dérange pour dormir. Pierre en était attendri et rassuré, il avait déjà l'air d'aller un peu mieux. C'était relatif, évidemment. Il le savait : ça n'irait pas mieux. En tout cas, pas comme avant. Il fallait qu'il l'accepte et que lui soit fort, pour ne pas abandonner Sylvain.
A la suite de cet épisode, Pierre se trouva d'autant plus protecteur avec Sylvain. Ce dernier le remarquait mais ne faisait aucun commentaire. Il aimait ça, ce sentiment de sécurité qui l'avait quitté quand il s'était rappelé, cette idée que quelqu'un, quelque part, ne lui voulait pas de mal. Il pouvait lui faire confiance, il le voulait de tout son cœur... mais c'était plus facile à dire qu'à faire.
Un soir que les deux hommes se trouvaient chez Pierre, bien deux jours après, pour que son ami dorme chez lui – la solitude lui pesait trop parfois et il avait besoin d'un peu de compagnie, d'une présence... Ce soir même, donc, Pierre avait laissé l'autre se changer dans sa chambre, l'attendant dans le salon, devant la télé.
Il oublia le temps, ne le voyant pas défiler. Au bout d'un moment, quand même, il se dit que Sylvain était là-dedans depuis un moment. Peut-être qu'il était de bon ton d'aller prendre des nouvelles.
Pierre se leva, marcha dans le couloir, en direction de la porte fermée de la chambre. Plus il approchait, plus clairs étaient les sanglots et ça lui brisait déjà le cœur. Il frappa, une fois, deux fois, attendit un peu... mais son ami ne lui répondit pas.
« Sylvain ? appela-t-il. »
Toujours rien, à part les larmes. Il ouvrit tout doucement la porte, sans regarder d'abord, on ne savait jamais. Puis il risqua un regard et poussa immédiatement la porte.
Là, sur le sol de la chambre, Sylvain était à genoux, recroquevillé sur lui-même, son dos nu contracté au rythme de ses sanglots. Sans attendre, Pierre se jeta au sol près de lui, posant une main sur son épaule. L'autre homme ne l'avait pas entendu entre et eut un violent sursaut, se redressant et se blottissant contre le mur derrière lui pour s'éloigner de l'intru.
Il mit du temps à reconnaître Pierre, mais quand ce fut le cas il explosa en larmes à nouveau, s'excusant encore et encore, tendant les bras vers lui. Son homologue ne se fit pas prier et le prit dans ses bras, passant sa main dans ses cheveux et le berçant doucement, avec des paroles rassurantes et des mots doux.
Après de longues minutes passées ainsi, Sylvain se calmait peu à peu, secouant doucement la tête contre le bras de son ami pour que ses lèvres s'y frotte. C'était rassurant, le mouvement répétitif, le contact, la chaleur de sa peau et la douceur de l'étreinte. Il se sentait en sécurité, il était en sécurité.
« Il s'est passé quoi ? demanda finalement Pierre en baissant le regard vers lui. »
Sylvain leva les yeux, un air candide, innocent sur le visage.
« J'ai senti ses mains... Là. »
Il pointa ses hanches, son ventre et... Pierre le serra plus fort, voulant s'excuser. Mais à quoi bon ? Ce n'était pas lui le responsable, et pourtant il se sentait coupable.
Un nouveau silence se prolongea entre eux. Sylvain multipliait les mouvements répétitifs, le regard dans le vide, ses mains agrippées au bras de son homologue. Il ne voulait pas qu'il parte, il ne voulait pas qu'il le laisse là, il se sentait si vulnérable... Un peu trop. Son esprit flottait étrangement, il voulait s'abandonner à la douceur et à la protection de Pierre, d'une façon qu'il n'avait jamais connue avant. Il n'osa pas le verbaliser pourtant – comment dire à son meilleur ami qu'on voulait qu'il parle comme s'il parlait à un enfant ?
Il ne savait pas, il ne savait plus rien... Alors il ne parla pas. Mais il n'en avait pas besoin : même sans comprendre l'étendue de cette emprise enfantine sur son ami, Pierre se doutait de son besoin de vulnérabilité. Il s'assit correctement, dos au mur, et le tira sur ses genoux, le serrant toujours contre lui. Une de ses mains retrouva son crâne et sa nuque, alors que l'autre caressait ses épaules. Il n'allait pas plus bas, vu ce que Sylvain venait de lui dire.
« Comment ça va ? Tu as besoin de quelque chose ? demanda Pierre à voix basse. »
Pour seule réponse, son locuteur fit lentement non de la tête, ses lèvres frottant contre le tissu du haut de Pierre. Mais ce dernier comprit qu'il communiquait, même si le mouvement était aussi rassurant pour lui.
« Tu es sûr ? Pas même ton doudou ? »
Sylvain se figea, puis leva le regard vers son ami.
Son expression était si différente de d'habitude, Pierre savait que quelque chose avait profondément changé sans pouvoir mettre le point sur quoi. Tant pis, il n'en avait pas besoin. Sylvain hocha la tête et se leva lui-même pour aller le chercher, se souvenant d'où il l'avait laissé. Il le fixait en revenant s'asseoir sur les jambes de son ami, se plaçant à nouveau contre lui. Puis il prit une des oreilles de l'animal en peluche entre ses dents, et mordit. Plusieurs fois, avant de relâcher. Des larmes se formaient à nouveau dans ses yeux innocents, que Pierre voulut essuyer.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a un problème ? questionna-t-il. »
Sylvain lâcha l'oreille du lapin pour répondre verbalement, d'une petite voix, comme un enfant ayant fait quelque chose de mal :
« Je faisais ça quand il... quand je dormais chez mon ami. Il venait derrière moi. Alors je mordais ses oreilles. »
Il leva le doudou à hauteur des yeux de Pierre et lui montra les traces de morsures déjà existantes. Bordel, Pierre avait envie de pleurer aussi. Son nez le piquait, ses yeux brûlaient, sa gorge aussi. Non, être fort.
Il considéra l'objet, le prit même dans ses mains comme Sylvain lui tendait, le tournant et le retournant dans ses grandes mains d'adulte.
« Tu penses à quoi quand tu vois ce doudou ?
-A lui, avoua Sylvain en baissant le regard, jouant avec ses mains. »
Pierre réfléchit, vite, et proposa :
« Si je t'en prends un autre, tu voudras bien ? Ça te ferait plaisir ? »
Vu la façon dont les yeux de Sylvain s'étaient mis à briller, son ami savait qu'il avait vu juste et il ne put s'empêcher de sourire.
« Je t'en offrirai un alors. Pour l'instant, faut que tu finisses de te changer. »
L'autre homme se leva alors, comprenant le message. Il souriait maintenant, malgré ses joues mouillées. Pierre était fier d'avoir pu l'aider.
« Je vais te faire un chocolat chaud, l'informa-t-il avant de quitter la pièce. Tu me rejoins devant la télé ? »
Sylvain hocha la tête avec un rire nerveux et enfila le haut de son pyjama.
Quand il entra dans le salon, Pierre y était assis, les jambes croisées, une tasse fumante dans les mains. Sa jumelle, qui lui était destinée, se trouvait sur un plateau sur la table basse. Il récupéra donc ce breuvage avant de s'asseoir à côté de son ami, plutôt proche, leurs cuisses se touchant. Le contact avec l'autre l'apaisait, il en avait besoin. Pierre aussi, mais lui ne l'avouerait pas.
Au fur et à mesure de la soirée, Sylvain se blottissait contre l'autre homme, buvant son chocolat chaud par petite gorgée. Il riait parfois devant le programme qu'ils regardaient, tout son corps riait aussi : sa voix, ses épaules, son ventre, ses orteils... Il avait toujours été expressif, mais avait perdu son lâcher-prise dans les souvenirs. Pierre était profondément heureux de le voir revenir quand il était en sa présence.
Quand il eut fini sa tasse, il se pencha pour la reposer sur le plateau, faisant de même avec celle que son ami lui tendait, et reprit sa position. Il passa un bras autour de l'autre, comme si de rien n'était, comme s'il avait toujours fait ça. Son pouce allait et venait sur la peau nue du bras de Sylvain, de douces caresses dont ils ne parlaient jamais. Elles étaient venues comme ça, s'étaient imposées comme remède à la douleur. Ça leur allait très bien. C'était le plus simple.
Et puis, inévitablement, Sylvain s'endormit contre Pierre, sa tête tombant contre sa poitrine, roulé en boule. Son ami lui jetait des regards par moment, mais ne bougeait pas. Il voulait finir l'épisode qu'ils avaient entamé, alors il le laissait dormir contre lui.
En éteignant la télé, Pierre se demanda s'il ne pouvait pas porter son ami jusqu'au lit : c'était bête, mais Sylvain avait tant de mal à dormir qu'il ne voulait pas déranger son sommeil. Il se redressa alors, le laissant tomber de tout son long sur le canapé, et passa un bras derrière ses épaules, l'autre sous ses genoux. Il le souleva sans trop d'effort, ou en tout cas moins qu'il ne l'imaginait – avait-il encore maigri ? Il était impossible qu'il pesât plus de cinquante kilos.
Il le tint contre lui en marchant dans le couloir, faisant attention à ne pas le blesser. Il le sentit bouger, mais il ne se réveilla pas. Ouf, Pierre s'autorisa un léger soupir de soulagement en le déposant délicatement dans le lit, l'allongeant correctement. Il rabattit le drap sur lui et le borda, avant d'éteindre les lumières et de s'installer à côté de lui. Il s'endormit ainsi.
La sonnerie était trop forte, elle fit sursauter le jeune Sylvain sur son pupitre. L'heure de quitter l'école. Il regarda par la fenêtre, oubliant de ranger ses affaires, cherchant du regard une silhouette dans la foule des parents devant la grille.
« Allez, Sylvain, dépêche-toi de ranger tes affaires, on va encore t'attendre, le pressa son institutrice. »
Il tourna le regard vers elle, l'air perdu. Puis les mots s'enregistrèrent dans son esprit et il fourra ses crayons dans sa trousse, la ferma, et jeta tout ce dont il avait besoin dans son cartable. Il enfila son manteau de travers, serra son écharpe trop fort et mit son sac sur son dos.
Quand il passa devant la maîtresse, celle-ci s'agenouilla pour ajuster ses vêtements avec un petit sourire.
« C'est mieux comme ça. Qu'est-ce que tu as, ces derniers temps ? Tu es encore plus dans ton monde... »
Le petit garçon haussa les épaules tendit que la jeune femme se redressait. Elle prit sa main dans la sienne et fit avancer sa classe hors de la salle et vers la grille.
Arrivée devant, elle lâcha la main de Sylvain pour qu'il retrouve cet adolescent qui venait souvent le chercher – elle l'avait vu plusieurs fois maintenant. Mais le petit garçon se tourna vers elle avec une soudaine angoisse, suppliant :
« Je veux pas aller avec lui.
-Pourquoi ça, Sylvain ? demanda l'institutrice.
-J'aime pas ses mains. »
Pour le petit garçon qu'il était, ce qu'il disait avait beaucoup de sens, un sens lourd et qu'il peinait à avouer. Pour la maîtresse, ça ne voulait rien dire.
Elle rit et le poussa doucement, mais comme il ne bougeait pas, elle se pencha à sa taille et lui répondit :
« Ne sois pas ridicule, Sylvain, ce n'est pas une raison ça. Tu te méfies de lui, c'est ça ? Parce qu'il est plus grand et que tu ne le connais pas ? Il me semble que c'est le grand frère de ton ami, et tes parents lui font confiance. Alors tu peux lui faire confiance aussi, d'accord ? Il est là pour te protéger, pour que tu rentres chez toi en sécurité. »
Sylvain voulait pleurer. C'était ça, la sécurité ? Il n'en voulait pas, il préférait rentrer seul. La sonnerie retentit à nouveau. A neuf ans, il était assez grand, non ? Mais sa mère...
C'était sa mère qui appelait. Sylvain, à peine réveillé dans un lit qui n'était pas le sien, agressé par la lumière du téléphone, grogna. Pierre aussi, demandant d'une voix rauque :
« C'est qui ?
-Ma daronne, répondit Sylvain. »
Il se redressa en clignant des yeux plusieurs fois, se réveillant comme il pouvait. Son ami se tourna vers lui, inquiet.
« Mets en haut-parleur, lui intima-t-il alors qu'il décrochait. »
Il y eut un silence d'abord. Sylvain posa le téléphone sur sa cuisse, par-dessus le drap, et lança un timide :
« Allô ?
-Ah, Sylvain. Tu peux m'expliquer ce qu'il s'est passé ? »
Le cœur battant, le susnommé fronça les sourcils. Sa mère avait l'air furieuse, et il ne comprenait pas pourquoi.
« De quoi ? Je comprends rien, maman...
-Pourquoi ton ami a tabassé le fils de Marjorie ? Le frère de ton copain de primaire, quand même ! Il s'était très bien occupé de toi, je ne comprends pas, je ne comprends pas ! Marjorie m'a appelée en larmes, il a dû aller à l'hôpital ! Tu as de la chance qu'il est vite sorti et qu'il ne va pas porter plainte, mais je lui dirais bien d'aller au commissariat, moi. »
Sylvain ne disait rien. Il était incapable de parler et se prenait toute la violence en pleine figure, comme une énorme claque. Pierre, à côté de lui, se redressa à son tour et l'enlaça, sans répondre à la mère de son ami. Ce n'était pas son rôle, elle ne savait même pas qu'il entendait la conversation.
Comme elle ne recevait pas de réponse, la femme au téléphone reprit, avec plus de véhémence encore et une pointe de déception dans la voix :
« Vraiment, se comporter comme des bêtes comme ça ! Déjà que tu ne viens pas voir tes vieux parents quand tu es de passage... Je ne t'ai pas élevé pour être un ingrat violent comme ça, moi ! Enfin, ce n'est pas toi qui l'as frappé, mais tu étais là quand même ! Il fallait l'arrêter, je ne t'ai pas appris à...
-Je suis désolé, maman, souffla Sylvain en retenant ses larmes.
-Non, non, non, ça n'a aucune valeur au téléphone. Viens nous voir, tu manques à ton père aussi, ajouta-t-elle avec douceur. »
Son fils lança un regard à son ami, qui le tenait toujours contre lui.
« Mais je viens de faire l'aller-retour, protesta-t-il.
-Et alors ? Tu n'as pas envie de faire la route pour nous ? C'est très grave, ce qu'il s'est passé. Si tu ne viens pas, je lui dirais de porter plainte. »
Sylvain paniqua, figé, son estomac se tordant d'angoisse.
Pierre prit les choses en main, caressant son crâne, lui murmurant :
« T'en fais pas, on va y aller et je vais parler, je vais m'expliquer mais je leur dirais rien, d'accord ? On trouvera quelque chose, mais je te promets qu'il ne t'arrivera rien... »
Sylvain hocha la tête et répondit donc à sa mère :
« D'accord. Je... je vais venir avec Pierre.
-On vous attend. Vous pourrez dormir à la maison, ajouta-t-elle sur le ton de la conversation. »
Et elle raccrocha.
Sylvain se blottit contre son ami, qui le serra plus fort et redoubla d'attention envers lui, surtout en sentant les soubresauts de ses sanglots.
« Bordel, je veux pas y retourner, geignit Sylvain.
-Je sais, mais je serais là, d'accord ? Ça va bien se passer, promis. »
Pierre embrassa son crâne. Ils étaient toujours dans le noir, mais il n'avait pas la force d'allumer la lumière actuellement.
L'autre homme attendit que ses pleurs, qui avaient éclatés si brusquement, se calment un peu avant de parler à nouveau :
« J'ai fait un rêve...
-Tu veux m'en parler ? murmura Pierre doucement. »
Sylvain hocha la tête.
« J'étais à l'école primaire et... je crois que c'est pas un rêve. Ça peut être un souvenir ? C'était la sortie des cours et je disais à ma maîtresse que je voulais pas repartir avec lui et elle m'a juste que c'était ridicule, qu'il fallait lui faire confiance parce qu'il était là pour assurer ma sécurité... Je me souviens pas des mots exacts, mais je sais que moi, je lui ai dit ''j'aime pas ses mains'' et elle s'est juste marrée. »
Le cœur de Pierre, déjà bien malmené par ses témoignages des derniers jours, se détacha de son ami pour croiser son regard. Il essuya les larmes sur ses joues.
« Si c'est un souvenir, quelle connasse. C'est faux, t'étais pas en sécurité avec lui, elle aurait dû comprendre que quelque chose tournait pas rond !
-Mais si je disais rien... protesta mollement Sylvain.
-Non, t'étais aussi explicite qu'un gamin pouvait l'être sans savoir ce qui se passait. T'as rien à te reprocher, putain. C'est lui qui a fait de la merde dans cette histoire, et les adultes autour de toi. Toi t'as rien fait, t'y es pour rien... »
Et il le serra à nouveau, le berçant. La colère et la culpabilité se mélangeaient, formant une boule dans sa gorge qui avala ses derniers mots. Il ne pouvait pas continuer sa tirade sans fondre en larmes, et il ne pouvait pas se le permettre alors que son ami pleurait déjà.
Les deux hommes restèrent longtemps enlacés en silence, jusqu'à être totalement calmés. Puis Pierre se tourna, alluma sa lampe de chevet, plaça ses lunettes sur son nez... Sylvain le regarda se lever et choisir ses vêtements, quittant la pièce pour se changer.
Il revint une fois habillé, portant une chemise rentrée dans une paire de jeans noire, pour prévenir son ami :
« Habille-toi, je vais préparer le petit-déj' et juste après on y va, d'accord ? »
Sylvain hocha la tête, lui souriant. Pierre sourit en retour et referma la porte derrière lui.
Une fois détourné de son ami, hors de sa vue, Pierre autorisa quelques larmes à couler. La situation n'était pas facile émotionnellement, il pouvait bien s'autoriser ça tant que Sylvain ne le voyait pas. Chaque pas qu'ils faisaient était plus douloureux que le précédent et il semblait que son passé ne voulait vraiment pas lâcher le pauvre homme... S'il ne s'était pas battu, peut-être qu'ils auraient eu la paix.
La réalisation de cette dernière affirmation, Pierre la subit comme un coup dans le ventre, en plein dans l'estomac, lui coupant le souffle. Il pinça ses lèvres pour essayer de réprimer les autres larmes, par peur de ne plus les contrôler.
Il se concentra donc sur la préparation du petit-déjeuner, qui occupa suffisamment son esprit si bien qu'il put ravaler ses pleurs. Il était alors en mode automatique, éloignant la culpabilité et la douleur de l'impuissance. Il ne pouvait rien faire d'autre qu'accompagner son ami, parce que le monde continuait toujours de tourner malgré eux. C'était injuste. Il voulait le mettre sur pause, que Sylvain puisse souffler et être en sécurité.
L'intéressé entra justement dans la pièce, habillé et coiffé, l'air profondément triste. Il avait encore pleuré, alors Pierre ne put s'empêcher de passer son bras autour de son corps et de le serrer contre lui, juste un instant, quelque seconde, caressant son dos. Sans un mot.
Les deux hommes s'installèrent et mangèrent en silence. Puis ils rangèrent en silence. Et enfin ils préparèrent leurs affaires en silence.
« Tout est prêt ? demanda finalement Pierre.
-Je crois, murmura Sylvain.
-Tu ne le prends pas ? »
Pierre fit un mouvement de tête en direction du doudou, qui trônait sur le lit. Son ami suivit son regard, puis secoua la tête :
« Je veux pas que mes parents...
-Je comprends, le rassura son interlocuteur comme il ne trouvait pas ses mots. On y va ? »
Et l'autre homme hocha la tête, se laissant guider vers la voiture.
De nouveau sur la route du sud. Les bouchons, les paysages monotones de l'autoroute, le temps trop long... Sylvain regardait par la fenêtre sans vraiment voir ce qu'il y avait dehors, chantonnant parfois d'une toute petite voix quand il reconnaissait les paroles d'une chanson à la radio. Il redoutait profondément la discussion à venir. Il voulait tout annuler, revenir en arrière, que tout ça ne se soit jamais passé... mais c'était trop tard. Trop tard et il s'en voulait. D'avoir laissé faire, d'avoir embarqué Pierre, d'avoir eu ces souvenirs qui reviennent.
Et puis une idée l'obsédait : l'autre s'était moqué de lui. Dès leur première interaction, après tant d'année, il avait repris le même comportement qu'avant, comme si ce n'était pas il y a quinze ans. Peut-être que son expression effrayée en le voyant y était pour quelque chose... S'était-il rendu compte qu'il se souvenait avant d'en avoir eu confirmation ? Qu'avait-il essayé de faire alors ? Le récupérer ? L'humilier ?
Pierre arrêta soudainement le véhicule. Son ami sursauta et se redressa, l'air tout perdu, avant de remarquer qu'ils se trouvaient dans une station-service.
« Je vais faire le plein, l'informa le conducteur en sortant du véhicule. »
Et il le laissa là, à attendre que ça se passe. Dissociant.
Sylvain sursauta à nouveau quand Pierre rouvrit la portière, s'installant, démarrant, roulant sur quelques mètres puis se garant. Il sortit à nouveau.
« Je reviens, je vais pisser, ajouta-t-il alors. Ça va ? »
Son ami hocha la tête sans répondre, s'étirant. Il changea de position dans son siège, se remettant droit.
Rassuré, Pierre partit en verrouillant le véhicule. Il se rendit aux toilettes de la station-service, mais au lieu de rejoindre tout de suite la voiture, il flâna dans les rayons. Oh, pas longtemps, juste le temps de trouver ce qu'il cherchait avant de passer à la caisse. Sylvain fronça les sourcils en le voyant revenir avec un sachet, mais lui ne dit rien et le déposa dans le coffre.
Enfin, il reprit sa place derrière le volant et reprit la route. Les deux hommes étaient maintenant proches de leur but, alors que l'après-midi commençait. Ils n'avaient pas mangé, tant pis, ils n'avaient pas faim de toute façon. L'appréhension leur tordait le ventre, mieux valait en finir vite.
Cette fois-ci, en arrivant dans la ville, Pierre prit la direction de la maison d'enfance de son ami. Celui-ci n'avait pas beaucoup bougé, si ce n'était pour ses tics nerveux, ni parlé du reste du trajet. Franchement, le conducteur le comprenait. Lui aussi était incroyablement nerveux.
Il se gara sur le trottoir, devant la maison, et sortit de la voiture. Sylvain, lui, ne bougeait pas. Prostré dans son siège, il ne voulait pas bouger. Il ne voulait pas voir ses parents, qui l'obligeraient sûrement à aller s'excuser devant son abuseur. Il ne voulait pas.
Pierre le remarqua. Il fit le tour du véhicule et ouvrit la portière du côté passager pour que son ami sorte. Ce qu'il ne fit pas. Alors il s'accroupit, pour être à sa hauteur, et dit doucement :
« Qu'est-ce qu'il y a ?
-Je veux repartir. Je veux pas y aller, chuchota Sylvain avec une moue, comme un enfant profondément contrarié. »
L'autre homme soupira, fermant les yeux un instant. Il ne savait pas quoi lui dire pour le faire sortir, parce que tout ça était complètement injuste et qu'il voulait repartir lui aussi. Mais c'était nécessaire.
Il leva la main, doucement, la tendit vers son interlocuteur, attendant qu'il la prenne. Le moment était délicat et il se doutait que le toucher sans permission aggraverait les choses. Sylvain observa sa main, le regard vide, puis leva le regard, croisant le sien. Il vit son sourire, sa tendresse, la sécurité... alors il prit sa main avec un petit sourire.
« Je suis là et je vais pas te lâcher. Et s'il faut, je nous ferais partir, t'auras même pas besoin de me le demander. Tu seras pas seul face à eux. »
Pierre le tira doucement, accompagnant ses gestes tandis qu'il sortait du véhicule.
Dans son attitude, on voyait bien qu'il était différent : il avait les yeux hagards, une moue constante, des tics nerveux et un comportement global enfantin. Pierre, surtout, le remarqua, ce qui le contrariait : quand Sylvain était dans ce genre d'espace mental, où il semblait revivre une enfance dont il se souvenait à peine, il était plus vulnérable. Ce n'était pas vraiment le moment de l'être... Mais Pierre ne dit rien et, d'une main sur la nuque de son homologue, il le guida vers la porte d'entrée. Il frappa, même, après un hochement de tête de la part de l'autre, une confirmation silencieuse.
Les parents de Sylvain ouvrirent rapidement et, si le père était chaleureux et heureux de voir son fils, la mère, elle, avait tout de la froideur de la glace. Elle n'embrassa même pas son fils et le poussa seulement dans le salon où il se figea.
Pierre, qui avait été séparé de lui par les embrassades, dut attendre que les Levy rejoignent leurs places dans la pièce pour voir ce qui avait provoqué le saisissement de son ami. Et il ne fut pas déçu : là, devant eux, assis sur le canapé, se trouvait le gars qu'il avait tabassé quelques jours plus tôt, la gueule encore tuméfiée. Pour oser se présenter ainsi devant eux, il mériterait bien un deuxième tour, se dit-il tandis que ses poings se serraient.
Il n'eut pas le temps de réagir quand l'homme se leva et salua Sylvain d'une manière évidemment provocante, sans en paraître. Il l'embrassa sur le front, alors que le pauvre ne pouvait toujours pas bouger. Pierre, au comble de l'énervement, refusa la main tendue et passa devant Sylvain pour pouvoir s'asseoir entre lui et l'homme, au lieu de le laisser proche de lui une seconde de plus.
« Ce n'est pas très poli... Pierre, c'est ça ? provoqua à nouveau l'homme.
-Ah, pardon, j'ai blessé ton ego ? Je pensais que c'était déjà fait, vu ta gueule, râla le susnommé.
-Pierre ! le rappela à l'ordre madame Levy. »
Il croisa les bras, s'inclinant contre le dossier, les sourcils froncés et le regard dur.
Les traces du combat étaient encore visibles sur son visage : un hématome, quelques croutes à l'arcade, à la lèvre et au nez, et un œil rougi d'avoir eu ses vaisseaux sanguins éclater. Tous ces vestiges que Sylvain regardait avec tendresse quand ils se voyaient, et qu'il touchait du bout des doigts en continuant de le soigner depuis. Mais ça restait bien plus léger que l'odieux, qui avait des points de suture et des marques plus impressionnantes.
Comme personne n'était décidé à parler, madame Levy se lança dans une longue tirade sur le respect de l'autre, sur le pacifisme, sur la discussion comme solution des conflits... alors même qu'elle ne savait rien de la raison. Pierre n'écoutait que d'une oreille distraite en toisant l'homme à sa droite, Sylvain était incapable de prêter la moindre attention au monde qui l'entourait, bref, elle parlait dans le vide.
Un mot, pourtant, attira l'attention de Pierre : elle ne s'adressait plus à son fils à présent mais à lui. Elle avait sûrement remarqué que c'était inutile.
« Désolé mais moi, je regrette pas ce que je fais. C'était justifié, mais je ne m'étendrai pas sur la raison parce que c'est pas à moi d'en parler, et Sylvain n'est pas prêt.
-Pourtant je pensais que tu m'aimais bien, Sylvain. Qu'est-ce qui a changé ? demanda l'homme d'un air triste. »
Bordel, quel comédien, pensa Pierre avant d'exploser :
« Peut-être qu'il s'est rendu compte que t'es un putain d'enfoiré ! »
Et bien sûr, l'insulte et le ton ne plurent pas à madame Levy, qui haussa le ton à son tour contre Pierre, si bien que les deux se disputaient plus qu'autre chose.
Sylvain n'en pouvait plus des cris, des reproches, de la culpabilité, il avait besoin d'air. En croisant le regard de son père, qui semblait comprendre sa détresse, il prit la résolution de se lever et d'aller dans la cuisine, où les éclats de voix étaient moindres. Il y fit les cent pas, pour se calmer, pour éviter de pleurer. Il devait tenir encore un peu, jusqu'à ce que la dispute s'achève, jusqu'à ce que l'autre parte...
Mais l'autre n'était jamais loin, justement. L'homme entra dans la cuisine à son tour, les mains dans les poches de son jean. Il approchait de la quarantaine, mais les cicatrices encore fraîches sur son visage accentuaient le gris de ses cheveux : il en paraissait cinquante.
Sylvain lui jeta un regard apeuré, se recroquevillant dans un coin de la cuisine. Pourtant, il n'eut pas le cœur de le repousser quand l'homme lui prit les mains doucement, avec un sourire, l'attirant jusqu'à la table de la cuisine. Il le fit asseoir et s'assit devant lui, en travers de sa chaise. Et le pauvre Sylvain ne savait plus quoi penser...
L'homme avait gardé une de ses mains dans la sienne, la caressant doucement. Le geste était tendre, rassurant, et envoyait une pointe de culpabilité tordre l'estomac de son cadet. Sylvain fixait leurs mains jointes, la bouche close. Son regard se reporta sur le visage de l'autre quand il parla :
« Tu m'as manqué, tu sais. Ça fait quoi, un peu moins de vingt ans qu'on s'était pas revu ? »
Il leva sa main libre vers le visage de Sylvain et caressa sa joue, souriant de plus belle au mouvement qu'il eut, qui essayait sans grande conviction de s'éloigner tout en fermant les yeux.
« T'as beaucoup changé, tu sais. Je t'ai à peine reconnu, devant le supermarché, poursuivit l'homme. Mais t'es toujours aussi beau. Je t'ai manqué ? »
Son pouce caressa la pommette de Sylvain, qui se faisait violence pour ne pas pleurer.
Sylvain, d'ailleurs, rouvrit les yeux et le regarda en silence, juste un instant, se rappelant de son visage d'adolescent qui hantait ses nuits et ses jours. Sa gorge se serra, mais il répondit malgré tout :
« Oui. Je sais pas pourquoi.
-Moi, je pense avoir une petite idée, se moqua l'homme. »
Et, sans prévenir, il approcha son visage de son homologue qui ne pouvait pas s'échapper.
Il l'embrassa. Malgré la douleur, Sylvain répondit au baiser, qui dura une poignée de secondes. Suffisamment pour qu'il se souvienne avec plus de vivacité des sensations d'antan. Et même quand ils se séparèrent, il sentait la pression des lèvres de l'autre sur les siennes. Les larmes coulaient maintenant, il ne pouvait pas les arrêter, et l'homme les sécha dans toute sa tendresse déplacée. Sylvain savait que c'était mal, que Pierre lui en voudrait, peut-être qu'il s'énerverait contre lui-même, mais il était trop faible, trop sensible pour résister.
Et puis sans prévenir, une tornade grondante entra dans la pièce, hurlant des inepties à l'encontre de l'homme, l'attrapant par le col pour le tirer vers l'arrière, le faisant tomber. Sylvain, sous le choc, ne put que regarder Pierre tenter de relever l'homme pour lui hurler dessus.
Rapidement, monsieur Levy calma la dispute et fit sortir l'intrus de la maison, s'excusant à peine, claquant la porte derrière lui. A nouveau, la dispute entre Pierre et madame Levy éclata, mais cette fois-ci le père s'imposa.
« Bon, on va reprendre de zéro, dans le salon. »
Et il guida sa femme dans la bonne direction, tandis que Pierre s'approchait de Sylvain.
« Ça va ? Il t'a rien fait ? s'inquiéta-t-il. »
Mais comme il ne reçut pas de réponse, il se doute que si.
« On en parlera ce soir, d'accord ? proposa-t-il doucement, le tenant par les bras. Il est plus là, c'est plus que nous quatre, tout va bien se passer maintenant. »
Sylvain voulut lui répondre qu'il était convaincu que non, mais Pierre le coupa en le serrant contre lui, l'apaisant avec ses caresses et ses mots doux. Etrangement, c'était différent des attentions de l'autre, et le pauvre homme en avait terriblement besoin...
Tous les quatre se retrouvèrent à nouveau dans le salon, assis sur leurs canapés ou fauteuils respectifs. Madame Levy se tenait toute droite, toisant son fils et son ami, alors que son mari était appuyé sur ses genoux, penché en avant. C'était lui qui menait la discussion, maintenant :
« On aurait dû commencer par ça : qu'est-ce qu'il s'est passé avec lui ? »
Pierre tourna la tête vers son homologue, assis juste à côté de lui. Il fixait ses mains, tordant ses doigts sans être capable de parler, les yeux brillants de larmes.
« Il nous a provoqué, lança alors Pierre. Il est venu et s'est mis à complimenter Sylvain et...
-Mais c'est bien, ça, de se faire complimenter, intervint madame Levy. »
Pierre se tut, cherchant une réponse qui ne mettrait pas à mal son ami, mais il ne trouvait rien.
Il n'en eut pas besoin, finalement. Sylvain bougea, se redressant un peu, croisant ses jambes, lâchant ses mains. Il renifla et, d'une toute petite voix, il dit :
« Vous vous souvenez quand il me gardait ?
-Bien sûr, il l'a fait jusqu'à la sixième, après tu disais que tu étais assez grand pour rester seul, commenta son père. Ça nous a bien aidé, d'ailleurs.
-Il me touchait. »
Le silence s'abattit comme une masse. Monsieur Levy s'affaissa, ne comprenant pas d'abord. Pierre tendit la main pour la poser sur le genou de l'autre homme en signe de soutien, pour l'apaiser. Il s'était mis à trembler.
Quelques secondes s'écoulèrent. Madame Levy n'avait pas bougé, son expression avait à peine changé, elle ne parla pas. Son mari, lui, sentait la colère monter.
« Comment ça ? Qu'est-ce que tu es en train de nous dire, Sylvain ?
-Il me touchait. Il faisait pas que ça, mais... J'ai commencé à m'en rappeler y'a plus d'un mois et depuis... Je sais pas quoi faire, papa, je voulais pas... »
Il était difficile de suivre le fil de ses mots. Pierre comprenait, bien sûr, il savait déjà, mais les parents... Sauf que Sylvain pleurait maintenant, il avait de plus en plus de mal à parler.
« Je sais pas quoi faire, répéta-t-il. J'en ai marre de sentir ses putains de main comme si j'avais toujours dix ans... »
Immédiatement, monsieur Levy se leva en jurant contre celui qui avait fait ça à son fils et rejoignit son fils, posant une main dans son dos, le tirant contre lui pour le serrer dans ses bras.
« Je vais le tuer. Je te jure que je vais le tuer, répétait-il. Bordel, on lui faisait confiance et... »
Il ne finit pas sa phrase, embrassant son enfant à la place. Il allait finir par devenir vraiment grossier.
La seule qui n'avait pas encore parlé était madame Levy. Celle-ci trouva opportun d'intervenir à ce moment-là, choisissant un autre angle que son mari pour prendre la nouvelle : le déni.
« Tu es sûr de ce que tu dis ?
-Chérie, enfin ! Tu peux pas douter de lui, quand même ?! s'indigna le père.
-Je ne doute pas de lui ! se défendit-elle. Je me demande juste s'il n'a pas mal interprété des gestes, ou... ou s'il se souvient bien. Des fois, le cerveau pète un câble comme ça et...
-Je suis sûr, maman, la coupa Sylvain qui pleurait toujours. Putain, même lui sait ce qu'il a fait ! »
Pierre redoubla de caresses et d'attention envers lui, comme il tremblait plus fort, et son père aussi.
Son ami se tourna vers madame Levy, essayant de calmer son énervement contre elle – mais c'était si dur, il voulait juste lui crier ses quatre vérités.
« C'est pour ça que je me suis battu contre lui, madame. Sylvain venait de m'avouer ce qui s'était passé et lui, il est arrivé, il l'a complimenté avec son air d'enfoiré... J'ai pas pu me retenir, et je ne regrette rien. Enfin, à part la présence de Sylvain...
-Mais c'est des accusations graves ! s'exclama son interlocutrice. Tu vas pas porter plainte, quand même ?
-Oh, et ce qu'il a fait, c'est pas grave peut-être ? s'énerva son mari tandis que Sylvain secouait la tête. »
Alors la dame leva les mains en signe de reddition, se levant pour quitter la pièce.
« Moi j'arrête là, ça me dépasse. Je pose juste des questions pour comprendre et—
-Mais qu'est-ce que tu racontes ?! Tu vois pas que tu l'enfonces ? répliqua son mari en s'éloignant de son fils. »
Il se planta devant elle pendant qu'iels se disputaient, ce que Sylvain détestait. Il couvrit ses oreilles, se blottissant contre Pierre qui l'accueillit un instant avec des caresses tendres, bien que crispées.
Mais il ne pouvait pas laisser passer ça. Il fallait que ça cesse, il était épuisé, et Sylvain aussi. Surtout Sylvain, d'ailleurs. Il était fier de lui, d'avoir eu le courage d'avouer, et fier du père de son ami qui avait eu la bonne réaction. Sa mère, en revanche... Il ne pouvait pas laisser passer ça, alors il intervint :
« On devrait arrêter là, y'a rien de bon qui sort. On va partir avec Sylvain...
-Vous ne restez pas ? demanda monsieur Levy. On a prévu les chambres, en haut... Promis, on n'abordera pas le sujet, ajouta-t-il en lançant un regard sombre à sa femme. »
Elle l'ignora et quitta enfin la pièce.
Pierre se tourna vers Sylvain, lui demandant son avis d'un regard, tacitement. Le jeune homme hocha doucement la tête, faisant le bonheur de son père qui retourna l'enlacer avec un sourire.
« Ca va aller, maintenant, lui murmura-t-il. Pierre... ?
-Je vais m'occuper de lui, acquiesça-t-il, comprenant la demande qui lui était faite. On va aller dans la chambre, ça lui fera du bien. »
Le père hocha la tête et les laissa partir. Lui allait devoir échanger quelques mots avec sa femme.
Pierre posa les sacs sur le sol, même le sachet de la station-service. Il jeta un regard à son ami, allongé dans son lit, tourné vers le mur et résolument silencieux. Il n'avait pas prononcé un mot depuis la fin de la discussion, ce qui inquiétait l'autre homme. Mais il le laissa un moment, lui donnant de l'espace, pour qu'il puisse respirer après l'étouffante révélation.
A la place, Pierre visita la chambre, observant les bibelots, la décoration sur les murs, tout ce qu'avait amassé Sylvain dans son enfance et son adolescence. Il avait déjà vue cette chambre auparavant, mais pas avec le même intérêt pour les détails qu'aujourd'hui. Il s'assit au bureau, balaya la surface soigneusement rangée du regard... La pièce ne semblait pas avoir changé depuis que le jeune homme l'avait quittée, si ce n'est qu'elle n'était plus habitée.
Après de longues minutes de contemplation, un bruit derrière lui attira l'attention de Pierre, qui fit pivoter la chaise pour faire face à Sylvain. Ce dernier s'était tourné et le regardait avec de petits yeux empreints de tristesse et d'épuisement. Pierre pinça ses lèvres en le voyant, ayant pitié.
« Pourquoi tu me regardes comme ça ? murmura Sylvain. Je suis pas un chiot abandonné. »
Son ami rit doucement et secoua la tête.
« Non, mais t'as une tête de chien battu depuis tout à l'heure, se justifia-t-il. »
Il se leva et en deux pas il rejoignit le lit, s'asseyant sur le bord. Immédiatement, Sylvain se redressa pour le laisser s'asseoir au fond et posa sa tête sur ses cuisses.
« Je veux bien ne pas te traiter comme un chiot abandonné, mais si tu continues de te comporter comme ça, je vais pas pouvoir m'en empêcher, se moqua Pierre. »
Son interlocuteur attrapa sa main et la posa sur son propre crâne avec autorité.
« Tais-toi, tu dis n'importe quoi. »
Et Pierre rit à nouveau.
Il commença à passer sa main dans ses cheveux, doucement, comme une vieille habitude. Pourtant, ils n'avaient jamais été aussi proche physiquement et intimement que depuis que Pierre savait. Le changement avait été immédiat, comme si protéger son ami était devenu une seconde nature, une nécessité. Bon, peut-être que ça ne changeait pas tant que ça de son admiration constante et de l'amitié qu'il lui portait.
Sylvain ferma les yeux sous les caresses, sentant enfin son cœur s'apaiser. Il n'avait pas voulu réclamer le contact avant et il regrettait un peu : il n'y avait rien qui pût mieux le calmer.
« J'me sens bizarre, avoua-t-il.
-Comment ça ? demanda Pierre, qui n'était pas sûr de comprendre.
-J'sais pas. J'ai... Comme si je flotte. Et j'veux... j'veux pas être adulte. J'veux être un enfant... »
Il murmura la dernière phrase avec une certaine appréhension. C'était étrange à dire, et pourtant vrai : ce n'était pas la première fois qu'il ressentait ça.
« T'as besoin de quelque chose ? questionna son ami. »
Il ne pouvait pas comprendre, il le savait : ça ne l'empêchait pas de l'aider. Et pour ça, il fallait connaître ses besoins. Quoi de mieux que de demander ?
Sylvain se tut un instant. Il ne réfléchissait pas, il hésitait. Et l'autre homme le sentait, alors il ajouta :
« Promis, je vais pas me moquer, ni juger.
-Tu peux t'occuper de moi ? »
La demande était surprenante. Enfin, pas tant que ça, considérant les derniers jours, mais quand même. Pierre garda un moment sa main en suspens en réfléchissant au sens de ces mots, dans leur contexte. Et puis ses yeux se posèrent sur le sachet qui trônait sur le sol devant eux.
« Je crois que j'ai exactement ce qu'il te faut. Tu peux te redresser ? »
Sylvain obéit, fronçant les sourcils, questionnant l'autre homme du regard.
Pierre se leva, penché le plus possible en avant pour attraper le sachet, duquel il sortit une grande peluche, plus grande que le lapin que Sylvain avait laissé chez lui, à l'image d'un mouton. Il sourit en entendant l'exclamation surprise de son ami et lui donna, l'observant le serrer dans ses bras avec joie.
« Merci Pierre, lança-t-il avec plus d'enthousiasme en l'enlaçant. »
Ils se câlinèrent avant de se caler côte à côte contre le mur, leurs jambes en travers du lit.
Sylvain changea d'attitude avec le doudou, jouant avec, un petit sourire aux lèvres. Son ami l'observait avec un peu de fierté – il n'était pas sûr que son cadeau plaise. Mais, en passant devant dans le magasin, il n'avait pas pu s'empêcher de se dire que c'était nécessaire. Et il avait eu raison, vu l'expression épanouie du jeune homme qui ne cessait de caresser la fausse laine du mouton en l'agitant parfois.
Plusieurs dizaines de minutes passèrent dans un silence comblé, les deux hommes étant tous les deux ravis de passer ce moment ensemble. Et puis Sylvain sembla revenir à lui, peu à peu. Son visage se ferma et il préféra tenir la peluche contre sa poitrine plutôt que de jouer. Il se redressa également, l'air sérieux.
« Il m'a embrassé, avoua-t-il. »
Décidément, il devait faire nombre d'aveux ces derniers temps. Même s'il n'avait pas de mal à parler de ses émotions, c'était compliqué.
La bouche de son homologue s'entrouvrit, puis se referma, une expression de colère peignant ses traits. Ce n'était pas du tout ce que Sylvain voulait, alors il posa une main sur son bras en signe d'apaisement et ajouta :
« Je veux plus le voir. J'y ai pensé, quand il m'a parlé, et le baiser m'a retourné le cerveau, et puis t'es arrivé et tu l'as éloigné et... Je veux pas de lui. J'en veux plus dans ma vie. Mais je te veux toi... »
Pierre préféra se concentrer sur la dernière phrase et s'étonna immédiatement :
« Comment ça, tu me veux moi ? »
Il croisa le regard de son interlocuteur, brillant de larmes à nouveau, pourtant elles ne coulèrent pas. Le jeune homme hésita à nouveau, cherchant ses mots, la bonne formulation...
Et puis il abandonna. Il ne voulait pas s'embêter à trouver la perfection après tout ce qu'il avait vécu depuis un mois. Il voulait la paix, la sécurité que lui offrait Pierre, et peut-être plus.
Il abandonna, et à la place, il se hissa jusqu'au visage de l'autre homme et déposa un baiser sur sa joue, espérant qu'il comprenne.
Il ne comprit pas, l'air perdu face au geste de son ami. Pas grave. Il réessaya, posant une main sur sa joue pour tourner son visage, de manière à ce que ses lèvres effleurent les siennes. Il espérait que le contact efface le baiser précédent, si douloureux. Il n'osait pas coller ses lèvres, cependant.
Heureusement, cette fois-ci, Pierre comprit le message et approfondit le contact doucement, passant ses bras autour de son amant. Il n'était pas certain, il ne savait pas si c'était une bonne chose, mais il ne pouvait pas dire non à son ami quand son cœur allait dans la même direction, il ne pouvait pas le repousser. Alors il l'embrassa, sans aller plus loin, sans chercher la langueur ni la passion, juste de la tendresse : c'était déjà bien suffisant.
Et les deux hommes s'embrassèrent ainsi un moment. Quand leurs bouches ne se rencontraient plus, ils se serraient l'un contre l'autre, mais ce n'était pas pour longtemps – Sylvain était exigeant. Si Pierre devait s'occuper de lui ainsi, ce serait bien doux.
Au bout d'un moment, ils cessèrent, se tenant seulement, allongés dans le lit, le plut petit affalé sur le plus grand. Le premier s'endormait doucement sous les caresses du second, qui traînait sur son téléphone d'une main. Ce n'était pas le plus pratique, mais il avait déjà essayé de lâcher Sylvain et il ne recommencerait pas.
Un cri réveilla Sylvain. Oh, pas méchant, mais il sursauta malgré tout et grogna, n'aimant pas se faire réveiller. Pierre rit sous lui, amusé par sa réaction.
« Qu'est-ce qu'il a dit, mon daron ? demanda l'autre homme en se frottant le visage pour se réveiller.
-On mange. Tu veux y aller ? »
Son interlocuteur y réfléchit, le regard dans le vide, avant de donner sa décision avec un petit hochement de tête.
« Ouais. J'ai super faim. J'espère juste que...
-Si elle dit quelque chose, on prend nos assiettes et on se casse dans la chambre, rétorqua Pierre avec un sourire. »
Son ami lui sourit en retour en se redressant.
Pierre ne le laissa pas aller bien loin, cependant. Il suivit son geste pour lui voler un baiser, ce qui acheva de le réveiller et élargit son sourire. Parfait, ils étaient prêts à descendre et à se confronter de nouveau aux parents Levy.
Les deux hommes descendirent les escaliers l'un derrière l'autre et saluèrent leurs aînés. L'ambiance était déjà meilleure, bien que l'ombre des non-dits et des remontrances pesaient dans les regards. Toustes s'installèrent à table, devant un plat de pâtes bolognaise. Un plat simple qui devait mettre tout le monde d'accord.
Le silence planait pendant que chacun était servi, alors Pierre se décida à lancer un sujet banal : il mentionna le karting et immédiatement, le père Levy suivit et entraîna son fils dans la discussion, en lui parlant des compétitions. Ça avait été, pendant l'enfance de Sylvain, un moment exclusivement réservé à leur relation père-fils, donc un moment heureux. Le jeune homme participa donc à la discussion avec joie, et même parfois sa mère commentait timidement sur cette période, ses victoires, et celle plus récente en F4.
Finalement, le repas s'était bien passé et aucun commentaire n'avait été fait sur les révélations de l'après-midi. Pierre et Sylvain saluèrent les parents de ce dernier avant de monter et, tour à tour, de faire un saut à la salle de bain pour se doucher et se changer.
Mais, quand Pierre traversa le couloir pour rejoindre l'ancienne chambre de la sœur Levy, quand il passa devant la porte de son ami, celle-ci s'ouvrit, comme s'il avait attendu qu'il passe.
« Tout va bien, Levy ? s'inquiéta Pierre en voyant la mine de son homologue.
-Tu peux venir ? Genre... Passer la nuit... précisa le susnommé.
-Avec toi ? interrogea-t-il, pour être sûr. »
Sylvain hocha la tête et ouvrit la porte en grand pour le laisser rentrer.
Pierre rit doucement et obéit, ne trouva pas d'objection à la demande plutôt raisonnable de son ami, qui était même devenu bien plus avant sa sieste impromptue. Il se tourna vers lui, un brin moqueur.
« T'as peur du noir ?
-Ta gueule. Si tu continues, je te renvoie, râla Sylvain en s'allongeant sous la couette. »
L'autre homme le rejoignit sans trop s'approcher, mais Sylvain n'était pas du même avis : il se blottit contre lui, à nouveau affalé, sur sa poitrine et son côté droit.
Piégé, Pierre ne pouvait pas bouger. Il se laissa faire, passant son bras autour des épaules de l'autre. Un silence, puis il demanda :
« Tu attends quoi de moi ? »
La question était importante et lourde de sens, et Sylvain ne savait pas quoi répondre. Que voulait-il de lui ? Il ne savait même pas.
« Que tu restes avec moi, tenta le jeune homme, sans trop savoir où il allait. C'est tellement le bordel dans ma vie en ce moment, j'ai juste besoin d'un truc stable auquel me raccrocher quand ça va pas. Et en ce moment, c'est souvent le cas... Et t'es le plus doué pour me calmer, je sais pas comment tu fais, t'as toujours les mots. Alors je veux pas que tu me lâches. Et je veux pas que tu arrêtes de m'aimer. »
La dernière déclaration surprit Pierre, qui n'avait jamais posé de mots sur ses sentiments auprès de son locuteur. C'était logique, pourtant, si on observait bien son comportement des derniers jours et surtout, surtout, de cet après-midi, des baisers échangés.
Sylvain enlaça l'autre homme et le serra, un peu trop fort peut-être, plus que de raison... Mais ce geste ne venait qu'affirmer ce qu'il venait de dire, de lui demander. Il eut le mérite de le sortir de sa torpeur. Enfin, Pierre répondit :
« Je vais pas te lâcher, Sylvain... Je te le promets, je vais pas te lâcher. Et on va traverser ça ensemble, ok ?
-Même quand ce sera fini, tu vas rester ? demanda avec une grande candeur le susnommé. »
Pierre soupira, parce que la réponse n'était pas aussi simple. Il n'y avait pas d'avant, de pendant et d'après, il n'y avait qu'un avant et un pendant.
« Je ne sais pas si ça va se finir, tu sais. Si on est réaliste... tu vas pas pouvoir oublier encore ce qu'il s'est passé, expliqua-t-il. Et je suppose que du coup, je vais rester jusqu'au bout. »
Malgré la tristesse de la tirade, Sylvain sourit largement et l'embrassa.
Ils n'avaient rien d'autre à se dire, certainement pas après tous les mots échangés ce jour-là. Il ne leur restait plus qu'à s'endormir et ce fut ce qu'ils firent, Sylvain serrant son nouveau doudou en même tant que son nouveau petit-ami – deux événements heureux pendant une journée orageuse. Et malgré tout, ils passèrent une bonne nuit.
Les deux hommes rentrèrent sur Paris. Malgré l'insistance de Pierre, Sylvain retourna chez lui, dans son appartement, parce qu'il ne voulait pas que ses propres problèmes prennent trop de place dans la vie de son ami – il en avait déjà assez fait à ce sujet. Et l'autre céda, avec inquiétude, posant sur son interlocuteur un regard profondément triste et soucieux mais impuissant. Les bras ballants, Pierre observa Sylvain quitter sa maison et rentrer chez lui.
L'appartement était vide. Ce n'était pas étonnant, Sylvain vivait seul, n'avait pas d'animal de compagnie, et n'avait pas d'autre copain que Pierre, avec qui il venait tout juste de se mettre en couple. C'était paradoxal : il avait besoin d'espace, de s'éloigner par peur d'étouffer celui qui l'aidait pourtant au quotidien, mais il se sentait trop seul pour aller bien de lui-même. Il avait besoin de lui...
Non, il ne céderait pas. Pierre faisait déjà bien assez pour lui, au point de s'être mis en danger aux yeux de la loi, même si la bagarre avait plutôt relevé d'une erreur. D'un désastre.
Sylvain repensait aux mots de sa mère, sa propre mère, qui semait le doute dans son esprit et sur ses souvenirs, qui osait le remettre en question. Il avait mal. Rien ne serait plus jamais pareil avec ses parents. Rien ne serait plus jamais pareil partout... Pourquoi ? Pourquoi lui ?
Il pleura longuement dans le noir, retenant des cris dans sa gorge, la tordant pour faire passer le nœud, serrant son propre corps. Il ne cessa que lorsqu'entre deux hoquets, il posa le regard sur le doudou que lui avait offert Pierre, qui se trouvait de l'autre côté du lit. Il rampa tout à coup pour s'en saisir et sécha ses larmes dans sa laine.
Puis il se leva, vidé, il se leva et marcha comme un somnambule, le regard dans le vide, les mains se balançant sans but, il marcha vers la salle de bain, y entra, ferma à clé derrière lui, c'était ridicule, il était seul ! Il était seul mais il avait peur, et il détestait que cette peur provoque en lui une vague de chaleur. Il détestait ce qu'il pensait, les images invoquées par son esprit, une torture, que ça cesse !
Qu'il ne pense plus à la douche qu'il prit ce soir-là, trop longue, trop honteuse, trop plaisante. Il détestait tout ça. Il en sortit en se sentant à nouveau lui-même, mais souillé. Tant pis. La sensation du tissu de son pyjama glissant sur sa peau n'effaça pas le vice. Tant pis.
Il croisa son propre regard dans le miroir, l'espace d'un instant, et s'en détourna presque immédiatement. Le poing serré contre sa poitrine, il s'empêcha de frapper la surface réfléchissante, quittant la pièce à la place. Il se retrouva de nouveau dans la chambre et s'allongea sous la couette, attendant que le sommeil vienne le chercher.
