#Elisabeth Le Bris de Chastel
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selidren · 10 days ago
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Automne 1930 - Champs-les-Sims
4/4
J'ai montré ta lettre à Tante Rose, au sujet de ton père. Elle a secoué la tête d'un air navré avant d'ajouter qu'à ce stade, il n'y avait plus grand chose d'autre à faire. Elle ne veut pas que tu te fasse des illusions, mais malgré tout, elle a déjà vu des malades tenir ainsi plusieurs années. J'espère que ce sera le cas pour ton père. Je sais que ça doit être dur, mais j'espère que vous ne vous fâcherez pas avec lui, et que lui s'adoucira un peu, car ce sera dur pour tout le monde. Tante Rose t'envoie ses amitiés.
Sur un ton un peu plus joyeux, sache que Sélène n'est pas encore mariée. Dans ses lettres, ma soeur me dit qu'elle souhaite attendre encore un peu, mais elle ne sait pas combien de temps. Je me demande si ce n'est pas en partie pour calmer les ardeurs de sa belle-famille, il parait qu'ils ne font que parler de mariage.
Je suis assez surprise de ce que tu me dis sur Ada, mais passe lui tout de même le bonjour. C'est une femme qui gagne à être connue selon moi. Elle était bien intarissable d'anecdotes, et je ne doute pas qu'elle les tienne de ta mère. Nous avons eu avec elle un aperçu de la vie au Canada qui a rassasié notre curiosité pour un moment, surtout celle d'Antoine, qui a du passer pour un sacré bavard. J'espère que ma prochaine lettre te parlera de son mariage.
Bien à toi,
Noé
_____________________________________________________________
Cher Lucien,
Noé m'a bien montré la photographie de votre truite. Je pêche peu, mais certains de mes amis m'ont confirmé qu'il s'agit d'une très belle prise. Un de ces amis m'a même appris qu'il s'agissait d'une variété de truite brune originaire d'Eurasie et qui avait été sans doute introduite dans le Saint-Laurent pour la pêche sur glace. Il s'agit en tous cas de son humble avis.
Je n'avais quand à moi pas grand chose à répondre dans le cadre de ce rituel typiquement masculin de comparer ses prises respectives. Il aurait été inconvenant de ma part que vous envoie une photographie de mes propres prises, par respect pour mon épouse qui respecte autant mes inclinations que ma vie privée autant que pour les "prises" en question qui y auraient vu quelque chose de dégradant. Je ne pratique pas la chasse à courre ou le safari, et je n'ai aucun hobby qui puisse non plus rentrer dans le cadre d'un rituel social. Mes seules réelles fiertés en tant qu'homme sont mes filles, Anna et Elisabeth, alors je me suis dit que j'allais vous les montrer. J'ai assez d'images pour que vous puissiez tapisser votre salon, mais je doute que cela vous intéresse, alors en voici une seule. Elisabeth est à droite et Anna à gauche.
Avec l'assurance de ma plus fervente amitié,
Ange de Chastel
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Transcription :
Aurore « Tu vois, quand tu veux. »
Marc-Antoine « Je risque d’en entendre parler longtemps n’est-ce pas ? »
Aurore « C’est possible. Monsieur de Chastel a eu beaucoup de mal à rester sérieux quand il m’a expliqué la situation. Je ne sais pas vraiment si j’ai été vexée ou si j’étais morte de honte. »
Marc-Antoine « Il nous a observé ? »
Aurore « Un certain temps, jusqu’à ce qu’il trouve trop cruel de ricaner dans son coin en t’observant me faire des demandes en mariage à mots couverts pendant que je ne comprenais rien. »
Marc-Antoine « Bon sang... »
Aurore « Pour se faire pardonner, il a promis de me laisser des gages supplémentaires en guise de cadeau de mariage. »
Marc-Antoine « Avec le père que j’ai, j’ai toujours imaginé que je serais à l’abri de ce genre de quiproquo. Je devrais avoir l’habitude. »
Aurore « Tu me compares à ton père ? »
Marc-Antoine « Non, chez lui c’est particulier. Vous n’avez pas grand-chose en commun, juste cette difficulté à démêler premier et second degré. »
Aurore « J’imagine que ta mère a été plus efficace que toi sur ce point, sinon tu te serais jamais né. »
Marc-Antoine « En fait, c’est mon père qui a pris les devants et l’a demandée en mariage, comme le veux l’usage. »
Aurore « J’aurais du aller contre l’usage. Nous nous serions mariés il y a déjà des mois. »
Marc-Antoine « N’exagère pas. Je n’ai commencé à pelleter de l’air il n’y a de que deux semaines. »
Aurore « Pelleter de… quoi ? »
Marc-Antoine « C’est une expression québecoise que m’a appris Ada Rumédier, ça veut dire perdre son temps. »
Aurore « Oui, enfin c’est bien ce que je dis. Entre toute cette parade et les mois qu’il t’a fallut pour trouver le courage, j’aurai du te le demander moi-même. J’aurai obtenu ce que je veux bien avant. »
Marc-Antoine « Tu veux dire que tu me trouves lent ? »
Aurore « Je veux dire que pour un politicien, tu as bien du mal à prendre les devants. »
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selidren · 13 days ago
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Automne 1930 - Champs-les-Sims
1/4
Cher Lucien,
J'ai suivi les déboires de l'Amérique dans les journaux. C'est un miracle que cela ne soit pas encore arrivé chez nous, mais je pense malgré tout que la crise finira par venir. En prévision, j'ai mis énormément de nos liquidités à l'abri. En cas de soucis, j'espère au moins transmettre à mes filles un pécule assez confortable. Ange est plutôt confiant, mais de son propre aveu, il ne comprend pas grand chose à l'économie, si ce n'est celle des cabarets parisiens.
