#Ange de Chastel
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Eté 1929 - Champs-les-Sims
20/20
Les souvenirs des obsèques se font de plus en plus flous et atténués avec les mois qui passent. Nous réapprenons à vivre sans Grand-Mère. Cela dit, le trou est toujours là et la maison semble aussi grande que déserte sans le bruit de sa cane qui tape contre le sol. Nous n'avons pas eu le coeur de la jeter. Je l'ai emballée et entreposée au grenier, au milieu de nombre de ses affaires. Quand à sa chambre, nous n'avons pas encore pu nous résoudre à déplacer les meubles, nous ne savons même pas si nous voulons les garder ou pas. Je pense qu'il faut faire table rase, mais je ne sais pas si tout le monde à la maison est prêt.
J'aimerai proposer que Marc-Antoine rénove la chambre (elle n'a pas bougé depuis presque quatre-vingt ans et aurait besoin d'un coup de frais) et qu'il en fasse la sienne, je n'en peux plus de le voir loger dans le grenier. Après tout, il va revenir s'installer définitivement ici dès l'automne puisqu'il a fini l'école. Il a d'ailleurs été diplômé avec les honneurs, même si cet événement à été largement éclipsé. J'en profite aussi pour t'annoncer que la liste de mon frère a été élue au conseil municipal lors des élections de mai dernier. J'ai maintenant sous mon toit un conseiller municipal et notre village est passé sous la bannière communiste. Qui l'aurait cru ? Je suis extrêmement fière de lui, et je n'ai jamais douté de sa réussite.
Je t'enverrai une autre lettre sous peu, j'espère un peu plus joyeuse.
Affectueusement,
Noé
P.S. Tu trouveras si joint un bordereau bancaire confirmant le virement d'un certaine somme sur ton compte en banque. Ne me demande pas comment j'ai obtenu tes coordonnées, je ne compte pas vendre mes sources. Sache cependant qu'il s'agit d'un emprunt pour la construction de ton port, et que j'escompte que tu me rembourse chaque cent.
______________________________________________________________
De : [email protected]
Sujet : La cane !!!
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Cher D,
J'ai été farfouillé au grenier et je l'ai trouvée ! La cane est toujours là, intacte ! A force de chercher des objets ayant appartenu à nos ancêtres dans cet immense grenier, je vais bientôt vivre dans un musée. Et encore, je n'ai pas encore commencé à fouiller dans les combles de l'aile construite par Arsinoé.
A la prochaine !
A.
Transcription :
Rose « Mais bon, on enterre pas Eugénie Le Bris en toute intimité. »
Ange « Monsieur le maire a même hésité à convier le préfet d’après Antoine. »
Rose « Vraiment ? Et comment saurait-il cela lui ? »
Ange « Il a des amis au conseil municipal. La question a même été mise à l’ordre du jour au dernier conseil de mairie. Finalement, ils ont décidé de ne pas le faire. »
Rose « C’est dommage, elle aurait aimé avoir un invité prestigieux à ses obsèques. »
Ange « Bon, sur ce… Je me rend compte que je suis épuisé. Vous montez aussi ma tante ? »
Rose « Non, j’aimerai encore rester un peu si tu n’y vois pas d’inconvénient. Je te chasse pas, mais je veux être un peu seule vraiment. »
Ange « Ne vous inquiétez pas, je comprends. Bonne nuit. »
Rose « Oh Grand-Mère… Vous avez eu la plus belle cérémonie d’adieu que quelqu’un puisse espérer. Vous pouvez être fière de tous vos descendants. Cette jeunesse est prodigieuse. J’espère que vous vous en êtes rendue compte avant la fin... »
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Hello ! J'ai entendu vos cris, vos plaintes et vos demandes à l'aide ! Seli est en train de bosser sur un arbre généalogique un peu joli pour son côté, mais en attendant, je vous poste ici la descendance d'Eugénie Le Bris - vu que son enterrement ramène plein de membres de la famille dont notre réactif lectorat n'a pas manqué de nous faire comprendre que vous ne savez plus du tout qui ils sont :D
Je procède branche par branche. Pour commencer, voici les branches qui se sont éteintes : Lucrèce, Hélène, Matthieu. Pour le rappel : Maximilien a incendié la maison de son frère Matthieu, causant la mort de sa femme et de ses deux filles. Puis il a assassiné Matthieu en le poussant dans les longs escaliers de la Butte aux Chênes. Hélène est rentrée au couvent. Lucrèce est une vampire lesbienne, qui s'est enfuie de Champs-les-Sims après avoir tué et mangé son frère Maximilien.
Voici maintenant la branche de Lazarine. Lazarine est la mère d'Adelphe. Elle a été accusée d'avoir assassiné son frère Matthieu, et a été jetée en prison où elle s'est pendue avant son procès.
La branche de Daphné, autre fille d'Eugénie, mariée au vieux baron de Chastel. Ange est son petit-fils.
Et enfin, la descendance de Maximilien. Attention, c'est large et Tumblr compresse... Pour l'avoir en bonne qualité, il faut cliquer sur ce lien.
Bref !! J'espère que c'est plus clair maintenant !
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L’année Raphaël (2)
Pour inaugurer l’«Année Raphaël», nous avons présenté, dans notre premier billet de 2020, la fresque de L’École d’Athènes, en rappelant l’articulation étroite qui existe sur le plan idéologique, entre le motif même choisi par le souverain pontife et par ses proches, et la symbolique du lieu, à savoir la «Chambre» abritant la bibliothèque privée du pape Jules II. Nous poursuivrons aujourd’hui, en examinant la présence de l’écrit et du livre dans le détail de la fresque, et la diffusion du motif de celle-ci, par le biais, d’abord, des descriptions et des récits de voyage, et bientôt par celui des estampes. Que l’École d’Athènes soit intimement liée au monde de l’écrit, la présence en nombre de personnages occupés à e lire ou à écrire en témoignera suffisamment. Outre les deux figures centrales de la scène, Platon et Aristote, qui tiennent chacune un codex, voici Pythagore et son groupe, dont un jeune putto dressant un tableau de l’harmonie musicale. De l’autre côté de la fresque, Euclide fait une démonstration de géométrie en s’aidant d’une ardoise sur laquelle il trace ses figures. Les deux groupes réunis chacun autour d’un maître symbolisent deux des arts libéraux, à savoir d’une part la musique, de l’autre la géométrie. Mais voici encore, aux pieds de Minerve, un jeune homme assis, comme les cheveux au vent, et qui est en train de prendre fiévreusement des notes en s’appuyant sur son genou (cliché 1). Diogène quant à lui prend connaissance d’une note, ou d’une lettre, qu’il tient de la main gauche, tandis qu’Épicure / Michel Ange, la plume à la main, semble plongé dans ses pensées (cliché 2). Un personnage retient plus particulièrement l’attention, un jeune homme, habillé de bleu, à l’avant-plan à gauche de la fresque : d’après Brock (p. 146), il s’agit de Tommaso, dit Fedra Inghirami (1470-1516), nommé en 1505 prévôt à la Bibliotheca Vaticana, puis préfet de celle-ci en 1510 (cf DBI, LXII). Inghirami, qui descend d’une famille proche des Médicis, a accompagné le légat a latere Bernardino Lopez de Carvajal auprès de Maximilien (1496), et a reçu de ce dernier le titre de poeta laureatus (1497) –et, de fait, son ami Raphaël le représente ici portant une couronne de lauriers, dans la position classique de l’historiographe prenant en notes les hauts faits de la cour où il est employé (cliché 3).
