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#la tour de babel human au
la-tour-de-babel · 2 years
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Brodyr - Fiction : Human!AU
DISCLAIMER : Ceci est la première partie d'une série de OS, autour des frères Gibson. A savoir, Cambrien, dit Cormag, Gallois, dit Carwyn, et Cornique, dit Merryn. On est dans une version idéale où les trois frères sont en vie, et sont humains. Basiquement, donc, ce sera juste une série de petites scénettes, pour bien planter le décor, et étudier un peu les personnages de Cormag et Merryn- que je n'ai jamais écrit, ahah. Vous trouverez donc la suite dans les reblogs de ce post, au fur et à mesure. Le dessin que vous avez en début de post est évidemment une œuvre de @mimmixerenard !
PAIRINGS : Pour l'instant, SecretSignes seulement. Ca viendra avec le temps, quand les protagonistes ne seront plus des enfants. On ne shippe pas les enfants.
TRIGGERWARNING : Dans la première scène, description d'une crise d'angoisse, meltdown, shutdown. Harcèlement scolaire sous entendu. Je ne pense pas qu'il y ait de TW pour la deuxième partie, néanmoins.
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C’est le son des rires qui l’attire, d’abord, dans le vestiaire du collège.
Cormag est lui-même d’une nature rieuse. Ses parents, toujours, lorsqu’ils parlent de lui à leurs différents amis, le présentent ainsi : ah ! Cormag ! Mais oui, c’est notre petit soleil. Toujours si souriant… il vous illumine toute une pièce vous savez. Tenez, le voilà. Et puis, immanquablement, on répondait quelque chose du genre, mais c’est vrai qu’il a l’air très sympathique. Quelle bonne tête !
Oui, Cormag est rieur, Cormag est sympathique. Il est de ceux qu’on qualifie aisément de Bon Pote. De ceux à qui on s’attache très vite. Qui est ami avec tout le monde, même les professeurs, qui connaît tout le monde, et qui aide tout le monde. Mais Cormag, aussi, prend de la place. Il est bruyant, souvent. Il parle beaucoup. Il sait écouter, mais il a souvent l’impression que les gens, tant fasciné par son apparence de Bon Pote, n’en ont pas vraiment pris conscience : on ne lui dit jamais rien d’important.
Ce qu’on dit à Cormag, c’est comment s’est passé le dernier week-end. C’est combien notre nouveau chiot est adorable. C’est les notes qu’on a eues, ou pas. C’est quel prof est une tête de con, et quel prof est ultra chill. Ce qu’on ne lui dit pas, c’est les vrais problèmes qu’on a. C’est les secrets Très Importants, pour tout ces enfants de onze à quinze ans. Cormag est un Bon Pote, voir un Très Bon Pote, mais ce n’est pas Le Meilleur Ami. Vous voyez, il parle beaucoup, Cormag, et il connaît tout le monde. Ce n’est pas le genre de personne à qui on veut confier ses Grands Secrets.
Cormag est le Bon Pote de tout le monde, et le Meilleur Ami de personne. Sauf, bien sûr, de ses deux petits frères : mais Carwyn et Merryn sont tout, tout petits, et si Cormag est évidemment flatté de se voir pilier des Très Grands Secrets des p’tits bouts de chou, ce n’est tout de même pas la même chose. Cormag n’est le Meilleur Ami de personne.
Et puis, vient aujourd’hui. Le son des rires, dans les vestiaires du gymnase. En temps normal, Cormag est déjà naturellement attiré par le son d’un rire. Comme un papillon attiré par la chaleur et la positivité. Seulement, voilà : ce ne sont pas des rires gentils. Ce sont des rires moqueurs. De grands éclats, ahahah, qui s’entendent depuis la salle de sport où Cormag, jusqu’ici, discutait tranquillement avec le professeur.
(M. Gimenez venait d’avoir une petite fille. Elle s’appelle Clàudia, et c’est ce qu’il est en train de raconter à Cormag.)
Alors, parce que ce sont des rires, mais surtout parce que ce sont des rires moqueurs, Cormag s’excuse de la conversation, et trottine vers les vestiaires. Il est le Bon Pote de tout le monde, mais il est aussi le premier a reconnaître que certaines personnes sont tout de même de vraies têtes de con. Ce n’est pas pour autant qu’il cesserait de leur parler ; chacun ses défauts, et Mam dit toujours que les enfants de leur âge peuvent toujours changer, avec les bonnes fréquentations.
Cormag croit tout ce que lui dit sa Mam, bien évidemment. Mais tout de même, pense-t-il, en posant les yeux sur le spectacle.
C’est une petite foule de garçon, en cercle, autour d’un autre qui est tombé par terre. La petite foule rit trop fort, ahahah, et la respiration du garçon au milieu du cercle est affreuse. Il prend de grandes, grandes inspirations, comme s’il se noyait, et s’étouffe dessus à chaque fois. Cormag ne le distingue pas très bien, derrière les bras, les torses, les tee-shirts gorgés de sueur, mais il en voit assez pour comprendre qu’il est recroquevillé, et qu’il est couvert de quelque chose de gluant. Ca ressemble à la peinture que cette tête de con d’Alexis a piqué à la prof d’art plastique.
Cormag est trop jeune pour savoir ce qu’est une Crise d’Angoisse. Mais il est assez Grand pour savoir que c’est pas normal de respirer comme ça, et que ça doit faire mal à la poitrine. Et que ça doit pas être très drôle, de pas respirer bien et d’être entouré par une foule de garçon hululant des rires méchants. Alors, Cormag se fraye un chemin dans la petite foule.
C’est pas difficile. Il est grand, plus grand que les autres garçons, et il est large d’épaules. Tu seras rugbyman, mab, disait Dad. Un grand gaillard comme toi. Cormag ne sera bien sûr par rugbyman : il n’a jamais aimé le principe d’une mêlée. Mais la carrure reste là, et ses camarades le constatent bien ; ils le laissent passer, et certains, même, se taisent.
Au milieu du cercle, c’est Simon.
Cormag connaît tout le monde, mais Simon, pas très bien. Il est dans sa classe, ça c’est sûr, et il est très doué en maths. Cormag le sait, parce que le professeur ne cesse de le répéter, à chaque devoir. Et il sait aussi qu’il est très mauvais en français, parce que ça aussi, la professeure le répète. Simon est très discret. Là où Cormag parle beaucoup, et n’a pas souvent l’occasion d’écouter, Simon ne parle jamais, et ne fait qu’écouter. Il reste dans son coin, avec son petit costume trop formel pour un môme d’onze piges, avec ses lunettes carrées de secrétaire austère, et ses petits stickers de Mon Petit Poney partout sur ses stylos, sa règle, sa trousse. Avec son petit chiffon, qu’il utilise pour nettoyer chaque surface avec laquelle il doit rentrer en contact.
Les autres garçons trouvent que Simon est bizarre, et les garçons de cet âge, eh bien ! Ça n’aime pas beaucoup ce qui est bizarre.
C’est sans doute pour ça qu’il est dans cette situation. Respiration de sèche-cheveux en fin de vie, des grands hhhhhh, hhhhhh, hhhhhh. Se balançant d’avant, en arrière, avant, en arrière, les mains plaquées sur ses oreilles pour bloquer le bruit des rires, doigts crispés si fort que les ongles se plantent dans la peau, les yeux fermés très forts pour éviter la lumière aveuglante des vestiaires, grosses larmes coulant malgré tout, la chemise couverte de peinture verte- jusque dans les cheveux, jusqu’au verre des lunettes.
Simon tient beaucoup à la propreté, et a du mal avec certaines textures gluantes- précisément comme la gouache qui le couvre. Cormag ne sait pas ce qu’est un Meltdown, mais il voit bien que ce n’est pas quelque chose dont il faut rire.  Il n’y a rien de drôle, là-dedans.
« Vous êtes des cons, » braille-t-il, une fois passée la première seconde de choc. « Laissez le tranquille ! Barrez-vous ! »
Les rires méchants s’éteignent enfin. Ça bougonne, ça proteste un peu : Alexis, tête de con par excellence, lui décoche un regard dépité. Mais Cormag étant le Bon Pote, celui que Tout Le Monde Kiffe, on l’écoute. La petite foule se disperse ; les garçons récupèrent leurs affaires, se rhabillent, et laissent un peu de place à Simon.
Alors, Cormag se trouve un peu comme un con. Il ne sait pas comment réagir, maintenant : c’est la première fois qu’il voit ça. Simon ne se calme pas. Il se balance, se griffe tout seul, respire pas bien du tout.
« Eh, » dit Cormag, « ça va ? »
C’est bête comme question. Simon ne répond pas, et c’est même à peu près sûr qu’il a juste pas entendu du tout. Cormag s’agenouille à son niveau. Il y a de la gouache jusqu’aux paumes de ses mains : il pense qu’il a dû essayer d’essuyer ses vêtements, sans succès. Hhhh, hhhh, hhhh, fait la respiration du garçon. Les autres, autour d’eux, commencent à quitter la pièce.
Cormag tente de le toucher. Une main sur l’épaule, pour rassurer, comme il le fait toujours avec ce p’tit bout de chou de Carwyn, quand il tombe et s’égratigne le genou. C’est souvent bien suffisant pour sécher les grosses, grosses larmes, comme celles de Simon maintenant ; les grosses larmes qui plissent tout le visage et le rende tout, tout rouge. Ça marche presque toujours avec Carwyn.
Ça marche pas du tout avec Simon. Simon devient tout raide, comme un bout de bois, et avant même qu’il ne puisse vraiment voir ce qu’il lui arrive, Cormag se fait poussé. Fort. C’est à son tour de tomber, cul par terre, sur le sol mouillé du vestiaire. Ça s’infiltre dans son pantalon, et il grimace.
Il ouvre la bouche pour protester, sourcils tout froncés de vexation. Mais il s’arrête tout net, parce que les mains de Simon sont revenues à ses oreilles, et qu’il continue à se balancer, et que cette fois, c’est sa tête qui se secoue. Droite, gauche, droite, gauche, droite gauche. Non. Le message est passé : pas toucher.
« Tu veux que j’aille chercher le prof ? » tente Cormag, toujours sans succès.
Droite, gauche, droite, gauche. Cormag n’est pas sûr que Simon l’ait entendu, mais il n’a pas envie de prendre le risque. Ça reste un non. Il y a toujours des rires, de la part des derniers garçons à quitter le vestiaire. Cormag les ignore, et, finalement, les voilà tout les deux seuls.
Il sera complètement en retard en cours de SVT. Mais c’est pas grave. Il n’aime même pas ça.
Et puis, il lui semble que Simon commence à se calmer. Maintenant que tout le monde est parti, que c’est silencieux, et que quelques-unes des lumières détectrices de mouvements se sont éteintes. Il se balance toujours, mais sa respiration est moins moche. Hhh, elle fait. Hhh. Hhh. Alors, Cormag reste.
Enfin, Simon se calme. Il ne pleure plus beaucoup, et il respire de nouveau comme il faut. Ses ongles arrêtent de griffer la peau, derrière les oreilles. Il se balance, avant, arrière, plus doucement, plus lentement.
Il ne regarde pas Cormag, et il ne dit rien du tout. Mais puisqu’il ne l’a pas poussé de nouveau, et qu’il n’a d’ailleurs rien fait pour lui faire signe de partir, Cormag reste.
« Ça va ? » demande-t-il, encore, toujours aussi bêtement.
Droite, gauche, mais juste une fois. Question bête, réponse simple. Simon évite son regard, et, de la main droite, essaye une nouvelle fois de chasser la peinture de sa chemise. C’est trop tard ; c’est imbibé, et ça a même commencer à sécher.
Il laisse échapper un drôle de bruit. Un gémissement, ou un couinement.
« Tu… » commence Cormag, avant de se taire, et de bien réfléchir. « Ça part à la machine, tu sais. »
Droite, gauche. Non. La main passe, et repasse. Elle tremble beaucoup, et elle est tâchée, elle aussi. Il faut que ça parte, et que ça parte maintenant.
« Je peux te prêter mes vêtements, » continue-t-il. « Je peux rester en jogging, et toi, tu en auras des propres. »
Simon hésite. Ses yeux sautent, de la chemise sale, à ses pieds, à ceux de Cormag qui reste assis devant lui. Il ne le regarde pas dans les yeux, mais Cormag a l’impression que c’est le contact visuel le plus direct que Simon puisse supporter, pour l’instant.
Haut, bas. Oui.
Cormag sourit, tout en dent et en fossette. Enfin, ils arrivent quelque part !
L’opération leur prend quelques temps, bien sûr. Parce que Simon ne veut pas, ou ne peut pas se lever, et qu’il ne veut pas ou ne peut pas être touché, et qu’il est trop crispé et fermé et complètement fatigué pour retirer ses vêtements tout seul. Mais ça finit par se faire. Cormag comprend, au fur et à mesure, que Simon, pour l’instant, ne peut pas parler. Il apprendra plus tard que c’est normal. Que ça arrive. Que parfois, les mots ne veulent plus venir, et qu’ils se perdent et s’oublient. Il comprend aussi que la texture même des vêtements de Cormag, le jean, en particulier, semble être d’un contact insupportable ; il apprendra plus tard que, paradoxalement, c’est dans ses costumes guindé que Simon se sent le plus à l’aise.
Les vêtements sont trop grands, pour Simon, qui a l’air de se noyer dedans. Mais quand, enfin, sa tête passe le trou du hoodie, l’air proprement épuisé comme s’il avait passé le mois à courir sans s’arrêter, le regard darde brièvement vers celui de Cormag. Bref contact visuel, et Cormag comprend que c’est beaucoup d’efforts fournis : ça lui arrache un nouveau sourire, très large.
Il a l’impression que Simon voudrait bien le lui rendre, mais qu’il ne peut pas. Pour l’instant, du moins.
Pour la première fois de sa vie, Cormag sèche les cours. Il reste avec Simon, toute la journée, caché dans les recoins les plus calmes du collège. Il porte le sac du garçon, et le laisse serrer très fort, dans ses bras, une espèce d’énorme peluche d’un des personnages de ce qu’il apprendra plus tard être sa série préférée. Il accompagne Simon, le soir, vers la voiture de son père, tout content de l’entendre articuler quelques monosyllabes, maintenant.
M. Saulter le salut, l’air singulièrement curieux, et Cormag le salut en retour, avec l’aisance des gens qui savent être sociables. Simon, dans la voiture, lève les yeux vers lui- et le voilà, le début de sourire qu’il n’avait pas pu esquisser, ce matin.
La voiture part. Cormag, guilleret, rentre chez lui. Le lendemain, Simon s’assoit à côté de lui en cours.
« Merci, » qu’il dit, très neutre et très solennel, comme un président devant l’Assemblée.
« De rien, » répond Cormag. « Tu captes quelque chose au cours, toi ? »
Alors, la vie reprend, comme auparavant. Cormag n’est plus tellement le Bon Ami de tout le monde ; Alexis, en particulier, ne daigne plus lui adresser un regard. Ce n’est pas grave, parce qu’il a quelque chose de bien mieux : il est le Meilleur Ami de Simon.
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Faut pas croire, mais y’a un code d’honneur chez les pranksters. Un genre de code des pirates, vous savez ; mais plus cool, parce qu’après tout, Paul est un prankster, et non un pirate. La clé, c’est que tout le monde peut être pranké, pas d’problème ; mais si tu teams avec un camarade de la noble maison de la Prank, tu peux pas lui coller un couteau dans le dos. Tu peux pas l’inclure dans la merde, alors qu’il a participé à la rendre bien puante. Ça se fait juste trop pas.
Paul, du haut de ses neuf ans, est excessivement attaché au Code D’Honneur des Pranksters, même s’il vient tout juste de décider qu’il existe. C’est qu’il a jamais subi de trahison, auparavant. Déjà, parce que c’est pas souvent qu’il accepte un complice, et deuxio, parce que quand il le fait, ses complices sont toujours géniaux.