En revanche, j'ai été ravie de recevoir tes photographies. Ce port est vraiment superbe et je suis également contente que toi tu en sois fier. En tous cas, Oncle Adelphe est d'accord avec moi, c'est un grand accomplissement. Il m'a raconté les lettres qu'on lui lisait dans son enfance, où on racontait les trajets en barque que faisaient ton père, ton oncle et tes tantes pour aller à l'école, ce qui n'avait pas l'air bien pratique. Avec ton port, ce sera plus confortable et sans doute plus rapide. J'espère que la crise finira par cesser pour vous, que vous puissiez vous sortir de cette période d'incertitude qui doit beaucoup vous peser.
Mes filles continuent de grandir, elles ont eu quatre ans cette année. C'est fou ce qu'elles poussent vite. Je joins à cette lettre une photographie prise par moi d'Ange et des filles. C'était à sa demande, et il a d'ailleurs glissé un petit billet à ton attention, que je n'ai évidemment pas lu. Je crois que c'est en rapport avec ta truite. D'ailleurs, je n'entends pas grand chose à la pêche, mais je pense que je dois te féliciter.
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selidren · 22 days ago
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
3/7
Nous avons passé un temps considérable dehors. Ange nous a emmené en promenade sur tous les sentiers du village, et je ne savais même pas qu'il y en avait autant. Ada n'a sans doute jamais autant marché que durant son séjour française, mais elle ne semblait jamais fatiguée. Quand j'ai par la suite demandé à Ange d'où lui venait cette soudaine passion communicative pour la marche à pied, il m'a répondu qu'il lui semblait qu'elle était mal à l'aise dans la maison. Je n'ai pas compris de suite, mais il est vrai que d'un point de vue extérieur, nous devons vivre dans ce qui semble être un mouroir depuis des mois. Tout semble rattacher au passé, et Cléo dit qu'il règne une atmosphère entre "la fin de règne" et "l'atroce mélancolie poussiéreuse des passés compliqués".
Comme je te le disais, je suis en train de faire des plans pour repenser la maison. Je vais refaire certaines pièces, en priorité le salon et la future chambre d'Antoine, mais je songe également à ajouter une aile à la maison. Quand nous sommes tous rassemblés, il y a une ambiance étouffante de foule, j'ai l'impression de marcher sur tout le monde. Comme nous avons les fonds nécessaires, j'aimerai m'aménager un espace à moi. Je t'enverrai des photographies si cela se concrétise. Sauf que pour tourner correctement la page de l'ancienne génération, mon père et mon oncle sont venus nous annoncer qu'ils prévoyaient faire de vraies funérailles à ma grand-tante Lucrèce et ma grand-mère Clémence. Il n'y en a jamais eues, et j'avoue moi-même que ces noms me provoquent autant une légère tristesse qu'un sentiment de colère plus intense tant ils me rappellent de mauvais souvenirs d'enfance. Oncle Adelphe m'a dit que lui-même n'avait jamais proprement fait son deuil, et qu'il était temps. Comme elle était à ce moment à la maison, j'y ai bien entendu convié Ada.
Transcription :
Rose « Ange ? Nous avons de la visite ? »
Ange « Oui ma Tante. Madame Rumédier vient d’arriver du Canada, mais elle a manqué la cérémonie. »
Rose « C’est dommage… Enchantée Mademoiselle. »
Lucrèce « Enchantée également. Mais je devrais vous laissez, je vois bien que je vous achale. »
Rose « Non, il y a encore un peu de brandy au salon vous savez. Finalement, je serai bien contente d’avoir un peu de compagnie. Ange, tu devrais aller te coucher. »
Lucrèce « Non, vraiment. C’est fin de votre part, le trajet m’a plus épuisée que je ne pensais. »
Ange « Passez donc demain. Ma femme sera heureuse de vous recevoir. Combien de temps comptez vous rester. »
Lucrèce « Pas bien longtemps. Mon fils est resté à la maison. »
Rose « Oh, restez donc quelques jours, au moins le temps de voir tout le monde. Je pense que tous les cousins seront ravis de voir arriver une cousine canadienne, sans compter Jeanne bien sur. »
Lucrèce « Ecoutez... »
Ange « Si c’est une question d’argent, les Valin sont des amis. Je suis certain qu’ils seront près à vous faire une remise si vous lui dites que vous restez pour visiter la famille. Ou sinon, nous pouvons bien payer, nous sommes les hôtes après tout. »
Lucrèce « Bon, je comprends. C’est gentil à vous. »
Ange « Nous vous verrons demain alors ? Venez en fin de mâtinée. »
Lucrèce « Si tard ? Ce n’est pas un problème de vous déranger juste avant dîner ? »
Ange « Dîner… ? Ah, non bien sur que non ! Nous serons en petit comité, juste moi, Noé et mon beau-frère. Les autres seront partis un peu partout chez des voisins pour des visites. L’Oncle Adelphe sera à la distillerie, il mange souvent avec les ouvriers le midi. »
Lucrèce « Et votre beau-père ? »
