#Ange de Chastel
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Eté 1929 - Champs-les-Sims
20/20
Les souvenirs des obsèques se font de plus en plus flous et atténués avec les mois qui passent. Nous réapprenons à vivre sans Grand-Mère. Cela dit, le trou est toujours là et la maison semble aussi grande que déserte sans le bruit de sa cane qui tape contre le sol. Nous n'avons pas eu le coeur de la jeter. Je l'ai emballée et entreposée au grenier, au milieu de nombre de ses affaires. Quand à sa chambre, nous n'avons pas encore pu nous résoudre à déplacer les meubles, nous ne savons même pas si nous voulons les garder ou pas. Je pense qu'il faut faire table rase, mais je ne sais pas si tout le monde à la maison est prêt.
J'aimerai proposer que Marc-Antoine rénove la chambre (elle n'a pas bougé depuis presque quatre-vingt ans et aurait besoin d'un coup de frais) et qu'il en fasse la sienne, je n'en peux plus de le voir loger dans le grenier. Après tout, il va revenir s'installer définitivement ici dès l'automne puisqu'il a fini l'école. Il a d'ailleurs été diplômé avec les honneurs, même si cet événement à été largement éclipsé. J'en profite aussi pour t'annoncer que la liste de mon frère a été élue au conseil municipal lors des élections de mai dernier. J'ai maintenant sous mon toit un conseiller municipal et notre village est passé sous la bannière communiste. Qui l'aurait cru ? Je suis extrêmement fière de lui, et je n'ai jamais douté de sa réussite.
Je t'enverrai une autre lettre sous peu, j'espère un peu plus joyeuse.
Affectueusement,
Noé
P.S. Tu trouveras si joint un bordereau bancaire confirmant le virement d'un certaine somme sur ton compte en banque. Ne me demande pas comment j'ai obtenu tes coordonnées, je ne compte pas vendre mes sources. Sache cependant qu'il s'agit d'un emprunt pour la construction de ton port, et que j'escompte que tu me rembourse chaque cent.
______________________________________________________________
De : [email protected]
Sujet : La cane !!!
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Cher D,
J'ai été farfouillé au grenier et je l'ai trouvée ! La cane est toujours là, intacte ! A force de chercher des objets ayant appartenu à nos ancêtres dans cet immense grenier, je vais bientôt vivre dans un musée. Et encore, je n'ai pas encore commencé à fouiller dans les combles de l'aile construite par Arsinoé.
A la prochaine !
A.
Transcription :
Rose « Mais bon, on enterre pas Eugénie Le Bris en toute intimité. »
Ange « Monsieur le maire a même hésité à convier le préfet d’après Antoine. »
Rose « Vraiment ? Et comment saurait-il cela lui ? »
Ange « Il a des amis au conseil municipal. La question a même été mise à l’ordre du jour au dernier conseil de mairie. Finalement, ils ont décidé de ne pas le faire. »
Rose « C’est dommage, elle aurait aimé avoir un invité prestigieux à ses obsèques. »
Ange « Bon, sur ce… Je me rend compte que je suis épuisé. Vous montez aussi ma tante ? »
Rose « Non, j’aimerai encore rester un peu si tu n’y vois pas d’inconvénient. Je te chasse pas, mais je veux être un peu seule vraiment. »
Ange « Ne vous inquiétez pas, je comprends. Bonne nuit. »
Rose « Oh Grand-Mère… Vous avez eu la plus belle cérémonie d’adieu que quelqu’un puisse espérer. Vous pouvez être fière de tous vos descendants. Cette jeunesse est prodigieuse. J’espère que vous vous en êtes rendue compte avant la fin... »
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Hello ! J'ai entendu vos cris, vos plaintes et vos demandes à l'aide ! Seli est en train de bosser sur un arbre généalogique un peu joli pour son côté, mais en attendant, je vous poste ici la descendance d'Eugénie Le Bris - vu que son enterrement ramène plein de membres de la famille dont notre réactif lectorat n'a pas manqué de nous faire comprendre que vous ne savez plus du tout qui ils sont :D
Je procède branche par branche. Pour commencer, voici les branches qui se sont éteintes : Lucrèce, Hélène, Matthieu. Pour le rappel : Maximilien a incendié la maison de son frère Matthieu, causant la mort de sa femme et de ses deux filles. Puis il a assassiné Matthieu en le poussant dans les longs escaliers de la Butte aux Chênes. Hélène est rentrée au couvent. Lucrèce est une vampire lesbienne, qui s'est enfuie de Champs-les-Sims après avoir tué et mangé son frère Maximilien.
Voici maintenant la branche de Lazarine. Lazarine est la mère d'Adelphe. Elle a été accusée d'avoir assassiné son frère Matthieu, et a été jetée en prison où elle s'est pendue avant son procès.
La branche de Daphné, autre fille d'Eugénie, mariée au vieux baron de Chastel. Ange est son petit-fils.
Et enfin, la descendance de Maximilien. Attention, c'est large et Tumblr compresse... Pour l'avoir en bonne qualité, il faut cliquer sur ce lien.
Bref !! J'espère que c'est plus clair maintenant !
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L’année Raphaël (2)
Pour inaugurer l’«Année Raphaël», nous avons présenté, dans notre premier billet de 2020, la fresque de L’École d’Athènes, en rappelant l’articulation étroite qui existe sur le plan idéologique, entre le motif même choisi par le souverain pontife et par ses proches, et la symbolique du lieu, à savoir la «Chambre» abritant la bibliothèque privée du pape Jules II. Nous poursuivrons aujourd’hui, en examinant la présence de l’écrit et du livre dans le détail de la fresque, et la diffusion du motif de celle-ci, par le biais, d’abord, des descriptions et des récits de voyage, et bientôt par celui des estampes. Que l’École d’Athènes soit intimement liée au monde de l’écrit, la présence en nombre de personnages occupés à e lire ou à écrire en témoignera suffisamment. Outre les deux figures centrales de la scène, Platon et Aristote, qui tiennent chacune un codex, voici Pythagore et son groupe, dont un jeune putto dressant un tableau de l’harmonie musicale. De l’autre côté de la fresque, Euclide fait une démonstration de géométrie en s’aidant d’une ardoise sur laquelle il trace ses figures. Les deux groupes réunis chacun autour d’un maître symbolisent deux des arts libéraux, à savoir d’une part la musique, de l’autre la géométrie. Mais voici encore, aux pieds de Minerve, un jeune homme assis, comme les cheveux au vent, et qui est en train de prendre fiévreusement des notes en s’appuyant sur son genou (cliché 1). Diogène quant à lui prend connaissance d’une note, ou d’une lettre, qu’il tient de la main gauche, tandis qu’Épicure / Michel Ange, la plume à la main, semble plongé dans ses pensées (cliché 2). Un personnage retient plus particulièrement l’attention, un jeune homme, habillé de bleu, à l’avant-plan à gauche de la fresque : d’après Brock (p. 146), il s’agit de Tommaso, dit Fedra Inghirami (1470-1516), nommé en 1505 prévôt à la Bibliotheca Vaticana, puis préfet de celle-ci en 1510 (cf DBI, LXII). Inghirami, qui descend d’une famille proche des Médicis, a accompagné le légat a latere Bernardino Lopez de Carvajal auprès de Maximilien (1496), et a reçu de ce dernier le titre de poeta laureatus (1497) –et, de fait, son ami Raphaël le représente ici portant une couronne de lauriers, dans la position classique de l’historiographe prenant en notes les hauts faits de la cour où il est employé (cliché 3).