D’abord, y’a Merwyn, son best bro parmis les best bros. Ils se connaissent depuis la couche culotte, pour s’être pouillé dans le bac à sable du parc public quand ils avaient deux ans- et puisque que le daron de Paul peut faire ami-ami avec n’importe quelle personne qui n’est pas Francis Leroy, et bah, ils ont basiquement grandi ensemble. Merwyn, c’est son Gars Sûr, c’est le sang, c’est la sauce, quoi. C’est Merwyn qui l’a accompagné dans son (humblement) hilarante idée d’arracher tout les C, L, et E des petites lettres qui affichent les noms des salles de C.L.A.S.S.E, parce que ça fait A.S.S, et que c’est trop poilant. Est-ce que Merwyn l’a trahi ? L’a dénoncé ? Lui a volé quelques petits C ? Trop pas. Merwyn est son Best Bro. Ils ont partagé le butin, et quand on les a interrogés, ils se sont serrés les coudes.
Ensuite, y’a Simon. Simon est moins un best bro que Merwyn, même s’il est son Vrai Bro, parce qu’il a pas officiellement prêté allégeance à la Grande Maison des Pranksters, et qu’il est donc juste un membre honoraire. Et puis, vu que Simon est le Grand Frère, il a parfois l’impression que ça veut dire qu’il doit être un Mini-Daron : ce qui veut dire qu’il peut contempler le pitch parfaitement hilarant d’une superbe prank de Paul et hausser le Sourcil Du Jugement. Mais c’est quand même Simon qui l’a aidé à poser toute une pièce montée, prévue pour le mariage de Papa et Maman, sur la porte de la salle de fête pile avant que Francis ne la franchisse. Est-ce que Simon l’a poussé dessous, dites ? Est-ce qu’il l’a dénoncé ? Bien sûr que non. Simon l’a entraîné loin, très loin, là où la crème les tâcherait pas, et là où ils verraient quand même la scène. Simon avait assuré à une nuée de gens en costard que c’était complètement un mystère pour lui, cette histoire de pièce montée sur la tête de Francis. Simon est un Vrai Bro.
Après, y’a Papa. C’est un membre convaincu de la Maison des Pranksters, Papa, mais c’est un membre délicat, parce qu’il est supposé Montrer Le Bon Exemple. Ca veut dire qu’il doit faire sembler de froncer très fort les sourcils quand Paul remplace le sucre par le sel et les chocapics par les crottes du lapin de la voisine, et qu’il doit se mordre les lèvres pour ne pas rire. Ca veut aussi dire que Papa est un membre Vraiment Très Expérimenté, et qu’on a tout intérêt à l’avoir en Camarade de Prank, si on veut que ça marche. C’est un peu le mentor de Paul en matière de Gaudriole, même si, apparemment, Paul est vachement plus impliqué que son daron. Du coup, lorsque Paul avait remplacé le mot de la maîtresse, dans son cahier, par une copie très bien calligraphié du poème Con Large Comme un Estuaire, et que la maîtresse, l’ayant vu, s’était offusquée, c’était Papa qui avait assuré, avec un très large sourire, que Oui, Madame, c’est moi qui est écrit ceci, et que Non, Madame, ce n’est pas vulgaire, c’est de la poésie, ou même, encore, Bien sûr que je fais lire cela à mon fils, c’est de l’Apollinaire, quel grand poète, n’est-ce pas ? Papa ne l’avait pas balancé. Papa, lorsqu’ils étaient rentrés, avait lu le poème pour la première fois, parce qu’il ne le connaissait pas, et en avait pleuré de rire derrière le volant de la voiture. Tant que les pranks de Paul font de mal à personne, Papa est complètement on board.
Enfin, y’a Stefan. Ça compte pas de fou non plus, parce que Stefan, son bébé frère, il a deux ans, bavouille plus qu’il ne parle, et participe rarement plus à une conversation qu’en babillant un « kouillon ! » que Paul est très fier de lui avoir appris. Stefan est un Apprenti Prankster, et Paul a bon espoir de lui montrer Le Droit Chemin. Et il apprend vite, le môme. La preuve : quand Paul avait pété la fenêtre du deuxième étage de chez l’Oncle Edward avec un caillou (c’était trop pas de sa faute, il avait vu ça dans un film, et apparemment c’était grave romantique, donc il voulait voir si ça éblouirait Alphonse), c’était Stefan, qui jouait avec le résident de la chambre visée, qui avait planqué les preuves en tentant de bouffer le caillou. Est-ce qu’il l’avait craché ? Oui, mais sans faire exprès, et c’est l’intention qui compte. Stefan, Paul le sait, ne trahira jamais le Code Des Pranksters.
Paul n’a jamais été trahi par l’un de ses camarades de blagues. Alors, il accordait une confiance aveugle à toute personne qui lui donnait le feu vert pour être, globalement, un p’tit merdeux.
Et puis, vient Merryn. Là-dessus, Paul s’est comporté comme un bleu : mais quand même, ça se fait trop pas.
Déjà, il s’était fait avoir, parce que Merryn ça ressemble à Merwyn, et que, du coup, Merryn pouvait qu’être un type vachement bien, puisqu’il était à une lettre du best bro de la life, pas vrai ? En plus, Merwyn a sept ans. C’est deux de moins que Paul. Paul est donc le Grand, le Mentor, et c’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces ! Sans compter que le grand frère de Merryn, c’est Cormag, et que Cormag est le best bro de Simon, et que donc, logiquement, c’est un peu comme si Paul est destiné à être le bon bro de Merryn. Et puis, Merryn a v’la les bonnes idées poilantes, contrairement à son jumeau Carwyn, qui, lui, est juste chiant de gentillesse. Merryn est un parfait Membre de La Confrérie des Pranksters, et Paul, naïvement, a cru qu’il respecterait le Code implicite.
Du coup, logique ! Lorsque Merryn, invité pour la première fois à la maison avec son jumeau tout chiant et son grand frère trop cool, lui propose de monter un Prank, Paul est grave hypé. Ils avaient déjà comparé leurs exploits prankesques lorsque Simon l’avait emmené avec lui chez les Gibson, parce que Papa et Maman étaient chez le médecin des bébés avec Stefan, et qu’aucune babysitter voulait jamais gérer Paul. Paul, à ce stade, a déjà décidé que Merryn est Hyper Cool. Paul, donc, a suivi son Nouveau Bro comme un chiot content, et est allé avec lui gonfler toutes les bombes à eau possible.
Le but, c’est ensuite de se percher en haut des escaliers, de là où on surplombe un peu les adultes qui papotent en prenant le thé, et de bombarder, comme les allemands en l’an 40, qu’il dit, Merryn, même si Paul sait pas trop à quoi il fait référence. C’est un super bon plan, parce que Papa est suffisamment loin pour ne pas être touché (Code d’Honneur, Toujours : pas de Pranks envers le Grand Prankster Expérimenté), et que le Papa Gibson est pile à portée de bombe.
C’est un super bon plan. Et ça marche très bien, au début. Le Papa Gibson pousse un piaillement de fillette quand l’eau lui éclate sur le eau du crâne, et la théière se renverse sous la deuxième bombe. Le thé éclabousse la maman de Paul, muette autant par nature que par stupéfaction, et la Maman Gibson, en plein sur sa belle chemise à fleur. Son daron, bien sûr, Membre Expérimenté autant que Vétéran Des Blagues Paulesques, s’est levé dès le premier bombardement, et contemple le carnage d’une œillade qui s’efforce de ne pas être trop amusé. En tout, c’est dix bombes à eau qui sont lâchées, partout sur le tapis et la petite table du goûter : c’est le temps qu’il faut pour que les adultes repèrent les deux criminels, et ne commencent à préparer quelques Sermons Courroucés.
Normalement, là, c’est la parti du plan où on se barre en courant et en gloussant, avec son Camarade, et qu’on se planque jusqu’à ce que les adultes soient calmés. C’est limpide.
Sauf que Merryn est un absolu petit bâtard. Pour la première fois de sa life, Paul se fait honteusement trahir par son Camarade : parce que, quand Papa Gibson gronde « Vous deux ! », Merryn se contente pas de tourner les talons, et de détaler. Non, non. Paul se retourne vers lui, tout prêt à monter les escaliers à sa suite : mais au lieu de voir le dos de son comparse fuyant, il ne voit que le latex bleu du ballon qui se précipite vers sa propre tronche. Et qui s’y éclate, PAF, une explosion d’eau pile dans les yeux, le nez, et la bouche, et qui le détrempe aussi sec. Sous le choc incommensurable, Paul vacille, ébahi, incapable de comprendre cette terrible trahison ; et, à sa grande horreur, se sent tomber en arrière.
Dégringoler les escaliers n’est clairement pas l’expérience la plus sympa de sa vie, clairement. C’est pas la première fois qu’il les dévale, d’ailleurs, et c’est bien pour ça qu’il ne se pète rien en y tombant dos et tête la première : les bords des marches sont tout couvert d’une épaisse moquette, et les coins sont soigneusement rembourrés, parce que Papa et Maman ont eu bien assez d’une crise cardiaque en contemplant Paul, cinq ans, se prendre les pieds dans son jouet camion en essayant de fuir la salle de bain, se bouffer les marches de l’escalier. C’est pas la première fois qu’il les dévale, donc, et ça fait même pas tant mal que ça avec l’énorme moquette, mais c’est la première fois qu’il les dévale mouillé par le fruit de la trahison, et sous le rire d’un Camarade Prankster qu’il aurait dû pouvoir partager. Et c’est pas un truc qui devait arriver. Pas à lui ! Pas à un pro, comme lui ! Ça se faisait trop pas.
Il se retrouve bien vite le cul par terre, tout endolori, pendant qu’en haut résonne les pas fuyant de Merryn. Qui va se planquer, tout seul. Et Paul est un Grand Garçon : il a honte d’avouer que là, en bas des escaliers, mouillé, misérable, et l’épaule en feu pour être mal tombé dessus, il est à deux doigts de chialer comme il a jamais chialé. Jusqu’à sa mort, il niera d’ailleurs l’avoir fait. Aussi bien qu’il niera avoir braillé dans les bras d’un Papa et d’une Maman affolés, sanglotant comme un nourrisson. Il a une dignité, après tout.
Plus de peur que de mal, pour être v’la honnête. Même : la chute spectaculaire a le mérite de distraire très vite les adultes de la blague précédente, et il se fait même pas engueulé pour les bombes à eau. Il passe l’après-midi devant la télé, bien installé sur le canapé, entouré des coussins les plus douillets qui soit, avec un bol de crème glacé dans les paluches. Y’a que Merryn qui se fait engueuler, et c’est pour avoir causé sa chute ; en soit, c’est un moyen efficace pour échapper aux conséquences d’une prank.
Mais Paul est Très En Colère. Il est Furibond. Parce que Merryn, ce p’tit bâtard, a brisé le Code : et Paul est d’une nature très rancunière.
Merryn ne sera pas du tout son Bon Bro. Au contraire. Désormais, il considérera Merryn comme son Pire Ennemi.
A SUIVRE....
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la-tour-de-babel · 3 years
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Vous avez un message [Human!AU - Entreprise]
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Disclaimer : Voilà donc un court texte écrit pour la Saint-Valentin de l’année dernière, et que je vais maintenant publier parce que l’incroyable @mimmixe-lo-lecteurix​ vient de publier un fanart de notre chère Constance, et que c’était l’occasion de rebondir dessus. Nous ne signalons aucun caméo de Meg Ryan dans l’écrit qui va suivre, quoi que puisse en faire penser le titre. Le dessin de Constance joint est vieux, et ça se sent ! Nul besoin de connaître l’univers alentours pour comprendre l’histoire.
Pairings : Elizabeth Pond / Alphabet Anglais x Constance Thénardier / Conjugaison
Warning : Constance jure comme un charretier, et c’est contagieux, en plus. Soyez prévenu.e.s.
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L’écran allumé. L’ordinateur grand ouvert. La lumière est blanche, est froide, et d’autant plus visible que la pièce alentour est plongée dans le noir. C’est parce qu’Elizabeth, depuis le temps qu’elle est devant cet écran, n’a pas prêté attention au soleil qui, dehors, s’est couché depuis longtemps. A côté d’elle, la tasse de chocolat chaud qu’elle s’était faite est vide. Elle est emmitouflée dans son plaid aux couleurs de l’Union Jack, les cheveux lâchés négligemment sur ses épaules, et ses doigts frappent furieusement le clavier de son ordinateur. Elle a à peine la place pour bouger ses bras ; son bureau est inondé de dossier. Elle ne travaille pas, pourtant.
Non. Elle bavasse. Elle est sur ce site depuis des heures, maintenant. Et elle a le droit, parce que c’est son jour de repos, et qu’elle, créature sociale avide de contacts humains, est définitivement, désespérément seule, dans son minuscule appartement étriqué.
Les gens avec lesquels elle parle, elle ne les connaît pas. Mais c’est un chat de proximité ; elle suppose qu’ils ne doivent pas être bien loin de là où elle se trouve. Qu’importe. Il n’y a pas spécialement de nom, d’informations personnelles. Ils sont tous là pour passer le temps.
Un message. Un nouvel utilisateur qui cherche à lui parler. La conversation dans laquelle elle était engagée commençait à l’ennuyer ; alors, très naturellement, elle gratifia son interlocuteur d’un froid « bonsoir », et s’empressa de rejoindre cette nouvelle page.
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Thénardier : Tu ne devrais pas parler à ce type. C’est un fils de pute.
MelodyPond : Bonsoir à vous aussi.
MelodyPond : Pourquoi cette verve acerbe ?
Thénardier : Parce que je le connais, et je te dis que c’est un fils de pute.
MelodyPond : Je prends bonne note.
Thénardier : Et sinon, t’as rien de mieux à faire, à cette heure-là, que parler sur un site comme ça ?
MelodyPond : Pas vraiment, non. Et vous non plus, de ce que je peux voir.
Thénardier : Je gracie les lieux de ma flamboyante présence, c’est tout à fait différent. Toi, tu te contentes d’être polie avec tout le monde sur les chats publics.
MelodyPond : Contrairement à ce que vous semblez croire, la politesse n’est pas un vice.
Thénardier : Moi, ça m’agace. Personne n’est jamais vraiment poli. Tout le monde brûle de dire aux autres de fermer leurs grands clapets, mais personne n’a les couilles de le faire.
Thénardier : Et tout le monde, par conséquent, devient complètement hypocrite.
Thénardier : Comme toi, qui souhaites un « bonne nuit » à un type qui n’a cessé de te faire du rentre-dedans.
MelodyPond : Et pourtant, c’est vous qui engagez la conversation.
Thénardier : Je mets un point d’honneur à foutre de vigoureux coup de pied dans la fausse politesse des gens en démontrant par a+b qu’ils sont tout aussi virulents que je peux l’être, une fois poussés aux bonnes extrémités.
Thénardier : C’est un peu ma vocation.
MelodyPond : Et si je ne souhaite pas me prêter au jeu ?
Thénardier : Ça ne fera que prouver mon argument, puisque, tout compte fait, tu te débineras face à la peur de savoir être capable d’exploser.
MelodyPond : Je pourrais aussi être agacée, tout simplement.
Thénardier : Tu l’es, agacée ?
MelodyPond : Pas vraiment.
MelodyPond : Juste curieuse.
Thénardier : Bah voyons.
Thénardier : Sainte Nitouche.
MelodyPond : La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe.
Thénardier : On sous-estime la portée de jet de la bave du crapaud.
Thénardier : Surtout lorsque ce crapaud, c’est moi.
MelodyPond : Nous verrons bien.
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C’est un étrange premier échange, quand on y pense. Etonnamment, ce ne fut pas le dernier ; la brève occurrence devint très vite une habitude. Le genre de choses auquel nous n’accordons pas spécialement d’attention, la petite routine du dimanche.
Tasse de chocolat chaud. Plaid. Chat. Echange de remarques acerbes avec Thénardier. Eteindre l’ordinateur à des heures pas possible, parce qu’on n’a pas vu le temps passer. Se lever bien trop tôt le lendemain, arriver au travail avec une gueule de déterrée, et se prendre une remarque de Mr. Short qui aimait à voir ses employés impeccables.