Ange « Je doute qu’il mette le nez en dehors du bureau. Il est… particulier. Si vous le croisez, ne prenez pas sa froideur pour de l’impolitesse. Vous pourriez même rester pour le repas, mais je vous préviens, Antoine est aussi curieux de bavard, il ne vous lâchera pas avant d’avoir essoré tout le sujet de la politique au Québec. »
Lucrèce « J’ai hâte alors. »
Rose « Bien, bonne soirée alors Madame Rumédier. Pour ma part, j’espère que vous me rejoindrez chez moi pour l’heure du thé dans la semaine. »
Lucrèce « Je n’y manquerai pas. Bonne nuit à vous deux. »
Ange « Attendez un instant Madame. Y a t’il quelque chose qui vous a mise mal à l’aise. »
Lucrèce « Pas du tout. Pourquoi ? »
Ange « Je ne sais pas vraiment, mais n’avez pas l’air à votre aise dans cette maison. J’ai vu votre regard aller un peu partout et vous vous êtes tordue les poignets tout au long de notre conversation. Si j’ai fait quelque chose qui vous tracasse, dites le moi. Je sais que je peux être trop insistant parfois. »
Lucrèce « Ce n’est pas vous. C’est le mal du pays je pense. Et je n’ai pas l’habitude d’être séparée de mon Marius aussi longtemps. Je suis un peu angoissée, c’est tout. »
Ange « Je comprends. Etant moi même père, je sais que ne pas voir ses enfants pendant plus d’une semaine est très désagréable. Je ressens toujours un grand soulagement quand je les prends dans mes bras à mes retours de Paris. J’espère que vous pourrez rencontrer mes petites princesses demain. »
Lucrèce « J’aimerais beaucoup. Bonne nuit, Monsieur de Chastel, et à demain. »
Ange « Bonne nuit, Madame Rumédier. »
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selidren · 2 months ago
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Eté 1928 - Champs-les-Sims
2/2
Ce que tu dis de Lola me rappelle beaucoup Cléo à son âge, si ce n'est que son penchant pour les arts dramatiques tenaient plus de son caractère que d'une vraie passion pour le théâtre. Quand je vois ce que tu décris, je me représente presque la scène et cela me donne un peu envie de partager votre quotidien. En revanche ici, personne ne chante et surtout pas moi. Enfin, pour être parfaitement honnête, Ange adore pousser la chansonnette et il chantonne des berceuses et des petites chansons enfantines pour les petites. J'avais bien raison, je n'aurai pu rêver d'un mari plus dévoué à son rôle de père. Il passe parfois une semaine entière à Paris, mais il revient les bras chargés de poupées, de sucreries et d'autres jouets, et je remarque que ses escapades sont de plus en plus espacées. Il m'a avoué qu'Anna et Elisabeth lui manquent horriblement quand il est loin trop longtemps, et c'est réciproque.
Pour revenir à Cléopâtre, elle continue à publier des romans feuilletons, mais elle est de plus en plus remarquée sur la scène littéraire. Dans sa dernière lettre, elle mentionnait qu'elle était sur le point de signer un contrat avec une maison d'édition qui va publier ses nouvelles policières en recueil dans sa nouvelle collection. Elle est aux anges, et il me semble aussi qu'elle rencontre beaucoup d'hommes et qu'elle vit des aventures amoureuses tumultueuses comme elle en a toujours rêvé. Quand à Sélène, si tu veux de ses nouvelles, ouvre le journal à la page des sports à la fin du mois, car elle s'est qualifiée au tournoi de Wimbledon. Ma soeur va visiter l'Angleterre et peut-être revenir avec une coupe ! Je suis si fière d'elle !
Oncle Adelphe me demandait justement des nouvelles de ton père, et il semble un peu inquiet pour lui. Je sais qu'ils se sont rencontré à une occasion et qu'ils ont pu échanger quelques lettres. Il me demande de lui transmettre ses amitiés ainsi que son soulagement de le savoir heureux et bien portant. Ton père et Adelphe ont à peu près le même en plus il me semble. Je lui suggéré d'écrire une lettre, donc dis à ton père de vérifier la boite aux lettres de temps à autres, je sais que Papa ne lui écrit plus du tout, même si je ne sais toujours pas vraiment pourquoi.
Avec toute mon affection,
Noé
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selidren · 2 months ago
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Eté 1928 - Champs-les-Sims
1/2
Cher Lucien,
Je suis ravie d'apprendre que tu as un projet. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je m'étais toujours imaginé Hylewood avec un petit ponton comme il y en a à l'étang près de chez moi. Mais c'est vrai qu'avec en plus un sanatorium qui affiche complet à la belle saison, il semble plus correct que les malades n'aient pas en plus à subir un voyage en barque et de se retrouver avec la moitié de leurs affaires humides ou trempées. C'est une belle idée que tu as eu, et j'espère que tu pourra m'envoyer un cliché une fois que le projet sera réalisé. J'ai bien entendu respecté tes voeux et personne ici n'est au courant à part moi. Je n'en ai même pas parlé à Antoine ni à Ange.