Ses yeux restaient pourtant résolument ouverts, tandis qu'il serrait son doudou contre lui. Un bruit soudain le fit sursauter : son téléphone venait de vibrer. Il se retourna, l'attrapa et l'alluma, plissant les yeux à cause de la lumière, pour y lire le nom de Pierre. Immédiatement, il le déverrouilla et lut :
« J'espère que tout va bien, appelle-moi si tu as besoin. Bonne nuit. »
Accompagné d'un emoji lune, le message le fit sourire. Au moins un peu. Il y répondit simplement puis reposa l'appareil sur sa table de chevet, fermant les yeux pour dormir.
Mais rien n'y faisait. Dès qu'il fermait les yeux, une alarme se déclenchait dans son cerveau, lui ordonnant de rester sur ses gardes, de se préparer à un contact inévitable... qui ne venait pas. Il rouvrit les yeux. Fixa droit devant lui. Rien. Il était seul. Il voulait Pierre. Il essaya de les refermer à nouveau ; la panique monta. Il se redressa d'un coup, regardant autour de lui, et fondit en larmes. Il ne retint pas ses coups quand il frappa la pauvre peluche à ses côtés, comme ça, pour rien. Il n'avait pas besoin de raison, seulement d'écouter son corps et son corps voulait la violence. Alors il frappa.
Ses bras s'épuisèrent vite. Il était fatigué, il n'avait pas envie de se battre contre sa tête. Il se saisit de son téléphone avant même de se rendre compte de ce qu'il faisait et appela Pierre, toujours en pleurs, hoquetant encore quand l'autre homme décrocha.
« Sylvain ? Ça va ? T'as besoin que je vienne ? »
Seuls des sanglots lui répondirent. Sylvain entendit des bruits de mouvement, un juron murmuré...
« Merde, laisse-moi enfiler un truc et prendre la moto et j'arrive, ok ?
-Non, répliqua enfin le pauvre homme, la gorge nouée. Viens pas, t'as—t'as déjà trop... »
Il ne put finir sa phrase à cause des pleurs, mais son interlocuteur comprit plus ou moins.
« Hey, loulou, si t'as besoin de moi, c'est pas un souci. Je viendrai. T'as besoin d'aide, je peux t'aider, alors je le fais. Te le refuse pas, s'il te plaît, tu me déranges pas...
-Pourquoi ça tombe sur—sur moi putain ! »
Sylvain jeta le téléphone plus loin sur le matelas et ne put retenir un cri de frustration. Son petit-ami essayait de lui parler, à l'autre bout du fil, en vain.
Agenouillé parmi les draps, l'homme continua de pleurer sans s'arrêter, hyperventilant, baignant ses joues, ses mains, son doudou et son oreiller. Parfois, il lançait des questions rhétoriques, à l'intention de Pierre, du ciel, de la nuit, de personne, il ne savait plus à qui s'adresser. Il perdait totalement pied avec la réalité, son corps parcouru de fourmillements désagréables, se tétanisant peu à peu. La douleur ne parvenait même pas à le ramener sur terre.
Les bras de Pierre, en revanche, eurent un bien meilleur effet. Son amant ne l'avait pas entendu entrer et avait sursauter au contact soudain, craignant une agression, puis il comprit. Il était en sécurité. Pierre était venu, il était là, il le serrer dans ses bras par-derrière et le monde sembla aller bien, au moins un tout petit peu. Il tournait dans le bon sens.
Sylvain ne bougea pas pour autant. Il ne pouvait pas, à cause de la tétanie qui prenait ses mains, sa poitrine, sa mâchoire, il avait du mal à parler et à respirer et ne pouvait pas le communiquer à Pierre. Mais celui-ci comprit. Doucement, il se mit à caresser ses avant-bras, remontant avec lenteur vers ses mains pour les masser sans appuyer, pour ne pas le blesser. D'une voix basse, profondément tendre, un murmure si aimant que tout se détendit chez son auditeur, il parla :
« Je suis là, loulou. Y'a que moi ici. Je suis là. Tu peux te détendre, laisse-toi faire, regarde... »
D'une main sur sa poitrine, qu'il massa aussi, il appuya pour que son dos touche sa propre poitrine, pour qu'il s'appuie contre lui, sans s'arrêter de parler :
« Voilà, t'es bien là ? Je sais que ça fait mal, on y travaille, ça va aller mieux. Tu peux ouvrir tes mains ? Oui, comme ça. Je vais pas te lâcher. Je suis là et je vais pas bouger. Tu peux même dormir là si ça te chante. Enfin, faudrait peut-être que je m'allonge aussi. Hey, hey, loulou, regarde-moi ? Merde, ta mâchoire aussi, c'est ça. Je vais m'en occuper, attends. »
Sylvain avait basculé la tête en arrière et contemplait son copain de ses yeux brillants, la mâchoire bloquée, sa main gauche serrant obstinément celle de l'autre homme. Il faisait nuit, mais il arrivait à deviner ses traits.
Doucement, la main droite de Pierre quitta sa poitrine, déjà soulagée, pour caresser sa mâchoire. Il chercha le muscle de son pouce, avant d'appuyer, tout en faisant attention. Le reste de ses doigts s'enroulèrent sous son visage, le long de sa gorge, sous le lobe et jusque dans ses cheveux.
« Voilà, souffla-t-il. C'est mieux, là ? Ça fonctionne ?
-Oui, chuchota Sylvain d'une voix cassée. J'suis désolé.
-Y'a pas de mal, Sylvain. T'as fait exactement ce que je t'ai dit, m'appeler si t'avais besoin d'aide, alors je devrais plutôt te dire merci. T'as bien fait. Puis on est mieux comme ça, non ? A deux. »
Il lui sourit, même s'ils se distinguaient à peine.
Sylvain resta silencieux un moment, fermant les yeux pour profiter des caresses. Ses muscles étaient détendus, maintenant, mais la douleur de la tétanie persistait. La peau de Pierre sur la sienne guérissait ses plaies pourtant, il se sentait heureux.
« Je t'ai pas réveillé ? demanda-t-il sans bouger. »
Les caresses sur sa main se stoppèrent le temps d'une seconde, puis reprirent.
« Si, répliqua honnêtement Pierre. Mais c'est pas grave, je m'en fiche, je préfère être avec toi. »
Il était horriblement sincère, et ça fit rater un battement au cœur de son pauvre interlocuteur. Il rit amèrement et lâcha d'un ton sarcastique :
« Je comprends pas pourquoi. Tout ce que je fais c'est pleurer et te parler d'un mec qui me touchait quand j'étais gamin. Bordel. »
Ses sourcils se froncèrent alors qu'il avait toujours les yeux fermés. Son nez le piquait, il allait pleurer de nouveau.
Pierre se contenta de le serrer plus fort, de redoubler de réconfort, tout son être peiné par la brutalité de ses mots. Oh, ce n'était pas bien brutal, par rapport à la réalité des faits, mais Sylvain n'avait encore jamais employé ces mots, n'avait jamais décrit la chose d'une telle façon, l'abus. Il embrassa sa joue, doucement, puis y colla la sienne. Il sourit en sentant son petit-ami tourner doucement la tête dans un sens puis dans l'autre, frottant sa peau contre sa barbe.
« T'aimes bien ? le taquina-t-il.
-Oui, répondit l'autre homme, mais je comprends toujours pas pourquoi tu préfères être avec moi. Tu gâches ton temps.
-C'est drôle, c'est ce qu'on me disait quand j'ai commencé à faire des vidéos avec toi. Faut croire que j'aime bien gâcher mon temps avec toi depuis cinq ans... »
Pierre rit. C'était la vérité : que ce soit du temps gâché ou non, il l'appréciait parce qu'il le passait en compagnie de Sylvain. C'était tout ce qu'il lui fallait.
Sylvain sentit une nouvelle chaleur se propager dans son corps, plus clémente que celle qui avait souillé sa douche plus tôt, une sensation parfaite. Être aimé, recevoir soin et tendresse, inconditionnellement, cela valait plus que n'importe quelle autre relation. Voilà enfin quelque chose de pur, dans tout ce que ça avait de dérangé, entre traumatisme et guérison. Une larme roula sur sa joue, de joie, et il demanda d'une toute petite voix :
« Tu peux le répéter ? »
Pierre sourit à nouveau. Bien sûr. Evidemment. Quelle question ? Il le répéterait jusqu'au lever du soleil s'il le fallait.
« J'adore gâcher mon temps avec toi. C'est pas gâché, je passe toujours un bon moment avec toi, ça me fait du bien, pourquoi je m'en priverai ? »
Il se pencha sur lui, embrassant à plusieurs reprises son visage et son cou, le faisant ouvrir les yeux et éclater de rire.
Sylvain se redressa, comme pour lui échapper, mais son amant suivit le mouvement si bien qu'ils se retrouvèrent allongés l'un sur l'autre, Pierre au-dessus, qui volait baiser sur baiser à l'autre homme.
« Je pourrais rester tout le temps avec toi. Laisse-moi rester. Je veux te faire te sentir bien, je veux... Je t'aime, Sylvain. Putain que je t'aime et ça me rend fou que je puisse pas tout régler comme ça...
-Tais-toi, le coupa Sylvain, comme il commençait à s'égarer. »
Et ils s'embrassèrent encore. Sylvain passa ses bras autour du coup de son compagnon, ses mains serrant son crâne, le forçant à rester près de lui – non pas que Pierre comptait s'éloigner, au contraire.
Les baisers s'allongèrent, se multiplièrent, les caresses aussi. C'était bon, parfait même. Sylvain ne regrettait pas d'avoir appelé l'autre à l'aide, pas du tout même. Il en avait besoin, de cet amour sain, correct, qui remettait sa tête sur le droit chemin quand elle ne voulait que s'égarer sur des chemins tortueux. Il avait besoin de Pierre, de sa chaleur, de son inépuisable tendresse malgré les apparences, de ses blagues pas toujours au bon moment qui savaient toujours le faire rire, de ce regard, de ces mains, de ces lèvres, d'être aimé. Par lui. Vraiment.
Sylvain se réveilla au milieu de la matinée sans aucun souvenir de s'être endormi. Il était blotti dans son coin, sa peluche dans les bras, mais en ouvrant les yeux il vit Pierre. L'homme était toujours allongé dans le lit, bien qu'un peu éloigné les yeux fixés sur son téléphone. Non, remarqua Sylvain, ce n'était pas son propre téléphone qu'il tenait mais le sien. Il tendit la main pour la poser sur l'avant-bras de son compagnon.
« Il se passe quoi ? demanda-t-il d'une voix à peine réveillée, ses petits yeux endormis, plissés, le fixant.
-Ta mère a envoyé trois mille messages depuis ce matin, répondit Pierre d'un ton soucieux. »
Il était concentré sur l'écran, les sourcils froncés, jouant avec sa barbe du bout des doigts.
Petit à petit, Sylvain se rapprocha de son petit-ami et passa son bras autour de son ventre, posant sa tête contre son flanc. Il se mit à caresser le flanc opposé de sa main.
« Elle dit quoi ? s'inquiéta-t-il sans trop le laisser paraître.
-J'ai lu en diagonale, mais pour moi elle a l'air de s'excuser à moitié. »
Une hésitation, puis Pierre demanda :
« Tu veux lire ?
-Pas maintenant. Je te fais confiance, lui assura son interlocuteur. Tu peux les lire, toi, si tu veux. Pas besoin de lire en diagonale. »
L'autre hocha la tête en scrollant à nouveau vers le début des messages, pour les lire plus attentivement.
Au fil de sa lecture, Pierre lu à voix haute certains messages qu'il trouvait plus intéressants, moins douloureux. Il y avait un mélange de culpabilité, de victimisation, de reproches, beaucoup d'incompréhension et trop peu d'empathie. Il n'aimait pas ça, et pour cette raison il épargnait à son amant la plupart des mots, les sélectionnant soigneusement.
Quand il eut fini, sa main tomba sur le crâne d'un Sylvain bien silencieux. Ses doigts passèrent entre ses mèches, le caressant. Il verrouilla le téléphone et le déposa sur la table de chevet, sa deuxième main courant le long du bras de l'autre homme, le frottant dans un geste rassurant.
« Ça va ? s'inquiéta-t-il à force de silence.
-Je sais pas, avoua Sylvain. Je suis perdu. Je comprends pas pourquoi elle... pourquoi elle me dit ça. Pourquoi elle prend son parti plus que le mien. C'est ma mère, elle...
-Elle est dans le déni, affirma Pierre d'une voix calme et posée. Enfin, c'est ce qu'on pense avec ton père. On en a discuté avant le départ et il s'est encore excusé... Il est entièrement de ton côté, pour le coup. Mais ta mère... c'est plus compliqué parce qu'elle veut pas croire que c'est vrai. Mais merde, c'est pas une raison pour te dire tout ça alors que tu dois déjà te battre avec le reste... »
Il soupira.
Baissant la tête vers le petit être blotti contre lui, leurs regards se croisèrent alors que celui-ci levait les yeux. Un regard fatigué, un peu triste, un peu nostalgique... La main de Pierre dans ses cheveux glissa sur sa joue pour la caresser du pouce.
« D'un côté, je comprends ce qu'elle ressent, lança Pierre. Je culpabilise aussi alors que j'étais même pas là. Juste... c'est presque confortable de pouvoir nier. Elle t'a pas vu comme je t'ai vu, elle a même pas entendu tout ce que tu m'as dit.
-Je peux pas nier, moi, se plaignit son interlocuteur. Pas faute d'avoir essayé... »
Il ferma les yeux et blottit son visage contre le t-shirt de son petit-ami. Il était déjà terriblement fatigué de la journée.
Pierre resta là à le caresser de longues minutes encore. Ils en avaient tous les deux besoin, de toute façon. Il le touchait doucement, avec attention, lui souriant même s'il ne le voyait pas. La tendresse du moment ne fut rompue que par un grondement d'estomac, et Sylvain afficha une mine hilare mais coupable, retenant un rire.
« Dites-donc m'sieur Levy, vous auriez pas un petit peu faim par hasard ? demanda son compagnon.
-Je vois pas de quoi tu parles. Vraiment pas. »
Il rouvrit les yeux et lui lança un regard malicieux. Pierre le poussa sans y mettre trop de force.
« Allez, laisse moi me lever, que je prépare un petit déjeuner.
-Tu sais comment me parler ! s'enthousiasma son interlocuteur en se redressant. »
Un rire, et l'autre homme quitta la pièce, seulement vêtu de son t-shirt et de ses sous-vêtements, ayant retiré son jean pour la nuit.
Sylvain soupira une fois seul dans la chambre. Assis en tailleur sur le lit, l'unique présence de Pierre dans son appartement l'apaisait. Il se sentait tellement plus calme, plus stable que la veille. Après quelques secondes à fixer le vide, juste pour apprécier pleinement ce sentiment de sécurité, il se leva et ouvrit le volet de la chambre, pour y faire entrer la lumière. Puis il rejoignit son petit-ami dans la cuisine, ce dernier étant en train de fouiller les tiroirs.
« T'as besoin d'aide ? demanda-t-il avec amusement en le voyant tourner en rond.
-Ouais, tu les mets où tes tasses ? répliqua Pierre en fouillant les placards en hauteur. »
Son interlocuteur se baissa, ouvrit le placard à côté du frigo, et en sortit deux tasses.
« Bordel, râla l'autre homme, pourquoi tu les changes tout le temps de place ? »
Sylvain haussa les épaules, désinvolte.
« C'était trop haut.
-Quelle idée d'être un Minimoy aussi, se moqua Pierre avec un rire. »
Il se prit un coup dans les côtes, heureusement pas très fort, qui ne l'empêcha pas de rire de plus belle.
« Va t'asseoir au lieu de m'agresser, c'est prêt dans cinq minutes. »
Sylvain fit la moue mais obéit, rejoignant la salle à manger pour s'asseoir à table.
Son compagnon apporta le petit déjeuner et s'installa à côté de lui, attrapant une tartine pour la beurrer. Faisant cela, il se mit à parler de tout et de rien, une discussion banale du matin, à laquelle Sylvain fut réceptif. Ils conversaient simplement, sans prise de tête, avec cette impression de normalité qui leur manquait tant. C'était bon.
La matinée se déroula ainsi, dans la douceur et la légèreté malgré le faux départ du réveil. La familiarité entre eux faisait beaucoup de bien à Sylvain, et l'apprentissage d'un contact différent, amoureux, lui changeait les idées pour le meilleur. Il voulait aimer Pierre. Heureusement pour lui, c'était plutôt facile.
Les deux hommes avaient un rendez-vous en début d'après-midi. Après un déjeuner rapide, ils s'y rendirent non sans appréhension. Leur mental avait été malmené ces derniers jours et ils n'avaient pas beaucoup pensé à leur travail. S'y remettre était aussi agréable que stressant, surtout considérant que le rendez-vous était primordial pour un prochain tournage. Bref, ils ne pouvaient pas passer à côté, ni foirer.
Et ça se passa bien. Ils avaient même un peu d'avance, en arrivant sur place. Les personnes qui les reçurent étaient sympathiques et quelques blagues furent même échangées. Et surtout : ils aboutirent à un arrangement qui facilitait même le tournage concerné. Tout se passait bien et surtout normalement.
C'était tellement agréable que Sylvain eut envie de pleurer, en sortant. Il essaya de se retenir, cachant son visage à son ami.
« Rah, merde, fichue poussière, râla-t-il en sentant les larmes couler. »
Pierre tourna la tête vers lui avec un petit rire.
« Ça va ? Ca te rend vraiment si émotionnel que ça, les bagnoles ? se moqua-t-il.
-J't'emmerde. Tu sais que oui en plus. »
Il renifla et sortit un mouchoir pour essuyer l'eau sur ses joues, avant de reprendre :
« C'est juste que... c'est le premier truc qui se passe bien depuis un moment, rit-il nerveusement. Je sais plus comment réagir, moi... »
Il rangea son mouchoir, s'arrêtant sur le trottoir.
Pierre en profita pour s'arrêter aussi et l'enlacer, le serrant contre lui. Ironiquement, l'action fit redoubler les pleurs de Sylvain. Son petit-ami caressa son dos, le laissant pleurer avec un sourire. Ça faisait du bien que, pour une fois, il ne pleure pas à cause de la tristesse ou des traumatismes... C'était plus facilement à sécher, des larmes de joie.
« Tu veux qu'on aille faire un tour avant de rentrer ? proposa-t-il en se séparant. Où tu veux.
-Je veux bien boire un truc frais. Il faisait chaud là-dedans, se plaignit Sylvain en frottant une dernière fois ses joues.
-Allez viens, répliqua doucement son copain, tendant la main vers lui. »
L'autre homme rit en la saisissant, et tous deux marchèrent dans les rues de Paris.
Ils ne se tinrent pas la main longtemps, cependant. Pas en public, ou pas trop longtemps du moins. C'était une règle tacite qui s'imposa toute seule entre eux : ils devaient déjà gérer suffisamment de choses pour ne pas se rajouter un outing en plus, ou des fans indiscrets.
Le couple entra dans un café, s'installa à une table et commanda deux boissons fraîches. Posant leurs affaires à terre, Pierre entama la conversation :
« Ce serait peut-être cool que tu aies de l'aide. En plus de moi, je veux dire.
-Ouais, histoire de récupérer un peu de stabilité mentale ouais. »
Sylvain lui lança un regard accompagné d'un petit sourire, ajoutant :
« C'est pas une mauvaise idée. Je sais pas comment faire par contre...
-Moi non plus, on regardera ensemble en rentrant ? »
L'autre homme fronça les sourcils à cette réponse.
« En rentrant ? »
Pierre ne voyait pas le problème. Il cligna des yeux, le visage inexpressif. Après un silence de quelques secondes, il se défendit :
« Bah oui, quand on va rentrer. On va pas passer toute la journée ici !
-On habite pas ensemble, Pierre, lui rappela Sylvain. »
Le susnommé réalisa enfin et éclata de rire.
« Non mais je sais ! cria-t-il, un peu fort mais il s'en fichait. Mais faut bien que je te dépose chez toi, on pourra regarder avant que je reparte ! Et puis si tu veux pas de mon aide, tant pis hein. »
Son interlocuteur rit à son tour.
« Nan mais j'ai jamais dit que ça me dérangeait, moi. Si tu veux rester, t'es le bienvenu, franchement.
-Je vais m'inviter tous les soirs du coup, sourit Pierre. Profiter de ta bouffe et de tes draps propres.
-Je te forcerai à faire la lessive si c'est ça, répliqua Sylvain avec un sourcil haussé. Et le ménage.
-Ah oui donc tu me prends pour ta bonne ? »
Pierre affichait une mine faussement outrée face à l'acquiescement de son copain, puis ils éclatèrent de rire.
Un instant de silence, on déposa leur commande sur la table. Pierre réfléchissait.
« En vrai faudrait que je me change et tout, trop chiant, contra-t-il finalement.
-Je t'en prêterai bien mais je sais pas si t'aimes bien les crop tops, se moqua son interlocuteur.
-Ouais, non, le contraire fonctionne mais pas dans ce sens-là. »
Pierre secoua la tête avec un rire et prit sa boisson pour en prendre une gorgée. Son petit-ami l'observa, juste un instant, avant de détourner le regard en avouant :
« Peut-être que c'est ce que je veux...
-Pardon ?
-J'aime bien quand t'es là, continua-t-il d'une petite voix. Ça se calme un peu là-haut et je me sens plus en sécurité.
-Tu sais, t'es le bienvenu chez moi, aussi. »
Sylvain reporta son regard sur lui, sans sourire.
« On verra, trancha-t-il. D'abord le psy.
-Ouais, une chose à la fois, acquiesça Pierre. En rentrant, répéta-t-il avec un sourire. »
Il fut satisfait en remarquant qu'il avait tiré un sourire à son compagnon, lui qui avait paru soucieux tout à coup.
Les deux hommes restèrent une heure environ au café, avant de le quitter, de rejoindre la moto de Pierre, s'y installant, et de rentrer. Ensemble. Chez Sylvain. Pierre entra avec lui dans l'appartement, s'installa même s'il ne restait pas et, minutieusement, il l'aida à trouver des psychologues, à en choisir un et à prendre le rendez-vous. Cela fait, pourtant, il ne voulait pas repartir. Vraiment, il ne pouvait pas... surtout quand celui-ci le supplia dans un élan de vulnérabilité :
« Reste dormir, s'il te plaît... »
La décision fut prise si facilement, en un éclair. Il lui sourit et embrassa son front.
« Je vais juste chercher des affaires et je reviens, d'accord ? »
Sylvain hocha la tête et lui sourit en retour, le laissant partir.
Pierre tint sa promesse et revint ce soir-là, pour le prendre dans ses bras, le câliner, embrasser et éloigner ses peurs. Il revint pour l'aimer et l'aider, pour le meilleur comme pour le pire. C'était ce qu'il faisait depuis des années, après tout. Il devait juste redoubler d'effort maintenant, mais leur couple tout juste né lui donnait plus de libertés pour cela. Il ne laisserait Sylvain partir pour rien au monde, qu'importe son passé, qu'importe ce qui le hantait. Et le concerné, trop heureux, presque euphorique d'avoir un tel homme pour compagnon de vie et de nuit, ne pouvait s'empêcher de témoigner en retour d'un amour inconditionnel. Alors Pierre revint le lendemain.
Et il revint les soirs suivants, ou bien ils alternaient et se retrouvaient à la maison. Ce n'était plus, à force, ''chez Sylvain'' ou ''chez Pierre'' mais ''à l'appartement'' et ''à la maison'', et ça leur allait très bien comme ça. Qu'importe où ils dormaient tant qu'ils dormaient ensemble, tant que Sylvain pouvait être en sécurité, tant que Pierre pouvait le protéger.
Quelque chose avait profondément changé entre eux, c'était vrai. Quelque chose s'était irrémédiablement brisé chez Sylvain. Tout était différent, mais ils étaient toujours là. C'était toujours eux deux face au reste. Pour se soutenir, s'épauler, rire, travailler et depuis peu, s'aimer. Dans tout ce bazar, malgré tout, ils retenaient cela comme une des plus belles choses qu'ils avaient obtenue, en espérant que cela continue encore et encore. En espérant aller mieux, à deux.
3 notes · View notes
clemjolichose · 2 years ago
Text
comme des hommes bien élevés
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC masculin, gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 30 563
Avertissement : discussion de maladie (VIH et sida), de mort, de sérophobie
Résumé : C'est une curiosité innocente qui poussa Sylvain à fouiller dans les affaires de Pierre, dans les souvenirs d'une vie qu'il taisait. Trop peu en avait entendu parler, son meilleur ami lui-même n'en savait rien.
Mais voilà : la curiosité ne s'arrête pas là.
Note d’auteurice : Vous pouvez aussi lire ce texte sur Wattpad ou AO3 !
Partie : 1/4
Chanson : Nos joies répétitives de Pierre Lapointe
Pierre Chabrier était assis sur le fauteuil à côté de la fenêtre. Tourné vers le lit, il tenait dans ses mains un carnet et un critérium, dessinant avec application à la lumière du petit jour. C’était une matinée calme et agréable, juste assez chaude pour pouvoir traîner paresseusement. Il dessinait des traits qu’il connaissait bien, très bien même, ne levant pas souvent le regard pour regarder son modèle. Quand il le faisait, c’était pour l’admonester :
« Sofiane, arrête de bouger, tu vas être flou. »
Ledit Sofiane éclata de rire, continuant ses étirements en se redressant. Il sourit à Pierre, moqueur.
« Tu es en train de me dessiner, si je suis flou, c’est de ta faute et pas de la mienne. »
Son interlocuteur sourit en retour, reportant son regard sur la feuille, ne répondant pas à la pique.
Sofiane se leva, fit le tour du lit sans prendre la peine de cacher sa nudité, et regarda par-dessus l’épaule de son amant l’œuvre qui se dessinait sous ses coups de crayon. Puis il embrassa sa tempe, commentant :
« Tu commences à bien me dessiner, tu arrives presque à saisir mon nez. Presque.
-Enfoiré, l’insulta le dessinateur en retour. »
Ils rirent ensemble, pendant que Sofiane s’habillait.
Quand il eut fini, il marcha en direction de la porte, s’arrêtant sur le seuil. Il jeta un regard à Pierre, toujours concentré sur son dessin, l’observant un doux instant.
« Allez, viens prendre ton petit-déjeuner avec moi, lança Sofiane d’une voix mielleuse. »
Mais son amant ne réagit pas. Il soupira, réitérant sa demande pour se voir répondre :
« Attends, deux minutes. »
Sofiane soupira, abandonnant, lui tournant le dos.
« Compte pas sur moi pour te le préparer alors. »
Et il quitta la pièce.
Pierre soupira à son tour et posa son carnet et son crayon. D’un bond, il se leva et rejoignit l’autre homme en quelques enjambées. Il l’attrapa par la taille et le tira vers lui.
« C’est bon, je suis là, je suis là… »
Il embrassa son cou, mais Sofiane ne semblait pas intéressé. Pierre se redressa – parce que quand même, son amant ne faisait qu’un mètre soixante-trois contre son mètre quatre-vingt-sept – et le tourna vers lui.
« Tu vas arrêter de faire la tête, oui ?
-Comment tu me donneras de l’attention si j’arrête ? répliqua Sofiane avec un sourire espiègle. »
Son interlocuteur sourit en secouant la tête, se rapprochant de lui pour l’embrasser.
Les deux hommes échangèrent un long baiser, qui gagna en force et en sensualité, particulièrement quand Pierre poussa son amant contre le mur. Mais ils s’arrêtèrent avant que ça ne dérape, se souriant comme deux idiots.
« T’en as pas eu assez hier soir ? blagua Sofiane, une main posée sur sa poitrine, levant la tête pour croiser son regard. »
Pierre ne verbalisa rien en retour, mais lui fit comprendre sa réponse d’une main bien placée sur la chute de ses reins, glissant même un peu plus bas…
Sofiane entra le premier dans le séjour, se dirigeant vers le frigo qu’il ouvrit, s’appuyant contre le plan de travail.
« Tu veux quoi ?
-Sors juste le beurre pour moi. »
Pierre prit du pain et un couteau, alors son amant lui lança un regard moralisateur.
« Des tartines ? Mais je couche avec un grand-père ou quoi ? se moqua-t-il, un sourcil arqué.
-Parfaitement, acquiesça son homologue, et le grand-père voudrait manger son petit-déj’ en paix. Occupe-toi de ta bouffe. »
Sofiane pouffa mais obéit.
Les deux hommes s’installèrent au comptoir de la cuisine, l’un avec ses tartines et l’autre avec un bol de céréales. Le premier ne put s’empêcher de lancer une pique :
« Tu peux parler, avec ton petit-déjeuner de gamin.
-Mais tu continues de me les acheter, contra Sofiane avec fierté. »
Il savait qu’il ne recevrait pas de réponse, alors il enchaîna immédiatement avec une question qui lui brûlait les lèvres :
« Je dois débarrasser le plancher avant quelle heure ?
-Sylvain arrive vers midi, répliqua Pierre. »
Il semblait à côté de la plaque, dit comme ça, mais Sofiane savait très bien ce que ça voulait dire : vers onze heures trente, il devait disparaître. Il avait l’habitude.
« Ah, vous déjeunez ensemble ? remarqua-t-il avec amertume.
-Dis comme ça, on dirait que t’es jaloux, rigola Pierre. Oui, on va déjeuner ensemble, et après boulot.
-Il y en a qui ont de la chance. »
Sofiane n’avait pas vraiment envie de rire.
Son animosité envers Sylvain n’était pas nouvelle : depuis qu’il avait rencontré Pierre, il avait pris son meilleur ami en grippe, se comparant sans cesse et piquant des crises à son sujet.
« On est même pas ensemble, tu vas pas me faire une crise de jalousie quand même, si ? demanda son amant en l’enlaçant. »
Sofiane fit la moue.
« Tu sais que c’est un de mes vices, répliqua-t-il sans chercher à se défendre.
-Et si c’était le seul, rit Pierre. »
Il embrassa sa joue, souriant toujours, et ne le lâcha que lorsqu’il vit le même sourire sur son visage.
Le reste du petit-déjeuner se passa en silence, et même le rangement qui suivit. Sofiane rassembla ses affaires, le visage fermé et impassible. Pierre n’aimait pas ça, ces humeurs auxquelles il ne pouvait rien faire. Ils avaient passé une bonne soirée, pourtant, et même le réveil avait été si agréable…
Alors, comme pour se faire pardonner, il l’enlaça au milieu du salon, avant qu’il n’enfile ses chaussures. Sofiane se laissa faire, posant ses mains sur ses bras, secoué d’un petit rire.
« Pourquoi t’es si grand ? »
Son amant rit à son tour et l’embrassa. Il chercha une réponse, une blague à faire, salace si possible. Il trouva enfin :
« C’est parce que c’est proportionnel à… »
Sofiane éclata de rire.
« C’est pas vrai, je l’ai vue, je sais de quoi je parle.
-Chut. La ferme. »
Ils s’embrassèrent encore en riant.
Et puis vint l’heure de se quitter. Sofiane ne put s’empêcher de faire une dernière remarque acerbe au sujet de Sylvain, qu’il rattrapa d’une blague. Pierre laissa couler, le saluant avant de claquer la porte. Bon, il devait se changer avant que son collègue n’arrive.
Pierre se doucha rapidement et enfila un t-shirt et un jean slim, avant de finir de ranger le séjour. On frappa à la porte au même instant, alors il lâcha ce qu’il tenait pour aller ouvrir à Sylvain, l’accueillant chaleureusement.
« Alors, qu’est-ce que tu nous fais de bon à manger ce midi ? demanda ce dernier avec un grand sourire sur le visage.
-Bah MacDo j’pense. Quoi, tu t’attendais au resto trois étoiles ? blagua le propriétaire des lieux. Tu pourras attendre longtemps dans ce cas.
-Mince, je pensais mettre mes pieds sous la table et me faire servir de la truffe et du caviar ! s’exclama Sylvain avec un faux air déçu.
-Et tu veux pas que je te suce non plus ? »
Les deux hommes éclatèrent de rire, abandonnant la discussion là comme ils le faisaient souvent.
A la place, ils commandèrent ce qu’ils voulaient au fast-food pour se le faire livrer, ce qui leur permit de s’affaler dans le canapé en discutant.
« T’as fait quoi de beau ce matin ? demanda Sylvain.
-Rien, pas grand-chose, juste dessiner, répliqua son ami d’un ton désintéressé. Et toi ?
-Je me suis réveillé, rigola son interlocuteur. »
Pierre avait fait exprès d’omettre la présence de Sofiane chez lui cette nuit. A vrai dire, si son amant connaissait son ami, le contraire n’était pas vrai : il était très discret au sujet de ses relations, même auprès de son meilleur ami. Cela tenait plus du réflexe et de l’habitude que d’une véritable volonté de garder ses amants secrets. Il ne parlait pas d’eux. Comme ça, il ne risquait pas de dévoiler plus qu’il ne lui était confortable d’admettre.
Leur repas vint rapidement, alors qu’ils étaient en pleine discussion. Pierre insista pour qu’ils s’installent à table, pour ne pas dégueulasser son canapé ni son tapis. Soit, Sylvain se plia facilement à son exigence raisonnable.
Les deux hommes s’installèrent donc à table, préparant déjà la réunion qui allait suivre. Ils devaient choisir et préparer les projets qui viendraient ensuite. Plus tard. A une date indéterminée. C’était un travail compliqué, déjà, parce qu’ils ne savaient jamais quelle merde, ou quel heureux hasard au contraire, viendrait chambouler leur planning.
« T’as le bloc-notes, non ? demanda Sylvain, la bouche pleine. »
Pierre hocha la tête en prenant une gorgée de son Coca.
« Ouais, dans la chambre. Tu pourras aller le chercher quand t’auras fini de manger ? »
Son interlocuteur acquiesça – il mangeait plus vite que Pierre, tous deux le savaient. Et celui-ci ne voulait pas se presser pour ça, mais il se doutait que ça démangeait son ami, de relire leurs notes.
Quand Sylvain eut fini, donc, il nettoya son côté de la table, balança les déchets dans un des deux sachets que le livreur avait ramenés, et quitta la pièce. Il entra dans la chambre sans peine – il connaissait les lieux comme sa poche maintenant. Mais voilà : il fut surpris du désordre. Oh, il n’entrait pas souvent dans la chambre de Pierre, mais quand c’était le cas, le lit était toujours fait, rien ne traînait sur le bureau ni sur le sol… Tout le contraire du tableau qu’il avait devant les yeux.
Il fut interpellé par plusieurs choses. La première : le lit était défait, certes, mais il l’était des deux côtés. Pierre avait dormi avec quelqu’un ? S’était-il mis en couple sans lui avoir dit, à lui, son meilleur ami ? Ce serait des questions à lui poser plus tard, ça…
La deuxième, qui allait de paire avec la précédente, était les vêtements éparpillés sur le parquet. Tous à Pierre, il lui semblait. Mais il ne regarda pas de trop près, comme cela semblait être lié au lit défait. Ç’aurait été trop indiscret.
La troisième et ultime chose, enfin, était le carnet à dessin posé sur le bureau. D’où il était, Sylvain ne voyait qu’une grande feuille blanche couverte de gribouillages, alors il s’approcha pour consulter l’œuvre… et rougit. C’était des dessins d’hommes, d’un homme en particulier, partiellement ou totalement nu, dans diverses positions. Ce carnet, Sylvain ne l’avait jamais vu avant. Il ne put résister à l’envie de feuilleter quelques pages, juste quelques-unes, deux-trois… et il vit sur ces pages d’autres visages, des silhouettes habillées ou non, contorsionnées bizarrement, ne posant jamais. Pierre semblait aimer les modèles vivants…
Comme il baissait les yeux sur le carnet, il remarqua un carton à ses pieds. Il était vieux et abîmé, avec écrit en gros au feutre bleu : ARCHIVES. Peut-être que son ami avait tiré ce carnet de là. Sylvain ne savait pas qu’il dessinait toujours, il pensait ce hobby révolu.
Toujours curieux, il se baissa pour fouiller le carton : il y avait beaucoup de dossiers fermés, des magazines – que Sylvain reconnaissait pour certains, comme Têtu, mais d’autres beaucoup moins – et des livres en vrac – là, il devait avouer ne reconnaître aucun titre. Il saisit un dossier, au hasard, une pochette rouge avec des ficelles jaunes, qu’il ouvrit : il rougit de plus belle. C’était des photos, de beaux tirages sur papier glacé, toutes d’hommes qui, cette fois-ci, posaient pour la plupart. Il y avait des noms, des dates, des citations… Parfois, attachés avec un trombone, des dessins qui résultaient de ces clichés ou des poèmes et autres textes en prose de graphies inconnues, souvent la même. Sofiane, Gunther, Julien, David, Tommaso, Vincent… Il y avait là une dizaine d’inconnus pour Sylvain, que Pierre semblait bien connaître, vu l’intimité que reflétaient les clichés.
S’il ne reconnaissait pas de visage, Sylvain reconnaissait des lieux : son ami semblait aimer photographier chez lui. Un des seuls clichés en mouvement était celui de Tommaso, qui semblait être en train de cuisiner chez Pierre. Le fouineur consulta d’autres photos : là, Vincent et un certain Léo, dans ce qui semblait être leur jardin, enlacés sur un transat et entourés de fleurs. Ici, David, à peine habillé et regardant fixement, d’un air à la fois charmeur et coupable, l’objectif.
Sylvain déglutit. Plus il regardait ces photos, plus il se disait qu’il n’aurait jamais dû tomber dessus. Il se sentait mal, mais ce n’était pas suffisant pour le faire arrêter. Il avait l’impression d’avoir touché du doigt quelque chose de gros, de plus grand que lui, un secret…
Il referma le dossier rouge et en sortit un autre, d’un geste fébrile et maladroit, bleu et vert. Il l’ouvrit et encore une fois, les rougeurs s’invitèrent sur son visage, avec l’impression viscérale de marcher sur des plates-bandes. Mais la machine infernale était lancée et il ne pouvait pas l’enrayer tant sa curiosité le poussait et le bousculait.
Ce nouveau dossier était pire que les autres : il était écrit PRIVÉ dessus et contenait des photos des mêmes visages, mais cette fois-ci, Pierre les accompagnait souvent. Dans des positions équivoques ou tendres, dans des tableaux sans aucun sens, comme celui où Sofiane et lui était assis à une table – celle de la salle à manger de Pierre – face-à-face, comme un duel, comme s’ils jouaient aux échecs. Mais il n’y avait pas de pièces, pas de plateau, juste la table et des pilules. Des boîtes renversées couvertes de noms barbares : Zidovudine, Lamivudine, Efavirenz… La date était récente : la photo datait d’il y a trois mois.
La porte claqua derrière Sylvain, le faisant sursauter si fort qu’il faillit en lâcher ce qu’il tenait. Il se retourna précipitamment en refermant le dossier, le jetant sur le bureau. Pierre était là, froid comme le marbre, il semblait mu de colère. Son ami n’avait jamais vu sur lui un regard si dur, une attitude si enragée, et pourtant immobile. Il ne l’avait jamais vu si furieux. Et pourtant sa voix trembla à peine lorsqu’il demanda, sur un ton monocorde, mesuré :
« Qu’est-ce que tu foutais, au juste ?
-Je cherchais le bloc-notes, mentit Sylvain trop vite pour y réfléchir convenablement. »
Il venait de lâcher une bêtise plus grosse que lui, il le savait, il se sentait si mal… Il voulait se faire tout petit, disparaître, ne plus exister, revenir en arrière et tout recommencer pour ne jamais avoir commis cette imprudence, pour ne jamais avoir cédé à sa curiosité.
« Ça y ressemble pas, lâcha seulement Pierre. »
Il bougea enfin, deux enjambées à peine, se rapprochant de Sylvain. Le bloc-notes était sur le bureau, sous le dossier qu’il avait lâché, et Pierre s’était considérablement approché, menaçant. Oui, pour la première fois depuis toujours, l’autre homme le trouvait menaçant. Réellement menaçant.
Pierre récupéra le bloc-notes, donc, planta son regard dans celui de son collègue, puis quitta la pièce sans un mot. Sylvain se dépêcha de le suivre, s’excusant à profusion. Mais l’autre ne réagissait pas, ne répondait pas. Oh, qu’il s’en voulait d’avoir ainsi provoqué sa colère.
« Je suis vraiment désolé, Pierre. Je pensais pas que c’était autre chose, j’ai vu un carton avec des dossiers alors j’ai cru—pardonne-moi, Pierre. Je voulais pas…
-La ferme, on bosse, le coupa le susnommé. »
Sylvain ravala sa tirade et sa fierté. Ses larmes, aussi. Bon Dieu, il n’aimait vraiment pas ça… Cette froideur, cette distance entre eux… Mais c’était de sa faute, il récoltait ce qu’il avait semé, et il avait blessé son meilleur ami. Il lui obéit, s’asseyant et prenant une attitude presque égale, professionnelle plus qu’inamical.
La réunion fut remarquablement froide, dénuée de blagues et de complicité. Chaque fois que Sylvain essayait de traverser la ligne, testait, du bout du pied, son collègue s’éloignait et gardait la même distance. Au moins, ils travaillèrent vite. Au moins, ils furent efficaces. Au moins…
Sylvain ne s’attarda pas chez son ami, pour une fois. Il préféra partir avant que Pierre ne le mette dehors. Alors il rentra chez lui, seul, coupable et le cœur lourd. Toute la soirée, toute la nuit, il se tortura, il réfléchit sous tous les angles à la manière dont il pouvait se faire pardonner. Lui envoyer un message ? L’appeler ? Il était presque sûr de se faire remballer, ou pire : ignoré. Alors quoi, il devait retourner le voir ? Ne pas lui donner le choix ? Il ne savait même pas ce que son attitude signifiait, pourquoi il lui cachait tout ça… Il connaissait son homosexualité pourtant, depuis le début – grâce à une blague d’un goût discutable de son père. Il savait d’où venait son humour, en tout cas.
Il dormit à peine cette nuit-là, et ne voulut pas quitter son lit le lendemain. Mais voilà, il avait des occupations dans l’après-midi et l’idée de revoir Pierre avait fait le chemin dans son esprit : il lui envoya un message, demandant seulement s’il pouvait passer. Sans réponse pendant une heure entière, il prit quand même la route.
Sylvain frappa à la porte, fébrile, peu rassuré. Il avait particulièrement peur que Pierre n’élève la voix, qu’il ne lui crie dessus. A ce titre, il préférait l’indifférence. Il sautilla sur place, pour se dépouiller du stress qui tétanisait ses doigts et qui faisait battre son cœur dans ses tempes. Il transpirait, il le sentait, ce qui s’ajoutait à son malaise.
Pierre ouvrit au bout de quelques minutes. Les cheveux décoiffés, le torse nu, portant seulement un pantalon de jogging. Il ne portait même pas ses lunettes. Et surtout : il semblait sincèrement étonné de voir son ami sur son porche.
« Sylvain ? Qu’est-ce tu fous là ? demanda-t-il comme l’autre homme ne semblait pas décidé à lancer la conversation.
-Parler. M’excuser. »
Sylvain jeta un regard vers la rue.
« Je peux entrer ? »
Il parlait d’une toute petite voix.
Après une seconde de réflexion, Pierre se décala, le laissant entrer. Il claqua un peu lourdement la porte derrière lui, retrouvant sa froideur qu’il avait oubliée à cause de la surprise.
« Installe-toi, fais comme chez toi, lança-t-il avec sarcasme. »
Sylvain grimaça. Il supposait qu’il ne l’avait pas volée, celle-là.
Il s’assit sur le canapé que lui montra l’hôte, droit comme un piquet, les jambes croisées. Il fixait le sol, incertain, alors que Pierre s’asseyait à côté de lui.
« J’attends, ordonna Pierre, autoritaire.
-Euh, ben. Je suis vraiment désolé. Je sais pas pourquoi tu cachais ça, et j’ai pas à savoir, hein ! bégaya Sylvain. Mais euh, je suis désolé de l’avoir vu. Même si je comprends pas trop pourquoi tu n’en parles pas. Je sais très bien que t’es gay, ça fait des années, c’est pas un secret. Y’a peut-être autre chose, ou peut-être pas, j’ai bien compris que c’était pas mes oignons. J’ai rien compris à ce que j’ai trouvé, je te jure, et je veux pas que ça nique notre amitié.
-Ça va pas la niquer, lui assura son interlocuteur. »
Visiblement, il était satisfait de la tirade de son ami, puisqu’il s’était adouci, même s’il ne semblait pas des plus à l’aise. Ils étaient deux.
« J’ai pas mal réfléchi cette nuit, reprit Pierre, et je pense qu’il faut que—
-Que tu reviennes dans la chambre, le lit est froid, lança une voix du couloir. »
Les deux hommes sur le canapé levèrent la tête en direction du son.
Là, contre le mur, était appuyé un homme d’une bonne vingtaine d’années, portant seulement un peignoir court, qui ne descendait qu’à mi-cuisse. Pierre rit nerveusement en le voyant, baissant la tête. Sylvain, lui, ne put s’empêcher de blaguer :
« Je vois que t’as bien réfléchi cette nuit, ouais.
-Ta gueule, le rabroua son ami avec plus de chaleur. »
Et juste ça fit sourire le pauvre traître, qui avait eu le malheur de céder à sa curiosité.
L’homme ne semblait pas si amusé, pourtant. Il portait un regard défiant sur l’intrus, croisant les bras sur sa poitrine nue – le peignoir était largement ouvert, à se demander pourquoi il le portait. Il leva même un sourcil.
« Le fameux Sylvain… T’as l’air plus petit que je ne l’imaginais, commenta-t-il.
-Je fais souvent cet effet, sourit Sylvain, joueur. »
Il trouvait la situation trop cocasse, trop drôle, d’autant plus que son ami semblait mortifié. Ce dernier râla d’ailleurs contre son amant :
« Sofiane, retourne dans la chambre, j’arrive.
-Vu le temps que tu prends quand tu parles de lui, je suis pas sûr de vouloir te croire quand tu parles avec lui, contra ledit Sofiane. »
Il décroisa les bras et se redressa.
« T’façon je vais y aller, ajouta-t-il, il est bientôt midi, mon carrosse va se transformer en citrouille. »
Sylvain rit en jetant un regard en coin à Pierre.
Sofiane se retourna, tout en dénouant la ceinture du peignoir, et le retira avant de quitter la pièce, permettant à l’invité de comprendre qu’il était bel et bien nu dessous. Celui-ci éclata de rire, tandis que Pierre secouait la tête, dépité.
« Je l’aime bien lui, il a l’air aussi pudique que moi ! s’exclama Sylvain. »
Un peu trop fort, puisqu’il entendit une voix lui répondre de la chambre :
« C’est gentil chéri, mais pas forcément réciproque, mon cœur est déjà pris ! »
Et il rit encore plus.
Sofiane réapparut quelques minutes plus tard, habillé d’un ensemble de sport noir et d’un sac banane rose, un style qui surprit quelque peu Sylvain, lui qui ne l’avait vu qu’en petite tenue, avec sa boucle d’oreille pendante argentée et ses boucles noires en bataille. Mais ça lui allait bien, aussi.
Pierre se pencha, l’embrassa rapidement, trop rapidement au goût de son amant qui passa une main sur sa nuque pour prolonger le baiser. Sylvain détourna le regard, comme si c’était un secret, ça aussi. Après tout, s’il se souvenait bien, Sofiane fréquentait Pierre depuis des mois et lui ne le connaissait pas. Ça ne le surprendrait pas que ce soit le cas.
Le propriétaire des lieux referma enfin la porte derrière son amant avec un soupir. Il se mordit la lèvre, réprimant à peine le rire qui le secouait alors qu’il se tournait vers son ami.
« Quel pot de colle, se plaignit-il.
-C’est pas gentil pour ton mec, ça, répliqua Sylvain avec un sourire en coin. »
Pierre secoua la tête.
« C’est pas mon mec, on sort pas ensemble, nia-t-il.
-Ah, je comprends mieux, acquiesça son interlocuteur. »
Il observa un instant l’attitude de son homologue, qui se recomposait, passant ses mains sur son visage.
Pierre claqua dans ses mains ensuite, se redressant. Il marcha à travers la pièce, passa devant l’autre homme, lui intimant en même temps :
« Suis-moi. »
Et l’autre ne put qu’obéir, souriant. Ça s’était bien passé, il pouvait tout affronter ensuite.
Les deux hommes entrèrent dans la chambre, qui était dans le même état dans lequel Sylvain l’avait trouvée la veille – il comprenait mieux pourquoi. Il resta sur le seuil, tandis que Pierre enfilait un t-shirt puis ses lunettes, après avoir essayé l’inverse, ce qui marchait vachement moins bien. Il tira ensuite le fameux carton dans lequel Sylvain avait fouillé et le posa sur le lit, invitant celui-ci à s’asseoir face à lui.
L’autre homme obéit, sans trop comprendre ce qui se passait, s’installant en tailleur. Sa curiosité revenait au galop alors qu’il se penchait par-dessus le carton ouvert, zyeutant les dossiers familiers.
« Puisque tu veux tant que ça tout savoir de moi, je vais te donner des réponses, expliqua Pierre. »
Sylvain fronça les sourcils et posa une main sur son bras.
« Non, Pierre, attends, c’est pas ce que je voulais… Je voulais pas que tu te sentes obligé de m’en parler.
-Je m’y sens pas obligé, répliqua Pierre d’un air blasé. Ça fait six ans qu’on se côtoie quotidiennement, faut bien que tu saches à un moment. »
Disant cela, il sortit le premier dossier que son ami avait ouvert. Il en extirpa les photographies et ce qui les accompagnait, les présentant devant eux sur le lit.
Sylvain l’observait faire, respirant à peine. Il avait peur d’encore le contrarier s’il faisait trop de bruit. Il avait l’impression solennelle que ce qui se passait actuellement était important.
« C’est une série ? Il y a un thème ou… ? demanda-t-il au bout d’un moment pour montrer son intérêt. »
L’artiste hocha la tête, souriant à peine. Il était concentré.
« Tu peux lire, si tu veux, ajouta-t-il verbalement. »
Et Sylvain lut, à voix haute, les mots qui accompagnaient le cliché d’un certain Roman, 1981-2018, photographié de 18 janvier 2018, marquant une pause à chaque vers :
« When I no longer, feel it breathing down, my neck it’s just around, the corner hi neighbor. Tim Dlugos, c’est le gars qui a écrit ça ?
-Oui, le poème s’appelle My Death, expliqua Pierre.
-Joyeux. »
Sylvain se saisit d’une autre photo, accompagnée d’un dessin cette fois-ci. Il reconnut le coup de crayon de Pierre, bien que le style fût un peu différent, beaucoup plus abstrait. Il reconnaissait à peine le visage de l’homme capturé, à peine ses traits, avec tout ce tas d’éléments qui l’encadraient… C’était déroutant et impressionnant tout à la fois, et Sylvain en recevait l’impression d’une mélancolie traînante…
« Ça veut dire quoi, tout ça ? C’est quoi le thème ? demanda-t-il enfin en reposant la photo. »
Il ne voulait plus les regarder, il se doutait bien de ce que la deuxième année présente sur certaines d’entre elles voulait dire. Alors il reporta son regard sur Pierre, qui évitait le sien.
« C’est une série sur le sida et le VIH. »
Silence.
Sylvain s’était attendu à beaucoup de mots, beaucoup de raisons pour l’existence de ces œuvres, certainement pas à ça. Le sida ? Est-ce que tous les modèles étaient séropositifs ? Il n’osa pas demander. Il fronça les sourcils, se demandant pourquoi. Pourquoi Pierre réalisait-il cette série ? Ces photos, ces dessins, avec des textes attachés… Il y avait autre chose derrière, sûrement, mais il avait trop peur de lui demander.
« Ce qui me fait penser que je dois toujours faire mon autoportrait, ajouta Pierre au bout de quelques minutes, d’une voix blanche et faible. »
Son ami sursauta. Ça venait d’où, cette affirmation ? Le cœur de Sylvain se serra atrocement, au fur et à mesure qu’il réalisait les implications de ce que l’autre homme venait de dire. Son autoportrait. Pour une série sur le sida. Pierre avait—
« Attends, quoi ?! s’exclama Sylvain, un peu fort. Pourquoi tu ferais ton autoportrait ??
-Parce que je suis séropositif, Levy. »
La phrase était lancée, Pierre n’avait plus qu’à observer la réaction de son ami, qui passa de la surprise à l’inquiétude.
Sylvain ne savait pas quoi dire, quoi répondre, quoi faire. Tout un tas de questions se bousculaient dans son esprit, alors aucune ne pouvait sortir, elles étaient trop nombreuses, trop personnelles, son cœur battait si fort… Il ne cessa de regarder Pierre, de l’observer comme s’il avait changé : mais non, il n’en était rien, c’était toujours le même.
Pierre, justement, se sentait mal à l’aise d’être scruté ainsi après avoir révélé un si grand secret. Il se recroquevilla sur lui-même, ses jambes contre son torse, ses bras autour, attendant que l’autre homme parle. Comme il ne semblait pas décidé, il l’encouragea :
« Je peux répondre à tes questions, si tu en as…
-Depuis quand ? questionna immédiatement Sylvain, alors.
-2014.
-Comment t’as su ? continua-t-il avec plus de douceur.
-Je t’en parlerai plus tard, pas aujourd’hui, promit Pierre.
-Tous ces hommes, tes modèles, ils sont tous… ?
-Quoi ? Gay ? Séropositif ? Mes amants ? »
L’artiste rit nerveusement et, comme son interlocuteur ne répondait pas, il comprit qu’il avait touché juste.