L’invention de Raphaël tient dans la «naturalisation» de l’ensemble de la scène: il n’est plus nécessaire d’insérer des banderoles ou des phylactères pour identifier le personnage ou pour préciser le propos. Certes, ce qu’écrivent les uns et les autres reste illisible pour le spectateur, mais, à l’exception des deux inscriptions présentées à l’avant-plan sur des ardoises et des titres du Timée et de l’Éthique, tout ce qui a trait à l’écriture est finalement naturalisé en geste de lire, décrire, de dessiner, de recopier, de montrer dans un livre ou de regarder écrire, voire d’apporter des volumes (Brock, p. 146). Paradoxalement, une autre manifestation de l’écrit apparaît dans la Stanza della Segnatura: le 6 mai 1527 en effet, les troupes impériales conduites par le connétable de Bourbon, forcent la porte de Santo Spirito, et s’emparent sans coup férir de Rome. Pendant plusieurs mois (en fait, jusqu’en février 1528…), la Ville est livré au pillage, auquel les Stanze de Raphaël n’échappent pas. Une partie des troupes impériales est constituée de lansquenets protestants et, dix ans après les Thèses de Luther contre les Indulgences, la révolution des médias de masse est un fait: les canards et des pamphlets imprimés (les Flugschriften) contre le pape et contre l’Église de Rome circulent très largement en terre de Réforme, et ils sont parfois d’une extrême violence. Rien de surprenant si, partout dans la Ville soumise an pillage, un premier saccage des «images» se produise (Bildsturm), et si les reliques, assimilées à des objets de charlatanerie, soient profanées. Dans la Stanza della Segnatura comme dans un certain nombre de lieux symboliques, des graffiti tracés à la pointe de l’épée témoignent du passage des lansquenets de Georg von Frundsberg… avec en l’occurrence l’inscription «Luther», sur la fresque de la Dispute (cf Chastel (1), p. 121 et suiv.: cliché 4). Ici l’historien n’est plus confronté à une perspective d’histoire de l’art, mais bien d’anthropologie, pour laquelle les graffiti luthériens s’introduisent au cœur même du modèle intellectuel pontifical tel que mis en scène par Raphaël, pour le subvertir – en substituant le nom du Réformateur à celui du pape. Au passage, on remarquera que le vandale lansquenet est bel et bien alphabétisé…
Mais revenons à la fresque pour elle-même. Le travail de Raphaël est aussitôt célèbre, même si sa citation par Paolo Giovo (dans la «Vie de Raphaël», Raphaelis Urbinatis vita) reste elliptique. Vasari en donnera une description plus circonstanciée, mais non exempte d’erreurs factuelles (au point que Brock suggère qu’il n’a peut-être pas vu lui-même les fresques). Surtout, le motif de l’École d’Athènes est bientôt diffusé par la gravure, mais selon une voie a priori inattendue, puisqu’elle nous conduira de Mantoue à Rome… et à Anvers. C’est en effet de Mantoue qu’est originaire le dessinateur et graveur Giorgio Ghisi, né en 1520 et dont nous ne savons pratiquement rien de la formation artistique mais qui a manifestement subi l’influence de Giulio Romano. Les premiers travaux que nous connaissions de lui, dessins et gravures, datent de la décennie 1540, d’abord à Mantoue, puis à Rome. Il entre alors en relations avec le Flamand Hieronymus Cock (1518-1570), lequel séjourne précisément un temps à Rome. Rentré à Anvers en 1548, Cock se lance dans l’édition et la diffusion des estampes, à l’adresse bientôt célèbre des «Quatre vents». La conjoncture exceptionnelle qui est celle d’Anvers au milieu du XVIe siècle, et que nous évoquions tout récemment à propos de Christophe Plantin, assurera le succès de l’entreprise: Dès ses premières années d’activité comme éditeur, [Cock] a formé le projet de présenter au public néerlandais les œuvres de Raphaël et de son école, alors seulement connues de quelques privilégiés. Son principal atout pour y parvenir fut d’avoir réussi à faire venir à Anvers le célèbre graveur italien Giorgio Ghisi, qui exécuta pour [lui] deux gravures monumentales d’après les fameuses fresques de Raphaël au Vatican, rapidement objets de tous les regards. Le «public néerlandais», certes, mais pas seulement lui: les réseaux commerciaux de la métropole de l’Escaut permettent une diffusion pratiquement européenne des produits anversois ou transitant par Anvers. Quoi qu’il en soit, Ghisi rejoint bientôt son ami. Sa reproduction de l’École d’Athènes est la première à être gravée, en deux planches, et à sortir à l’adresse de Cocq en 1550 (cliché 5). Le bloc sur lequel Épicure s’appuie pour écrire porte désormais la signature: «Raphael Urb[inensis] inv[enit] Georgius M[a]t[uanus] fec[it]». Mais, de manière a priori surprenante, l’image est identifiée au titre, non pas comme L’École d’Athènes de Raphaël, mais comme le prêche de l’apôtre Paul devant une assemblée de philosophes à l’aréopage d’Athènes (cf Actes, XVII, 18 et suiv.). L’inscription épigraphique est portée à l’avant-scène à gauche: Pavlvs Athenis per Epicvraeos et Stoicos qvosdam philoso phos addvctvs in Martiv Vicv. Stans in medio vico. Svmpta occasione ab inspecta a se ara. Docet vnum illvm, vervm, ipsis ignotvm Devm. Reprehendit idololatriam, svadet resipiscentiā incvlcat et Vniversalis Ivdicii diem et mortvorvm per redivivvm Christvm Resvrrectionem. Act. // XVII. D’où provient la réinterprétation, nous l’ignorons, mais de toute évidence, il s’agit de faciliter la diffusion de la gravure, dans un environnement tout autre que celui de la capitale pontificale, et où les thèses de la Réforme sont largement reçues. L’année suivante, Ghisi s’inscrit à la Guilde Saint Luc, sous le nom de Joorgen Mantewaen: il est probable qu’il quitte cependant Anvers vers 1554, sans doute d’abord pour la France, puis pour l’Italie. La réception de la fresque de l’École d’Athènes est ainsi considérablement élargie mais, si le motif reste le même, son interprétation en est déplacée en profondeur: l’humanisme néo-platonicien n’est plus d’actualité, non plus que la théorie des bibliothèques. Signe de la conjoncture nouvelle, c’est la problématique économique qui s’impose en ce mitan du XVIe siècle, à travers le recours à la gravure, et à travers le choix de ce que nous pourrions presque appeler une «scène de genre» illustrant la rencontre de l’apôtre (dont la figure se substitue à celle de Platon!) avec les représentants les plus notables de la culture antique. Nous reviendrons, dans notre troisième et dernier billet à propos de l’École d’Athènes, sur l’héritage d’Athènes… et sur le retour du motif raphaëlien dans les bibliothèques.
Notes (1) André Chastel, Le Sac de Rome, 1527. Du premier maniérisme à la contre-Réforme, Paris, Gallimard, 1984, («Bibliothèque des histoires»). (2) Hieronymus Cock, La gravure à la Renaissance, dir. Joris Van Grieken, Ger Luijten, Jan Van der Stock, Bruxelles, Fonds Mercator, 2013.
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Conjoncture artistique à Florence autour de 1500
Vasari, Vire de Raphaël d’Urbino : « son amour constant […] d’un talent inégal. » Vasari insiste sur le décor que Léonard de Vinci et Michel-Ange entame pour la Salle des Cinq-Cents au Palazzo Vecchio dans laquelle on décide de figurer les passages importants de l’histoire de Florence depuis le Moyen Age. Au départ, elles devaient être mises face à face.
Leonard n’a pas terminé cette grande fresque, on ne connait que des dessins, des projets, des cartons. Raphaël s’est inspiré des expressions des visages.