Le voici d'ailleurs sur la photographie jointe. Il est avec Elisabeth, dont on voit bien les tâches de rousseurs. Pardonne moi pour la lumière, mais quand il s'agit de photographier, je ne suis pas aussi douée que ma mère. Le cliché a été pris à peine quelques jours avant que je n'envoie cette lettre, donc il est très fidèle à ce qu'est ma cadette encore aujourd'hui, au moment où tu la découvre. Pour répondre à ta question, elle babille plus qu'elle ne parle, mais Grand-Mère dit qu'elle a rarement connu une petite fille si bavarde.
A ce sujet, non elle ne va pas très bien. Elle est encore assez fatiguée, et le moindre petit refroidissement la cloue au lit pendant des jours. Cependant, ses problèmes de mémoire ne se sont pas aggravés. Mais nous la connaissons tous, elle revient toujours en forme et même au seuil de l'épuisement, elle parvient toujours à se trainer jusqu'à la nursery par la seule force de sa volonté pour me dire que je lange très mal.
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selidren · 2 months ago
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Automne 1927 - Champs-les-Sims
5/5
Quand tu me parles de tes séjours à Kingston puis de ta visite de Montréal, j'ai l'impression que tu as une sorte de vie mondaine. J'aimerai bien voyager un peu un jour. Le nom de Montréal a quelque chose de très évocateur pour moi et j'ai demandé à Ange de me ramener un livre illustré de Paris la prochaine fois qu'il ira y faire un séjour. Pour revenir sur la question du français au Canada, j'en ai discuté avec Grand-Mère, et elle m'assure que c'est déjà un sujet qu'évoquait ton grand-père autrefois avec ma grand-tante Lucrèce. Je pense qu'il devait être aussi révolté que toi. Je suis assez surprise de toutes ces règles, mais étant française et francophone, je ne sais pas ce que c'est que de parler une langue minoritaire dans son propre pays.
Je suis également surprise que Grand-Mère se rappelle du contenu d'une lettre vieille de plus de trente ans. Je pense qu'étant donné son âge, c'est une sorte de miracle que cela arrive si tard, mais elle montre de plus en plus de problèmes de mémoire et elle est parfois désorientée. Oncle Adelphe a voulu se montrer rassurant, mais je vois bien qu'il est aussi inquiet que moi. Il lui arrive même de descendre en chemise de nuit à présent. Tante Rose m'a bien assuré que la Eugénie Le Bris d'autrefois se serait coupé un bras plutôt que de franchir le seuil de sa chambre ainsi vêtue et elle se souvient bien des remontrances quand elle faisait de même. Grand-Mère va avoir cent-sept ans cette année. En revanche, elle n'a rien perdu de son caractère opiniâtre ni de son sens aigu de l'observation.
J'espère que tes affaires se porteront comme tu le souhaites. Je voulais simplement que tu saches que je suis là pour t'aider au besoin.
Avec mon amitié,
Noé
P.S. Je viens de relire la première question que tu me poses. Non, ma cousine n'a pas la moindre idée de ce qui m'est arrivé. Comme tout le monde, elle croit que les jumelles sont d'Ange. Anna est rousse, mais c'est un trait commun chez les Le Bris. Je ne pense pas que ça vaille le coup de briser sa propre vie en lui en parlant, sachant qu'elle attend leur premier enfant (il s'agissait alors d'une fausse alerte). Oncle Adelphe veille au grain, le faire suivre partout où il va, afin d'épargner à sa fille la moindre infidélité. Je sais que tu ne penses pas à mal, mais j'aimerais à l'avenir que tu évites de parler de lui, car c'est une blessure qui me fait toujours atrocement souffrir et que je préférerais oublier une bonne fois pour toutes pour me consacrer à mon entreprise, mon mari et mes filles.
Transcription :
Eugénie « Qu’attends-tu mon garçon ? »
Marc-Antoine « Rien de particulier. Vous ne deviez pas aller vous reposer ? »
Eugénie « C’est ce que j’ai dit oui. Mais je me disais peut-être que tu pourrais monter avec moi et me faire la lecture pendant que je me repose. Tu es désœuvré et tu erres sans but depuis un moment, au moins tu seras occupé. »
Marc-Antoine « Vous avez peur que je m’ennuie ? »
Eugénie « Non, tu as toujours trouvé de quoi occuper tes mains et ton esprit. Mais ces derniers temps, j’ai remarqué que tu importunais souvent Mademoiselle Laroche. Elle a son travail à accomplir et tu lui fais perdre du temps. »
Marc-Antoine « Je n’avais pas l’impression d’être à ce point dans ses pattes. »
Eugénie « Et pourtant si, alors tu vas monter avec moi et me lire quelques chapitres du livre de ta sœur. Et quand tu auras fini, nous lirons un peu la Bible tous les deux. »
Marc-Antoine « La Bible ? »
Eugénie « Oui, le Chant de Salomon. Cela fait longtemps que je ne l’ai lu et je pense que tu pourrais en tirer quelques enseignements fort à propos. »
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selidren · 2 months ago
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Automne 1927 - Champs-les-Sims
2/5
Grand-Mère elle aussi est plus que ravie. Du fait de son grand âge, elle est très souvent fatiguée et forcée de se reposer, mais la naissance de ses arrière-arrière-petites-filles (Dieu que c'est un long intitulé !) semble lui avoir redonné une énième vigueur puisqu'elle passe le plus clair de son temps dans la chambre d'enfants avec les petites. D'après Maman et Oncle Adelphe, elle faisait la même chose pour moi ainsi que mes frères et soeurs, mais également avec la génération de mon père, et celle de mon grand-père. C'est une sacré tradition que nous perpétuons avec cette nouvelle branche de l'arbre généalogique.