« Non, oui, presque, répondit-il honnêtement avant d’expliciter. Il y a des mecs bi, aussi, et d’autres sans labels, ou ace. Leur point commun, c’est d’être séropositifs, c’est pour ça que je les choisis. J’ai couché avec certains d’entre eux, voire j’ai eu des relations amoureuses comme avec Gunther ou…
-Sofiane ? »
Pierre secoua la tête.
« Non. On passe beaucoup de temps ensemble, mais on est juste amis. Sex friends à la limite.
-Je vois, répliqua Sylvain, un peu dubitatif. »
Son homologue rit et insista :
« Je te jure, je suis pas amoureux, j’ai des vues sur quelqu’un d’autre. »
Sylvain aussi les sourcils, avec un air de curiosité, avant de rire à son tour.
Pierre se détendait au fil des questions. Elles n’étaient pas si terribles, finalement, surtout venant de son meilleur ami. Il relâcha ses bras, s’asseyant en tailleur, totalement tourné vers Sylvain.
« Et tu en as retiré quoi ? demanda ce dernier en jetant un regard aux photos. »
L’artiste suivit son regard avec un petit sourire. Il n’avait même pas besoin de réfléchir, il connaissait déjà la réponse :
« Surtout de bonnes rencontres.
-Ok Edouard Baer, se moqua gentiment son ami.
-T’es con, sourit Pierre. Je suis sérieux, j’ai pu retrouver une vie sexuelle avec ça. C’est Gunther qui m’en a donné l’idée justement, c’est pour ça que c’est mon premier modèle. La photo a été prise dans son appart’, à Berlin, quand je vivais avec lui—
-T’as vécu à Berlin ?! le coupa Sylvain. »
L’autre homme acquiesça en souriant, avant de reprendre :
« C’était juste l’affaire de quelques semaines, mais elles étaient bien remplies, ces semaines. C’est un putain de fêtard, j’ai arrêté l’alcool après lui, en 2017. Oui, c’était juste au moment de notre rencontre. J’ai pas vraiment eu de vie sexuelle entre 2014 et 2016, quand j’ai rencontré Aurélien, mais c’était un connard, je t’en parlerai sûrement un autre jour.
-T’en as des choses à me dire. Mais je crois que t’avais déjà mentionné son nom, non ? interrogea Sylvain en se remémorant d’anciennes conversations, des indices qu’il n’avait pas remarqués.
-Sûrement. Je parlais pas beaucoup d’eux parce que je me disais que moins j’en parlais, moins je risquais de dévoiler des trucs que je voulais pas.
-Mais tu te rends compte que j’ai vraiment plein de questions, maintenant ? »
Pierre rit de l’enthousiasme de son ami, le poussant à les poser. Seulement, Sylvain regarda sa montre.
« Oh merde, désolé, je dois y aller. J’ai un truc cet aprem, et faut que je mange rapidement. Merci de m’avoir parlé de ça, affirma-t-il d’une voix douce malgré sa précipitation. »
Il se leva et, suivi par l’hôte jusqu’à la porte, il quitta l’appartement rapidement.
Tant mieux, au fond. Ça arrangeait Pierre, que la discussion avait épuisé. Il avait besoin de temps, même s’il était enfin prêt à s’ouvrir, à cause de la difficulté de la chose : il avait fait le plus grand pas, et pourtant il n’avait pas dévoilé la moitié de ce qu’il cachait. Les prochaines semaines allaient être fun, se dit-il, s’il se décidait à tout raconter à Sylvain – ce dont il ne doutait pas, c’était Sylvain après tout.
Pierre n’oublia rien de la conversation dans les jours qui suivirent, au contraire. Il préparait déjà ses futures révélations, tout ce qu’il n’avait jamais dit à ses proches. Ses amants savaient parfois plus de choses sur lui que ses amis. Enfin, ça dépendait de quoi, ou de qui.
Sofiane était peut-être celui qui le connaissait le mieux. Il passait tellement de temps avec lui, après tout… C’était sûrement à cause de cette tendance à lui coller aux basques et à traîner chez lui que celui-ci avait fini par tomber amoureux. Il essayait de ne jamais y penser trop fort, parce qu’il savait que c’était vain, un amour à sens unique. Mais merde, qu’il aimait Pierre et sa grande gueule et ses blagues vaseuses et son talent. Sa sincérité, sa sensibilité. Il fallait gratter un peu pour la voir, mais elle était là. Ça lui brisait le cœur qu’elle ressorte si facilement quand il parlait de Lui, de l’Autre, l’Homme de sa vie.
L’Homme. Sofiane avait beau aimer les hommes, il ne pouvait s’empêcher de détester Celui-là. Oh, rien de personnel, Il était juste ce qui l’empêchait de former un couple parfait avec celui qu’il aimait. Ce n’était pas de sa faute s’il ne pouvait pas le blairer, du coup. D’autant plus qu’en sa présence, il en avait fait l’expérience récemment, il oubliait son animosité, parce que Pierre disait vrai : cet Homme n’avait pas son égal. Sofiane ne pouvait pas gagner.
Mais pourquoi diable pensait-il à Lui, alors que c’était lui, Sofiane, dans les bras de Pierre ce soir-là ? Et ce dernier sentait bien la contrariété dans les sourcils froncés de son amant. Il baissa les yeux vers lui, curieux :
« A quoi tu penses ? On dirait que t’as du mal à chier là. »
Sofiane éclata de rire et serra son amant plus fort.
« Rien, de la merde, justement. J’ai pas envie de parler ce soir, soupira-t-il avec une moue.
-Je vois ça, tu m’as à peine adressé la parole depuis que t’es là, commenta Pierre avec une pointe de déception dans la voix.
-T’façon, on se voit pas souvent pour causer. »
Pierre rit à son tour.
« T’es mauvais, on fait pas que baiser non plus. T’es celui avec qui je passe le plus de temps. »
Il passa ses doigts entre ses boucles, se disant combien leur différence de taille était grande et visible dans n’importe quelle position. Ses pensées s’égaraient déjà…
Sofiane afficha toujours sa moue boudeuse. C’était son truc à lui, faire des manières, être exigent en sexe comme en attention. Peut-être que Pierre aimait ça, au fond. Peut-être qu’il l’aimait un peu, mais que cet amour était éclipsé par un autre, plus grand.
« Après l’autre, marmonna Sofiane. Tu passes plus de temps avec lui.
-Mais je couche pas avec lui, précisa Pierre. On est collègue et meilleur pote, c’est tout.
-Et pourtant t’aimerais bien… »
Leurs regards se croisèrent. Celui de Sofiane était presque accusateur, comme si son amant devait se sentir coupable de ses sentiments.
Heureusement, Pierre ne l’entendait pas de cette oreille. Il n’était pas parfait, mais il avait suffisamment de jugeote pour savoir ce qui était bon ou non, ou du moins en partie. En tout cas, dans cette situation, il savait qu’il était dans son bon droit et que c’était la jalousie de son homologue qui parlait à sa place, comme souvent quand il était question de Sylvain.
« C’est pas la question, Sof’, on couche pas ensemble, c’est tout. Alors que nous deux… »
Pierre avait prononcé sa dernière phrase d’une voix douce, un peu plus grave, comme il savait que son amant aimait. Il se plia pour venir embrasser son cou à plusieurs surprises, remontant vers ses lèvres, l’embrassant passionnément.
L’ambiance changea rapidement tandis que Sofiane se laissait faire. L’autre homme commença à le déshabiller, donc il fit de même, passant ses mains sur sa poitrine, descendant le long de son ventre… Il s’arrêta, les yeux rivés sur cette partie de son corps, ayant suivi la traînée de poils qui, étalée sur ses pectoraux et son estomac, pointait vers un endroit…
« Un jour, je réussirai à te faire porter un crop top, commenta Sofiane avec un sourire malicieux. »
Pierre roula des yeux.
« Jamais de la vie, répliqua-t-il avec détermination.
-Même pas pour moi ? supplia son interlocuteur avec un regard de chien battu. Ça t’irait vachement bien…
-Tu rigoles ? J’ai trop de poils, protesta l’autre homme. »
Et il prit ses mains pour les poser ailleurs, là où il ne serait pas gêné.
Mais Sofiane ne voulait pas abandonner là, il reposa ses mains sur le ventre de l’autre et caressa la zone avec douceur et un peu de sensualité. Bon, beaucoup de sensualité. Il souriait, son regard toujours plongé dans celui de Pierre, qui n’était devenu qu’un simple observateur.
« C’est justement ça qui est sexy, Pierre. Crois-moi, t’auras beaucoup de succès comme ça… Même auprès de Sylvain. »
Sofiane avait prononcé le prénom de l’autre homme avec un certain sarcasme qui, dans cette situation, lui allait foutrement bien. Pierre était conquis : il n’y avait rien d’autre à dire.
Quand la nuit tomba sur eux, que Sofiane s’endormit comme souvent dans les draps, Pierre, lui, ne pouvait pas trouver le sommeil. La précédente révélation de sa séropositivité à son meilleur ami – pour qui il n’ignorait pas ses sentiments – et les discussions autour de sa sexualité qui allait avec avaient réveillé en Pierre la flamme des premiers jours. Elle ne s’était jamais vraiment éteinte, cette flamme, mais elle avait diminué, tue par l’habitude du secret.
Mais maintenant que ses secrets lui étaient arrachés et un à un soumis au regard indiscret de Sylvain, que lui restait-il ? Qu’avait-il pour lui qui l’éloignait encore de son désir ? Rien, pas grand-chose, du temps sûrement avant que la source ne soit tarie et son jardin asséché. Il n’en avait pas beaucoup, du temps, et il ne savait pas quoi faire, à part rêver de lui à la nuit tombée, alors qu’un autre homme nu se trouvait à ses côtés. Il comprenait la colère de Sofiane, c’était moche, de penser à un autre quand il avait devant lui une chair accessible. Pourquoi celle qui lui était refusée était-elle si tentante ?
Pierre s’en voulait, au fond. La culpabilité revenait, la même qu’aux premières heures de sa séropositivité. Celle qui empêchait de faire le premier pas, de se mouvoir librement, de s’autoriser à aimer et à être aimé en retour. Il avait enfin ce tendre contact qu’il avait si longtemps éloigné de son corps malade, de la part de Sofiane, de David, d’autres encore dont il ne connaissait pas les noms, et pourtant il voulait l’inaccessible et l’impossible. Quoi qu’il arrive, il était foutu.
Sylvain ne posa pas de question. Pendant plusieurs semaines, le sujet passa complètement sous silence. Pourtant, Pierre y réfléchissait constamment : comment lui dire tout ce qu’il avait caché ? Que dire ? Que ne pas dire ? Mais il était soulagé que son meilleur ami n’empiète pas sur sa pudeur, en tout cas pas plus qu’il ne l’avait déjà fait.
Mais il lui fallait se rendre à l’évidence : il ne pouvait pas s’arrêter là. Le désir était depuis né, celui de parler, de raconter, à une personne qu’il savait avoir durablement à ses côtés, et lui narrer une vie qu’il ne pouvait pas dévoiler à tout le monde. Alors, un soir, il l’invita chez lui et se prépara à de longues discussions jusqu’au bout de la nuit sur le sujet. Il se prépara à se mettre vraiment à nu pour la première fois – figurativement.
Sylvain arriva avec un peu de retard à sa maison, ce qui n’arrangeait pas son ami. Ah, le stress, sa némésis. Il lui ouvrit avec un sourire et immédiatement, le retardataire s’excusa en entrant :
« Pardon, c’était la merde sur la route, j’ai même failli me faire renverser…
-T’es venu à moto ? s’étonna Pierre en observant l’autre homme poser son casque de moto dans un coin et retirer sa veste épaisse.
-Bah oui, j’étais déjà en retard en partant alors je me suis dit que ça serait plus rapide, se justifia-t-il. »
Il retira ses chaussures et récupéra une paire de chaussons – à vrai dire, c’était la sienne, qu’il mettait toujours pour être à l’aise chez Pierre.
« Mais Sylvain, il va pleuvoir ce soir, l’informa ce dernier, incrédule. »
Sylvain se figea, l’air coupable, avant de s’exclamer :
« Ah ! Bon bah on va transformer le truc en soirée pyjama, c’est pas grave. »
Il reprit ses mouvements, se dirigeant vers le salon. Puis il s’arrêta à nouveau et se tourna vers son ami qui le suivait :
« A moins que tu voulais voir ton mec.
-Mon—Putain, pour la dernière fois, Sofiane n’est pas mon mec, soupira Pierre. »
Sylvain rit en s’installant dans le canapé, mais ne répondit pas. Il se contenta d’un regard entendu et d’un sourire narquois.
Pierre l’ignora et se rendit dans la cuisine à la place, pour récupérer des verres et de quoi grignoter. Un petit apéro, quoi. Pour changer de sujet, il demanda à son invité :
« Tu veux boire quoi ?
-Juste un coca, ça ira. »
Et il récupéra donc deux cannettes dans le frigo. Il apporta le tout sur un plateau qu’il posa sur la table basse. Immédiatement, son ami tapa dans les biscuits apéritifs.
L’hôte s’installa aux côtés de son ami et l’imita, feignant d’être détendu. Il ne l’était pas, comment pouvait-il l’être ? Il n’était pas discret non plus, apparemment, puisque Sylvain fronça les sourcils en l’observant et s’inquiéta :
« Tout va bien ? On dirait qu’y’a un truc qui t’énerve.
-Pas qui m’énerve, non, répliqua Pierre. »
Il fit une pause pour boire une gorgée de Coca, puis reprit :
« C’est juste que… Oh, et puis merde. Ce soir, je voulais te reparler de… tout ça.
-Quoi, tout ça ? répéta son interlocuteur sans comprendre.
-Le sida, tout ça quoi. Les photos, les dessins, mes ex, euh… Tout ça, quoi.
-Ah c’est une soirée papotage, du coup ? se moqua gentiment Sylvain avec un regard malicieux. Parfait. J’adore ça. Je t’écoute. »
Et, en disant cela, il se tourna entièrement vers son homologue, tout ouïe.
L’action eut le mérite de faire rire Pierre et de l’aider à se détendre. Il s’installa lui aussi face à l’autre homme, une jambe repliée sur le canapé, l’autre pendante en dehors. Il posa ses mains sur sa cheville, comme si la prise pouvait l’aider à se concentrer.
« T’as des questions ? interrogea-t-il après quelques secondes, comme il ne trouvait plus ses mots pour commencer.
-Quelques-unes, ouais, acquiesça Sylvain. Qu’est-ce que tu foutais à Berlin ? »
Pierre éclata de rire, doucement, et répondit avec sérieux :
« Pour suivre un gars que j’avais rencontré sur un tournage en Suisse. Il était allemand, basé à Berlin, et c’était un acteur et un modèle.
-Tu t’es tapé un top model ! siffla son ami avec un ton d’admiration presque sarcastique. T’y es resté combien de temps ?
-Un mois, je crois, se remémora l’autre homme. Il est une de mes premières relations après Aurélien, mais ça s’était mal passé aussi. D’une façon différente, ceci dit. On s’est mis d’accord, on s’aimait bien mais on arrivait pas à s’entendre…
-C’est con, ça. »
Pierre acquiesça.
Il marqua une pause à nouveau, pour manger une poignée de biscuits, réfléchissant à ce qu’il révélerait ensuite. Puis, décidé, il reprit :
« En vrai, ça a quand même été positif. On pouvait pas rester ensemble, mais il m’a aidé à reprendre une vie normale.
-Et il s’est passé quoi avec Aurélien ? demanda ensuite Sylvain, qui commençait à bien retenir ce prénom. »
Ah, voilà les questions qui fâchent.
Pierre soupira, juste un peu. Son ami comprit que c’était un sujet sensible et il se rétracta immédiatement :
« T’es pas obligé de répondre, hein, c’est juste que t’arrêtes pas d’en parler, alors je me demandais.
-Non mais c’est normal, sourit son homologue pour le rassurer. Puis ça fait longtemps, ça va. Attends. »
Il se leva avant que Sylvain ne puisse répondre et quitta le salon.
Quelques minutes plus tard, il revint avec un livre entre les mains. Pas très grand, pas trop épais, ça n’étonna pas son ami qui ne lui connaissait aucun goût pour la lecture.
« Je me suis mis en couple avec Aurélien fin 2015. Avant lui, j’avais à peine osé tomber amoureux.
-Pierre au cœur de pierre, rit Sylvain, ça te va pas du tout.
-La ferme, lui sourit le susnommé, un sourire doux-amer. J’avais mes raisons avant lui, et il m’a bien donné des raisons après. Mais il m’avait offert ça à Noël. »
Il tendit le livre à son ami.
Celui-ci s’en saisit, lut le titre, observa la première de couverture, puis la quatrième… Il ouvrit même le livre pour en feuilleter quelques pages.
« Angels in America… C’est une pièce de théâtre ?
-Oui, sur le VIH, précisa Pierre. »
Puis, avec un rire qui sonnait faux :
« Et il a quand même eu le culot de se barrer quand je lui ai dit. Après quatre mois à forcer pour qu’on couche ensemble. »
Sylvain grimaça et ne put se retenir :
« L’enfoiré. Sans rien dire ?
-Il a glissé sa clé sous la porte et a bloqué mon numéro, donc je l’ai vu en rentrant de la fac. »
Pierre remarqua l’énervement dans l’expression de son ami et ça lui fit chaud au cœur. Il fallait que l’indignation remplace la culpabilité, ça lui ferait le plus grand bien.
Sylvain sembla hésiter un instant, de peur de dépasser quelque limite tacite sûrement, mais se lança quand même avec toute sa bienveillance :
« Il a réagi comment, quand tu lui as dit ?
-Il a rien dit. Rien. Il est sorti je sais pas où et je l’ai plus revu. Le lendemain, je suis allé en cours, je suis revenu, et ses affaires avaient disparues. J’ai même pas eu le temps de lui parler de Charlie, ajouta Pierre à voix basse. »
L’autre homme sourit doucement en entendant ce nouveau prénom et sauta sur l’occasion pour changer de sujet, en espérant que ce serait plus joyeux :
« Charlie ? C’est qui ? »
Il lança un regard plein de questions à son interlocuteur.
Mais raté, le visage de Pierre s’assombrit et il ouvrit la bouche, sans rien dire. Il la referma. Déglutit. La rouvrit encore. Enfin, il parla :
« Mon ex-fiancé, avant Aurélien. »
Il se recroquevilla sur lui-même, comme pour s’accrocher aux souvenirs.
« Je pense que c’est lui qui m’a infecté, expliqua-t-il, sans laisser à Sylvain le temps de réagir.
-Merde, c’est à cause de ça que vous vous êtes séparés ? demanda ce dernier malgré tout. »
Pierre secoua la tête en se mordant fortement la lèvre, ses traits tirés formant une expression triste.
De toute évidence, il était au bord des larmes, et Sylvain, si innocent, si ignorant, ne comprenait pas pourquoi. Alors son ami dut verbaliser ses pensées et les événements du passé :
« Pardon, je voulais pas forcément en parler ce soir… On a appris qu’il était séropositif sur son lit de mort. »
Une exclamation soufflée par l’autre homme, Pierre était maintenant sûr qu’il avait compris et ne dit rien d’autre à ce sujet.
A la place, il en chercha un autre, un peu plus léger, même s’il y avait peu de choses légères, peu de choses insignifiantes concernant la maladie. Il y en avait des plus simples que la mort, en tout cas.
« C’était une période très compliquée, mine de rien, et je me suis beaucoup réfugié dans mes études puis mon boulot. Je bossais tout le temps. Tu comprends pourquoi l’allemand fêtard, ça a été une bouffée d’oxygène ?
-Ouais, soupira Sylvain. Et t’as déjà… été vraiment malade ? »
Il n’était pas sûr de poser la question correctement. A vrai dire, il était certain qu’elle était mal posée, mais son interlocuteur la comprit tout de même et y répondit :
« Deux fois. La première fois, c’était en 2016, peu de temps après qu’Aurélien soit parti. J’ai été malade pendant trois mois, mais j’ai eu la chance de pas être hospitalisé à long terme. Par contre, j’ai eu un suivi à chier, pendant et après. Je faisais n’importe quoi et mon médecin de l’époque me laissait faire… Alors j’ai juste arrêté ma trithérapie de l’époque, qui était mal fichue en plus. Elle me refilait plein d’effets secondaires de merde. J’ai commencé à faire plus attention après Gunther, et surtout depuis le début de la chaîne. Mais c’est des saloperies, les maladies opportunes. J’avais plus de traitement, mon système immunitaire s’est encore affaibli et… tu te souviens de ma grosse grippe de 2019 ? Qui était en fait une pneumonie du coup j’ai été hospitalisé ? On blaguait que c’était le covid avant l’heure… »
Sylvain, qui avait écouté le récit avec horreur et étonnement, et qui ne s’attendait pas à ce qu’on lui pose une question ni à ce qu’on lui rappelle ce moment lointain, se retrouva un peu dépourvu.
« Oui, oui, acquiesça-t-il vivement. Attends—c’était le sida ?? »
Et Pierre hocha simplement la tête, soutenant son regard incrédule.
Quelques secondes passèrent, des secondes de silence et de répit pour Pierre, durant lesquelles il ferma les yeux et détendit son corps de cette position prostrée qu’il avait adoptée. Il se recula et se pencha légèrement en arrière, appuyé contre le dossier du canapé, respirant doucement. Son ami l’observa un instant avec inquiétude, avant de le questionner à nouveau :
« Et après ça ? »
Pierre rouvrit les yeux et posa un regard plus assuré sur son homologue, avec un petit sourire fier.
« Après ça j’ai commencé mon traitement. Je prends plus le même aujourd’hui, avec les ajustements, mais depuis 2020, je suis officiellement négatif aux tests.
-Et ça veut dire quoi ? sourit Sylvain en retour.
-Je transmets plus le VIH, même sans me protéger, tant que je continue de prendre mon traitement correctement, révéla-t-il. »
Pierre se délecta de l’étonnement sur le visage de son ami.
Ce dernier ne put s’empêcher de poser davantage de questions à ce sujet : comment ça marche ? Et si t’arrêtes ? C’est à vie ? Son ami y répondait avec une plus grande tranquillité qu’auparavant. Normal, parler du présent était bien plus positif que du passé dans son cas. Il y avait une raison à son silence là-dessus, même si ça avait été la seule tâche dans sa jeunesse mouvementée.
Toutes les questions répondues, au moins pour ce soir, les deux hommes se régalèrent d’un bon dîner et, comme il était déjà bien tard, ils se préparèrent à aller au lit. Ils se saluèrent et chacun rejoignit sa chambre, extinction des feux.
Mais Pierre n’arrivait pas à dormir. Il pensait à tout ce qu’il n’avait pas encore dit. Tout ce qui lui restait à dire, à décrire, à conter. Chose inédite, il allait livrer des morceaux de son ancienne vie à sa nouvelle, une vie que seuls ses amis de l’époque et ses parents connaissaient. Est-ce qu’il était prêt ?
La réponse était simple : oui. Ça faisait longtemps qu’il l’était, mais il avait repoussé l’échéance par confort, tant qu’il le pouvait. Il ne pouvait plus attendre et lézarder dans ses non-dits, dorénavant. Plus il y pensait, moins ça l’effrayait, et la nuit silencieuse l’apaisait…
Quand même, il n’arrivait vraiment pas à s’endormir, et il ne pouvait pas rester comme ça allongé dans son lit. Il se leva alors, sans prendre la peine de remettre ses lunettes sur son nez, et quitta sa chambre. Il vit de la lumière dans le séjour et s’y rendit avec curiosité.
En pénétrant dans la pièce, il vit Sylvain assis sur le plan de travail de la cuisine, en tailleur, en train de manger quelques chips. Il ne put s’empêcher d’éclater de rire face à ce spectacle, ce qui fit sursauter son ami.
« Tu dors pas ? demanda-t-il en rangeant rapidement le paquet, pris la main dans le sac.
-Attends, je vais en manger aussi, l’arrêta Pierre en s’installant à côté de lui. »
Il plongea sa main dans le paquet et dégusta son butin avec un petit sourire.
« Je suis même pas étonné de te voir là, commenta-t-il. »
Sylvain rit, baissant la tête vers le sol, acquiesçant.
Pendant un moment, on n’entendait que le son du paquet de chips et celui de leurs mastications respectives. Un soupir. Un bruissement de tissu. Une horloge au loin. Les voitures dehors. Quelque part sonna une heure du matin, sûrement chez la voisine.
Pierre ne pensa qu’à parler, qu’à raconter sa vie à Sylvain, plus amplement. Il hésita un moment, il savait que sa fatigue et l’heure avancée de la nuit ne joueraient pas en sa faveur. Mais c’était Sylvain et les pensées le torturaient, alors il se lança :
« Tu veux voir à quoi ressemblait Charlie ? »
Sylvain pausa, le temps de se souvenir du prénom, de celui à qui il était attaché. Il grimaça mais, tout doucement, il hocha la tête.
« Mais ça va aller, Pierre ? »
Le susnommé acquiesça en se levant.
Il se rendit dans le bureau et fouilla le fond de son étagère, à genoux devant elle. Il trouva ce qu’il cherchait et se redressa avec une exclamation de victoire, sans bouger tout de suite. Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas revu ces photos. Il les consulta avec un doux sourire, pour se les remettre en tête, pour se remémorer les circonstances…
« Pierre ? »
Pierre sursauta et manqua de faire tomber les photos, mais il les retint contre sa poitrine. Sylvain se trouvait dans l’encadrement de porte, l’air inquiet.
« Ça faisait dix minutes que t’étais parti, ça va ? demanda-t-il.
-Déjà ? Merde, oui, pardon, je regardais les photos. Mais viens, on retourne dans la cuisine. »
Sylvain haussa un sourcil. La cuisine ? Pourquoi pas le salon ?
Mais il comprit pourquoi très rapidement : perchés sur le plan de travail, de là-haut, ils avaient accès à tout ce dont ils avaient besoin en nourriture, verres, boissons… Pierre les servit en eau et récupéra un paquet de chocolats.
« Le cliché, se moqua Sylvain. Tu veux pas de la glace et du vin rouge en plus, Bridget Jones ? »
Pierre souffla du nez en ouvrant le paquet. Il prit un chocolat et le mangea avant d’en proposer à son collègue d’insomnie, qui accepta.
« Je t’emmerde, Levy. »
Un silence, puis :
« C’est qui Bridget Jones ? »
Sylvain éclata de rire, mais ne répondit pas directement. Il se contenta d’un « c’est toi » et son ami ne chercha pas à en savoir plus. En tout cas, ça n’avait pas l’air flatteur.
Pierre tira les photos et les tourna vers l’autre homme, le laissant s’imprégner du visage inconnu qui se trouvait sur la première. On y voyait un jeune homme, brun, les cheveux mi-longs ondulés, à peine barbu, avec des yeux en amande et quelques tâches de rousseur sombres étalées sur sa peau. Il souriait, il était beau.
« C’est Charlie ? réalisa Sylvain. Bordel.
-Je sais, rit doucement Pierre. C’était lui à Noël 2012. On venait d’emménager au quartier latin pour nos études. Lui il était en anglais et moi en cinéma, du coup. On avait galéré à trouver cet appart’ et avant ça on logeait chez mes darons, parce qu’ils étaient plus proches que les siens de nos écoles et… bref. Donc vraiment, on était putain de contents de l’avoir… »
Sylvain l’écoutait avec un grand bonheur. Sa voix était si douce, il parlait avec sa main libre, animé par l’amour qu’il avait autrefois éprouvé. C’était émouvant.
Et immédiatement, une question vint à l’esprit de Sylvain, alors il coupa la tirade de son interlocuteur :
« Tu l’as rencontré comment ? »
Pierre y réfléchit un instant, frottant sa barbe, avant de répondre :
« J’avais seize ans et j’étais au fond de la classe, en seconde. Notre prof principal l’a assis à côté de moi. On passait notre temps à se marrer, les profs en avaient marre… mais ils disaient rien parce qu’il avait des bonnes notes et qu’il se faisait aimer par tout le monde, l’enfoiré. »
Il rit doucement, les yeux fixés sur la première photo, qui n’avait pas bougé. Ça sera une longue nuit…
« Et puis il a fini par me dire qu’il avait flashé sur moi, et qu’il avait pas su comment me le dire pendant le début de l’année. C’était la veille des vacances d’hiver et le lendemain, il partait en vacances avec ses parents pendant que moi je restais à Paris avec mes darons. Je l’ai un peu détesté sur ce coup là.
-Merde, ça se comprend, lança Sylvain. Et vous avez fait quoi du coup ? »
Pierre éclata de rire.
« On a passé les vacances à s’échanger des messages, et dès qu’il est revenu, paf, premier baiser. Mais on était pas dans la même classe en première, alors on se rejoignait aux pauses et on rentrait ensemble le soir. »
Immédiatement, Sylvain tourna un regard plein de sous-entendu vers son ami.
« Pour dormir ? Ou pour—
-Oh la ferme. Oui. Peut-être, soupira Pierre. T’es pire que ma mère. Bon. En tout cas, quand il a su qu’il allait à la fac à Paris, on a commencé à chercher un appart’ pour se mettre en coloc, mais on n’a pas trouvé tout de suite, comme j’ai dit. »
Son locuteur souriait derrière son verre, alors l’autre homme le bouscula, pour se chamailler.
Pierre devait l’admettre, il n’avait pas pensé que parler de Charlie serait si agréable, au final. C’était drôle. C’était doux. C’était émouvant et beau. Oui, plus il racontait l’histoire qu’il avait vécu avec lui, plus il la trouvait belle.
« Du coup vous vous êtes installés ensemble fin 2012 ? le rappela à l’ordre Sylvain. Et après ? »
Pierre lui montra alors la photo suivante : quelques sorties, un nouveau déménagement à la fin de l’année scolaire, des portraits de cet homme si beau…
Et puis une photo d’une main, en gros plan, devant un visage apparemment ému. A son annulaire, une bague. Sylvain écarquilla les yeux en attrapant la photo, pour la regarder de plus près. C’était bien Charlie. Il tourna un regard incrédule vers Pierre.
« Tu l’as demandé en mariage ? »
L’autre homme hocha la tête, fier, amusé. Il reprit la photo.
« Ouais, mais on n’a pas eu le temps de se marier. »
Il la plaça au fond du paquet et en tira une autre.
Dessus, Charlie était plus maigre, le visage pâle, l’œil vitreux. Mais il riait quand même en essayant de repousser le photographe.
« Il était déjà malade à ce moment-là, expliqua Pierre, mais on savait pas que c’était le sida. Les médecins évoquaient d’autres trucs, ils partaient plutôt sur un cancer. »
Une pause, le visage fermé tout à coup.
« Il a fini par être admis à l’hôpital, c’est là qu’il a appris qu’il était séropo. Il avait déjà des problèmes de santé avant ça, alors les infirmiers me prenaient à part et me disaient qu’ils allaient tout faire, mais que ça semblait mal engagé. Je passais à l’hôpital le matin avant mes cours, puis le soir dès que j’avais fini. Mes notes ont un peu chuté sur le coup. Et puis un mois plus tard, ils m’ont appelé en plein cours pour m’annoncer la nouvelle, et après ça, je me suis totalement donné à mon art. »
Pierre fut secoué d’un rire amer. Il pleurait. Sylvain mit du temps à le remarquer, les yeux fixés sur la dernière photo : Charlie, sur un lit d’hôpital. Quand il sortit de sa contemplation, il enlaça son ami et le tira contre lui, le laissant poser sa tête sur son épaule malgré leur différence de taille.
« Et toi ?
-Je l’ai su qu’après, répliqua Pierre d’une voix lointaine. J’ai refusé les tests avant. Si c’était positif, je voulais pas… J’étais quasiment sûr que c’était lui, je voulais pas qu’il culpabilise. Alors un mois après sa mort, j’ai fait le test, et j’ai dû annoncer à mes parents que j’avais la même maladie qui avait pris mon fiancé. C’était pas la période la plus fun de ma vie… »
Encore un rire, Sylvain passa une main sur les siennes pour les tenir.
Les deux hommes restèrent ainsi en silence pendant de longues minutes. Pierre somnolait contre Sylvain, épuisé, maintenant qu’il avait lâché un si gros morceau du récit. Son ami le remarqua et lui donna un léger coup de coude pour qu’il se redresse.
« Allez, au dodo monsieur Chabrier. »
Il sauta du plan de travail et attendit que le susnommé fasse de même pour se diriger vers le couloir.
Après avoir partagé un dernier câlin tous les deux, une fois que Sylvain avait glissé une blague à son oreille pour le faire rire, ils se séparèrent, chacun dans leur chambre à nouveau, alors que l’horloge au loin sonnait trois heures.
Une semaine plus tard, Pierre et Sylvain se rendaient ensemble au bar. Le premier avait récupéré le second chez lui pour qu’il puisse boire à sa soif et ils se retrouvèrent donc tous les deux assis dans la voiture, discutant du programme de la soirée.
« T’es déjà allé dans un bar gay ? demanda tout à coup Sylvain, par curiosité. »
Pierre ne put empêcher un rire nerveux.
« Ça m’arrive, pourquoi ?
-Pour savoir, pour savoir… Et c’est comment ? insista le passager. »
L’autre homme lui lança un drôle de regard, un peu suspicieux, surtout incertain de la direction de la conversation.
« Comme un bar normal, sauf que c’est des mecs qui se pécho. Dites-moi, monsieur Levy, vous avez l’air vachement curieux…
-Je demande juste, je m’intéresse… T’as jamais autant parlé de ta sexualité que depuis que tu m’as annoncé que t’étais séropo, alors j’pose des questions.
-Bah, t’as pas à savoir ce que je fais de mon cul, en soit, rit Pierre. Si ça t’intéresse tant que ça, faudrait commencer à te poser des questions ! »
Pierre riait, évidemment. Mais quand il tourna la tête et qu’il remarqua le silence de son ami, il rit de plus belle avec une espèce de bienveillance. Il avait tout à coup l’impression que quelque chose était en train de changer.
Il ne fit aucun commentaire sur le silence de son passager, il ne se moqua même pas, même s’il avait un peu envie de le chambrer sur le sujet. A la place, il proposa :
« Tu veux qu’on y aille ce soir ? Ça fait un moment que j’y suis pas allé, je suis curieux de voir si ça a changé. »
Il changea déjà son itinéraire, avant même d’avoir la confirmation de son ami, roulant en direction d’un bar dont il connaissait encore l’adresse. Il savait que Sylvain allait accepter.
Le bar était toujours là, toujours sous le même nom. Il faisait encore clair, même si le soleil allait bientôt se coucher – c’était encore le mois de mai. Il faisait bon, pas encore très chaud, et des hommes en débardeurs et t-shirts se trouvaient déjà sur le trottoir devant l’établissement. Pierre dut se garer plus loin, mais c’était tant mieux. Il pourrait apporter quelques explications à Sylvain avant d’entrer.
Les deux hommes marchèrent côte à côte en direction du bar, à quelques dizaines de mètres de la voiture. Pierre commença à mettre l’autre en garde :
« Ok alors, il y a des codes.
-Ah bon ? Genre, pour avoir des réductions ? blagua Sylvain »
Son interlocuteur rit d’abord puis râla, parlant avec ses mains :
« Non, des codes sociaux ! Genre, pour montrer qu’on est intéressé, ou non justement. Si tu vois un mec te regarder avec insistance, ça peut arriver, bah tu détournes le regard pour montrer que toi c’est pas le cas.
-Et si c’est le cas ? demanda l’autre homme, déguisant sa question sincère derrière une blague.
-Tu l’imites. S’il te regarde, tu le regardes. S’il tente un truc, tu fais pareil. S’il commence à se toucher…
-Il peut faire ça ?? s’étonna Sylvain. »
Pierre hocha la tête avec un rire.
Ils se retrouvaient maintenant devant la porte. Celui qui parlait marqua une pause le temps de rentrer avant de répondre :
« Ça arrive. Ça dépend où. Y’a plus de gars qui cruisent qu’on ne le croit. »
Sylvain, qui n’avait jamais entendu ce mot, du moins pas dans ce contexte, fronça les sourcils.
« Qui cruisent ? répéta-t-il. C’est quoi ça ? Ils vont en croisière ? »
Pierre éclata de rire en s’asseyant au bar et secoua la tête.
« Non, c’est quand ils cherchent des partenaires. Mais genre, en public, donc ils essayent d’être discrets. »
Son interlocuteur haussa un sourcil avec un sourire en coin.
« Tu l’as déjà fait ?
-Tu me prends pour qui ? répliqua Pierre. Bien sûr. »
Et les deux hommes éclatèrent de rire.
Le barman s’approcha d’eux et prit leurs commandes – pour l’instant, ils en étaient encore aux sodas, mais ça changerait au cours de la soirée pour Sylvain. Ils récupérèrent rapidement leurs verres et la discussion continua entre eux tout naturellement :
« Mais ça se passe comment ? demanda le nouvel arrivant dans cet univers. Genre, deux mecs se regardent dans les yeux, se touchent la teub et c’est bon ?
-C’est vachement résumé, quand même, rit Pierre, un brin timide de parler si ouvertement de ce sujet. Nan, des fois il y a plus de contacts avant, même une discussion, puis faut trouver l’endroit aussi. »
Sylvain prit une gorgée de son verre et le reposa, les sourcils froncés.
« Genre, chez qui vous allez ?
-Là aussi ça dépend, répliqua Pierre. Ça peut être chez nous, ça peut être dans des toilettes, ou… »
Son ami écarquilla les yeux, alors il éclata de rire.
« Je vais te traumatiser, lança-t-il. Tu veux changer de sujet ? »
Il observa l’autre homme avec un petit sourire et des yeux brillants, fortement amusé.
Sylvain secoua la tête, buvant à nouveau, presque plus pour se donner contenance qu’autre chose.
« Nan, ça ira, ça m’intéresse. Mais ça arrive souvent la baise dans les lieux publics ?
-Je sais pas, souffla Pierre, se retenant de rire de plus belle. Mais c’est souvent des lieux dédiés, t’inquiète pas, si t’es pas tombé dessus depuis que t’es ici c’est pour une raison. Il y a aussi des saunas, d’autres bars, des boîtes de nuit, des cabarets…
-Seulement à Paris ? »
Sylvain lui jetait un regard curieux, rempli d’une innocence en rupture totale avec le sujet de ses questions. Son interlocuteur secoua la tête en avalant la gorgée de son soda.
« Non, je suis déjà allé à un bar gay à Lyon en 2015. Je sais pas s’il y est toujours, mais ça doit pas être le seul. C’est courant dans les grandes villes. »
Son auditeur enthousiaste hocha la tête, pour montrer qu’il comprenait.
Sylvain rit doucement, enregistrant peu à peu les informations. C’était compliqué, avec tous les bruits ambiants, les voix, la musique – du Madonna, à cet instant – ou encore les verres qui s’entrechoquaient. Et puis il réalisa deux-trois trucs, qui le poussèrent à poser davantage de question :
« Des saunas ? Genre des saunas gays ? Et qu’est-ce que tu foutais à Lyon ? J’y ai passé cinq ans, j’ai jamais vu de bars gays… »
Pierre se tourna vers lui sur le tabouret, posant son talon sur l’assise, un bras autour de sa jambe relevée et l’autre appuyé sur le comptoir. Il éleva un peu la voix, comme les clients se faisaient plus nombreux.
« Des saunas gays, oui. On se balade à poils, avec une serviette, et en général tu sais ce que tu veux quand t’y vas. C’est pas pour te baigner ou te faire suer. »
Il rit, et Sylvain rit avec lui.
« Bordel, y’avait ça à Lyon aussi ? »
Son interlocuteur acquiesça.
« J’étais à Saint-Etienne pour un tournage YouTube, expliqua-t-il, et j’en ai profité pour monter sur Lyon voir une connaissance. Un pote de lycée qui était allé faire ses études là-bas. Gay aussi, du coup, donc on est allé au bar gay.
-Et t’as pécho du lyonnais, du coup ? taquina Sylvain avec un sourire en coin.
-Eh, Levy, tu deviens beaucoup trop intéressé par ce qui se passe dans mon lit.
-Réponds, insista le susnommé. »
Pierre soupira, en souriant quand même, pas blessé par l’indiscrétion de son meilleur ami.
« Non, pas après Charlie. J’ai recommencé les relations fin 2015, donc avec Aurélien et après mon passage à Lyon. »
Il prit une nouvelle gorgée de son verre.
Son interlocuteur baissa la tête, comprenant sa bourde. Ah, oui, Pierre lui avait dit… Il s’excusa brièvement et voulut changer de sujet, mais l’autre le devança en se levant.
« Mh, je vais pisser, je reviens. »
Il disparut dans la foule, en direction des toilettes, laissant Sylvain seul au bar.
Il pénétra dans les toilettes des hommes et trouva un urinoir pour faire son affaire. A peine quelques secondes plus tard, un homme entre à son tour, s’installa à sa gauche, lui lançant des regards. Pierre ne l’ignorait pas et lui glissa un regard pour l’observer, juste comme ça, par curiosité. L’homme faisait la même taille que lui, à peu près, plus barbu, avec des yeux bleus… Le contact visuel dura un instant, suffisamment pour que l’homme comprenne que Pierre le trouvait beau. Mais il ne voulait rien, et il lui fit comprendre. Rapidement, il finit, se lava les mains et retourna au bar en pensant toujours à cet inconnu, en se demandant ce qu’il se serait passé s’il avait initié quelque chose… Il avait remarqué ce foulard bleu clair dans la poche droite de son pantalon, il savait ce que ça voulait dire – il l’avait lui-même porté, de l’autre côté, quand il était à Berlin.
Il retrouva son ami, toujours un peu dans la lune, et termina son verre cul-sec. Sylvain ne lui lança qu’un regard amusé sans faire de commentaires. La conversation reprit avec fluidité, sur d’autres sujets, d’autres intérêts, de futurs projets, bref, ils passèrent un bon moment dans ce lieu, si bien que le nouveau venu se disait qu’ils pourraient bien y retourner, tous les deux...
Et ils y retournèrent, quelques fois. Pierre lui parlait toujours un peu plus de son passé, de sa sexualité, comme son ami semblait toujours avoir des questions sur le sujet. Il le stoppait seulement quand la conversation devenait trop personnelle à son goût.
Au fond, Pierre se répétait que quelque chose était définitivement en train de changer chez l’autre homme : dans ses questions, ses manières, son intérêt. Mais rien ne confirmait ses soupçons et il n’osait pas demander, voulant lui laisser le temps de faire son bout de chemin. Ça le faisait sourire, malgré tout, de revoir cette période de questionnement révolue depuis bien des années pour lui – le collège, à vrai dire.
Ses soupçons s’étiolèrent cependant une après-midi où ils traînaient chez Sylvain. C’était le début du mois de juillet, le rythme des tournages ralentissait déjà et ils préparaient leurs vacances d’août : ils allaient passer un peu plus d’une semaine avec d’autres amis dans une maison louée pour l’occasion sur la côte. Ça faisait du bien, de ne plus travailler autant, surtout avec les premières canicules de juin.
Sylvain était allongé sur son canapé, ses pieds par-dessus l’un des accoudoirs. Son ami était assis à côté de sa tête, sur la place restante, les jambes croisées, à boire un verre de jus de fruit frais. Il faisait terriblement chaud dans l’appartement, la fenêtre du salon était grande ouverte, mais ça n’aidait pas beaucoup.
« Faut vraiment que t’achètes une clim’, toi, se plaignit Pierre. »
Il jeta un regard à l’autre qui ne faisait pas attention à lui, concentré sur son téléphone. Il passa sa main devant ses yeux pour attirer son attention, le faisant sursauter, lui provoquant un rire.
« Eh beh, y’avait quoi sur ton téléphone pour que tu m’écoutes pas ? se moqua Pierre.
-Rien, répliqua Sylvain. Rien de spécial. T’as dit quoi ?
-Mh, rien d’intéressant. Je vais me resservir du jus de fruit. »
Pierre se leva, son verre à la main, et se dirigea vers la cuisine.
Son ami le suivit du regard, avec un peu d’insistance, le reluquant tant qu’il était de dos. Ses yeux tombèrent sur son tatouage au mollet, visible puisqu’il portait un short – et un débardeur, un peu transparent à cause de la transpiration, il l’avait remarqué. Mais bientôt tout ça disparut de son champ de vision, alors il reporta son regard sur son téléphone, scrollant sans trop y réfléchir.
Pierre revint rapidement vers lui, tenant toujours son verre, maintenant plein, en s’asseyant à nouveau. L’autre homme leva les yeux vers lui, du bas de sa position étrange, et demanda tout à coup en éteignant son téléphone et en le posant face contre sa poitrine :
« Ça fait quoi d’embrasser un mec ? »
Son locuteur, qui était sur le point de boire une nouvelle gorgée de jus de fruit, éclata de rire. Il éloigna son verre pour ne pas le renverser et s’exclama :
« C’est quoi cette question ?! »
Mais Sylvain était sérieux. Il le fixait toujours avec une petite moue, se sentant moqué.
« Quoi ? Je suis curieux.
-Oui, tu me dis ça à chaque fois, mais ça commence à faire beaucoup de curiosité quand même, commenta Pierre.
-Réponds-moi, ordonna l’autre homme avec autorité, se redressant. »
Il s’installa en tailleur sous le regard de Pierre, qui souriait largement.
« Si ça t’intéresse tant que ça, embrasse un mec, répliqua celui-ci. Essaye. On n’a qu’à aller au bar ce soir. »
Et Sylvain était un peu trop intéressé par l’idée. Bordel, se dit Pierre, mon pote n’est définitivement pas hétéro.
Ils se rendirent donc au bar le soir même, le même que la première fois il y avait presque deux mois. Les deux hommes y avaient leurs habitudes maintenant, ils s’installaient à l’extrémité du bar quand ils le pouvaient, sinon à une table un peu reculée, et avaient leurs boissons favorites. Heureusement pour Pierre, la carte des boissons sans alcool était plutôt complète.
Quand ils arrivèrent ce soir-là, le comptoir était complet. Ils prirent donc une petite table pour deux à côté de l’entrée et Sylvain demanda à son ami ce qu’il voulait pour aller commander. Pierre s’installa pendant que l’autre vadrouillait à sa mission, appréciant la musique qui passait actuellement – sans forcément la reconnaître. Il se mit à en tapoter le rythme sur la table en attendant son compagnon de soirée.
Sylvain revint avec leurs verres une dizaine de minutes plus tard, mais il ne se rassit pas de suite.
« Garde mon verre, cria-t-il à Pierre par-dessus la musique. Je reviens ! »
Pensant qu’il allait seulement aux toilettes, celui-ci acquiesça et le laissa partir. Et il attendit. Il attendit longtemps, au point de se dire qu’il n’était pas aux toilettes.
Curieux, il se leva. Une nouvelle musique se lança, qu’il reconnut – I Kissed A Girl de Katy Perry. Ça le faisait marrer de l’entendre ici. Il fouilla la salle du regard, du haut de son mètre quatre-vingt-sept, et trouva ce qu’il cherchait : Sylvain. Il était assis au bar et visiblement, il avait déjà trouvé un gars à embrasser, puisqu’il était en train d’échanger un baiser avec son voisin de tabouret.
Rapidement, Pierre se rassit, avec un sourire sur le visage et un pincement au cœur, qu’il repoussa. Au lieu de trop y réfléchir, il regarda les notifications sur son téléphone. Sofiane l’avait bombardé de message pour sortir ce soir, justement, mais il ne les avait pas vus. Il lui répondit donc qu’il était déjà de sortie avec Sylvain, précisant quel bar – on ne sait jamais, s’il voulait les rejoindre… Sofiane répondit après quelques minutes qu’il avait déjà trouvé un groupe avec lequel traîner, tant pis, il ne pourra pas voir Sylvain, lui qui l’adore… La réponse fit rire Pierre, qui n’insista pas, même s’il se disait que c’était peut-être un mensonge.
C’était vrai que depuis peu, il passait moins de temps avec lui, et Sofiane, exigeant qu’il était, lui faisait bien savoir. Mais il ne lui devait rien, ils n’étaient pas ensemble. Alors pourquoi se sentait-il coupable ? Il espérait que Sylvain revienne vite, il avait vraiment besoin de se changer les idées tout à coup.
Quelques minutes plus tard, Sylvain revint avec un grand sourire aux lèvres, l’air fier. Avant qu’il n’ouvre la bouche, son ami lança avec amusement :
« Alors comme ça, ça pécho ?
-Ah merde, t’as vu ?
-Bah oui mon coco, t’étais pas super discret quand même. »
Ils éclatèrent de rire et chacun prit une gorgée de sa boisson. Pierre ajouta :
« T’as ta réponse, maintenant ?
-J’crois que pas encore, je vais devoir tester encore deux-trois fois, blagua Sylvain. »
Encore des rires.
« Faites gaffe, c’est un peu gay ça, m’sieur Levy, le mit en garde Pierre avec humour.
-Rien à foutre, contra le susnommé avec sérieux. J’commence à comprendre pourquoi toi tu l’es. »
Son ami faillit s’étouffer avec sa boisson, parce qu’il ne s’attendait certainement pas à cette réaction. Un rire nerveux le prit.
Sylvain changea rapidement de sujet après ça, et l’autre homme comprit très bien le message, ne faisant aucun commentaire sur l’aveu, même s’il lui lançait des regards insistants pendant leur conversation, les questions tourbillonnant dans sa propre tête.
Les deux hommes se séparèrent aux premières heures de la nuit, fatigués. Ils dormirent chacun de leur côté, même s’ils devaient se retrouver chez Pierre le lendemain pour un événement bien spécial… Il allait enfin réaliser son autoportrait pour sa série, celle que Sylvain avait découverte par hasard il y a quelques mois.
Pierre se sentit seul, une fois chez lui. Il repensait à la soirée, au baiser que son ami avait échangé avec un autre, au refus de Sofiane de le voir – ce qui était rare. Il l’appela, parce qu’il avait besoin d’un corps à serrer.
« Ton rencard t’a laissé ? demanda le jeune homme en décrochant, avec sarcasme.
-C’était pas un rencard, soupira Pierre. Viens.
-T’as de la chance que je puisse pas te dire non, sourit Sofiane. J’arrive, prépare-toi. »
Et il raccrocha, avant même que son interlocuteur ne puisse lui répondre. En même temps, il l’aurait sûrement insulté.
Il attendit donc, assis sur son canapé, alternant entre son téléphone et la contemplation de son jardin éclairé par les lampadaires de la ville, jusqu’à ce qu’on frappe à sa porte. Il se leva, traîna des pieds jusqu’à son entrée et ouvrit. Sofiane, qui souriait, perdit sa jovialité en voyant l’expression de son amant.
« Merde, fallait me le dire si je devais faire SAV des cœurs brisés. T’as trop réfléchi à ta soirée ?
-Je veux juste penser à autre chose. »
Et Pierre le tira à l’intérieur, contre lui, pour l’embrasser. Et Sofiane le laissa faire.
Ils restèrent ainsi à s’embrasser un moment, se serrant, tenant le visage de l’autre ou ses hanches, s’enlaçant enfin avec un empressement de plus en plus violent. Pierre en avait besoin et le faisait savoir dans la témérité de ses gestes quand il déshabillait son amant.
Rapidement, les deux hommes se retrouvèrent dans la chambre, entre les draps, pour y passer le reste de la nuit. Tant pis s’ils ne dormaient pas, ils n’en avaient pas besoin. Pas pour quelques heures au moins. Vers quatre heures, malgré tout, ils s’assoupirent dans les bras l’un de l’autre.
Quelques heures plus tard, Pierre se réveilla seul dans son lit. Il se souvenait pourtant très bien de la venue de Sofiane, et jamais celui-ci n’était reparti sans lui dire. Il était d’ailleurs celui qui restait le plus longtemps au lit, d’où l’inquiétude de son amant.
Il sortit du lit en enfilant ses lunettes et couvrit sa nudité d’un simple bas de jogging avant de sortir de la chambre. Il passa une tête dans la salle de bain : personne. Il avança vers le séjour avec plus de crainte qu’il ne l’aurait cru.
Quand il aperçut enfin Sofiane, adossé au plan de travail de la cuisine, les bras croisés, une tasse de café fumant à côté de lui, comme s’il attendait l’autre homme. Il haussa un sourcil face à son expression.
« T’avais peur que je me sois barré ? l’accusa-t-il immédiatement, sec.
-Non, mais… »
Pierre bâilla.
« D’habitude…
-Les habitudes changent, en ce moment, répliqua Sofiane. »
Son interlocuteur fronça les sourcils, pas bien réveillé mais bien au courant que quelque chose clochait.
« Qu’est-ce que t’as putain ? râla-t-il. Tu veux pas dire clairement ce qui t’emmerde ?! »
Il perdait patience, surtout que Sylvain était censé arriver dans quelque temps et qu’il ne voulait pas que cette discussion s’éternise.
Sofiane, en revanche, voulait le laisser poiroter. C’était son côté dramatique, il aimait se mettre en scène, dans sa colère comme dans sa joie. Ce matin-là, Pierre s’apprêtait à en payer les frais.
« J’ai que j’en ai marre de pas savoir sur quel pied danser avec toi, Pierre. J’ai l’impression que même toi, tu sais pas. Mais au bout d’un moment, faudra faire un choix, trancha Sofiane.
-Un choix ? répéta le susnommé, perdu.
-Sylvain a appelé ce matin, lâcha enfin son interlocuteur. »
Quelque chose n’allait pas.
« Tu m’avais pas dit qu’il venait aujourd’hui. »
Quelque chose n’allait vraiment pas.
« Pour une séance photo ? Je pensais pas que ça bougerait si vite entre vous. »
Pierre le sentait, le voyait, l’entendait dans son ton, son langage corporel, l’ambiance froide…
Il n’aimait pas ça. Son cœur se tordait d’appréhension, comme une mauvaise rupture. Mais rupture de quoi ? Sofiane et lui, c’était que physique, ils ne sortaient pas ensemble… Pierre n’était pas amoureux de Sofiane.