L’invention de Raphaël tient dans la «naturalisation» de l’ensemble de la scène: il n’est plus nécessaire d’insérer des banderoles ou des phylactères pour identifier le personnage ou pour préciser le propos. Certes, ce qu’écrivent les uns et les autres reste illisible pour le spectateur, mais, à l’exception des deux inscriptions présentées à l’avant-plan sur des ardoises et des titres du Timée et de l’Éthique, tout ce qui a trait à l’écriture est finalement naturalisé en geste de lire, décrire, de dessiner, de recopier, de montrer dans un livre ou de regarder écrire, voire d’apporter des volumes (Brock, p. 146). Paradoxalement, une autre manifestation de l’écrit apparaît dans la Stanza della Segnatura: le 6 mai 1527 en effet, les troupes impériales conduites par le connétable de Bourbon, forcent la porte de Santo Spirito, et s’emparent sans coup férir de Rome. Pendant plusieurs mois (en fait, jusqu’en février 1528…), la Ville est livré au pillage, auquel les Stanze de Raphaël n’échappent pas. Une partie des troupes impériales est constituée de lansquenets protestants et, dix ans après les Thèses de Luther contre les Indulgences, la révolution des médias de masse est un fait: les canards et des pamphlets imprimés (les Flugschriften) contre le pape et contre l’Église de Rome circulent très largement en terre de Réforme, et ils sont parfois d’une extrême violence. Rien de surprenant si, partout dans la Ville soumise an pillage, un premier saccage des «images» se produise (Bildsturm), et si les reliques, assimilées à des objets de charlatanerie, soient profanées. Dans la Stanza della Segnatura comme dans un certain nombre de lieux symboliques, des graffiti tracés à la pointe de l’épée témoignent du passage des lansquenets de Georg von Frundsberg… avec en l’occurrence l’inscription «Luther», sur la fresque de la Dispute (cf Chastel (1), p. 121 et suiv.: cliché 4). Ici l’historien n’est plus confronté à une perspective d’histoire de l’art, mais bien d’anthropologie, pour laquelle les graffiti luthériens s’introduisent au cœur même du modèle intellectuel pontifical tel que mis en scène par Raphaël, pour le subvertir – en substituant le nom du Réformateur à celui du pape. Au passage, on remarquera que le vandale lansquenet est bel et bien alphabétisé…
Mais revenons à la fresque pour elle-même. Le travail de Raphaël est aussitôt célèbre, même si sa citation par Paolo Giovo (dans la «Vie de Raphaël», Raphaelis Urbinatis vita) reste elliptique. Vasari en donnera une description plus circonstanciée, mais non exempte d’erreurs factuelles (au point que Brock suggère qu’il n’a peut-être pas vu lui-même les fresques). Surtout, le motif de l’École d’Athènes est bientôt diffusé par la gravure, mais selon une voie a priori inattendue, puisqu’elle nous conduira de Mantoue à Rome… et à Anvers. C’est en effet de Mantoue qu’est originaire le dessinateur et graveur Giorgio Ghisi, né en 1520 et dont nous ne savons pratiquement rien de la formation artistique mais qui a manifestement subi l’influence de Giulio Romano. Les premiers travaux que nous connaissions de lui, dessins et gravures, datent de la décennie 1540, d’abord à Mantoue, puis à Rome. Il entre alors en relations avec le Flamand Hieronymus Cock (1518-1570), lequel séjourne précisément un temps à Rome. Rentré à Anvers en 1548, Cock se lance dans l’édition et la diffusion des estampes, à l’adresse bientôt célèbre des «Quatre vents». La conjoncture exceptionnelle qui est celle d’Anvers au milieu du XVIe siècle, et que nous évoquions tout récemment à propos de Christophe Plantin, assurera le succès de l’entreprise: Dès ses premières années d’activité comme éditeur, [Cock] a formé le projet de présenter au public néerlandais les œuvres de Raphaël et de son école, alors seulement connues de quelques privilégiés. Son principal atout pour y parvenir fut d’avoir réussi à faire venir à Anvers le célèbre graveur italien Giorgio Ghisi, qui exécuta pour [lui] deux gravures monumentales d’après les fameuses fresques de Raphaël au Vatican, rapidement objets de tous les regards. Le «public néerlandais», certes, mais pas seulement lui: les réseaux commerciaux de la métropole de l’Escaut permettent une diffusion pratiquement européenne des produits anversois ou transitant par Anvers. Quoi qu’il en soit, Ghisi rejoint bientôt son ami. Sa reproduction de l’École d’Athènes est la première à être gravée, en deux planches, et à sortir à l’adresse de Cocq en 1550 (cliché 5). Le bloc sur lequel Épicure s’appuie pour écrire porte désormais la signature: «Raphael Urb[inensis] inv[enit] Georgius M[a]t[uanus] fec[it]». Mais, de manière a priori surprenante, l’image est identifiée au titre, non pas comme L’École d’Athènes de Raphaël, mais comme le prêche de l’apôtre Paul devant une assemblée de philosophes à l’aréopage d’Athènes (cf Actes, XVII, 18 et suiv.). L’inscription épigraphique est portée à l’avant-scène à gauche: Pavlvs Athenis per Epicvraeos et Stoicos qvosdam philoso phos addvctvs in Martiv Vicv. Stans in medio vico. Svmpta occasione ab inspecta a se ara. Docet vnum illvm, vervm, ipsis ignotvm Devm. Reprehendit idololatriam, svadet resipiscentiā incvlcat et Vniversalis Ivdicii diem et mortvorvm per redivivvm Christvm Resvrrectionem. Act. // XVII. D’où provient la réinterprétation, nous l’ignorons, mais de toute évidence, il s’agit de faciliter la diffusion de la gravure, dans un environnement tout autre que celui de la capitale pontificale, et où les thèses de la Réforme sont largement reçues. L’année suivante, Ghisi s’inscrit à la Guilde Saint Luc, sous le nom de Joorgen Mantewaen: il est probable qu’il quitte cependant Anvers vers 1554, sans doute d’abord pour la France, puis pour l’Italie. La réception de la fresque de l’École d’Athènes est ainsi considérablement élargie mais, si le motif reste le même, son interprétation en est déplacée en profondeur: l’humanisme néo-platonicien n’est plus d’actualité, non plus que la théorie des bibliothèques. Signe de la conjoncture nouvelle, c’est la problématique économique qui s’impose en ce mitan du XVIe siècle, à travers le recours à la gravure, et à travers le choix de ce que nous pourrions presque appeler une «scène de genre» illustrant la rencontre de l’apôtre (dont la figure se substitue à celle de Platon!) avec les représentants les plus notables de la culture antique. Nous reviendrons, dans notre troisième et dernier billet à propos de l’École d’Athènes, sur l’héritage d’Athènes… et sur le retour du motif raphaëlien dans les bibliothèques.
Notes (1) André Chastel, Le Sac de Rome, 1527. Du premier maniérisme à la contre-Réforme, Paris, Gallimard, 1984, («Bibliothèque des histoires»). (2) Hieronymus Cock, La gravure à la Renaissance, dir. Joris Van Grieken, Ger Luijten, Jan Van der Stock, Bruxelles, Fonds Mercator, 2013.
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Conjoncture artistique à Florence autour de 1500
Vasari, Vire de Raphaël d’Urbino : « son amour constant […] d’un talent inégal. » Vasari insiste sur le décor que Léonard de Vinci et Michel-Ange entame pour la Salle des Cinq-Cents au Palazzo Vecchio dans laquelle on décide de figurer les passages importants de l’histoire de Florence depuis le Moyen Age. Au départ, elles devaient être mises face à face.
Leonard n’a pas terminé cette grande fresque, on ne connait que des dessins, des projets, des cartons. Raphaël s’est inspiré des expressions des visages.
Michel-Ange devait réaliser la bataille de Cascina, de façon provocante, il avait choisi non pas de représenter la bataille proprement dite mais de représenter un moment en marge, quand les soldats avaient trop chauds et se dévêtissent puis se rhabillent à l’annonce de l’ennemi. Il voulait peindre du nu, grand intérêt pour l’anatomie, le corps humain en action dans des poses difficiles à représenter, en course, de dos, en torsion.
Domenico Ghirlandaio, La Visitation, 1485-90 : art très équilibré, très parfait, peut-être trop formel. Spécialiste de la fresque dans les chapelles des grandes familles de Florence dans lesquelles il met en scène la bourgeoisie florentine pour représenter des scènes de la vie de la Vierge. Les scènes sont projetées dans la société contemporaine. Costumes à l’antique pour les deux au centre et le groupe de droite porte des costumes florentins de la fin du XVe siècle et à l’arrière-plan une vue de Florence.