Je trouve qu'il est très compliqué de différencier deux nourrissons à peine venus au monde, mais avec le temps, je suis heureuse de constater que mes filles jumelles ne sont pas si semblables. Anna est une rouquine (ce qui a ravit tous les membres de la famille) et Elisabeth est blonde comme moi avec un nombre impressionnant de tâches de rousseurs.
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selidren · 2 months ago
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Automne 1927 - Champs-les-Sims
1/5
Cher Lucien,
Je mets un peu de temps à te répondre et je te prie de m'en excuser mais comme tu t'en doutes, j'ai été très absorbée par mon travail et surtout par ma nouvelle vie de mère.
A la fin de l'année passée, j'ai mis au monde deux petites filles : Anna et Elisabeth. J'étais encore en train de travailler quand j'ai senti les premières douleurs et c'est Adelphe (encore et toujours lui), qui m'a aidé à marcher jusqu'à la voiture pour m'emmener à l'hôpital. Nous sommes toutes les trois en parfaite santé et Ange rayonne littéralement de bonheur depuis.
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selidren · 2 months ago
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Automne 1927 - Champs-les-Sims
4/5
En résumé, mon frère est un homme à secrets en ce moment. Même pour lui même. Il continue à se voiler la face quand à Mademoiselle Laroche et surprendre ne serait-ce que quelques secondes à l'un de leurs échanges ressemble au spectacle à la fois un peu triste et très drôle de deux papillons qui se heurtent continuellement à une lampe. Il est très maladroit sans réussir à le cacher, et elle se donne une fausse assurance qu'il n'a aucune chance de débusquer. Cléo aurait été très déçue d'assister à ce spectacle. L'assurance qui caractérise mon frère dans l'exercice de la rhétorique semble s'effacer instantanément dès lors qu'il se trouve face à Grand-Mère ou à Mademoiselle Laroche.
Si les choses continuent de cette façon, nous pouvons espérer un mariage d'ici la fin du siècle.
Transcription :
Aurore « Monsieur Le Bris. Encore dans la chambre d’enfants ? »
Marc-Antoine « Et bien quoi ? Je suis obligé de passer par là si je veux voir mes nièces dans la nursery. »
Aurore « Vous allez voir vos nièces ? »
Marc-Antoine « Oui, ça m’arrive. Je suis leur oncle et je fais partie de leur vie. Vous avez l’air surprise. »
Aurore « Je ne connais pas beaucoup d’hommes qui se soucient des enfants si jeunes, alors ceux de leur sœur... »
Marc-Antoine « Peut-être que je ne suis pas comme les autres. Et puis si un homme doit se montrer insensible aux enfants de sa maison, ce n’est pas ce genre d’hommes que je veux être. »
Aurore « Bon à savoir... »
Marc-Antoine « Pardon ? »
Aurore « Quoi ? Je n’ai rien dit. »
Marc-Antoine « Heu… et vous aimez ça ? »
Aurore « Aimer quoi ? »
Marc-Antoine « Et bien les enfants ! »
Aurore « Je n’ai rien contre. »
Marc-Antoine « Et qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Vous n’avez rien contre leur… existence ? »
Aurore « Oui, c’est ça. Je ne suis pas énormément passionnée de bébés mais, j’imagine que ce serait différent si il s’agissait des miens. »
Marc-Antoine « Vous avez … ? Non rien. »
Aurore « Vous me demandez si je veux en avoir ? »
Marc-Antoine « Quoi ? Non ! Je n’oserais pas ! Ce ne serait… mmh… pas très délicat. »
Aurore « En effet. Vous êtes le frère de la maîtresse de maison, je suis la bonne. Ce ne serait pas… convenable... »
Marc-Antoine « Ceci dit… d’un point de vue, purement professionnel, ce serait dans l’intérêt de ma sœur de… enfin... »
Aurore « Oui tout à fait ! Vous pourriez le lui dire pour moi c’est vrai, donc ce serait légitime que je vous le dise oui… »
Marc-Antoine « Légitime oui… tout à fait naturel… Et donc ? »
Aurore « Oui, un jour, j’aimerais bien. Avec le bon genre d’homme pour être leur père, un pas comme les autres. »
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selidren · 1 month ago
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Eté 1929 - Champs-les-Sims
15/20
Papa et Maman sont repartis avec Jeanne et Julienne une bonne semaine après l'enterrement. Maman a insisté pour passer du temps avec mes filles, dont elle s'est montrée très fière. Elle m'a fait quelques remarques quand à leur physique, alors je pense qu'elle se doute de quelque chose, mais peu importe. Si jamais elle me pose des questions, je ne compte pas lui mentir.
Papa s'est plongé dans le travail. Il a ramené d'Egypte des tas de notes et donc réinvestit le bureau d'Ange, qui était le sien il y a quelques années. Il partageait nos repas, mais guère plus, même si la veille de son départ, il m'a fait venir pour me parler en tête à tête. Il s'est contenté de recommandations très succinctes, ainsi que d'une étreinte maladroite. C'est peu, mais c'est tout ce que je peux espérer de mon père, et c'est déjà bien.
Transcription :
Constantin « Adelphe… Qu’est-ce que je serais devenu sans toi ? »
Adelphe « Un homme différent sans doute. Mais c’est inutile de se perdre avec des peut-être. Comment te sens-tu ?»