« Attends, tu me fais quoi, là ? demanda-t-il sur un tout autre ton, plus doux, moins méfiant, presque suppliant.
-Là, t’as la rage parce que c’est pas censé être une rupture mais ça y ressemble vachement, hein ? lança Sofiane avec un sourire en coin, visiblement satisfait de l’air blessé de son amant. Comme ça tu sais ce que ça putain de fait de se faire briser le cœur. »
Pierre baissa la tête. Sofiane ne savait pas, pour les autres, ce qui l’avait blessé, il n’arrivait pas à lui en vouloir pour ses mots, mais merde, ça faisait mal.
Il ne répondit pas aux nouvelles accusations, il baissa seulement la tête, laissant l’autre homme poursuivre sa tirade. Il ne semblait pas vouloir s’épuiser et, quelque part au milieu des mots emmêlés, il se mit même à pleurer, mais sa voix ne faiblit pas. Puis une idée vint à Pierre – il n’aimait pas le voir pleurer, il fallait qu’il le stoppe. Il s’approcha doucement, relevant la tête, le coupant avec un ton bas, tendre :
« Sofiane, je t’avais prévenu quand on a commencé. Je t’ai dit qu’il n’y aurait pas de sentiments, pas de ma part. J’aurais dû arrêter avant, je suis désolé… »
Il ouvrit les bras et l’autre s’y réfugia sans réfléchir, pleurant tout son saoul contre sa poitrine.
Pierre avait vraiment merdé, en refusant d’arrêter de le voir alors qu’il avait aperçu les sentiments naître à son encontre. Il l’avait remarqué, avait essayé d’en parler, mais Sofiane lui avait dit qu’il pouvait le supporter, que ça lui passerait, et il l’avait cru. La belle connerie. Ah elle était belle, leur histoire, à finir bâclée ainsi.
« C’est pas moi qui devrais te consoler, murmura Pierre en commençant à se détacher. Ça te fait plus de mal que—
-Encore un peu, supplia Sofiane en le serrant plus fort. »
Son interlocuteur s’en voulut de ne pas réussir à lui dire non, et le serra de plus belle, séchant les larmes qui coulaient par sa faute.
Sofiane brisa l’étreinte quelques minutes plus tard, reniflant, essuyant son visage avec une moue.
« T’es chiant, ça devait pas se passer comme ça, c’est toi qui devais pleurer, râla-t-il.
-Crois-moi, c’est pas l’envie qui manque, rit Pierre nerveusement. »
Son amant, ou ex, le frappa un peu fort dans le bras.
« T’es un connard. Un enfoiré.
-Je sais, murmura-t-il, sans trop d’émotion. »
Il voulait surtout déguiser sa tristesse et la boule dans sa gorge.
« Je vais me casser, ajouta Sofiane. Tu me verras plus.
-Sof’…
-Non y’a pas de Sof’ qui tienne, répliqua le susnommé avec plus de véhémence, repoussant définitivement Pierre. »
Et l’autre le regarda, les bras ballants, un mètre plus loin.
Il le suivit des yeux quand il disparut dans le couloir, quand il revint, chargé de ses quelques affaires laissées là, quand il s’approcha pour l’embrasser, en silence, une dernière fois, quand enfin il passa la porte, portant un dernier regard sur celui qu’il aimait, qu’il aime, avant de la claquer sur leur relation.
Merde, se dit Pierre alors qu’il ne pouvait plus retenir les quelques larmes qui mouillaient déjà son regard auparavant, ça fait vraiment, vraiment mal…
Sylvain arriva une heure plus tard. Entre-temps, son hôte avait pu sécher ses larmes, ranger sa maison et préparer le lieu qui servirait à la séance, ainsi que son appareil photo. Quand l’autre homme sonna enfin, il alla lui ouvrir avec une mine encore toute triste qui fut immédiatement reconnue.
« Oulà ! s’exclama Sylvain. Mauvaise nouvelle ?
-Ouais, rentre. »
Pierre s’écarta pour le laisser passer, fermant la porte derrière lui.
Il passa une main sur son visage avec un soupir, suivant son ami à travers sa propre maison. Avant de commencer la séance, ils s’installèrent dans le canapé, pour que Sylvain écoute ce que son ami avait à lui annoncer.
« Je me suis fait larguer comme une merde, avoua-t-il enfin. »
Son locuteur fronça les sourcils, s’interrogeant immédiatement :
« Mais… par qui ? T’étais en couple ?
-Sofiane, répliqua simplement Pierre.
-J’croyais que vous étiez pas…
-Ouais bah je croyais aussi. On a passé la nuit ensemble, ce matin il a claqué la porte après t’avoir eu au téléphone et merde, je me suis plus attaché que je le pensais ! »
Sylvain se redressa tout à coup, sous le coup d’une indignation conduite par sa culpabilité.
« Après m’avoir eu ? Mais c’est quoi le problème ? C’est pas de ma faute j’espère ? »
Pierre rit amèrement en basculant la tête en arrière, regardant le plafond.
« Non, c’est totalement de ma faute. Je me suis attaché, mais j’suis pas amoureux. Lui oui. Je le savais et j’ai pas voulu arrêter. Le beurre, l’argent du beurre…
-… et le cul du crémier, blagua Sylvain sur un ton blasé malgré tout. Pardon, c’était trop tentant. »
Pierre lui lança un regard, puis éclata d’un rire sincère.
Il se tourna vers son invité, arborant une expression plus calme, plus souriante, revigoré par la présence de son ami.
« Tant mieux que tu sois là, lança Pierre avec un remerciement sous-jacent. J’ai besoin de penser à autre chose.
-Pas de problème, sourit Sylvain. Mais j’peux demander c’était quoi le souci avec moi ? Sofiane m’aimait pas ? Je trouvais qu’on avait l’air de bien s’entendre, pourtant. »
Son interlocuteur baissa la tête, sans perdre son sourire.
« Il était jaloux de personne d’autre, mais je sais pas… Il trouvait que je parlais trop de toi, et que tu prenais la place que lui voulait, je pense. »
L’autre homme se sentit tout bizarre à l’entente de ces mots. Comment ça, il prenait la place que Sofiane, amoureux de Pierre qu’il était, voulait ?
Ok, il en avait assez de cette discussion, c’était encore trop tôt pour se poser des questions. Il passa rapidement à autre chose :
« Okay, mh, et sinon quoi de prévu pour la séance photo ? Ce sera quoi mon rôle ? »
Pierre remarqua le rapide changement de sujet mais ne fit aucun commentaire. A la place, il se leva et guida son invité vers la chambre, lui expliquant la suite des événements.
Arrivé dans la pièce, Sylvain se mit sourire et, joueur, un brin moqueur, il blagua :
« C’est quoi la nature de cette séance photo, au juste ? C’est pas pour ton OnlyFan quand même ? Sinon je demande une part, hein… »
Pierre éclata de rire et l’insulta entre ses dents :
« L’enfoiré. »
Puis, plus fort :
« Désolé, pas aujourd’hui. Je sais que ça t’aurait intéressé mais c’est pas le programme.
-Ça veut dire quoi, ça ? s’indigna Sylvain.
-Que t’es trop curieux en ce moment, sourit Pierre en allumant l’appareil. Mais t’en fais pas, ça me dérange pas.
-Parfait, je comptais pas arrêter, répliqua son ami avec arrogance. »
Pierre baissa la tête en l’entendant, dépité. Même si, en réalité, il ne l’était pas vraiment.
Il peaufina quelques réglages puis avec sa main il fit signe à Sylvain d’approcher. Celui-ci obéit, observant l’écran de l’appareil qui était tourné vers le fauteuil près de la fenêtre. Il lui expliqua d’abord le fonctionnement général de la caméra, puis quelques fonctionnalités qui pourraient l’intéresser. Enfin, il lui parla de ses idées, de son intention :
« Le but de la série, c’est de nous montrer dans un milieu familier, qui fait appel à la vie de tous les jours, au quotidien quoi. Moi, j’avais envie de représenter mon activité de photographe et… bon, je sais pas si je peux vraiment utiliser ce mot-là, mais bref. Et d’artiste. Je les dessine pas mal, mine de rien. Bref, quand je dessine chez moi, j’ai tendance à le faire sur ce fauteuil. »
Il pointa le fauteuil, et s’en approcha immédiatement pour s’installer. A côté de lui, sur le bureau de la chambre, se trouvait son carnet à dessin et un pot à crayon. Sylvain observa avec un œil neuf l’environnement, comprenant mieux l’intérêt du plan.
Son regard tomba sur le carnet et il sourit en voyant Pierre s’en saisir, ainsi que d’un crayon. Il blagua à nouveau, parce que ça détendait l’atmosphère, parce que ça le faisait rire, parce qu’ils savait que ça remontait le moral de son ami :
« Tu vas me dessiner pendant que je te prends en photo ?
-Tu veux que je te dessine ? demanda Pierre doucement, avec sérieux. »
Leurs regards se croisèrent. Sylvain, avec son sourire en coin, acquiesça.
« Je veux voir comment tu me dessines. »
L’artiste hocha la tête à son tour, ouvrant le carnet sur une page vierge, ignorant les dessins de Sofiane qu’il avait réalisés précédemment.
Sylvain reporta son regard sur la caméra devant lui, timide tout à coup. Il avait difficilement la fibre artistique, pas comme Pierre, et une pression supplémentaire s’ajoutait à celle du terrain inconnu sur lequel il évoluait : celle de décevoir son ami.
« Et du coup, j’appuie juste sur le bouton ?
-Tu peux jouer un peu avec, tester des trucs, le corrigea le photographe. Je viendrais prendre des autoportraits après. Et si t’as une idée de pose en tête, tu peux demander. »
Sylvain rit avant de verbaliser sa connerie en faisant mine de regarder l’appareil :
« Attends, j’en ai une, écarte un peu les jambes, là, retire ton débardeur ? »
Et son ami éclata à nouveau de rire, accompagné d’insultes affectueuses. Le photographe amateur en profita pour prendre ses premières photos, capturant le rire de l’autre homme à son insu.
Les deux hommes reprirent un minimum leur sérieux ensuite, pour poursuivre la séance. Pierre se mit à dessiner avec application, changeant quelques fois de position. Alors qu’il était concentré sur son dessin, Sylvain approcha en marmonnant quelque chose et, sans prévenir, il posa un pied sur le fauteuil, entre les jambes de Pierre, pour se hisser dessus. Son ami, surpris, lâcha son carnet pour le retenir par réflexe au niveau des hanches, détournant la tête pour qu’elle ne se trouve pas au niveau de son entrejambe.
« Qu’est-ce que tu fous ? s’exclama-t-il en souriant.
-Y’a un problème avec ton rideau, t’inquiète, le rassura Sylvain.
-Bah bien sûr que je m’inquiète, tu viens m’agresser là et t’es à deux doigts de te casser la gueule, se plaignit Pierre avec humour.
-Mais non ! s’exclama son interlocuteur. Je maîtrise la situation.
-Connaissant ta chance, je parierai pas sur ton intégrité physique. »
Sylvain descendit de son perchoir et baissa le regard vers son ami, lâchant un soupir après cet effort. Il se frotta les mains.
« Eh bah voilà, parfait. Tu peux reprendre. »
Il retourna derrière la caméra comme si de rien n’était, et l’autre reprit son activité avec un regard suspicieux.
Après quelques minutes, Pierre leva son crayon, en portant le bout contre sa lèvre tandis qu’il observait son dessin.
« Redresse un peu la tête ? le guida Sylvain, qui prenait son rôle très à cœur. »
Il obéit, contemplant toujours son œuvre. Puis il rangea le crayon dans le pot.
« J’ai fini. Allez, je vais faire un peu d’autoportrait ! Pendant ce temps, tu peux regarder le dessin. »
Il se leva et tandis le carnet à l’autre homme, qui abandonna l’appareil photo pour s’en saisir.
Il observa les traits en silence, tandis que Pierre regardait les quelques dernières photos. Pas toutes, il voulait se garder la surprise, juste assez pour faire de nouveaux réglages et ajouter un minuteur, qui lui permettrait de se placer et de ne pas se relever entre les photos, s’il voulait tester d’autres poses. Il se réinstalla et prit ses photos tandis que son ami était à peine concentré sur lui.
« C’est trop beau, complimenta celui-ci au bout d’un moment. »
Pierre tourna la tête vers lui avec un grand sourire, se retrouvant penché par-dessus l’accoudoir du fauteuil, le crâne basculé en arrière. Une photo fut prise ainsi.
« Merci. C’est vrai que je suis plutôt fier. »
Il se leva à nouveau et récupéra l’appareil photo, tandis que Sylvain posait le carnet sur le bureau.
L’homme observa son hôte s’asseoir sur le bord du lit, bidouillant son appareil, sûrement pour regarder la galerie. Il approcha donc de lui et s’installa à genoux derrière, pour regarder par-dessus son épaule. Il se concentra sur les quelques autoportraits de Pierre, qui avaient déjà l’air plus beaux sur ses photos, alors même que rien n’était modifié. Il ne savait pas pourquoi. C’était la même caméra, pourtant. Même modèle, même cadre. Il ne comprenait pas et était admiratif du travail du photographe.
Cependant, il détourna le regard au moment d’arriver à ses photos. Il avait un peu honte, après avoir vu ce qu’avait fait Pierre, et s’assit sur ses propres talons, toujours posté derrière lui. Le photographe, lui, observa avec un doux sourire les photos de l’amateur. Particulièrement celles prises quand il ne posait pas, mais quand il changeait justement de position, ou riait à une blague de Sylvain. Au final, elles étaient ses préférées. Il aimait l’impression de mouvement, qui n’était pas toujours réussie, mais sur les quelques clichés où c’était le cas, ça rendait vraiment bien.
« J’crois que ma préférée, c’est celle-là. »
Il se pencha vers Sylvain, qui se redressa, collant son torse à l’épaule de son ami pour regarder par-dessus. Il était en train de lui montrer l’une des premières photos, où il riait aux éclats. Son visage et l’une de ses mains étaient plutôt flous, striés de lignes de mouvements, grâce à l’exposition qu’avait l’habitude de paramétrer Pierre. Il ne pensait pourtant pas obtenir ce résultat.
Sylvain sourit avec un brin de fierté et posa une main sur l’épaule de son hôte pour attirer son attention, comme il avait toujours le regard concentré sur l’écran.
« C’est vrai ? Je savais même pas ce que je faisais, là. »
Pierre rit.
« Ah bah c’est pas mauvais. Bordel, même en photo, t’arrives à être vite bon. J’te déteste, blagua-t-il.
-Arrête, contra son interlocuteur. C’était cent pour cent un coup de chance, t’es mille fois meilleur que moi ! »
L’intéressé ne répondit pas, prenant le compliment avec un sourire.
Après quelques minutes supplémentaires de contemplation, Pierre éteignit l’appareil et le posa sur le côté.
« Je les trierai une autre fois, sur ordi, informa-t-il son ami. T’as faim ?
-Affamé, acquiesça Sylvain. On mange quoi ?
-Je vais voir ce qu’il me reste dans les placards. »
L’hôte se leva, son invité l’imita, et tous deux quittèrent la chambre pour rejoindre la cuisine.
Les deux hommes étaient tous les deux satisfaits de cette petite séance photo. Mais quand même, Sylvain y réfléchissait beaucoup. Il tournait et retournait le résultat dans sa tête et trouvait que quelque chose manquait, sans trop savoir quoi. Alors il essayait de trouver.
Et il réussit, en comparant les photos de Pierre au souvenir qu’il gardait de celles des autres hommes. Il verbalisa sa réalisation avec précaution, pendant qu’ils mangeaient :
 « C’était super, les photos, mais je trouve qu’il leur manque un truc…
-Ah oui ? Quoi donc ? demanda l’autre homme, intéressé.
-Je sais pas. Je trouve que les photos que t’avais prises pour le reste de ta série avaient l’air plus… intimes ? Enfin, pas que… pas—je trouve que ça matche pas totalement avec ce que t’as fait avant, tu vois ? »
Pierre acquiesça sans regarder son interlocuteur et ajouta :
« Je suis d’accord. Même si je trouve que tu t’en rapprochais déjà pas mal. Tu veux qu’on réessaye après manger ?
-Je pense qu’on peut retenter un truc, ouais. Enfin, après, c’est toi le photographe, moi je suis qu’un assistant.
-Nan mais t’as raison, l’encouragea Pierre. On fera ça. »
Il aimait bien entendre les opinions artistiques de son ami, qui semblait se retenir par manque d’expérience et de confiance en lui. C’était dommage, il avait souvent de bonnes idées, entre deux blagues pour cacher son malaise.
Après manger, donc, ils s’y remirent. Cette fois-ci, ils discutèrent plus amplement de l’ambiance voulue, du cadre, des idées, ensemble. C’était une discussion beaucoup plus productive que les explications de Pierre au premier contact de l’appareil photo. Sylvain comprenait un peu mieux ce qu’il faisait et comment le faire, même s’il nécessitait toujours l’aide du modèle pour appliquer la théorie.
En retour, Pierre lui demanda de le guider dans le cadre, au niveau du corps. Il n’était pas vraiment à l’aise avec ça et, sans voir le retour de la caméra, il n’était pour une fois pas le mieux placé pour situer le sujet. Il lui demanda même de le placer physiquement s’il n’arrivait pas à lui expliquer ce qu’il avait en tête.
Alors que Pierre était de nouveau assis dans ce fauteuil, à la lumière d’une après-midi ensoleillée, dont les rayons étaient adoucis par des rideaux semi-transparents, Sylvain quitta son poste derrière l’appareil.
« Attends, regarde, comme ça, lui intima-t-il. »
Joignant le geste à la parole, il poussa l’épaule de son ami pour qu’il s’adosse au fauteuil, et tira le bras opposé, pour le tourner en partie vers l’objectif.
Dans le mouvement, ils étaient proches, et Pierre avait tout le loisir d’admirer l’expression concentrée de son ami, avec ses sourcils légèrement froncés, ses yeux rivés sur ce que faisaient ses mains, mains qui touchaient son corps à plusieurs endroits. A bien y réfléchir, ça avait peut-être été une mauvaise idée de lui proposer de venir le bouger lui-même. Le modèle sentait son cœur battre un peu plus fort. Enfin, quelque chose d’intime se passait, à la manière des séances qu’il avait dirigées avec d’autres hommes. Cette fois-ci, il n’était pas l’œil mais l’objet, et il y avait quelque chose d’horriblement gênant et d’excitant tout à la fois. Maintenant que Sylvain était pleinement dans son rôle, c’était quelque peu difficile de retenir son désir et ses sentiments. Bordel, c’était vraiment une mauvaise idée. Sa tête était encore pleine de sa rupture récente avec Sofiane, et pourtant il ne pensait qu’à tirer le photographe amateur par le col du t-shirt pour l’embrasser. Et c’était pire quand il réalisa quelques poses plus lascives.
Finalement, il décida de mettre fin à la séance. Sylvain en semblait déçu, mais ne demanda pas à continuer. Heureusement. Parce que c’était le bordel dans la tête de Pierre, et que s’il avait essayé de tenir plus longtemps, il aurait bien pu craquer.
A nouveau, les deux hommes observèrent les photos prises, mais Pierre ne s’attarda pas cette fois-ci, il éteignit assez rapidement la caméra, pour calmer ses ardeurs et penser à autre chose. Il proposa à son ami une partie de jeux vidéo à la place, qui accepta avec joie. Voilà une bonne après-midi en perspective.
Les jours passèrent, ils n’étaient pas retournés au bar, par manque de temps. Ils allaient bientôt partir en vacances, alors le rythme s’intensifiait pour qu’ils puissent boucler leur programme et se délester du plus de travail possible. Ce ne fut que quelques jours avant le départ qu’ils se retrouvèrent chez Sylvain avant d’y retourner, dans ce bar.
Sylvain était assis à la table de salle à manger, adossé au dossier de sa chaise, les jambes croisées. Avec une petite lime, il s’occupait de ses ongles. Pierre, lui, lui jetait parfois des regards de la chaise d’en face, levant la tête de son téléphone par moment au fil de leur discussion.
Puis soudainement, il s’arrêta, les yeux fixés sur les mains de Sylvain, manucurées, fines et délicates. Avec un rire, il remarqua :
« En quelques mois, t’es devenu un putain de cliché. Pire que moi. »
Sylvain leva les yeux sans lever la tête, lui lançant un regard désabusé. Se reconcentrant sur son activité, il se défendit :
« J’étais déjà pas mal un cliché avant.
-Pas plus que moi, contra son ami. »
L’autre posa alors sa lime et pencha la tête sur le côté, avec un sourire en coin. Il soupira, mimant l’exaspération sans en ressentir – oh non, ça le faisait plutôt marrer.
« On est vraiment en train de faire la course du plus pédé là ? Parce que du coup je m’incline, lança-t-il en levant les mains. Pour une fois, c’est toi qui gagnes.
-Oh t’es pas mal non plus ! s’exclama Pierre avec force. Au moins sur le podium.
-C’est de ta faute. »
Sylvain reprit sa lime et son limage, ignorant la réponse indignée de son interlocuteur.
Pierre ne comprenait pas ce qu’il voulait dire par là : comment ça, c’était de sa faute ? Il n’avait rien fait lui, c’était Sylvain qui, le premier, était venu fouiller dans ses affaires, puis avait commencé à poser des questions. Son ami n’avait fait qu’y répondre, qu’être indulgent et bienveillant… à moins qu’il n’y eût autre chose. Il l’espérait, au fond de lui.
« Tu veux bien m’aider ? demanda Sylvain tout à coup. »
Son ami, tiré de ses pensées, tourna la tête vers lui et le vit tenir un flacon d’une couleur lavande. Il fronça les sourcils en approchant, attrapant l’objet pour le considérer.
« T’as acheté du vernis ?! s’étonna-t-il.
-Nan, je l’ai volé à ma sœur, expliqua l’autre homme. Mais mes mains tremblent trop pour le mettre, tu peux m’aider ? »
Pierre le considéra un instant, avant de rire, baissant la tête en reposant le flacon.
« Un cliché, je disais, se moqua-t-il.
-Ta gueule et mets-le-moi, répliqua Sylvain avec autorité. »
Et son interlocuteur obéit, avec un large sourire.
Pierre s’assit face à son ami et ouvrit le bouchon, l’égouttant sur le bord du goulot.
« T’as de la chance que je sais l’appliquer, commenta Pierre en attrapant délicatement sa main. »
Il était exagérément penché sur son travail, à cause de sa mauvaise vue, pendant qu’il appliquait le vernis.
« Et je peux savoir comment ? questionna son homologue avec intérêt.
-Gunther en mettait aussi. Et il me demandait de lui mettre. »
Sylvain hocha la tête à l’information, veillant à ne pas trop bouger les mains. Il observait attentivement ce que l’autre homme faisait, et son visage concentré par la même occasion. Ses sourcils froncés, ses yeux légèrement plissés, sa lèvre mordue, et la délicatesse qu’il mettait dans ses gestes…
Une inspiration profonde le trahit : Pierre lève le pinceau en même temps que son regard, interrogateur.
« Ça va ?
-Ouais, aucun problème, tout va bien. Nickel. »
Sylvain essayait d’être convaincant, mais vu le rire que contenait son ami, c’était raté. Il ne fit aucun commentaire cependant et reprit sa mission. Il venait de finir l’auriculaire droit et il passa donc à la main gauche, à commencer par le pouce.
Pierre devait l’avouer, en même temps qu’il appliquait ce fichu vernis – qui allait drôlement bien à son ami – il contemplait également ses mains. Les paumes étaient plutôt larges, vu le reste de sa morphologie, avec des doigts longs. Mais tout était fin, pas épais pour un sou, ce qui leur donnait un aspect fragile et délicat. Sylvain était décidément beau jusqu’au bout des ongles.
L’application du vernis achevée, les deux hommes se séparèrent, Sylvain restant assis en attendant que cela sèche, l’autre homme se levant pour finir de se préparer. Il enfila ses chaussures et attendit, assis sur le canapé, que son ami soit prêt, ce qui prit bien vingt minutes supplémentaires. Mais il le connaissait, aussi il resta patient.
Les deux hommes mirent longtemps à arriver au bar. Heureusement, et merci l’été, il faisait encore largement jour. Comme à leur habitude, ils commandèrent et s’installèrent un peu à l’écart avec leurs boissons, entamant une discussion animée.
Sylvain était survolté, son ami ne savait pas pourquoi. Un sursaut de confiance en lui ? Malgré tout, ça le faisait rire, encore plus quand il se leva pour aller danser. Pierre le suivit du regard, il restait loin de la piste mais était pleinement concentré sur son ami, riant par moment à ses mouvements aléatoires. Mais il avait l’air de s’amuser, c’était le principal.
L’homme qui dansait parmi les autres clients sentit un corps se coller à lui tout à coup. Il sursauta et se retourna pour voir un homme, à peine plus grand que lui, lui sourire.
« Pardon, je voulais rejoindre mon ami au bar, s’excusa-t-il.
-Ah, pas de problème, lui sourit Sylvain en retour. »
Il s’écarta en collant ses mains à sa poitrine pour le laisser passer. Le regard de l’homme tomba sur celles-ci et il le complimenta :
« Le vernis vous va bien. »
Son interlocuteur rougit. Une hésitation, puis l’inconnu ajouta :
« Vous voulez que je vous paye un verre ? Je m’appelle Arthur, au fait.
-Sylvain. Avec plaisir, accepta-t-il. »
Et il suivit Arthur jusqu’au bar.
Là, il fut présenté à Romain, le fameux ami – et colocataire – d’Arthur. Les trois hommes discutèrent en buvant un verre d’alcool, riant. Le courant passait très bien entre eux. Mais Sylvain se souvint de Pierre et lança tout à coup, en posant son verre vide :
« Je suis aussi accompagné, faut que je rejoigne mon pote, désolé !
-Tu peux nous le présenter, sinon, proposa Romain avec un sourire enjôleur. »
Il avait passé la discussion à draguer Sylvain avec peu de subtilité, mais de jolies tournures qui l’avaient fait rougir. Il acquiesça sans trop savoir où cette histoire allait le mener.
Pierre sourit en voyant son ami revenir, il l’avait attendu si longtemps – quinze minutes, au moins !
« Tu t’es perdu en chemin ? se moqua-t-il.
-Non, j’ai rencontré des gens, répliqua Sylvain. »
Et il présenta les deux hommes qui l’accompagnaient. Pierre leur serra la main en se présentant à son tour, tout sourire. La discussion, toute naturelle, suivit des heures durant.
Romain était définitivement le dragueur des deux, que ce soit envers Pierre ou Sylvain. Arthur, lui, était plus réservé malgré sa témérité première qui l’avait poussé à payer un verre à l’inconnu qu’il venait de bousculer. Si Sylvain y réagissait avec des rougissements et de la timidité, Pierre, plus habitué, y répondait sur le même ton.
La nuit était tombée depuis deux ou trois heures maintenant. Les deux amis, qui n’avaient rien mangé alors que minuit était passée, voulurent se retirer pour rejoindre la voiture avec laquelle ils étaient venus. Leurs compagnons de soirée proposèrent de les raccompagner pour continuer à discuter, ce qu’ils acceptèrent.
Les quatre hommes marchaient donc dans les rues animées de Paris en direction du parking souterrain où Pierre avait garé son véhicule. Ils marchaient en partie sur la route mais tant pis, peu de voitures passaient pour l’instant. Et ils s’amusaient bien, tous les quatre : ils riaient, flirtaient, faisaient connaissance, leurs mains se trouvant être parfois baladeuses.
Ils entrèrent dans le parking, marchèrent vers la voiture, là, il fallait se dire au revoir : bizarrement, ils ne voulaient pas. Sylvain s’appuya contre le coffre de la voiture tandis que Pierre échangeait son numéro avec Romain. Arthur essayait de le faire accélérer, en vain.
« Attends ! se plaignit son colocataire. Je suis en train de pécho, rage ailleurs. »
Pierre rit en entendant cela, rangeant son téléphone dans sa poche. Son ami écouta les deux inconnus avec un sourcil haussé alors qu’ils se disputaient plus ou moins. Il intervint finalement :
« Qui a dit que tu pouvais pas pécho aussi ? »
Il glissa un regard à Arthur, qui s’était stoppé dans sa tirade.
Sylvain, d’un geste lent, se redressa d’où il était adossé, s’approcha d’Arthur, attrapa son visage et l’embrassa, devant leurs amis. Les au revoir risquaient de durer longtemps encore…
Sylvain et Pierre, laissés seuls une trentaine de minutes plus tard, quittèrent enfin le parking pour rejoindre un McDo sur le chemin du retour. Ils y mangèrent rapidement, comme la salle fermait prochainement, puis Pierre déposa son ami chez lui avant de rentrer à sa maison.
Il était seul, enfin, dans sa chambre. Et comme souvent la nuit, il réfléchissait trop. Il repensait à ce qui s’était passé dans le parking, à ce qu’ils avaient fait avec les inconnus, à la vision qu’il avait eue à l’arrière de la voiture, à son ami… Ces sensations n’étaient pas nouvelles pour lui, encore moins lorsqu’il invoquait Sylvain dans son imagination, rendue fertile ce soir-là par des activités peu séantes dans le parking.
Il n’y avait pas que ça. Ces derniers mois, Sylvain s’ouvrait énormément à la culture gay et découvrait sa propre bisexualité par la même occasion. Et ça le rendait terriblement attirant, dans ses manières, dans son enthousiasme, dans son charisme lorsqu’il flirtait avec des mecs devant Pierre ou qu’il posait ses questions à moitié innocentes… Pierre le sentait, leur relation était en train de changer, et il était également terrifié et impatient.
Son style vestimentaire avait également évolué : en plus du vernis qu’il arborait maintenant sur ses ongles, dans le privé malgré tout, en plus de ses cheveux longs qu’il pouvait maintenant nouer en une queue de cheval, ses vêtements avaient commencé à se parer d’un peu plus de couleurs, à être un peu plus excentriques. Oh, ce n’était pas un changement profond de garde-robe, juste quelques accessoires, quelques pièces qu’il prenait soin de porter dans des contextes précis, pas en vidéo souvent. Il portait régulièrement un anneau en argent à son pouce, ou une chaîne du même matériau avec un pendentif quelconque. Et ça lui allait bien, se disait Pierre.
Il se mordit la lèvre en imaginant le contact froid de la bague sur sa peau si Sylvain la portait en posant ses mains sur lui, ou celui du collier, toujours au cou de l’autre homme, tombant sur lui alors qu’il était penché au-dessus de son corps. Il pensait à ses mains ainsi décorées de couleurs et d’accessoires, sur lui. Il voulait passer ses doigts dans ses cheveux, il voulait le toucher plus intimement qu’il ne l’avait jamais touché et ce soir-même, il avait été si près du but…
S’en souvenir le poussa à bout, son corps tendu, son souffle lourd dans le silence nocturne, la seule source de lumière étant sa lampe de chevet. Il se leva de son lit après quelques minutes pour faire un tour dans la salle de bain avant de se rallonger sur le matelas pour dormir définitivement. Il était déjà bien assez tard et il devait préparer ses affaires le lendemain, pour le grand départ.
Le réveil sonnait déjà depuis un moment quand Pierre émergea enfin de sa nuit. C’était le milieu de la matinée et pourtant, il avait l’impression qu’il était six heures du matin à cause de sa courte nuit. Il éloigna les événements de sa mémoire pour se concentrer sur la liste des choses qu’il devait faire. Le départ était le lendemain, et il n’avait pas encore touché à son sac, ce qui n’était pas vraiment dans ses habitudes. Les dernières semaines avaient été trop intenses, il avait bien besoin de ces vacances.
Il se leva avec un soupir et alla se préparer un petit déjeuner accompagné d’un jus de fruit, quelque chose de frais et vitaminé pour le réveiller. Il avait presque l’impression d’avoir une gueule de bois, mais il savait que c’était seulement la fatigue et la pression du rush de pré-vacances. Il se demandait dans quel état se trouvait son collègue actuellement… Avait-il réussi à s’endormir ?
Après manger, Pierre s’occupa de son traitement. Seulement, en comptant les boîtes qui se trouvaient dans son placard, il se rendit compte qu’il y en avait une de trop, qui n’était pas la sienne. Il reconnut le traitement de Sofiane et sentit son estomac se tordre : du manque, de la culpabilité, du regret…
Immédiatement, il lui envoya un message tout à fait formel à ce sujet, espérant ne pas être bloqué. Il essaya de se reconcentrer sur sa routine en attendant la réponse, qui arriva peu de temps après. Sofiane lui donnait rendez-vous chez lui pour lui rendre le jour-même, si ça lui allait… Pierre avait certes des choses à faire, mais il pouvait bien faire un saut par chez son ex en allant déposer Oslo, son chien, chez ses parents. Il accepta.
En parlant d’Oslo, son maître joua avec lui avant de vaquer à ses obligations, commençant à remplir son sac de voyage. Il prit ensuite un déjeuner tardif, joua encore avec son animal – qui allait définitivement lui manquer pendant ces presque deux semaines… mais il savait que Chantal lui enverrait des nouvelles régulièrement – puis il prépara les affaires de celui-ci. En milieu d’après-midi, il fit monter l’animal et chargea ses bagages dans la voiture avant de se mettre en route.
Le tour chez ses parents s’éternisa comme cela arrivait parfois, tant la famille était prise dans leurs discussions. Après tout, Pierre était très proche d’eux et il trouvait beaucoup à leur dire. En les quittant, il leur promit de les appeler au moins une ou deux fois pendant son séjour sur la côte.
Maintenant, il fallait se rendre chez Sofiane. Cela faisait quelques mois que Pierre n’avait pas pris le temps ni la peine d’y aller, mais quand l’intéressé ouvrit, il remarqua que ça n’avait vraiment pas changé… Alors, sur le seuil, il essaya de ne pas éterniser leur entrevue et lui tendit sa boîte de médicament avec un sourire.
« Hey, tiens, je suis content qu’on ait réglé ça rapidement. Je vais pas—
-Tu veux rentrer ? le coupa Sofiane. »
Il semblait maussade. Pierre, choqué de la proposition, mit un moment avant de répondre :
« Euh, oui, pourquoi pas… »
Alors son ex ouvrit la porte plus largement et s’écarta du passage pour le laisser entrer.
Pierre entra en prenant le moins de place possible, visiblement peu à l’aise. Revoir l’autre homme rappela à son cœur l’attachement dont il était finalement victime. Il savait que ce n’était pas romantique, ou peut-être un peu, pas suffisamment pour éclipser celui qui occupait ses pensées, mais assez pour que la séparation lui fasse mal, laisse une marque.
Il ne savait pas quoi faire de lui-même, à part rester debout au milieu du petit séjour, les bras ballants, observant l’environnement pour s’y familiariser. Sofiane passa devant lui avec un faible sourire, se dirigeant vers la cuisine.
« Tu veux boire quelque chose ? »
Il ne regardait pas son invité, mais sa voix était douce, ses gestes mesurés. Pierre le suivit du regard, peiné.
« Non, ça ira, refusa-t-il poliment. »
L’hôte se servit un verre d’alcool et zigzagua jusqu’au canapé, s’y laissant tomber. Il tapota la place à côté de lui.
« Viens là chéri. »
Il leva enfin les yeux vers Pierre en prenant une gorgée de son verre.
Celui-ci posa la boîte de médicaments sur la table basse et hésita face à son ex. Mais Sofiane attrapa son poignet avec autorité pour le faire asseoir, alors il ne put qu’obéir.
« Assis-toi j’ai dit, répéta-t-il. Alors, dis-moi, comment ça va ? »
Pierre ne savait pas comment agir. Il était tout perdu face à la familiarité de l’autre homme, qui semblait déplacée vu comment il était parti l’autre jour.
« T’en fais pas, Pierre, je m’en suis remis, soupira Sofiane. J’ai fait mon deuil, t’aimes Sylvain, j’aurais pas dû m’accrocher en sachant ça.
-J’aurais pas dû te laisser faire, répliqua Pierre. Mais…
-Mais je te donnais un truc que tu pensais jamais recevoir de lui… »
Une pause, puis Sofiane ajouta avec un rire :
« Mon cul. »
Son interlocuteur explosa de rire, tapant doucement son bras.
« T’es con putain.
-Ose me dire que j’ai tort ! se moqua son ex. »
Et il ne répondit pas, apportant l’aveu que l’autre désirait. Ce dernier en riait, le salaud.
Pierre se laissa tomber contre lui, sa tête sur son épaule, blotti. Ça lui avait manqué, cette proximité avec lui. Il pouvait bien se laisser aller ce soir… Puisque l’autre ne disait rien, puisque l’autre passait son bras autour de ses épaules pour caresser doucement son épaule, puisque tout allait au moins un peu mieux.
« Comment ça se passe avec Sylvain ? questionna Sofiane avec curiosité – bien que sa voix gardait une certaine animosité en prononçant le nom de son adversaire.
-Y’a tellement de changements que je sais pas par où commencer, sourit son interlocuteur. On va de plus en plus au bar gay ensemble. Il se met à rouler des pelles à des mecs randoms. Hier soir, on a… il nous a trouvé deux gars. »
Il rit nerveusement.
« Il met du vernis. »
Sofiane poussa une exclamation surprise, cassant son poignet vers lui dans un geste dramatique.
« Du vernis ??? Et tu arrives toujours à fonctionner ? »
L’autre homme rit encore et le poussa sans pour autant vouloir l’éloigner. Il faillit renverser son verre au passage, que Sofiane finit cul-sec.
« Je suis pas en chien non plus. Mais frère, ça lui va tellement bien… Je pense qu’à ça.
-Gnagnagna, je suis pas en chien, l’imita exagérément son homologue en riant. J’te crois, ouais. Autant que quand tu disais qu’on était pas ensemble. »
Pierre grimaça.
Il avait clairement été dans le déni, maintenant qu’il y repensait. Mais il avait fait son choix depuis longtemps, aussi, et ne voulait pas croire qu’il pouvait autant s’attacher à quelqu’un d’autre. Puis ce gars a ouvert la porte de son appartement il y a deux ans environ – même si beaucoup pensait que c’était moins – pour un shooting, présomptueux et superbe, et ne l’avait pas quitté depuis. Et il avait apprivoisé le photographe avec toute son autorité et sa douceur. Bordel, comment avait-il fait pour ne pas le voir venir ?
« Pourquoi personne m’a dit que j’étais dans le déni ? questionna-t-il rhétoriquement.
-Tout le monde te l’a dit, Pierre. Même Sylvain, tu m’en avais parlé. »
L’autre éclata de rire et passa un bras par-dessus son ventre pour le serrer.
« Je voulais pas vivre comme ça. Je voulais être un bon garçon et me caser, pas aller voir à droite à gauche et essayer de bouffer à tous les râteliers.
-On fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie, soupira Sofiane. »
Il joua avec son verre en le fixant avec une allure théâtrale.
Pierre ne lui avait jamais dit ce qu’il s’était passé avant qu’il ne le rencontre. Au fond de lui, il sentait qu’il lui devait bien ça, même s’il ne lui en voulait pas trop pour ses propos lors de leur rupture…
« Je sais. J’aurais dû être marié, là, lança-t-il. »
Son interlocuteur fronça les sourcils en le repoussant, histoire de pouvoir le regarder dans les yeux.
« Qu’est-ce que tu racontes ?? Toi, fiancé, à qui ?
-Un gars que j’ai rencontré quand j’étais ado. On vivait ensemble pendant nos études sup’ et on a fini par se fiancer. Mais il est mort avant qu’on puisse se marier. »
Sofiane se figea.
Presque immédiatement, il se rappela ce qu’il avait pu balancer sans considération quelques semaines plus tôt. Il porta une main à sa bouche, une expression profondément désolée sur son visage.
« Merde, je savais pas. Bordel, Pierre, t’en caches d’autres comme ça ?!
-Ouais, répondit-il honnêtement. Mais je veux pas en parler, tais-toi.
-Comment ça tu veux pas en parler ? Tu me balances ça comme ça et tu veux que je l’accepte ! s’indigna Sofiane.
-Je veux plus parler, répéta Pierre, changeant un peu sa phrase pour plus de précision. »
Mais son interlocuteur n’était pas de cet avis, prêt à se lancer dans un monologue.
Cependant, Pierre était vraiment fatigué des mots. Le contact avait réveillé sa nostalgie, des souvenirs physiques qui fourmillaient sur sa peau. Ni une ni deux, il se jeta sur les lèvres de Sofiane et l’embrassa, espérant que ce soit suffisant pour le faire taire – ces précédents essais lui avaient enseigné que ce n’était pas toujours le cas.
Sofiane sourit et répondit au baiser, son corps épousant machinalement celui de Pierre alors qu’il tombait en arrière, contre l’accoudoir, se retrouvant rapidement allongé sous l’autre homme. Il leva les mains vers son visage, l’attrapant pour qu’il n’ait pas l’idée de s’éloigner…
« Et ton crush est au courant que t’es là ? se moqua Sofiane.
-Ta gueule, répliqua son homologue avec verve. »
Il l’embrassa avec plus d’empressement, faisant rire son amant.
« Bordel mais qu’est-ce que t’as en ce moment ? Avec ce que tu viens de me raconter, tu devrais être rassasié, ou alors tu peux pas te passer de moi ? »
Il afficha un sourire en coin, mesquin et fier de lui, que Pierre effaça d’un nouveau baiser. Il ne voulait vraiment, vraiment pas parler. Et surtout pas de ça.
Une main, plutôt téméraire, passa sous le t-shirt de Sofiane – qui était pourtant plutôt près du corps – pour caresser sa peau, le faisant soupirer. Pierre ne savait pas d’où venait ce besoin soudain de le sentir contre lui, et plus si affinité, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Il ne l’avait pas vu venir, n’avait jamais pensé que revoir son ex lui provoquerait cette réaction. Tant pis, c’était trop tard et il avait bien le temps, quelques dizaines de minutes, pour s’abandonner aux plaisirs charnels.
Pierre quitta l’appartement mi-honteux mi-satisfait. Il pouvait enfin rentrer chez lui et… et faire quoi ? Il lui restait quelques trucs à régler pour son départ, mais ce ne serait pas suffisant pour remplir sa soirée. Alors il était livré à lui-même, et n’avait cette fois-ci personne à appeler pour se changer les idées. Peut-être qu’aller se coucher tôt n’était pas une mauvaise idée, ou son esprit s’égarerait trop au sujet d’une certaine personne…
[Second part in reblog]
2 notes · View notes
clemjolichose · 2 years ago
Text
ceux qui rêvent ont bien de la chance...
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Gaytipla (Sylvain Levy x Pierre Chabrier)
Nombre de mots : 948 mots
Avertissement : Aucun
Résumé : Leurs nuits blanches ne sont pas blanches, à peine claires, semées d'étoiles…
Quand les insomnies frappent, quand le sommeil ne vient pas et que la nuit tient leurs pensées entre ses griffes, il reste deux solutions : se torturer jusqu'au petit matin et tout oublier, ou bien agir, quitte ou double…
Note d’auteurice : Vous pouvez aussi lire ce texte sur Wattpad ou AO3 <3
Partie : 1/3
Partie 2 | Partie 3
Chanson : Ceux qui rêvent de Pomme
Pierre avait les yeux fixés sur le plafond, un bras plié derrière son crâne, une jambe relevée, tout son corps allongé sur son lit.
Pendant un moment, il s'était senti étrangement bien. Il avait flotté entre la conscience et l'inconscience, entre l'éveil et le sommeil, ne voyant pas les heures défiler. Il avait arrêté de penser, sa tête avait été délicieusement vide, agréablement légère.
Puis il avait dégluti, il avait fermé ses paupières sur ses yeux brûlants de n'avoir rien regardé alors même qu'il était capable de voir. Il se frotta les yeux, soupira...
En se tournant et se retournant dans son lit, il jeta un coup d'œil à son réveil : il était plus tôt qu'il ne le pensait. Ce moment de flottement avait-il donc été si bref ? Et maintenant il réfléchissait, sa tête était remplie de tout un tas de pensées tantôt sympathiques, tantôt désagréables, voire blessantes.
Il se redressa, considérant l'insomnie qui se présentait devant lui : il ne pouvait pas dormir, mais ne pouvait pas non plus faire grand-chose d'autre.
Il aurait aimé appeler Sylvain, la pensée fugace traversa le nuage dans son cerveau en un éclair, avant de disparaître, repoussée par les vents violents de la répression. Il se rallongea, se tourna, se retourna...
Oui, Sylvain devait être en train de dormir à cet instant. Il était chez lui, dans son lit, à des dizaines de kilomètres de Pierre, en train de dormir comme une personne normale - c'était ce qu'il se répétait, mais ça pouvait bien être faux, le connaissant. Pierre, lui, n'y arrivait pas. Et il ne savait pas pourquoi.
Ou plutôt, il ne voulait pas voir pourquoi. Il savait. Il pensait trop, secoué depuis quelque temps par une humeur maussade. Son esprit se torturait tout seul, comme un grand.
À propos de quoi ? Ou plutôt, à propos de qui ? La faute au temps : voilà cinq ans qu'il côtoyait son ami et collègue, cinq ans qu'il ignorait les sentiments qui s'étaient installés au creux de sa poitrine, cinq ans enfin qu'il ne faisait rien.
Aujourd'hui, il le payait, et rêvait éveillé des mains de son ami, d'une danse entre leurs deux corps, rien de lubrique pour une fois... Il voulait juste un peu de douceur.
Mais cette douceur se faisait attendre. Cinq ans que son corps lui réclamait, sans obtenir gain de cause. Alors il manifestait son mécontentement, forcément. Une grève, en quelque sorte. Une grève d'amour.
Pierre aurait aimé, ça, que son amour fasse grève, que son affection se fasse la malle avec son désir, que tout ce beau monde lui foute la paix ! Qu'il soit enfin tranquille dans sa tête et dans ses doigts.
Ces derniers étaient parcourus de picotements, trop souvent, à ça d'agripper le poignet de son ami, de le tirer contre lui, de quémander une chaleur qui n'était pas sienne. Il devait résister, pour Sylvain. Il ne pouvait décemment pas se permettre d'agir ainsi.
Non, la raison devait l'emporter, et il devait abandonner ses idéaux affectifs pour d'autres, plus acceptables, d'amitié virile. Il ne parlait pas de laisser sa sensibilité toute entière, non, mais il ne voyait pas comment résister sans la museler, tout du moins.
Seulement voilà : ça le rendait triste et le gardait éveillé la nuit. 
Sur le plafond, au-dessus de Pierre, se dessinèrent les formes de deux mains enlacées... ou peut-être était-ce seulement des hallucinations fatiguées, quand les formes font des siennes devant les yeux.
Tant pis. Pas grave. Il aimait se dire qu'au moins en rêve, il avait droit à l'amour.
Ce n'était pas de sa faute, s'il avait besoin d'être rassuré quand le soleil était éteint. Ce n'était pas celle de Sylvain non plus... Oh, il ne lui en voulait pas. S'il fallait trouver un fautif, il en voulait à sa tête qui s'était imaginée il y a cinq ans que cet homme était un partenaire tout à fait enviable. Non, vraiment, que pensait-il ?
Pierre se tapa la tête, doucement, avec le plat de sa main. Les soupirs s'amoncelaient dans la chambre, les grognements aussi, parce qu'il ne trouvait pas de position confortable.
Il se redressa finalement, assis en tailleur sur le matelas, le drap glissant de son torse pour se froisser en un mont sur ses jambes.
Il frissonna. Il avait froid. Il imagina un instant sa peau brûler d'une embrassade à nu, des doigts frileux venant frictionner sa chair, l'invitant, lui quémandant une étreinte, le tentant tel un beau diable à rejoindre la chaleur des draps, à s'y perdre et à y perdre son orgueil. Il voulait s'embraser.
Pierre se recroquevilla, il avait froid. Il gémit presque, parce que le vide était la seule réponse à ses envies et ça faisait mal, si mal...
Il voulait toujours l'appeler. Mais que lui aurait-il dit ? "J'avais besoin de toi, d'entendre ta voix." "Je t'aime, dis moi que toi aussi." "Enfoiré, sors de ma tête." "Je te déteste et je déteste t'avoir autant dans ma peau." "Casse-toi." "Aime-moi." Bordel.
Il lança un regard courroucé à son téléphone, comme s'il lui imputait la faute de son esprit. Il s'en saisit pourtant, le déverrouillant par réflexe, ouvrant le volet de notifications... rien. Enfin, si, il avait des messages, des notifications des réseaux sociaux, d'un jeu qu'il avait oublié de désinstaller, un ou deux rappels de son calendrier, la météo en direct, tout un tas de trucs proprement inintéressants parce que rien n'émanait de lui...
Il le fixa, un instant. Pas longtemps, il ne voulait pas avoir l'air obsédé, il l'était, il garda ses yeux rivés sur l'écran, attendant, patientant, incapable de détourner le regard...
Un sursaut. Le téléphone se mit à vibrer : il avait reçu un message. Pire encore, il lut le nom et son cœur battit plus fort : c'était l'être, l'éphèbe, celui pour qui il se languissait…
3 notes · View notes
clemjolichose · 2 years ago
Text
et la lune s'est moquée de moi
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Gaytipla (Sylvain Levy x Pierre Chabrier)
Nombre de mots : 24 000 mots
Avertissement : Mention de dépression post-partum
Résumé : Sylvain Levy était jeune, trop pour être père à son sens. Et puis il était célibataire, alors la paternité était un souci qui ne le concernait pas. Ou presque...
Ainsi, Mélissa est entrée dans sa vie.
Note d’auteurice : J'espère que vous allez aimer cette douceur ! Vous pouvez aller la lire sur Wattpad et AO3 aussi <3
Partie : 1/?
Chanson : J'ai demande à la lune d'Indochine
Sylvain ne s’y était pas attendu : près d’un an après leur rupture, son ex reprenait contact avec lui. Il était passé par plusieurs émotions, l’étonnement, l’incrédulité, l’inquiétude, le stress… Il ne savait pas pourquoi, après autant de temps, elle revenait vers lui.
Au départ, elle n’envoya que quelques messages cryptiques qu’il avait du mal à déchiffrer. Puis il l’eut au téléphone et, au son de sa voix, il comprenait que quelque chose n’allait vraiment pas. Elle demanda à le voir, à ce qu’il vienne chez elle, le pressa, il ne put qu’accepter, comprenant tacitement que l’enjeu le dépassait.
Il ne dit rien à personne, pas même à Pierre. Il ne savait pas trop pourquoi, peut-être à cause du secret que la jeune femme semblait garder, qu’elle allait lui dévoiler, à lui et rien qu’à lui. Alors, par respect, il garda leur rendez-vous pour lui.
Sylvain arriva devant la porte de son appartement stressé comme jamais. Il avait terriblement peur de ce qu’il allait voir de l’autre côté car, de ce qu’il avait compris de leurs échanges, la jeune femme était en détresse psychologique et avait besoin de son aide. L’idée lui fendait le cœur… Il ne l’aimait plus, mais tous deux étaient resté·es en bons termes. Et puis, au-delà de ça, apprendre que quelqu’un dont il avait été si proche n’allait pas bien l’inquiétait.
Il frappa donc, et n’eut pas à attendre longtemps avant que la porte ne s’ouvre. Il reconnut à peine la jeune femme, qui avait perdu du poids, ses cheveux, qui avait de si grandes cernes et semblait vieillie de dix ans. La vision fut un choc, qu’il dissipa en la prenant dans ses bras, sans un mot, un réconfort spontané. Elle fondit en larmes immédiatement.
Puis elle le tira à l’intérieur, pour refermer la porte, et Sylvain s’aperçut alors de l’état de l’appartement. Il était encombré, sale, en désordre, et pourtant il n’avait jamais connu sa propriétaire ainsi… Il se tourna vers elle, une seule question sur les lèvres :
« Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Il la fixa un instant, en attendant une réponse qui ne vint pas.
Comme elle ne répondit pas, le jeune homme jeta un nouveau regard à la pièce, avec plus de concentration, observant les détails. Peu à peu, il remarqua des affaires qui n’étaient pas à elle, des affaires de bébé, de nourrisson, et il avait peur de comprendre.
Elle, elle quitta la pièce. Pendant de longues minutes, Sylvain se retrouva seul face à la réalisation de la situation, ne voulant pas y croire. Il dut bien s’y résoudre, pourtant, quand son ex revint dans la pièce avec un bébé dans les bras. Elle avait eu un enfant ? Mais pourtant, la dernière fois qu’il lui avait parlée, il y a six mois, elle n’était pas enceinte… Ou en tout cas, elle n’en avait pas parlé. Et où était son nouveau petit ami, d’ailleurs ?
Sylvain fut sorti de ses pensées par la jeune femme, qui lui tendit l’enfant. Il eut une réaction de panique d’abord, son cerveau n’arrivant pas à intégrer les informations, puis, comme elle allait se mettre à pleurer de nouveau, il accepta et prit maladroitement l’enfant dans ses bras. Il s’assit sur le canapé, de peur de le faire tomber s’il restait debout, observant son visage à peine éveillé.
« Je comprends rien, là, qu’est-ce qu’il se passe ?
-Je suis en dépression, annonça-t-elle. Je peux pas… je peux pas m’occuper d’elle. »
Elle éclata en sanglots à nouveau. La scène était lunaire, aux yeux de Sylvain qui ne comprenait rien.
Mais il n’eut pas le cœur de la presser pour obtenir des explications. Elle semblait vraiment au bout du rouleau, la pauvre… Alors il attendit, en regardant l’enfant qui n’avait pas conscience du drame, pour ne pas voir la douleur de son ancienne petite amie.