Michel-Ange devait réaliser la bataille de Cascina, de façon provocante, il avait choisi non pas de représenter la bataille proprement dite mais de représenter un moment en marge, quand les soldats avaient trop chauds et se dévêtissent puis se rhabillent à l’annonce de l’ennemi. Il voulait peindre du nu, grand intérêt pour l’anatomie, le corps humain en action dans des poses difficiles à représenter, en course, de dos, en torsion.
Domenico Ghirlandaio, La Visitation, 1485-90 : art très équilibré, très parfait, peut-être trop formel. Spécialiste de la fresque dans les chapelles des grandes familles de Florence dans lesquelles il met en scène la bourgeoisie florentine pour représenter des scènes de la vie de la Vierge. Les scènes sont projetées dans la société contemporaine. Costumes à l’antique pour les deux au centre et le groupe de droite porte des costumes florentins de la fin du XVe siècle et à l’arrière-plan une vue de Florence.
Sandro Botticelli, Pietà, 1498 : dessin très aigue, pointu, douloureux. Coté tragique. Pas grand-chose de commun à part le rythme de la ligne.
Antonio Pollaiuolo, Hercule et Antée, peinture sur panneau, v 1470 & groupe en bronze, v. 1478 : corps humain scruté dans tous les angles, étudier les statues antiques et contemporaines. Caractéristique des florentins pour les petites œuvres, intimes mais que l’on peut étudier sous tous les angles grâce à des points de vue multiples, l’anatomie est parfaitement étudiée.
Andrea del Verrocchio, L’Incrédulité de saint Thomas, 1467-83, bronze : il est placé dans une niche de marbre à l’antique. Manière dont les florentins savent développer la forme dans l’espace, ici le groupe est en mouvement, il empiète dans l’espace du spectateur. Saint Thomas tend la main vers la droite et le christ tend vers la gauche, réel mouvement et forme. Traitement de la draperie reflète l’esprit des personnages avec des plis plus majestueux pour le Christ. Il ne faut pas séparer les statues de la niche.
Andrea del Verrocchio & Léonard de Vinci, Le Baptême du Christ, 1472-75 : œuvre d’un peintre aussi sculpteur, quelque chose de tridimensionnel, volume dans les anatomies. Les anges de Léonard introduisent une grâce supplémentaire.
Léonard de Vinci & Michel-Ange
Léonard de Vinci, l’adoration des mages, 1481 : abandonnée en 1484 et reste inachevée. On est fans une sorte de représentation en noir et blanc. On est devant une œuvre dans une grande complexité, multitude de personnages et d’attitudes et à l’arrière-plan, insertion d’un paysage fantaisiste. Une espèce de résumé de ce que Léonard savait en art.
Léonard de Vinci, Sainte Anne et la Vierge : carton au fusain avec des rehauts de blancs et montre l’ambition de Léonard.il va essayer de fondre les personnages pour former un groupe organique, c’est-à-dire un organisme unique, il a voulu exprimer la généalogie du Christ. On reprend une iconographie du Moyen Age.
Raphaël, feuille d’études
Michel-Ange, La Vierge et l’Enfant à l’escalier, 1490-92 : selon lui, Raphaël va étudier le corps humain, l’anatomie, le mouvement et d’un certain pathétique, le caractère terrible d’une œuvre. Le Christ est en posture tordue, torturée, bras rejetés vers l’arrière, déjà un torse d’adulte, de lutteur. Escalier avec des enfants qui jouent ajoutent de la profondeur et du mouvement.
Michel-Ange, La Sainte Famille, v. 1506 : date exactement du séjour de Raphaël à Florence. Position inconfortable de la vierge, assise sur le sol et elle passe ou reçoit l’enfant à Saint Joseph qui est derrière. Coté énigmatique, encore une leçon de composition, comment faire tenir sur une surface réduite et difficile toutes ces figures. Encore en présence d’un groupe organique.
La définition du troisième style « moderne » par Vasari, préface de la troisième partie des Vies, (é. A. Chastel, vol. V, p.20) : « c’est lui qui inaugura […] figures d’Apelle et de Zeuxis ». & Raphaël devant Leonard et Michel-Ange selon Vasari (Vie de Raphaël) : « La découverte de Leonard de Vinci […] grâce des couleurs » & « le style hérité de Pérugin […] à la Salle du Conseil de Florence ».
Les portraits
Raphaël, La Dame à la licorne, v 1505, Rome, Galerie Borghèse et Portrait de femme, dessin à la plume, Louvre : licorne signifie la chasteté, la pureté. Marque une certaine simplicité. Les bras décrivent un cercle qui comblent la première partie du tableau et le tissu donne plus de volumes. Le visage se détache sur un paysage à la manière du Pérugin, dans une loggia. Raffinement de la couleur, bijoux à la mode. Rapprochement avec le dessin.
Raphaël, Portraits d’Agnolo et Maddalena Doni, 1506, Florence, Palais Pitti : construction plus dynamique, peu d’expression dans les portraits pour donner plus d’intensité. N’ont pas le caractère mystérieux et étrange des portraits de Léonard de Vinci, Portrait de Monna Lisa, 1503-04 : pose semblable mais une sorte d’aura émane de La Joconde avec son sourire énigmatique.
Raphaël, La Donna gravida, v. 1505, Palais Pitti : le commanditaire et le modèle sont inconnus. Titre signifie la femme enceinte. Utilisation délibérée d’un fond sombre sans paysage qui permet à la figure de prendre du volume. Teintes assez simples. Femme qui ne sourit pas, un peu fermée, un peu hors d’atteinte et ne semble pas instaurer un dialogue. Exercice de style, sur le volume, représentée de ¾ pour attirer attention sur la main et le ventre. Sérénité rassurante d’une mère qui donne sensation de calme.
Raphaël, La Muta, 1507-08 : mains l’une au-dessus de l’autre avec beaucoup de subtilité, doigt comme si elle voulait indiquer quelque chose. Titre signifie la muette, expression attentive, lèvres fermées et mâchoires serrées, c’est avec ses mains qu’elle parle. Peut-être un membre de la famille Strozzi ou une femme associée à la famille régnante. Détail de la chaine en or fait une ombre sur la peau du cou.
Les madones : thèmes et variations
Les madones de florence sont renouvelées par rapport aux précédentes qui s’inspiraient du Pérugin.
Raphaël, Madone du Grand-Duc, v. 1504 : verticalité, très p & Petite Madone Cowper, 1504-05 & Madone Bridgewater, v.1506-07 : part d’une verticalité très posée, très figée vers une composition plus dynamique qui est une influence de Michel-Ange. Veut réaliser avec Léonard dans le fait que les formes ne se détachent pas mais émergent doucement de la pénombre, donne un effet plus naturel. Raphaël a volontairement adouci les couleurs pour la première madone. Attention aux manières de restaurer, dans les collections américaines et anglaises, ls couleurs sont plus fortes mais vient peut-être de la restauration.
La Madone d’Orléans, v. 1506-07, Musée Condé : œuvre d’une petite taille. Couleurs d’une très grande fraicheur. La vierge se penche gracieusement et l’ensemble a une expression d’un grand mouvement avec l’enfant qui saisit le corsage de sa mère. A l’arrière-plan, on voit des pots.