Constantin « Mieux. Et pire en même temps. Mais c’est normal de souffrir quand on perd un être cher. »
Adelphe « Oui, c’est normal. C’est à cela que servent les funérailles, à partager sa peine avec ceux qu’on aime, et avec ceux qui ont aimé celle qu’on a perdu. »
Constantin « Quand ce sera fini, il faudra aussi en faire pour Maman. Et pour Tante Lucrèce. »
Adelphe « Tu as raison. J’aurai du en organiser depuis longtemps. »
Constantin « Je ne pourrais pas retourner en Egypte avant cela et… je crois que j’y resterais un moment. »
Adelphe « On ne va pas se voir avant longtemps alors. »
Constantin « Non. Mais je crois que c’est nécessaire. »
Adelphe « Moi aussi. Mais comme nous l’avons dit avant ton départ, ça ne changera rien entre nous deux."
Constantin « Non, jamais. Tu prendras bien soin d’Arsinoé et Marc-Antoine ? »
Adelphe « Comme si ils étaient mes enfants. »
Constantin « Arsinoé est bien plus ta fille qu’elle ne sera jamais la mienne. Je ne suis pas jaloux, c’est simplement un fait. Peut-être… peut-être n’aurai-je jamais du avoir d’enfants. »
Adelphe « C’est peut-être un peu tard Tintin… »
Constantin « Je m’en doute… Au final, tu es comme grand-mère. Tu as élevé et couvé des générations d’enfants qui n’étaient même pas les tiens et tu as pallié à tous mes défauts. J’espère qu’un jour, on se souviendra de toi comme on se souvient d’elle. »
Adelphe « Merci. Tu n’as pas idée comme cela me touche. »
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selidren · 2 months ago
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Automne 1928 - Champs-les-Sims
3/5
C'est un homme très organisé. Il a pris ses quartiers dans le bureau de mon père, au milieu de toutes ces reliques égyptiennes qu'il entretient avec minutie. C'est un travail domestique traditionnellement dévolu à l'épouse, mais Ange y excelle et m'a avoué qu'il apprécie ce travail, car contrairement à moi, il n'a pas vraiment de profession. La gestion de ce qui reste du patrimoine familial ne nécessite plus énormément de temps, et génère assez de revenu pour l'entretenir lui et une partie du train de vie de son frère et de sa petite soeur. Mais Emilien a besoin de sa solde militaire pour vivre et leur mère s'est remariée en 1920 donc elle peut vivre avec l'argent de son mari. Autant dire qu'Ange ne va pas transmettre grand chose aux petites. Au début, je me suis dit que tenir l'économie de notre ménage allait l'ennuyer, mais il m'a répondu que c'était sa vie oisive qui était en train de l'ennuyer. C'est donc lui qui est devenu le principal interlocuteur de Mademoiselle Laroche et plusieurs changements sont survenus dans le rythme de notre vie.
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selidren · 1 day ago
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Eté 1932 - Champs-les-Sims
2/6
Je ne pense pas qu'avoir un enfant ait fait partie de leurs premiers projets en tant que couple, mais il n'ont rien fait pour ne pas forcer la nature, si tu vois ce que je veux dire.
Ceci dit, ce sont des parents comblés. Mon frère adore sa fille, Aurore s'habitue peu à peu à prendre en main la maison comme la sienne au même titre que la nôtre et Ange est ravi d'avoir un nouveau bébé dans la nursery étant donné que les filles ont bien grandit. Quoi qu'il arrive, je suis heureuse de voir que chaque parent dans cette maison prend son plein rôle, ça évitera à mes filles et ma nièce de subir ce que nous avons vécu avec notre père.
D'ailleurs, j'ai encore une anecdote bien triste à ce sujet. Le renvoi acerbe de Jean-François à ses pénates a fait pousser des ailes à Cléo, qui a cru pour conquérir la place apparemment vacante d'enfant préféré de Papa. Son dernier roman, sorti il y a quelques mois, raconte une mystérieuse histoire de meurtre qui se déroule sur un chantier égyptien de Louxor. Avant la publication, elle en a envoyé un exemplaire à Papa, pensant lui faire plaisir. Mon père, pensant sans doute à son tour lui faire plaisir (version d'Adelphe) ou n'ayant pu se défaire de son exemplaire académisme (version la plus répandue), lui a retourné le livre bardé d'annotations rouges détaillant toutes les mauvaises interprétations, les erreurs historiques et les invraisemblances d'une telle situation. Ma pauvre soeur ne s'en est toujours pas remise, bien que peu après, tout la presse spécialisée s'accorde à dire que c'est un très bon roman.