Cette dernière s’assit par terre, les genoux relevés, ses bras les encerclant. Elle ravala ses larmes, suffisamment pour parler à nouveau :
« Je vais essayer de tout t’expliquer… Ça fait trois mois que plus rien ne va. Depuis qu’elle est née, en fait. »
Elle renifla, fit une pause pour respirer, comme elle avait du mal. Sylvain leva la tête, étant déjà en train de calculer mentalement.
« Attends… elle a trois mois ? Emma, c’est qui le père ? »
La susnommée marmonna une réponse que son interlocuteur ne put entendre, alors il lui demanda de répéter.
« C’est toi. »
Il se figea.
Comment ça, « c’est toi » ? Comment pouvait-il être le père, si cela faisait plus de dix mois depuis leur séparation ? Mais il avait fait les calculs, il savait que ça concordait, son cerveau ne voulait juste pas l’assimiler. Il court-circuitait.
« C’est pour ça que mon mec s’est barré, ajouta Emma. Avec la putain de voiture ! »
Sylvain fronça les sourcils.
« Attends, il devait bien savoir que t’étais enceinte quand vous vous êtes mis ensemble, si c’est moi le père… »
Silence. Emma commença à se ronger les ongles.
« J’ai fait un déni. »
Nouveau silence. Heureusement que Sylvain s’était assis…
Emma se leva tout à coup et commença à faire les cent pas, se rongeant toujours les ongles. Son ex compagnon s’apaisa, avec quelques respirations profondes, ne cédant ni à la panique, ni à la colère. Il choisit plutôt la compassion et demanda doucement :
« Pourquoi tu ne m’as pas appelé plus tôt ?
-Je sais pas. C’était compliqué, mon frère était tout le temps chez moi pour m’aider. Mais là il a dû repartir et j’ai personne d’autre pour… pour la garder. Si tu la reconnais pas, je dois la placer. »
Encore une fois, ce fut trop d’informations pour que Sylvain réagisse.
Il baissa les yeux vers la petite chose dans ses bras, qui avait les yeux un peu plus ouverts maintenant et semblait l’observer. Il ne put s’empêcher de lui sourire et de jouer avec une de ses mains, se rendant compte alors qu’il ne connaissait pas son prénom.
« Tu l’as appelée comment ? »
Emma se stoppa dans sa marche furieuse à travers la pièce, surprise.
« Mélissa.
-Coucou Mélissa, gazouilla-t-il à l’intention de l’enfant. »
Emma sourit, un peu rassurée. Elle s’agenouilla devant lui, suppliante.
« Dis-moi que tu vas la garder… »
Elle avait les yeux brillants, les joues mouillées de larmes, Sylvain en avait si mal au cœur en la regardant… Il déglutit et baissa le regard vers la petite qui s’agitait dans ses bras.
« Ok. Je vais la garder. Mais… et toi ? Tu veux pas d’aide pour—
-Pas besoin, le coupa-t-elle. Mes amies vont passer pendant que je serais à l’hôpital. Tout est déjà prévu. Ah… tu peux pas savoir comme je suis soulagée. »
Elle se pencha en arrière, assise sur ses talons, la tête levée vers le plafond. Elle ferma les yeux et pleura encore.
C’était une vision étrange, le soulagement chez un être au bord du gouffre. Emma pleurait encore et Sylvain la contemplait, toujours inquiet, ne sachant pas comment réagir. Tout était bizarre : elle, l’enfant, la situation, quoi, il était père maintenant ? il avait une fille ? mais qu’allait-il en faire ?
L’élever, voilà ce qu’il allait faire. Malgré les doutes, il ne voulait pas revenir en arrière, il lui suffisait d’un regard vers le visage d’ange de sa fille pour être sûr de sa décision. Alors, pendant les derniers jours de liberté d’Emma, avec son aide, il prépara la nouvelle vie de Mélissa. La reconnaissance, pour avoir son nom sur son livret de famille, le changement de nom, pour qu’elle prenne celui de son père, l’installation, l’apprentissage où l’assistance de son ex était bien plus limitée, tout son quotidien était chamboulé et personne ne le savait.
Sylvain se retrouva donc à se lever tôt, un dimanche matin, alors qu’il avait pris congé de son activité avec Pierre Chabrier. Il n’avait pas dit pourquoi. Il se disait que c’était encore trop tôt, que lui devait assimiler l’information avant de la partager. Il lui avait juste dit qu’il avait besoin d’une semaine, promis, pas plus, juste une semaine pour se reposer, il était trop fatigué…
Pierre avait été sceptique, bien sûr, mais avait accepté à contre-cœur. Les tournages allaient être reportés, tant pis. Sylvain en prendrait la responsabilité. Mais il ne travaillait pas, là, il pouvait donc entièrement se concentrer sur le petit rayon de soleil qu’était Mélissa.
Il se leva tôt un dimanche matin, donc, pour donner le biberon. Ce n’était pas le premier, mais c’était toujours un moment qu’il appréciait particulièrement. Comme le coucher, ou lorsqu’il jouait avec elle. Bon, tous les moments, en fait. Sauf un… Il avait eu beaucoup de mal à s’y faire, pour changer ses couches. Il avait toujours du mal, d’ailleurs.
Ce n’était pas sa faute : il était maniaque, et l’idée de toucher quelque chose d’aussi sale le dégoûtait. Mais il prenait sur lui, il avait atteint un niveau professionnel pour changer sa fille rapidement et correctement.
Au-delà de ce désagrément, il y avait tous les moments de joie, nombreux. Les rires, les gazouillis, les débuts de sons, mots désarticulés, les cris de joie qu’elle poussait parfois, ses yeux brillants de plus en plus ouverts sur le monde qu’elle découvre, ses mains agrippant tout ce qui passe…
Mélissa ne pleurait pas tant que ça et faisait plutôt bien ses nuits – des deux, Sylvain restait donc le plus insomniaque. Il arrivait parfois qu’elle éclate en sanglots, évidemment. Et son père, comme iels partageaient la chambre, l’entendait aussitôt.
Une nuit, il se leva, il venait de la nourrir, de la changer, elle n’avait besoin de rien, alors il la berça seulement, à demi-allongé dans le lit, la lampe de chevet comme seule source de lumière. Il était fatigué, mais ça ne changeait pas vraiment de d’habitude.
Sylvain la contempla. Il tenait dans ses mains un corps si fragile, plus fragile que le sien, qui s’assoupissait tout en douceur. Mélissa avait les yeux fermés, sa poitrine se levait et s’abaissait régulièrement, elle respirait calmement, elle s’endormait… et son papa, le pauvre, le cœur fendu en deux, trop sensible pour contenir tout son amour qui n’avait fait que grandir, il pleura. Ce n’était que des larmes qui coulaient, pas de sanglot, heureusement, il aurait eu peur de la réveiller sinon.
Encore quelques minutes et il la déposa dans son berceau, avant d’essuyer ses joues avec un mouchoir. Il avait fait le bon choix, mais il ne savait vraiment, vraiment pas comment annoncer ça aux autres, à Pierre surtout, à ses parents, à sa sœur…
Sylvain tenait souvent sa fille dans ses bras, même s’il ne s’occupait pas vraiment d’elle, mais quand il faisait autre chose. Il aimait tout simplement ça, et elle aussi, à en juger par son calme. Elle était un peu plus turbulente quand elle restait trop longtemps dans son berceau… Il voulait juste l’avoir près de lui, lui parlant de temps en temps – bien qu’il ne fût sûr qu’elle veuille en savoir plus sur sa comptabilité ou sur l’écriture d’un prochain Vultech. Eh oui, il travaillait quand même…
Pierre contacta souvent Sylvain, tout au long de la semaine. Pour des raisons professionnelles, souvent, échangeant sur l’organisation de sa reprise, puisqu’ils avaient un tournage le dimanche même, lui partageant quelques informations, et puis parfois pour discuter et prendre des nouvelles, comme il avait invoqué sa fatigue en tant que raison de son retrait.
Et Sylvain ne lui dit rien, pas un mot sur Mélissa. Parce qu’il n’avait vraiment aucune fichue idée, comment pouvait-il bien annoncer à son meilleur ami qu’il était papa ? Quel mot employer ? Que pouvait-il faire ? Juste lui présenter l’enfant, comme l’avait fait Emma ? Vu sa propre réaction, il n’était pas vraiment sûr que ce soit la chose à faire. Alors il se laissait le temps d’y réfléchir.
Le jeune père prévint sa sœur, en revanche, qui décida de venir rencontrer l’enfant. C’était la première visite que Sylvain reçut depuis que Mélissa était arrivée chez lui. Un mercredi après-midi, tout simplement. Sylvain salua chaleureusement sa sœur, qui lui prêta attention un moment avant de se tourner vers l’enfant. Vexé, le père fit remarquer :
« Je vois que t’étais vraiment impatiente de voir ton frère adoré. Non mais je retiens, Marine, je retiens.
-Oh tais-toi, t’as fait pareil quand je t’ai présenté Malo. J’arrive pas à croire qu’il a une cousine ! s’exclama-t-elle toute heureuse.
-Ah non, ton clebs n’est pas le cousin de ma fille ! s’indigna Sylvain. »
Marine éclata de rire alors que Mélissa tenait fermement son doigt et l’observait avec de grands yeux curieux.
« Si tu veux. En tout cas, j’arrive pas à croire que je suis tata. Coucou Mélissa, comment ça va ? T’es contente de voir tata ? Est-ce que papa t’as parlé de moi ? Tu lui as parlé de moi ? demanda-t-elle finalement en se tournant vers son frère, les sourcils froncés, accusatrice. »
Sylvain éclata de rire à son tour et lui assura que, si, si, il avait bien parlé d’elle à Mélissa. Bizarrement, elle n’y croyait pas.
Le reste de la journée, Marine aida le jeune papa, lui donna quelques conseils supplémentaires, bien qu’elle n’avait pas d’expertise, lui promettant de faire plus de recherches pour lui. C’était son petit frère après tout, elle pouvait bien faire ça pour lui.
La grande sœur avait tout de même une expérience en baby-sitting, qu’elle offrit à Sylvain. Il accepta avec joie. Justement, dimanche…
« Toi et ta manie de bosser le dimanche. Pourquoi vous vous obstinez à organiser vos tournages ce jour-là ?
-Bah, parce que les autres jours, ils bossent dans le garage… répliqua Sylvain.
-Ah oui. Pas con. Bon, eh bien, je viendrais dimanche du coup.
-Merci beaucoup, tu me sauves, la remercia-t-il. »
Il l’enlaça avant de lui dire au revoir.
Dimanche arriva trop vite au goût de Sylvain, qui n’avait pas vu la semaine passer. Il avait quand même réussi à ne pas la finir plus fatigué qu’il ne l’avait commencée, ce qui était une victoire en soit. Il était un petit peu blessé, cependant. Trois fois rien, juste trois doigts.
Mélissa avait réussi à déchirer une de ses peluches en jouant avec, la veille, en l’agrippant alors que son papa la tenait devant elle. Il avait dû la recoudre avec ce qu’il avait, un petit nécessaire de couture qu’il n’avait jamais utilisé…
Et les aiguilles, c’est pointu. Il se la planta tellement dans les doigts qu’il faillit arrêter sous la colère et à cause de la douleur. Il était fragile, lui, il n’était pas fait pour travailler avec ses mains. Mais il alla au bout de sa mission, parce que Mélissa pleurait l’absence de sa peluche préférée et il ne pouvait pas lui dire non. De toute façon, il n’était pas sûr qu’elle comprenne ce que ça voulait dire à bientôt quatre mois.
Sauf que voilà, certaines manipulations avaient laissé des entailles plus profondes, et il avait dû panser son pouce, son index et son majeur pour éviter une infection. Ces pansements, Marine les refit le dimanche matin, avant qu’il ne parte en tournage.
« T’es sûr que c’est une seule aiguille qui t’a fait tout ça ? Tu t’es pas raté, bosseigne, le plaignit-elle.
-Oui, mais à ma décharge maman m’a jamais appris à coudre, se défendit-il.
-A moi non plus et je me charcute pas dès qu’on me met une aiguille dans les mains, répliqua Marine. Arrête de bouger. »
Elle tapa un peu fort sa main et il grimaça mais obéit, essayant de stabiliser sa main.
Marine finit le pansement, mais ne lâcha pas la main de son frère pour autant, la caressant doucement, les yeux dans le vague. Elle réfléchissait, Sylvain ne savait pas à quoi. Il resta silencieux, l’observant, attendant qu’elle parle, quand enfin :
« Tu vas le dire quand aux parents ? Ils vont vouloir voir leur petite-fille…
-Je sais pas. J’aimerais le dire à Pierre avant, avoua Sylvain. Et après organiser la rencontre avec les parents. Peut-être que je pourrais les inviter un week-end ? »
Marine soupira et lâcha sa main, se redressant.
Comme Mélissa commençait à gesticuler là où elle était allongée, sa tante la prit dans ses bras et la fit sautiller contre son flanc. Sylvain sourit dès qu’il la vit et caressa sa joue, la chatouillant doucement.
« Et tu comptes le dire quand à Pierre ? reprit-elle avec un ton de reproches.
-La semaine prochaine, soupira Sylvain, abandonnant son sourire. Je peux pas lui cacher ça plus longtemps… On a une réunion à deux chez lui…
-Je garderais pas la petite. Tu la prendras avec toi et comme ça tu lui diras et tu lui présenteras en même temps, hein ? »
Marine n’avait aucun remords à le forcer ainsi, à le brusquer. Elle savait qu’il avait besoin de ça pour continuer à avancer, alors… Sylvain hocha la tête, les yeux rivés sur son enfant qui semblait vouloir mâchonner ses doigts.
Le jeune père regarda l’heure et se leva immédiatement, récupérant sa veste et son sac.
« Allez, je dois y aller, je vais être en retard sinon. Merci de la garder Ririne, je te revaudrais ça !
-Ouais, c’est ça, file, répliqua la susnommée avec un faux air ennuyé, lui adressant quand même un sourire. »
Il embrassa le crâne de sa fille, qui ne comprenait pas grand-chose, et disparut derrière la porte.
Sylvain arriva presque à l’heure au garage. Pierre était déjà à l’intérieur, en train de mettre en place la caméra.
« Eh bah enfin ! s’exclama-t-il, un peu amer, en lui lançant un bref regard. Déjà que monsieur se prend des vacances surprises d’une semaine, en plus il arrive en retard pour sa rentrée !
-T’exagères, je suis pas si en retard que ça. Et c’était pas des vacances, hein. »
Pierre marmonna quelque chose en réponse tandis que Sylvain allait poser ses affaires dans la pièce à côté.
« Je vais me faire un café, signala-t-il. »
Et son collègue ne répondit pas. Super ambiance…
Sylvain récupéra son café et s’approcha de la porte, mais il fut stoppé par Pierre, qui était là.
« Je vais prendre un truc aussi. Assis-toi, lança-t-il avec un peu plus de douceur. »
Il avait l’air frustré, mais pourquoi ? Ce n’était pas la première fois que son ami arrivait en retard, et il avait justifié ses congés.
Sylvain s’assit et Pierre le rejoignit avec une boisson et un soupir. Pendant quelques secondes, aucun mot ne sortit de leurs deux bouches.
« Pourquoi t’as pris ces congés ? se lança enfin Pierre.
-Je t’ai dit, raison familiale.
-Et tu peux pas m’en dire plus ? »
Pierre leva les yeux vers lui et son ami comprit. C’était l’inquiétude qui le rendait si sarcastique. Ah… Sylvain trouvait presque ça mignon. Il sourit doucement.
« On en reparlera pendant notre réunion, ok ? C’est fait pour ça. »
Pierre hocha la tête, pas satisfait pour un sous, mais il ne dit rien de plus.
Son regard glissa vers les mains de Sylvain et il remarqua les bandages. Il fronça les sourcils, les pointant du doigt.
« Qu’est-ce que tu t’es fait encore ? T’as essayé de resouder ton PC ? De réparer ta plomberie ? De décatalyser toi-même ta caisse ? Te connaissant, peut-être les trois, blagua-t-il pour détendre l’atmosphère. »
Et Sylvain rit, un rire un peu fatigué, en levant sa main pour l’observer.
« Non, je me suis coupé en cuisinant, mentit-il.
-Bordel, tu t’es pas raté, le plaignit Pierre, y croyant. »
Son ami hocha la tête en finissant son café.
Quelques minutes après, le tournage était lancé et l’ambiance était redevenue normale entre eux. Ça faisait du bien à Sylvain, de reprendre son activité et de retrouver Pierre. Même si, il devait se l’avouer, Mélissa lui manquait un peu… C’était difficile de ne rien dire à son meilleur ami, mais non, il ne pouvait pas, il avait passé tout le trajet à imaginer un scénario de rencontre entre les deux qui lui convenait, alors il allait s’y tenir.
Les deux hommes se séparèrent dans l’après-midi, après avoir déjeuné ensemble, et Pierre insista sur son désir de savoir ce qui avait tenu l’autre loin de son travail, qu’il ne pourra pas se défiler pendant leur réunion. Sylvain rit, lui assura qu’il saura tout, et partit de son côté rejoindre sa fille.
Marine l’accueillit avec soulagement, son frère le vit dès qu’elle lui ouvrit la porte.
« Ta fille a pas arrêté de pleurer dès que t’es parti, se plaignit-elle immédiatement. Elle s’est seulement calmé quand je lui ai donné sa peluche… Là elle dort, ne va pas la réveiller. »
Elle pointa un doigt accusateur vers le père, qui sourit seulement en retour.
« J’ai dû lui manquer.
-Clairement. Elle est déjà très attachée à toi, fit remarquer Marine. »
Et le sourire de Sylvain s’élargit. C’était réciproque, il était très attaché à Mélissa… Trop attaché, certains diraient, mais il n’en avait rien à faire. Elle était le soleil de sa vie depuis qu’elle était arrivée.
Sylvain remercia sa sœur et la laissa partir pour qu’elle puisse se reposer. Il allait prendre le relais. Enfin, pour l’instant, il allait surtout laisser son bébé dormir, et peut-être qu’il pourrait faire deux-trois parties de Warzone en attendant…
Le jeune papa joua alors en attendant que sa fille se réveille, ce qu’elle fit après cinq parties. Il arrêta donc le jeu et rejoignit la chambre, où elle dormait. Enfin, elle pleurait maintenant, et il grimaça un peu aux sons stridents, mais ça ne l’empêcha pas d’approcher et de la prendre dans ses bras.
« Tu dois avoir faim ma chérie, lui dit-il quand même elle ne comprenait rien, on va te préparer un biberon, hein ? »
La tenant fermement contre son flanc, il l’emmena dans la cuisine, où il prépara le biberon sous les yeux fatigués et à peine ouverts de la gamine qui geignait faiblement.
Avec une seule main, c’était compliqué, mais il s’en sortait. Sylvain le laissa chauffer, puis testa la température sur sa peau. Comme elle était suffisante, il s’installa dans le canapé pour lui donner. Mélissa agrippa le récipient en buvant avec application sous le regard adorateur de son père. Il s’en fichait que ce soit salissant, il s’en fichait que ça puisse être fatiguant, il aimait juste contempler l’enfant apprendre de nouvelles choses et sa simple existence le remplissait de joie maintenant, après trois mois à ignorer son existence.
Une fois que la gamine fut rassasiée, il la garda contre lui, jouant avec elle et lui parlant. Il essayait de garder un registre normal, parce que Marine lui avait dit que c’était mieux, et discutait souvent avec elle. Enfin, il jacassait tout seul, quoi. Mais Mélissa savait très bien écouter !
« Regarde-toi, Pierre pourra pas m’en vouloir quand il te verra. T’es trop mignonne, il va juste tomber en adoration lui aussi. »
Et comme il s’était mis à la chatouiller, elle éclata de rire. Un rire de bébé, un peu dissonant, sans contrôle aucun des cordes vocales, mais terriblement beau et sincère. Sylvain adorait l’entendre, ça et ses babillements récents.
Sylvain passa les jours suivant à travailler de chez lui et à s’occuper de sa fille. Il commençait à tenir un bon rythme, à trouver de nouvelles habitudes dans son quotidien renversé. Ce n’était pas simple, il se sentait beaucoup perdu, très stressé, un peu mauvais, mais Marine venait l’aider un jour sur deux à peu près, après le boulot.
Pierre commençait à se douter de quelque chose, son ami le savait. Oh, il ne comprenait certainement pas à quel point sa vie avait changé en si peu de temps, mais il y avait de nombreux indices d’un quotidien perturbé.
Et l’ultime indice, Sylvain était sur le point de lui donner en la forme d’un bébé de cinq kilos qu’il porterait dans ses bras. Il était maintenant garé devant chez lui, le siège auto juste à côté sur le siège passager, Mélissa à moitié endormie dedans. Il la réveilla avec des caresses sur les joues, jouant avec ses petites mains, essayant surtout de reculer le moment fatidique. Le sourire de l’enfant était si radieux, et la façon qu’elle avait de gesticuler… Il était vraiment sous le charme, Pierre le charrierait s’il le voyait.
En parlant de lui, Pierre se tenait dans l’encadrement de la porte d’entrée, observant la voiture garée devant chez lui, attendant que son propriétaire en sorte… ce qu’il fit. Mais au lieu de le rejoindre directement, il fit le tour de la voiture et ouvrit la portière côté passager, se penchant à l’intérieur. Il était fébrile, ses mains tremblant doucement, mais ça ne l’empêcha pas de saisir Mélissa et de la tenir contre sa poitrine. Il ferma la portière et rejoignit son collègue en évitant soigneusement son regard.
Sylvain passa devant l’autre homme, s’apprêta à rentrer, mais fut arrêté par une main attrapant sa manche. Il se stoppa, déglutit et se retourna au son de la voix de son ami :
« Sylvain ? C’est qui ? »
Il pointa l’enfant, une espèce de panique dans le regard.
« Mélissa, répliqua l’autre. On peut rentrer se poser et je t’explique ? »
Pierre resta bouche bée, les yeux rivés sur la gamine.
Son ami entra et il le suivit précipitamment, refermant la porte en la claquant. Ça ne plut pas le moins du monde à Mélissa qui en fut effrayée et se mit à geindre.
« Merde ! Pardon ! s’excusa Pierre qui ne savait comment réagir.
-C’est pas grave, mais évite les gros mots s’il te plaît, lui demanda poliment Sylvain. »
Il consolait déjà sa fille, avec des mots rassurants et des sautillements pour la bercer. Pierre l’observa faire, abasourdi. Il n’arrivait pas à réfléchir parce que bordel, pourquoi son meilleur ami tenait-il une enfant ?
« Elle est à qui ? demanda-t-il finalement. Tu la gardes pour quelqu’un ? »
Ah, voilà les questions qui fâchaient.
Sylvain ne répondit pas tout de suite. Il s’assit dans le canapé en saluant Oslo, le chien de Pierre, et en l’éloignant du bébé qu’il essayait de saluer avec l’excitation propre aux canidés. Il faisait exprès de se concentrer dessus et pas sur l’autre homme, parce qu’il était complètement paniqué et avait oublié tout ce qu’il avait préparé pour ce moment.
Pierre comprit le message et éloigna son chien, jouant avec pour dépenser son énergie avant de le faire sortir quelques minutes plus tard. Puis il s’assit à côté de Sylvain et observa l’enfant, qui tourna son regard marron vers lui, découvrant cet inconnu pour la première fois.
« Sylvain, elle est à qui ? répéta-t-il en tournant le regard vers son homologue. »
Ce dernier lui jeta enfin un regard en se mordant l’intérieur des joues. Il croisa deux yeux durs, qui réclamaient une réponse rapide, alors il soupira et obéit :
« C’est ma fille… Écoute, attends, je vais t’expliquer, le coupa-t-il avant qu’il n’explose, parce qu’il le sentait venir. C’est mon ex qui a accouché, il y a presque quatre mois. Elle m’avait rien dit parce qu’elle avait refait sa vie mais ça s’est mal passé. Elle pouvait pas la garder, alors elle m’a appelé en dernier recours.
-Sympa de te refiler la patate chaude après te l’avoir cachée pendant des mois, commenta sarcastiquement Pierre. »
Mais il se prit un regard énervé de Sylvain, qui le reprit :
« Je lui en veux pas, elle a fait ce qu’elle a pu, alors ferme-la si t’as envie de l’insulter. C’est mieux que de dire des conneries. »
Sa voix était ferme et n’acceptait aucune contradiction. Son ami l’avait rarement vu ainsi.
Pierre baissa les yeux, peu fier, mais les releva en entendant la voix de Mélissa. Elle tendait une main vers lui. Il la prit tout doucement, avec un petit sourire, en silence, et il laissa l’enfant serrer son index. Elle avait des mains si petites, et déjà si fortes à en juger par la pression qu’elle exerçait sur lui. Il rit doucement, retenant une blague – il sentait toujours l’énervement de Sylvain, ce n’était pas le moment. Il devait plutôt s’excuser.
« Pardon. Je voulais pas l’insulter… mais quand même, de ce que je comprends tu es seul, comment tu fais ? »
Et Sylvain comprit que c’était de l’inquiétude, mal communiquée certes.
Avant de répondre, le jeune papa attira l’attention de sa fille en l’appela et en caressant son visage avec son pouce.
« Emma aussi l’a élevée seule un temps, après s’être fait larguée dans une relation abusive. Elle en a fait une dépression… Elle me l’a confiée pour l’aider. »
L’émotion s’était incrustée au fond de sa voix et avait noué sa gorge. Pierre resta silencieux, toujours plus honteux, en comprenant peu à peu l’histoire. Il laissa son ami vider son sac.
« On a pas mal discuté, pendant qu’on préparait les papiers. J’ai été la reconnaître et changer son nom, pour qu’elle ait le mien. Emma ne veut plus rien avoir à faire avec elle pour l’instant, elle est à l’hôpital. Ça a juste été une très mauvaise expérience pour elle, mais pas à cause de Mélissa. Elle voulait l’épargner justement… »
Pierre hocha la tête et se rapprocha de Sylvain, les yeux toujours fixés sur le bébé qui souriait et riait aux grimaces de son père.
Ça le calmait, le pauvre Sylvain, d’interagir avec sa fille sans prêter attention au monde autour. Tout était tellement stressant et elle, elle était là, juste contente de le voir. Son cœur à lui battait trop fort, ses mains étaient trop moites, ses nerfs trop à vif. Il avait juste envie de pleurer, mais de quelle émotion ? Il n’en était même pas sûr. Tout ça le rendait triste, heureux, frustré et en colère, le dégoûtait et le réjouissait, il aimait Mélissa et détestait ce qui était arrivé à Emma, il avait peur de ne pas réussir comme elle…
« Je peux la prendre ? »
Pierre avait suivi le fil de ses pensées à travers la crispation de ses mains et l’inconfort du bébé, dont le visage se tordait, dont les cordes vocales poussaient de petits sons plaintifs… Sylvain la relâcha en s’en rendant compte et laissa son ami la prendre sur ses genoux, la suivant du regard.
Pierre savait s’y prendre avec les enfants. Il y en avait dans sa famille, qu’il voyait souvent et dont il s’occupait. Sylvain n’avait aucun doute sur ses capacités, non. C’était de lui qu’il doutait, de ses capacités. Il aurait pu blesser Mélissa, à s’aventurer dans ses pensées les moins joyeuses ainsi.
« Je suis désolé de pas avoir été là, reprit finalement Pierre, peiné. Mon pauvre, t’as l’air d’avoir accumulé plus de stress qu’autre chose…
-Je suis un peu stressé, ouais, acquiesça son interlocuteur en se rongeant les ongles, recroquevillé maintenant que ses bras étaient libres. »
Il avait l’air si frêle comme ça, se dit Pierre. Comment pouvait-il être papa ? Avoir la force de s’occuper seul de cette terreur sans voler en éclats ? Ça le dépassait et le fascinait tout à la fois. Et plus il regardait cette petite, si angélique, plus il interagissait avec elle, la faisait rire et sourire avec des chatouilles et des jeux, plus il entendait sa voix naissante et ses yeux éveillés, plus la certitude grandissait en lui : il devait aider Sylvain. Il ne pouvait pas le laisser seul dans cette aventure, ça le briserait.
« Tu as de l’aide ? demanda-t-il alors.
-Marine vient m’aider de temps en temps, mais elle pourra pas continuer longtemps. M’enfin, c’est sa nièce, mais ça demande trop de boulot et c’est pas son rôle d’être un co-parent ou je sais pas quoi… »
Et il se recroquevilla un peu plus sur lui-même, croisant les jambes.
Sylvain était tout de même embarrassé de demander autant d’aide à sa sœur, qui n’avait rien demandé et n’habitait pas la porte à côté non plus. Elle avait un foyer, elle aussi, un travail, des obligations, des responsabilités… Il se sentait mal de lui en réclamer autant, même s’il ne l’avait jamais forcée.
« Je vais t’aider, lança Pierre avec un sourire, comme si ce n’était rien. Elle a besoin d’adultes autour d’elle. »
Il souriait parce que Mélissa venait d’attraper sa barbe. Elle faisait cela de plus en plus souvent, attraper tout ce qu’il y avait à sa portée, et apparemment ça faisait rire le porteur de ladite barbe.
Sylvain regarda Pierre tout à coup, étonné. Il se demanda un instant s’il avait bien entendu, si ce n’était pas son cerveau angoissé qui venait de lui jouer un tour, mais non, Pierre était en train de jouer avec sa fille et venait de lui proposer de l’élever avec lui. Enfin, de l’aider à cela. Il ne fallait pas qu’il surinterprète.
« Tu ferais ça ? demanda-t-il d’une petite voix. Enfin, je veux pas t’embêter, t’habites pas à côté de chez moi non plus…
-Vous pourriez venir passer une ou deux nuits chez tonton Pierrot, elle pourra même avoir sa propre chambre ! proposa-t-il avec entrain. »
Et alors Sylvain éclata de rire, parce que c’était absurde, parce que c’était émouvant, parce que ça lui faisait du bien.
Pierre ne comprit pas et lui lança un regard interrogateur alors que son ami riait aux éclats à côté de lui, se tenant le ventre.
« Ecoute toi, « tonton Pierrot », tu viens à peine d’apprendre que j’ai une fille et t’es déjà à fond. »
Ses rires cessèrent peu à peu et il tomba contre le dossier du canapé, avachi. Pierre s’écarta pour pouvoir se tourner vers lui, un sourire coupable sur le visage.
« Oui bah c’est pas ma faute, elle est trop mignonne aussi !
-Je sais, moi non plus j’ai pas pu résister, répliqua-t-il avec un sourire mi-fatigué mi-épanoui. »
Il passait d’une émotion à l’autre à la seconde, ce qui attira l’attention de Pierre et l’inquiéta. Il ne l’avait jamais vu aussi fatigué…
Pierre tourna la question dans sa tête, peu sûr de la formulation, de la manière dont elle sera accueillie, avant de se décider :
« Comment tu tiens le coup, moralement ? »
Sylvain se redressa, surpris, et observa son ami avec des yeux hagards. Puis son regard tomba sur Mélissa, qui jouait avec les lunettes de Pierre, laissant plein de petites traces de doigts sur les verres. Il lui retira de la bouche quand elle essaya de les mâchouiller avec un petit rire.
« Je sais pas, honnêtement, répondit-il finalement. Aucune idée. Marine m’aide mais… je suis un peu d’accord, c’est pas une bonne idée de me laisser l’élever seul. »
Son interlocuteur lui lança un regard peiné, entre inquiétude et tendresse, et posa une main sur son épaule.
« Je vais t’aider. »
C’était une affirmation qui n’appelait aucune contestation. Sylvain n’en avait pas la force de toute façon.
Celui-ci se laissa tomber contre le flanc de son ami, les yeux fixés sur l’enfant toute heureuse d’avoir un nouveau compagnon de jeu. La main de Pierre glissa vers son autre épaule, il l’enlaça en silence, tenant toujours la petite de son autre main.
« Merci, murmura Sylvain au bout d’un moment. Merci beaucoup Pierre. »
Le susnommé caressa son bras doucement, voulant le rassurer. Il pouvait sentir son anxiété paternelle d’ici et il le comprenait. Il n’avait jamais pu se préparer à avoir un enfant dans les bras, il avait été lâché dans la cage aux lions, comme ça, seul, et il ne revenait qu’à lui d’assurer. Plus maintenant. Pierre était entré dans l’arène, prêt à le rejoindre dans la galère.
Plongé dans ses pensées, alors que Mélissa essayait en vain d’attraper son pull, il se mit à réfléchir. Oh, pas à grand-chose, des pensées pragmatiques avant tout à propos du bébé qu’il tenait. Puis il brisa le silence, s’adressant au papa qui somnolait :
« Mais t’as pas de baignoire, chez toi… Comment tu fais pour le bain ? »
Sylvain marmonna quelque chose et se frotta les yeux. Il bâilla, s’étira un peu, prit son temps pour comprendre la question avant de répondre :
« Avec Marine, on a trouvé une bassine. C’est pas l’idéal mais ça aide.
-Si tu veux lui donner le bain dans ma baignoire, y’a pas de soucis, hein. »
Le papa leva la tête vers lui, s’écartant légèrement pour ne pas être trop prêt, un petit sourire sur le visage.
« Merci. »
Pierre ne put s’empêcher de rire, voyant bien sur le visage de son ami l’étendue de sa fatigue. Il ne pouvait pas le laisser comme ça.
Pierre retira son bras des épaules de Sylvain, qui aurait bien voulu que le contact se prolonge pourtant, et redressa Mélissa contre lui. Elle put enfin attraper le tissu tant convoité, et l’agrippa donc de toutes ses forces de bébé.
« Va faire la sieste, je m’occupe d’elle, lança Pierre à son homologue. »
Ce dernier ne réagit pas tout de suite, se frottant encore les yeux. Le coup de barre était terrible pour lui.
« Tu as mis ses affaires où ? insista Pierre avec un sourire en coin.
-Elles sont restées dans la voiture, je crois. J’y vais. »
Réagissant enfin, Sylvain se leva et sortit de la maison. Pierre se retrouva seul avec la petite fille.
Mélissa tenait toujours fermement le pull de l’homme, il le sentit quand il essaya de la changer de position. Elle protesta d’ailleurs avec un petit cri, comme si elle allait se mettre à pleurer, alors il la garda contre sa poitrine, tenant sa nuque et son dos, appliquant des petites caresses du pouce.
« Hey, il faudra que tu me lâches un jour, tu sais. Je vais devoir te rendre à ton papa, quand il aura fini sa sieste… »
Il ne parlait pas très fort, comme s’il allait blesser les oreilles délicates de l’enfant avec sa voix, et joua la déception sur la dernière phrase. Elle lui répondit par un son, sûrement involontaire.
Pas découragé par son début de discussion avec Mélissa, il réessaya de la changer de position, parce qu’elle lui faisait mal comme elle était. Elle geignit encore, moins fort, et il aperçut une grimace sur son visage.
« Hey, ça va aller, y’a pas à pleurer comme ça ! Je vais te laisser me le déformer, mon pull, mais tu pèses sur ma jambe là. Ton papa te nourrit bien. »
Il la cala de nouveau contre lui, contre sa poitrine, et elle s’apaisa. Il souffla, rassuré qu’elle ne se mette pas à pleurer.
Sylvain entra de nouveau, un sac à la main, le siège auto dans l’autre, et posa le tout à côté du canapé. Il regarda Mélissa et Pierre, juste un instant, attendri.
« Je vois que ça se passe bien ici.
-Ouais, plus besoin de toi, répliqua Pierre. Tu peux aller te coucher. »
Il avait gardé un peu de mesquinerie dans sa voix, mais il était sérieux : il voulait qu’il se repose.
« Mais… et la réunion ? demanda le pauvre homme d’une petite voix.
-On la fera quand tu seras capable d’ouvrir les yeux plus de cinq minutes. Prends mon lit, celui de la chambre d’ami n’est pas fait. »
Sylvain resta figé quelques secondes, les yeux plongés dans ceux de Pierre, le temps que l’information monte à son cerveau. Il acquiesça doucement et se pencha pour embrasser le crâne de Mélissa. Celle-ci leva la tête et lâcha enfin le pull de Pierre, claquant sa main contre la joue de son père.
« Doucement Mélou, rit-il doucement en attrapant sa main. »
Il la caressa doucement, ne la lâchant pas du regard avec un grand sourire.
Pierre le laissa faire avant de le repousser doucement, d’une main. Il ne plia pas face à l’expression indignée de son ami.
« Tu m’éloignes de ma fille ?!
-Oui, va te coucher, ordonna-t-il avec un peu plus d’autorité.
-Je savais que t’allais me la voler ! Sal- méchant ! se corrigea-t-il de justesse. »
Ils éclatèrent tous les deux de rire, avant que Pierre ne lui fasse une nouvelle fois signe de partir.
Sylvain obéit enfin, non sans soupirer. Il adressa un dernier au revoir à sa fille – décidemment, il avait du mal à la quitter – puis à Pierre, et sortit de la pièce. Il longea le couloir jusqu’à la chambre de son ami, y entra, retira seulement son jean. Enfin, il put se glisser dans les draps, le cœur battant un peu trop fort. Maintenant qu’il était seul, son cerveau ne pensait qu’à l’acceptation si facile et rapide de Pierre, à sa volonté d’aide, à sa détermination. Il lui en était redevable, ça le rendait plus heureux que jamais, plus serein aussi. Il se sentait mieux et pouvait maintenant dormir sur ses deux oreilles… s’endormir fut rarement aussi simple.
Pierre fit rentrer son chien, qui était allongé près de la baie vitrée, et lui présenta l’enfant maintenant qu’il était plus calme. Il essaye à nouveau de la lécher, ce qui fit bien rire Mélissa, mais le maître le disciplina un peu. Ce n’était pas sa fille, il voulait faire attention…
L’homme se rassit dans le canapé ensuite, au fond, et se mit à jouer avec Mélissa. Oslo grimpa sur le canapé à côté d’elleux et les observa, assis, alerte. Pierre avait rarement vu son chien ainsi. Quand la petite bougeait un peu trop, qu’elle versait d’un côté ou de l’autre, l’animal avait des sursauts ou avancer le museau, sans vraiment la toucher. C’était fascinant à observer pour l’adulte, surtout en sachant son chien jeune et particulièrement énergique.
Après quelques dizaines de minutes de jeu, Mélissa commença à montrer des signes de fatigue. Pierre le comprit facilement et, la tenant allongée dans ses bras, il se leva pour la bercer en faisant les cent pas dans la pièce.
« Eh bien, comme ton papa, hein ? Allez, tu vas faire un gros dodo… »
Il avait une voix douce, un peu plus aiguë qu’habituellement, le même timbre que lorsqu’il parlait à Oslo, mais avec une intonation moins enjouée.
« Bon, faudra m’excuser, j’ai que ton siège auto pour te laisser dormir, monologua-t-il. Mais promis, je vais corriger ça. Tu verras, tu seras super bien dans la deuxième chambre. Et puis t’auras de la place, hein. Oh et puis m- mince, je vais te garder dans le salon pour aujourd’hui. Ton père va me chier une pendule s’il remarque que je t’ai laissée seule, je pense. Puis bon, je veux pas que quoique ce soit t’arrives. Tu vas faire la sieste avec tonton Pierrot, du coup, ça te va ? De toute façon, t’as pas ton mot à dire, comme ça c’est réglé… »
Il sourit à la fin de sa tirade : Mélissa s’était endormie au son de sa voix.
Pierre la déposa donc dans le siège auto, qu’il garda à terre, au pied du canapé. Oslo se déplaça immédiatement, quittant les coussins moelleux pour la dureté du sol, s’allongeant en boule juste à côté de l’enfant. Son maître ne put s’empêcher de sourire en voyant la loyauté de l’animal envers Mélissa. Rien ne pouvait arriver à cette gamine, avec cette protection.
L’homme s’installa devant la télévision et l’allumant, vérifiant brièvement que ça ne réveillait en rien Mélissa. Et pendant que l’appareil fonctionnait, il traina sur son téléphone, pendant une heure environ. Après quoi, il entendit du mouvement à ses pieds et remarqua que le bébé était réveillé et avait déjà la bougeotte.
Pierre sortit la petite de son siège et la tint contre lui à nouveau. Il se leva ensuite, soucieux.
« Je crois qu’il y a un truc à changer, là. Enfin, je le sens, précisa-t-il. »
Il récupéra le sac de Sylvain et se rendit dans la salle de bain pour changer Mélissa. Ce n’était pas la première fois qu’il s’occupait d’un bébé, aussi il n’eut pas besoin d’aide ou de mode d’emploi et l’affaire fut pliée en peu de temps…
Mais Mélissa n’était toujours pas à l’aise, et elle le fit savoir, geignant à nouveau. Ce n’était pas des pleurs et Pierre en était reconnaissant, il ne voulait pas que Sylvain se réveille. Il essaya de la faire sautiller dans ses bras, pour la calmer, se demandant quelle était la raison de son inconfort. Et puis il vit dans le sac un biberon et comprit : elle était sûrement affamée, la pauvre…
Pierre amena le nécessaire dans la cuisine et déposa Mélissa dans son siège le temps de préparer son biberon. Elle ne cessa pas de geindre, même quand Oslo s’approcha curieusement d’elle, penchant la tête sur le côté en l’observant. L’homme essaya de se dépêcher, de préparer le biberon avant que les pleurs n’éclatent – ce qui était stressant, comme une minuterie incontrôlable. Si Sylvain vivait cela au quotidien, pas étonnant qu’il fût aussi crevé.
Enfin, Mélissa put se nourrir, prostrée dans les bras de Pierre, recevant le biberon de sa main. Elle se calma rapidement au contact du liquide et ne voulait plus lâcher la tétine, au grand dam de celui qui s’occupait d’elle et qui voulait éviter un renvoi. Il ne savait pas comment son émétophobie y réagirait, sinon.
Finalement, il n’y eut pas de problème et Pierre put nettoyer ce qu’il avait utilisé avant de récupérer la petite dans ses bras, jouant avec elle, lui souriant, faisant des grimaces… Elle était toute joyeuse et riait, agitant ses petits bras. Oh, comme il aimait s’occuper d’elle…
Peu de temps après, Sylvain émergea enfin du couloir, ayant fini sa sieste. Ses yeux étaient toujours cernés, ses paupières à peine ouvertes, et ses cheveux étaient en bataille. Il n’avait pas l’air d’aller beaucoup mieux qu’avant ses presque deux heures de repos.
Son ami retint un rire en le voyant arriver, remarquant les traces du tissu sur sa peau rougie et son air endormi.
« Eh bien, regarde qui voilà Mélissa ? C’est ton papa qui s’est réveillé ! Enfin, presque… »
Sylvain s’assit à côté d’elleux sur le canapé, frottant ses yeux.
« Pu—rée Pierre, je suis désolé, ça a vachement retardé notre réunion… s’excusa-t-il d’une petite voix. »
Il bâilla et s’étira vers l’avant.
En entendant la voix de son père, Mélissa se tourna vers lui et tendit une de ses mains, cherchant son contact. Il ne le remarqua pas comme il était encore en train de se réveiller, alors Pierre réagit :
« Sylvain, ta gamine veut aller dans tes bras. »
Le susnommé ne put s’empêcher de sourire à l’entente de la phrase avec un peu d’émotion. Il avait décidément du mal à s’y faire. Pas grave, ça le rendait tellement heureux de toute façon…
Sylvain passa ses mains sur celles de Pierre et souleva l’enfant. L’autre homme accompagna le geste, pour la sécurité du bébé, et ne la lâcha que lorsqu’il fut sûr de la poigne du père.
« Elle a mangé et je l’ai changée, l’informa Pierre.
-Oh c’est vrai ? demanda son ami avec étonnement, sa voix partant dans les aigus. Merci Pierrot, t’es le meilleur. T’as pas trop galéré à trouver tout ce qui te fallait ? »
Tout en parlant, Sylvain installa confortablement Mélissa sur ses genoux.
Celle-ci se mit à agripper son visage et jouer avec, rigolant par moment quand il réagissait par des grimaces. Pierre les observa avec tendresse et un petit brin de fierté, de voir son meilleur ami devenir un si bon père.
« Nickel, c’était pas trop compliqué non plus. Je sais fouiller tu sais !
-Ah ouais, ça fouille dans mes affaires persos pendant que je pionce, blagua Sylvain. »
Ils rirent puis son interlocuteur se défendit :
« Ça va, on partage déjà plein de trucs ! Genre un bébé… »
Il pointa Mélissa avec un rire, mais son ami devint plus sérieux tout à coup, un peu pensif.
Pierre s’inquiéta du silence soudain. Est-ce qu’il avait fait une connerie en s’appropriant déjà le gardiennage de Mélissa ? Sylvain venait de lui dire après tout…
« Désolé, c’est toujours ta fille, je suis pas en train de dire que je suis le p—
-Non, c’est pas ça, le coupa Sylvain une fois sorti de ses pensées. Ça me fait juste un peu bizarre de me dire que j’ai une fille, et en même temps je suis pas tout seul. J’ai tellement redouté de te le dire et tu l’as tellement vite acceptée… »
Il eut un sourire humide, comme s’il était prêt à pleurer, alors Pierre l’enlaça pour l’en empêcher – il pourrait bien pleurer aussi. Faire dans le sentimentalisme à son réveil avait été une mauvaise idée, ajouta Pierre dans ses pensées avec une grimace, il était encore plus vulnérable.
Les hommes se quittèrent peu de temps après, parce qu’il faisait nui et tant pis pour cette réunion. Mais la séparation ne fut pas longue : deux jours plus tard, Sylvain revint chez son ami avec tout le nécessaire de bain de Mélissa. Il était vrai que la bassine achetée d’abord devenait trop petite, l’enfant n’était pas confortable dedans, il lui fallait le grand bain…
Pierre les accueillit avec joie, jouant avec Mélissa pendant que son père mettait tout en place dans la salle de bain. Il était debout dans le couloir, face à la petite pièce, Oslo en chien de garde à ses pieds.
« C’est bon. Pas trop chaud, pas trop froid… lança-t-il en secouant sa main qu’il venait de plonger dans l’eau. Tu me l’amènes ? »
Pierre acquiesça en enjamba le chien et déposa l’enfant dans les bras de son père, tout en douceur.
« Voilà, je te la laisse et je vais préparer l’apéro en attendant ! s’exclama Pierre avec un petit sourire en coin. »
Il se doutait que ce genre de choses était étranger au nouveau quotidien de son ami. Mais il avait besoin de se détendre, enfin ! Il quitta donc la pièce, laissant Sylvain donner le bain à Mélissa.
Oslo resta devant la porte de la salle de bain, pleurant pour rentrer – ce à quoi Pierre consentit quand il eut l’aval de l’autre homme. Et il retourna dans sa cuisine préparer cet apéritif promis.
Oslo s’assit derrière Sylvain, l’observant ainsi que Mélissa. Il l’avait déjà déshabillée et il commença à la plonger dans l’eau, pas très haute et un peu mousseuse. La petite gazouillait, toute heureuse de pouvoir toucher la mousse et taper dedans avec de grands gestes imprécis qui éclaboussaient son père.
« Mélou, ma chérie, tu me fous mon t-shirt en l’air là… »
Mais elle ne comprenait rien, la petite Mélou, alors elle continuait tout en riant, et Sylvain ne put s’empêcher de la rejoindre dans son hilarité.
Il se décida à enlever son haut au bout d’un moment. Il était trop mouillé, lui collait à la peau, il n’aimait pas ça… Une fois torse nu, il reprit sa besogne, à savoir laver sa fille qui ne se laissait décidément pas faire. Elle gigotait dans tous les sens, essayait de se déplacer même si elle ne savait pas encore comment faire, attrapait tout ce qui lui passait sous la main…
Le bain fut donc long, très long. Sylvain fut seulement fier d’avoir évité la catastrophe et qu’il n’y ait pas trop d’eau sur le sol. Il sortit Mélissa de la baignoire et l’enroula rapidement dans une serviette qui avait attendu sur le radiateur de la salle de bain, pour qu’elle soit suffisamment chaude. Il avait trop peur qu’elle attrape froid…
Sylvain sécha donc sa fille minutieusement, veillant à ne pas irriter sa peau si douce, la faisant rire de temps en temps juste comme ça, pour entendre les éclats stridents encore une fois. Elle ne contrôlait pas ses cordes vocales, et c’était sûrement le plus adorable dans tout ça… Il s’était assis sur les toilettes dont la lunette était fermée pour cela, gardant l’enfant sur ses cuisses.
Il prit son temps, parce qu’il aimait bien la voir sourire, emmaillotée dans une serviette, avant de lui enfiler son pyjama. Oh, il était bien trop fan de sa propre fille… Mais il n’en avait rien à faire. Elle lui apportait trop de joie pour ne pas l’aimer inconditionnellement.
Le père dut bien habiller l’enfant, au bout d’un moment. Il le vêtit d’un pyjama simple bicolore et la cala contre sa poitrine avant de sortir de la salle de bain. Immédiatement, Oslo les suivit en trottinant.
Quand iels arrivèrent dans le séjour, où se trouvait Pierre, celui-ci se figea, ses yeux rivés sur son ami.
« Elle t’as arraché ton t-shirt ou quoi ? blagua-t-il. »
Sylvain installa Mélissa dans la chaise haute qu’il avait apportée.
« Non, elle l’a trempé en jouant, répliqua-t-il. Elle trouve ça vachement amusant, l’eau qui vole. Surtout quand c’est sur papa, hein ? »
Il toucha le bout du nez de l’intéressée en lui souriant. Pierre rit.
« Si j’avais su que c’était ce qu’il fallait faire… »
Son ami se redressa tout à coup, lui jetant un regard de reproche amusé. Pierre leva les mains avec un air innocent.
« La ferme, toi, l’admonesta-t-il. »
Et Pierre la ferma alors, non sans un nouveau rire.
Mais c’était trop tard. Le cerveau et le cœur de Sylvain avaient déjà réagi au commentaire, une perche tendue pour lui : la chaleur engourdit ses muscles, les battements de son cœur s’accélère un peu, son imagination s’égare. Quand est-ce la dernière fois qu’il avait imaginé un corps contre le sien ? Mais… à quoi pensait-il enfin ?! Pierre venait seulement de lui faire une blague. N’empêche que lui le prenait comme un compliment, parce que ça faisait longtemps, ça lui manquait un peu. Il se laissa tomber sur une chaise, tout pensif, sous le regard de Pierre.
Sylvain se mit à tapoter un drôle de rythme sur la table, du bout des doigts. Il était silencieux, un moment de repos après les efforts lors du bain – il aimait ces moments, mais ça ne voulait pas dire que ce n’était pas fatiguant.
Soucieux, son ami lui présenta le saucisson qu’il avait coupé, laissant la planche à équidistance entre eux deux.
« Tu veux boire quoi ? questionna-t-il pour rompre le silence. Il doit me rester du pastis, je pense.
-Ah non, pas d’alcool, refusa-t-il poliment, levant la main. Mais je veux bien un Coca, ça va peut-être me réveiller… Je sais pas ce que j’ai, mais j’ai un gros coup de bar là… »
Il se frotta les yeux avec un soupir.
Mélissa, laissée sans attention trop longtemps à son goût, comment ça à taper du poing sur sa chaise haute. Son père ne réagissait pas, alors elle frappa plus fort. Il finit par se redresser, lui sourire, et tendre les mains vers elle.
« D’accord, d’accord, princesse, tu vas venir sur mes genoux. »
Il la sortit de sa chaise haute et la cala contre lui.
Pendant ce temps, Pierre était allé cherché une bouteille de Coca-Cola et deux verres, qu’il remplit en reprenant la conversation :
« Alors, ça s’est bien passé le bain ? A part le raz-de-marée sur ton t-shirt.
-Nickel. C’est vrai que c’est vachement plus pratique, merci… »
Sylvain lui lança un regard reconnaissant, bien que fatigué.
« Et Mélou s’est bien amusée, poursuivit-il. Hein, ma chérie ? »
Il baissa la tête vers elle et attrapa sa main pour la secouer, la faisant rire.
« Si t’as besoin d’aide pour le bain, la prochaine fois, n’hésite pas, proposa Pierre. T’as l’air claqué là…
-C’est pu—rée de fatiguant, ouais. »
Sylvain reporta son regard sur son ami avec un sourire.
Pierre attrapa son verre et en but quelques gorgées. Quand il le reposa, il prit quelques tranches de saucisson et les mangea.
« Je suis désolé que ça chamboule autant notre emploi du temps, s’excusa Sylvain après quelques secondes. »
Son ami fronça les sourcils.
« Bah c’est normal, répliqua-t-il avec simplicité. Et puis on a des épisodes d’avance et on n’a pas totalement arrêté non plus. On s’en sortira. C’est important la vie de famille, aussi. »
Disant cela, Pierre étendit le bras vers Mélissa et caressa sa joue, soulignant qu’il parlait d’elle.
Sylvain observa son ami faire avec une drôle d’impression. Oui, il avait raison, la vie de famille était importante. Restait à définir ce qu’était la famille pour lui, Sylvain Levy. Mélissa en faisait partie la première, bien sûr, et ensuite ? Il savait qu’il se mentirait à lui-même s’il disait que ce n’était qu’elleux deux. Non, Pierre était trop présent pour le virer de l’équation. De quoi Sylvain pouvait-il le qualifier, de tonton ? L’intéressé avait lui-même utilisé ce mot, après tout. Mais au fond de lui, l’autre homme savait que c’était encore inexact. Il n’y avait qu’à observer la façon que son ami avait d’interagir et de s’occuper de l’enfant.
Et Sylvain profitait de lui, de sa présence, si réconfortante et nécessaire. Où en serait-il sans lui ? Peut-être dans le même état que la mère… Il avait quelque chose qu’Emma n’avait pas : un soutien indéfectible et quotidien, ce qu’il aurait pu lui donner si les aléas de la vie ne les avaient pas séparés.