Sandro Botticelli, Pietà, 1498 : dessin très aigue, pointu, douloureux. Coté tragique. Pas grand-chose de commun à part le rythme de la ligne.
Antonio Pollaiuolo, Hercule et Antée, peinture sur panneau, v 1470 & groupe en bronze, v. 1478 : corps humain scruté dans tous les angles, étudier les statues antiques et contemporaines. Caractéristique des florentins pour les petites œuvres, intimes mais que l’on peut étudier sous tous les angles grâce à des points de vue multiples, l’anatomie est parfaitement étudiée.
Andrea del Verrocchio, L’Incrédulité de saint Thomas, 1467-83, bronze : il est placé dans une niche de marbre à l’antique. Manière dont les florentins savent développer la forme dans l’espace, ici le groupe est en mouvement, il empiète dans l’espace du spectateur. Saint Thomas tend la main vers la droite et le christ tend vers la gauche, réel mouvement et forme. Traitement de la draperie reflète l’esprit des personnages avec des plis plus majestueux pour le Christ. Il ne faut pas séparer les statues de la niche.
Andrea del Verrocchio & Léonard de Vinci, Le Baptême du Christ, 1472-75 : œuvre d’un peintre aussi sculpteur, quelque chose de tridimensionnel, volume dans les anatomies. Les anges de Léonard introduisent une grâce supplémentaire.
Léonard de Vinci & Michel-Ange
Léonard de Vinci, l’adoration des mages, 1481 : abandonnée en 1484 et reste inachevée. On est fans une sorte de représentation en noir et blanc. On est devant une œuvre dans une grande complexité, multitude de personnages et d’attitudes et à l’arrière-plan, insertion d’un paysage fantaisiste. Une espèce de résumé de ce que Léonard savait en art.
Léonard de Vinci, Sainte Anne et la Vierge : carton au fusain avec des rehauts de blancs et montre l’ambition de Léonard.il va essayer de fondre les personnages pour former un groupe organique, c’est-à-dire un organisme unique, il a voulu exprimer la généalogie du Christ. On reprend une iconographie du Moyen Age.
Raphaël, feuille d’études
Michel-Ange, La Vierge et l’Enfant à l’escalier, 1490-92 : selon lui, Raphaël va étudier le corps humain, l’anatomie, le mouvement et d’un certain pathétique, le caractère terrible d’une œuvre. Le Christ est en posture tordue, torturée, bras rejetés vers l’arrière, déjà un torse d’adulte, de lutteur. Escalier avec des enfants qui jouent ajoutent de la profondeur et du mouvement.
Michel-Ange, La Sainte Famille, v. 1506 : date exactement du séjour de Raphaël à Florence. Position inconfortable de la vierge, assise sur le sol et elle passe ou reçoit l’enfant à Saint Joseph qui est derrière. Coté énigmatique, encore une leçon de composition, comment faire tenir sur une surface réduite et difficile toutes ces figures. Encore en présence d’un groupe organique.
La définition du troisième style « moderne » par Vasari, préface de la troisième partie des Vies, (é. A. Chastel, vol. V, p.20) : « c’est lui qui inaugura […] figures d’Apelle et de Zeuxis ». & Raphaël devant Leonard et Michel-Ange selon Vasari (Vie de Raphaël) : « La découverte de Leonard de Vinci […] grâce des couleurs » & « le style hérité de Pérugin […] à la Salle du Conseil de Florence ».
Les portraits
Raphaël, La Dame à la licorne, v 1505, Rome, Galerie Borghèse et Portrait de femme, dessin à la plume, Louvre : licorne signifie la chasteté, la pureté. Marque une certaine simplicité. Les bras décrivent un cercle qui comblent la première partie du tableau et le tissu donne plus de volumes. Le visage se détache sur un paysage à la manière du Pérugin, dans une loggia. Raffinement de la couleur, bijoux à la mode. Rapprochement avec le dessin.
Raphaël, Portraits d’Agnolo et Maddalena Doni, 1506, Florence, Palais Pitti : construction plus dynamique, peu d’expression dans les portraits pour donner plus d’intensité. N’ont pas le caractère mystérieux et étrange des portraits de Léonard de Vinci, Portrait de Monna Lisa, 1503-04 : pose semblable mais une sorte d’aura émane de La Joconde avec son sourire énigmatique.
Raphaël, La Donna gravida, v. 1505, Palais Pitti : le commanditaire et le modèle sont inconnus. Titre signifie la femme enceinte. Utilisation délibérée d’un fond sombre sans paysage qui permet à la figure de prendre du volume. Teintes assez simples. Femme qui ne sourit pas, un peu fermée, un peu hors d’atteinte et ne semble pas instaurer un dialogue. Exercice de style, sur le volume, représentée de ¾ pour attirer attention sur la main et le ventre. Sérénité rassurante d’une mère qui donne sensation de calme.
Raphaël, La Muta, 1507-08 : mains l’une au-dessus de l’autre avec beaucoup de subtilité, doigt comme si elle voulait indiquer quelque chose. Titre signifie la muette, expression attentive, lèvres fermées et mâchoires serrées, c’est avec ses mains qu’elle parle. Peut-être un membre de la famille Strozzi ou une femme associée à la famille régnante. Détail de la chaine en or fait une ombre sur la peau du cou.
Les madones : thèmes et variations
Les madones de florence sont renouvelées par rapport aux précédentes qui s’inspiraient du Pérugin.
Raphaël, Madone du Grand-Duc, v. 1504 : verticalité, très p & Petite Madone Cowper, 1504-05 & Madone Bridgewater, v.1506-07 : part d’une verticalité très posée, très figée vers une composition plus dynamique qui est une influence de Michel-Ange. Veut réaliser avec Léonard dans le fait que les formes ne se détachent pas mais émergent doucement de la pénombre, donne un effet plus naturel. Raphaël a volontairement adouci les couleurs pour la première madone. Attention aux manières de restaurer, dans les collections américaines et anglaises, ls couleurs sont plus fortes mais vient peut-être de la restauration.
La Madone d’Orléans, v. 1506-07, Musée Condé : œuvre d’une petite taille. Couleurs d’une très grande fraicheur. La vierge se penche gracieusement et l’ensemble a une expression d’un grand mouvement avec l’enfant qui saisit le corsage de sa mère. A l’arrière-plan, on voit des pots.
Raphaël, La Vierge au chardonneret, v. 1507 : tableau rompt avec la tradition du Pérugin car les trois personnages forment un groupe organique alors que le Pérugin juxtaposait les personnages comme on le voit dans le tableau Vierge à l’enfant et saints. Comparée avec Michel-Ange, Madone de Bruges, marbre, 1501-04 : tension tragique qu’il n’y a pas dans la composition tendre de Raphaël mais il s’en est inspiré pour la représentation de la Vierge assise et frontale et la figure du Christ debout et en mouvement. Comparé avec Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, 1483-86 : mettre en relation ou en opposition les figures dans un paysage, il met en avant ces relations avant le caractère sacré. Léonard de Vinci, Sainte Anne et la Vierge, 1508-10
Les tableaux d’autel
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
7/7
En tous cas, cette cérémonie supplémentaire nous a tous fait un bien fou. Papa et Maman sont repartis en Egypte, Cléo est retournée à ses "errances mondaines et parisiennes" et Sélène va prendre un peu de repos dans la famille de son fiancé (c'est très récent). Quand à Ange et moi, dès qu'il sera revenu de Paris, nous serons enfin prêts à nous lancer dans des travaux d'envergure. Nous allons commencer modestement avec la réfection du salon, puis nous nous attaquerons au gros oeuvre.
Je sais aussi que tu es friand des nouvelles informations sur la cour que se livrent mon frère et Mademoiselle Laroche. Et bien sache que ça avance, petit à petit en tous cas. Je les surprend de plus en plus seuls tous les deux. Ils assurent que c'est en tout bien tout honneur, mais je pense que tu sais ce que ça signifie. Je ne pense pas me montrer si je t'affirme que ma prochaine lettre t'apprendra leurs fiançailles.