Transcription :
Marc-Antoine « Elle est vraiment toute petite. Et pourtant, elle me paraît déjà si grande pour avoir tenu toute entière dans ton ventre. »
Aurore « Elle a déjà un peu grandit, c’est rapide à son âge. »
Marc-Antoine « J’ose à peine imaginer à quoi devait ressembler Maman avec nous tous à l’intérieur d’elle. Elle a toujours dit que Sélène et moi étions de grands bébés. »
Aurore « Elle devait avoir l’air épuisé et attendant avec impatience la fin. Comme moi, mais en plus intense je suppose. »
Marc-Antoine « Elle a vraiment les yeux très gris. De qui peut-elle bien tenir ça ? »
Aurore « Pas de mon côté, c’est sûr ! Nous avons tous les yeux marrons. Il faut également savoir que les yeux des petits bébés mettent du temps avant d’avoir une couleur définie. C’est ce que m’a dit ta Tante Rose. »
Marc-Antoine « Je ne savais pas. En tous cas, les paris vont aller bon train, il y a vraiment de tout dans la famille. Qui sait, elle aura peut-être les yeux verts d’Oncle Adelphe et Grand-Mère Eugénie ? »
Aurore « Je crois qu’elle a ton nez en tous cas. »
Marc-Antoine « Oh non pitié, pauvre petite ! »
Aurore « Pourquoi ? Il est très bien ton nez. »
Marc-Antoine « Tu plaisantes ? C’est ce que j’ai toujours le moins aimé dans mon visage. Il est tout plat ! Il jure horriblement avec mon front, c’est affreux. »
Marc-Antoine « Je préférerais qu’elle ait le tien. Il est fin et bien dessiné. »
Aurore « N’appelons pas non plus au drame. Ton nez ne te rend pas si laid que ça. Et puis, il va plutôt bien à tes sœurs. »
Marc-Antoine « Bon, si tu le dis, il ne sera peut-être pas affreux chez elle. »
Aurore « C’est un bébé, elle aura tout le temps au monde pour se trouver des défauts physiques. Si c’est le cas, on saura avec certitude de qui elle le tient. »
Marc-Antoine « En tous cas, elle tient déjà de sa mère la tendance à faire comprendre à son père que c’est un idiot fini... »
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selidren · 29 days ago
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Eté 1929 - Champs-les-Sims
16/20
L'après a été tout aussi compliqué. Avoir une maison bondée est parfois un peu conflictuel, mais c'est aussi une réconfortante sensation d'être consolé de partout, d'être en sécurité. L'esprit de meute peut-être. Heureusement, Ange était là. Il est reparti à Paris quelques temps plus tard, mais il est tout de même resté ici suffisamment longtemps pour me remettre sur pied. Je le savais modèle de bienveillance, mais pas à ce point. Non seulement il m'a soutenue du point de vue logistique, mais il a également été pour moi une béquille morale. Après tout ça, je ne lui reproche pas son départ. Il a ses propres besoins à assouvir, et il reviendra sitôt que les filles lui manqueront trop.
Transcription :
Ange « C’est terminé Noé. On va se coucher maintenant. »
Arsinoé « Je suis si fatiguée… Je ne sais même plus pourquoi je pleure. Comment tu fais ? »
Ange « Je dois fonctionner de façon inverse. Il y a tant de raisons que les larmes ne savent pas pour laquelle couler, alors elles s’abstiennent. »
Arsinoé « D’où cela vient que tu as toujours une réponse à tout ? »
Ange « De mon père, à ce qu’il paraît. Pour être honnête, je ne me souviens plus vraiment de comment il était. Mais c’est ce que Maman dit. »
Arsinoé « J’aimerais parfois que tout me glisse dessus. D’avoir le coeur tellement sec que plus rien ne pourrais me faire du mal. »
Ange « Je ne suis pas certaine que ce soit pour le meilleur. Le coeur c’est la peine, mais aussi l’amour. Viens, je vais t’aider à te coucher. »
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selidren · 5 hours ago
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Eté 1932 - Champs-les-Sims
4/6
Il adore ses enfants. Il passe ordinairement beaucoup de temps à visiter tous ses petit-enfants, leur commande toujours des tas de jouets sur les catalogues et il gère plus ou moins la maison de son fils, mon cousin Alexandre, où il habite. Je ne sais pas si je t'en ai déjà parlé en détail, mais mon cousin Alexandre a été volontaire durant la guerre, et si il a miraculeusement évité toute blessure physique, il est revenu un peu comme ton père, "brisé en dedans". Il avait une amoureuse de longue date, mais a refusé pendant longtemps de l'épouser à cause de prodigieuses crises de colères où il perd tout discernement. Grâce à l'intervention de Grand-Mère, il s'est cependant marié au final. Et cela fait neuf ans.
Seulement, malgré le soutien de son père et de son épouse, il n'est jamais allé mieux, bien au contraire. Il s'est mis à boire il y a quelques années pour tenter d'endiguer sa peine, mais comme tu t'en doute, ce n'est pas la chose à faire. Alcool et violence ne font pas bon ménage. Adelphe n'a pas pu me cacher très longtemps que sa pauvre belle-fille subissait des coups, et je sais que lui aussi en a reçu à quelques occasions. Il est désespéré, il ne sait pas quoi faire, et comme pour tout ce qui lui arrive, mon oncle insiste toujours pour s'en rendre responsable. Je comprends, mais si c'est la guerre qui a détruit à ce point mon cousin, comment pourrait-il ? Même lui ne pouvait pas sauver son fils de la guerre.
Le couple refuse le divorce, et même la séparation. J'ai bien tenté d'aider comme je voulais, mais l'épouse d'Alexandre m'a clairement fait comprendre qu'elle ne voulait pas que je me mêle de mes affaires. Adelphe pare au plus pressé, à savoir protéger ses petits-enfants, dont la petite Eugénie qui est née l'année passée, et il espère leur faire entendre raison au plus vite, mais sans vraiment d'espoir. Mon cousin, qui avait quelques lucidités au sujet de son état il y a des années, a aujourd'hui complètement sombré dans le déni. Nous aimerions tous qu'il aille dans une clinique, mais il refuse toujours, prétextant qu'il n'est pas fou ! Il m'a même lancé qu'il n'était pas comme "ma soeur la tarrée". Adelphe m'assure qu'il n'a pas toujours été ainsi, et c'est vrai qu'il peut se montrer charmant et compréhensif certaines fois, mais je suis en train de les oublier petit à petit.