Raphaël, La Vierge au chardonneret, v. 1507 : tableau rompt avec la tradition du Pérugin car les trois personnages forment un groupe organique alors que le Pérugin juxtaposait les personnages comme on le voit dans le tableau Vierge à l’enfant et saints. Comparée avec Michel-Ange, Madone de Bruges, marbre, 1501-04 : tension tragique qu’il n’y a pas dans la composition tendre de Raphaël mais il s’en est inspiré pour la représentation de la Vierge assise et frontale et la figure du Christ debout et en mouvement. Comparé avec Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, 1483-86 : mettre en relation ou en opposition les figures dans un paysage, il met en avant ces relations avant le caractère sacré. Léonard de Vinci, Sainte Anne et la Vierge, 1508-10
Les tableaux d’autel
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Automne 1929 - Champs-les-Sims
7/7
En tous cas, cette cérémonie supplémentaire nous a tous fait un bien fou. Papa et Maman sont repartis en Egypte, Cléo est retournée à ses "errances mondaines et parisiennes" et Sélène va prendre un peu de repos dans la famille de son fiancé (c'est très récent). Quand à Ange et moi, dès qu'il sera revenu de Paris, nous serons enfin prêts à nous lancer dans des travaux d'envergure. Nous allons commencer modestement avec la réfection du salon, puis nous nous attaquerons au gros oeuvre.
Je sais aussi que tu es friand des nouvelles informations sur la cour que se livrent mon frère et Mademoiselle Laroche. Et bien sache que ça avance, petit à petit en tous cas. Je les surprend de plus en plus seuls tous les deux. Ils assurent que c'est en tout bien tout honneur, mais je pense que tu sais ce que ça signifie. Je ne pense pas me montrer si je t'affirme que ma prochaine lettre t'apprendra leurs fiançailles.
J'espère que cette fin d'année nous apportera, à toi et moi, de meilleures nouvelles et d'heureux événements.
Noé
*En québécois, cette expression peut signifier "c'est pénible/fâcheux".
Transcription :
Marc-Antoine « Enchanté, Madame Rumédier. Vous pouvez m’appeler Antoine, je ne suis pas du genre à faire des simagrées. »
Lucrèce « Appelez moi Ada… »
Marc-Antoine « On dirait que je vous fait une sacré impression. Vous venez de voir un fantôme ? »
Lucrèce « Pas du tout ! Vous me rappelez juste quelqu’un que j’ai connu autrefois. »
Arsinoé « Grand-Mère disait qu’Antoine ressemble énormément à notre grand-mère, Maximilien, même si il a les yeux de Maman. »
Marc-Antoine « J’en aurais aussi la carrure, le cheveux et le charisme. Mais j’imagine que c’est surtout ce qu’elle voulait voir. »
Arsinoé « En tous cas, si tu lui ressembles tant, ce ne peut pas être une mauvaise chose. Si mon père ne me parlais jamais vraiment du sien, Grand-Mère s’en est beaucoup chargée, Ada. Elle passait son temps à nous dire à quel point c’était un bon garçon, un homme formidable. »
Marc-Antoine « Et à quel point je lui ressemble ! »
Lucrèce « C’est de valeur*… »
Arsinoé « Ah, si vous aussi vous vous y mettez ! Parle t-on de mon grand-père au Canada ? »
Lucrèce « Pas vraiment. C’est que ça commence à remonter... »
Marc-Antoine « Allons, arrête d’embêter notre cousine avec tout ça Noé. Vous restez avec nous pour le repas j’espère. Aurore… enfin, je veux dire Mademoiselle Laroche, a préparé tout spécialement des pancakes pour le dessert. »
Lucrèce « Proposé de cette façon... »
Marc-Antoine « J’avoue que je me suis assez peu intéressé à la politique canadienne ces derniers mois. A Paris, on ne parle que des Etats-Unis ou de l’Italie, quand ce ne sont pas ces saletés de fascistes qui sont sur toutes les langues… Que pensez-vous de l’antimilitarisme Ada ? »
Lucrèce « Et bien… Personne n’aime la guerre Antoine. »
Marc-Antoine « Et pourtant, vous seriez surprise. Nous avons été si prompts à voter les crédits en 1914. »
Arsinoé « Oh bon sang, Antoine ! Nous n’avions que huit ans à cette époque ! Tu peux laisser tout ça derrière toi ? »
Lucrèce « Je devrais vous laisser... »
Arsinoé « Ah non ! Antoine, ferme donc un peu ton bec et vas chercher quelque chose à boire à notre invitée. Quelque chose de particulier vous ferait-il plaisir ? Je crois que ma tante Rose a laissé un peu de brandy. »
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Automne 1926 - Champs-les-Sims
3/3
J'espère pouvoir t'annoncer une bonne nouvelle sous peu, et qui sais, peut-être que cela te fera plaisir car tu ne pense pas (comme Antoine), que j'ai en quelques sortes gâché ma vie. J'ai été surprise, car de tous mes proches, c'est sans doute lui qui l'a pris le plus mal. Papa a estimé que j'étais un peu jeune pour déjà me marier, mais il n'a pas insisté quand je lui ai dit que c'était mon souhait.
J'ai heureusement pu rencontrer mes petites soeurs ! Elles sont adorables, surtout Julienne, et elles se ressemblent autant que Cléo et moi. C'est vraiment étrange de les voir et de constater que mes propres enfants auront sensiblement le même âge.
Je voulais conclure en revenant sur ce que tu mentionnais à propos de vos problèmes financiers. Par expérience, je sais que ce n'est pas facile à admettre comme genre de problème. Je suis flattée que tu te confies à moi et je veux que tu saches qu'en cas de besoin, je peux y pourvoir. Je ne pense pas me vanter ou être impudente en affirmant que les affaires familiales vont assez bien pour entretenir le nouveau foyer de mes parents à Alexandrie, les chambres d'Antoine et Cléo à Paris, le pensionnat de Jean-François ou encore les besoins de Sélène (en tous cas jusqu'à son mariage). Sache que tu n'as qu'à demander.
Je te souhaites le meilleur,
Ta cousine, la nouvellement nommée Arsinoé Le Bris de Chastel
P.S. Vois-tu, je porte une particule désormais ! Je pense que si notre ancêtre commun en était témoin, il ne le croirait pas.
Transcription :
Arsinoé « Antoine. Je comprends tes inquiétudes. Mais tu n’étais pas là. Il fallait que je réagisse rapidement. »
Marc-Antoine « Pourquoi tu ne m’a pas appelé ? Nous aurions trouvé une solution tous les deux… Tu sais que je suis là, que tu peux me demander ce que tu veux et que j’aurais fait n’importe quoi... »
Arsinoé « Tu n’aurais rien pu faire. Il faut que tu acceptes que cette fois-ci, tu ne pouvais rien pour moi. Tu ne m’as ni trahie, ni laissée tomber. Sans compter que la situation aurais pu être pire. Cette solution est idéale, même si elle ne te convient pas. »
Marc-Antoine « C’est juste que voir Grand-Mère jubiler à ce point, ça m’a mis tellement en colère. »
Arsinoé « Mais pourquoi ? »
Marc-Antoine « Je… ça ne semblait pas bien. C’est ta vie, pas la sienne. »
Arsinoé « Antoine… Accepte qu’il n’y avait pas d’autre solution. Tu sais, nous avons discuté avec Ange. Longuement. De toute ce qui allait se passer, de ce que nous voulions tous les deux. Nous sommes satisfaits. »
Marc-Antoine « Alors… C’est vraiment ce que tu veux ? »
Arsinoé « Oui, vraiment. Mais de toute façon, ce serait un peu tard pour renoncer. J’aurais pu te le dire si tu m’avais parlé avant plutôt que de bouder comme un enfant jusqu’à la cérémonie. »
Marc-Antoine « Pardon... »
Marc-Antoine « Et maintenant ? »
Arsinoé « Maintenant ? Je vais retourner à mon travail jusqu’à ce que je sois trop fatiguée, puis je prendrai de longues semaines de repos dans le jardin d’hiver jusqu’à la naissance. Et après, je commencerai ma vie de mère. Et toi alors ? »
Marc-Antoine « Et bien… Je vais retourner à Paris terminer l’école. Puis je reviendrai ici le plus tôt possible. Pour Aurore bien sur, mais aussi parce que Kleber et Raoul veulent créer une liste communiste pour la mairie et que je pense saisir ma chance. Avec mes connaissances à Paris, je vais gagner une vraie légitimité. »
Arsinoé « Avec un tel programme, tu seras député avant trente ans. »
Marc-Antoine « N’exagère rien ! Mais je pense qu’il faut faire une différence, se battre pour ses convictions. Et t’épauler bien sur. Il ne sera jamais dit que je laisse tomber ma grand-sœur, jamais ! C’est ce que Grand-Père Maximilien a toujours fait, veiller sur sa famille, et je vais prendre le relai. »
Arsinoé « Alors c’est formidable ! Tous les enfants Le Bris vont suivre leur rêve. Oh, ne me regardes pas comme ça, je m’incluais dans le lot ! »
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Automne 1933 - Champs-les-Sims
4/4
Chère Dolorès,
J'ai été très émue en lisant ta lettre. Ce que tu as fait était incroyablement généreux et courageux. Je ne sais pas si j'en aurais été capable moi-même, après tout, je suis tombée tête la première dans les pièges de l'amour.