J'espère que cette fin d'année nous apportera, à toi et moi, de meilleures nouvelles et d'heureux événements.
Noé
*En québécois, cette expression peut signifier "c'est pénible/fâcheux".
Transcription :
Marc-Antoine « Enchanté, Madame Rumédier. Vous pouvez m’appeler Antoine, je ne suis pas du genre à faire des simagrées. »
Lucrèce « Appelez moi Ada… »
Marc-Antoine « On dirait que je vous fait une sacré impression. Vous venez de voir un fantôme ? »
Lucrèce « Pas du tout ! Vous me rappelez juste quelqu’un que j’ai connu autrefois. »
Arsinoé « Grand-Mère disait qu’Antoine ressemble énormément à notre grand-mère, Maximilien, même si il a les yeux de Maman. »
Marc-Antoine « J’en aurais aussi la carrure, le cheveux et le charisme. Mais j’imagine que c’est surtout ce qu’elle voulait voir. »
Arsinoé « En tous cas, si tu lui ressembles tant, ce ne peut pas être une mauvaise chose. Si mon père ne me parlais jamais vraiment du sien, Grand-Mère s’en est beaucoup chargée, Ada. Elle passait son temps à nous dire à quel point c’était un bon garçon, un homme formidable. »
Marc-Antoine « Et à quel point je lui ressemble ! »
Lucrèce « C’est de valeur*… »
Arsinoé « Ah, si vous aussi vous vous y mettez ! Parle t-on de mon grand-père au Canada ? »
Lucrèce « Pas vraiment. C’est que ça commence à remonter... »
Marc-Antoine « Allons, arrête d’embêter notre cousine avec tout ça Noé. Vous restez avec nous pour le repas j’espère. Aurore… enfin, je veux dire Mademoiselle Laroche, a préparé tout spécialement des pancakes pour le dessert. »
Lucrèce « Proposé de cette façon... »
Marc-Antoine « J’avoue que je me suis assez peu intéressé à la politique canadienne ces derniers mois. A Paris, on ne parle que des Etats-Unis ou de l’Italie, quand ce ne sont pas ces saletés de fascistes qui sont sur toutes les langues… Que pensez-vous de l’antimilitarisme Ada ? »
Lucrèce « Et bien… Personne n’aime la guerre Antoine. »
Marc-Antoine « Et pourtant, vous seriez surprise. Nous avons été si prompts à voter les crédits en 1914. »
Arsinoé « Oh bon sang, Antoine ! Nous n’avions que huit ans à cette époque ! Tu peux laisser tout ça derrière toi ? »
Lucrèce « Je devrais vous laisser... »
Arsinoé « Ah non ! Antoine, ferme donc un peu ton bec et vas chercher quelque chose à boire à notre invitée. Quelque chose de particulier vous ferait-il plaisir ? Je crois que ma tante Rose a laissé un peu de brandy. »
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Automne 1926 - Champs-les-Sims
3/3
J'espère pouvoir t'annoncer une bonne nouvelle sous peu, et qui sais, peut-être que cela te fera plaisir car tu ne pense pas (comme Antoine), que j'ai en quelques sortes gâché ma vie. J'ai été surprise, car de tous mes proches, c'est sans doute lui qui l'a pris le plus mal. Papa a estimé que j'étais un peu jeune pour déjà me marier, mais il n'a pas insisté quand je lui ai dit que c'était mon souhait.
J'ai heureusement pu rencontrer mes petites soeurs ! Elles sont adorables, surtout Julienne, et elles se ressemblent autant que Cléo et moi. C'est vraiment étrange de les voir et de constater que mes propres enfants auront sensiblement le même âge.
Je voulais conclure en revenant sur ce que tu mentionnais à propos de vos problèmes financiers. Par expérience, je sais que ce n'est pas facile à admettre comme genre de problème. Je suis flattée que tu te confies à moi et je veux que tu saches qu'en cas de besoin, je peux y pourvoir. Je ne pense pas me vanter ou être impudente en affirmant que les affaires familiales vont assez bien pour entretenir le nouveau foyer de mes parents à Alexandrie, les chambres d'Antoine et Cléo à Paris, le pensionnat de Jean-François ou encore les besoins de Sélène (en tous cas jusqu'à son mariage). Sache que tu n'as qu'à demander.
Je te souhaites le meilleur,
Ta cousine, la nouvellement nommée Arsinoé Le Bris de Chastel
P.S. Vois-tu, je porte une particule désormais ! Je pense que si notre ancêtre commun en était témoin, il ne le croirait pas.
Transcription :
Arsinoé « Antoine. Je comprends tes inquiétudes. Mais tu n’étais pas là. Il fallait que je réagisse rapidement. »
Marc-Antoine « Pourquoi tu ne m’a pas appelé ? Nous aurions trouvé une solution tous les deux… Tu sais que je suis là, que tu peux me demander ce que tu veux et que j’aurais fait n’importe quoi... »
Arsinoé « Tu n’aurais rien pu faire. Il faut que tu acceptes que cette fois-ci, tu ne pouvais rien pour moi. Tu ne m’as ni trahie, ni laissée tomber. Sans compter que la situation aurais pu être pire. Cette solution est idéale, même si elle ne te convient pas. »
Marc-Antoine « C’est juste que voir Grand-Mère jubiler à ce point, ça m’a mis tellement en colère. »
Arsinoé « Mais pourquoi ? »
Marc-Antoine « Je… ça ne semblait pas bien. C’est ta vie, pas la sienne. »
Arsinoé « Antoine… Accepte qu’il n’y avait pas d’autre solution. Tu sais, nous avons discuté avec Ange. Longuement. De toute ce qui allait se passer, de ce que nous voulions tous les deux. Nous sommes satisfaits. »
Marc-Antoine « Alors… C’est vraiment ce que tu veux ? »
Arsinoé « Oui, vraiment. Mais de toute façon, ce serait un peu tard pour renoncer. J’aurais pu te le dire si tu m’avais parlé avant plutôt que de bouder comme un enfant jusqu’à la cérémonie. »
Marc-Antoine « Pardon... »
Marc-Antoine « Et maintenant ? »
Arsinoé « Maintenant ? Je vais retourner à mon travail jusqu’à ce que je sois trop fatiguée, puis je prendrai de longues semaines de repos dans le jardin d’hiver jusqu’à la naissance. Et après, je commencerai ma vie de mère. Et toi alors ? »
Marc-Antoine « Et bien… Je vais retourner à Paris terminer l’école. Puis je reviendrai ici le plus tôt possible. Pour Aurore bien sur, mais aussi parce que Kleber et Raoul veulent créer une liste communiste pour la mairie et que je pense saisir ma chance. Avec mes connaissances à Paris, je vais gagner une vraie légitimité. »
Arsinoé « Avec un tel programme, tu seras député avant trente ans. »
Marc-Antoine « N’exagère rien ! Mais je pense qu’il faut faire une différence, se battre pour ses convictions. Et t’épauler bien sur. Il ne sera jamais dit que je laisse tomber ma grand-sœur, jamais ! C’est ce que Grand-Père Maximilien a toujours fait, veiller sur sa famille, et je vais prendre le relai. »
Arsinoé « Alors c’est formidable ! Tous les enfants Le Bris vont suivre leur rêve. Oh, ne me regardes pas comme ça, je m’incluais dans le lot ! »
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Printemps 1924 - Champs-les-Sims
4/10
Vous vivez sur une petite île. Moi je vis dans un petit village. Alors je pense que vous comprenez que c'est difficile de rencontrer grand monde de l'extérieur. Moi, je ne sors pas beaucoup. J'ai du travail et des responsabilités. Alors quand j'ai rencontré Jean, je pensais que c'était inespéré. Il était engagé comme saisonnier à l'automne dernier pour les vendanges, et comme il travaille bien, j'ai convaincu mon oncle Adelphe que ce serait une bonne idée de l'engager comme ouvrier à part entière. Nous nous voyons en cachette, avec la complicité de mes soeurs. Mon frère était au courant aussi bien sur, car il n'y a personne d'autre à qui je fasse plus confiance. Il se peut aussi que j'en ai touché un mot à mon cousin Ange, qui porte plutôt bien son prénom.