Une confortable répétition qui s’insinua dans le cocon de sa petite vie douillette sans qu’elle n’y prenne vraiment garde. Une familiarité qu’elle n’était manifestement pas la seule à ressentir, puisqu’elle constata très vite que Thénardier s’était mis à l’attendre chaque dimanche à la même heure, et que les insultes n’étaient plus tant portées vers elle que vers le reste du monde ; et que, par conséquent, elle n’était plus cible, mais prise à partie.
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Thénardier : Je déteste mon patron, je te jure.
Thénardier : Un type bouffi d’orgueil. Insupportable.
Thénardier : Toujours à donner des ordres, à se croire supérieur à tout le monde.
Thénardier : Qu’il pète un coup, franchement, histoire de redescendre de ses putains de grands chevaux métaphoriques.
Thénardier : Ce qui est bien, c’est que je suis quasiment certain que ce grand bouffi a peur de moi.
MelodyPond : C’est bon signe. Ça veut dire qu’il est saint d’esprit.
Thénardier : Mais c’est qu’on est passés à la flatterie, maintenant ! Merci de reconnaître l’aura dévastatrice de ma juste fureur envers le monde.
Thénardier : Et toi, Sainte-Nitouche, ton travail ?
Thénardier : Te connaissant, tu vas juste me sortir que c’est « un job parfaitement épanouissant, qui ne cesse de me faire grandir en tant que personne ».
MelodyPond : Eh bien
MelodyPond : Si je devais m’exprimer parfaitement honnêtement
Thénardier : Ouais ?
MelodyPond : C’est un job parfaitement épanouissant, qui ne cesse de me faire grandir en tant que personne.
Thénardier : Je t’emmerde.
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« Elizabeth, pouvez-vous me faire un thé, s’il vous plaît ? »
« Elizabeth, où est le dossier Stevenson ? »
« Elizabeth, pouvez-vous passer un coup de fil au service marketing ? »
« Elizabeth, un autre thé. »
« Elizabeth, une feuille et un crayon. »
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C’était un travail parfaitement épanouissant, bien sûr. Elle occupait le poste de Community manager, gérait l’intendance, et s’avérait également être, lorsqu’il le fallait, la secrétaire du grand patron de l’entreprise.
Un poste à responsabilité, donc.
Epanouissant.
Peut-être pas suffisamment, quand on y pensait.
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MelodyPond : Mais, tu vois, je ne comprends pas pourquoi on continue à me demander de faire ce fichu thé. Je suis compétente, je l’ai prouvé à mainte reprise… ! Mais c’est comme si je faisais seulement partir du décor. Que je n’avais pas d’importance.
MelodyPond : Ce n’est même pas comme si mon patron me manquait de respect. Il me donne des responsabilités, et son thé, il le demande généralement à la première personne qu’il voit, homme ou femme.
MelodyPond : C’est simplement frustrant de constater qu’après des années de travail dans la même entreprise, on peut encore être relégué au rôle de serveuse de café.
Thénardier : Tu devrais le lui balancer à la gueule, son thé.
MelodyPond : Ça ne m’étonne pas de toi.
MelodyPond : Mais je ne me le permettrai jamais… !
Thénardier : Je suis sérieux, pourtant.
Thénardier : Tu l’as dit toi-même, t’es compétente.
Thénardier : Alors, prend ta chate à deux mains et oses exprimer ce que t’as sur le cœur, bordel de merde.
MelodyPond : Il pourrait mal le prendre.
MelodyPond : je suis même certaine qu’il va mal le prendre.
MelodyPond : Il est plus calme, ces derniers temps, mais, il y a quelques années, il virait à la pelle, et pour beaucoup moins que ça.
Thénardier : Tu sais quoi ? T’as raison.
Thénardier : Sois sa bonniche.
Thénardier : Continues à t’aplatir la tronche par terre et à lui servir son putain de thé.
Thénardier : Sers lui-même de tapis, tant que t’y es.
Thénardier : Histoire qu’il puisse s’essuyer les pieds sur ta fierté comme toi-même tu le fais.
MelodyPond : Mais enfin, on ne peut pas régler tous les problèmes en hurlant et en invectivant, Thénardier ! Dans quel monde vis-tu, à la fin ?
Thénardier : Dans un monde où je me respecte moi-même, dans un monde où je ne laisse personne me dicter quoi faire, et dans un monde où je ne sers pas de thé à mon boss, bordel.
Thénardier : Si toi-même tu ne te respectes pas, qui te respecteras ?
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« Un thé, s’il vous plaît, Elizabeth. »
« Vous savez quoi, Monsieur ? Vous pouvez vous le foutre au cul, votre thé. »
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Il lui faut quelques secondes pour prendre conscience que oui, ça, elle l’a dit à voix haute. Elle sent ses yeux qui s’écarquillent ; ceux d’Edward Short le sont déjà, et très largement. Il a levé la tête de sa paperasserie, visiblement estomaqué, les yeux verts plus large que la tasse sur son bureau. Son stylo s’est figé au-dessus de sa feuille, il la contemple comme s’il elle s’était vue poussé une deuxième tête.
« … Pardon ? »
C’est peut-être le fait qu’il ait l’air plus héberlué qu’en colère. Ou alors, c’est peut-être les mots de son ami du dimanche qui lui tourne en boucle dans la tête. Elle déglutit, et elle reprend, un peu plus posément, cette fois-ci :
« Depuis combien de temps est-ce que je travaille pour vous, Monsieur Short ? »
Monsieur Short cligne des yeux. Elle le voit chercher ses moyens, plus perplexe qu’elle ne l’a jamais vu l’être.
« Probablement une dizaine d’années, » admet-il enfin.
« Et vous pensez, Monsieur, que c’est à moi, où à qui que ce soit, d’ailleurs, de faire vos thés, alors que nous sommes déjà tous débordés de travail ? »
Edward ouvre la bouche, fronçant les sourcils, prêt à répliquer. Elle le coupe tout net, le cœur battant follement dans sa poitrine.
« Parce que, Monsieur, je ne suis pas payée pour ça. Et je suis désolée de vous l’apprendre, mais vos employés de sont pas une bande de mannequins que vous pouvez vous permettre d’ignorer et d’ordonner autour de vous comme bon vous semble. Nous sommes effectivement là pour aider à faire fonctionner votre entreprise, et vous êtes notre supérieur hiérarchique. Mais nous sommes des êtres humains, et vous nous devez un minimum de respect. Votre thé, vous le faites vous-même. »
Elle voit son teint qui rougit. Il referme la bouche ; et puis, lentement, presque honteusement, il hoche la tête. Il n’ajoute rien.
Mais, déjà, elle se sent plus légère.
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MelodyPond : Et là, je lui ai dit de se le foutre au cul.
Thénardier : Enfin, bordel. C’était pas trop tôt.
MelodyPond : Tu avais raison. C’était très libérateur. Tu aurais dû voir sa tête… ! On aurait dit un enfant qui vient de se faire gronder. Aussi rouge que le permet le légendaire flegme britannique.
Thénardier : Je suis quand même déçu que tu ne le lui ais pas jeté à la tronche.
MelodyPond : La diplomatie, Thénardier. La diplomatie avant la violence.
Thénardier : « Vous pouvez vous le foutre au cul »
Thénardier : Tu appelles ça de la diplomatie ?
MelodyPond : J’appelle ça la mauvaise influence que tu as sur moi.
Thénardier : Dis toujours, Melody.
MelodyPond : Elizabeth. Mon nom est Elizabeth.
Thénardier : Mais fallait pas dire, putain ! T’as cassé le mystère.
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Le lendemain, c’est Mr. Short qui lui fit son café, à elle. Il lui ramena également des chocolats, une boîte de gâteaux, et s’excusa platement auprès d’elle.
Et il fit de même auprès des autres employés.
C’était peut-être le premier lundi matin qu’elle était ravie de passer au travail.
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MelodyPond : On devrait se rencontrer, un jour ou l’autre.
Thénardier : T’es folle ? Ou t’es juste devenue complètement accro ?
MelodyPond : Oh, voyons. Ne prétends pas que tu n’en as pas envie, toi aussi.
Thénardier : Que dalle. Comme si j’allais me forcer à supporter tes jérémiades encore plus longtemps et en vrai.
MelodyPond : Ton petit numéro ne fonctionne plus avec moi.
MelodyPond : J’ai très bien vu que tu étais en avance, aujourd’hui.
Thénardier : Je m’emmerdais, c’est tout.
MelodyPond : Ah ? Mais qu’est-il advenu de cette personne qui « graciait » le site de sa présence ?
Thénardier : Ta gueule, Lizzie.
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Elle se tient sur la place centrale de la ville. Assise au bord de la petite fontaine municipale, qui crachote une eau vaguement verdâtre, pleine de petits bouts de mousse. L’endroit est quasiment désert ; le temps est froid, et elle est emmitouflée dans sa grosse doudoune d’hivers, ses moufles, son écharpe, son bonnet à pompon.
Elle scanne la place du regard. Chaque silhouette qui se profile, chaque mouvement. Elle trépigne d’impatience, aussi. Un peu. Ou beaucoup. Et pourtant, « Thénardier » est en retard, et elle en vient à se demander comment elle avait pu être suffisamment stupide pour croire qu’un type qui ne voulait même pas lui donner son nom viendrait à un rendez-vous.
Et puis, elle se prend un petit coup sur l’épaule, et manque de finir dans l’eau de la fontaine.
« Evidemment que tu es du genre à porter des doudounes roses, » grince la voix de son agresseur. « Et de mettre des pompons sur ton fichu bonnet. »
Ses yeux s’écarquillent de stupeur. Elle tourne immédiatement la tête.
Le regard qu’elle croise est plus vert que cette mousse que crache la fontaine. Le visage peut paraître fermé, maussade et renfrogné, pour qui n’y regardait pas assez bien ; il est pourtant vaguement curieux, attentif, et ouvert, à sa façon. Il est encadré de boucles brunes, folles et sauvages, qu’on n’avait visiblement pas cherché à dresser, mis à part ce bonnet gris qu’on y avait enfoncé. Les mains sont plongées dans les poches d’une veste en cuir, qui parait bien trop légère pour la saison. Le cou est entouré d’un foulard. Une attitude faussement nonchalante, complétée par ce chewing-gum qu’on mâche aussi ostensiblement que possible.
« Constance, » se présente son interlocuteur. « Ou Thénardier, si tu préfères. Je m’en tape. »
Il y eut quelques secondes de silence, seulement troublé par le gargouillis de l’eau de la fontaine, le bruissement des vêtements de Constance, qui se laissait tomber à côté d’elle, sur le rebord en pierre de l’édifice. Un silence de vague stupeur, troublé par les vagues d’agacement que semblait naturellement exhaler l’autre personne.
Et puis, sans qu’elle ne puisse s’en empêcher, Elizabeth se fendit d’un large sourire.
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
Text
Home stuck [Human!AU - Family]
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Précédemment : https://la-tour-de-babel.tumblr.com/post/674288984395071488/please-take-me-away-fiction-humanau
Disclaimer : Ce texte a été écrit durant le second confinement, en suivant un petit concours de notre encore plus petite communauté : écrire un texte avec des personnages confinés. Celui-ci se place dans la continuité du premier texte de l’AU dit “Family”, mais peut être lu indépendamment. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu le livre pour le comprendre. Majoritairement, ce texte est une suite de mésaventures qu’on peut imaginer avec des enfants enfermés avec soi dans une maison. 
Triggers Warning : Discussion de maladie (cancer) entre deux personnages ; Mentions d’ancienne relation abusive, avec un stress post-traumatique. 
Pairings : Franglais, Probet.
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Tumblr media
Ça avait semblé être une bonne idée. Ou, tout du moins, ça avait semblé être une idée tolérable. L’affaire de quelques jours… ! Avait dit Edward. Ils n’en étaient certainement pas plus avancés. Bien au contraire. Et, si on lui demandait, Francis dirait que c’était entièrement de la faute de Sylvain.
Lorsqu’Edward était venu le voir, une semaine plus tôt, pour lui proposer de partir une semaine en vacance en montagne, Francis avait été ravi. Bien sûr qu’il avait été ravi. C’était tellement rare de voir le britannique quitter son bureau, encore plus de passer du temps en famille. C’était enfin l’occasion de profiter de quelques jours tous les trois, loin des soucis du travail et de la vie quotidienne. Juste eux, et leur fils. Mais, lorsqu’Edward avait glissé, à la toute fin de son discours, qu’ils n’iraient pas seuls, parce que le chalet qu’ils allaient occuper de lui appartenait pas, Francis avait senti venir la douille.
Parce que, voyez-vous, en disant cela, Edward lui avait adressé un sourire absolument rayonnant, et complètement machiavélique. Parce qu’il savait, le petit fourbe, que Francis, ayant déjà accepté tout ce qu’il avait dit avec un enthousiasme si marqué, ne pouvait tout simplement pas faire machine arrière. Il le connaissait bien, le saligaud. Il savait que Francis avait un point faible évident, et, ce point faible, c’était le sourire d’Edward. Une denrée rare, évidemment qu’il allait céder.
« Laisse-moi deviner, » avait-il soupiré, se retenant fortement de venir se frotter les yeux. « Sylvain ? »
« Et ses enfants, » a confirmé Edward, le ton rendu tout mielleux par sa satisfaction et les réminiscences de son accent anglais. « C’est eux qui nous invitent. »
Sylvain, c’était, semblait-il, le meilleur ami de son mari, et ils étaient mutuellement parrain de leurs enfants. Francis n’avait aucune objection à y faire ; il n’avait jamais cherché à les séparer, à couper les ponts, merci bien. Edward avait eu son lot de relations abusives, et, après tout, Francis n’avait pas à choisir pour lui qui il fréquentait. Mais cela ne voulait pas dire qu’il appréciait, même juste un peu, un seul membre de cette famille. Pourquoi ? Oh. Pas grand-chose.
C’était simplement que Sylvain avait ce sourire particulier, tellement joyeux pour Edward, et infiniment condescendant et venimeux pour Francis. Il le lui rendait bien, alors, il estimait que c’était de bonne guerre.
C’était aussi que Sylvain était toujours si classieux, si soigné, si charmeur, avec tout et tout le monde, et que Francis, malgré tous ses efforts, sentait parfois qu’il faisait pâle figure. Peut-être était-ce une illusion, mais, vraiment, Francis tenait à son orgueil, et si quelqu’un, dans une pièce, devait être charismatique, c’était lui.
C’était également que Sylvain semblait tout droit sorti d’un album photo des années trente. Sa tenue, sa posture, sa canne, son chapeau, son ridicule accent. C’était très subjectif, mais, en toute subjectivité, ça donnait envie à Francis de lui arracher son dahlia pour le lui faire manger.
C’était, de plus, que l’un des fils de Sylvain, celui qui n’était pas qu’un morne adolescent lassé de tout, et qui n’était pas un gosse de quatre ans qui ne savait qu’à peine parler, mais qui était un gamin surexcité qui ne pouvait pas s’empêcher de courir partout en hurlant ou en cassant tout ce qu’il touchait, semblait s’être accroché à Alphonse, et que, vraiment, Francis ne voulait pas de ce genre de fréquentation près de son fils.
C’était surtout que Sylvain, avec tout son charme, ses sourires et ses rires, avait, parfois, le même regard que Francis lorsqu’il le posait sur Edward. Plein d’une affection soucieuse. Le regard d’un ami, peut-être, ou peut-être plus. Et c’était surtout que, parfois, c’était à lui qu’Edward souriait le plus.
Alors, non, Francis n’était pas transporté de joie à l’idée de passer une semaine coincée dans un chalet avec un homme qu’il n’aimait pas, et qui le lui rendait bien. Surtout si cela voulait dire qu’Alphonse n’allait pas pouvoir échapper à… il était quasiment sûr que le gosse s’appelait Paul.