Il s’en voulait parfois, regrettait de ne pas être resté avec elle. Elle était sa dernière relation sérieuse. Entre-temps, il n’avait eu que quelques rendez-vous qui n’avaient mené à rien. Depuis que Mélissa était dans sa vie, plus rien. Il aspirait parfois à cette vie de famille stable, pour la petite : Sylvain, Emma, Mélissa. C’était plus simple, mais surtout impossible, il le savait.
Pierre n’avait cessé de jouer avec Mélissa, jusqu’à ce qu’il remarque l’absence de son ami. Il leva les yeux vers lui, exagérément penché sur la chaise qu’il avait déplacée pour se rapprocher.
« A ton avis, ton papa pense à quoi ? demanda-t-il à Mélissa, qui ne comprenait toujours pas. »
Et Sylvain non plus ne sembla pas comprendre. Son homologue passa une main devant ses yeux.
« Allô la terre, est-ce que vous me recevez monsieur Levy ?
-Hein ? »
Sylvain sursauta, clignant plusieurs fois des yeux. Il se redressa et raffermit sa prise sur sa fille. Pierre rit.
« Eh beh, t’étais parti loin. Qu’est-ce qui te préoccupe comme ça ?
-Toi, répliqua son interlocuteur sans trop y réfléchir. »
Ça, c’était une surprise.
Pierre se rassit correctement sur sa chaise, les sourcils froncés. Peut-être son cœur avait-il raté un battement, mais il ne l’avouerait jamais.
« Pardon ? »
Sylvain mit quelques secondes à réaliser et clarifia :
« Ah non mais. Attends, laisse-moi t’expliquer. Je repensais juste à ce que t’as dit, là, profiter de sa famille et tout ça. Et du coup je me suis demandé c’était quoi ma famille. Bien sûr il y a Mélissa, mais vu comment t’es présent, t’en fais partie aussi, et je sais pas trop quel rôle te donner… et puis j’ai repensé à Emma et—
-Est-ce qu’il me faut vraiment un rôle défini ? le coupa Pierre qui ne voulait pas d’un nouveau monologue névrosé. »
Ça lui arrivait trop souvent, ces derniers temps. Il n’y avait pas grand-chose de clair dans sa tête depuis quelques jours.
Sa diversion fut une réussite. Sylvain rit nerveusement et hocha la tête.
« T’as raison, c’est pas important. Tu veux la prendre sur tes genoux ? »
Il souleva l’enfant qui s’agitait et se penchait vers Pierre. Ce dernier la prit dans ses bras alors, l’installant sur son genou.
« Je crois qu’elle me donne pas trop le choix, de toute façon. Elle sait ce qu’elle veut ta gamine, hein ! Comme son père. Tu ressembles à papa, hein ? »
Il avait adressé sa dernière phrase à Mélissa, mais Sylvain l’avait très bien entendue. Son cerveau beugua un instant sur l’absence de possessif, mais il essaya de ne pas trop y réfléchir, observant seulement avec tendresse les deux personnes devant lui.
Sylvain et Mélissa restèrent chez Pierre toute la soirée, dînant là avant de repartir. Et ce genre de soirée se multiplièrent durant le mois qui suivit, pour le plus grand bonheur du jeune père. C’était nécessaire : voir quelqu’un d’autre, être délesté de quelques-unes de ses responsabilités, vider son sac quand il en avait besoin, se sentir aimé et soutenu…
Et pourtant, c’était toujours des visites à sens unique : Sylvain qui allait chez Pierre, jamais le contraire. Alors un jour, ce dernier décida qu’il rendrait visite à la petite famille, plutôt. Il arriva dans la matinée, garant son véhicule comme il le put aux abords de l’immeuble, grimpant les escaliers…
Sylvain lui ouvrit rapidement, Mélissa dans les bras. Il n’avait pas totalement fini de s’habiller, mais personne n’en fit cas. Les deux hommes se saluèrent seulement puis l’invité salua l’enfant, qui semblait à moitié endormie.
« Elle vient de se réveiller, expliqua Sylvain. Laisse-lui cinq minutes et un petit-déjeuner et ça ira mieux, elle sera toute pimpante. Nom de Dieu que je l’envie. »
Pierre éclata de rire à la blague et tendit les mains.
« Donne-la-moi, je vais m’occuper de sa purée, toi tu finis de t’habiller. »
Sylvain le remercia immédiatement avant de vite lui refiler le bébé. Il s’éclipsa ensuite dans la salle de bain.
L’enfant dans les bras, Pierre la nourrit et s’en occupa, assis sur le canapé, tandis qu’elle se réveillait tout doucement. Elle gigotait de plus en plus et vocalisait des sons presque cohérents – mais elle était encore loin de former des mots complets. Il lui parla, un peu, commentant l’état de la pièce dans laquelle il se trouvait – qui était plus en désordre qu’habituellement. Evidemment, Sylvain n’avait sûrement pas eu le temps de ranger dernièrement…
« T’en fais pas Mélou, je vais aider papa à ranger tout ça, tu pourras gambader partout sans te viander après ça. Enfin, gambader, on s’entend hein. A quatre pattes. »
Elle répondit par des syllabes, jouant avec son t-shirt en l’agrippant à pleines mains et tirant dessus. Pierre essayait de l’en empêcher sans être trop ferme, parce qu’il préférait jouer avec elle.
Sylvain réapparut au bout d’une quinzaine de minutes, complètement habillé, frais et dispo. Il récupéra Mélissa pour lui faire un câlin et pour déposer un bisou sur sa joue.
« Merci, Pierre. C’est un peu compliqué de tout géré.
-Je vois ça, répliqua le susnommé avec un léger sarcasme. »
Sylvain jeta un bref regard au bordel.
« Ouais, pardon, c’est pas hyper hospitalier de ma part mais—
-Pas de mais, va, je comprends. Si tu veux, je peux m’en occuper pendant que tu t’occupes d’elle ? proposa-t-il avec un sourire. »
Il éclata à nouveau de rire en voyant le visage de son ami s’illuminer.
« Mais je peux pas te demander ça !
-Bah t’es pas en train de me le demander, alors ça tombe bien. »
Il se leva avec une exclamation d’encouragement.
« Allez, si je m’y prends bien, j’aurais fini avant le déjeuner. Toi, tu fais ce que tu veux, tu te détends, tu t’occupes de Mélou, mais je veux pas te voir travailler. »
Et il se mit à ranger le bordel – le linge sale, en premier.
Sylvain l’observa instant, tenant toujours sa fille. Il était sous le choc, se disait qu’il ne méritait pas cette aide. C’était quelque chose qu’il était censé faire lui-même, non ? Il avait honte, un peu, mais la reconnaissance qu’il avait envers Pierre éclipsait ce sentiment. De bonne humeur, donc, il décida d’emmener la petite en balade, préparant donc la poussette. Il fut arrêté sur le palier par Pierre, qui lui tendait son écharpe.
« Tiens, mets ça, il caille à fond. »
Son ami le remercia un peu timidement en l’enfilant, avant de partir, le saluant plus chaleureusement. »
Seul, Pierre put se concentrer sur son rangement. Il lança une playlist aléatoire sur son téléphone et s’attela à la tâche ô combien immense. Ça ne le décourageait pas, il aimait bien ça, même. Il lança une machine de linge et une autre de vaisselle, dans la cuisine. Il nettoya certaines surfaces sales, rangea les affaires du bébé qui se multipliaient, et celles de Sylvain qu’il n’arrivait pas à garder sous contrôle.
Au final, ce fut très rapide, si bien que Pierre se décida à aller plus loin, entraîné par la musique : il fit les poussières, passa l’aspirateur puis lava le sol et suspendit les vêtements mouillés sortis de la machine sur l’étendoir.
Quand Sylvain rentra, son ami était en train de cuisiner tout en chantonnant les paroles de la chanson qui passait. Il était aux alentours de midi, il fallait bien commencer. Il n’entendit pas les deux autres entrer, cependant, comme il faisait dos à la porte et qu’il était trop concentré.
Sylvain le remarqua. Il se dépouilla de son manteau et de son écharpe, se réchauffant doucement, puis fit de même avec Mélissa qui était toute emmitouflée. Il laissa la poussette dans l’entrée – il la pliera plus tard. En attendant, il préférait observer l’œuvre de son ami, qui était époustouflante dans l’appartement avait changé.
Dans un second temps, Sylvain observa Pierre qui se déhanchait tout en mélangeant quelque chose dans une casserole. Il ne put retenir un rire qui lui fit tourner la tête. Sans se démonter, parce que le ridicule ne tuait pas, Pierre s’approcha de Sylvain et attrapa sa main libre, l’autre tenant Mélissa contre lui, pour le faire tourner. Celui-ci se laissa faire en riant et le rejoignit dans sa danse, comme il remarquait que ça rendait Mélissa heureuse.
« Ça fait combien de temps que t’as pas dansé ? demanda Pierre avec un brin de malice dans le regard.
-Tu sais que je danse jamais, Pierre, répliqua son homologue, la voix empreinte d’un faux ton blasé. »
Les deux hommes se calmèrent un peu, Pierre s’occupant de son repas et Sylvain s’appuyant contre le plan de travail.
« Et c’est bien dommage. Je vais te faire danser, moi ! s’exclama le premier. »
En quelque pas, il rejoignit l’autre homme et l’emporta à nouveau dans une danse sans queue ni tête et fort peu en rythme avec la musique qui passait.
Mais ce n’était pas grave, rien n’était grave, ils étaient juste heureux et ça faisait du bien. Sylvain ne se laissait pas souvent embarquer dans ce genre de bêtises, alors Pierre en profitait. Il y mit fin seulement quand le minuteur le rappela à sa préparation, et même après ça son ami continua à danser avec Mélissa, la petite étant vachement intéressée par la mélodie.
Comme Pierre avait bientôt fini leur déjeuner, Sylvain prépara celui de sa fille et lui donna juste avant de mettre la table. Les deux hommes s’y installèrent ensuite pour déguster le repas.
« Heureusement que tu me fais la cuisine de temps en temps, lança Sylvain. C’est trop bon.
-Oh, tu t’en sors bien aussi, répliqua modestement son ami.
-Ouais mais je fais que deux trucs en boucle. T’apportes de la variété dans mon régime. »
Ils rirent doucement, tous les deux.
« Je pourrais t’apprendre, si tu veux, proposa Pierre.
-Nan, j’aurais plus d’excuses après. »
Nouveau rire complice.
La discussion allait de bon train, comme souvent. Pierre remarquait déjà que le jeune père allait mieux, avec son aide. Oh, il avait toujours l’air crevé au possible, mais il était plus stable et disponible émotionnellement, plus souriant, et il ne pouvait pas s’empêcher d’être fier. A deux, rien ne pouvait les arrêter. Ça sonnait tellement bien dans sa tête… dommage que ce n’était pas exactement vrai. Il était conscient qu’il ne pouvait pas aider son ami partout…
S’il disait la vérité, il dirait qu’il en était absolument capable, de son côté. C’était quelque chose qu’il voulait donner depuis longtemps. Mais Sylvain ne serait jamais capable de le recevoir, il le savait, et Mélissa ne changerait pas cela, qu’importe à quel point ils se rapprochaient l’un de l’autre. Leur amitié faisait partie des choses immuables de ce monde, pour le meilleur comme pour le pire.
La semaine suivante, les deux vidéastes devaient tourner un nouveau Vultech. C’était prévu depuis des semaines, c’était préparé, Sylvain s’était arrangé pour que Marine vienne garder Mélissa… Seulement voilà : le matin même, alors qu’il attendait sa sœur, il reçut un appel de celle-ci.
« Sylve, je suis désolée, je pourrais pas venir, annonça-t-elle immédiatement. »
Un sursaut de panique bouscula le cœur du jeune père, mais il garda son calme.
« Comment ça tu peux pas venir ? demanda-t-il.
-Malo a un gros souci, je dois l’emmener chez le vétérinaire et c’est la grosse galère. Je suis vraiment désolée, j’aurais préféré ne pas te laisser tomber comme ça, mais je peux pas faire autrement. »
Il passa une main sur son visage en soupirant.
Mélissa, assise par terre face à lui, s’impatientait que son papa ne joue plus avec elle. Elle agita les bras en geignant, l’observant. La pauvre n’était pas consciente qu’elle augmentait le stress de son père en faisant cela, elle voulait seulement son attention…
« Ok et je fais quoi, moi, du coup ?
-Je sais pas, tu peux pas appeler une baby-sitter ? proposa Marine avec douceur. »
Elle n’était pas dupe, elle entendait bien la frustration de son frère même à travers le téléphone, et elle savait combien il pouvait avoir du mal à la gérer.
« Un dimanche ? En urgence ? Ouais je suis pas dans la merde… Pardon Mélissa, n’écoute pas. »
Il attrapa sa main pour l’apaiser.
Marine réfléchit un instant, comprenant le désarroi de son frère, puis une illumination lui vint. Elle s’exclama :
« T’as qu’à appeler Pierre, vous trouverez une solution… non ? »
Un silence au bout du fil, puis une réponse simple :
« T’as raison. Je vais te laisser… Tu me donnes des nouvelles pour Malo ?
-Ouais, et toi pour Mélou ? »
Il accepta avant de raccrocher.
Sylvain resta assis là un moment, à observer Mélissa jouer avec ses doigts, essayant de rassembler le courage nécessaire pour appeler Pierre. Il trouva son contact rapidement – de toute façon, il était dans ses favoris – et cliqua sur le bouton pour téléphoner. Une sonnerie. Deux sonneries. Pierre décrocha.
« Salut Levy, tout va bien ? J’allais partir de chez moi, là, l’informa-t-il.
-Marine peut pas garder la petite, je sais pas quoi faire, lança-t-il rapidement, la voix emprunte de stress. »
Pierre ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait, sûrement. Sylvain n’angoissait que plus.
Après quelques secondes, Pierre trancha avec calme, sans animosité aucune, ce qui faisait du bien à son ami :
« Amène-là. Je fais rien derrière la caméra pendant les Vultech. Enfin, j’ai pas grand-chose à faire. Je pourrais la surveiller dans son siège.
-Tu me sauves, merci, souffla Sylvain.
-T’as pas à t’en faire, on aurait trouvé une solution, le rassura son interlocuteur. Bon, ramène toi maintenant, je veux bien que tu ramènes ta gosse mais pas que tu sois en retard, je suis déjà dans ma caisse moi. »
Sylvain rit, parce qu’il savait qu’il n’y avait que de l’affection derrière ces reproches. Il le remercia une dernière fois avant de décrocher.
Le jeune père fut plutôt rapide pour rassembler les affaires nécessaires et tout installer dans sa voiture, lui y compris. Mélissa se trouvait dans son siège, bien en vue, il était prêt à partir. Il démarra et élança son véhicule en direction du garage, espérant ne pas finir en retard – mais cela ne dépendait pas de sa seule conduite.
Sylvain n’arriva presque pas en retard sur le lieu de tournage. Pierre était déjà là, à gérer la technique et à installer le matériel. Quand son ami entra, il se tourna vers lui avec un air moqueur.
« Qu’est-ce que j’avais dit ? lui reprocha-t-il avec un sourire.
-Tais-toi. Je sais, j’ai fait ce que j’ai pu, ça n’arrivera pas la prochaine fois, se justifia le jeune père.
-Comme à chaque fois. »
Mais Pierre ne s’énervait pas. Il le savait, il s’en fichait à force. Et puis devoir gérer un bébé en plus ne devait pas être simple pour lui, alors il le laissa tranquille à ce sujet.
Les deux hommes se saluèrent donc et immédiatement après, Pierre se pencha par-dessus le siège auto pour saluer Mélissa :
« Salut toi, t’es prête à passer un moment avec tonton Pierrot pendant que papa travaille ? »
Sylvain rit en l’entendant, un rire moqueur, mais il ne fit aucun commentaire. En faire serait prendre le risque qu’il arrête et il ne voulait pas ça, pour rien au monde.
Sylvain se plaça donc face à la caméra, prêt à tourner. Son collègue, comme toujours pour ces tournages, se trouvait derrière à ajuster les derniers réglages. Après une introduction des plus chaotiques, il laissa le présentateur de l’émission débiter son texte et vaqua à ses occupations, à savoir surveiller Mélissa.
L’enfant semblait particulièrement intéressée par ce que faisait son père et voulait le rejoindre, se penchant, prête à ramper. Pierre l’en empêcha d’une main, la forçant à se rallonger. Il lui murmura :
« Non, non, non, tu ne vas pas embêter papa et tu vas rester avec moi, d’accord ? Il est en train de travailler, je sais qu’on dirait pas mais c’est un truc très sérieux, alors il faut le laisser faire. Je suis sûr que tu lui manques aussi, allez, rallonge-toi. »
Mais Mélissa ne l’entendait pas de cette oreille. Elle laissa tomber sa tétine et se mit à geindre. Des plaintes faibles d’abord, elles devinrent rapidement plus bruyantes.
Sylvain dut s’arrêter dans son monologue, jetant un regard peiné à sa fille. Bah oui, il aimerait bien s’occuper d’elle, mais il ne pouvait pas…
« T’inquiète pas, le rassura Pierre, je contrôle, attends. »
Il détacha la petite fille de son siège et la prit dans ses bras pour jouer avec elle. La portant, il imita le vol d’un avion pour calmer ses pleurs, ce qui fonctionna.
Sylvain put donc reprendre. Il était à peine à la moitié de son argumentaire qu’il entendit un éclat de rire venant de sa droite, bien plus loin, où Pierre et Mélissa se trouvait. Le premier était assis par terre en tailler, tenant la seconde contre lui, entre ses jambes. Il lui lisait à voix un livre que le père avait ramené parmi d’autres jouets, mais la gamine semblait plus intéressée par la destruction dudit livre que son contenu lu par sa nounou.
« Hey, arrête Mélou, non, pas bien ! Méchant bébé ! »
Sylvain entendait mal la voix de son ami, mais il comprit très bien ce qu’il venait de dire tant il l’avait entendu dirigé vers Oslo. Il éclata de rire.
« Si tu pouvais éviter de traiter ma fille comme ton chien, ce serait sympa, merci, lui cria-t-il.
Pierre se retourna, l’air étonné et innocent, se défendant :
« Oui bah qu’elle ait pas le même comportement qu’Oslo, du coup ! »
Le papa secoua la tête et lui signifia d’un signe de la main qu’il abandonnait. Soit, il avait une vidéo à tourner.
Il approchait de la fin quand il entendit un nouvel éclat de rire venant à la fois de Pierre et de Mélissa, mais il essaya de l’ignorer, se coupant quelques secondes avant de reprendre sa phrase. Cependant, son regard glissa sur sa droite. Il vit alors la petite fille assise sur les épaules de son ami, il la tenait de ses deux mains et semblait lui faire visiter le garage à hauteur d’un mètre quatre-vingt-dix environ. Elle semblait parfaitement heureuse de cela. Il ne put s’empêcher de sourire et de les observer quelques secondes durant lesquelles il oublia même la caméra. Les mains sur les hanches, les mots qu’il voulait prononcer s’envolant de son esprit, il profita simplement de voir son meilleur ami et sa fille s’amuser.
Pierre se tourna vers lui avec un air ahuri et lui demanda comme si de rien n’était :
« Bah… Pourquoi tu t’es arrêté ? T’as déjà fini ?
-Non, bientôt… J’ai été déconcentré. »
Il sourit une dernière fois aux deux énergumènes avant de revenir à son propos, dont il eut du mal à retrouver le fil.
La vidéo bouclée, Sylvain récupéra sa fille d’où elle était perchée – des épaules de Pierre, donc, qui semblait adorer l’avoir là-haut. Son collègue s’occupa de ranger pendant que lui câlinait sa fille et la couvrait de baisers pour la faire rire et sourire, ce qui était de bien plus jolis sons que ses pleurs au début du tournage.
Quand il eut fini, Pierre approcha et s’assit près de son ami avec un soupir, histoire de se poser un peu après le rangement.
« Tu vois, je m’en suis super bien sorti, meilleur baby-sitter. Pas vrai Mélou ? »
Il prit sa main et mima un high-five qui fit rire le père.
« Ah mais je n’en doutais pas monsieur Chabrier. T’as bien remarqué que j’ai pas accouru quand tu l’avais sur tes épaules, fit-il remarquer.
-C’est vrai, acquiesça Pierre. Je m’y attendais pas, en vrai. Peut-être que tu me fais confiance au final. »
Mélou babilla en tendant la main vers lui. Il lui prit et la caressa, lui adressant un sourire.
« Evidemment que je te fais confiance, Pierre, confirma Sylvain d’une voix douce. »
Le susnommé ne répondit pas, malgré le petit sursaut de son cœur. Il ne dit rien et se concentra seulement sur l’enfant, tout comme son homologue. Oui, il valait mieux ne pas faire de commentaire.
Pendant la semaine qui suivit ce tournage, Sylvain apporta un nouveau sac de vêtements lui appartenant ainsi qu’à l’enfant chez son ami qui l’hébergeait. Pierre leur avait fait encore un peu plus de place, laissant à Mélissa tous les rangements de la chambre d’amis – qui était complètement devenue sa chambre – et à Sylvain le tiers de son armoire, jusqu’ici. Ça allait sûrement évoluer à nouveau, étant donné qu’il ramener chaque semaine plus que ce dont il avait besoin…
Bref, il était dix-huit heures et Sylvain était installé dans le canapé, la petite sur les genoux, à regarder la télé sans trop d’intérêt. Pierre se posta devant lui, debout.
« Faut qu’on aille faire les courses, lança-t-il.
-Mais tu peux pas y aller tout seul ? demanda sincèrement le jeune père en se redressant pour lever les yeux vers lui. Comme ça je garde Mélou.
-Non, j’ai presque plus rien dans les placards parce que maintenant, au lieu d’être seul, on est trois genre, 80% du temps, alors la bouffe suit pas, expliqua Pierre. »
Sylvain se leva alors, tenant Mélissa contre lui.
« Et on fait comment pour elle ? questionna-t-il alors que son interlocuteur était déjà parti enfiler ses chaussures.
-Bah on la prend, répliqua-t-il simplement. T’as ramené le porte-bébé, non ? »
L’autre homme hocha la tête en le rejoignant dans l’entrée.
Sylvain mit le bébé dans les bras de son ami pour enfiler ses chaussures à son tour.
« Je l’ai pris, mais il est toujours un peu trop grand pour moi. Apparemment c’est fait pour des gens d’un mètre quatre-vingt ou je sais pas quoi… râla-t-il. »
Pierre hausse les épaules.
« Bah je le mettrai, c’est pas grave. Peut-être il m’ira à moi. »
Et ces bonnes paroles scellèrent la discussion : ils étaient prêts à partir.
Le supermarché n’était pas loin, mais suffisamment pour qu’il soit nécessaire de prendre la voiture – surtout avec un bébé pendant les derniers mois de l’automne. Les deux hommes s’y rendirent donc avec la voiture de Sylvain, qui était plus simple à manœuvrer et contenait déjà le siège auto.
En en sortant, Pierre enfila le porte-bébé sous son manteau et y installa Mélissa, qui était calme pour une fois. Elle devait commençait à fatiguer, la pauvre…
« Et voilà ! s’exclama Pierre en se tournant vers son ami. »
Sylvain lui jeta un regard en souriant.
« Pas trop petit ?
-Non, parfait, sourit Pierre. Et Mélou est super bien installée ! »
Le père rit en entendant son enthousiasme et alla prendre un caddie.
Tous deux se rejoignirent devant la porte d’entrée et pénétrèrent ensemble à l’intérieur. Sylvain n’avait qu’une vague idée de ce qui était nécessaire et ne connaissait pas très bien ce supermarché, alors il se laissa guider à travers les rayons par un Pierre plus que motivé. Le caddie se remplit rapidement.
Mélissa se mettait à geindre parfois et Sylvain était toujours le premier à réagir, interagissant avec elle pour la calmer alors qu’elle était prostrée contre le torse de Pierre. Il remarquait quelques regards indiscrets de la part d’autres clients, mais rien qui ne l’alarmait. Il se demandait simplement pourquoi, car ça l’étonnait qu’autant de cinquantenaires les reconnaissent… Il entendit même l’exclamation chuchotée d’une dame à son mari :
« Ils laissent vraiment tout passer, aujourd’hui ! »
Tout en le fixant d’un œil mauvais. Il ne comprenait pas.
Et puis tout à coup il comprit. Il comprit très bien, même, en jetant un regard à Pierre, et il éclata de rire. L’autre homme, qui n’avait rien remarqué, se retrouva fort étonné par son rire et lui lança un regard interrogateur.
« Y’a quoi de drôle ? Je suis juste en train de chercher une marque de sauce tomate. »
En effet, il tenait un pot dans une de ses mains. Sylvain rit de plus belle, se penchant sur la poignée du caddie, posant son front contre ses bras croisés.
« Les gens te regardent bizarre là, et je les comprends. Pourquoi tu te marres ? réitéra Pierre.
-Il nous regarde pas bizarre parce que je ris, Pierre. Regarde-nous. »
Le susnommé obéit, mais ne voyait pas le problème. Sylvain l’explicita alors, une fois son fou rire calmé :
« On dirait une sortie en famille.
-Et c’est pas le cas ? interrogea Pierre innocemment. »
Son interlocuteur releva la tête, le coude appuyé sur le caddie et la tête contre sa main, un sourire en coin.
« Si, si, une super sortie en famille, ouais.
-J’aime pas ton sarcasme, ajouta Pierre. »
Il posa le pot de sauce dans le chariot et passa à autre chose, regardant d’un air mauvais le petit sourire narquois de son ami.
Alors que la petite famille attendait dans la file d’une caisse, Sylvain croisa le regard de la vieille de toute à l’heure, qui empêcha son mari d’avancer vers eux.
« Viens André, on va changer de caisse, lança-t-elle haut et fort. »
Ledit André fronça les sourcils et bredouilla :
« Mais… c’est la file la plus courte ! Ah non, je n’vais pas faire la queue là-bas.
-On va s’éloigner d’eux mon André, insista la vieille. »
Interpelé, Pierre tourna la tête et la remarqua enfin. Il se pencha vers Sylvain qui lui faisait presque dos et murmura dans son oreille :
« Elle parle de nous là ?
-Ouais, acquiesça l’autre. Parce qu’on dirait une famille, justement. »
Au son de sa voix, on entendait son mépris pour la dame.
Pierre eut une seconde d’absence avant de comprendre, enfin. Il s’exclama alors, peut-être un peu fort :
« Ah mais c’est pour ça ton fou rire de tout à l’heure ? »
Sylvain lui sourit et hocha la tête.
« Pauvre petite ! s’écria plus fort la dame en voyant la main de Pierre caresser les cheveux du bébé. »
L’homme fronça les sourcils et cacha l’enfant presque par réflexe, tournant le dos à l’importune.
Mais Sylvain, lui, avait envie de jouer. Il se redressa de la poignée du caddie sur laquelle il était appuyé et, regardant le vieux couple s’éloigner, il répondit :
« Vous avez raison, on risque de contaminer André, on sait jamais. »
Le susnommé leva la tête – il ne comprenait définitivement rien à ce que sa femme disait, et il comprit encore moins quand Sylvain lui fit un signe de la main, accompagné d’un clin d’œil. Ça dégoutait un peu le jeune homme, mais l’outrage de la vieille en valait la chandelle. Il arborait un sourire fier en se tournant vers Pierre, le voyant rire dans sa barbe.
« C’est un magasin de dépravés ici ! Je ne reviendrai plus.
-Mais on va faire nos courses où Josie ? s’interrogea son mari immédiatement.
-Ailleurs ! »
Il haussa les épaules et soupira. Pierre et Sylvain échangèrent un regard et éclatèrent de rire en même temps, le premier posant sa main sur l’épaule du second.
En sortant du magasin, les courses payées, Mélou tenait la main de tonton Pierre et essayait de la porter à sa bouche. Celui-ci la laissait faire. Il se tourna plutôt vers Sylvain et lança la conversation :
« Je pensais pas qu’on croiserait des homophobes dès notre première sortie à trois. Et je pensais pas que tu lui aurais répondu.
-Elle me faisait trop—elle m’embêtait trop. Fallait que je fasse un truc, c’était trop tentant. »
Il rit doucement en apportant le caddie contre le coffre de la voiture.
Pierre ne répondit rien, mais il n’en pensait pas moins : il avait trouvé ça très drôle et divertissant, bien que personne n’ait réagi autour d’eux. Bordel, Sylvain n’avait honte de rien. C’était ça le plus drôle, sûrement. Il le laissa charger le coffre pendant que lui allait installer l’enfant dans son siège. Elle était en train de s’endormir contre lui et la bouger ne la réveilla pas. Pierre eut un sourire tendre en la voyant assoupie, il la trouvait adorable. Il déposa un bisou sur son front et caressa ses cheveux avant de refermer la portière et de rejoindre son ami pour l’aider.
Tous les trois purent ensuite rentrer à la maison, où Oslo leur fit la fête et Mélissa se réveilla enfin de sa petite sieste.
Pierre s’installa à la cuisine, commençant à découper quelques légumes pour le repas. Sylvain prit sa fille dans ses bras et prévint son ami :
« Je vais lui donner son bain avant de manger, sinon elle va s’endormir pendant. »
Immédiatement, Pierre posa son couteau et se lava les mains.
« Ah bah attends, je vais venir t’aider. Comme ça tu pourras m’aider pour la cuisine après, le taquina-t-il. »
Sylvain soupira, un sourire résigné aux lèvres, pris au piège.
« Ok, je t’aiderais. »
Et l’autre homme le suivit donc dans la salle de bain.
Sylvain s’installa de la même manière que la dernière fois : à genou à côté de la baignoire, penché par-dessus le rebord.
« Tu veux que je m’assoie sur le rebord au bout ? demanda Pierre en pointant l’endroit dont il parlait. »
Sylvain suivit la direction du regard avant de lever les yeux vers lui.
« Mais tu vas faire comment pour ton pantalon ?
-Je l’enlève. A moins que tu veuilles pas, dans ce cas je me mets à côté de toi, proposa Pierre. »
Sylvain considéra la maigre place à côté de lui et secoua la tête.
« Nan, c’est bon, accepta-t-il. Moi je vais enlever mon t-shirt sûrement.
-Oh bah sinon t’iras te changer, avec tes quarante-cinq t-shirts et chemises dans mon armoire, se moqua son interlocuteur. »
L’autre rit également mais ne répondit pas, il préféra se concentrer sur sa fille que de répondre à d’aussi grossières – mais vraies – accusations.
Pierre retira donc son pantalon et ses chaussettes et s’installa sur le rebord de la baignoire. Effectivement, ça ne semblait pas être la première fois qu’il faisait ça. Quand il fut installé, il tint la petite en place pour que Sylvain retire son haut. L’enfant s’agrippa au mollet de l’homme et ce dernier grimaça.
« Ah pu—rée, elle a des ongles la petite, se plaignit-il. Eh, Mélou, rentre tes griffes. »
Le père rit et attrapa les poignets de l’enfant pour la faire lâcher, en vain.
« Allez chérie, lâche tonton Pierre, il a rien fait pour mériter ça. »
Mais Mélissa ne répondit qu’avec une exclamation frustrée, déjà contestataire, et eut le réflexe de tenir Pierre plus fort.
« Ah merde ! Arrête, elle veut pas lâcher, c’est bon, lâcha-t-il avec douleur.
-Merde, ça va ? s’inquiéta Sylvain. Elle t’a griffé ?
-Ouais mais c’est rien, t’inquiète. C’est pas grave, elle va rester accrochée telle une sangsue, rigola l’autre homme. »
Il se prit un regard blasé de la part du père.
« Je te serai gré d’arrêter de comparer ma famille à un animal, et surtout à une sangsue. »
Pierre ne répondit pas, mais rit de plus belle.
Pendant que Sylvain lavait Mélissa, Pierre s’occupait de jouer avec elle, et ils inversèrent quand ce fut au tour de ses cheveux, puisque le second avait une meilleure position pour les laver. Souvent, la gamine s’amuser à les éclabousser et voulait s’éloigner d’eux, partir en vadrouille – au moins la baignoire n’était pas grande pour cela.
Par moment, les deux hommes s’échangeaient des regards complices, faisaient des blagues ou les idiots pour faire rire la petite… Ils prenaient tous deux leurs rôles de gardiens très au sérieux. Et puis pendant qu’il rinçait sa fille, Sylvain lança sur le ton de la discussion :
« Merci vraiment, Pierre. Je sais pas où j’en serais sans toi. »
Le susnommé, qui tenait les mains de Mélissa pour jouer, se figea et se redressa, lançant un regard étonné à Sylvain.
Pierre prit le temps de l’observer un petit moment : ses cheveux trop longs en bataille – d’habitude, il ne les laissait jamais atteindre cette longueur – ses cernes, son teint pâle, ses petits yeux, les muscles de son cou et des épaules tendus, qui le faisaient parfois grimacer, ses soupirs, ses éclats de rire fatigués ou nerveux… Si, en l’aidant, Sylvain ressemblait à cela, alors il ne voulait vraiment pas savoir où il en serait seul, effectivement.
« Te lève pas cette nuit, répliqua-t-il. »
Et comme ça n’avait rien à voir avec ce qu’il venait de dire, l’autre homme ne fit que s’exclamer, confus.
« Si elle pleure, dort. Je m’occuperais d’elle, sourit Pierre. Mais toi, t’as besoin de dormir.
-Toi aussi t’as besoin de dormir, contra le père en haussant les épaules. »
Il se détourna de la baignoire après en avoir vidé l’eau pour récupérer la serviette de Mélissa.
« C’est ma fille, c’est à moi de me lever. »
Il déplia la serviette sans lancer un regard à son ami.
Celui-ci se sentit piqué par la remarque : Sylvain sous-entendait que, comme Mélissa n’était pas sa fille à lui, Pierre, alors il ne devait pas s’en occuper, jusqu’à l’insomnie en tout cas. Ça partait d’une bonne intention, très bonne même, c’était adorable de sa part de toujours vouloir prendre la responsabilité. Mais c’était aussi très con et, vu comment Pierre s’occupait de Mélissa, elle pouvait très bien être sa fille aussi. Mais il ne verbalisa aucune de ses pensées et leva seulement le bébé, pour que Sylvain l’enveloppe de la serviette.
« Et voilà princesse ! s’exclama-t-il en la frottant avec énergie, la faisant rire. »
Pierre resta assis là, à les regarder avec un petit sourire, un peu triste cependant.
Le père s’assit sur les toilettes fermées, sa fille sur les genoux, et tendit une serviette à l’autre homme pour qu’il puisse se sécher les jambes et remettre son pantalon. Pierre s’en saisit en le remerciant et essuya ses mollets et ses pieds. Il remarqua alors quelques gouttes de sang.
« Ah merde ! s’exclama-t-il par réflexe.
-Les insultes, Pierre, le reprit mécaniquement Sylvain sans le regarder – il était trop concentré sur la tâche de sécher sa fille avant de l’habiller. »
Le susnommé s’excusa en se levant. Il attrapa la trousse à pharmacie dans le meuble-vasque et se rassit sur le bord de la baignoire.
Sylvain suivit son geste du regard et s’en inquiéta.
« T’es blessé ? interrogea-t-il.
-Je pense que c’est juste une griffe, mais flemme d’avoir du sang sur mon jean, expliqua Pierre en sortant un pansement de la trousse.
-Attends, fais-moi voir, je vais te le mettre. »
L’homme cala l’enfant contre son torse et tendit une main vers son ami. Il se saisit du pansement pendant que Pierre se retournait, levant sa jambe blessée. Avec une poigne ferme, Sylvain attrapa la cheville de son homologue et posa son pied juste à côté de sa propre jambe, l’obligeant à sautiller pour ne pas perdre l’équilibre à cause de la surprise.
Rapidement, le pansement fut placé et Sylvain se pencha pour embrasser la zone avant de lâcher son ami.
« Et voilà ! »
Pierre éclata de rire en se tournant vers lui.
« C’était quoi, ça ?
-Un bisou qui guérit, répliqua Sylvain comme si ça allait de soi. »
Pierre secoua la tête avant d’attraper ses chaussettes pour les remettre, puis son pantalon.
Une fois rhabillé, il lissa son t-shirt, dont le bas était mouillé malgré tout, et posa ses mains sur ses hanches.
« Allez, le dîner va pas se faire tout seul. »
Il tendit les bras vers l’enfant pour la prendre et laisser Sylvain remettre son haut. Puis les deux hommes déposèrent l’enfant dans son berceau d’appoint, dans le salon, et se dirigèrent vers la cuisine.
Ils pouvaient la voir d’où ils étaient, ce qui rassura Sylvain, qui lui lançait parfois des regards en écoutant vaguement les instructions de son chef de cuisine : Pierre. Lui, petit commis, faisait de son mieux pour suivre ses gestes, mais il fallait dire que ce n’était pas toujours facile. L’autre le remarqua et lâcha ce qu’il faisait pour passer un bras autour des épaules de son apprenti. Il se saisit de ses mains et lui montra le geste ainsi. Seulement, Sylvain eut du mal à l’écouter, figé à cause du contact et de la proximité de son ami. Il fit de son mieux pour reproduire le geste.
« Eh bah voilà ! Tu vois que tu peux le faire, le félicita Pierre. Mais t’as pas un truc pour tes cheveux ? Tu dois voir que dalle avec.
-Il y a un serre-tête dans le sac, répliqua Sylvain sans bouger – non, il devait finir de découper cette carotte.
-Ok, j’ai compris, je vais le chercher, soupira Pierre. »
Il essuya ses mains dans son tablier et alla fouiller dans le sac. Il y trouva un serre-tête noir en dent de scie et l’apporta à son ami, qui ne bougea toujours pas. Il soupira à nouveau et le plaça avec précaution sur son crâne, puis il se pencha pour vérifier qu’il avait bien attrapé toutes les mèches. Il sourit.
« T’es mignon comme ça. »
Puis il reprit son activité de plus tôt comme si de rien n’était, alors que Sylvain bégayait, fier de lui.
Les deux hommes mangèrent à la table de salle à manger, face-à-face, comme ils le faisaient si souvent maintenant. Ils discutaient de tout et de rien pendant ce temps-là, souvent du boulot, presque toujours dans la bonne humeur.
Sylvain n’avait pas retiré le serre-tête, et son ami l’avait bien remarqué. Il lui lançait quelques regards sans rien dire, souriant seulement. Au bout d’un moment, il ne put s’empêcher de faire une remarque :
« Ça te va bien, ton truc.
-Hein ? Quel truc ? demanda l’autre homme, confus.
-Ton serre-tête. »
Sylvain réalisa enfin qu’il l’avait et se dépêcha de le retirer. Pierre fit la moue.
« Bah… je préférais avant… râla-t-il d’une petite voix. Ça te va bien les cheveux en arrière. »
L’autre homme rougit et rit nerveusement. Qu’est-ce que Pierre avait ce soir, à le complimenter comme ça ?
Il passa une main dans ses cheveux, les plaquant en arrière justement. Pierre suivit le mouvement du regard, avant de baisser la tête vers son assiette, comme s’il venait d’être pris sur le fait. Décidément, il avait un comportement étrange…
Après le repas, une fois Mélissa nourrie et couchée, Sylvain et Pierre se retrouvèrent dans la chambre de ce dernier pour se changer. Mais le second avait une idée en tête et arrêta son ami alors qu’ils se trouvaient tous les deux en sous-vêtements – ils avaient appris à se passer de la pudeur. Juste une main sur son épaule, qui le tenait fermement.
« Ça va ? »
Une simple question qui contenait beaucoup d’autres interrogations que Pierre ne voulait pas verbaliser. Mais il n’en avait pas besoin, Sylvain comprenait. Ce dernier se figea, laissa retomber ses bras de chaque côté de son corps, mais il n’était pas détendu pour autant. Son ami le sentait.
Pierre guida l’autre homme vers le lit et le fit asseoir là, face à lui, attendait une réponse, le questionnant du regard.
« Je suis là si tu as aussi besoin de parler, pas juste pour Mélissa, tu sais, insista-t-il. »
Sylvain soupira et se lança :
« J’ai des courbatures. Je sais que je suis trop tendu en ce moment, et que je dors pas assez… enfin, je dors jamais assez. Mais là encore moins, du coup. J’ai peur de—j’ai peur de pas être à la hauteur, si je me repose sur mes lauriers. Et j’ai peur… je sais pas, de me retrouver seul, comme elle ? Parce que je sais que je ne ferais pas mieux. »
Pierre pinça ses lèvres, soucieux, inquiet. Il n’avait pas les mots juste pour aider son ami, il aurait aimé les avoir.
Il ne lui restait qu’une chose : les gestes. Ça, il les avait. Il tendit la main vers Sylvain en demandant :
« Tu veux un massage ? Si ça peut t’aider à te détendre. »
Sylvain rit nerveusement. Il eut l’idée, l’espace d’un instant, de refuser. Heureusement, il se ravisa et se retourna, parce qu’il savait qu’il en avait besoin.
Pierre posa ses mains sur ses épaules et les pressa doucement, testant la douleur et la tension. Elles étaient étonnamment chaudes, ses mains, contrairement aux siennes toujours froides. Le premier contact le fit presque gémir, sa tête dodelinant doucement alors qu’il essayait de relâcher la tension dans ses muscles.
« Eh beh, ça fait combien de temps qu’on t’a pas touché ? se moqua Pierre.
-Des mois, soupira Sylvain. »
Son ami reprit son sérieux pour l’interroger un peu plus :
« Ça te manque tant que ça ?
-Quoi ? lança Sylvain, un peu confus.
-De partager ton intimité avec quelqu’un, expliqua Pierre. Ça te manque beaucoup ? »
L’autre homme resta silencieux un instant, en pleine réflexion. Pierre le laissa réfléchir, le massant toujours, ses mains descendant sur ses omoplates.
Il n’y avait jamais vraiment pensé. En endossant son rôle de père, Sylvain avait consciemment ou non abandonné celui d’amant, qui lui permettait pourtant de recevoir de l’affection. Oh oui, cette affection lui manquait tant, et il n’osait pas la rechercher avec Pierre, qui semblait pourtant prêt à lui offrir. Timidement, il avoua :
« Oui, ça me manque… J’y avais pas trop réfléchi jusqu’ici. Faut dire que j’ai des responsabilités, maintenant. »
Il rit doucement, pour faire passer ça pour une blague.
Les mains de Pierre arrivaient au milieu de son dos et il soupira de nouveau, se courbant légèrement.
« Et tu veux retenter Tinder ? questionna le masseur d’un soir.
-Ça ne m’intéresse plus vraiment, répliqua rapidement Sylvain.
-Mais tu veux faire comment, sinon ? Sortir en boîte ? Attendre que ça te tombe dessus ? »
Il y avait une légère amertume dans la voix de Pierre, de la peur peut-être, de l’appréhension.
Sylvain tourna la tête vers son ami, comme pour le rassurer. Il lui sourit doucement, ses yeux descendirent un peu plus bas que son visage…
« Je ressens pas le besoin de ça, précisément, expliqua-t-il. »
Et, pour appuyer son propos, il se décala vers l’arrière, se rapprochant de Pierre. Celui-ci comprit et laissa ses mains s’égarer sur les hanches de l’autre avec un petit sourire.
« T’es là, continua Sylvain. Je… c’est suffisant, si tu veux bien…
-Ce que tu veux, répliqua son homologue sans le laisser finir, lui arrachant un sourire. »
Le moment n’appartenait qu’à eux. Il était assez tard pour justifier toutes les dérives, même lorsque Sylvain pencha suffisamment sa tête en arrière pour la poser contre l’épaule de son ami, même lorsque Pierre embrassa son épaule et lui murmura :
« Montre-moi. »
Même encore lorsque Sylvain répondit en posant ses mains sur les siennes et en les guidant sur son ventre et sa poitrine. Pendant un bref instant, il voulut lui demander de l’embrasser aussi, avec la même douceur avec laquelle il avait embrassé sa peau, mais il n’en eut pas le courage. Les mots restèrent bloqués dans sa gorge et il les laissa là. Tant pis.
Sylvain avait fermé les yeux. Il ne savait pas depuis combien de temps Pierre touchait son corps, le massant encore parfois, mais il s’en foutait. Il ne voulait pas que ça s’arrête, sans forcément que ça aille plus loin. C’était suffisant, le contact de ces grandes mains chaudes, un peu abîmées, sur sa peau tendre et délicate. Il se sentait fragile entre ses bras, et c’était bon. Il voulait être vulnérable, encore un peu, laisser les responsabilités aux autres, être délesté des siennes, et profiter seulement. Pierre pouvait lui donner ça, et il espérait sincèrement qu’il le voulait aussi. Il ne savait pas ce qu’il adviendrait de lui sinon. Oh, il ne lui dirait pas pour autant, c’était un secret trop honteux à avouer.
Pierre appréciait ce moment intime et tendre, il en profitait de peur qu’il ne se représente pas de nouveau. Sylvain n’était pas intéressé par les rencontres, certes, mais pour combien de temps ? Il se doutait qu’il n’était pas son choix numéro un, sans savoir ce qu’il pensait vraiment. Mais lui non plus n’allait pas en parler : toujours cette histoire de honte et de secret.
« Attends… »
Pierre n’avait presque pas entendu le murmure de son ami. Il se stoppa, soulevant ses mains pour laisser à l’autre le loisir de faire ce qu’il voulait, de partir s’il le souhaitait. Sylvain sembla hésiter un instant, avant de se redresser. Il n’alla pas loin cependant, il se retourna seulement et considéra son homologue, dans la même tenue que lui.
« Merci, chuchota encore Sylvain qui ne voulait décidément pas se faire entendre. »
Il passa ses bras autour du cou de Pierre et embrassa sa joue. Plusieurs fois. Puis sa mâchoire. Et son cou. Son épaule enfin. Des baisers terriblement doux qui délogèrent de sa cage thoracique le cœur de Pierre. Il ne comprenait pas trop ce que son ami était en train de faire, où il voulait aller avec cette étroite embrassade et ces baisers. Sa peau le brûlait, le démangeait…
Dans le doute, ne rien faire. Il répondit à l’étreinte, l’enlaçant par la taille, et se laissa embrasser sans aller plus loin. Les gestes de Sylvain dépassaient toutes les limites qu’ils avaient pu fixer plus ou moins tacitement dans leur amitié, sans que cela ne dérangeât Pierre. C’était tout ce qu’il attendait depuis un moment maintenant, il n’avait pas le cœur à se refuser ça.
Doucement, Pierre tira son ami au fond du lit, et tant pis pour les pyjamas qu’ils mettaient habituellement. Il gardait son corps contre lui en s’allongeant, ajustant l’oreiller sous sa tête d’une main. Sylvain redressa la tête pour croiser son regard. Il avait l’air terriblement fatigué mais surtout terriblement craquant, avec son petit sourire en coin et son air épanoui. Pierre avait du mal à résister, il voulait l’embrasser. Il opta pour sa joue à la place, lui souhaitant bonne nuit. Il éteignit la lampe de chevet avant que Sylvain ne se blottisse contre lui dans ses bras. Il le serra un peu plus fort, un peu plus près de son cœur, se laissant aller à des élans d’amant tendre, sans en avoir le titre – il y prétendant pourtant.
C’était la première fois que les deux hommes dormaient ainsi, dans les bras l’un de l’autre, sans vouloir autre chose que la présence apaisante de l’ami, qui était plus un amant qui taisait son nom. Il fallait les pardonner, il était tard, il faisait nuit et la pleine lune brillait, ils étaient fatigués et n’avaient que l’autre pour comprendre sa peine… Ou peut-être qu’il y avait une autre raison. Les secrets, les hontes, tout ça…
Sylvain dormit rarement aussi bien. La nuit les sépara pourtant : Pierre s’était levé pour aider Mélissa à se rendormir. Le père ne l’avait même pas entendue, mais n’arrivait pas à s’en vouloir vu les remontrances de l’autre homme. Pour une fois, il avait aussi réussi à dormir une nuit complète, Pierre était content, Mélissa allait bien, c’était tout ce qui comptait.
« Il faut qu’on parle. »
Sylvain grimaça avant de finir son verre d’eau. A côté d’eux, Mélissa pleurait, comme souvent ces deux derniers jours, et Pierre venait lui lâcher ça. Il n’était vraiment pas d’humeur.
« Quoi ? répliqua-t-il un peu sèchement, sur la défensive.
-C’est quoi, l’idée, maintenant ? demanda doucement Pierre. T’es presque plus dans ton appart’ et tout le temps ici, je pense qu’il faudra prendre une décision bientôt.
-On peut pas vivre dans mon appart’, il n’y a qu’une chambre. Je vais chercher autre chose, mais vu mon secteur et—
-Hey, je suis pas en train de vous mettre dehors, le coupa Pierre. Au contraire. »
Il lui sourit doucement, voulut prendre sa main, mais l’enfant poussa un cri et Sylvain trembla.
Ce n’était pas un tremblement habituel, non. Pierre avait appris à lire son langage corporel avec le temps, les années passant… Il était frustré, énervé, et essayait de se retenir. L’autre en eut la confirmation quand Sylvain :
« Mais pourquoi elle arrête pas de pleurer ?! On lui a donné tout ce qu’on pouvait !
-Parce qu’elle fait ses dents loulou, ça se fait pas en un jour, essaya de l’apaiser Pierre. »
Mais Sylvain ne l’écoutait pas, il avait du mal à l’entendre par-dessus la voix stridente du bébé, ça l’énervait encore plus et il frappa le plan de travail de la cuisine. Il ignora la douleur, les larmes montant à ses yeux.
Le jeune père lança un regard à sa fille, qui pleurait encore et toujours, sans qu’il puisse y faire quelque chose. Ça le rendait malade, il se sentait incapable, nul, inutile… Qu’importe ses efforts, elle avait toujours mal. C’était injuste. Il amorça un nouveau coup, mais Pierre attrapa sa main avant qu’il ne se blesse à nouveau.
D’un mouvement, Pierre tira son ami contre lui, le tenant fermement, et parla dans son oreille pour qu’il se concentre sur sa voix :
« Prends tes écouteurs, va dans la chambre et repose-toi. Je m’occupe d’elle.
-Mais…
-Pas de mais, tu as besoin de t’éloigner un peu et de te calmer. Je t’appelle si y’a un problème. »
Rassuré par la dernière affirmation, Sylvain hocha la tête et s’éloigna, essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues.
Il obéit, s’allongeant dans le lit et lançant de la musique dans ses écouteurs pour penser à autre chose. Il avait tant de mal à ignorer les pleurs, pourtant, tant de mal à oublier qu’à deux pas de lui, sa fille, la chair de sa chair, geignait de douleur. Et lui, son père, ne pouvait rien y faire. Il s’en voulait, même s’il savait que Pierre avait raison.
Pierre, d’ailleurs, entra dans la chambre presque une heure après. Sylvain avait eu le temps de s’assoupir doucement, mais se réveilla en sentant la porte s’ouvrir. D’un signe, son ami lui demanda de retirer ses écouteurs, ce qu’il fit.
« Mélou dort, elle est épuisée, l’informa Pierre. J’espère que ça ira bientôt mieux pour elle… »
Il fit la moue, il était inquiet pour elle, lui aussi. L’autre homme le réalisait, et lui demanda alors :
« Ça va ?
-C’est plutôt à toi qu’il faut demander ça, contra Pierre en avançant vers le lit, les bras ballants, l’air nonchalant. Comment va ta main ? »
Sylvain l’observa : la tranche était rougie et il avait toujours mal. Il plia et déplia ses doigts plusieurs fois.
« Ça va, mentit-il. »
Son interlocuteur ne semblait pas convaincu.
Ce dernier s’agenouilla sur le matelas, à côté de Sylvain, tendant les mains.
« Fais voir ? murmura-t-il. »
Hésitant, l’autre homme posa sa main dans les siennes, le laissant l’observer sous toutes les coutures. Pierre caressait sa peau du bout des doigts, avant de masser la zone endolorie. Le souffle de Sylvain se bloqua dans sa trachée le temps d’une seconde quand son ami porta son bleu à ses lèvres et l’embrassa. Puis il rit nerveusement, se souvenant de ce qu’il avait fait la semaine dernière.
Pierre lâcha sa main et s’installa contre lui, passant un bras autour de ses épaules. Sans poser de question, Sylvain se blottit contre son flanc, posant sa tête contre sa poitrine.
« Et moralement ? Comment ça va ? »
Il hésita sur sa réponse, avant d’ouvrir les vannes :
« J’aurais pas dû être père.
-Ouh là ! s’exclama Pierre, surpris par son honnêteté brute. Qu’est-ce qui te fait raconter des conneries comme ça ? »
Un petit rire, et Sylvain se radoucit, calmé par la présence de son ami.
« J’ai eu envie de lui crier dessus. Mais je sais que ça sert à rien, j’ai juste… atteint ma limite. Mais purée, comment je peux atteindre ma limite alors que c’est elle ? Je sais déjà pas gérer moi-même, qui a pensé que c’était une bonne idée de me donner une gamine ? »
Pierre se mit à caresser son bras, en silence, cherchant ses mots.
Quand il fut prêt à répondre, il embrassa le crâne du jeune père déboussolé et parla à voix basse, mesurée :
« C’est normal d’arriver à ta limite quand t’as une alarme dans les oreilles jour et nuit et que tu peux pas la désactiver. T’es tout le temps en mode alerte parce que ta fille a mal et te le fait savoir comme elle peut, alors ça te fout sur les nerfs. Bah oui, c’est logique. Mais tu t’es retenu et je suis fier de toi. »
Il embrassa sa tempe et lui sourit à nouveau. Le cœur de Sylvain fit un drôle de looping en entendant la dernière phrase et il se blottit un peu plus dans ses bras.