Antoine et Ange passent une grande partie de leur temps à Paris, et il s'y rencontrent parfois. Mon frère est étudiant et mon cousin est un hédoniste qui fréquente des salles de bal d'un genre qui ferait dresser les cheveux de ma grand-mère sur sa tête. Il m'écrit assez souvent ce qui se passe dans ses soirées, et je suis aussi fascinée qu'intimidée par les audaces qu'il se permet. Avez-vous entendu parler du Corydon de Gide ? Disons que Ange est de ceux dont parlent ces essais. Il a tant fait scandale qu'on vient juste de le publier. J'ai l'air d'une écolière maladroite quand j'écris ces lignes plutôt que d'aller à l'essentiel. Je me suis idiote, mais on ne sait jamais, des fois que Maman, ou pire Grand-Mère, lise par dessus mon épaule, mieux vaut que j'écrive en tournant autour du pot.
Transcription :
Jean « On discute pas mal avec les gars. Il y en a du village, mais aussi d’autres qui viennent des alentours comme moi. Et on se raconte des histoires, des anecdotes. Les locaux aiment bien bomber le torse en racontant les histoires du cru, les personnages locaux hauts en couleur, les grands événements qu’ils ont connu ou qu’ils tiennent de leurs parents. Ta famille est partout là-dedans. Rien que ta grand-mère... »
Arsinoé « Oh non pitié, je l’ai bien assez sur le dos pour que toi, plus que les autres finisse par m’en parler ! »
Jean « Oui je sais mais… Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas échapper à ta famille, elle est partout ici. »
Arsinoé « Oui, j’avais compris. Alors dis-moi ce que tu veux que je fasse. »
Jean « Pardon ? »
Arsinoé « Je n’aime pas te voir aussi mal à l’aise. On se voit déjà si peux, et c’est dommage que l’on gâche tout. Déjà, je pense qu’on devrait arrêter de se cacher. Viens avec moi tout à l’heure et je te présenterai mes parents. Oncle Adelphe fera peut-être les gros yeux, mais il ne dira rien. »
Jean « Tu plaisante ? La vieille… enfin ta grand-mère, me fait mille fois plus peur ! Tout le monde sait qu’elle a des plans pour sa petite-fille adorée. »
Arsinoé « Bon sang. Pourquoi suis-je toujours la dernière mise au courant ?"
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Automne 1930 - Champs-les-Sims
4/4
J'ai montré ta lettre à Tante Rose, au sujet de ton père. Elle a secoué la tête d'un air navré avant d'ajouter qu'à ce stade, il n'y avait plus grand chose d'autre à faire. Elle ne veut pas que tu te fasse des illusions, mais malgré tout, elle a déjà vu des malades tenir ainsi plusieurs années. J'espère que ce sera le cas pour ton père. Je sais que ça doit être dur, mais j'espère que vous ne vous fâcherez pas avec lui, et que lui s'adoucira un peu, car ce sera dur pour tout le monde. Tante Rose t'envoie ses amitiés.
Sur un ton un peu plus joyeux, sache que Sélène n'est pas encore mariée. Dans ses lettres, ma soeur me dit qu'elle souhaite attendre encore un peu, mais elle ne sait pas combien de temps. Je me demande si ce n'est pas en partie pour calmer les ardeurs de sa belle-famille, il parait qu'ils ne font que parler de mariage.
Je suis assez surprise de ce que tu me dis sur Ada, mais passe lui tout de même le bonjour. C'est une femme qui gagne à être connue selon moi. Elle était bien intarissable d'anecdotes, et je ne doute pas qu'elle les tienne de ta mère. Nous avons eu avec elle un aperçu de la vie au Canada qui a rassasié notre curiosité pour un moment, surtout celle d'Antoine, qui a du passer pour un sacré bavard. J'espère que ma prochaine lettre te parlera de son mariage.
Bien à toi,
Noé
_____________________________________________________________
Cher Lucien,
Noé m'a bien montré la photographie de votre truite. Je pêche peu, mais certains de mes amis m'ont confirmé qu'il s'agit d'une très belle prise. Un de ces amis m'a même appris qu'il s'agissait d'une variété de truite brune originaire d'Eurasie et qui avait été sans doute introduite dans le Saint-Laurent pour la pêche sur glace. Il s'agit en tous cas de son humble avis.
Je n'avais quand à moi pas grand chose à répondre dans le cadre de ce rituel typiquement masculin de comparer ses prises respectives. Il aurait été inconvenant de ma part que vous envoie une photographie de mes propres prises, par respect pour mon épouse qui respecte autant mes inclinations que ma vie privée autant que pour les "prises" en question qui y auraient vu quelque chose de dégradant. Je ne pratique pas la chasse à courre ou le safari, et je n'ai aucun hobby qui puisse non plus rentrer dans le cadre d'un rituel social. Mes seules réelles fiertés en tant qu'homme sont mes filles, Anna et Elisabeth, alors je me suis dit que j'allais vous les montrer. J'ai assez d'images pour que vous puissiez tapisser votre salon, mais je doute que cela vous intéresse, alors en voici une seule. Elisabeth est à droite et Anna à gauche.
Avec l'assurance de ma plus fervente amitié,
Ange de Chastel
Transcription :
Aurore « Tu vois, quand tu veux. »
Marc-Antoine « Je risque d’en entendre parler longtemps n’est-ce pas ? »
Aurore « C’est possible. Monsieur de Chastel a eu beaucoup de mal à rester sérieux quand il m’a expliqué la situation. Je ne sais pas vraiment si j’ai été vexée ou si j’étais morte de honte. »
Marc-Antoine « Il nous a observé ? »
Aurore « Un certain temps, jusqu’à ce qu’il trouve trop cruel de ricaner dans son coin en t’observant me faire des demandes en mariage à mots couverts pendant que je ne comprenais rien. »
Marc-Antoine « Bon sang... »
Aurore « Pour se faire pardonner, il a promis de me laisser des gages supplémentaires en guise de cadeau de mariage. »
Marc-Antoine « Avec le père que j’ai, j’ai toujours imaginé que je serais à l’abri de ce genre de quiproquo. Je devrais avoir l’habitude. »
Aurore « Tu me compares à ton père ? »
Marc-Antoine « Non, chez lui c’est particulier. Vous n’avez pas grand-chose en commun, juste cette difficulté à démêler premier et second degré. »
Aurore « J’imagine que ta mère a été plus efficace que toi sur ce point, sinon tu te serais jamais né. »
Marc-Antoine « En fait, c’est mon père qui a pris les devants et l’a demandée en mariage, comme le veux l’usage. »
Aurore « J’aurais du aller contre l’usage. Nous nous serions mariés il y a déjà des mois. »
Marc-Antoine « N’exagère pas. Je n’ai commencé à pelleter de l’air il n’y a de que deux semaines. »
Aurore « Pelleter de… quoi ? »
Marc-Antoine « C’est une expression québecoise que m’a appris Ada Rumédier, ça veut dire perdre son temps. »
Aurore « Oui, enfin c’est bien ce que je dis. Entre toute cette parade et les mois qu’il t’a fallut pour trouver le courage, j’aurai du te le demander moi-même. J’aurai obtenu ce que je veux bien avant. »
Marc-Antoine « Tu veux dire que tu me trouves lent ? »
Aurore « Je veux dire que pour un politicien, tu as bien du mal à prendre les devants. »
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Automne 1930 - Champs-les-Sims
3/4
Il a enfin demandé Mademoiselle Laroche en mariage ! Il lui en a fallut du temps. J'en étais à parier avec Ange et Oncle Adelphe le nombre de mois avant qu'il ne se décide. C'est mon oncle qui a gagné.
Au terme d'une parade extrêmement risible dont je ne conterais pas les détails ici, il a enfin réussi à formuler une demande correcte et compréhensible à laquelle ma future belle-soeur a pu répondre. Elle a immédiatement remis sa démission, s'est vue payer ses gages d'avance et a emménagé dans la chambre d'enfants, qui est vide pour le moment, les petites étant encore à la nursery. Nos deux tourtereaux étaient déjà prêts à occuper la même chambre, mais Ange et moi avons refusé, histoire de sauvegarder quelques convenances. Je sais pertinemment pourquoi le lit d'Aurore est froid tous les matins.