Mais, comme l’avait fait remarquer Edward, ce n’était qu’une semaine. Et puis, vraiment, le chalet était grand, et il aurait toujours le loisir d’ignorer Sylvain, s’il le voulait. Ils parvenaient bien à s’entendre à Noël, au Nouvel An, aux anniversaires, non ? Il lui suffirait de s’isoler s’il sentait monter une envie de répliquer. Franchement, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
Alors, Francis, bon gré, mal gré, avait accepté. Ils avaient fait leurs valises, et étaient allés se paumer au fin fond de la Savoie. Non loin des pistes de skis, au beau milieu d’un flanc enneigé d’une montagne. Il avait, évidemment, grincé des dents en constatant que le chalet était parfaitement isolé ; plus encore lorsque, portière à peine ouverte, Paul s’était précipité vers Alphonse pour le traîner derrière lui et lui faire visiter le bâtiment.
Mais Sylvain semblait décidé à faire un effort, parce qu’il ne l’avait presque pas insulté, en le saluant. Ou peut-être que si ; mais Francis avait parfois du mal à décrypter ce qu’il disait. Sylvain avait toujours eu cette manie de miner ses phrases de double sens difficile à saisir. Et puis, son fils cadet, le filleul d’Edward, avait gazouillé en le voyant, et lui avait même offert un caillou en forme de cœur pour lui souhaiter la bienvenue. C’était ridicule, mais ça valait ce que ça valait. Un genre de rameau d’olivier.
Alors, ils s’étaient installés. Alphonse dans la chambre des trois autres garçons ; Sylvain, tout seul, au rez-de-chaussée, et, évidemment, Francis et Edward au fond du couloir. Trois jours s’étaient écoulés sans trop d’accroches. De fait, Francis ne voyait Sylvain que lors des repas, puisque l’homme ne sortait jamais avec eux pour les promenades. Soi-disant qu’il préférait garder Stefan. Comme si Francis ne le voyait pas boiter, avec sa canne.
C’était donc aussi idéal que c’était possible de l’être ; et Francis commençait, peu à peu, à se détendre, et vraiment profiter du séjour. Et puis, un soir, ils allumèrent la télévision.
Et l’annonce du confinement tomba. Parce que le destin est une prostituée de soixante ans qui fait le tapin sur le trottoir du boulevard Carnot.
Il y eut quelques temps de silence ; puis, naturellement, son regard horrifié se tourna vers Sylvain. Son expression se trouva presque mimé chez l’autre homme. Il entendit, à côté de lui, Edward qui soupirait, et Paul qui s’enthousiasmait en kidnappant l’épaule d’un Alphonse bien trop complaisant. Et puis, d’un même élan, ils ouvrirent la bouche.
« Et merde, » firent-ils, en concert.
« Merde, » répéta diligemment Stefan.
« Papa a dit un gros mot, » s’exclama Paul.
Les semaines à venir s’annonçait affreusement longues.
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« Non, Paul, on ne jette pas son crayon à la tête de Simon. On l’utilise pour résoudre ses problèmes de maths. »
« Mais, Oncle Ed’, » protesta le gosse, se renfonçant dans sa chaise avec une moue si théâtralement boudeuse que c’en était risible. « Je déteste les maths, et je suis putain de doué en tir. »
Edward leva un doigt menaçant vers l’enfant, faisant de son mieux pour avoir l’air aussi imposant et autoritaire que possible.
« On ne jure pas, » gronda-t-il, intérieurement dépité de ne se voir récompensé que par un sourire goguenard, « Et on ne discute pas. Tant que cette page d’exercice n’est pas terminée, tu n’as pas autorisation d’aller jouer. »
Paul se renfrogna visiblement, foudroyant son cahier avec tout le ressentiment du monde. A côté de lui, Simon ramassait le fameux crayon, et le posait d’autorité devant son cadet. Parce que lui, au moins, travaillait sans broncher, et avait déjà bien entamé la dissertation qu’il était supposé terminer.
Edward retint un petit soupir. Voyez-vous, c’était à son tour d’aider les enfants à faire leurs devoirs- ce qui, en soit, n’était pas plus mal. Francis n’aurait eu aucune patience, et, de toute façon, Sylvain et lui étaient déjà suffisamment occupés avec les myriades de visio-conférence auxquelles ils étaient supposés participer. Il n’était pas rare de le voir se promener partout en portant l’ordinateur à bout de bras ; et si Sylvain gardait toujours un équilibre remarquable, il arrivait que Francis se prenne les pieds dans des jouets qui traînaient, et ne finisse par terre sous l’œil de ses employés. Ça avait d’ailleurs été la cause de la première véritable engueulade entre les deux hommes.
(Une engueulade qui avait duré plus d’une heure, et qui aurait duré plus longtemps si Edward n’était pas allé chercher le tuyau d’arrosage pour calmer toutes ces ardeurs.)
(Il leur avait fallut des heures, ensuite, pour éponger le sol détrempé du salon.)
(On déplorait encore la perte de l’ordinateur de Francis.)
(Et Sylvain lui avait fait la tête pour le reste de la soirée.)
Edward était le seul dont le travail ne nécessitait pas de réguliers appels vidéo, merci bien. Il était auteur, et tout ce qu’on attendait de lui, c’était qu’il se colle dans un coin pépouze et qu’il ponde un livre potable pour son éditeur.
Alors, oui. Corvée devoirs avec les quatre enfants de la maisonnée. Une corvée qui n’en était pas tant une, parce qu’Edward adorait ces gosses, et qu’il se disait parfois que s’il n’avait pas été écrivain, s’il n’avait pas eu une telle angoisse face à un public nombreux, il aurait pu être professeur.
« J’ai fini les miens, » fit Alphonse, avec cette espèce de tranquille fierté qu’on les enfants bien élevés qui savent qu’ils ont accomplis quelque chose de bien.
« Genre, » souffla Paul, plein d’incrédulité.
« Tu vois, Paul, » reprit Edward, saisissant la balle au vol, « Alphonse a fini, donc, il peut aller jouer. Si tu veux l’accompagner, il faudrait que tu t’y mettes sérieusement, non ? »
Evidemment, ça fonctionna. Paul se saisit de son crayon avec un enthousiasme et une concentration renouvelée, et, enfin, s’attaqua à ses problèmes de maths. Béni soit Alphonse qui décida immédiatement qu’il allait l’aider.
En fait, ce n’était pas tant que Paul était mauvais en maths. Bien au contraire, le gosse était un petit génie. C’était simplement que Paul était hyperactif ; et il ne parvenait que très difficilement à se focaliser sur une tâche, une seule, pendant plus de cinq minutes. Non sans une sérieuse motivation, en tout cas.
Edward le surveilla une seconde ou deux de plus, juste pour s’assurer que tout se déroulait bien ; puis, il reporta son attention sur l’enfant qui était assis juste à côté de lui, et qui essayait laborieusement de déchiffrer quelques pages qu’on lui avait donné à lire. Stefan était l’image même de la concentration ; tout son petit visage était crispé par l’effort, sourcils froncés et langues à demi-sortie, alors qu’il suivait du bout de ses doigts potelés les mots qu’il articulait silencieusement.
C’était un enfant intelligent, quoi que puisse parfois en dire Francis ; ce qu’il comprenait, il le comprenait vite, et ne l’oubliait jamais. Il pouvait déjà, du haut de ses quatre ans, vous pointer toutes les fleurs d’un jardin, et vous dire leur nom, scientifique et commun, ainsi qu’une foule de petits détails les concernant, tout simplement parce qu’il avait vu, une fois, un documentaire à son sujet. Mais les choses sur lesquelles il butait, il butait vraiment. C’était difficile, pour lui, de parvenir à former des phrases cohérentes ; plus encore de lire, et de les écrire. Mais Dieu savait qu’il essayait, qu’il essayait vraiment ; et Edward était prêt à mordre le premier qui oserait dire que son filleul était stupide.
« Tout va bien, Stefan ? » s’enquit-t-il, parce que l’enfant été resté bloqué sur le même mot pendant quelques minutes, déjà, et qu’il commençait visiblement à se frustrer.
« J’y arrive pas, » couina Stefan, levant vers lui un regard large de détresse vers lui. « Trop de syllabes. »
Edward lui adressa un sourire aussi rassurant que possible, et lui passa la main dans les cheveux. Le résultat fut immédiat ; l’enfant se détendit, et sembla se départir, juste un peu, de sa frustration, coinçant la gomme de son crayon à papier contre sa lèvre inférieure. L’adulte rapprocha sa chaise de la sienne, et se pencha avec lui sur le fameux mot outrageant.
Saperlipopette.
… Avait-on idée de donner un mot si long à lire à un enfant de quatre ans ? Non mais.
« Je vais te le lire, » expliqua-t-il, « Et tu pourras ensuite le répéter. Tu crois pouvoir y arriver ? »
Stefan hocha vigoureusement la tête ; et Edward put voir une toute nouvelle détermination se peindre, derrière ses lunettes.
« C’est pas juste, tu l’aides plus que nous, » geint Paul, qui, à force d’appuyer trop fort, avait accidentellement cassé sa mine de crayon sur sa feuille.
« Paul, » soupira Simon, sans même lever le nez de sa feuille de dissertation qu’il ne cessait de remplir à un rythme effréné.
« C’est parce que chuis le préféré, » gazouilla Stefan, décochant à son ainé un large sourire plein de fossettes.
« Trop pas, » grommela Paul, avant de passer un bras autour des épaules d’un Alphonse profondément blasé de sa vie. « De toute façon, moi, j’ai Alphonse. »
« C’est vrai, » concéda le susdit Alphonse, « Mais continue tes exercices, Paul, ou je pars sans toi. »
Edward savait qu’il aurait peut-être dû intervenir. Mais il ne le fit pas ; c’était simplement adorable. Et puis, quelque part, la scène était si… familiale. Et c’était une chose qui lui avait manqué pendant si longtemps. La sensation d’appartenance.
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Jusqu’ici, Alphonse n’estimait pas qu’il y avait de quoi se plaindre. Bien au contraire ; il y avait, dans le chalet, cette sorte d’ambiance familiale dans laquelle il se repaissait tout à fait volontiers. Certes, ce n’était pas idéal pour suivre les cours ; la majorité de ses professeurs n’ayant même pas donné la moindre nouvelle depuis le début du confinement. Certes, cela signifiait aussi qu’il fallait supporter les instants de tensions lorsque les adultes se trouvaient face à un désaccord.
Mais, ça voulait aussi dire qu’il avait beaucoup de temps libre, avec ses parents. Et aussi, avec Paul.
Paul était-
Alphonse ne préférait pas trop penser à ce que Paul était. Il préférait se limiter à l’étiquette de « meilleur ami », parce que, vraiment, ils étaient encore au collège, et il y avait bien assez de temps pour y réfléchir plus tard. Ainsi, donc, Paul était son meilleur ami ; et c’était aussi fantastique que profondément épuisant. Fantastique, parce qu’il était toujours là pour lui, et qu’on ne s’ennuyait jamais, jamais, jamais avec lui. Epuisant, parce que lorsqu’Alphonse disait jamais, ce n’était vraiment jamais, et qu’il n’y avait pas même une minute ou deux pour respirer et se reposer.
C’était encore pire maintenant que quelqu’un avait eu la fantaisie de croire que Paul pouvait rester  e n f e r m é. Il était intenable ; courant partout dans le chalet en poussant des hurlements de guerre, déguisé en Apache ; glissant le long de la rampe d’escalier, au risque de glisser et de se fracturer les côtes, et causant plusieurs crises cardiaques à son pauvre père ; rassemblant les peluches de Stefan, se plaçant en haut de la balustrade du deuxième étage pour bombarder Francis quand il passait en dessous ; gribouillant sur les dissertations de Simon ; faisant des grimaces en arrière-plan lorsque Sylvain était en vidéo-conférence ; coloriant l’intérieur des mangas d’Edward ; lançant une bataille de polochons au beau milieu de la nuit, alors que ses deux frères et Alphonse dormait profondément ; et puis surtout,  s u r t o u t, se lançant dans un concours de pièges désopilants plus audacieux les uns que les autres.
Ça avait commencé assez doucement- aussi doucement qu’il était possible de le faire lorsque Paul était impliqué.
Francis s’était réveillé, le lendemain de l’annonce du confinement, d’une humeur qu’il était assez facile de qualifier de « massacrante ». Paul, en bon samaritain qu’il était, avait évidemment cru que ce serait une merveilleuse idée de se charger lui-même de lui redonner le sourire. Alors, il s’était  n a t u r e l l e m e n t  faufilé dans la chambre des parents d’Alphonse, et, avec beaucoup de soin, avait dessiné, sur le mur, un visage caricaturé de Francis, et avait noté, en dessous, de sa plus belle calligraphie, « à mon futur beau-papa ».
(Francis s’était littéralement étouffé face à ça. Alphonse aussi, d’ailleurs. Il n’y avait eu qu’Edward et Sylvain pour s’esclaffer bruyamment.)
Et puis, les choses avaient escaladé. On retrouvait de la crème à épiler dans les dentifrices ; Edward n’était plus le seul à mettre du sucre à la place du sel dans les plats ; les lasagnes laissées deux minutes sans surveillance se trouvaient baignées dans du vinaigre ; on se réveillait le matin sous les hurlements de Francis qui constatait que quelqu’un avait remplacé sa mousse à raser par du plâtre ; la canne de Sylvain se retrouvait mystérieusement remplie de vers de terre amoureusement ramassés dans le jardin ; les fichiers de Simon se retrouvait étrangement piratés et remplacés par des gifs de chatons trop mignons ;  les pulls en laine d’Alphonse se retrouvait détrempés de paillettes multicolores ; les nounours en peluche de Stefan devenait tout durs, parce que quelqu’un y glissait des briques de lego- et ce n’était que pour citer les plus inoffensives.
Au fond, Alphonse savait que Paul ne pouvait s’en empêcher. Il avait en lui cette insatiable excitation, toujours bourdonnante, toujours à vif ; et il était bien placé pour savoir qu’il peinait bien souvent à la contrôler. Alors, parfois, inévitablement, ça allait trop loin ; et Paul s’en rendait compte trop tard.
Une fois, il avait fabriqué un masque, s’était caché dans le placard, et avait bondi en hurlant face à Edward. C’aurait été n’importe lequel des autres adultes que ça n’aurait pas posé problème. Mais ça avait été Edward. Le britannique avait réagi avec tout le calme possible. Malgré son teint blafard, son expression imperceptiblement décomposée et le tremblement de ses mains, il avait forcé un rire, et il s’était enfermé dans sa chambre. On ne l’avait pas revu de la soirée.
(Du haut de ses onze ans, Alphonse savait que c’était symptomatique de quelque chose. Il n’avait jamais su quoi. Il savait simplement que, parfois, Edward se renfermait sur lui-même, paniquait, ou se muait dans un silence qui durait des jours, et que c’était la faute d’un homme vêtu de rouge qu’il avait connu, autre fois.)
Une autre fois, il avait dispersé des billes un peu partout dans le couloir. Immanquablement, quelqu’un avait fini par tomber, et ça avait été Sylvain. Il avait forcé un sourire, n’avait pas grondé Paul ; mais il avait fallu qu’on l’aide à se relever, et il n’avait pas réussi à sortir du canapé sans aide pendant près de deux jours, comme une marionnette disloquée.
(Paul en avait été mortifié. Il avait passé le reste de la semaine à suivre son père à la trace, l’aidant à marcher quand sa canne ne suffisait pas. Alphonse n’avait aucune idée de ce qui rendait Sylvain si fragile après une simple chute ; il avait demandé à Francis, mais lui non plus n’en savait rien. En fait, Alphonse aurait presque juré que Francis avait presque l’air inquiet pour l’autre adulte. Au point qu’il lui avait même servi une tasse de thé, un matin.)
La dernière fois, celle qui avait été décisive, et qui avait poussé Alphonse à agir, c’était celle qui avait eu lieu trois jours plus tôt. Paul s’était faufilé dans l’une des prairies qui couvraient les flancs de la montagne, se coulant hors du regard attentif des adultes ; et il en avait arraché des tas et des tas de fleurs, pour les réduire en pièce, et faire croire à Stefan que c’était celles de leurs jardins. Alphonse était absolument certain que Paul n’avait pas eu conscience de la cruauté de sa petite plaisanterie ; pas jusqu’à ce que Stefan fonde en sanglot, et demeure inconsolable pendant plus d’une heure, même bien après que Simon lui ait prouvé que les fleurs du jardin allaient parfaitement bien.