« Mais je suis un gamin. Je peux pas…
-On est deux gamins, le coupa Pierre, et je trouve qu’on s’en sort super bien tous les deux, pour l’élever. Et ta sœur nous aide aussi. »
Sylvain hocha la tête, sans répondre. Les mots se faisaient un chemin dans son esprit, même s’il avait du mal à les accepter.
Le silence s’installa entre eux. Il faisait du bien à Sylvain, qui s’assoupissait à nouveau. Le lendemain, Marine avait accepté de venir tôt pour garder Mélissa pendant que les deux hommes se rendaient à un tournage qui s’annonçait long et éprouvant, et lui était juste épuisé…
Pierre ne le laissa pas dormir malgré tout – à sa décharge, il n’avait pas remarqué qu’il s’endormait. Il recommença la conversation qu’il avait essayé d’avoir plus tôt :
« Il faut prendre une décision, pour ton appart’…
-Je vais arrêter le bail, répliqua Sylvain. »
Il y avait un peu réfléchi, et c’était la seule certitude à laquelle il était parvenu. Pour le reste, il ne se sentait pas le courage de demander à Pierre de rester.
Mais il n’en eut pas besoin : si Pierre avait entamé la conversation à ce sujet, c’est parce qu’il avait une idée en tête, qu’il clarifia enfin pour son ami :
« Installe-toi définitivement ici. Il y a assez de place pour trois, et c’est le plus économique. Puis le plus pratique aussi, pour que je t’aide avec Mélou, au lieu que tu reprennes un autre appart’… Bon, je sais que c’est pas Saint-Denis ici, et ça peut devenir délicat si tu veux rencontrer des filles, mais on pourra aviser… Moi, je voudrais vraiment que tu restes. »
Voilà ce dont Sylvain avait besoin : la détermination de Pierre dans sa voix quand il lui demandait de rester, son espoir aussi. Il ne pouvait pas lui dire non mais, en l’état, il ne pouvait pas lui dire oui non plus. Il était en train de pleurer, en silence, sans le montrer, parce que depuis le premier jour, son ami avait juste été parfait. Comment pouvait-il résister ?
Il acquiesça finalement, et enfin Pierre remarqua ses larmes. Il rit doucement en le serrant plus fort et déposant quelques baisers sur sa peau et dans ses cheveux. Les signes d’affection de ce genre se multipliaient entre eux depuis ce soir où Pierre l’avait massé. C’était doux, c’était bon, ça les faisait se sentir vivant et entier. Pourquoi arrêter ?
Sylvain finit par verbaliser ses pensées, embêté que son ami ait encore une fois mentionné les rencontres. Il lui avait dit, il n’en voulait pas, pas tant que Pierre voulait de lui.
« Je m’en fiche de rencontrer des gens, c’est pas ce que je veux.
-Et qu’est-ce que tu veux ? demanda Pierre d’une voix blanche. »
Son interlocuteur fronça les sourcils. Il entendait de la peur, de l’appréhension dans sa voix, et il ne comprenait pas pourquoi. Il soupira.
« Je sais pas. Que ça continue comme ça ? On est bien, là, non ? »
Il leva le regard vers le visage de Pierre, appuyant sa question.
Leurs regards se croisèrent, longuement. Pierre semblait hésiter, indécis. Finalement, il se pencha, rapprochant encore plus Sylvain de son corps si c’était possible, et embrassa sa joue, mais si proche de ses lèvres que le doute planait quant à sa volonté. Personne ne parla ensuite et Sylvain reprit sa sieste peu de temps après, rassuré, heureux : il avait un toit sur la tête et un meilleur ami qui ne le lâcherait pas, il venait de lui assurer cela. Il n’avait aucun doute à avoir sur l’avenir, alors.
Sylvain se réveilla en début de soirée, seul. Il avait froid, comme il s’était endormi au-dessus des draps, et se recroquevilla par réflexe pour récupérer un peu de chaleur. Comme ça ne fonctionnait pas, il décida de se lever en grognant et fouilla dans l’armoire, attrapant un pull au hasard. Ce ne fut que lorsqu’il l’enfila qu’il remarqua que le vêtement n’était pas à la bonne taille. Il sourit en laissant tomber les trop longues manches sur ses mains et battit un peu des bras, appréciant la sensation du tissu dans l’air.
Après quelques minutes à jouer, il sortit de la chambre, guidé par le son de la voix de Pierre. Il parlait à voix basse, sans chuchoter non plus, la voix calme et posée, le ton doux… Sylvain savait qu’il était en train de parler à Mélou, de lui faire la conversation à sens unique. Pour ne pas les déranger, il s’arrêta au seuil du séjour, les observant avec un sourire.
Pierre était allongé sur le flanc, son coude plié maintenant son buste surélevé, au sol. Mélissa se trouvait devant lui, jouant avec un doudou pendant que l’homme lui expliquait – sans trop de succès – ce qui était prévu pour le tournage du lendemain. Il était dos à Sylvain, qui eut alors tout le loisir de l’écouter choisir ses mots et interpeler Mélou avec des surnoms tous plus adorables les uns que les autres : crevette, chérie, louloute, chat et tout le reste du lexique animalier. C’était attendrissant, le papa ne s’en lassait pas.
Cependant, sa fille brisa sa discrétion en tournant la tête vers lui. Il n’était pas très loin, alors elle reconnut son visage et y réagit avec un sourire, tendant les bras. Pierre regarda donc derrière lui et se redressa d’un coup pour s’asseoir en tailler avec un petit rire.
« Ça fait longtemps que t’es là ? demanda-t-il d’un ton faussement accusateur.
-Suffisamment longtemps, se moqua Sylvain. T’as vraiment la fibre paternelle, hein… »
Pierre haussa les épaules, baissant le regard vers la petite qui, elle, fixait toujours son père. Elle voulait visiblement être dans ses bras.
Sylvain s’assit en face de Pierre, récupérant son enfant pour la poser entre ses jambes en tailleur. Elle essayait déjà de pousser sur ses jambes, pas longtemps, suffisamment pour que son père doive suspendre son geste avant qu’elle n’atteigne le sol.
« Toi aussi tu l’as, répliqua enfin Pierre après un temps de contemplation. Elle t’adore. »
Le papa fier ne put s’empêcher de sourire, alors que sa fille était blottie contre son ventre, tenant toujours son doudou.
« C’est vrai que je m’en sors vraiment mieux que ce que j’imaginais. Grâce à toi, ajouta Sylvain.
-C’est toi qui fais le plus, répliqua son interlocuteur.
-Tu rigoles ?! Tu nous héberges gratuitement, tu t’occupes d’elle quand je peux pas, tu m’aides sur tout plein de trucs… T’es super investi ! »
Pierre en rougit mais ne répondit pas. Sur ce sujet, il laissa le dernier mot à son ami.
A la place, Pierre commença à parler du programme du lendemain : quand Marine viendrait, quand eux partiraient, où, avec qui, comment, quand ils rentreraient aussi, bref, tout un tas de détails techniques dont ils avaient déjà parlé, mais qu’il fallait vérifier et revérifier pour qu’il n’y ait pas de couac. Il avait l’air particulièrement stressé : ça allait être une longue journée, où les deux hommes n’auront pas beaucoup de nouvelles de la petite, et il craignait qu’une urgence survienne. Même s’il avait confiance en Marine, il avait peur, au même titre que Sylvain.
Alors les deux hommes discutèrent longuement, jusqu’à ce que l’heure du dîner sonne. Enfin, ils étaient en avance par rapport à leurs habitudes, mais ils devront se lever vers quatre heures le lendemain alors il fallait bien faire quelques sacrifices.
Mélissa ne sembla pas trop perturbée par le changement d’horaire, au moins pour son repas. Ce fut plus compliqué pour le coucher, qu’importe combien de temps Sylvain la berçait, elle ne voulait pas dormir. Pierre suggéra alors de lui lire une histoire, peut-être que ça l’aiderait, ce à quoi le père répondit avec un sourire moqueur :
« Ouais, ça va surtout nous endormir nous. On est devenu des papis depuis qu’elle est là. »
L’autre homme éclata de rire, hochant la tête en baissant le regard vers ses pieds.
« Ouais, je vois ce que tu veux dire. On peut essayer quand même ?
-Dis-le si tu veux juste lui lire une histoire hein, je vais pas te juger, sourit Sylvain.
-Je vais choisir le livre, répliqua alors Pierre, provoquant le rire de son ami. »
Il s’approcha de l’étagère où une dizaine de livres pour bébés se trouvaient et en saisit un après avoir soigneusement consulté les titres.
Pierre guida ensuite Sylvain jusque la chambre parentale – ils l’appelaient déjà comme ça avec plus ou moins de gêne, évitant soigneusement de dire ‘’conjugale’’. Il le laissa s’installer en ignorant son regard interrogateur.
« Pourquoi tu veux pas lui lire dans sa chambre ? demanda le père.
-Pour qu’on soit à trois, lança Pierre, tout fier de lui. »
Il s’allongea à son tour à côté de son ami, qui déposa l’enfant entre eux. Pierre ouvrit le livre à la première page, commençant à conter.
Sylvain réprima un rire en lui lançant un regard. Il souriait à tel point que ses joues lui faisaient mal, et ses yeux, plissaient, brillaient de reconnaissance. Oh, il savait qu’il jouait à un jeu dangereux, là, allongé avec Pierre dans le lit qu’ils partageaient trop souvent, l’enfant qu’ils élevaient ensemble entre eux. Il le savait très bien. Il le sentait dans la façon qu’avaient ses entrailles de se tordre, dans la chaleur qui chatouillait son ventre, dans le picotement de sa peau qui n’attendait que d’être touchée, dans ses envies, ses désirs, ses rêves, son imagination, tout ce qui avait changé depuis que Pierre avait commencé à s’occuper de Mélissa… Il était en train de tomber amoureux, et il adorait ça. Il se laissait faire, se prélassait dans la douceur d’un nouveau quotidien à deux, avec celui qu’il ne pouvait jamais décevoir même s’il essayait.
Au final, il avait été mauvaise langue. Il ne s’endormit pas, alors que la petite fille tomba de fatigue après vingt minutes. Il fallait dire que la voix de Pierre se prêtait à l’exercice : plus grave que la sienne, il arrivait à lui donner un ton si doux, pas vraiment monotone mais régulier, qu’il en devenait un merveilleux conteur pour l’enfant. Et même si Sylvain avait remarqué que sa fille dormait, il n’en dit rien à Pierre, juste pour l’entendre parler encore un peu, pour profiter…
Alors Pierre finit le livre. Il le referma doucement, vérifiant que Mélissa dormait bien, puis lança un regard vers l’autre homme. Il était un peu plus affalé que Sylvain, alors il dut lever la tête. Il lui adressa un petit sourire qui lui fut rendu.
« Tu me voles mes fringues, maintenant ? murmura-t-il en donnant un coup de tête en direction du pull.
-Je pensais que tu l’avais pas remarqué, avoua Sylvain avec une expression d’enfant pris la main dans le sac. J’adore parce que les manches sont trop longues. »
Il leva un bras et lui fit la démonstration de son jeu favori avec un petit rire. Pierre se redressa suffisamment pour embrasser sa mâchoire, à défaut d’atteindre sa joue.
« Tu peux le garder, t’es mignon dedans, le complimenta-t-il.
-Tu devrais pas me dire ça, tu ne posséderas plus aucun vêtement dans cette maison, le prévint son interlocuteur.
-Je crois que j’ai signé pour ça en te proposant d’emménager, soupira Pierre, faussement blasé. Allez, je vais la coucher. »
Il attrapa l’enfant endormie en douceur et se leva, quittant la pièce.
Sylvain, lui, était figé. Lors de leur discussion antérieure à propos de la maison, il n’avait pas totalement saisi l’implication de ses paroles, de ce qu’il avait accepté. Enfin si, mais l’entendre aussi platement déclaré, comme un fait certain, lui tordait le ventre d’une toute autre façon. Emménager. Oui, il avait bien dit qu’il allait résilier son bail après tout. Oui, Pierre lui avait expliqué qu’il pouvait rester, qu’il en était heureux. Mais emménager, c’était sérieux, ça prenait du temps, ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère…
Il tourna son regard vers l’armoire qu’il n’avait pas totalement refermée tout à l’heure, d’où dépassait ses t-shirts, ses pantalons… Il y avait là plus de la moitié de son dressing. Bordel, il avait déjà emménagé. Et Pierre, qui avait démonté le lit de la chambre d’amis, qui avait préparé pour Mélissa une chambre toute à elle, qui leur faisait à manger tous les soirs, ce Pierre-là, trop gentil, l’avait laissé faire. Mais il n’arrivait pas à s’en vouloir, la réalisation le rendait trop heureux, au fond.
Oslo entra dans la chambre et sauta sur le lit, à la place de Pierre, comme il le faisait parfois quand Sylvain s’y trouvait. La ‘’place de Pierre’’, parce que l’autre était réservée à Sylvain, maintenant. Oh, il était vraiment, vraiment dans la merde.
Sylvain jeta un regard au chien et tendit la main pour le caresser, mais Oslo se mit immédiatement à la lécher, faisant rire l’homme qui le laissa faire. Puis après quelques secondes, l’animal se tourna pour offrir son ventre à son humain, que ce dernier caressa donc avec joie.
Quand Pierre revint, il vira rapidement le chien du lit, le faisant sortir de la chambre en silence. Habitué, l’animal obéit et trotta vers son panier.
« Quelle idée de venir me voler ma place tous les soirs, marmonna le maître.
-T’es jaloux ? se moqua Sylvain. »
Son interlocuteur se tourna vers lui avec un sourire, faisant le tour du lit pour s’allonger là où se trouvait le chien plus tôt.
« Peut-être.
-Quoi, tu veux des caresses ? rigola doucement son homologue. »
Pierre s’installa sous le drap et son ami fit de même
« Peut-être, répéta le premier. »
Sylvain le tira alors, si bien que sa tête se retrouva contre le ventre de l’autre, et ses doigts passèrent contre son crâne.
Pierre n’avait pas eu le temps de réagir, mais il appréciait bien trop la nouvelle position pour dire quoi que ce soit. Il retira juste ses lunettes, que Sylvain prit de sa main libre pour les poser sur sa table de chevet, et ferma les yeux en souriant. L’autre homme jouait avec ses mèches courtes, avec la peau sensible derrière son oreille, avec les poils drus de sa barbe… Son pouce passa contre sa lèvre, ce n’était pas de sa faute, il ne voyait pas vraiment ce qu’il faisait comme Pierre se trouvait dos à lui. Pas grave, il continuait ses tendres attentions.
Les doigts de Sylvain effleurèrent le cou de l’autre, avant de remonter dans ses cheveux à nouveau.
« C’est agréable, quand même, remarqua Pierre à voix toute basse. »
Sylvain ne pouvait s’empêcher de penser à la nuit dernière, quand son ami avait caressé son corps à la manière d’un amant. Il voulait ressentir ça de nouveau, il en crevait de désir, il en avait besoin même. C’était plus fort que lui, ça le démangeait, ça bouillonnait dans son ventre…
Alors il obéit à ses tentations, sa main glissant dans le dos de Pierre aussi loin qu’il put, tirant son t-shirt, passant ses doigts dessous pour se poser contre son flanc. L’autre homme se souleva même pour que le haut de son pyjama remonte plus facilement. Visiblement, ils avaient la même envie. Sylvain ne s’arrêta pas. Encouragé, il caressa le ventre de son homologue, osant à peine toucher sa poitrine… Il s’y aventura malgré tout, suivant la traînée de poils qui s’épaississait au niveau des pectoraux.
Après quelques minutes, Pierre souleva de nouveau son corps avec effort. Son ami suspendit son geste pour le laisser faire ce qu’il voulait, sans savoir ce que c’était. Pierre se retourna, levant vers lui un regard brillant. Sa tête se trouvait maintenant sur la poitrine de l’autre, contre son cœur, qu’il entendait battre un peu vite, avec quelques irrégularités. Ça le fit sourire, parce que le sien était dans le même état.
Aucun des deux ne parla. Ils restaient résolument silencieux, même quand Sylvain reprit ses caresses et que Pierre entama les siennes, moins timide que son ami. Il se redressa même, approchant son visage du sien, les yeux posés sur les lèvres de l’autre. Il voulait y posait ses lèvres à la place et était bien parti pour… sans compter sur l’enfant qui, à quelques mètres d’eux, éclata en sanglots.
Sylvain se racla la gorge, donc, et repoussa doucement son homologue pour ne pas le brusquer. Il avait l’air un petit peu mal à l’aise malgré tout, quand il se leva pour aller s’occuper de sa fille, laissant Pierre penché sur du vide.
Ce dernier soupira, retombant contre le matelas, roulant sur le dos. Il passa ses mains sur son visage, jusqu’à ce que le bord de ses paumes se trouvent contre ses yeux.
« Bordel, souffla-t-il. Pierre, t’es trop con. »
Il soupira et se réinstalla normalement dans le lit, à sa place, n’envahissant plus l’espace de Sylvain.
Celui-ci revint rapidement, Mélissa s’était rapidement rendormie après son réveil en sursaut sûrement causé par un cauchemar. Le père se glissa à nouveau sous les draps et, sans demander la permission à son ami, se blottit contre son flanc en passant un bras en travers de son torse, comme il avait l’habitude de le faire. Le geste soulagea quelque peu Pierre, qui avait eu peur d’avoir tout fait foirer. Sylvain ne semblait pas lui tenir rigueur du mouvement qu’il avait amorcé plus tôt… avait-il seulement compris ce qui était en train de se passer ? Voilà une question qui torturerait Pierre durant la nuit. Il espérait qu’elle ne le tienne pas éveillé trop longtemps, tout de même.
Le lendemain, comme prévu, fut une journée compliquée. Les deux hommes étaient fatigués, ce qui transforma le tournage en une succession d’événements chaotiques et de blagues bancales. Ils riaient bien, tous les deux, au moins. Leur équipe leur jetait parfois des regards étranges, mais ils s’en fichaient. Ce n’était pas la première fois qu’ils étaient dans leur monde.
Peut-être que c’était différent, cette fois. Ils ne savaient pas trop, ils passaient trop de temps ensemble maintenant pour s’en rendre compte. Anaëlle leur glissa d’ailleurs quelques remarques pendant la pause déjeuner, Pierre en rit nerveusement, Sylvain sourit poliment en restant silencieux. Bizarre, pensa leur employée.
Après d’innombrables problèmes, blagues plus ou moins bonnes et heures de tournage, la journée se termina enfin. Sylvain était plus qu’épuisé, fixant souvent le vide, faisant peu attention au monde qui l’entourait. Pierre lui attrapa le bras et le prit à part pour lui intimer :
« Va te reposer dans la voiture pendant qu’on remballe.
-Mais faut que je vous aide, je peux pas vous laisser ranger comme un connard, s’indigna le jeune homme.
-T’as l’air à deux doigts de clamser frère, vraiment, va te reposer, contra son interlocuteur. En plus, on devra s’occuper de Mélou quand on rentrera, faut que tu reprennes des forces. »
Sylvain baissa le regard, l’air boudeur. Comme son ami le poussait vers le véhicule, il soupira, défait :
« Ok, ok, j’y vais. Pas besoin de m’y conduire !
-On sait jamais, si tu tombes de fatigue en chemin, se moqua doucement Pierre. »
Mais il lâcha malgré tout son collègue pour le laisser s’installer dans le véhicule.
Arthur s’avança vers Pierre avec un sourire en coin, s’arrêtant face à lui, les mains sur les hanches.
« Vous allez rentrer ensemble ? demanda-t-il en voyant Sylvain s’installer dans la voiture de Pierre. »
Ah, c’est vrai, il ne les avait pas vu arriver ensemble, et l’emménagement de Sylvain n’était pas encore officiel.
« Ouais, vu qu’il dort chez moi, répliqua simplement l’autre homme en glissant ses mains dans ses poches – eh oui, il commençait à faire froid, maintenant que le mois de novembre avait commencé.
-Ah ouais, vous faites soirée pyjama ? blagua Arthur.
-Un peu longue la soirée pyjama, ça fait un mois quand même. »
Pierre sourit, fier de lui face à l’étonnement de son ami. Puis il se prit un coup de coude qui le déstabilisa un peu.
« Ah bah enfin, vous avez passé le pas. »
Ce fut au tour de Pierre d’être étonné. Il rit, baissant la tête, gâchant la pointe de déception qui teintait sa voix :
« Te méprends pas, c’est pour l’aider avec Mélissa. »
Son homologue hocha la tête, pas l’air convaincu pour un sou. Tant pis, il aurait essayé. Il disait la vérité après tout, pas vrai ?
Les deux hommes se décidèrent à aider les autres à ranger, remballant le matériel et nettoyant le lieu avant toute chose. Quelqu’un proposa d’aller boire un verre, comme ça arrivait parfois, mais Pierre refusa. Sylvain était trop fatigué, il voulait juste rentrer et retrouver Mélou. Il laissa donc son équipe là, les saluant et les remerciant chaleureusement, rejoignant la voiture.
Quand il entra dans le véhicule, Sylvain ouvrit les yeux et sortit la tête de la boule qu’il formait sur le siège passager.
« Il t’a dit quoi Arthur ? marmonna-t-il, visiblement à moitié endormi. »
Pierre se mordit la lèvre. Les mots de son ami le travaillaient toujours, et pour cette raison il décida de les partager :
« Il a demandé si on rentrait ensemble, et quand je lui ai répondu que oui, il a dit qu’on avait enfin passé le pas. Comme ça. C’était même pas une question… On ressemble tant que ça à un couple ? »
Il se tourna vers son interlocuteur, un bras sur le volant et l’autre accoudé à son siège. Sylvain lui lança un regard espiègle.
« Faut croire, c’est pas le premier à nous faire la réflexion. Regarde au supermarché, lança-t-il, avec la vieille homophobe.
-Oui mais elle, elle nous connaît pas ! rétorqua Pierre.
-Mais c’est encore pire ! argua son collègue.
-Ah non, je suis pas d’accord ! répliqua l’autre homme avec énergie. Je me pose mille fois plus de questions quand Anaëlle nous lance un regard en coin en disant qu’on est mignons à deux que quand une espèce de connasse nous insulte au Super U ! »
Sylvain se tut, parce que l’autre avait raison. A la place, il éclata de rire. C’était trop bizarre pour ne pas se le permettre… Comment sa vie avait-elle pu basculer autant en trois mois ?
Le retour se déroula dans la bonne humeur, quoique leurs discussions avaient parfois la même énergie que le débat précédent. Ils s’amusaient bien, même si ça ne reposait pas Sylvain, du coup. Il semblait toujours énergisé quand l’autre homme était à ses côtés. La nuit était tombée depuis un moment, il fallait bien combattre la déprime.
Marine fut heureuse de les voir revenir avec le repas du soir : un MacDo pour trois. Elle avait passé la journée à s’occuper de la petite, et bien qu’elle fût plutôt facile à vivre, elle méritait tout de même salaire pour ses longues heures – de six heures du matin à huit heures du soir, quatorze heures !
Après les embrassades avec la sœur, Sylvain se dirigea vers sa fille pour la prendre dans ses bras. Celle-ci le câlina en collant sa tête contre son épaule, ce qui eut pour effet de faire fondre son cœur. Il ne la garda pas longtemps ceci dit, parce qu’il avait faim mais surtout parce que Pierre voulait aussi la prendre dans ses bras, ce qu’il fit quelques minutes, le temps que les deux autres ne déballent le repas.
Puis les trois adultes passèrent à table, la petite se trouvant installée dans sa chaise haute. Alors qu’il avait entamé son sandwich, Sylvain demanda à sa sœur :
« Mar’, tu trouves qu’on ressemble à un couple ? »
Elle mit un temps avant de percuter ce qu’il lui demander. Alors elle rit et répondit honnêtement :
« Avec Pierre ? J’osais pas le dire. ‘Fin, tu m’as quand même demandée ce matin si j’étais libre dans le mois pour t’aider à déménager. Je veux pas dire, mais c’est suspect. Enfin, t’inquiètes pas, si les parents ont bien pris la nouvelle pour Mélissette, je pense qu’il y a aucun souci pour Pierre. Ils l’attendent, même. »
Sylvain éclata de rire à la dernière phrase, tandis que son ami s’obstinait à fixer son repas, silencieux.
« Comment ça, ils l’attendent ?! s’indigna le premier. Mais on est pas ensemble, hein…
-Pour l’instant, ajouta la jeune femme avec un sourire moqueur. Ils parlent toujours de lui en disant ‘’ton grand dadais’’, ils ont pas l’air au courant que vous êtes juste amis, hein. »
Enfin, Pierre explosa à son tour, riant à gorge déployée si bien que Mélissa se tourna vers lui, curieuse.
Sylvain mit rapidement fin à la conversation en réitérant que non, il ne sortait évidemment pas avec Pierre, ils étaient amis et son ami l’aidait simplement à élever sa fille, comme il était père célibataire. Pierre cessa de rire : pourquoi semblait-il si gêné d’un coup ? C’était bien lui qui avait lancé la conversation pourtant, à quoi s’était-il attendu ? Il baissa à nouveau le regard, trouvant ça vachement moins amusant, d’un coup.
Pourtant, Sylvain n’avait pas voulu paraître si rude. Ses pensées étant ce qu’elles aidaient, il s’était mis à réfléchir un peu trop fort à ce que son futur pouvait être. Et il le voulait avec Pierre. Pierre qui lui offrait son hospitalité, qui ne se doutait pas… Ou peut-être que si. Il avait essayé de l’embrasser après tout, non ? Pourtant quelque chose bloquait, Sylvain doutait, méritait-il seulement cette attention ? Décidément, la fatigue était trop forte et jouait avec ses sentiments.
Marine partit rapidement après le repas, pressée de retrouver son chez-elle. Son frère soupira en claquant la porte derrière elle. Pierre, derrière lui, hésita un instant avant de l’enlacer doucement, collant son torse à son dos.
« T’as l’air crevé mon pauvre, remarqua-t-il doucement. »
Sylvain fondit dans l’étreinte, calant son crâne sous le menton de son ami.
« Ouais, souffla-t-il. Je crois que je suis trop fatigué pour penser, ça me rend triste… Je vais prendre une douche. »
Il s’extirpa de l’étreinte et traîna des pieds vers le couloir.
Pierre l’interpella avant qu’il ne quitte la pièce, se rapprochant de lui en quelques enjambées.
« Attends, je vais te couler un bain, ce sera plus sympa non ? »
Son homologue ne put s’empêcher de sourire. Oh, qu’il se sentait chanceux… Oh, qu’il aimait ces petites attentions. Il ne s’en lasserait jamais, probablement. Pierre était plus galant qu’il ne voulait l’admettre.
Sylvain hocha la tête, alors son ami passa devant lui et entra dans la salle de bain d’abord, préparant le bain avec méthode. Il était visiblement habitué. L’autre commença à retirer sa chemise pendant ce temps, puis son pantalon. Cependant, quand Mélissa commença à pleurer, il renfila ce dernier. Pierre l’arrêta en attrapant son bras, le dépassa, s’apprêtant à sortir de la salle de bain pour s’occuper de l’enfant. En passant devant Sylvain, leurs corps se rapprochant, il embrassa son front rapidement et murmura :
« Je vais m’en occuper, t’inquiète pas. »
Avant même que l’autre puisse répondre, il était déjà parti.
Sylvain accepta donc son dur sort et termina de se déshabiller. Il plongea dans l’eau avec un soupir : elle était un poil trop chaude, mais ce n’était pas très dérangeant, sa peau s’adapterait. Elle rougit malgré tout à cause de la différence de température.
Il se prélassa longuement, prenant tout son temps pour se laver les cheveux et le corps, pour détendre ses muscles endoloris par la fatigue, le stress et le froid, pour se reposer. Il ferma les yeux au bout d’un moment, se laissant couler au fond doucement. Son visage resta seul au-dessus de l’eau.
Après plusieurs dizaines de minutes, Pierre frappa à la porte. Son ami sursauta en rouvrant les yeux et se redressa.
« Oui ?
-Mélou est en train de s’endormir, tu veux lui dire bonne nuit ? demanda doucement l’autre homme.
-Attends. »
Sylvain rinça ses cheveux aussi vite qu’il le put puis sortit de la baignoire. Il glissa sur le tapis et se rattrapa maladroitement sur le lavabo, son poignet prenant un drôle d’angle. Il grimaça mais n’y accorda aucune attention, s’enroulant dans une serviette à la place.
Il ouvrit enfin la porte, un poil essoufflé, ce qui poussa Pierre à rire.
« Elle pouvait attendre deux minutes de plus, hein…
-Je voulais pas faire attendre ma princesse. »
Il la prit dans ses bras pour la câliner et l’embrasser un moment, sous le regard attendri et un brin moqueur de Pierre, avant de la remettre dans ses bras comme elle s’endormait définitivement contre lui.
« Bonne nuit Mélou, murmura-t-il, embrassant une dernière fois son crâne. »
Pierre disparut à nouveau, le laissant se sécher correctement et enfiler son pyjama.
Les deux hommes se retrouvèrent dans la chambre. Pierre était déjà allongé, ses lunettes posées sur la table de chevet à côté de lui, attendant son ami. Sylvain se pencha sur le lit, posa sa main pour s’y asseoir… et jura bruyamment. Son poignet le brûla soudainement et il vacilla sur son appui. L’autre homme se redressa, inquiet.
« Ça va ? Tu t’es fait mal ?
-Ouais, j’ai glissé dans la salle de bain et je me suis mal rattrapé, se plaignit Sylvain.
-Attends-moi. »
Pierre se leva et sortit de la chambre, alors son ami n’eut pas d’autre choix.
Il revint à peine une minute après de toute façon, une trousse de soin à la main. Il s’assit face à son homologue sur le lit et tendit la main.
« Fais voir. »
Sylvain obéit, lui présentant son poignet et expliquant sa douleur. Pierre le massa alors, doucement, appuyant quand il le fallait tout en veillant à ne pas en rajouter à sa blessure.
Quand il eut fini, Pierre porta le bras de l’autre homme à ses lèvres et l’embrassa près de la blessure tout en évitant la zone enduite de pommade. Sylvain sourit au geste, qui devenait décidément récurrent entre eux.
« Et voilà, j’espère que ça ira mieux demain.
-J’espère aussi. Merci beaucoup, Pierre, murmura Sylvain. Pour toute la soirée, le tournage, le bain, ça… Merci. »
Il avait les yeux humides, la voix tremblante, le nez retroussé et les lèvres pincées. Pierre savait ce que cela voulait dire, il leva la main pour caresser sa joue, le voyant ferme les yeux et se pencher dans le geste.
« C’est la fatigue qui te rend émotionnel ? questionna-t-il sans reproche. »
Sylvain hocha la tête, ne pouvant retenir les premières larmes qui coulaient déjà.
Comme un réflexe, Pierre passa une main derrière sa nuque et le tira vers lui. Son homologue posa son front contre son épaule en s’accrochant sans grande force à son haut de pyjama. Il lâcha entre deux sanglots, entre deux larmes, d’une voix toute serrée d’enfant épuisé :
« Je sais pas où je serais sans toi…
-Normalement, tu serais encore chez Bosch, blagua Pierre en caressant son dos, lui arrachant un rire mouillé. »
Il le laissa pleurer tout son saoul, s’allongeant au bout de moment pour être plus confortable. Il ne le lâcha pas, au contraire il le serra plus fort contre lui.
Sylvain cacha son visage dans le creux de son cou et emmêla ses jambes aux siennes, retrouvant une respiration lente et régulière après quelques minutes.
« Eteins la lumière s’il te plaît, chuchota Sylvain d’une voix légèrement cassée. »
Pierre obéit et reprit sa position. Il sentait l’autre homme s’assoupir dans ses bras et il le laissa faire, passant une main dans ses cheveux, s’endormant lui aussi. Ils pouvaient enfin se reposer un peu, en espérant que Mélissa ne se réveille pas dans la nuit…
Deux nouveaux mois passèrent ainsi, durant lesquels Sylvain, avec l’aide de sa sœur, de ses ami·es et avant tout de Pierre, déménagea la totalité de ses possessions de son appartement jusqu’à sa nouvelle résidence. Son ami lui avait définitivement laissé la moitié de son armoire pour y ranger ses vêtements, mais aussi de son bureau, de son étagère à DVDs, de son meuble de télévision pour les consoles, du lavabo dans la salle de bain…
Sylvain n’eut aucun mal à trouver ses marques, puisque cela faisait déjà deux mois qu’il y passait la majorité de son temps. Ça avait été plus progressif qu’il ne l’avait imaginé, au final, et Mélissa s’était parfaitement acclimatée à la nouvelle maison. De toute façon, elle y avait déjà passé bien plus de temps qu’à l’appartement.
Les fêtes étaient passées entre temps, séparant les deux amis et surtout Pierre de Mélissa. Il fit donc promettre à Sylvain de lui envoyer régulièrement des nouvelles, ce que l’autre respecta à la lettre avec de nombreuses photos, soigneusement sauvegardées par Pierre. Il fallait dire qu’elle était vraiment adorable, dans sa robe verte, entourée de tous ses jouets. C’était le premier Noël de l’enfant et elle avait été gâtée par la famille de son père et tous ses proches.
L’installation achevée, la stabilité retrouvée, le jeune père eut un meilleur sommeil, toujours passé dans les bras de Pierre, et put enfin se reposer. Il se réveillait plus facilement, du coup, pour le plus grand bonheur de son colocataire qui n’avait plus à subir sa mauvaise humeur matinale.
D’ailleurs, ce matin-là, un matin fatidique de janvier, Sylvain se leva alors que Pierre était déjà dans la salle de bain, en train de se doucher. Il attendit donc son tour avant d’entrer dans la pièce. Il avait besoin de se raser, il arborait déjà une barbe de deux semaines et, même s’il allait mieux, il n’avait pas vraiment les capacités de s’en occuper correctement. La solution était radicale, mais il verrait plus tard pour la garder.
Il s’installa donc face au miroir, déployant le nécessaire sur les bords du lavabo. A peine avait-il commencé que Pierre ouvrit la porte, juste de quelques centimètres, pour lui annoncer :
« Mélou est réveillée !
-Je peux pas m’occuper d’elle là, tu peux le faire ? répondit Sylvain d’une voix absente, concentré sur son rasage.
-Bien sûr ! »
Et la porte se referma, mais ça n’empêche pas le papa d’entendre son ami parler à Mélissa :
« Allez, viens par-là mon chat, c’est tonton Pierrot qui te donne ton petit-déjeuner ce matin ! Papa est en train de se raser pour être tout beau après. »
Sylvain sourit, attendri, sans cesser les gestes répétitifs.
Une dizaine de minutes plus tard, il entendit le cri un peu paniqué, un peu excité de Pierre, qui le pressait de venir. Il ne lui restait pas grand-chose, alors il le fit patienter un petit peu pour finir. Quelques minutes encore, et il put rejoindre les deux autres dans le séjour, sans même avoir prit le temps d’enfiler un t-shirt.
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Pierre avait les yeux brillants, un peu humides. Le cœur de Sylvain rata un battement : il n’avait pas compris que c’était si urgent…
Pierre était assis sur le canapé, Mélou lui faisant face, assise sur ses genoux. Le papa les rejoignit tandis que son ami demandait à l’enfant :
« Tu peux répéter ce que tu m’as dit ?
-Elle a parlé ?! s’exclama Sylvain, ne voulait pas tirer de conclusion hâtive. »
Mais Pierre ne lui répondit pas et répéta seulement sa question. Alors Mélissa, le fixant de ses grands yeux de bébés, avec son sourire gai, parla :
« Papa ! »
Et le monde s’arrêta pour Sylvain.
Il mit un moment avant de réaliser que ce n’était pas à lui que ce mot était adressé, et Pierre semblait bien embêté par l’affaire. Il s’excusa même :
« Je suis désolé, je sais pas pourquoi elle me le dit à moi… »
Mais la déception passée, Sylvain était juste profondément heureux. Euphorique, même. Il se jeta dans le canapé, à côté de Pierre, et se pencha vers sa fille pour la féliciter abondamment. Elle avait parlé. Elle venait de prononcer son premier mot. Et au final, peu lui importait que ce ‘’papa’’ ait été adressé à Pierre, ou plutôt si, ça lui importait, parce qu’il mérite ce titre plus que celui de tonton, parce qu’il était le meilleur père qu’il aurait pu espérer pour sa fille, parce qu’il faisait ce qu’il pouvait depuis le début.
Oui, Pierre était un père pour Mélissa. Ce n’était pas illogique, en y réfléchissant. Il s’occupait d’elle, lui donnait le bain, le biberon et la cuillère, l’habillait, la changeait, la consolait et la berçait des heures durant, et surtout il l’aimait comme un père. Alors Sylvain ne lui en voulait pas, comment pouvait-il ? Son ami avait simplement rempli toutes les cases.
L’émotion l’étouffait. Il pleurait des grosses larmes de joie tout en riant, interpellant sa fille pour lui parler malgré sa gorge serrée :
« T’es trop forte princesse, tu veux pas le redire pour papa ? Le redire à Pierre ? Pu—rée je suis tellement heureux, t’as pas idée de ce que tu viens de faire Mélou, ma chérie… Mer—Hum, je chiale… »
Pierre le laissait faire, souriant largement devant la scène, pleurant lui aussi. En voyant que l’autre homme ne lui en tenait pas rigueur, il ne pouvait que se sentir fier et heureux, tout comme lui.
Sylvain se redressa et échangea un regard avec Pierre, riant nerveusement. C’était des à-coups par-ci par-là, secouant tout son pauvre corps épuisé par l’adrénaline. Elle retombait peu à peu, tandis qu’il se rapprochait de Pierre, laissant son pauvre cœur reprendre un rythme régulier. Ses yeux continuaient de pleurer pourtant, ils ne pouvaient pas s’arrêter, ils ne pouvaient pas faire autrement.
« J’ai du mal à y croire, murmura Sylvain d’une toute petite voix. »
Et comme il se remettait à pleurer, Pierre l’enlaça d’un bras et le tira vers lui, le laissant se blottir contre sa poitrine.
« Moi non plus, répondit-il doucement, d’une voix plus claire et un peu plus assurée. Je pensais pas… Je pensais pas qu’elle me le dirait à moi, je suis désolé, je… »
Il se mordit la lèvre un instant, se recomposant, avant de reprendre :
« Elle l’a dit comme ça, pendant que je lui parlais, mais j’avais arrêté de lui parler de toi et—enfin, peut-être qu’elle t’appelait. En même temps je t’appelle tout le temps comme ça, je sais pas. J’en sais rien. Tu crois que c’est moi qu’elle a appelé comme ça ? Nom de dieu, tu crois qu’elle m’a appelé papa ?! »
Son exclamation fit sourire son ami, le fit rire même. Oh, qu’il était heureux…
Il passa sa main sur le torse de Pierre, jusqu’à sa poitrine, pour l’aider à se calmer. Il se redressa, prenant appui sur lui, tournant ses yeux vers les siens. Comme l’autre ne le regardait pas, il posa son autre main sur sa joue pour lui faire tourner la tête.
« Tu le mérites, Pierre.
-Hein ? lâcha avec éloquence le susnommé. »
Son regard se baissa un bref instant vers le menton de son interlocuteur, ou plutôt ses lèvres, et celui-ci le comprit. Il sourit tendrement.
« Tu le mérites Pierre, répéta-t-il. Tu es un super papa pour elle. Tu l’aimes tellement, ça crève les yeux, et t’es juste tellement doué avec elle que j’en suis jaloux. Je me demande comment tu fais. T’es le meilleur père qu’elle pouvait avoir. »
Et Sylvain, pour éviter qu’il ne réponde, qu’il ne s’indigne, qu’il ne rit, ou les trois en même temps, l’embrassa. Il en mourait d’envie depuis des semaines, et il savait que c’était aussi le cas de son homologue.
Pierre se figea, juste une fraction de seconde, sous le baiser. Quand son cerveau enregistra ce qui était en train de se passer, il y répondit. Un peu timide, un peu hésitant, c’était Sylvain qui menait et ça lui allait de le laisser faire. C’était seulement une poignée de secondes mais ça leur parut à tous les deux plus longs.
Quand ils se séparèrent, Sylvain se détourna rapidement pour prendre Mélissa dans ses bras et le câliner, dansant avec elle au milieu de la pièce. Pierre, lui, était toujours abasourdi, les observant.
« Tu… tenta-t-il dans sa confusion.
-Tais-toi, ordonna l’autre homme, ferme avec juste un brin de douceur. »
Il ne voulait pas en parler maintenant. Ni ce jour-là ni le lendemain. Il voulait juste profiter et ne pas réfléchir à ce qu’il venait de faire. Et Pierre, pauvre Pierre, si heureux aussi, si étonné, Pierre n’eut pas le cœur de transgresser l’ordre. Il obéit donc, avec un doux sourire et un regard tendre pour celui qu’il aimait et leur fille. Leur fille à eux. Eux deux. Oui, ça sonnait bien. Il pourrait s’y faire…
2 notes · View notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 10
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 1109 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 10
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 | ACTE I, Scène 7 | ACTE I, Scène 8 | ACTE I, Scène 9
Lou et Sylvain entrent ensemble dans la salle d’attente du cabinet du psychiatre. Le jeune homme est en train de mordre le bracelet que son amie lui avait offert.
LOU. Souviens-toi de ce que je t’ai dit : c’est effrayant, mais ça va bien se passer. Je crois en toi. Pierre aussi.
SYLVAIN. Ça me rassure pas, ça veut dire que si je foire, ça fera deux déçus.
LOU. Y’a rien à foirer alors t’inquiète pas, Sylv'.
Elle embrasse son front, pour le rassurer.
La porte s’ouvre sur le psychiatre derrière eux. Lou s’avance aux côtés de son ami.
SYLVAIN, l’empêchant d’avancer. Non, je vais y aller seul.
LOU. T’es sûr ?
Il hoche la tête et suit le spécialiste à l’intérieur du bureau, un joli bureau soigneusement décoré pour être chaleureux et lumineux. Le psychiatre est également plus jeune que ne l’aurait pensé son patient. Lou, de l’autre côté de la porte maintenant fermée, meurt d’inquiétude, se rongeant les ongles.
Le psychiatre sert la main de Sylvain et lui fait signe de prendre place. Il s’assoit lui-même face à son patient.
LE PSYCHIATRE. Bonjour monsieur Levy, comment allez-vous aujourd’hui ?
La question désarçonne le susnommé, qui ne s’y attendait pas. Pourtant, c’était un premier contact normal entre deux êtres humains, éloigné des formalités médicales.
SYLVAIN. Ça va. Je dois vous avouer que je suis très stressé, je ne sais pas à quoi m’attendre.
LE PSYCHIATRE. C’est souvent le cas, mais ne vous en faites pas. Je suis ici pour vous aider. Et pour cela, j’ai besoin que vous vous présentiez : votre situation, ce que vous faites dans la vie, vos passions… Tout ce qui vous semble pertinent à dire pour qu’une personne vous connaisse mieux.
Sylvain réfléchit quelques secondes, puis se lance avec une grande inspiration. Pendant qu'il parle, le psychiatre prend des notes.
SYLVAIN. Je m’appelle Sylvain Levy, j’ai 28 ans, je suis né le 16 juin 1993 à Saint-Etienne, où j’ai grandi, aussi. J’ai une sœur. J’ai fait des études de marketing à Lyon, en alternance, puis j’ai travaillé dans l’automobile. J’aime beaucoup les voitures, l’automobile en général, c’est une passion qui me suit depuis toujours, je dirais. Hum, j’ai d’ailleurs créé une chaîne YouTube avec mon meilleur ami, Pierre. C’est d’ailleurs lui et sa copine, Lou, qui m’ont poussé à venir ici, ils me soutiennent beaucoup. Honnêtement, je sais pas où je serai sans eux. Sûrement au chômage. Il rit nerveusement, la lumière s’intensifie. Et… Ouais, j’aime travailler autour des voitures. Surtout avec la chaîne YouTube, on a une liberté… impressionnante. Que j’avais pas dans mes anciens métiers. On essaye des voitures incroyables… et moins incroyables. On en détruit, aussi. Enfin, pas pour rien hein, on teste des trucs avec genre si ça marche sans huile. Ou si ça roule au champagne. Ouais, on est très cons avec Pierre. Et très fan de voitures. Je viens d’en acheter une, d’ailleurs. Une Xantia Exclusive, je l’adore. Pierre est moins sûr de mon choix, mais c’est celle que je voulais depuis des années. Je suis pas déçu… Ouais, euh, pour l’instant. Parce que j’ai tendance à avoir la poisse, donc on verra bien ce qui pétera, mais en attendant elle répond totalement à mes attentes. Puis elle est si belle… Bon, il y a quelques rayures sur la carrosserie et le ciel de toit est décollé, mais c’est des soucis qui arrivent souvent dans la vie d’une voiture, surtout de cet âge, et surtout celle-là. Pour le reste, elle est dans un état clinique ! Pierre est convaincu que je vais péter un truc dans les prochaines semaines, et il a sûrement pas tort. Elle est en très bon état et fonctionne plutôt bien. Ah, oui, non, j’ai déjà eu un problème à l’achat, une petite panne que des amis ont su réparer. Ça va, c’était pas trop cher. Mais je me demande si je pourrais avoir de la chance avec mes véhicules un jour, moto comme voiture…
Il se tait enfin, pensif. Le psychiatre lui lance un regard mi-étonné, mi-amusé.
LE PSYCHIATRE. Vous avez effectivement l’air de beaucoup aimer les voitures, et surtout la vôtre…
SYLVAIN. Vous l’avez pas vu aussi. Elle est incroyable. Ah mais j’y pense ! Il sort son téléphone. J’ai des photos, je peux vous les montrer !
LE PSYCHIATRE. A la fin du rendez-vous, si vous le voulez bien. Dites-moi, vous avez déjà fait des tests pour quoique ce soit, enfant ? Vous avez déjà vu un pédopsychiatre ?
SYLVAIN. Non, jamais.
LE PSYCHIATRE. Très bien… Vous voulez bien répondre à un petit questionnaire sur papier ? Pour que je puisse avoir une meilleure vue d’ensemble sur des critères précis.
Sylvain hoche la tête, alors le spécialiste glisse une feuille devant lui avec un crayon.
LE PSYCHIATRE. Pour chaque item, vous répondez spontanément en cochant les cases à droite. Si vous avez des questions, n’hésitez pas.
Silencieusement, un peu plus stressé qu’auparavant, Sylvain note ses réponses. Il est consciencieux, hésite parfois, jouant avec le bracelet à son poignet, ferme les yeux un instant, les rouvre, efface, renote… Tout cela sous le regard du psychiatre.
Après quelques minutes, il lui rend la feuille. Celui-ci la regarde.
LE PSYCHIATRE. Très bien… Vous êtes sûr que vous n’avez jamais fait de tests ? Aucun bilan TSA ?
SYLVAIN. TSA ?
LE PSYCHIATRE. Trouble du Spectre Autistique. L’autisme, quoi.
Un silence. Sylvain accuse le coup. Ce n’est pas la première fois qu’on lui en parle, mais l’évocation par le psychiatre rend l’éventualité tangible. Ça l’effraie autant que ça le soulage.
SYLVAIN. Non, jamais.
LE PSYCHIATRE. Très bien. C’est la piste que j’aimerais explorer en premier. Je suis étonné que ça soit la première fois qu’un médecin vous en parle.
SYLVAIN, haussant les épaules. Et comment ça se passe ?
LE PSYCHIATRE. Je vous préparerai ça pour notre prochain rendez-vous. Ça passe par divers tests, psychométrie, communication, interactions sociales… pour vois si vous réunissez les critères de diagnostic de l’autisme.
SYLVAIN. D’accord. Ça me paraît cohérent… C’est la fin là ? Je peux vous montrer des photos de ma Xantia ?
LE PSYCHIATRE, se levant et se dirigeant vers la sortie. Allez-y monsieur, je ne veux pas vous retenir plus longtemps.
Sylvain se lève à son tour tout en fouillant dans son téléphone, approchant du psychiatre.
SYLVAIN. Regardez !
LE PSYCHIATRE. Au revoir monsieur. N’oubliez pas de prendre rendez-vous au secrétariat.
Il pousse son patient dehors, qui se retrouve tout penaud devant Lou. Elle sourit.
LOU. Tu voulais lui montrer des photos de ton bébé ?
Il hoche la tête.
LOU. Fais voir ! Je m’en fiche si je les ai déjà vues. Tu me raconteras le rendez-vous plus tard.
Sylvain sourit, la lumière s’intensifiant à nouveau, et tourne l’écran de son téléphone vers elle tout en marchant à ses côtés, quittant la salle d’attente. Quand les deux sortent de scène, la lumière s’éteint. Rideau.
FIN DE L’ACTE I.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 9
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 739 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 9
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 | ACTE I, Scène 7 | ACTE I, Scène 8
Pierre est toujours affalé sur le canapé. La lumière s’allume quand Sylvain et Lou rentrent à nouveau dans la pièce. Le couple salue leur ami avant qu’il ne quitte la maison, pour rentrer chez lui sûrement.
LOU. Attends, tiens. Elle enfile un bracelet au poignet de Sylvain. Tu peux le mordre, au lieu de te bouffer les joues. N’hésite pas à l’apporter au rendez-vous, ça pourrait t’aider à te calmer. Ça s’appelle un stimtoy.
SYLVAIN, observant le cadeau. Merci, il est trop joli en plus… Il est à toi ?
LOU. Je l’avais acheté pour moi il y a quelque temps, mais il est neuf. Je l’ai jamais utilisé au final alors je me suis dit que tu en aurais plus besoin que moi.
Il l’enlace et quitte enfin la maison, pendant que Lou lui fait vivement signe.
Pierre soupire alors, un soupir profond et douloureux. Sa copine le sent, quelque chose ne va pas, alors elle prend des pincettes.
LOU. Je sais que ça te stresse aussi, mais t’en fais pas, je vais accompagner Sylvain à son rendez-vous. On en a convenu et je suis libre, pas de problème avec ça. Je te dirai comment ça s’est passé, s’il est d’accord. Sylvain, pas le psychiatre, je m’en fous de lui…
PIERRE. Pourquoi t’as dit à Sylvain qu’on serait bientôt plus ensemble ? Deux fois, en plus !
Lou comprend que le problème n’est pas Sylvain, et que son petit ami avait entendu plus qu’elle ne l’aurait voulu. Elle n’est pas à l’aise pour avoir cette conversation tout de suite. Elle essaye de changer de sujet, de revenir à Sylvain, mais Pierre tente sans cesse de la couper.
LOU. Sylvain a besoin de nous avant tout ça, on a le temps pour en discuter…
PIERRE. Tu veux rompre ? Pourquoi ?
LOU. Il est dans une situation délicate, c’est un moment charnière pour lui et…
PIERRE. Réponds-moi, Lou. Qu’est-ce qui va pas ?
LOU. … il faut qu’on soit là pour l’épauler, il est venu à nous pour en parler.
PIERRE. Il y a un problème avec moi ?
LOU. Il n’a que nous pour parler de ça, je ne sais pas s’il serait à l’aise d’en discuter avec d’autres.
PIERRE. Réponds-moi, merde, pourquoi tu veux pas répondre ?
LOU. Il a besoin qu’on tienne encore un peu, tu verras, tout ira bien…
PIERRE. Non, Lou. Je vois pas comment ça peut aller bien alors que tu veux me quitter et que t’en parles à mon meilleur pote à chaque discussion !
LOU. J’ai parfois besoin d’en parler aussi et de lâcher un peu la vapeur mais crois-moi, Pierre, il vaut mieux attendre un peu…
PIERRE. Non, merde, j’en ai marre d’attendre ! Apparemment y’a un truc qui ne va pas dans notre couple, tu veux rien me dire et moi j’ai rien vu, merde, parle-moi à la fin !
Elle sourit amèrement et caresse sa joue. Il se baisse, cherchant le contact avec elle, l’enlace même, alors elle dépose un baiser sur son front.
PIERRE, la gorge nouée. Je veux juste que tu me parles, si…
LOU. C’est quelque chose qu’on ne peut pas changer, Pierre. Ne t’en fais pas, je te jure que tout ira bien et à la fin on ne s’en voudra même pas. Mais c’est ok que tu m’en veuilles jusque-là. C’est ma faute, je m’y suis mal prise…
PIERRE. Pourquoi tu veux autant garder le secret ?
LOU. J’ai menti, c’est toi qui as besoin de temps. Ça viendra.
PIERRE. Je veux pas attendre.
Il l’embrasse, doucement, et elle répond au baiser de façon égale, tenant son visage. Elle lui sourit quand iels se séparent.
LOU. Je sais, je suis terriblement désolée… Je pensais que j’étais assez forte pour tout porter seule, mais Sylvain avait besoin d’une oreille pour parler de ce qui lui arrive et… comme je vivais la même chose, c’est tombé sur moi. Moi aussi, j’avais besoin d’une oreille.
PIERRE. Alors dis-le moi, je serai cette oreille.
LOU. Ça ne peut pas être toi… Ne cherche pas à en savoir plus pour l’instant. Je t’aime énormément et je sais que toi aussi, c’est tout ce qui importe pour le moment.
Pierre se résigne. Il la serre contre lui, les yeux dans le vague, l’air triste.
PIERRE. Et Sylvain… J’ai peur pour lui.
LOU. Il est plus fort qu’il n’y paraît, c’est juste que même lui ne le sait pas.
PIERRE. J’espère que t’as raison. Pour tout. T’as toujours raison.
LOU, avec un rire. Je n’ai pas volé le surnom de Lou-voit-tout.