Je comprends que tu n'ai pas osé à parler à Lucien, ou à qui que ce soit dans ta famille d'ailleurs, c'était une situation très délicate. Il ne faut pas avoir honte de ses sentiments, c'est quelque chose de tout à fait naturel, mais il faut également faire appel à sa raison. Je sais que c'est bien plus compliqué à appliquer qu'à penser. Je le sais par expérience, l'amour confère un sentiment de toute puissance qui donne parfois une foi aveugle en son propre discernement. J'ai aimé un garçon il y a quelques années, et malgré les avertissements de Lucien, d'Antoine et d'Ange, je n'ai pas pu anticiper qu'il me brisé le coeur en préférant épouser une autre fille. Tu fais preuve d'un bon discernement, c'est bien.
Je peux également tenter de relativiser ta situation, ce qui peut paraître un peu cruel de ma part c'est vrai, mais on comprend en vieillissant. Je sais qu'Hylewood a un marché matrimonial, disons, limité. On n'y croise ni l'homme de sa vie ni un bon parti tous les jours. Ce Fabien m'a l'air d'être un homme très bien, mais rien ne dit que vos deux caractères se seraient accordés sur le long terme. L'amour est doué pour nous faire flamboyer de mille feux, il brille si fort que parfois il nous aveugle quand aux défauts ou mauvaises habitudes que l'on perçoit chez l'autre.
De même, tu es encore jeune, et des garçons, tu vas encore en voir passer encore quelques uns. Des garçons que tu pourras apprendre à connaître avant de trouver chaussure à ton pied. J'ai l'impression de parler comme une ancêtre en te disant ceci, mais je pense qu'on ne peut pas rêver d'un meilleur mari que celui avec lequel tu établit une profonde relation de confiance avant un amour fort. Et rien ne dit que l'amour ne peut pas venir ensuite. Ne le dis pas à Lucien, car il a déjà ironisé sur le sujet, mais avec les années, je pense que je suis en train de tomber amoureuse d'Ange. C'est terrible, car je sais qu'il ne s'intéresse que peu aux femmes, et qu'il connait à Paris des personnes au caractère bien plus intéressant et flamboyant que le mien. Je te comprends mieux que tu ne crois, même si nos situations ne font que vaguement se ressembler.
Tu n'en parle pas vraiment, mais j'espère que cela ne t'affecte pas gravement. Je me doute que cela n'a pas du être facile, et que quand tu es seule avec tes pensées, cela doit être amer. Sache en tous cas que, de l'autre côté de l'Atlantique, tu as une lointaine cousine qui te comprends et te soutiens. Elle lira également tes lettres avec plaisir si tu ressens le besoin d'en écrire une autre.
Bien à toi et avec tout mon soutient,
Arsinoé
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Automne 1933 - Champs-les-Sims
3/4
Je n'ai jamais eu moi-même de réels amis d'école, ni même de rivaux. Je suis surtout restée avec mes soeurs et mon frère. Alors j'avoue avoir été totalement désarmée en entendant de la bouche d'Antoine qu'Anna avait des problèmes avec ses camarades de classe, et plus précisément avec sa cousine Elise de Chastel (par le frère d'Ange, Emilien). Anna est une petite fille fière, et il a fallut que sa soeur moucharde pour que j'en entende parler. Et impossible de vraiment savoir les raisons de cette brouille, cela aurait été trop facile !
Quand Ange est allé en parler à son frère, j'avoue que j'avais quelques craintes. Il faut dire qu'ils sont en froid depuis des années, et s'en gardent aux carte de vœux pour les fêtes et les anniversaires. J'avais bien raison, car Ange est revenu rouge de colère en me disant que le ton était monté très rapidement, en même temps que les vieilles rancoeurs, et qu'Emilien a simplement accusé Ange d'essayer de l'atteindre en utilisant sa fille. J'ai été parler à l'institutrice, une jeune femme venue d'Alsace (avec un accent à couper au couteau !) appelée Mademoiselle Yvain, qui m'a assuré qu'elle tiendrai la petite Elise à l'oeil. Nous avons également décidé que quelqu'un irait chercher Anna et Elisabeth à la sortie de l'école tous les soirs, afin d'éviter que la situation ne s'aggrave loin du regard des adultes. Ange et moi-même nous relayons, avec parfois Oncle Adelphe, Aurore, ou même Jean-François quand il est à la maison (inutile de préciser que cela ne l'enchante pas particulièrement).
La naissance de l'enfant de Sélène et Gilberto est imminente, et je pense qu'il sera né avant même ta réponse. Sélène s'est d'ailleurs plutôt bien classé au Grand Chelem cet été, et ce malgré sa grossesse. Le nouveau roman de Cléo sera publié d'ici quelques mois et elle te fait dire que tu en recevras un exemplaire dédicacé.
Je suis très contente d'apprendre que c'est au tour d'Agathon de trouver le bonheur, mais comme tu le soulignes, il est sans doute plus prudent de garder les encouragements et les félicitations pour les noces.
Avec toute mon affection,
Noé
Transcription :
Marc-Antoine « Bonjour mesdemoiselles. Vous avez bien dormi ? Oh, tu n’as pas l’air bien Anna. »
Anna « En fait... »
Elisabeth « Anna veut faire semblant d’être malade pour pas aller à l’école, car elle en a assez qu’Elise l’embête, mais elle n’a pas envie de vous en parler. »
Anna « Elisabeth ! »
Marc-Antoine « On t’embête à l’école ? »
Elisabeth « Oui, Elise se moque d’elle tout le temps. Elle lui dit qu’elle est bête à manger du foin, qu’elle est laide, et elle essaie de lui faire des crocs en jambe dans la cour de récréation quand Mademoiselle Yvain ne regarde pas. Et quand on rentre de l’école à pied, Elise la suit pour l’insulter.»