Paul, lui, s’était décomposé. Il s’était enfui dans sa chambre, et n’en était pas ressorti de la journée. Pas même pour manger, et Alphonse savait bien que c’était le signe de quelque chose de grave. Bien sûr, Stefan ne lui en avait pas voulu, et s’était contenté de lui écraser une tartine de beurre de cacahuète au visage en guise de vengeance. Et la morosité de Paul s’était évanoui dès l’instant où son cadet lui avait décoché un sourire. Mais Alphonse avait compris qu’il était tant pour lui d’agir.
Comment ? C’était bien simple. Il ne pouvait pas rêver d’être capable d’endiguer la vigueur et l’énergie de Paul ; mais il pouvait toujours agir comme une « force médiatrice », comme l’avait si bien dit Simon.
(C’était d’ailleurs la supplication de l’aîné de la famille qui l’avait convaincu. Simon s’était quasiment mis à genoux devant lui, assurant que, pitié, Alphonse, tu es le seul qu’il écoute un  m i n i m u m, il va finir par nous faire flamber tous ensemble, et Alphonse était parfaitement d’accord avec ça)
Alors, Alphonse ne pouvait pas rêver de stopper Paul dans ses petites farces et attrapes quotidiennes. Mais il pouvait au moins limiter les dégâts. En d’autres termes, cela signifiait qu’il était désormais contraint de se faire complice de la chose, juste pour s’assurer que personne ne meurt dans le processus.
Il avait pris cette décision, trois jours plus tôt.
Il regrettait déjà.
« C’est trop cool qu’on fasse ça ensemble, » roucoulait Paul, perché en équilibre précaire sur une chaise que tenait fermement Alphonse. « On va casser la baraque ! »
« D-du moment que tu dis pas ça littéralement, » couina Alphonse, se décalant de justesse pour éviter une goutte de slim rose pailletée qui tombait de la bassine que Paul s’efforçait de mettre en haut de la porte.
(La bassine avait été une idée d’Alphonse, parce que, de base, Paul voulait utiliser un seau, et Alphonse avait été obligé de lui rappeler qu’un seau en métal sur la tête de quelqu’un pouvait être plus ou moins létal)
« Mais non, tu me connais, » rassura Paul, comme si c’était pas justement un argument contre sa bonne foi.
« C’est bien le problème, » murmura Alphonse, le regard rivé sur la pointe des pieds de Paul qui avaient cru que ce serait une bonne idée de se percher au bout du bout de la chaise.
« Moh, trop mignon, Al’, mais je sais que tu m’aimes, » et Alphonse ne rougit pas du tout, parce que, de toute façon, c’était faux. « Aller, on décampe, où on va se faire choper ! »
Sur ces bons mots, le gosse bondit de sa chaise, atterrissant sur le sol avec un bruit bien sonore qui sembla résonner dans tout le chalet. Puis, il saisit le poignet d’Alphonse, et l’entraîna, avec la chaise, vers le placard le plus proche, pour s’y cacher comme le petit fourbe qu’il était.
« Simon, » fit la voix de Sylvain, au première étage, « Tu veux bien monter voir ce que fais Paul ? Juste pour s’assurer qu’il ne fait rien de dangereux. »
« Comme s’il lui arrivait de ne  p a s  faire quelque chose de dangereux, » soupira la voix traînante de Simon, qui semblait déjà se rapprocher des escaliers.
Alphonse entendit, tout près de son oreille, le gloussement ravi que laissa échapper Paul ; et il le sentit se rapprocher un peu plus de lui, comme pour se coller contre son flanc. Il le laissa faire, parce que, après tout, il n’y avait pas beaucoup de place, dans ce placard. Et qu’importait que le bras de son ami soit venu se placer autour de ses épaules.
Ils suivirent, tout deux, dans un silence plein d’attente, le doux bruit des chaussons de Simon qui montaient, marche après marche ; un bruit d’autant plus audible que tous, y compris les adultes, à l’étage du dessous, semblaient retenir leur souffle.
« Paul ? » appelait Simon, qui semblait déjà las. « J’espère que ce n’est pas une autre de tes plaisanteries. J’ai du trav- »
Il ouvrit la porte leur chambre ; et, aussitôt, il y eut le bruit d’un choc sourd, spongieux, alors que la slim atterrissait sur l’épaule gauche du malheureux adolescent, détrempant sa veste et se gluant à certaines de ses mèches de cheveux.
Il y eut quelques secondes de silence.
« Paul ! » rugit Simon, et Alphonse était certain que c’était la première fois qu’il l’entendait si ingénument outré. « Je te jure que si je t’attrape, ça va barder ! »
« Merde, » fit Paul. « On court ! »
Une nouvelle fois, la main de Paul se referma sur son poignet ; et Alphonse se sentit entraîné derrière lui, jaillissant du placard à sa suite comme deux petits diablotins de leurs boîtes. Immédiatement, Simon sembla se lancer à leur poursuite, de ses grandes enjambées qui émettaient un bruit visqueux chaque fois que son chausson gluant se posait au sol.
Et si dans le joyeux tohu-bohu qui suivit, Alphonse se laissa aller à rire aux éclats… et bien, ce n’était l’affaire de personne.
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« Je vois que certaines personnes ne se foulent pas beaucoup pour aider les autres. »
La seule réponse que Francis reçut, ce fut un soupir agacé et un regard vaguement noir. C’était aussi étrangement passif, parce qu’il n’y avait pas l’habituelle petite remarque bien sentie, que bizarrement abrasif, parce qu’il n’y avait pas de sourire pour atténuer la sévérité du regard. Dans tous les cas, ce n’était pas vraiment ce à quoi il s’était attendu.
Il s’approcha de quelques pas, placardant sur son visage une expression aussi subtilement dédaigneuse que soigneusement désintéressée. De là où ils étaient, au beau milieu du salon, ils pouvaient tout deux entendre les clameurs des enfants et d’Edward, qui s’efforçait, depuis quelques heures déjà, à planter des carottes. Francis avait participé à l’effort, en témoignait la terre qui était venue, à son grand désarroi, se longer sous ses ongles ; mais son merveilleux époux lui avait expressément demandé d’aller voir si tout allait bien du côté de Sylvain, et c’était ce qu’il faisait. A sa manière, et avec sa réticence habituelle.
L’homme était à moitié étendu, sur un fauteuil incliné, pieds sur un petit tabouret, et fixait avec un manque d’enthousiasme certain l’écran de la télévision. Il était manifeste qu’il devait plus ruminer que vraiment faire attention à ce qu’il s’y passait, parce que Francis, du peu qu’il savait de lui, était absolument certain que Sylvain n’était pas du genre à regarder volontairement une rediffusion d’Inspecteur Barnaby.
« Vous pourriez au moins vous lever, et sortir un peu. Vous n’avez pas mis une seule fois le nez dehors, pas même pour aider à faire les courses. Flemmard que vous êtes. »
Nouveau regard, venimeux, cette fois. Francis le vit resserrer ses doigts autour du pommeau de sa canne, comme s’il s’apprêtait à se lever ; et puis, il le vit se renfoncer un peu plus dans son fauteuil, l’expression impénétrable.
« Personne à risque, » l’entendit-il tout juste murmurer, à peine audible, derrière le son de la télévision.
Francis émit un petit grincement moqueur, se laissant tomber sur le canapé avec toute la grâce qu’il était capable d’invoquer. Il était certain que Sylvain essayait très fort de ne pas regarder vers lui.
« Personne à risque, vous ? Mon œil. Vous êtes en pleine forme. Ce n’est pas à cause d’un boitillement que vous êtes plus vulnérable que l’un d’entre nous. »
S’il était parfaitement honnête avec lui-même, Francis aurait pu admettre qu’il savait que, techniquement, Sylvain n’était pas « en pleine forme ». C’était facile à ignorer quand il ne voyait que cinq ou six fois par an ; ces temps-ci, avec la cohabitation forcée, il ne pouvait que remarquer le teint blafard, les petites grimaces, et la raideur des muscles. Et donc, il était curieux. Et donc, il voulait savoir ce qu’il se passait ; mais comme c’était Sylvain, et qu’il ne voulait surtout pas donner l’impression qu’il en avait quelque chose à foutre, il jouait la carte de l’insulte évidente.
Et ça fonctionnait, en plus. La mâchoire de son interlocuteur s’était crispée, et ses doigts s’étaient mis à tapoter nerveusement sur le pommeau de sa canne.
« Ce n’est pas une simple question de boitillement, Francis, et je crois que tu le sais parfaitement. »
« Ah oui, vraiment ? Parce que, de mon point de vue, il me semble que c’est surtout vous qui exagérez les choses pour en faire le moins possible. »
« Je te demande pardon… ? »
« Oh, mais je vous comprends, bien sûr. C’est infiniment plus simple de laisser ses enfants faire tout le travail, pendant qu’on se la coule douce devant la télévision à longueur de journée. »
« Francis, je crois que tu serais bien avisé de fermer ton clapet. »
« Excusez moi d’exprimer mon opinion. Je trouve simplement qu’il est juste honteux de se servir de ses enfants, dont un garçon de quatre ans, pour accomplir les tâches ménagères chez soi, et- »
« J’ai un cancer, Francis. »
Silence.
Francis écarquilla les yeux, et se tut tout net, pas tout à fait certain d’avoir bien entendu. Face à lui, Sylvain poussa un nouveau soupir, profondément morose, et leva sa main droite à son visage. Fatigué, malgré son jeune âge. Il semblait regretter d’avoir seulement ouvert la bouche ; quelque part, Francis pensait que c’était parce qu’il l’avait gardé pour lui trop longtemps.
Il le vit s’humecter les lèvres. Appuyer le dos de sa tête contre le dossier de son fauteuil, et fixer l’écran de télévision avec une expression si lasse et si vide qu’il peinait, tout simplement, à le reconnaître.
« Ça avait commencé dans les poumons, il y a quelques années de ça. Un peu après la naissance de Paul. Je m’en suis rendu compte un peu trop tard, tu vois- le comble, c’est que c’est Simon qui m’a alerté. Il m’entendait tousser la nuit, je crois. Il a fallu que je me fasse opérer, tu t’en doutes bien. Et puis, ce sont mes articulations qui ont commencé à me faire mal. Il paraît que c’est normal, chez les adultes de plus de trente ans. La formation de… de métastase, dans les os. C’est traitable, et, par ailleurs, je le suis, ce traitement. Mais c’est assez difficilement supportable, certains jours. »
Il le vit grimacer, légèrement. Sa main se resserra sur l’accoudoir où elle reposait. Il n’ajouta rien, mais Francis sentait parfaitement le ressentiment qu’il dirigeait vers lui. Silencieux, mais tangible. Ça aurait n’importe qui d’autre que Francis aurait pu ressentir de la compassion à son égard.
« Edward le sait ? »
Sylvain eut un drôle de petit rictus. Presque triste, surtout amer. Il secoua simplement la tête.
« Vos enfants ? »
Une nouvelle fois, il secoua la tête. Francis serra les poings.
« Et vous me le dites, à moi ? Bon dieu, Sylvain, je savais que vous étiez stupide. Mais cela frise des records. »
Et voilà que Sylvain tournait la tête vers lui. Avec ce regard particulier que Francis détestait. Celui qui semblait trop en savoir, qui était trop âgé, et qui semblait se moquer du monde alentour. Un pétillement qu’on pourrait croire joyeux, mais qui était cynique.
« Je sais que toi, tu n’en auras rien à foutre. »
Francis sentit ses propres ongles se planter dans la peau tendre de ses paumes ; il grinça des dents, et se redressa, juste pour toiser Sylvain de toute sa stature. L’autre homme se contenta d’hausser un sourcil très peu impressionné.
« Alors, quoi ? Vous n’allez jamais le leur dire ? Vous allez simplement les laisser trouver votre cadavre, ou recevoir votre avis de décès ? »
Avec une nonchalance que Francis haït profondément, Sylvain plongea une main dans la poche intérieure de sa veste, pour en sortir son étui à cigarette. Il en coinça une entre ses dents. Francis aurait voulu la lui arracher.
« Il n’y aura ni cadavre, ni avis de décès, » affirma Sylvain. « Et si je ne leur dis pas, c’est pour les préserver et les protéger. Ils n’ont pas besoin d’avoir à s’inquiéter pour moi. Je fais ce qu’il faut pour me soigner, et je ne mourrais pas. »
Son regard se fit presque absent ; il alluma le bout de sa cigarette, comme un automate, secouant tout doucement la tête. La voix plus douce encore, alors qu’il répétait, comme pour se convaincre lui-même :
« Non, je ne mourrais pas. »
Francis déglutit ; et, avant même qu’il ne puisse s’en empêcher, il sentit sa bouche qui s’ouvrit, et les mots qui se formèrent.
« Vous n’avez pas intérêt, non. »
Sylvain lui adressa un drôle de regard. Un regard rieur, un regard narquois, mais, surtout, un regard qui ne parvenait pas à se détacher de la profonde stupéfaction qui était venu le hanter. Il le contempla de la tête au pied. Et puis, comme l’insupportable animal qu’il était, il rit.
« Eh bien, ma parole ! Il semblerait que tu en ais quelque chose à foutre, après tout. »
« Non, » répliqua immédiatement Francis, et il fut lui-même surpris de la facilité avec laquelle les mots lui vinrent. « Pas moi. Mais Edward, oui. »
Et le voilà enfin, l’habituel sourire. Il ne lui avait pas manqué ; mais Francis admettait que c’était tout de même plus naturel, quand il était là. Il fit semblant de ne pas remarquer la petite tournure presque amicale qu’il avait pris.
« Ah, Francis, je crois que je n’ai jamais autant détesté quelqu’un que je te déteste toi. Mais en ce qui concerne Edward, tu es tout simplement parfait. »
« J’essaye de l’être, » souffla Francis, du bout des lèvres.
« Et tu as intérêt, » conclut gaiment Sylvain. « Je m’en voudrais de devoir venir pratiquer une petite trépanation sur cette masse épaisse qui te sert de crâne. Maintenant, si tu le permets, j’aimerai terminer de regarder ce  p a s s i o n n a n t  épisode de je ne sais trop quelle série vieillie sans avoir à subir ta présence. »
« Bien sûr, » fit Francis, retrouvant avec aisance le ton mielleux et condescendant qui le caractérisait. « Pour ma part, je préféré encore passer mon après-midi avec les mains plongées dans la terre et les vers de terre, plutôt que passer une seconde de plus en votre compagnie. »
« Il va de soi. »
« Evidemment. »
Francis esquissa quelque pas vers la porte vitrée qui menait à leur petit potager improvisé. Un instant, il s’arrêta, jeta un regard en arrière. Il rouvrit la bouche, comme mu par l’impulsion d’ajouter quelque chose, n’importe quoi. Il ne le fit pas. Il la referma, cette bouche ; et, sans un mot de plus, il sortit, laissant Sylvain seul avec ses pensées.
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Simon était, qu’on se le dise, las. Ce n’était certainement pas une nouveauté, et, vraiment, il en était parfaitement conscience. Il était naturellement las de vivre, pour des myriades de raisons qu’il ne voulait jamais partager- ce fardeau était le sien, et il le conservait, merci bien.
Seulement, cette lassitude là était tout autre. Elle était bien plus de nourrie d’agacement que de fatigue et de découragement. C’était la lassitude d’un adolescent qui avait toujours eu un espace attribué, sa chambre. Un havre de paix pour échapper à la compagnie de sa chère mais bruyante famille. La lassitude d’un adolescent qui avait accepté de passer une semaine, une seule, dans la même chambre que quatre enfants, et qui s’était trouvé confiné avec eux pour un temps indéterminé. Et c’était… atroce.
Simon aimait être plongé dans le noir complet, quand il dormait. Mais Stefan était tout petit, et il avait peur du noir. Alors, il fallait garder une veilleuse ou une lampe toujours allumée, et Simon en était réduit à fixer le plafond pendant des heures en attendant que les petits points de fatigues qui envahissaient ses yeux le plonge complètement dans le noir.