Nous avons presque fini d'aménager la chambre, et il s'agit d'ailleurs de mon cadeau de mariage. Le salon est quand à lui complètement aménagé, il faudra que je pense à faire quelques photographies, même si tu peux en deviner une partie sur la photographie d'Ange.
Transcription :
Marc-Antoine « Je pense que ça pourrait s’arranger. »
Aurore « Je me demande bien comment. L’homme qui me courtise ne semble pas avoir envie de se lancer. Il me tourne autour depuis des années sans jamais tenter la moindre ébauche de demande. »
Marc-Antoine « Pardon ? Mais, et à l’instant ? »
Aurore « Je n’ai pas entendu depuis le début de notre conversation la moindre chose qui ressemble à une demande en mariage. »
Marc-Antoine « Tu plaisantes n’est-ce pas ? Je croyais que mon flirt était assez clair... »
Aurore « Mmh… si ma mémoire est bonne, ça a commencé par une crise de larmes avant d’aboutir de façon inattendue à un flirt. Tout ça ne sonne pas très sérieux. »
Marc-Antoine « Et voilà que tu recommences... »
Aurore « Marc-Antoine Le Bris ! Serait-il trop te demander que d’énoncer tes demandes d’une façon claire, une bonne fois pour toutes ? »
Marc-Antoine « Bon très bien ! Aurore, veux-tu m’épouser ? »
Aurore « Oui, je le veux. »
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Automne 1930 - Champs-les-Sims
1/4
Cher Lucien,
J'ai suivi les déboires de l'Amérique dans les journaux. C'est un miracle que cela ne soit pas encore arrivé chez nous, mais je pense malgré tout que la crise finira par venir. En prévision, j'ai mis énormément de nos liquidités à l'abri. En cas de soucis, j'espère au moins transmettre à mes filles un pécule assez confortable. Ange est plutôt confiant, mais de son propre aveu, il ne comprend pas grand chose à l'économie, si ce n'est celle des cabarets parisiens.
En revanche, j'ai été ravie de recevoir tes photographies. Ce port est vraiment superbe et je suis également contente que toi tu en sois fier. En tous cas, Oncle Adelphe est d'accord avec moi, c'est un grand accomplissement. Il m'a raconté les lettres qu'on lui lisait dans son enfance, où on racontait les trajets en barque que faisaient ton père, ton oncle et tes tantes pour aller à l'école, ce qui n'avait pas l'air bien pratique. Avec ton port, ce sera plus confortable et sans doute plus rapide. J'espère que la crise finira par cesser pour vous, que vous puissiez vous sortir de cette période d'incertitude qui doit beaucoup vous peser.
Mes filles continuent de grandir, elles ont eu quatre ans cette année. C'est fou ce qu'elles poussent vite. Je joins à cette lettre une photographie prise par moi d'Ange et des filles. C'était à sa demande, et il a d'ailleurs glissé un petit billet à ton attention, que je n'ai évidemment pas lu. Je crois que c'est en rapport avec ta truite. D'ailleurs, je n'entends pas grand chose à la pêche, mais je pense que je dois te féliciter.
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
6/7
Elle n'est pas restée très longtemps après ça. Elle est repartie deux jours plus tard pour le Canada. Son fils devait horriblement lui manquer et nous n'étions pas la compagnie la plus joyeuse qui soit. Antoine est pourtant un bon dissimulateur : il arrive à cacher ses émotions derrière un sourire et inonde ses interlocuteurs d'un flot de paroles. C'est une diversion bien sur, mais cela me persuade qu'il sera un très bon politicien. Mais il n'est pas si difficile de le percer à jour au final. Nous autres, nous n'avons pas vraiment eu le coeur à maintenir un air enjoué. Ces jours là, j'étais sans doute aussi avenante qu'une porte de cimetière. Transmettez mes amitiés à votre cousine d'ailleurs, j'espère qu'elle a fait un bon voyage de retour.
Transcription :
Lucrèce « Appelez moi Ada alors. Mais vous êtes sure que je serai la bienvenue à une telle cérémonie ? Cela semble être juste pour la famille proche. »
Arsinoé « Non, vous nous feriez plaisir au contraire, Madame Ru… heu Ada. Vous êtes de la famille après tout. Et puis, la moitié du village viendra de toute façon, alors vous vous fondrez dans la masse. »
Lucrèce « C’est que… je ne voudrais pas vous enfarger. Une cousine du Québec, ça attire l’attention. »
Arsinoé « Allons Ada, ne vous faites pas prier ! »
Lucrèce « Bon, si vous insistez... »
Lucrèce « Je voudrais vous demander... »
Arsinoé « Oui, bien sur. A propos de quoi ? »
Lucrèce « Vous ne m’avez pas tant parlé de vos tantes. »
Arsinoé « Rose et Juliette ? C’est qu’il n’y a pas grand-chose de particulier à dire. Elles ont aussi connu leur lot de tragédie avec la guerre vous savez. »
Lucrèce « Ce que vous racontiez à propos de votre père je veux dire. »
Arsinoé « Non, enfin pas à ce que je sais. Elles étaient encore petites il faut dire. J’imagine que ça a laissé des traces, mais rien d’aussi significatif. Mes deux tantes sont bachelières, vous le saviez ? A cette époque, c’était un évènement. »
Lucrèce « Oui, je le savais. »
Arsinoé « Vous avez du beaucoup discuter avec la mère de Lucien. Je suis surprise que vous nous connaissiez aussi bien. »
Lucrèce « Comme je le disais à votre mari, on jase beaucoup à Hylewood. »
Arsinoé « J’imagine, mais tout de même... »
Arsinoé « Antoine ! Viens donc saluer notre invitée ! »
Marc-Antoine « Navré, j’étais en train d’écrire une lettre à Raoul à propos de la prochaine réunion. »
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
3/7
Nous avons passé un temps considérable dehors. Ange nous a emmené en promenade sur tous les sentiers du village, et je ne savais même pas qu'il y en avait autant. Ada n'a sans doute jamais autant marché que durant son séjour française, mais elle ne semblait jamais fatiguée. Quand j'ai par la suite demandé à Ange d'où lui venait cette soudaine passion communicative pour la marche à pied, il m'a répondu qu'il lui semblait qu'elle était mal à l'aise dans la maison. Je n'ai pas compris de suite, mais il est vrai que d'un point de vue extérieur, nous devons vivre dans ce qui semble être un mouroir depuis des mois. Tout semble rattacher au passé, et Cléo dit qu'il règne une atmosphère entre "la fin de règne" et "l'atroce mélancolie poussiéreuse des passés compliqués".
Comme je te le disais, je suis en train de faire des plans pour repenser la maison. Je vais refaire certaines pièces, en priorité le salon et la future chambre d'Antoine, mais je songe également à ajouter une aile à la maison. Quand nous sommes tous rassemblés, il y a une ambiance étouffante de foule, j'ai l'impression de marcher sur tout le monde. Comme nous avons les fonds nécessaires, j'aimerai m'aménager un espace à moi. Je t'enverrai des photographies si cela se concrétise. Sauf que pour tourner correctement la page de l'ancienne génération, mon père et mon oncle sont venus nous annoncer qu'ils prévoyaient faire de vraies funérailles à ma grand-tante Lucrèce et ma grand-mère Clémence. Il n'y en a jamais eues, et j'avoue moi-même que ces noms me provoquent autant une légère tristesse qu'un sentiment de colère plus intense tant ils me rappellent de mauvais souvenirs d'enfance. Oncle Adelphe m'a dit que lui-même n'avait jamais proprement fait son deuil, et qu'il était temps. Comme elle était à ce moment à la maison, j'y ai bien entendu convié Ada.