Marc-Antoine « C’est vrai tout ça Anna ? »
Anna « Heu… oui. »
Marc-Antoine « Et tu n’as rien fait pour susciter un tel comportement ? »
Anna « Mais non ! »
Marc-Antoine « Ce n’est pas normal. Je dois en parler à ta Maman et ton Papa, tu comprends ? »
Anna « Non, je n’ai pas envie. »
Elisabeth « Anna, arrête ! Et si elle te frappe ? »
Marc-Antoine « Elise est votre cousine. Je suis sure que votre Papa peut aller parler au sien, histoire de comprendre ce qu’il se passe. En attendant, je vais m’arranger pour qu’on vienne vous chercher tous les soirs à l’école. »
Anna « Non Oncle Antoine, pas ça ! Elle va me traiter de bébé ! »
Marc-Antoine « Pas après que son père l’ai grondée, crois moi ! Allez, à l’école maintenant ! »
Anna « Traîtresse... »
Elisabeth « J’allais quand même pas la laisser faire ! »
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Automne 1933 - Champs-les-Sims
1/4
Cher Lucien,
J'ai joins à cette lettre un autre courrier à destination de ta soeur. Je suis flattée qu'elle m'ait choisie pour se confier, et au vu de ce qu'elle m'a écrit, je comprends qu'elle ait eu besoin de livrer ce qu'elle a sur le coeur.
Chez nous aussi, la vie suis son cours. Les filles continuent de grandir (aussi bien les miennes que celle d'Antoine). Je t'ai envoyée une photographie prise cette été devant la nouvelle aile. C'est la préférée de la collection d'Ange : il en a une dans sa chambre, une autre dans son bureau et la dernière dans son portefeuille. Il n'hésite jamais à la brandir avec orgueil dès qu'il le peut afin de faire admirer nos filles à autant de monde que possible. J'admet beaucoup aimer la composition, aussi l'ai-je également fait afficher dans le salon. Antoine m'a fait remarquer que quand Louise serait plus grande, il lui semble important qu'il y ait autant de photographies d'elles que de ses cousines.
Petite Eugénie s'est de plus en plus entichée de son Eugène. J'ai eu l'occasion de discuter avec lui, et il a l'air extrêmement conscient des problèmes de ma soeur, tout en m'assurant qu'il saurait faire au mieux. Il m'a juré qu'il serait le meilleur de maris. Je crois, qu'implicitement, il me demandait ma bénédiction. Je la lui ait donc implicitement donnée. Je pense que nous pouvons nous attendre à une demande dans les mois à venir.
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Printemps 1933 - Champs-les-Sims
3/4
En outre, tu trouveras également une photographie de moi, Ange et des filles, prise par Aurore. Notre premier véritable portrait de famille. Je tiens à remercier Dieu que les jumelles me ressemblent autant (comme tu pourras le constater), cela ne soulèvera pas de questions embarrassantes quand elles grandiront. De toute façon, elles adorent leur père. Antoine me dit parfois qu'il aurait aimé que Papa se comporte davantage comme Ange le fait avec Anna et Elisabeth. Il est d'une prévenance qui me surprend moi-même. Je l'ai surpris à jouer à la marelle pas plus tard que le semaine dernière et à faire réciter des fables de La Fontaine après le diner. Je n'aurai pu rêver un meilleur père pour mes filles en définitive.
Les filles aiment beaucoup l'école, en particulier Anna. Ange dit d'elle qu'elle a un esprit scientifique bien qu'un peu fantasque, un mélange de Jean-François et Cléo, même si j'espère qu'elle n'en reprendra que l'intellect. Ange l'imagine déjà faire de grandes études à l'étranger et parler de nombreuses langues. Quant à moi, je pense que ma fille est aussi une grande rêveuse et qu'il est un peu tôt pour présumer de son avenir. Elisabeth elle, me rappelle la petite soeur d'Ange, France. Douce, discrète et gentille. Elle est appliquée et a une nature plus secrète, presque mystérieuse.
Anna discute beaucoup avec son oncle en ce moment, essayant de parler avec un air assuré de politique internationale. Oncle Adelphe, la voyant faire avec son petit air concentré, a éclaté de rire en affirmant que Papa était presque exactement ainsi quand il avait son âge, essayant de se faire docte tout en ne comprenant strictement rien à ce qu'il lisait. Il faut dire que la voir, à sept ans à peine, tenter d'expliquer à Antoine ce qu'il se passe en Allemagne en ce moment avait quelque chose d'hilarant. Antoine n'a pas trouvé cela très drôle, mais ne lui a rien dit. Elisabeth, plus intuitive, a tenté de réfréner sa soeur en voyant la mine que tirait son oncle, sans succès. Il faut dire que ce qui arrive aux communistes en ce moment chez nos voisins le préoccupe beaucoup.
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Printemps 1933 - Champs-les-Sims
1/4
Cher Lucien,
Cela me fait plaisir de voir que les choses commencent à être plus belles par chez vous, en particulier pour Marie qui semble si bien s'en sortir dans son mariage. J'ai d'ailleurs transmis tes salutations à tout le monde, et ils te renvoient tous la pareille.
La crise a fini par arriver par chez nous également. Avec du retard, mais une certaine intensité. Tante Rose dis qu'à Paris, les queues devant les soupes populaires ne font que s'allonger. Ange me confirme que les clients se font un peu plus rare dans les établissements de loisirs. Les prix ont augmenté et nous avons essuyé des pertes sèches durant la dernière année. Oncle Adelphe s'en est arraché les cheveux tant nos meilleures bouteilles ne se vendent plus beaucoup. J'ai eu l'idée de réorienter la production vers des vins de moyenne gamme qui eux se vendent toujours aussi bien. Les chiffres commencent un peu à remonter ces derniers mois, mais nous sommes très loin du chiffre d'affaire que nous avons eu pendant vingt ans. Nous avons du licencier un de nos ouvriers pour faire des économies, et je suis ravie d'avoir autrefois insisté auprès d'Adelphe pour qu'il m'apprenne les gestes techniques du métier. Je suis un peu rouillée, mais grâce à ça, j'ai pu maintenir le niveau de vie de la famille. La vie sociale de tout le village en est bouleversée. Il y a beaucoup moins de soirées organisées chez les voisins, les repas de famille sont moins nombreux, et l'épicerie des frères Musclet peine à maintenir la tête hors de l'eau.
Tu me demandes comment s'est passé le retour de Petite Eugénie à la maison. Dans les grandes lignes, c'est assez agréable. Je suis heureuse de retrouver ma petite soeur, mais je suis aussi décontenancée par son attitude. Elle ne fait pas du tout ses dix-sept ans et semble être bien plus jeune, raison pour laquelle les filles en font très souvent leur compagne de jeu. Mais parfois, elle a des éclairs très brusques de maturité qui lui font adopter l'attitude d'une adulte. Je crois qu'elle même ne sait pas vraiment comment se comporter. Elle est parfois confuse, invente des événements qui n'ont pas lieu ou oublie tout simplement que Papa et Maman ne vivent plus ici. Les crises les plus fortes ont cessé, mais voir dans ses yeux le moment où elle réalise qu'elle n'avait plus qu'un pied dans la réalité est très dur et triste. Le médecin à Paris dit que son état s'améliore, et c'est vrai, mais j'aimerais l'aider davantage.