Simon aimait s’étaler dans son lit deux places, parce qu’il bougeait beaucoup, la nuit. Mais ils n’avaient qu’une chambre pour quatre, et donc, cela signifiait des lits superposés. Et puisqu’évidemment, Paul avait voulu du même côté qu’Alphonse (pour mettre des coups de pieds sur le matelas du dessus, ou pour clamer que, techniquement, ils dormaient dans le même lit, c’était dur à savoir), et bien, Simon était coincé avec Stefan. Et Stefan était trop petit pour le lit du haut. Et donc, Simon passait ses nuits raides comme un piquet, perturbé par la pensée irrationnelle qu’il puisse trop gigoter et tomber.
Simon aimait le silence et la sérénité, pour qu’il puisse enfin se détendre et laisser échapper ses pensées tourmentées. Mais Paul avait la fâcheuse habitude de dormir sur le dos, et ronflait comme il n’était pas permis de ronfler. Alors, Simon en était réduit à se planter des bouchons d’oreilles dans les tympans dans l’espoir de bloquer le bruit tonitruant.
Simon aimait, tout compte fait, quand il pouvait dormir la nuit. Cependant, outre tout ces petits détails dérangeants, il y avait aussi la possibilité non-négligeable que Paul décide que c’était le moment parfait pour faire chier son monde, et lance, 1- Une bataille de polochon, 2- Des bombes puantes fabriquées avec les bouses de vache du voisin, 3- Des paillettes, 4- Un cri de guerre tout contre son oreille.
Alors, oui. Simon était las. Et cela faisait des semaines qu’il n’avait pas dormi comme il le voulait. Et ce soir, il était trois heures quarante-deux du matin ; et il n’avait toujours pas fermé l’œil de la nuit. Soigneusement coincé dans le cocon de sa couverture, pour être sûr que toute nuisance extérieure (Paul) ne puisse l’atteindre. Les yeux grands ouverts, alors qu’il comptait, sans pouvoir s’en empêcher, les ronflements de son frère cadet, les grincements des matelas, des lits, et les craquements des poutres du chalet.
Il était parfaitement réveillé ; et c’est sans doute pour ça qu’il réagit immédiatement quand une petite main se posa sur le tas informe qu’il formait. Son premier réflexe fut de réprimer un arrêt cardiaque ; son deuxième fut de laisser poindre un regard aussi bigleux que noir, pour le darder sur l’impudent qui osait venir perturber son nom sommeil.
« Paul, je te jure que- »
Et puis, il réalisa deux choses, au même moment. La première, ce fut qu’on entendait encore très bien les ronflements gutturaux du susdit Paul. La deuxième, ce fut que le gosse qui se tenait face à lui, c’était Stefan. Tout ébouriffé, la main gauche serrée sur la patte de son ours en peluche, l’autre agrippé à la couverture de Simon. Le regard très large, parce que lui non plus, sans ses lunettes, ne voyait pas grand-chose.
Il y eut quelques secondes de silence. Si ça avait été Paul, Simon l’aurait sans doute déjà jeté hors de son lit, et lui aurait probablement adressé une soufflante bien sentie ; Stefan, c’était différent. Sans doute parce qu’il était plus petit, et que lui, au moins, ne venait pas casser ses burnes sans bonne raison.
Et puis, sans rien ajouter, le marmot se faufila sous sa couette, et vint s’accrocher à lui.
« Cauchemar, » l’entendit-il articuler.
Simon soupira. Comme toujours. Se collant contre le mur, pour laisser suffisamment de place à l’intru. S’il n’était pas aussi fatigué, il admettrait sûrement qu’il était flatté que ce soit lui que Stefan soit venu voir ; mais il était fatigué, et il ne parvenait pas à se détacher de son lointain désespoir de ne pouvoir être tranquille, pas une minute.
Peut-être qu’il devrait demander à Père s’il pouvait dormir avec lui. Ce serait sûrement vachement mieux.
Où sur le canapé du salon. C’est bien, le canapé du salon.
« Ah, » s’entendit-il articuler, la tête retombant mollement sur son oreiller, alors qu’il émergeait de son armure de tissu. « Et je suppose que tu veux dormir avec moi ? »
Stefan ne répondit pas, mais il le sentit distinctement hocher la tête de l’endroit où il était. Nouveau soupir ; résigné, il leva les yeux, et les fixa, pour une énième nuit, sur le plafond. Il y eut de nouvelles minutes de silence, comblées par le ronflement délicat de Paul. Et puis, d’une toute petite voix, Stefan reprit.
« C’est l’homme rouge. Veut pas me laisser trankil. »
Simon leva mollement la main droite, tapota paresseusement la tête de son petit frère. C’était le seul geste rassurant qu’il était capable d’invoquer, actuellement.
« Il n’y a pas d’homme en rouge, Stefan. Et, quand bien même, on ne le laissera pas te toucher. »
« Des fois, » continua Stefan, comme s’il ne l’avait pas entendu, « Je suis pas moi. Dans les cauchemars. C’est bizarre. Je vole, et boum, je suis plus là. »
Quelque part, dans son esprit embrumé, Simon savait que ce n’était pas le genre de rêve que devrait faire un enfant aussi jeune que Stefan. Il ne parvint pas à se focaliser sur cette idée ; ses yeux restaient grands ouverts, mais il se sentait glisser, enfin, dans ce sommeil qu’il avait tant attendu. C’est à peine s’il écoute ce que Stefan continue à lui dire.
« Y’a les yeux bleus, aussi. Des fois en haut, des fois en bas, mais y’a du bleu partout, et moi je suis rouge. Je veux descendre et je peux pas. Et personne m’écoute quand je parle. »
Simon ferma les yeux, laissant échapper un petit soupir d’aise. Sa main s’est immobilisée sur le haut du crâne de Stefan ; l’enfant ne cherche pas à se dégager. Il eut vaguement conscience du regard qui ne le quittait pas. Il s’endormit avant d’entendre ce que son petit frère ajouta, tout bas, comme pour lui-même.
« Personne m’écoute, et pouf, je disparais. »
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Ça faisait quelques jours, maintenant, que Francis sentait la crise arriver. C’était impalpable, c’était dans l’atmosphère, comme une fatalité inéluctable. C’était dans le regard vide qu’avait Edward en contemplant ses feuilles blanches. Ses immobilités soudaines, alors qu’il faisait la vaisselle, et qu’il se trouvait subitement à contempler la mousse qui fleurissait dans l’évier, comme foudroyé sur place. C’était dans ses sursauts au moindre son trop fort, ses regards moroses quand il observait le monde, dehors. C’était dans les cauchemars qui se faisait plus fréquents, les souvenirs que Francis sentait remonter, mais qu’Edward taisait, soigneusement, comme si ça pouvait les effacer.
Presque trois mois, maintenant, qu’ils étaient enfermés. Qu’ils ne sortaient jamais, si ce n’est pour faire les courses. Et évidemment- évidemment que c’était inévitable. Inévitable que Lui, et ses souvenirs qui hantaient Edward, ne finisse par le rattraper.
Lorsque ça arriva enfin, Francis était dans le jardin. Il arrosait les plantes, aidé par Stefan qui s’efforçait de tenir son tout petit arrosoir. L’enfant l’agaçait, mais Francis était prêt à le tolérer. Parce qu’il était toujours très silencieux quand il jardinait, comme si c’était une affaire au moins aussi sérieuse que celles qui pouvaient être traitées dans le Pentagone.
Et puis, Sylvain était sorti. Ils n’avaient pas eu besoin d’échanger le moindre mot. Un regard suffit. Sylvain avait le front plissé d’inquiétude ; il était sorti, et c’était lui qu’il venait voir. S’il y avait une chose sur laquelle les deux hommes pouvaient au moins s’accorder, c’était Edward.
Il lâcha son arrosoir, et se dirigea immédiatement vers la porte d’entrée.
« Où est-il ? »
« Dans votre chambre, » répondit immédiatement Sylvain, parce que, visiblement, il s’attendait déjà à cette question.
Francis hocha la tête ; et c’est tout juste s’il ne monta pas les marches de l’escalier quatre à quatre. Sans surprise, la porte de la chambre était ouverte ; c’était le silence qui y régnait qui l’inquiétait. Il s’arrêta un instant sur son pas, inspira profondément. Il sentait son cœur qui battait contre sa poitrine, affolé ; il savait qu’il devait impérativement être calme, et composé.
Et puis, il entra.
La pièce était plongée dans la semi-pénombre. Les volets étaient fermés ; mais ils étaient vieux, et laissaient, malgré tout, filtrer la lumière du jour et du soleil éclatant de ce début d’après-midi. C’était à peine si on distinguait la silhouette d’Edward. Assis à même le sol, contre le mur, la tête plongée dans les bras, et les épaules agitées de tremblements incontrôlables. Il respirait, mais il respirait mal. Par à-coup, saccadé.
Francis déglutit. Tout doucement, précautionneusement, il s’approcha ; puis, il s’agenouilla en face de lui. Ne le toucha pas. Pas encore.
« Chaton ? »
Il l’entendit distinctement inspirer un grand coup. Une respiration tremblante, comme un noyé sortant enfin la tête de l’eau. Ses doigts se crispèrent un peu plus sur ses avant-bras. Il ne leva pas les yeux.
« Je vais bien, Francis, » l’entendit-il articuler, d’une voix qui était si minuscule et si timide qu’on aurait eu peine à croire qu’elle venait vraiment de lui. « Je sais que je vais bien. Je devrais. »
« Tu es en sécurité, » admit Francis, lui-même surpris de la douceur de sa propre voix. « Mais ça ne veut pas nécessairement dire que tu dois aller bien. »
Edward déglutit ; le tremblement qui l’agita sembla l’ébranler tout entier. Il leva juste un peu la tête ; juste assez pour que Francis puisse croiser ses yeux. Grands yeux verts détrempés de larmes qu’il versait en silence. Un animal blessé qui se recroqueville sur lui-même. Il lui fallut réunir toutes ses forces pour ne pas immédiatement le prendre dans ses bras.
« J’allais mieux, » souffla-t-il, comme désespéré, comme brisé, et Francis se sentit renvoyé, avec une force vivide, au jour où Edward était monté pour la première fois dans sa voiture.
« Tu vas mieux, » corrigea-t-il, juste assez ferme pour ne pas laisser de place au doute. « Il y aura toujours des hauts et des bas, mais tu as déjà fait tant de chemin… ! »
Edward secoua vaguement la tête. Lentement, imperceptiblement, comme l’illustration d’un déni si profondément ancré qu’on peinait même à imaginer pourquoi il y avait besoin de le montrer ostensiblement. Mais son regard ne quittait pas celui de Francis. Une supplique silencieuse qu’il était trop fier pour prononcer à haute voix.
« Est-ce que tu m’autorises à te toucher… ? » murmura Francis, s’avançant juste un peu plus, s’efforçant de ne pas mordre sa lèvre inférieure.
Une minute passa. Silencieuse, tranchée par la respiration hachée d’Edward. Et puis, il hocha la tête, et Francis laissa échapper un souffle qu’il n’avait pas eu conscience d’avoir retenu. Ce fut avec beaucoup de précaution qu’il tendit la main. La posa, dans un premier temps, sur l’épaule de l’anglais ; et, enfin, lentement, doucement, il l’attira contre lui. Sans jamais appuyer, sans jamais forcer, parce qu’à tout instant, Edward devait sentir qu’il pouvait dire non, devait sentir qu’il pouvait se dérober et se reculer.
Il ne se déroba pas, il ne se recula pas, il ne dit pas non. Son front se posa contre le torse de Francis, et ce fut comme si, instantanément, une infime partie de la raideur de ses épaules s’effaçait, s’étoilait. Et le silence s’éteint enfin, parce qu’enfin, il relâchait la prise de fer qu’il s’était imposait, et s’autorisait à sangloter. Francis n’ajouta plus rien, pendant quelques minutes. Il le tint contre lui, précieusement. Passant ses doigts dans les cheveux blonds, un geste répétitif et soigné. Une ancre dans la réalité, un signe de sécurité et de bienveillance.
Et puis, enfin, alors que les sanglots semblaient s’espacer, s’apaiser, il s’autorisa à rouvrir la bouche, reprendre la parole.
« Tout va bien, » souffla-t-il. « Tout ira bien. Tu guéris un peu plus chaque jour. »
Et, lorsqu’Edward laissa échapper un petit souffle tremblant, Francis sut que, quelque part, c’était bien une promesse qu’il venait de lui faire. Et qu’il soit damné s’il ne faisait pas tout pour la tenir, quoiqu’il lui en coûte.
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Faire les courses en temps de crises, c’était véritablement quelque chose de particulier. Tous ces visages masqués, ces gens qui restaient à plusieurs mètres de vous comme si vous aviez la peste. Cette sensation que, parce que vous êtes dehors, vous êtes-vous-même promis à une mort précoce. Francis gardait un souvenir particulièrement vivide de cette dame d’âge avancée qui avait fait un très large détour en arrivant près de lui, et qui avait même mesuré la distance qu’il y avait entre eux au moyen de sa canne.
Qu’on se le dise, si c’était, effectivement, une ambiance particulière, c’en était surtout une qui ne gênait pas Francis. Pas le moins du monde, même ; c’était enfin l’occasion d’éviter les attroupements à l’entrée d’Auchan, et la populace qui grouillait entre les rayons. Aussi, lorsqu’il avait été désigné pour ravitailler la petite communauté, il avait été plutôt ravi. On ne crachait pas une occasion de sortir en toute légalité.
(Contrairement à Paul qui, il ne le savait comment, avait convaincu Alphonse de sortir, la semaine dernière.)
(Sans masques.)
(Sans attestations.)
(Ils s’étaient fait arrêtés par la police, et c’était la première fois que Francis avait vu Sylvain  v r a i m e n t  gronder l’un de ses enfants.)
(Inutile de dire qu’Alphonse en avait pris pour son grade, lui aussi.)
Et puis, on lui avait demandé d’emmener Stefan avec lui, et Francis avait été juste un peu plus reluctant. Il n’avait rien contre l’enfant, si ce n’était qu’il le trouvait idiot, agaçant, et qu’il ne pouvait pas supporter son père. Mais il n’avait pas spécialement envie de passer du temps avec lui. Surtout dans un lieu public.
Il s’appliquait donc à faire de son mieux pour prétendre que Stefan n’était pas là, tout en s’assurant qu’il ne risquait pas de le perdre dans les rayons. Ainsi, il l’avait tout à fait logiquement collé dans le caddie, sur le siège prévu pour les enfants, et se concentrait sur sa liste de course sans lui adresser plus de regard que nécessaire.
Il devait l’admettre, le môme était plutôt sage. Il tétouillait la patte de son ours en peluche, silencieux. Sûrement qu’il sentait que Francis ne l’aimait pas, et qu’il se doutait que la moindre scène ou caprice qu’il pourrait être tenté de faire se verrait soldé par une solide réprimande.
Francis en était même venu à simplement oublier qu’il était là. Jusqu’à ce qu’au retour, en fait, vers la voiture.
Il poussait tranquillement le caddie, sortant du supermarché avec tous ses sacs de cours. Toisant les gens qui s’approchaient trop près de lui, avec tout son merveilleux dédain et son merveilleux mépris. Et puis, il avait vu une voiture qui roulait face à eux, dans l’allée, et qui ne semblait pas déterminée à ralentir- et il avait accélérer pour se mettre à l’abri.
Et Stefan avait ris.
Un petit gloussement, à peine audible, alors qu’il s’accrochait au bord du caddie, le visage transfiguré par un ravissement éphémère. Et Francis- Francis se rappela, juste un instant, ce que ça faisait d’être un enfant, et de se retrouver dans un caddie qu’un adulte poussait à toute vitesse. L’espèce d’euphorie gamine, la sensation de vitesse. Il avait toujours adoré ça.