Transcription :
Adelphe « Tu n’as pas encore déménagé dans la nouvelle aile ? J’avoue qu’elle sent encore beaucoup la peinture mais... »
Arsinoé « Ah si, bien sur. Mais j’aime bien venir ici, c’est une pièce apaisante. »
Adelphe « C’est une pièce vieillotte et poussiéreuse oui ! Elle n’a quasiment pas changé depuis le mariage de tes parents, et pour être parfaitement honnête, j’avais fait aménager cette pièce pour moi et Marie. Ton père s’est contenté de changer les couleurs des tapisseries et du couvre-lit. »
Arsinoé « Il n’a jamais été grand amateur de décoration d’intérieur c’est vrai. Mais malgré tout, je pense que je vais la conserver dans son état actuel. C’est important, je pense, qu’une pièce au moins échappe à cette modernisation forcenée, mis à part la salle à manger et le bureau de Papa bien sur. C’est un petit morceau d’histoire, cette pièce. Beaucoup d’enfants de la famille ont été conçus et sont nés dans ce lit. Moi par exemple, ainsi que les petites. »
Adelphe « Alexandre également… Mais veille quand même à raffraichir les tapisseries, à polir les appliques en laiton et laquer à nouveau le bois, la coiffeuse a connu des jours meilleurs. »
Arsinoé « Dis-moi, Oncle Adelphe. Il est déjà tard. Pourquoi, toi, tu es venu te cacher là ? »
Adelphe « Hum… et bien… C’est compliqué à la maison en ce moment. J’ai peur de lui déclencher une crise en lui imposant ma présence ce soir. »
Arsinoé « C’est si grave ? »
Adelphe « Nous ne sommes pas dans une bonne période disons… Il fait des efforts mais… j’ai envoyé Sylvette et les enfants chez sa sœur Yvonne pour quelques jours. Je crois que ce sont les pleurs du bébé… il ne les supporte pas. »
Arsinoé « Il n’y a rien à faire ? »
Adelphe « J’ai déjà tout essayé. Mais je ne suis que son père, je ne peux pas faire à sa place ce qui devrait être fait. Parfois, j’aimerais prendre sa douleur pour souffrir à sa place, mais ce n’est pas comme cela que ça marche. »
Arsinoé « Je suis tellement désolée… Et… enfin, hum… le divorce ? Ce serait mieux pour tous les deux. »
Adelphe « Oh oui, je regrette chaque jour d’avoir laissé Grand-Mère le convaincre de se marier, mais c’est fait ! Et ils refusent tous les deux ! Lui à cause de sa foutue fierté et elle… J’ai eu beau lui dire que la famille ne trouverait rien à y redire de notre côté, mais tu sais comment peuvent être les Norel. »
Arsinoé « Tu veux que j’aille lui parler ? Peut-être qu’un point de vue féminin pourrait la pousser à reconsidérer la question. Et il y a les enfants… Il n’a jamais... »
Adelphe « Non ! Il n’a jamais levé la main sur eux. Mais hier soir, il m’a tout de même dit qu’il avait peur que cela arrive un jour. Mon fils me fait peur et… je ne sais pas du tout quoi faire. Je suis démuni. Il refuse de voir le moindre médecin, même Rose. Il m’a déjà hurlé à la figure qu’il n’était pas un cinglé ! Va parler à Sylvette, mais je doute qu’elle t’écoute. »
Arsinoé « Je ne comprends pas comment elle peut rester avec lui dans ces conditions. »
Adelphe « Toi et moi avons grandi dans des foyers où ce genre de problème n’existait tout simplement pas. Nos parents nous ont transmis des démons, mais rien à voir avec ceux qui tourmentent Alexandre. Nous ne savons pas tout de ce qu’il se passe quand les portes sont closes. »
Arsinoé « Alors je vais essayer ! Dors ici cette nuit, tu es toujours le bienvenu dans la maison qui nous a vus naître. Et arrête de te flageller, ce n’est pas ta faute. »
Adelphe « C’est mon fils qu’il s’agit ! Bien entendu que c’est de ma faute ! »
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selidren · 5 hours ago
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Eté 1932 - Champs-les-Sims
3/6
Adelphe vit aussi quelques déboires en ce moment. Ce qui m'a alerté, c'est le jour où Antoine m'a fait remarqué avec humour qu'on ne l'avait jamais autant vu que depuis qu'il avait quitté la maison. Même en dehors du travail, il a toujours eu l'habitude de venir voir les filles de temps à autres, mais c'est devenu très régulier, d'autant plus depuis que la petite Louise est là.
Mon oncle peut être connu comme une véritable tombe, tu propre aveu de ma mère qui a reconnu avoir échoué à lui extorquer ses secrets, mais étrangement, je n'ai pas eu à le cuisiner trop longtemps. Je me suis tant confiée à lui qu'il a du lui même se sentir en confiance avec moi, et cela fait environ un an que je suis devenue une sorte de confidente pour moi.
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