Transcription :
Eugénie « Qu’est-ce que vous faites ? »
Ange « Une activité vespérale trépidante. Nous lisons. »
Arsinoé « Il s’agit de notre petit rituel du soir, avant le dîner. Et toi ? Qu’est-ce que tu fais dans cette tenue ? »
Eugénie « J’attends que la voiture d’Eugène vienne me prendre. Il organise une soirée au château. »
Arsinoé « Ma chérie… Eugène n’organise pas de fête ce soir. »
Ange « Et le château a été vendu à l’état il y a des années déjà. Tu ne t’en souviens pas ? »
Eugénie « Je… heu… si. Je crois. Oh non… ça a recommenc��... »
Arsinoé « Ce n’est rien Eugénie. Tu es très belle. Tu t’es coiffée toute seule ? »
Eugénie « Heu… Anna m’a aidée… Je dois faire quoi maintenant ? »
Ange « Vas donc t’asseoir au salon. Je vais appeler Eugène de ta part et l’inviter à dîner ce soir. Aurore va très certainement m’assassiner pour le faire si tard, mais je pense que ça fera plaisir à ton amoureux. »
Eugénie « Vous ne lui direz pas, n’est-ce pas ? »
Arsinoé « Lui dire quoi ? Tu t’es bien pomponnée pour lui faire une surprise ce soir non ? »
Ange « Allez, vas ! Noé, vas donc prendre l’appareil, Petite Eugénie est bien trop jolie ce soir pour qu’on manque une occasion de lui tirer le portrait. »
Arsinoé « Quelle bonne idée ! »
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Printemps 1924 - Champs-les-Sims
4/10
Vous vivez sur une petite île. Moi je vis dans un petit village. Alors je pense que vous comprenez que c'est difficile de rencontrer grand monde de l'extérieur. Moi, je ne sors pas beaucoup. J'ai du travail et des responsabilités. Alors quand j'ai rencontré Jean, je pensais que c'était inespéré. Il était engagé comme saisonnier à l'automne dernier pour les vendanges, et comme il travaille bien, j'ai convaincu mon oncle Adelphe que ce serait une bonne idée de l'engager comme ouvrier à part entière. Nous nous voyons en cachette, avec la complicité de mes soeurs. Mon frère était au courant aussi bien sur, car il n'y a personne d'autre à qui je fasse plus confiance. Il se peut aussi que j'en ai touché un mot à mon cousin Ange, qui porte plutôt bien son prénom.
Antoine et Ange passent une grande partie de leur temps à Paris, et il s'y rencontrent parfois. Mon frère est étudiant et mon cousin est un hédoniste qui fréquente des salles de bal d'un genre qui ferait dresser les cheveux de ma grand-mère sur sa tête. Il m'écrit assez souvent ce qui se passe dans ses soirées, et je suis aussi fascinée qu'intimidée par les audaces qu'il se permet. Avez-vous entendu parler du Corydon de Gide ? Disons que Ange est de ceux dont parlent ces essais. Il a tant fait scandale qu'on vient juste de le publier. J'ai l'air d'une écolière maladroite quand j'écris ces lignes plutôt que d'aller à l'essentiel. Je me suis idiote, mais on ne sait jamais, des fois que Maman, ou pire Grand-Mère, lise par dessus mon épaule, mieux vaut que j'écrive en tournant autour du pot.
Transcription :
Jean « On discute pas mal avec les gars. Il y en a du village, mais aussi d’autres qui viennent des alentours comme moi. Et on se raconte des histoires, des anecdotes. Les locaux aiment bien bomber le torse en racontant les histoires du cru, les personnages locaux hauts en couleur, les grands événements qu’ils ont connu ou qu’ils tiennent de leurs parents. Ta famille est partout là-dedans. Rien que ta grand-mère... »
Arsinoé « Oh non pitié, je l’ai bien assez sur le dos pour que toi, plus que les autres finisse par m’en parler ! »
Jean « Oui je sais mais… Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas échapper à ta famille, elle est partout ici. »
Arsinoé « Oui, j’avais compris. Alors dis-moi ce que tu veux que je fasse. »
Jean « Pardon ? »
Arsinoé « Je n’aime pas te voir aussi mal à l’aise. On se voit déjà si peux, et c’est dommage que l’on gâche tout. Déjà, je pense qu’on devrait arrêter de se cacher. Viens avec moi tout à l’heure et je te présenterai mes parents. Oncle Adelphe fera peut-être les gros yeux, mais il ne dira rien. »
Jean « Tu plaisante ? La vieille… enfin ta grand-mère, me fait mille fois plus peur ! Tout le monde sait qu’elle a des plans pour sa petite-fille adorée. »
Arsinoé « Bon sang. Pourquoi suis-je toujours la dernière mise au courant ?"
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Eté 1932 - Champs-les-Sims
6/6
Anna est quand a elle une petite fille déjà bien indépendante et avec un fort caractère. Quand elle est indignée ou qu'elle boude, elle me rappelle tellement Ange que c'en est très drôle. Elle a parfaitement copié chacune des mimiques de son père. Elle dirige sa soeur par le bout du nez sans le moindre problème, profitant de sa nature un peu plus douce et taiseuse.
Nous avons décidé de refaire entièrement la chambre d'enfant maintenant qu'elles sont assez grandes pour dormir dans de vrais lits. Antoine et Aurore aiment beaucoup les tons beiges que j'ai choisis, ils disent que cela donnent un air bien plus chaleureux à cette pièce, qui a traditionnellement été en bleu depuis la construction de la maison. Il faut dire aussi que l'ajout des dessins des filles aux murs donne un aspect plus joyeux à la pièce (Grand-Mère ne l'aurait jamais permis) et elles adorent la moquette (une idée d'Ange). D'ici quelques années, elles pourront y jouer avec la petite Louise et ses éventuels petits frères et soeurs. J'attends avec beaucoup d'impatience le jour où cette pièce sera à nouveau pleine d'enfants, comme quand Antoine et moi étions petits.
Avec toute mon affection,
Noé
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Eté 1932 - Champs-les-Sims
5/6
Après cet intermède passablement déprimant, j'aimerai te parler un peu de mes filles. Elles ont eu six ans cette année, ce qui me permet de me rendre compte à tel point le temps file. Elles ont toutes les deux le visage bardé de tâches de rousseur. Elisabeth est blonde comme moi et Anna est rousse. Fort heureusement, le nom Le Bris étant encore associé au village aux cheveux roux, personne de ne pose de questions. En tous cas, pas que je sache.
Elles ont appris à lire cette année, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Elisabeth, bien plus que sa soeur, s'y intéresse beaucoup. Elle s'épuise les yeux sur les ouvrages de la bibliothèque et se plaint régulièrement de maux de tête. Ange l'a emmenée chez un médecin à Paris qui a confirmé qu'elle avait hérité des problèmes de vision de son grand-père. Depuis, son père et moi essayons de la convaincre de porter ses lunettes, mais elle refuse au prétexte que sa soeur n'en a pas. C'est un long combat qui nous attend.
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Eté 1932 - Champs-les-Sims
2/6
Je ne pense pas qu'avoir un enfant ait fait partie de leurs premiers projets en tant que couple, mais il n'ont rien fait pour ne pas forcer la nature, si tu vois ce que je veux dire.
Ceci dit, ce sont des parents comblés. Mon frère adore sa fille, Aurore s'habitue peu à peu à prendre en main la maison comme la sienne au même titre que la nôtre et Ange est ravi d'avoir un nouveau bébé dans la nursery étant donné que les filles ont bien grandit. Quoi qu'il arrive, je suis heureuse de voir que chaque parent dans cette maison prend son plein rôle, ça évitera à mes filles et ma nièce de subir ce que nous avons vécu avec notre père.
D'ailleurs, j'ai encore une anecdote bien triste à ce sujet. Le renvoi acerbe de Jean-François à ses pénates a fait pousser des ailes à Cléo, qui a cru pour conquérir la place apparemment vacante d'enfant préféré de Papa. Son dernier roman, sorti il y a quelques mois, raconte une mystérieuse histoire de meurtre qui se déroule sur un chantier égyptien de Louxor. Avant la publication, elle en a envoyé un exemplaire à Papa, pensant lui faire plaisir. Mon père, pensant sans doute à son tour lui faire plaisir (version d'Adelphe) ou n'ayant pu se défaire de son exemplaire académisme (version la plus répandue), lui a retourné le livre bardé d'annotations rouges détaillant toutes les mauvaises interprétations, les erreurs historiques et les invraisemblances d'une telle situation. Ma pauvre soeur ne s'en est toujours pas remise, bien que peu après, tout la presse spécialisée s'accorde à dire que c'est un très bon roman.