C’est sans doute pour cela qu’il recommença. Juste par curiosité. Accélérant le pas, presque au point de courir. Stefan eut exactement la réaction à laquelle il s’était attendu ; il rit, de nouveau, plus franchement, plus sincèrement.  Un rire de gosse. Pour la première fois depuis le début de leur petite sortie, il leva les yeux vers lui, et lui sourit. Le regard illuminé de petite bulle de joie, derrière les larges verres de ses lunettes.
Alors- Alors, Francis accéléra de plus belle. Et, avant qu’il n’en prenne vraiment conscience, ils couraient un peu partout dans le parking ; et il souriait, et il riait aussi, juste un peu, comme il avait pu le faire avec Alphonse quand il avait l’âge de Stefan. Et le gosse gloussait, mimait des bruits de voiture de course, tendait les bras pour pleinement profiter de la vitesse.
Ça ne durerait qu’un instant, bien sûr. Quelques minutes. Mais peut-être qu’au fond, ça aurait une importance. Et peut-être même que ce n’était pas plus mal.
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« Eh bien, » fit Edward, « Ce ne fut pas si long que cela, n’est-ce pas ? »
« Ne dis pas ça, » grimaça Sylvain, « Qui sait ce que tu pourrais provoquer. »
« Evite d’invoquer un deuxième confinement, chaton, » renchérit Francis. « Un fut bien assez. »
Edward roula dramatiquement des yeux, chargeant sa valise dans le coffre de leur voiture. Derrière eux, Alphonse semblait pris dans un au revoir larmoyant avec Paul, visiblement peu heureux de laisser partir la proximité quotidienne à laquelle ils s’étaient tout deux habitués. Lui-même, pour tout dire, se sentirait presque mélancolique, à l’idée de devoir reprendre le cours de son quotidien.
Presque. Rien ne pouvait valoir le calme d’un après-midi face à son manuscrit, sans bruit de disputes entre deux hommes, et sans apparition du diablotin hyperactif.
Mais il s’était habitué à une forme de proximité, de cocon familial étendu, de camaraderie constante. Et il savait que, pour quelques semaines, la maison lui semblerait bien vide.
Il referma le coffre, un claquement sonore qui sembla sonner comme un rideau de fin de spectacle. Puis, il se tourna vers Sylvain et Simon, debout côte à côte, parce qu’évidemment que ces deux-là avaient déjà préparé et rangé toutes leurs affaires.
« Eh bien ! » s’exclama Sylvain, se redressant un peu, largement appuyé sur sa canne. « Je crois qu’il est temps, pour nous, de se dire au-revoir. »
Edward hocha légèrement la tête ; et, à sa très grande surprise, Francis le battit en vitesse, en tendant la main vers l’autre homme.
« En effet, » dit-il. « Et je suppose que je peux uniquement vous souhaiter de prendre soin de vous. »
Il sembla y avoir comme un accord muet, entre les deux hommes. Quelque chose qui échappait à Edward, et qu’il n’était sans doute pas supposé pouvoir comprendre. Ils se serrèrent la main ; et, sans un mot de plus, Francis monta dans la voiture.
« Uh, » lâcha Edward, clignant des yeux, face au sourire rieur de Sylvain. « Eh bien, au moins, vous êtes parvenu à devenir civils l’un envers l’autre. »
« Je sais, » roucoula Sylvain, parce qu’évidemment qu’il allait en profiter pour être aussi dramatique que possible. « Ce ne fut pas sans effort, sans concessions drastiques qui ne coûta tout deux beaucoup. Sans compter un épisode de Barnaby. »
« Je ne veux pas savoir, » fit judicieusement Edward. « Je contente de me réjouir du résultat. Qui sait, peut-être qu’un jour, vous serez même ami. »
« Qui sait, » rit Sylvain, qui, manifestement, n’y croyait pas du tout. « Dans tous les cas, je te souhaite un très bon retour chez toi. Tu nous manqueras. »
Et que pouvait-il répondre, à ce genre de sincérité ? Rien, vraiment. Il hocha simplement la tête, et se laissa entraîner dans une brève étreinte. Très vite rejoindre par Stefan, qui s’accrocha à sa jambe droite, et Paul, qui se jeta pratiquement sur son dos.
« Bye bye, oncle Ed’, » gazouilla Paul. « T’façon, on se connait, on sait que le week-end prochain, tu seras à la maison à prendre le thé avec Papa. »
« On verra ça, » rétorqua Edward, comme s’il ne savait pas que l’enfant avait parfaitement raison. « Essaye de ménager ton pauvre père, tu veux ? »
« Evidemment, » promit Paul tout sourire.
« Si seulement, » soupira Sylvain. « Au revoir, Edward. »
Edward se fendit d’une courbette un peu dramatique, que Sylvain lui rendit bien ; puis, après avoir ébouriffer une dernière fois les cheveux d’Edward, il se détourna, et monta, à son tour, dans la voiture. Manifestement, Alphonse s’était déjà glissé sur le siège arrière, le regard glué à la silhouette de Paul, à qui il ne cessait de faire des signes de mains.
« Et bien, » remarqua Francis, tournant la clé de contact, « C’est fini. »
« Oui, » répéta Edward, pensivement. « C’est fini. »
« Jusqu’à la prochaine fois…~ »
« Ne parle pas de malheur, Francis. Ne parle pas de malheur. »
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
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Take a break (you idiot) [Human!AU - Etudiants]
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Disclaimer : Juste un petit texte écrit en confinement, avec un peu de bonne vibe et d’amitié entre deux personnages. Il peut absolument être lu indépendamment du reste. Je ne les mets pas en pairings, mais il y a des mentions de Probet et de Messaging Services. Merci, comme toujours, à @mimmixerenard​ pour le dessin ! (trop de talent en cette personne, comment ça se fait que l’entièreté de Tumblr ne soit pas déjà abonné à iel) Bonne lecture !
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Tumblr media
Alphonse était au bout de sa vie. Ce n’était pas un euphémisme. Pas tout à fait. Il n’y avait pas une once de son être qui n’était pas épuisé au-delà du raisonnable. Il n’y avait pas une portion de son esprit qui n’ait pas sombré dans un magma de fatigue et de lassitude. Ses nuits, il les passait à plancher, avec toute l’abnégation qu’il fallait, sur ses cours ; ses journées, eh bien, il les passait en cours. Scotchés à son écran, visio après visio, café après café, alors qu’Alphonse haïssait le café. Et puis, le soir, pas de répits non plus. Il enfilait un tablier, il enfilait son uniforme, et allait servir des Happy Meal dans le McDo du coin, client après client, frites après frites, rentrant chez lui à des heures innommables, puant la friture, pour boucler sa dernière dissertation.
Et aujourd’hui, eh bien, aujourd’hui, Alphonse était aussi vif et éveillé qu’un cadavre. Mais ce n’était pas grave. Il n’était pas le seul dans cet état. Et puis, s’il ne pouvait pas sortir, parce qu’il y avait toujours un virus en liberté, il n’avait pas à regretter le temps libre qu’il aurait pu avoir. Avec Paul, par exemple. Paul, qui logeait à l’autre bout de la ville, en colocation avec son plus jeune frère, et qui avait un peu trop tendance à braver couvre-feu et confinement pour faire le con. Et par « faire le con », Alphonse voulait en fait dire, « sortit illégalement et sans attestation pour venir grimper par son mur et s’infiltrer dans son appartement au beau milieu de la nuit, quitte à surprendre Maxime et se retrouver assommé par un coup de poing méthodique et bien placé ».
Maxime, c’était son colocataire. Et si Maxime était très agréable et très amical avec le petit frère de Paul, et bien, le grand frère, c’était une autre histoire. Parce que Paul avait tendance à lui sauter dessus sans prévenir, et on se sautait sur Maxime pas sans prévenir. Déjà, parce qu’il ne vous entendait pas venir et que c’était pas vraiment très courtois, et, surtout, parce qu’il se défendait un peu trop bien et un peu trop vite.
Enfin. Maintenant, leur fenêtre était verrouillée, renforcée de petits barreaux parce que, la dernière fois, Paul avait explosé la vitre, et Maxime n’avait pas aimé  d u   t o u t, et Alphonse n’avait plus d’excuse pour prendre des pauses, puisque son seul et unique hobbies n’avait pas encore trouvé de moyen de s’infiltrer illégalement chez lui.
Il supposait qu’il pouvait toujours faire quelques appels vidéo, mais, eh bien, faire des appels vidéo avec Paul, c’était… c’était.
Et puis, ce n’était pas grave. Il avait du travail. Il n’avait pas le temps. De toute façon, Paul ne ferait que l’épuiser plus encore.
Enfin. Pour le moment, Alphonse en était à un point d’épuisement critique. C’était bien simple : à tout moment, son âme pouvait se détacher de son corps, et voler, libre, par sa fenêtre verrouillée, et il laisserait son corps vidé derrière lui, contemplant sa caméra d’un regard terne. Une coquille creuse, voilà ce qu’il serait.
Ou ce qu’il aurait été, si, au beau milieu d’une démonstration particulièrement complexe de son professeur sur les degrés de lectures de La Bibliothèque de Babel d’un certain Borges, Maxime n’avait pas calmement refermé son écran, après avoir souplement surgit devant lui dans le plus grand des silences. C’eut le mérite de tirer Alphonse de sa torpeur, qui sursauta sur son siège de bureau en arrachant ses écouteurs.
« Maxime, mais qu’est-ce que tu fais ? » piailla-t-il, dardant sur son colocataire un regard qui se voulait réprobateur.
Peu impressionné, l’autre homme arqua délicatement son sourcil gauche. Si parfaitement agaçant, avec ses cheveux impeccables et ses vêtements casuellement élégants. Et puis, il esquissa un fin sourire, laissant sa longue main glisser de l’ordinateur qu’il venait si simplement de mettre en veille.
« Ce que tu n’as pas l’air d’avoir conscience… de devoir faire, » répliqua-t-il, voix douce, courtoise, amicale. « Rassure-toi… je viens en paix. »
Il faisait bien de préciser. Ce n’était pas qu’Alphonse était en mauvais terme avec lui. Au contraire, il considérait Maxime comme son meilleur ami – ce qui, tout compte fait, n’était pas nécessairement incroyable, parce qu’Alphonse n’en comptait pas vraiment beaucoup, d’amis. Mais, enfin, eh bien, l’autre était assez particulier, en plus d’être une irritante image de perfection vivante. Ce qu’il voulait dire, c’était que, parfois, Maxime avait un regard aiguisé, perçant et sans merci, et qu’il était souvent difficile de savoir ce qu’on avait fait pour se faire empaler par tant d’acuité oculaire.
Visiblement pour prouver sa bonne foi, Maxime déposa devant lui une large tasse de laquelle se dégageait des effluves d’orange et de cannelle. Et une assiette de petit gâteau. Comme si c’était le genre de chose que Maxime pouvait préparer pour Alphonse. Est-ce que Stefan avait trouvé un moyen d’entrer ? Que se passait-il ?
« Maxime, » soupira Alphonse, frottant énergiquement ses lourdes paupières. « Ce cours est important. »
« Et ce cours, cher colocataire imbécile… » rétorqua poliment le grand blond, « Est enregistré. Il peut donc attendre… quelques secondes. Toi, en revanche… Tu n’es qu’un pâle ersatz d’être humain. Regarde toi… ! Je ne crois pas que Stefan lui-même… ait déjà eu l’air si fatigué. Alors, pour la bienséance de mes yeux, qui, je te l’assure… n’éprouve nul besoin d’être gracié par la vision de décadence éreintée que tu offres… je te prierai d’avoir l’amabilité de cesser d’être un idiot fini, et de te reposer. »
« Mais, » commença Alphonse.
« Et j’ai détruit la machine à café, » compléta Maxime, posément. « Ne m’oblige pas… à glisser des somnifères dans ton repas de ce soir. »
Alphonse se tassa misérablement dans son siège. C’était vrai que, techniquement, Maxime avait raison. Mais- mais non, rien, c’était tout ce qu’il y avait à dire. Et il le savait. Ils le savaient tout deux. Alphonse avait déjà perdu la joute verbale, avant même que Maxime n’ait amorcé son mouvement.
Son colocataire se fendit d’un sourire indulgent, et lui tapota aimablement l’épaule. Puis, il tira un minuscule calepin de la poche de sa chemise, d’un geste si fluide que c’en était un complexe pour le reste de l’humanité à lui tout seul, et en feuilleta quelques pages, l’expression tout à fait sérieuse.
« … Bien, » murmura-t-il, comme pour lui-même. « Selon mes notes… tu es attendu à ton travail pour vingt heure trente précise. Ce qui signifie que tu partiras d’ici… dans six heures, pour être à l’heure. Par conséquent, tu as le temps de te reposer. Je ne veux pas te voir travailler du reste de l’après-midi, Alphonse… je t’ai à l’œil. »
« Attend, tu gardes un planning ? » souleva judicieusement Alphonse, qui tout à sa défaite, était déjà occupé à tremper l’un des petits gâteaux dans son thé.
« Absolument, » répondit Maxime, ton docte et regard vaguement amusé. « Si tu n’es pas capable de prendre soin de toi… seul… et bien, il faut que quelqu’un le fasse pour toi. Bois ce thé. »
C’était dit sur le ton de l’aimable suggestion, mais formulé comme un ordre sans appel. Docilement, Alphonse saisit la tasse de thé, et en but une gorgée. Maxime eut l’air satisfait.
« Dorénavant, » reprit son colocataire, « Je veux te voir prendre des pauses régulières. Au moins cinq heures de sommeil… par nuit. A cela s’ajoute… deux ou trois heures de pauses… tous les jours, également. On ne travaille pas non plus… en mangeant. »
Il dit ça, avant d’ajouter immédiatement, en s’avisant du regard désabusé d’Alphonse :
« Non négociable. »
« Ce n’est pas possible, » objecta Alphonse, secouant la tête avec toute l’énergie qu’il était capable de réunir.
« Mais si, » corrigea Maxime, remettant tranquillement son calepin en place. « J’y arrive très bien. »
« Oui, mais toi, tu es brillant. »
Bien sûr, le sourcil du grand blond retrouva son élégante courbe sceptique. Mine de rien, il se laissa appuyer contre le bureau d’Alphonse, croisant bras et cheville. Délicat, précis, l’image même d’un jeune homme respirant la confiance en soi, la forme, et la santé. Il darda vers lui le fameux regard pénétrant ; celui qui semblait ouvrir le livre qu’était Alphonse, et en parcourir les pages avec une facilité déconcertante. Qu’il soit damné s’il sut ce que Maxime put bien y voir, dans ces pages ; toujours est-il que le tranchant s’adoucit légèrement, et qu’il émit un petit soupir.
« Tu l’es aussi… Alphonse. Tu manques simplement… d’organisation ; mais, avant tout, tu manques de confiance en toi. Ce n’est pas… en t’épuisant à la tâche… que tu atteindras ton plein potentiel. Tu es brillant… mais, épuisé comme tu l’es… tu n’avances pas. Alors, tu t’épuises plus encore. »
Et si ça ne faisait pas chaud au cœur, d’entendre ça. Il courba pitoyablement la nuque, le regard perdu dans les volutes de vapeur qui s’étiraient hors de sa tasse. Chaude, contre la paume de sa main.
« J’y arrivais, avant, » murmura-t-il, tout bas.
« Avant… le monde ne partait pas en vrille, » ajouta Maxime, la voix douce, compatissante. « Je m’inquiète pour toi, Alphonse. Le confinement continu… ne te fais pas le moindre bien. »
« Techniquement, je sors de temps à autre, » tenta Alphonse, esquissant une pâle tentative de sourire.
« Se coltiner les insupportables clients… d’un fast-food en fin de journée… ne compte pas comme une sortie acceptable, » répliqua Maxime.
« C’est l’une des premières fois que je te vois prêter attention à ce genre de chose, » railla Alphonse, plus taquin que vraiment amer. « Je sais que tu penses que je me plains pour peu. »
Maxime ne contredit pas ; il se contenta d’humer, sourcils imperceptiblement froncés, sans le quitter une seconde du regard. Puis, il leva la tête, laissant ses iris si claires se poser sur le fatras qu’était la chambre d’Alphabet.