Transcription :
Rose « Ange ? Nous avons de la visite ? »
Ange « Oui ma Tante. Madame Rumédier vient d’arriver du Canada, mais elle a manqué la cérémonie. »
Rose « C’est dommage… Enchantée Mademoiselle. »
Lucrèce « Enchantée également. Mais je devrais vous laissez, je vois bien que je vous achale. »
Rose « Non, il y a encore un peu de brandy au salon vous savez. Finalement, je serai bien contente d’avoir un peu de compagnie. Ange, tu devrais aller te coucher. »
Lucrèce « Non, vraiment. C’est fin de votre part, le trajet m’a plus épuisée que je ne pensais. »
Ange « Passez donc demain. Ma femme sera heureuse de vous recevoir. Combien de temps comptez vous rester. »
Lucrèce « Pas bien longtemps. Mon fils est resté à la maison. »
Rose « Oh, restez donc quelques jours, au moins le temps de voir tout le monde. Je pense que tous les cousins seront ravis de voir arriver une cousine canadienne, sans compter Jeanne bien sur. »
Lucrèce « Ecoutez... »
Ange « Si c’est une question d’argent, les Valin sont des amis. Je suis certain qu’ils seront près à vous faire une remise si vous lui dites que vous restez pour visiter la famille. Ou sinon, nous pouvons bien payer, nous sommes les hôtes après tout. »
Lucrèce « Bon, je comprends. C’est gentil à vous. »
Ange « Nous vous verrons demain alors ? Venez en fin de mâtinée. »
Lucrèce « Si tard ? Ce n’est pas un problème de vous déranger juste avant dîner ? »
Ange « Dîner… ? Ah, non bien sur que non ! Nous serons en petit comité, juste moi, Noé et mon beau-frère. Les autres seront partis un peu partout chez des voisins pour des visites. L’Oncle Adelphe sera à la distillerie, il mange souvent avec les ouvriers le midi. »
Lucrèce « Et votre beau-père ? »
Ange « Je doute qu’il mette le nez en dehors du bureau. Il est… particulier. Si vous le croisez, ne prenez pas sa froideur pour de l’impolitesse. Vous pourriez même rester pour le repas, mais je vous préviens, Antoine est aussi curieux de bavard, il ne vous lâchera pas avant d’avoir essoré tout le sujet de la politique au Québec. »
Lucrèce « J’ai hâte alors. »
Rose « Bien, bonne soirée alors Madame Rumédier. Pour ma part, j’espère que vous me rejoindrez chez moi pour l’heure du thé dans la semaine. »
Lucrèce « Je n’y manquerai pas. Bonne nuit à vous deux. »
Ange « Attendez un instant Madame. Y a t’il quelque chose qui vous a mise mal à l’aise. »
Lucrèce « Pas du tout. Pourquoi ? »
Ange « Je ne sais pas vraiment, mais n’avez pas l’air à votre aise dans cette maison. J’ai vu votre regard aller un peu partout et vous vous êtes tordue les poignets tout au long de notre conversation. Si j’ai fait quelque chose qui vous tracasse, dites le moi. Je sais que je peux être trop insistant parfois. »
Lucrèce « Ce n’est pas vous. C’est le mal du pays je pense. Et je n’ai pas l’habitude d’être séparée de mon Marius aussi longtemps. Je suis un peu angoissée, c’est tout. »
Ange « Je comprends. Etant moi même père, je sais que ne pas voir ses enfants pendant plus d’une semaine est très désagréable. Je ressens toujours un grand soulagement quand je les prends dans mes bras à mes retours de Paris. J’espère que vous pourrez rencontrer mes petites princesses demain. »
Lucrèce « J’aimerais beaucoup. Bonne nuit, Monsieur de Chastel, et à demain. »
Ange « Bonne nuit, Madame Rumédier. »
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
2/7
Elle n'est pas restée longtemps, mais assez pour que nous ayons pu parler longuement avec elle. Elle nous a raconté votre vie à Hylewood à renfort de nombreux détails sur le quotidien, et ça m'a donné encore plus envie de voir votre île un jour. Elle s'est aussi montrée très curieuse à notre égard et je lui ai raconté mon enfance, comment se portaient les affaires, et ainsi de suite. Elle a été enchantée par notre jardin, même si à cette période de l'année, il n'est pas si eau. Dommage qu'elle ne soit pas restée jusqu'au printemps, c'est le moment de l'année ou je le trouve le plus magnifique. Mais avec un enfant à la maison, je la comprends parfaitement.
Elle s'est montrée également très intéressée par la jeunesse de mon père, et là j'ai béni Oncle Adelphe de nous avoir abreuvé d'anecdotes plus jeunes. Elle a à peine croisé l'un comme l'autre, d'une part parce que le regard de mon père l'a vaguement transpercée quand nous lui avons présenté, mais aussi parce qu'elle portait ce jour là un voile très épais. J'imagine que mon père ne s'est pas grandement intéressé à elle. Elle a également à peine croisé Adelphe, mais j'ai eu la drôle d'impression qu'elle l'évitait. Ce n'est pas quelqu'un de grossier, alors je n'ai aucun mal à comprendre qu'elle n'ait pas osé avouer que la cicatrice de mon oncle est impressionnante pour quelqu'un qui n'est pas habitué.
Transcription :
Lucrèce « C’est joli ici. Ces photographies sont magnifiques ! »
Ange « Oh, vous savez, ces meubles sont plus vieux que mes grands-parents, je les ai toujours connus. Quand aux photographies, c’est l’oeuvre de ma belle-mère. Elle les a prises pendant les chantiers de son mari en Egypte. Mon beau-père est archéologue vous savez. »
Lucrèce « Oui, on m’en a touché un mot. Ils sont là ? »
Ange « Ils doivent déjà dormir. Vous vous en doutez, la journée a été épuisante pour tout le monde. C’est dommage, vous avez manqué votre Tante Jeanne de peu. Elle aurait sans doute été contente de vous rencontrer. A son âge, vous savez… Bref, l’Oncle Adelphe l’a raccompagnée chez elle il y a à peine une heure. »
Lucrèce « C’est dommage oui. Ma mère n’était pas une femme facile, elle a causé de la misère à ma tante à ce qu’on dit. C’est triste qu’elles n’aient pas pu se réconcilier. »
Ange « Vous pourrez toujours y passer demain, mais je vous préviens, la Tante Jeanne quitte rarement le lit avant dix heures. »
Lucrèce « Je n’y manquerais pas, j’ai personnellement toujours voulu la rencontrer. Vous savez, on jase beaucoup sur la famille française à Hylewood. Eugénie me parlait beaucoup d’Albertine et des enfants. »
Ange « La réciproque est vraie. J’ai été triste d’apprendre pour votre tante, je vous présente toutes mes condoléances. »
Lucrèce « Et moi, pour votre arrière-grand-mère. La nouvelle a été choquante, à Hylewood, tout le monde a entendu parler d’Eugénie Le Bris. J’ai entendu parfois des vieux à qui on demandait comment ils allaient répondre « Pas pire, mais j’ai pas la santé d’Eugénie Le Bris moi ! »
Ange « C’est fou ce qu’elle nous manque. Mais je pense que ça lui aurait fait plaisir de savoir qu’un membre de la famille canadienne a fait le déplacement pour elle. »
Lucrèce « C’est bien normal ! C’était ma… enfin, une cousine que nous connaissions depuis si longtemps... »
Ange « Et dire que personne ici n’a fait le déplacement pour votre tante Eugénie… »
Lucrèce « Ce n’est rien. »
Ange « Mais si, la famille canadienne a envoyé quelqu’un et nous... »
Lucrèce « Oh, vous savez, on ne m’a pas vraiment envoyée. C’est bien plus une initiative personnelle, je me disais que je pourrais rencontrer ma tante et voir un peu de pays. »
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
1/7
Lucien,
J'ai été ravie de recevoir ton télégramme, et aussi que ma petit annonce ait eu l'effet escompté. En le relisant à nouveau tout à l'heure à Oncle Adelphe (qui n'a pu s'empêcher de sourire), je me rends compte que je ne t'ai pas parlé de la venue de ta cousine Ada. Elle a du trouver étrange que je ne la mentionne pas, n'est-ce pas ?