Transcription :
Marc-Antoine « Elle est vraiment toute petite. Et pourtant, elle me paraît déjà si grande pour avoir tenu toute entière dans ton ventre. »
Aurore « Elle a déjà un peu grandit, c’est rapide à son âge. »
Marc-Antoine « J’ose à peine imaginer à quoi devait ressembler Maman avec nous tous à l’intérieur d’elle. Elle a toujours dit que Sélène et moi étions de grands bébés. »
Aurore « Elle devait avoir l’air épuisé et attendant avec impatience la fin. Comme moi, mais en plus intense je suppose. »
Marc-Antoine « Elle a vraiment les yeux très gris. De qui peut-elle bien tenir ça ? »
Aurore « Pas de mon côté, c’est sûr ! Nous avons tous les yeux marrons. Il faut également savoir que les yeux des petits bébés mettent du temps avant d’avoir une couleur définie. C’est ce que m’a dit ta Tante Rose. »
Marc-Antoine « Je ne savais pas. En tous cas, les paris vont aller bon train, il y a vraiment de tout dans la famille. Qui sait, elle aura peut-être les yeux verts d’Oncle Adelphe et Grand-Mère Eugénie ? »
Aurore « Je crois qu’elle a ton nez en tous cas. »
Marc-Antoine « Oh non pitié, pauvre petite ! »
Aurore « Pourquoi ? Il est très bien ton nez. »
Marc-Antoine « Tu plaisantes ? C’est ce que j’ai toujours le moins aimé dans mon visage. Il est tout plat ! Il jure horriblement avec mon front, c’est affreux. »
Marc-Antoine « Je préférerais qu’elle ait le tien. Il est fin et bien dessiné. »
Aurore « N’appelons pas non plus au drame. Ton nez ne te rend pas si laid que ça. Et puis, il va plutôt bien à tes sœurs. »
Marc-Antoine « Bon, si tu le dis, il ne sera peut-être pas affreux chez elle. »
Aurore « C’est un bébé, elle aura tout le temps au monde pour se trouver des défauts physiques. Si c’est le cas, on saura avec certitude de qui elle le tient. »
Marc-Antoine « En tous cas, elle tient déjà de sa mère la tendance à faire comprendre à son père que c’est un idiot fini... »
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Automne 1930 - Champs-les-Sims
4/4
J'ai montré ta lettre à Tante Rose, au sujet de ton père. Elle a secoué la tête d'un air navré avant d'ajouter qu'à ce stade, il n'y avait plus grand chose d'autre à faire. Elle ne veut pas que tu te fasse des illusions, mais malgré tout, elle a déjà vu des malades tenir ainsi plusieurs années. J'espère que ce sera le cas pour ton père. Je sais que ça doit être dur, mais j'espère que vous ne vous fâcherez pas avec lui, et que lui s'adoucira un peu, car ce sera dur pour tout le monde. Tante Rose t'envoie ses amitiés.
Sur un ton un peu plus joyeux, sache que Sélène n'est pas encore mariée. Dans ses lettres, ma soeur me dit qu'elle souhaite attendre encore un peu, mais elle ne sait pas combien de temps. Je me demande si ce n'est pas en partie pour calmer les ardeurs de sa belle-famille, il parait qu'ils ne font que parler de mariage.
Je suis assez surprise de ce que tu me dis sur Ada, mais passe lui tout de même le bonjour. C'est une femme qui gagne à être connue selon moi. Elle était bien intarissable d'anecdotes, et je ne doute pas qu'elle les tienne de ta mère. Nous avons eu avec elle un aperçu de la vie au Canada qui a rassasié notre curiosité pour un moment, surtout celle d'Antoine, qui a du passer pour un sacré bavard. J'espère que ma prochaine lettre te parlera de son mariage.
Bien à toi,
Noé
_____________________________________________________________
Cher Lucien,
Noé m'a bien montré la photographie de votre truite. Je pêche peu, mais certains de mes amis m'ont confirmé qu'il s'agit d'une très belle prise. Un de ces amis m'a même appris qu'il s'agissait d'une variété de truite brune originaire d'Eurasie et qui avait été sans doute introduite dans le Saint-Laurent pour la pêche sur glace. Il s'agit en tous cas de son humble avis.
Je n'avais quand à moi pas grand chose à répondre dans le cadre de ce rituel typiquement masculin de comparer ses prises respectives. Il aurait été inconvenant de ma part que vous envoie une photographie de mes propres prises, par respect pour mon épouse qui respecte autant mes inclinations que ma vie privée autant que pour les "prises" en question qui y auraient vu quelque chose de dégradant. Je ne pratique pas la chasse à courre ou le safari, et je n'ai aucun hobby qui puisse non plus rentrer dans le cadre d'un rituel social. Mes seules réelles fiertés en tant qu'homme sont mes filles, Anna et Elisabeth, alors je me suis dit que j'allais vous les montrer. J'ai assez d'images pour que vous puissiez tapisser votre salon, mais je doute que cela vous intéresse, alors en voici une seule. Elisabeth est à droite et Anna à gauche.
Avec l'assurance de ma plus fervente amitié,
Ange de Chastel
Transcription :
Aurore « Tu vois, quand tu veux. »
Marc-Antoine « Je risque d’en entendre parler longtemps n’est-ce pas ? »
Aurore « C’est possible. Monsieur de Chastel a eu beaucoup de mal à rester sérieux quand il m’a expliqué la situation. Je ne sais pas vraiment si j’ai été vexée ou si j’étais morte de honte. »
Marc-Antoine « Il nous a observé ? »
Aurore « Un certain temps, jusqu’à ce qu’il trouve trop cruel de ricaner dans son coin en t’observant me faire des demandes en mariage à mots couverts pendant que je ne comprenais rien. »
Marc-Antoine « Bon sang... »
Aurore « Pour se faire pardonner, il a promis de me laisser des gages supplémentaires en guise de cadeau de mariage. »
Marc-Antoine « Avec le père que j’ai, j’ai toujours imaginé que je serais à l’abri de ce genre de quiproquo. Je devrais avoir l’habitude. »
Aurore « Tu me compares à ton père ? »
Marc-Antoine « Non, chez lui c’est particulier. Vous n’avez pas grand-chose en commun, juste cette difficulté à démêler premier et second degré. »
Aurore « J’imagine que ta mère a été plus efficace que toi sur ce point, sinon tu te serais jamais né. »
Marc-Antoine « En fait, c’est mon père qui a pris les devants et l’a demandée en mariage, comme le veux l’usage. »
Aurore « J’aurais du aller contre l’usage. Nous nous serions mariés il y a déjà des mois. »
Marc-Antoine « N’exagère pas. Je n’ai commencé à pelleter de l’air il n’y a de que deux semaines. »
Aurore « Pelleter de… quoi ? »
Marc-Antoine « C’est une expression québecoise que m’a appris Ada Rumédier, ça veut dire perdre son temps. »
Aurore « Oui, enfin c’est bien ce que je dis. Entre toute cette parade et les mois qu’il t’a fallut pour trouver le courage, j’aurai du te le demander moi-même. J’aurai obtenu ce que je veux bien avant. »
Marc-Antoine « Tu veux dire que tu me trouves lent ? »
Aurore « Je veux dire que pour un politicien, tu as bien du mal à prendre les devants. »
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