Il rit aussi et ne dit rien de plus. La lumière s’éteint sur leur étreinte.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 8
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 787 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 7
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 | ACTE I, Scène 7 |
Salon de Pierre et Lou. Cette dernière et Sylvain entrent – la lumière augmente. L’homme se met à faire les cent pas dans la pièce, nerveux. Son amie s’assoit calmement sur le canapé en l’observant.
LOU. C’est à cause de ton rendez-vous que t’es comme ça ?
SYLVAIN. J’ai fait un cauchemar.
Réalisation pour Lou, elle comprend rapidement et tend la main vers lui.
LOU. Viens là et raconte à Tata Lou ce qui va pas.
Il se fige, regarde sa main, lentement il la prend et se laisse asseoir sur le canapé.
SYLVAIN. C’était horrible… Et s’il me prenait pour un fou ?
LOU, après un silence. C’est pas une question facile. Qui est fol ? Qui ne l’est pas ? C’est une question de construction sociale, ça, Sylvain. Et quand tu engages avec la psychiatrie… c’est quelque chose auquel tu dois faire attention, sans forcément te priver de compréhension et de soin.
SYLVAIN, grimaçant. Rassurant… Non, vraiment, tu m’aides vraiment à y aller serein là.
LOU. Je t’aide à te préparer. C’est un événement effrayant, un rendez-vous en psychiatrie. Je veux pas te retirer cette légitimité à avoir peur, surtout quand c’est un peu fondé… J’ai eu de très mauvaises expériences avec des psychiatres et rarement de bonnes… N’oublie pas ce que tu attends de ton rendez-vous et colle-y toi. Pas d’écart, tu fais ce qu’il demande, et une fois ton papier en poche, c’est ciao ! Elle fait au revoir de la main d’une façon théâtrale. Non, même pas, t’auras sûrement pas de papiers.
Sylvain se recroqueville, de moins en moins rassuré. Lou le regarde et soupire, elle le prend dans ses bras.
LOU. Ça va aller. Je suis passé par là et j’ai survécu. Tu survivras aussi. Pierre et moi, on t’aidera.
Pierre, justement, entre dans la pièce par le couloir mais s’arrête sur le seuil, hors de leur regard, en les entendant parler. Il les espionne.
SYLVAIN. Oui mais toi, t’es forte. Moi je sais pas tenir mes émotions et en plus je sors d’une rupture.
LOU, avec un rire. Une rupture, c’est rarement facile, c’est sûr. Je le sais bien, je m’apprête à en vivre une…
SYLVAIN. Toi et Pierre ?!
Pierre est sous le choc, mais n’a pas la force d’intervenir.
LOU, hochant la tête. Ouais, une longue histoire. Mais c’est pas le sujet. Après, il y a des moyens détournés d’en apprendre plus sur toi, au-delà de la voie officielle. L’autodiagnostic ou le pairdiag ! Mais c’est dur aussi, et les gens… C’est moins bien vu. Moins considéré.
SYLVAIN. Je vois. Non, je vais essayer la voie officielle Faut juste que je me trouve du courage…
LOU. Si tu veux, je peux t’accompagner. Je te dis : c’est la routine pour moi.
Il y réfléchit, pondère ses options, mordant l’intérieur de ses joues d’un air distrait. Lou l’attend, patiente et bienveillante, comme toujours. Pierre hésite à couper court à leur discussion.
SYLVAIN. Je veux bien. Je pense que ça me canalisera pour éviter que je… pour que je puisse parler. Que je ne perde pas ma langue comme avec Charlotte…
LOU, souriante. D’accord, je viendrais. Et je m’assurerai que tu sois dans les meilleures conditions possibles, avant et après. Ce sera fatigant, mais t’inquiète… Tata Lou gère !
Ils rient ensemble et s’étreignent encore un peu. C’est agréable, ça réduit l’anxiété de Sylvain, alors il ferme les yeux un instant. Pierre disparaît à nouveau dans le couloir, toujours troublé.
LOU. Je suis tellement fière de toi Sylvain… Je sais qu’il y a beaucoup de changements à venir pour toi, mais je sais que ça va aller. Fais-moi confiance.
SYLVAIN. Des fois, j’ai l’impression que tu en sais plus que moi sur mon futur. Tu me tires les cartes dans mon dos ??
LOU, éclatant de rire. Non, je ne suis pas cachotière à ce point. Un silence entre elleux. Elle sourit, une idée derrière la tête. Tu veux que je te tire les cartes ?
Il hoche doucement la tête, un peu incertain. Il ne l’a jamais fait pour lui, mais à déjà vu Lou le faire pour elle-même ou pour Pierre. Il est intrigué et un peu perdu, ce qui le pousse à accepter. La spiritualité de son amie déteint sur lui à cet instant.
SYLVAIN. Je veux bien essayer, ça peut pas faire de mal.
LOU. Super ! Ça fait si longtemps que j’attends ce moment !
Elle se lève en hâte, attrape le bras de Sylvain et le tire en dehors de la pièce, dans un lieu où elle pourra lui tirer les cartes sans être perturbée. Par Pierre, à tout hasard…
La lumière s’éteint. Pierre, tout déboussolé, entre comme une ombre dans le salon et se laisse tomber dans le canapé. Il attend. Que Sylvain parte, que Lou et lui soient seul·es. Il a peur, lui aussi. Mais surtout, il veut parler avec sa petite amie.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 7
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 746 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 7
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 | x | ACTE I, Scène 8
Le psychiatre est assis à son bureau, un imposant meuble en bois sombre. Il a la mine austère, lisant des documents par-dessus ses lunettes. La lumière est faible, il a du mal à lire. On frappe.
LE PSYCHIATRE. Entrez.
Sylvain entre, courbé et mal à l’aise. Il se mord les joues, joue avec ses mains… Il en tend une, une fois devant le bureau, pour que le psychiatre la serre. Il n’en fait rien.
LE PSYCHIATRE. Asseyez-vous.
Il avait une voix d’automate, réalise Sylvain en obéissant. Décontenancé, il cesse  de bouger un instant, l’observant. Peut-être qu’en regardant de plus près, il pourrait voir les gaines des fils dans son cou, ou des boulons derrière son oreille.
LE PSYCHIATRE. Pourquoi êtes-vous là ?
La question sonnait comme une accusation.
SYLVAIN. Eh bien, euh, je… je vais mal, je crois. Enfin, non, j’agis mal.
LE PSYCHIATRE. Vous avez tué ? Menti ? Pillé ? Torturé ? Frappé ? Blessé ? Insulté ? Calomnié ? Violé ? Diffamé ? Abattu ? Trahi ? Vandalisé ? Menacé ? Tabassé ? Abîmé ? Braqué ?
SYLVAIN, le coupant. NON ! Non, arrêtez avec… avec tout ça ! J’ai rien fait de ce que vous dites—enfin je crois pas…
LE PSYCHIATRE. Parfait, puisque je suis psychiatre et non pas curé. Quel est votre problème, donc ?
Sylvain hésite. Il se remet à jouer avec ses mains, à se mordre l’intérieur des joues, il baisse le regard pour réfléchir… L’homme devant lui s’impatiente.
LE PSYCHIATRE. Allons, crachez le morceau. Si vous n’avez pas de problème, ne me faites pas perdre mon temps. Pourquoi êtes-vous là ?
Sylvain panique. La lumière, pourtant faible, vacille. Il se fait tout petit dans la chaise, bégaye, en vain. Il n’arrive pas à parler, de toute évidence.
LE PSYCHIATRE. Bon, je vais vous faire raccompagner dehors.
SYLVAIN. Non ! J’en ai besoin, je veux arrêter d’être…
LE PSYCHIATRE, le regardant fixement. D’être quoi ?
SYLVAIN. Ennuyeux ? J’ennuie tous ceux autour de moi, sauf deux personnes qui me chères. Je sais pas pourquoi, aidez-moi… Je parle trop, tout le temps.
LE PSYCHIATRE. Vous bougez trop, aussi. Vous prenez trop d’espace. Les atomes que vous déplacez à chaque mouvement répété se seraient bien passés de votre intervention. Les ondes sonores que vous produisez feraient mieux de ne pas être. Ne pas exister. Vous êtes désagréable, égoïste et embêtant. L’univers est un ordre, un ordre que vous ne suivez pas, que vous dérangez quand vous ouvrez la bouche pour respirer, quand vos poumons s’emplissent d’air et l’expirent, oui, quand vous faites tout ce qu’il y a de nécessaire à votre vie misérable, vous désordonnez le monde, vous désobéissez aux lois de la nature et à celles de la culture tout à la fois, tant vous vous opposez aux autres, au reste des gens qui sont là pour faire une différence sur cette vieille terre, à toutes les personnes qui vous regardent et voient en vous tout ce que vous avez toujours voulu cacher. Crachez-le, vomissez ces paroles du pire, du mauvais, de l’injuste, de la haine, crachez cette logorrhée qu’on vous enferme, mauvaise plante que vous êtes. Vous êtes une ronce dans le jardin du cosmos, une ronce à arracher avant qu’elle n’empoisonne tout le reste. Il faut vous arracher de la terre qui a nourri le mauvais être, qui s’est de toute évidence trompée en prenant sous son aile une entité amorphe, désordonnée, chétive et vile, qui n'a fait que l’affaiblir et la tuer. Vous tuez la terre de votre haleine rance. Vous êtes un gâchis d’espace et de temps.
Sylvain se met à pleurer, incapable de se défendre, impuissant face à la violence de l’illusion, car l’homme cauchemarde mais n’en a pas encore conscience.
LE PSYCHIATRE. Vous pensez que moi, j’ai envie de traiter un patient tel que vous ? Une vermine, pas même bonne à être enfermée, seulement bonne à disparaître. Que vous disparaissiez serait le plus grand bien que vous pourriez faire au monde. Il se lève, Sylvain recule. Il fait le tour de son bureau, s’approche de plus en plus de son patient, qui lui prend peur. Disparaissez, maintenant, et ne revenait jamais disgracier la société d’un visage impudent !
Sylvain crie, s’effondre, en larmes. La lumière s’éteint, le psychiatre quitte la pièce, le bureau disparaît.
Quand la lumière revient, Sylvain est allongé sur le sol de sa chambre, hors de son lit défait. Même s’il comprend que tout ça n’était qu’un cauchemar, il pleure l’angoisse du rendez-vous prochain. Il a seulement le temps de rejoindre ses draps pour s’y réfugier avant que le noir ne revienne.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 6
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 1 046 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 6
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 |
Dans la chambre de Pierre et Lou, cette dernière est assise devant le miroir, en train de se maquiller après sa douche, enroulée dans une serviette. Sylvain est assis en tailleur sur le lit, jouant avec une bague trouvée là, une bague appartenant à Lou ou Pierre, il ne savait pas. Ça lui importe peu. Ce qui lui importe en revanche est la capacité de ses doigts à faire valser l’objet, les yeux rivés dessus comme la chose la plus intéressante au monde.
Lou finit de se maquiller et jette un regard à l’homme dans la pièce avec elle. Elle attire son attention et lui sourit.
LOU, doucement. Comment ça va ?
SYLVAIN. Bien. Il hausse les épaules. Je crois. Je sais pas, je réalise pas encore.
LOU. Ça se comprend…
Elle se lève et le rejoint sur le lit, passant un bras autour de ses épaules. Elle aussi regarde la bague bouger entre ses doigts.
LOU. Tu as déjà vu un psychiatre ?
Sylvain pause, dans l’incompréhension. Il reprend ses gestes répétitifs avec la bague.
SYLVAIN. Bah non, pourquoi ? Quoi, toi aussi tu penses que je suis fou ?
Il est sur la défensive, elle le voit et s’en inquiète. La lumière sur eux s’intensifie.
LOU, avec précaution. Non. Il ne m’a pas fait écouter le message, mais il me l’a résumé et… C’est toi-même qui a parlé d’un psychiatre. Je pense que ce n’est pas une mauvaise idée.
SYLVAIN. Ça fait beaucoup de mots pour répondre ‘’oui’’ au final. T’aurais pu juste dire ça : ‘’oui, Sylvain, t’es fou’’. Je l’aurais pas mal pris, tu sais.
LOU. Tu le prends mal, là.
SYLVAIN, avec des mouvements secs. Pas du tout, je le prends très bien, tu vois ?
LOU. Tu es en train de planter tes ongles dans ta peau.
Elle a raison, Sylvain est en train de gratter le dos de sa main frénétiquement. Il baisse son regard sur ses doigts tandis que Lou les couvre avec douceur de ses propres mains. Elle les caresse, serre Sylvain plus fort, pose sa tête sur son épaule.
LOU. La question, c’est pas est-ce que t’es fou ou non. Moi je m’en fiche, Pierre s’en fiche, c’est pas ce qui nous intéresse. En revanche, tu veux comprendre ce qui t’arrives, c’est logique. J’ai quelques éléments de réponse, mais il faut que tu sois prêt à les entendre. C’est à toi de faire ce chemin, de prendre cette initiative. Moi, je serais toujours là.
SYLVAIN, triste. Et Pierre aussi. Mais ça me fait peur… ça m’a toujours fait peur, c’est pas la première fois qu’on me dit que je suis bizarre, ou trop… intense. Là, j’arrive juste à la limite de ce que les autres peuvent supporter. C’est… c’est égoïste de ne pas chercher à régler ça.
Lou embrasse sa joue et tourne son visage face à elle, le fixant. Lui regarde ailleurs, vers le bas, puis vers le haut, à gauche, à droite… Il n’arrive pas à se fixer sur elle. La lumière vacille.
LOU. Y’a rien à régler, Sylvain. T’es pas cassé. T’es pas une erreur. C’est leur problème si les gens arrivent pas à aimer ce que tu es, ou s’ils ne comprennent pas.
SYLVAIN. C’est pas du jeu, aussi. Toi, tu comprends tout, et t’es déjà la copine de Pierre.
Elle éclate de rire et rompt leur étreinte, le repoussant pour jouer.
LOU. Tais-toi, plus pour longtemps en plus.
Sylvain réagit à ce qu’elle vient de dire, mais se fait couper par un mouvement de main de Lou.
LOU. Tu racontes n’importe quoi pour ne pas réfléchir à ce que je dis. Mais réfléchis-y : tu as le droit à l’amour et à l’amitié comme n’importe qui. Tu as aussi le droit de vouloir mieux comprendre ce que tu vis. Il y a des choses que tu peux gérer, des choses qui seront au-dessus de ta portée. Quoi qu’il en soit, c’est à toi que tu dois penser en premier, et certainement pas à cette connasse.
Pierre, l’air tout penaud, entre dans la chambre, coupant Sylvain avant qu’il ne réponde. La lumière devient plus douce.
PIERRE. Vous parlez de quoi ?
LOU, levant les yeux au ciel. C’est ça, fais genre t’étais pas en train d’écouter à la porte…
Pierre se fige, pris la main dans le sac. Il est visiblement coupable, ce qui fait rire les deux autres.
SYLVAIN. On peut même pas avoir un peu d’intimité ici !
PIERRE. Et on peut plus écouter aux portes tranquille. Lou, t’es une sorcière.
LOU. Ou j’ai juste une bonne ouïe. J’ai entendu tes pas y’a genre dix minutes qui se sont arrêtés devant la porte. La prochaine fois, t’as qu’à faire un effort de discrétion.
PIERRE. Oui, bon, c’est bon. Je venais pour acquiescer à ce que tu disais, en plus. La prochaine fois, je m’abstiendrai si c’est ça.
Lou se lève, rejoint Pierre et, comme pour Sylvain, elle passe un bras autour de ses épaules, le forçant à se baisser, et embrasse sa joue.
LOU. Allez, je vais m’habiller, faites des bêtises.
PIERRE. Hein ? Tu veux dire ‘’ne faites pas de bêtises’’, non ?
LOU. Non, je vous connais. Ciao !
Elle quitte la pièce avec un rire. Pierre et Sylvain échangent un regard, puis éclatent de rire à leur tour.
Quand ils se calment, Pierre est appuyé contre un mur, fixant son ami avec un sourire.
PIERRE. Elle a raison. On va pas te lâcher. Et ce serait une bonne idée de voir un psychiatre. Enfin, c’est elle qui m’a convaincu. Elle en a déjà vu un, pour son TDA… Elle t’en parlera mieux que moi, pose lui des questions.
SYLVAIN, pas à l’aise. Ouais, je verrais.
PIERRE. Tu le feras ?
SYLVAIN. Je verrais, Pierre.
PIERRE. Promets-le. Je lui demanderai, pour vérifier.
Sylvain soupire. Il regarde la bague entre ses doigts, avec laquelle il avait recommencé à jouer.
SYLVAIN, en se levant et en marchant vers la sortie. Je dois aller aux toilettes.
PIERRE. Sylvain.
SYLVAIN, se tournant vers lui. Je te le promets. Là. C’est bon ?
Pierre hoche la tête sans sourire, avec une expression profondément inquiète. Il a peur pour son ami, il veut l’aider sans en avoir les capacités. Lou, en revanche, peut. Il faut que Sylvain lui en parle.
Une pause, Sylvain sourit à son ami pour le rassurer puis quitte la pièce.
Une fois seul, Pierre se redresse d’où il était logé et rejoint le lit, récupérant la bague que Sylvain avait laissée là pour l’enfiler à son doigt. La lumière s’éteint.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 5
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 1 048 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 5
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | x | ACTE I, Scène 6
Pierre entre dans le bureau où Lou se trouve déjà, en train de peindre, sur la deuxième moitié de la scène. Lou peint deux corps androgynes enlacés, sans que les visages ne soient encore reconnaissables. Son compagnon lui apporte un thé, qu’il pose sur la desserte à côté d’elle. Il l’enlace et l’embrasse brièvement.
PIERRE. Tu peins quoi ?
LOU. Ce qui me vient. Pour l’instant, je ne sais pas encore ce que c’est. On dirait un couple, tu trouves pas ?
PIERRE. Tu nous peins nous ?
LOU. Je te dis, j’en sais rien.
Elle se remet à peindre, alors Pierre trouve un coin pour s’y installer et l’observer, en silence. Il sourit, heureux de la voir s’épanouir dans son art.
LOU. Je pense que c’est Lou et Tristan. L’amour impossible, qu’on passe des années à s’imaginer sans jamais pouvoir le toucher – ou, quand c’est le cas, tout tombe à l’eau. Un amour de merde parce que le mec fait n’importe quoi et joue avec les sentiments de la pauvre Lou sans le savoir, et elle est trop naïve et plonge quand même dans la gueule de… euh, du loup. Jeu de mot involontaire.
PIERRE, grimaçant au fur et à mesure. C’est un message ? Tu parles encore de la BD ?
LOU. Oui, relax chéri, évidemment que je parle de la BD. Et après il y a eu Paul. Et Marie-Emilie. Rien ne marche, elle va de relation en relation sans trouver son bonheur. A titre personnel, je trouve qu’elle est plus heureuse avec Marie-Emilie, mais ça c’est parce que j’adore toujours un bon couple lesbien. Une hippie, une gothique, c’est parfait !
PIERRE. Tu sais que je ne vois absolument pas de qui tu parles ?
LOU. Oui, je sais. Ça m’aide à réfléchir, alors tais-toi et écoute. Ça peut être la mère de Lou, aussi. Elle est malheureuse en amour comme sa fille, avec la malédiction supplémentaire de se faire larguer chaque fois qu’elle tombe enceinte. Pour Lou comme pour Fulgor.
PIERRE. Fulgor ? C’est quoi ce nom ?
LOU. Tais-toi j’ai dit ! C’est le petit-frère de Lou. Mais c’est pas important. Enfin si, parce que c’est la cause de la fuite de Richard, mais c’est pas le personnage le plus important. En revanche, Marie-Emilie est super importante, mine de rien. Presque plus que Mina, la meilleure amie de Lou dès le début. Marie-Emilie se fait embrasser par Tristan pour rendre Lou jalouse, mais elle finit par s’en rendre compte. Et après elle se fait embrasser par une majorette. Elle est trop belle en même temps, je comprends. Marie-Emilie, hein, par la majorette. Enfin, la majorette est belle aussi, mais elle apparaît moins souvent. Je crois que j’avais envie d’être à sa place. Merde, j’en ai toujours envie. Marie-Emilie, c’est un crush d’enfance. Comme toi et… et qui déjà ?
PIERRE. L’acteur américain ? Page. Elliot, maintenant.
Elle lui lance un regard appuyé avec un sourire, qu’il ne comprend pas.
LOU. C’est ça. Et il est canadien. T’es toujours en crush ?
PIERRE. C’est un mec.
LOU. Je sais. T’es toujours en crush ?
Silence. Pierre détourne le regard et croise les bras, mal à l’aise.
LOU. J’ai compris. On parle pas de ta fascination pour, hum, certains mecs. Mais tu sais bébé, je suis moi-même bi, je t’en voudrais pas si t’étais pas hétéro.
Elle se remet à peindre. Pierre, lui, fouille ses poches et son environnement.
PIERRE. J’ai mis où mon téléphone ?
Il quitte la pièce. Lou le regarde faire puis revient à sa peinture.
Quand il revient, quelques secondes plus tard, son téléphone en main, Lou pose son pinceau dans une des deux tasses posées sur la desserte.
PIERRE. Sylvain m’a appelé.
LOU. Ah ? Il t’a envoyé un message pour te dire pourquoi ?
PIERRE. Il a laissé un message…
LOU, avec une grimace. Merde, il déteste en laisser, d’habitude. Écoute vite.
Pierre acquiesce, il tapote rapidement sur son téléphone, concentré. Lou attrape la tasse sans pinceau, la porte à ses lèvres… et recrache tout. Surpris, son petit ami relève la tête et rit, moqueur.
PIERRE. J’irais te refaire un thé, je crois.
LOU. La ferme. Putain, à chaque fois…
Elle se met à nettoyer le sol et à ordonner son espace de travail pendant que Pierre écoute le message, tout à fait concentré dessus. On voit au fil des secondes son visage se fermer, affichant une expression peinée et inquiète. Il l’écoute entièrement et reste figé un instant à regarder son téléphone une fois fini.
LOU. Alors ?
PIERRE. Charlotte l’a quitté. Il va pas bien du tout, il—merde, faut que je me dépêche. Faut que j’y aille, je vais te faire ton thé rapidement et—ou bien tu veux venir ?
LOU. C’est à toi d’y aller, Pierre. T’en fais pas pour mon thé, je suis une grande fille, je peux me le faire seule.
Pierre la regarde un instant puis, sûr de lui, il quitte la pièce. Lou commence à remballer son matériel, mais il revient pour l’embrasser. Elle s’éloigne.
LOU. Va le retrouver. C’est avec lui que tu veux être ce soir.
PIERRE, confus. Ça veut dire quoi ?
LOU, avec un sourire. Que je te connais, Pierre. Allez, arrête de parler, il a besoin de toi.
Il embrasse sa joue et repart.
LOU, avant qu’il ne quitte la pièce. Et n’hésite pas à l’inviter à la maison !
Il quitte la pièce. Lou finit de ranger et quitte la pièce à son tour, laissant Sylvain seul de son côté de la scène, où il essayait de survivre à sa crise.
Il bouge peu, ou sinon des mouvements répétitifs qui le rendent honteux. Des mouvements d’enfants en plein caprice. Ce n’est pas le cas, mais il ne le sait pas. Il pleure encore, par intermittence. Alors, quand c’est le cas, la lumière augmente. Elle devient vive et le reste quand la porte s’ouvre, l’effrayant.
C’est Pierre. Il entre, les yeux fixés sur son meilleur ami, et s’assoit au sol, à un mètre de lui, sans oser parler. Il n’en a pas besoin et il le sait, au moins. Il attend que Sylvain vienne à lui.
Il prend son temps, mais peu à peu, Sylvain rampe jusqu’à lui et se blottit dans ses bras. Pierre le serre fort contre lui, si fort qu’il a l’impression de le briser. Il continue. Il est en train de le réparer, ne serait-ce que pour ce soir, cette nuit, qu’il passera avec lui… La lumière baisse doucement, paisible, jusqu’à s’éteindre sur leur embrassade.
1 note · View note
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 4
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 862 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 4
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | x | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 |
Suite de la scène précédente : la lumière vacille en s’éveillant à nouveau. Sylvain se redresse, pleurant toujours après quelques secondes de black out qui lui ont semblé des heures. Il cherche dans la pièce, fébrile, jusqu’à tirer son téléphone. Il fouille dessus, trouve ce qu’il cherche avec soulagement : il appelle Pierre, toujours aussi nerveux, aussi mal. Les sonneries défilent sans réponse : il entend le signal sonore. Messagerie. Il fond en larmes à nouveau mais décide de laisser un message. Il s’agite beaucoup tout en parlant, se balançant énormément, jouant avec sa main libre, se mordant l’intérieur des joues. A chaque fois qu’il les remarque, ces gestes, il essaye de les réprimer. Ça ne dure jamais longtemps.
SYLVAIN. Pierre ? Merde, pour une fois que tu réponds pas, c’est… c’est pour une urgence. Ça va pas, Pierre. J’ai besoin de quelqu’un, avec moi. J’ai peur de… J’ai peur. Je veux me faire du mal. Je sais pas, j’aime pas ça, j’ai peur de ce que je pourrais faire… Je veux pas rester seul, viens. S’il te plaît. Il y a plein de trucs dans ma tête et c’est trop et je veux penser à rien, merde ! Viens. J’ai besoin de toi. Charlotte, elle… J’ai suivi ton conseil. J’ai attendu qu’elle rentre. Putain, elle a mis le temps. Elle était au téléphone avec une amie. J’ai attendu, j’avais l’impression d’exploser. Et puis elle s’est mise à raconter sa journée, alors j’ai encore attendu. J’ai fini par lui dire. Enfin, j’ai essayé. Elle s’est lâchée sur moi. Elle me répétait que je devais changer, que j’étais immature… Elle me prenait pour son gosse, je détestais ça. J’aime pas être infantilisé, mais je me rends compte que ça fait des années que c’est le cas. Et puis elle m’a dit que ses copines aussi, le pensait. Elle—elle m’a quitté, Pierre, je sais plus quoi faire. Tout ce qu’elle m’a dit… Merde, c’est vrai ! Pourquoi tu m’as rien dit, toi ? Pourquoi t’as jamais essayé de corriger mes tics bizarres, mon égocentrisme ? Tu m’as jamais rien dit quand je parle trop. Enfin, si, mais gentiment. Pour rire, quoi. C’est pas pareil qu’elle. Elle… J’ai l’impression qu’elle n’aimait rien, chez moi. Et vu ce qu’elle me répète, je comprends… Comment tu fais, toi, pour m’apprécier ? T’es… Tu dois pas être humain. Je sais rien faire de mes dix doigts, je parle juste. Un putain de moulin à paroles, que personne comprend. Mais tu restes là. Tu… t’es une constante dans ma vie. Je pensais que c’était Charlotte et notre amour mais non. C’est toi, Pierre. Toi et notre amitié. Comment ? J’ai besoin d’aide, Pierre, y’a rien qui va avec moi. Viens me réparer. Je sais pas quoi faire, je veux pas rester seul, merde, ça fait mal. Je sais pas pourquoi je te dis tout ça, j’espère toujours que tu décroches. Je devrais peut-être te rappeler. Ouais, faut que je ferme ma gueule. Bordel, pourquoi j’arrive pas à corriger ça ? Même là, même quand personne m’écoute, je parle trop. Si ça se trouve, tu vas même pas écouter ce message. En même temps, un message de Sylvain, en quoi ça peut être intéressant, hein ? Pour te parler bagnole ou jeu vidéo, comme je le fais déjà H24 ? Non. Pas cette fois-ci. J’ai… Il faut que tu viennes. Il n’y a qu’à toi que je fais confiance pour ça. Je veux que tu viennes, que tu sois avec moi. T’es la seule présence que je tolère quand ça va pas et là… ça va vraiment pas. J’ai peur. Pierre, viens m’aider, j’ai peur…
Il éloigne le téléphone de son visage, fixe l’écran quelques secondes, impassible. Il a arrêté de pleurer un instant. Il se questionne : doit-il arrêter le message là ? Non, il rapproche le combiné de son oreille à nouveau – même s’il ne peut rien entendre.
SYLVAIN. Dis… tu crois que je suis fou ? Charlotte a dit que j’étais bizarre, elle m’a fait la liste… Merde. Tu crois que je dois… je sais pas, voir un psychiatre ? Je sais pas quoi faire, je sais pas prendre de décisions seul, c’est pour ça que c’est bien de travailler avec toi. On prend les décisions à deux. T’as la tête froide, moi non.
Une pause. Il sourit amèrement.
SYLVAIN. Merci. Merci pour ça, pour tout ce que tu me fais vivre. Ça me… ça me rend tellement heureux, t’as pas idée. Je suis serein avec toi. Tu—je sais pas comment, mais t’arrives à dompter toutes les bizarreries dans ma tête. Tu me comprends. Putain, j’aurais tellement aimé que tu décroches. S’il te plaît, réponds-moi. Vite. Réponds-moi vite, j’ai toujours peur. Mais… te parler, ça fait du bien, un peu. Je veux juste pas rester seul. C’est nul la solitude. Pas tout le temps, mais là, c’est vraiment de la merde. Je me fais peur. Fais vite.
Il raccroche d’un seul coup, pour s’empêcher de parler plus. Il ouvre la bouche pourtant, comme s’il voulait parler à nouveau, mais éclate en sanglots à la place, tout en se tenant le ventre, serrant fort, fort, fort… La lumière baisse mais ne s’éteint pas.
1 note · View note
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 3
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 1 188 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 3
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | x | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 |
Il est tard, il fait nuit. Sylvain est assis sur le canapé de son salon, anxieux. Les lumières vacillent entre intensité et obscurité, imitant son état. Il attend, impatient, nerveux. Il est incapable de rester en place : sa tête, ses yeux, ses lèvres, ses mains, ses jambes, rien ne reste immobile tandis qu’il évolue dans la pièce. Il attend que Charlotte vienne, qu’elle rentre enfin d’il ne savait où.
Enfin, Charlotte entre. Elle est au téléphone, un sourire aux lèvres, ne saluant même pas son petit ami. Lui s’assoit, attend encore, il contient visiblement son corps. C’est douloureux.
CHARLOTTE. Attends ma chérie, je te laisse, je suis à la maison là. Oui, Sylvain est là. Plus agité que jamais d’ailleurs, je te laisse. Oui, oui, on se voit demain de toute façon. Je te raconterai. Bien sûr chérie. Quoi ? Oh, non, je ne pense pas que ça soit grave. Je te laisse, bisous !
Elle raccroche, range son téléphone dans sa poche, pose son sac, retire son manteau et ses chaussures, elle prend son temps, elle n’est pas pressée ni inquiète malgré l’angoisse de son compagnon.
CHARLOTTE. Désolée, on a eu beaucoup de travail au boulot et j’avais pas eu le temps d’appeler Mélanie. On a du mal à tenir les délais, il nous demande de faire des heures sup’, t’y crois ça ? Ils peuvent pas embaucher, je sais pas moi, des CDD ou des intérimaires plutôt ?!
SYLVAIN. Charlotte ?
CHARLOTTE. J’en ai marre de mon chef. Il sait pas faire son boulot, honnêtement. Il fout toujours la merde dans les plannings ! C’est pas si compliqué, pourtant, on est une petite équipe, mais non ! Monsieur fait n’importe quoi et nous blâme derrière de ne pas tenir les délais. On est toujours en train de réparer ses conneries, forcément qu’on prend du retard. Incompétent de merde.
SYLVAIN. Charlotte, écoute-moi, s’il te plaît.
CHARLOTTE. Oh je le fais souvent, t’écouter. Elle s’assoit sur le canapé. Bon, de toute façon j’ai fini, qu’est-ce qu’il y a ? Tu fais une tête d’enterrement depuis que je suis rentrée.
Sylvain hésite, l’observe brièvement, baisse le regard. Ses mains sont plus intéressantes. Ses mains n’ont pas ce regard dur, légèrement infantilisant, comme une mère occupée accordant une seule minute à son enfant. Il n’aimait pas ce regard-là. La lumière se stabilise, à un faible niveau.
SYLVAIN. J’ai… j’ai quelque chose à te dire. C’est important. Je pense que… Je trouve, plutôt. Ouais. Je trouve que ça se passe mal entre nous en ce moment.
CHARLOTTE, avec un soupir. Je sais et je t’ai déjà dit ce que j’aimerais que tu changes. Je peux te refaire la liste, si tu veux.
SYLVAIN. Qu- hein ? Non—c’est justement de ça dont je voulais te parler. Il y a aussi des choses que… je n’aime pas. Je veux bien faire des efforts, mais sans ton aide c’est impossible. C’est…
CHARLOTTE. Oh, Sylvain… Il faut que tu apprennes à évoluer seul, un peu. Je sais qu’on a toujours été ensemble depuis le lycée, mais je ne peux pas toujours m’occuper de toi…
SYLVAIN. Mais c’est pas ce que je demande !
La lumière vacille à nouveau, s’intensifie.
SYLVAIN. Arrête de t’occuper de moi ou—je sais pas, me prendre pour un gamin ! Je vais avoir 30 ans, merde. Et je sais peut-être pas ce qui m’arrive mais c’est pour ça que j’ai besoin d’aide. J’ai besoin d’aide, merde !
CHARLOTTE. Moi, je sais ce qui t’arrives. Je sais que c’est difficile de se remettre en question, mais c’est pour ton bien, crois-moi. Tu n’es pas méchant, je le sais bien, mais tu as besoin de grandir, de mûrir.
SYLVAIN. Je peux pas continuer comme ça, Charlotte. Je peux pas continuer avec toutes ces… ces injonctions. C’est injuste, bordel ? C’est injuste de me demander tout ça alors que je te lance des appels à l’aide. Tu les écoutes pas ! Comment tu veux que je fasse, moi ? Putain, j’ai l’impression que ces derniers temps, tu me parles juste pour me disputer. J’ai l’impression que tu me prends pour ton gosse et je déteste ça. Arrête ça un peu ! Je suis un adulte qui a besoin d’aide et t’agis comme si tu savais tout mieux que moi. Moi, je te dis qu’il y a un truc qui cloche chez moi et que j’ai besoin de soutien !
CHARLOTTE. Si t’as besoin de soutien, tu devrais plutôt te tourner vers Pierre. Je veux pas jouer aux psys, moi.
Elle s’éloigne, se lève, lui tourne le dos. Il tend la main vers elle, sans faire plus d’efforts pour la rattraper. Il se met à pleurer, cloué sur place.
SYLVAIN. Me fais pas ça Charlotte, putain, je demande pas que tu sois une psy mais que tu sois ma copine ! Ma—putain.
Ce qu’il dit ensuite est incohérent, à cause de ses pleurs. Charlotte remet sa veste et ses chaussures puis se plante face à Sylvain.
CHARLOTTE. Je peux pas. T’es trop… Je te comprends plus, Sylvain. T’agis bizarrement. Tu t’exprimes comme un enfant, comment veux-tu que je te vois pas comme tel ? T’es là, tu te mets à parler trop vite en gesticulant partout, tu me récites une page Wikipédia comme si tu l’avais apprises par cœur, c’est pas comme ça que les adultes partagent leurs passions, tu sais… Et t’es égoïste. Merde, tu le remarques pas, mais tu laisses personne en placer une. Tu dis que t’es trop anxieux mais tu gueules sur tout le monde dès qu’un truc change dans ton emploi du temps. Tu sais pas faire face à l’imprévu, tu sais pas écouter, tu me fais peur. Sérieux, des fois t’as un comportement effrayant, quand tu te balances en jouant, on dirait que t’es possédé. Moi, je peux pas. Tu sais ce que mes copines disent de toi ? Je suis pas la seule qui voit tout ça et j’ai honte, moi, après ! Elles trouvent aussi que t’es un gamin immature qui pense qu’à lui, elles ont commencé à me demander si je comptais rester encore longtemps avec toi ! Alors je vais les écouter et te quitter. T’as raison. Ça va plus entre nous et il y a un truc qui cloche chez toi. Et je suis pas équipée pour te réparer. A ce stade, va te faire soigner, je sais pas. En tout cas viens pas me voir. Je veux plus entendre parler de toi, je veux que tu me laisses tranquille. J’espère que ça, au moins, tu le comprendras.
Elle quitte la pièce sans le saluer. Lui pleure toujours, plantant ses ongles dans sa peau, serrant son corps. Puis un sursaut : il se jette contre la porte qui vient de claquer, frappe contre elle, se frappe lui-même au passage. Il a envie de crier, essaye, c’est douloureux. Le bruit lui fait mal, la lumière lui fait mal, il veut arracher ses vêtements et sa peau avec, il veut tirer ses cheveux, il ne veut plus exister ni avoir de corps. C’est trop lourd, trop encombrant, trop intense. La lumière, brillante comme jamais, lui brûle la rétine. Il se couvre les yeux, les oreilles, rampant vers le centre de la pièce… Tout s’éteint quand il tombe au sol.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 2
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 1 065 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 1
Personnages & Sommaire | ACTE I, Scène 1 | x | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 |
Le lendemain de la scène précédente. Pierre est assis à la table d’un café parisien à peine rempli. Il y a ses habitudes : il est proche d’un bar qu’il fréquente souvent en soirée. Mais en journée, comme ici, il favorise une tout autre ambiance.
Dans le café, donc, Sylvain entre, revêtant son équipement de motard, et salue son meilleur ami avant de s’asseoir. Il pose son casque mais ne retire pas sa veste.
SYLVAIN. C’était la galère pour venir, j’ai failli me faire renverser trois fois !
PIERRE. Te faire renverser ou tomber tout seul ?
Une pause.
SYLVAIN. Bon, peut-être que j’ai failli tomber tout seul une ou deux fois. Mais y’a une fois où on a failli m’écraser !
PIERRE. C’est pour ça que j’ai pris la voiture, pas de risques.
SYLVAIN, moqueur. C’est vrai qu’avec la taille de ton véhicule, on peut pas t’approcher. Putain, si ça se trouve, c’est toi qui a tenté de me tuer. Assassin.
Ils se sourient. Sylvain perd vite le sien, Pierre le remarque.
PIERRE. Ça va pas ? Y’a un souci ? T’as eu si peur que ça ?
SYLVAIN. Nan, c’est pas la moto le souci. Enfin si, un peu, mais je vais bientôt arrêter de trembler. C’est juste qu’on s’est disputé avec Charlotte hier soir et ça me reste dans la tête.
PIERRE. Encore ? Mais elle te veut quoi encore ? Nan parce que la dernière fois, c’était parce que tu parlais trop de ton travail, puis parce que tu parlais trop de jeux vidéo…
SYLVAIN. Je sais pas, j’ai pas trop compris. Là, elle me reprochait de parler de la Xantia, je crois ? C’est assez flou dans ma tête.
PIERRE. Mais tu viens de l’acheter, cette caisse, évidemment que tu lui en parles. Vous habitez ensemble, faut bien qu’elle sache !
SYLVAIN. Mais c’est pas ça le problème. Le problème, c’est que j’ai pas su réagir. Elle a commencé à me le reprocher et j’ai rien su répondre.
PIERRE. Faudrait qu’elle arrête de te reprocher tout ce que tu fais. Je te l’ai dit, elle est pas claire cette nana-là. Si elle aime pas tes passions et veut pas en entendre parler, pourquoi elle sort avec toi ?
SYLVAIN. J’étais figé, je pouvais pas bouger et encore moins parler. Pourtant je voulais me défendre ! J’avais plein de trucs à lui dire et ça tournait et tournait dans ma tête, mais ça sortait pas. J’avais l’impression d’être fou, tu crois que je suis fou ?
PIERRE. Fou de rester avec une nana qui aime pas dès que tu ouvres la bouche, ouais.
La lumière vacille, s’intensifie.
PIERRE. Lou me reproche jamais de parler de ce que j’aime, même si elle a du mal à suivre parfois. Et je fais pareil avec elle, c’est pas compliqué d’écouter l’autre putain ! Elle peut pas te reprocher chaque parole puis dire qu’elle t’aime.
SYLVAIN, de plus en plus stressé, se protégeant avec son blouson de moto. Elle s’est mise à me reprocher de pas parler. Pourtant je voulais ! J’étais en train de lui expliquer pourquoi j’avais acheté la Xantia et elle a commencé à élever la voix et… c’est là que j’ai plus rien dit. Rien. J’étais incapable d’ouvrir la bouche. Je sais pas pourquoi et c’est ça qui me reste en tête. Pierre, qu’est-ce qu’il m’arrive bordel ?
PIERRE. En fait, elle veut juste que t’ouvres la bouche pour s’engueuler avec toi. Je t’ai dit, je l’ai jamais sentie, Charlotte. Depuis que t’es avec elle, elle trouve toujours de quoi râler, sur tout et surtout n’importe quoi. Elle va te créer des complexes.
SYLVAIN. Non, tu comprends pas, je m’en fiche de Charlotte là. La question c’est pourquoi je pouvais pas parler ? C’était un blocage, genre physique. Je voulais… Je voulais communiquer ! Lui faire comprendre mon point de vue ! Mais non, j’étais juste assis là à subir. J’étais muet. Mutique. Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
PIERRE. Si elle arrêtait d’élever la voix pour rien, aussi, tu t’en sortirais déjà mieux.
Sylvain soupire, se renferme. La lumière baisse comme sa tête : il abandonne la discussion. Pierre ne le comprend pas et ne peut pas le comprendre, alors à quoi bon ? Les questions restent, la frustration aussi. Il veut juste changer de sujet.
SYLVAIN. Et toi, avec Lou, hier soir ? Vous aviez une soirée, non ?
PIERRE. L’anniversaire de sa sœur, oui. Ça s’est super bien passé. Bon, comme elle a bu, elle a fini un peu bourrée mais c’est pas grave. C’est moi qui conduisais de toute façon. Elle portait la robe de Noël dernier, tu sais, celle que je lui avais offerte ? Mais si, je t’avais montré. Enfin, bref, elle lui va très bien. Moi, je portais juste une chemise donc bon. A côté d’elle, on me remarquait pas trop. On s’est bien amusé quand même, c’était cool.
Sylvain hoche la tête pendant sa tirade, ne montrant aucune réaction au-dessus de l’autre. Il lève les yeux vers lui, à la fin.
SYLVAIN. Mais tu lui avais pas déjà offert une robe pour son anniversaire ? Tu lui en offres souvent.
PIERRE. Bah quoi ? C’est joli puis elle en porte tout le temps. Au moins, je risque pas trop de me tromper.
SYLVAIN. Faut être sûr de ce qu’elle aime, quand même.
PIERRE. On a les mêmes goûts alors c’est facile. Tu devrais essayer.
SYLVAIN, incertain. Des robes ? Ou d’en acheter à Charlotte.
PIERRE. Non, d’avoir une copine avec les mêmes goûts que toi.
Il lui sourit, pour apaiser la remarque cinglante.
PIERRE. T’en aurais besoin, c’est vachement agréable. Puis peut-être qu’elle te reprochera pas de mettre le même pull pour traîner.
Sylvain sourit à son tour. Il comprend ce que veut dire Pierre, il comprend qu’il s’inquiète pour son bien-être.
SYLVAIN. J’ai compris, j’essayerais de parler avec Charlotte… C’est vrai qu’on est plus sur la même longueur d’onde.
PIERRE. Selon moi, vous l’avez jamais été, mais bon je veux pas m’immiscer dans votre couple.
SYLVAIN. Ah parce que c’est pas ce que vous faites depuis tout à l’heure, monsieur Chabrier ?
PIERRE. Non, euh, je te donne mon point de vue. C’est toi qui as décidé de lui parler tout seul.
SYLVAIN. T’insistes beaucoup, quand même. Mais t’en fais pas, je gère.
Pierre lâche enfin son attitude désinvolte, un peu moqueuse, pour une expression grave et inquiète.
PIERRE. Si tu gérais, tu viendrais pas me parler de ta dernière dispute avec Charlotte chaque semaine. Et tu sais que j’ai raison.
Pause.
La lumière s’éteint sur eux, comme il ne leur reste plus rien à dire sur le sujet.
0 notes
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - ACTE I, Scène 1
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : 1 108 mots
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : ACTE I, Scène 1
Personnages & Sommaire | x | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 |
A chacun des deux couples sa moitié de scène.
Côté jardin, Sylvain et Charlotte sont paresseusement assis·es sur le canapé du salon, enlacé·es, amoureuseux, devant une télé allumée dont le son a été baissé, pour mieux discuter.
Côté cour, Lou se trouve déjà dans la chambre, ayant plusieurs robes sur les bras. Elle semble indécise, observant dans le miroir son propre corps recouvert des tenues imaginées. Ça ne mène à rien : elle soupire et abandonne.
LOU. Pierre ? Tu peux venir s’il te plaît ?
CHARLOTTE. Je ne vois pas pourquoi tu l’as achetée…
SYLVAIN. Mais parce qu’elle est trop bien ! Déjà elle est trop belle, tu l’as vue ?! Je rêve de voir ces lignes en vrai depuis, quoi, le collège ? J’en mourrais juste d’envie.
Pierre entre dans la chambre. Il comprend immédiatement le problème et s’approche des vêtements tendus par sa compagne.
PIERRE. La rouge te va pas, tu devrais la laisser de côté. Quoi ? C’est vrai ! Tu te plains tout le temps que t’arrives pas à te trouver belle dans cette robe. Ça veut dire qu’elle n’est pas faite pour toi, chérie.
CHARLOTTE. Je trouve que c’est une perte d’argent, quand même. Qu’est-ce que tu peux bien lui trouver ?
PIERRE. Je suis ravi que tu me demandes de l’aide, mais je sais pas comment te conseiller. Je suis pas styliste, moi, j’ai à peine un sens du style selon certains…
SYLVAIN, faisant la moue. Tu la trouves pas magnifique, toi ? C’est l’une des plus belles voitures que j’ai jamais vues ! Et je peux la conduire maintenant !!
LOU. Dis pas ça, t’as des éclats de génie parfois !
Lou se met à rire, continuant son petit défilé, les vêtements étalés sur son corps, pas même enfilés, sous le regard attentif de son copain.
Charlotte soupire, lève les yeux au ciel, mais laisse Sylvain parler – pas de gaieté de cœur, visiblement.
SYLVAIN, de plus en plus vite, avec de plus en plus d’excitation. Elle a la couleur parfaite, bleu roi là… Bon, il y a quelques griffes, mais c’est pas grave, ça se corrige. Et l’intérieur… Un superbe alcantara pour les sièges, et même toi tu apprécierais les finitions bois. Elles ont trop bien vieilli, j’adore.
PIERRE. Je pense que tu devrais partir sur la robe bleu foncé, celle avec les paillettes, là… Il se saisit de la robe en question et l’observe. Le dos nu est magnifique sur toi.
Il lui sourit, Lou lui sourit en retour. Elle récupère la robe de ses mains.
LOU. Vendu, je vais enfiler ça.
Elle part fouiller son armoire, à la recherche d’accessoires pour compléter sa tenue.
SYLVAIN, agitant les mains, les secouant parfois quand il cherche un mot ou appuie certains termes. C’est la voiture de mes rêves ! Tu te rends compte ? Non, c’est pas une perte d’argent, c’est une affaire que j’ai fait ! Tu verras, tu vas aussi l’adorer. Tu dormiras bien dedans, quand on partira en week-end… Il s’adoucit un instant, mais ça ne dure pas. Charlotte semble de plus en plus irritée, essayant de le couper sans y parvenir. Elle est incroyablement confortable, plus que notre lit je dirais. Enfin, au moins pour les sièges avant. Je saurai pas te dire pour la banquette arrière.
LOU. Avec ces bottes là… Et mon blaser, tu sais, celui que tu adores, avec les boutons de manches argentés. Et puis je vais regarder dans la salle de bain pour les bijoux. Pas de triche mon chat, tu restes là.
Elle quitte la pièce. Pierre l’observe faire en s’asseyant sur le lit, obéissant.
Charlotte, elle, se lève tout à coup en repoussant son petit ami.
CHARLOTTE. Comment tu pourrais savoir ?! T’es jamais dans notre lit ! Tu dis que t’arrives pas à dormir mais t’essayes même pas, tu passes juste tes nuits à jouer aux jeux vidéo et tes journées à parler de bagnole ! L’éclairage du salon baisse tandis que Sylvain se fige, se fermant. Tu m’avais l’air différent mais depuis qu’on vit ensemble, t’as pas l’air mieux que n’importe quel mec.
Pierre s’ennuie. Il regarde autour de lui, sa jambe sautillant d’impatience, mais finit par se lever. Seul remède contre l’ennui : le mouvement. Il bouge alors, fait les cent pas dans la pièce, s’arrête, reprend sa course, se plante devant l’armoire. Il en sort la robe rouge, la contemple : elle est belle. Elle ne va pas à Lou, mais il se dit, l’espace d’une seconde, qu’elle pourrait lui aller, à lui.
Pendant ce temps, Charlotte continue d’accabler Sylvain, qui a l’air d’être au bord des larmes.
CHARLOTTE. T’es même pas capable de te défendre. C’est ça ton problème, aussi : tu supportes pas la confrontation. Tu crois que refuser de parler, c’est la solution, mais je vois clair dans ton jeu de merde. Tu me la feras pas, à moi. J’en ai connu d’autres, crois pas que tu es au-dessus ! Il faut que tu te bouges, que tu me laisses en placer une et putain, arrêtes de parler de voiture à longueur de journée. Depuis que t’as trouvé cette caisse, tu parles que d’elle, tu penses qu’à elle, je sais pas comment Pierre fait pour te supporter si t’es comme ça avec lui aussi ! Moi, en tout cas, j’en ai ma claque pour ce soir. Je vais dans la chambre, t’attends pas à m’en voir sortir.
Elle claque la porte du salon pour s’enfermer dans la chambre, comme dit. Sylvain sursaute, puis se recroqueville sur le canapé. Il se balance doucement d’avant en arrière, frottant le bord de la manche de son pull contre ses lèvres. Ses yeux ne regardent rien, pas même le vide : ils sont perdus dans les tréfonds d’une crise qu’il n’avait pas vue venir et qu’il n’avait jamais appris à gérer. Alors, comme à chaque fois, il se laisse porter par le cyclone d’émotions qui le submergent et le noient.
Lou entre à nouveau, changée. Elle porte, en plus de ce qu’elle avait annoncé, une ceinture en argent et des boucles d’oreille pendantes. Elle est légèrement maquillée : du rouge à lèvre et un peu de fard à paupière. Pierre l’enlace et l’embrasse.
PIERRE. Tu es magnifique. Je me sens pas assez habillé, maintenant.
LOU. Si tu veux tant que ça être sur ton 31, je te prêterai une de mes robes un jour. On a la même taille et la même corpulence, je suis sûre qu’elles t’iront !
Il rit en secouant la tête et, sans dire un mot de plus, il passe son bras à sa taille et la guide hors de la chambre.
Sylvain reste seul dans le salon. Ses balancements cessent finalement ; il se laisse tomber contre le canapé, secoué de sanglots. Il éteint finalement la télévision, on entend alors ses pleurs.
1 note · View note
clemjolichose · 1 year ago
Text
AURA - Personnages et Sommaire
Fandom : Vilebrequin
Pairing : Pierre Chabrier x OC féminin, Sylvain Levy x OC féminin, Gaytipla (Pierre Chabrier x Sylvain Levy)
Nombre de mots : X
Avertissement : Propos validistes
Résumé : Couleurs et émotions. D’un côté, la fierté. De l’autre, la honte. Comment avancer avec les pieds cloués au sol ? Comment communiquer quand le corps est lui-même restreint ?
Les réponses ne sont pas innées. Il faudra les chercher, partir à l’aventure dans un monde inconnu, quitte à découvrir plus qu’on ne le voudrait…
Note d’auteurice : Vous pouvez également lire cette pièce de théâtre sur Wattpad et AO3 ! <3
Partie : Personnages & Sommaire
ACTE I, Scène 1 | ACTE I, Scène 2 | ACTE I, Scène 3 | ACTE I, Scène 4 | ACTE I, Scène 5 | ACTE I, Scène 6 | ACTE I, Scène 7 | ACTE I, Scène 8 | ACTE I, Scène 9 | ACTE I, Scène 10
Personnages
PIERRE CHABRIER, meilleur ami de Sylvain.
SYLVAIN LEVY, meilleur ami de Pierre.
LOU ELIASBERG, petite amie de Pierre.
CHARLOTTE LUSSAT, petite amie de Sylvain.
 LE PSYCHIATRE.
 DS, une drag queen.
ACTE I
Il est difficile de trouver sa voie quand tout est si lent, si terne autour de nous. Quelle est cette lueur dans nos passions ? Quelle est cette flamme qui nous anime quand les mots nous manquent, ou au contraire, se mélangent, trébuchent, tombent de nos lèvres en un désordre précipité incompréhensible pour celleux qui ne voient pas la vie autrement qu’en nuance de gris ?
Scène 1, où Sylvain parle, Charlotte écoute, Pierre observe et Lou disparaît.
Scène 2, où Sylvain se trouve étrange, Pierre ne comprend pas et accuse Charlotte.
Scène 3, où Sylvain essaye de parler et Charlotte n’écoute pas.
Scène 4, où Sylvain est seul.
Scène 5, où Lou peint un amour qui n’est pas le sien et Pierre le vit.
Scène 6, où Sylvain et Lou s’avouent plus qu’iels ne le voudraient et Pierre est indiscret.
Scène 7, où Sylvain voit un psychiatre dans ses rêves.
Scène 8, où Lou rassure Sylvain et celui-ci angoisse.
Scène 9, où c’est au tour de Pierre d’angoisser face à Lou.
Scène 10, où le terme ‘’autisme’’ apparaît après ‘’errance’’.
ACTE II - à venir
ACTE III - à venir
ACTE IV - à venir
0 notes