C'était vraiment étrange de la voir arriver d'un coup sans prévenir. Ange, qui lui a ouvert, en a été éberlué. C'est une femme très belle, je suis presque sûre que même à lui elle fait de l'effet. C'est tellement dommage qu'elle soit arrivée en retard, après tout ce chemin parcouru.
Transcription :
Ange « Bonsoir Mademoiselle. Que puis-je pour vous ? »
Lucrèce « Bonsoir, je crains d’arriver trop tard mais j’ai manqué mon train. Je suis Ada Rumédier. »
Ange « Rumédier… Rumédier. Ah oui, je crois que je vous remet ! Vous êtes une cousine de Lucien. Malheureusement, les funérailles sont terminées depuis plusieurs heures. »
Lucrèce « Je m’en doutais… Je devrais vous laisser, vous avez l’air de cogner des clous. »
Ange « Nous devrions pouvoir vous faire une place dans la chambre de mes belles-sœurs. »
Lucrèce « Ce n’est pas la peine, j’ai déjà réservé une chambre à la pension. »
Ange « Oui, chez les Valin. Bon écoutez, entrez au moins pour prendre un verre avec moi, je ne vais pas vous laisser comme ça sur le perron. Enfin, si vous n’êtes pas trop fatiguée. »
Lucrèce « Merci, c’est bien aimable. »
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Automne 1928 - Champs-les-Sims
2/5
Et bien sur, c'est sans compter sur sa faiblesse physique grandissante, mais assez attendue chez une dame de son âge qui a battu le record de longévité de la commune avec une confortable avance. Elle m'a même délégué tout ce qui tient à la gestion du foyer. En apprenant la nouvelle, Oncle Adelphe s'est immédiatement affolé, et je peux comprendre pourquoi. De toute sa vie, il n'a jamais vu Eugénie Le Bris céder du terrain à qui que ce soit sur ce sujet. Et mon oncle va sur ses cinquante-trois ans.
J'avoue avoir été complètement dépassée sur le sujet. Tous ces sujets n'ont jamais été abordés par l'école puis par mon précepteur, si ce n'est le volet comptable. Encore moins par mon oncle d'ailleurs. J'ai du m'en remettre à Mademoiselle Laroche et Ange, qui s'est avéré un excellent gestionnaire.
Transcription :
Aurore « Madame, j’ai quelques questions à vous poser si vous avez un peu de temps. »
Arsinoé « J’ai un peu de temps pour moi, je vous en prie. »
Aurore « C’est à propos de la cuisine Madame. Ah et aussi de la literie. »
Arsinoé « La literie ? »
Aurore « Dois-je la changer une fois la semaine ou deux ? Et à quelle heure dois-je faire les lits le matin ? Et en ce qui concerne la cuisine, avez-vous des exigences sur les menus ? Cela me fait penser que l’épicerie a de nouveaux fournisseurs pour le sucre, Monsieur Norel a décidé de planter presque 200 ares de betteraves pour produire au local. Voulez-vous qu’on fasse importer... »
Arsinoé « Attendez une seconde ! Je croyais que la plupart de ces questions étaient réglées par Madame Le Bris depuis un moment. »
Aurore « C’est que Madame est de plus en plus souvent alitée, et elle en a eu assez hier que je vienne lui poser des questions sur le fonctionnement de la maison alors qu’elle avait besoin de repos. Alors elle a dit que tout devra passer par vous et votre mari désormais. »
Marc-Antoine « Tu entends ça Noé ? Te voici enfin maîtresse en ta maison ! »
Aurore « Alors je dois tout voir avec vous Madame. »
Marc-Antoine « Si ça peut vous décharger, je peux émettre quelques recommandations qui... »
Aurore « Je demandais à Madame. Il s’agit de sa maison. »
Arsinoé « Je ne connais pas beaucoup de choses en économie domestique… Enfin, sur le volet financier ce ne sera pas un problème, mais pour le reste… »
Aurore « Puis-je proposer quelques idées à Madame ? »
Arsinoé « Oh oui, s’il vous plaît ! »
Aurore « Je propose de changer les draps une fois par semaine, pour me laisser davantage de temps de lessive que je pourrai consacrer au ménage. Par ailleurs, je propose que le changement se fasse le dimanche, je pourrai ainsi ouvrir les pièces pendant que vous êtes à la messe. Jusqu’à présent, les draps étaient changés trop souvent si voulez mon avis. »
Arsinoé « Vous connaissez ces affaires mieux que moi. Disons que sur le chapitre du fonctionnement et de l’ergonomie, je vous laisse les mains libres. Mais rapportez moi le volume de vos tâches hebdomadaires tout de même. »
Aurore « Et la cuisine ? Il n’y a rien à changer sur le fonctionnement, mais l’équipement est assez vieillot. Et qu’en est-il des menus ? »
Arsinoé « Je verrai pour installer des appareils récents le mois prochain. Et qu’y a t-il par rapport aux menus ? »
Aurore « Souhaitez-vous des changements ? Quand je suis arrivée, votre mère a spécifié qu’elle voulait une cuisine traditionnelle, mis à part pour les crêpes préférées de votre père. »
Marc-Antoine « Oh oui par pitié, un peu de nouveauté ! Je ne sais pas, mais j’aimerais essayer des choses qui vont un peu au-delà des frontières du département. Ou alors, soyons fous, de l’autre côté de nos frontières régionales ! »
Arsinoé « Rien de spécifique ne me vient. Dans tous les cas, veillez à ne pas changer les habitudes alimentaires de ma grand-mère. »
Aurore « Bien entendu Madame. »
Arsinoé « En ce qui concerne les menus, mon mari aura peut-être davantage d’idées. Il vit à Paris une partie du temps et saura nous dire ce qui est à la mode dans les cafés et les restaurants. »
Marc-Antoine « Je vis à Paris aussi ! Et j’ai justement quelques suggestions ! »
Arsinoé « Sachez aussi que les suggestions de mon frère ne sont pas à appliquer séance tenante. »
Marc-Antoine « Je t’entends tu sais ? »
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Eté 1929 - Champs-les-Sims
18/20
Trois ans plus tard, je ne regrette toujours pas. Aucun sentiment d'ordre amoureux n'est apparu entre mon mari et moi, mais je crois que notre amitié et notre estime se sont encore approfondis. Malgré ma faible expérience, je comprends qu'un mariage est autant question de sentiments que de complémentarité. L'amitié est pour moi un socle aussi solide, si ce n'est plus, que l'amour.
Je disais plus tôt que Ange était pour moi comme une béquille, mais j'aimerai aussi qu'il soit autre chose, qu'il ne s'y sente pas obligé. C'est un homme avant beaucoup de choses, donc il se confie de plus en plus à moi avec réticence sur le sujet de ses sentiments négatifs. Il n'a aucun problème à me communiquer sa joie et son enthousiasme, mais il essaie de me taire ses angoisses et ses peurs. Il imagine que c'est son rôle je pense, mais je suis aussi persuadée que nous pouvons en parler à deux. Il serait injuste que moi seule puisse me reposer sur lui. Très honnêtement, si il est clair que le décès de Grand-Mère lui pèse autant qu'à moi, je pense que sa dernière relation ne s'est pas du tout bien passée, car comme je te le mentionnais, il a passé moins de temps à Paris qu'à l'accoutumée. J'aimerai qu'il m'en parle, mais je n'ose pas le brusquer. Je sais qu'il est proche de ta tante Jeanne, je pourrai peut-être lui en toucher un mot. Ou peut-être à Tante Rose, elle est assez douée pour percer les gens à jour.
Transcription :
Arsinoé « Pourquoi tu t’occupes de moi comme ça ? C’est grand-mère qui te l’a fait promettre ? »
Ange « Elle n’en a pas eu besoin. Je suis ton partenaire, je t’aide et c’est tout. Et puis, je t’apprécie autant que toi tu m’apprécie. Je ne me serais jamais pardonné de t’avoir tourné le dos, et je ne crois pas que cela ait même été possible. »
Arsinoé « Tu seras toujours là ? »
Ange « Bien sur. Pourquoi irais-je quelque part ? »
Arsinoé « Promis ? »
Ange « Oui. Promis. »
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