« Certes. Mais, malgré tout… tu es mon meilleur ami. Je tiens à toi. Qu’importe mon opinion sur le sujet… je ne peux pas te laisser ruiner ta santé. »
« Oh, » souffla Alphonse.
Un regard pince-sans-rire de Maxime. Alphonse baissa hâtivement la tête, et avala son gâteau. L’autre homme en profita pour débrancher son ordinateur, un geste ouvertement sans appel.
« Je croyais que Stefan était ton meilleur ami », reprit finalement Alphonse, lorsque le silence sembla avoir atteindre un laps de temps suffisant pour devenir malaisant.
« Alphonse, nous savons tout deux… que Stefan est, pour moi… beaucoup plus qu’un ami, » rappela Maxime, non sans un certain humour. « Par ailleurs, puisque nous abordons ce sujet… il serait temps que tu répondes à Paul. As-tu seulement une idée… du nombre de message qu’il m’a envoyé ? Et ce… dans les dernières vingt-quatre minutes ? »
Alphonse avait une très bonne idée, puisqu’il avait dû lui-même éteindre son téléphone pour qu’il cesse de vibrer. Ce qui était idiot, parce que Paul n’avait rien fait ; mais Alphonse, plongé dans son travail, avait cru qu’il n’avait simplement pas le temps de répondre. Il s’en sentit affreusement coupable ; ses mains se levèrent, vinrent se tordre dans sa cravate.
« Je croyais que tu n’aimais pas beaucoup Paul, » remarqua-t-il, d’une voix pas aussi assurée qu’il l’aurait voulu.
« C’est vrai, je ne l’aime pas, » concéda volontiers MMS. « Mais… de deux choses l’une. Premièrement, je n’ai certainement pas mon mot à dire… dans les fréquentations que tu choisis d’avoir. Deuxièmement… une grande partie de mon animosité à son égard… proviens de sa fâcheuse habitude à entrer en pleine nuit… par la fenêtre de ma chambre. Troisièmement… rien de ce que je pourrais penser ne change le fait qu’il semble… bon pour toi. La vérité, c’est que tu es pleinement toi-même… lorsqu’il est présent… et c’est là la seule chose que je pourrais demander. »
Alphonse cligna des yeux, pris par surprise. Maxime se contenta de lui décocher un sourire plein de subtile autosatisfaction, et se détacha tranquillement du bureau où il était venu s’appuyer.
« Sur ce… je m’apprêtais à regarder un film. Tu es libre de me rejoindre… si l’envie t’en prend. »
Le grand blond se dirigea tranquillement vers sa porte, esquivant une pile de livre bancale qu’Alphonse avait laissé traîner là ; mais, avant qu’il ne puisse franchir le battant, il le rattrapa, bondissant hors de sa chaise comme un Diable en boîte.
« Maxime, » interpella-t-il.
Son colocataire ne l’entendit pas ; mais, en revanche, il le vit très bien s’agiter dans la périphérie de sa vision. Il tourna légèrement la tête vers lui, penchée imperceptiblement sur le côté, irradiant de patience paisible.
« Merci. »
Une petite bulle de chaleur vint éclore dans les yeux azurs. Maxime ouvrit la porte, et s’effaça juste assez pour lui laisser la place de passer.
« De rien, Alphonse. C’est la moindre des choses. »
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
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Please, take me away [Fiction - Human!AU] ----
TW : Relation abusive, brève idéalisation du suicide
Disclaimer : Ce texte est né d’un cauchemar. Je ne prétend pas avoir vécu ce que les personnages traversent, précisément. Ce texte est le premier de toute une série d’OS. Il peut être lu sans connaître l’univers de ce blog.
Pairing : Edward Short / Sa Royauté Anglais x Francis Leroy / Président Français
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De la route. Des kilomètres et des kilomètres de route. Parfois, il lui semblait qu’il n’y avait que ça- que ça à voir, comme une matérialisation de sa propre vie qui ne cesserait de s’offrir au-devant du capot de sa voiture. Il n’avait jamais su pourquoi il conduisait. Ça lui prenait, par instant, comme un soubresaut, une irrépressible envie de bondir, de fuir, de s’emparer de son volant et de rouler, rouler, jusqu’à ne plus savoir où il en était.
Il n’estimait pas avoir une mauvaise vie. Il n’estimait pas avoir à se plaindre. Simplement, il lui arrivait de se réveiller, dans cette baraque bien trop grande qui était la sienne, et de se sentir pris d’un affreux sentiment. La sensation que quelque chose manquait, que rien n’avait vraiment de sens, ni même de but. C’était une émotion qui le prenait à la gorge, qui l’étouffait. Alors, il sortait de son manoir, montait dans sa voiture. Et il roulait. Des heures, des jours, parfois.
Il n’avait pas de compte à rendre, à personne. Qu’importait s’il disparaissait. C’était le genre de caprice qu’on pouvait se permettre, quand on en avait les moyens. Il les avait, les moyens. Il les usait sur la route.
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Il l’avait rencontré à l’enterrement. Celui de son jeune frère. C’était un jour qu’il ne pourrait sans doute jamais oublier. La culpabilité, l’atroce culpabilité qui lui avait tordu les boyaux, alors qu’ils laissaient le cercueil descendre en terre. Le goût amer de l’échec, d’une responsabilité qu’il sentait peser sur ses épaules, et qu’il ne parvenait pas vraiment à écarter, sous les psaumes du prêtre qui officiait.
Albéric avait treize ans, le jour où il était mort. Edward en avait le double. Quelque part, dans sa conscience, dans sa peine, c’était comme s’il l’avait tué.
Il se souvenait de la cérémonie, comme un caléidoscope d’image qu’il n’arrivait pas à détacher de sa rétine. Il l’avait passé dans un état second. Les yeux rivés sur cette herbe qui semblait émeraude sous les gouttes de pluie. Il n’avait pas ouvert son parapluie. Il s’était tenu, debout, à côté de la tombe, le manteau, les vêtements, les cheveux dégoulinant de toute cette eau que pleurait le ciel. Il avait été incapable de détacher son regard de la terre fraîchement battue. Cette terre qui se gorgeait d’eau, brune, riche, un terreau fertile nourri des morts qui résidaient en son sein.
C’était à cet instant qu’Il était venu. Il n’avait rien dit, sur le moment. Edward avait simplement senti le parapluie qui s’ouvrait, au-dessus de sa tête, le coupant de la pluie, de l’eau, comme un barrage à sa peine qu’il n’attendait pas.
Il était resté à côté de lui, de longues minutes, comme s’Il se perdait, Lui aussi, dans la contemplation de ces rigoles d’eaux boueuses qui se creusaient autour de la tombe. Un silence qui lui avait semblé confortable, et bienvenue.
Et puis, Il avait parlé. Edward était incapable de se souvenir de ce qu’Il avait dit. Il ne pouvait que se souvenir de l’étreinte de ces mots. Cajolant, caressant, une couverture qu’on aurait enroulée autour de ses épaules détrempées. Comme pour le réchauffer, juste un instant, le débarrasser de sa peine, de sa douleur, de sa culpabilité. Des mots qui l’avaient bercé, apaisé, juste pour ces minutes à part, une musique réhaussée par le doux tapotement des gouttes sur la toile du parapluie.
Son sourire lui avait semblé doux. La main qui s’était posée sur son épaule, comme une ancre dans cette réalité qu’il peinait à conserver. La rencontre n’avait durée qu’un moment. Une heure, peut-être. Edward n’avait même pas appris son nom.
Il lui avait offert le parapluie, et Il était parti. Il n’avait pas pensé qu’il Le reverrait.
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Derrière les vitres de sa voiture, les paysages défilaient. C’étaient comme des nuées de tableaux qu’il percevait du coin de l’œil, sans vraiment avoir le temps ou l’envie de les admirer. Des champs, des plaines, des forêts, des villages, des granges, des châteaux, des maisonnettes de campagne. Les pays eux-mêmes changeaient, parfois. France, Espagne, Italie, Allemagne. Tout se ressemblait, tout se succédait, comme sous l’action d’une logique étrange qui ne semblait que lui rappeler que ce qu’il fuyait le suivrait toujours, où qu’il aille.
Parfois, il prenait le bateau. Il traversait la Manche, comme si l’espace et l’eau salée allait suffire à créer la rupture qu’il désirait tant, sans même vraiment savoir pourquoi. Il ne s’attardait nulle part. Ne s’approchait pas des cabines. Passait le voyage enfermé dans l’habitacle de sa voiture. Il ne respirait pas l’air des embruns, il n’écoutait pas le chant des mouettes. Il lui semblait que la boule qu’il y avait dans sa gorge, qu’il y avait dans son estomac, et qui pesait dans ses poumons, ne pourrait jamais vraiment s’alléger.
Il ne contemplait pas le ciel, il ne contemplait pas la terre. Il se sentait entre deux. Incapable de parler aux gens, incapable de nouer des liens, lorsque son envie de fuite le prenait. Après, c’était plus facile de prétendre.
Il traversait la Manche, et, comme toujours, il roulait. Il fendait les campagnes anglaises, sans un regard pour les villes, sans un regard pour les monuments. Défilé d’herbe émeraude derrière ses vitres piquetées de gouttes de pluie. Parfois, à de très rares moments, il lui semblait presque que sa fuite n’en était pas vraiment une.
Parfois, lorsque les paysages du Lancashire s’étiraient, sous ses roues, derrière ses fenêtres baissées, il lui semblait qu’il était venu ici pour autre chose. Il ne savait pas quoi, ni comment, ni pourquoi. La sensation s’effaçait tout aussi vite qu’elle venait.
Alors, il roulait.
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Il L’avait revu, pourtant. C’était comme s’il était voué à Le retrouver. C’était ce qu’il avait pensé, en tout cas, au début. Peut-être que c’était simplement Lui qui avait senti, et qui l’avait suivi.
Il avait eu l’air d’une apparition, lorsqu’Il était entré dans le bar où s’était échoué Edward. Avec son long manteau écarlate, et ces yeux qui, sous la lumière tamisée du comptoir, semblait presque éclairés d’une lueur cerise. Les cheveux et la barbe noire. Un charme qu’Il avait indéniable, mais qu’Edward n’aurait pas été capable de ressentir, dans l’état d’ébriété et de deuil dans lequel il se trouvait. N’aurait jamais pu ressentir, en fait, s’il n’y avait pas eu le sourire, et les mots. Si bien choisis, ces mots. Juste suffisamment dosés pour donner l’impression d’appliquer il ne savait quel cataplasme sur cette blessure ouverte et béante qu’il y avait au creux de sa poitrine. Juste suffisamment murmurés, caressés, pour endiguer les larmes qu’il ne parvenait pas à endiguer.
Pendant des semaines, il n’avait pas pu penser à autre chose que cette tombe, au milieu de l’herbe émeraude et des rigoles de pluie. Ces mots, ce sourire bienveillant, ce regard, c’était un baume à ce cœur brisé qui battait dans sa poitrine, et dont il avait désespérément besoin.
C’était comme s’Il lui avait offert, ce soir-là, la capacité de sourire de nouveau. De rire de nouveau. De se sentir un peu moins vide, un peu moins mort, à l’intérieur.
Peut-être était-ce pour cela qu’Edward L’avait laissé le toucher. Qu’il L’avait suivi, hors de ce bar. Il ne le savait pas, au fond. Il savait simplement qu’il avait vu en Lui une bouée, parce qu’il se noyait et qu’il ne parvenait pas à retrouver la surface. Alors, il l’avait saisi, et s’y était accroché avec toute la force qui lui restait, avec toute cette affection qu’il avait encore en lui et qui n’avait plus qu’une tombe et des souvenirs pour se déverser.
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Parfois, il s’arrêtait. Il dédaignait les hôtels, les motels, les chambres d’hôte. Il garait sa voiture sur le bas-côté de la route, abaissait son siège, et fermait les yeux, quelques secondes, à intervalles réguliers. Seul, sur une route de campagne déserte, entouré des champs qu’agitaient la bise et le vent, l’oreille tendue pour guetter le champ des cigales, le clapotis apaisant de la pluie sur la tôle de sa carrosserie, les yeux perdus dans les étoiles de ce ciel qu’il devinait par-delà son pare-brise.
Il ne dormait pas. Il essayait, parfois. Mais les pensées revenaient, sans cesse. Elles le prenaient à la gorge, le secouaient, comme une évidence de l’inutilité et l’absurdité de tout cela. L’absurdité de jouer les hommes mondains. L’absurdité d’amasser de l’argent pour paraître plus important que son voisin. L’absurdité de se croire libre et différent et humain parce qu’on éprouvait parfois le besoin de tout plaquer et de rouler, rouler, sur les routes qui n’en finissent plus. L’absurdité de vivre et d’être là.
Alors, il reprenait son volant. Les yeux lourds de fatigue, refusant pourtant de se fermer, de s’apaiser, juste pour quelques minutes. Il se demandait, de temps à autre, s’il arriverait un jour au bout de ces routes. Que se passerait-il, alors ? Atteindrait-il le bord d’une falaise, l’une de ces imposantes falaises de calcaire, juste au-dessus d’une mer qui se déchaînerait, un tableau romantique, un tableau sublime et imposant ?
C’était un fantasme, bien sûr. Il savait que si la route se finissait, un jour, il ferait demi-tour. Et il en chercherait une autre. C’était comme cela que ça fonctionnait.
Mais, parce que c’était un fantasme, il se prenait à rêver qu’il appuyait sur l’accélérateur. Et qu’il volerait, au-dessus des falaises, de la mer qui gronde et des vagues qui roulent. Alors, il tomberait, et ce serait le plus beau plongeon de sa vie.
Ce n’était qu’un fantasme, au fond. Il savait que ce ne serait jamais plus. Alors, il roulait. Une fuite, une recherche, c’était difficile à dire. Il se prenait à rêver qu’il puisse un jour cesser de penser.
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Il était incapable de savoir quand les choses avaient changé. Quand la bienveillance des mots, des sourires, des regards, avait pris un tour malicieux, et infiniment plus sombre. Il ne savait pas quand le confort de bras qui l’entourait la nuit, des phrases qu’Il lui murmurait à l’oreille, s’était mué en peur, en angoisse. Il ne se souvenait pas de quand les étreintes étaient devenues des prisons qui l’étouffaient. Il ne parvenait pas à pointer du doigt l’instant où les mots avaient cessés de guérir pour creuser, rouvrir, et infester la blessure de son cœur.
Ca s’était fait peu un peu, comme un voile qui venait le recouvrir, l’anesthésier, et qui le dévoilait paradoxalement dans tout ce qu’il y avait de mauvais, de répugnant, de ridicule, de pathétique, chez lui. Un voile qui se soulevait et qui le révélait comme l’être abominable qu’il était, qu’il haïssait.
Quelque part, il n’avait même pas réalisé d’où venait tout ce mal. Cette angoisse, cette peur, cette horreur de soi qu’il sentait grandir en lui. Il s’accrochait encore, désespérément, à Lui, parce qu’Il semblait être la seule personne qui restait, malgré tout. Il voyait ses amis, il voyait ses collègues, disparaître. L’un après l’autre. Devenir des inconnus, de lointaines connaissances. Il voyait et sentait le monde qui lui tournait le dos, et il savait, il était persuadé que c’était le fait de l’horreur de ce qu’il était. Il voyait, dans le miroir, chaque matin, le poids de ses défauts, le poids de son existence, comme une masse qui s’abattait sur lui et l’empêchait de respirer, de vivre.
Il ne sentait plus que la solitude, plus que la culpabilité, et cette colère qu’il nourrissait envers lui-même, comme un feu qui le consumait de l’intérieur.
Et pourtant, Il restait. Avec ces sourires, ces mots, ces regards qui n’avaient plus rien de bienveillants, de réconfortants. Mais qui étaient, ils le savaient tout deux, la seule chose qui lui restait.
Jamais la terreur qui le tenait éveillé chaque nuit n’avait été si intrinsèquement liée à l’absurde reconnaissance qu’il ressentait envers Lui.
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Parfois, il passait dans des petits villages. C’était les seules occasions où il voyait d’autres personnes, mis à part les conducteurs d’autres voitures qui partageaient parfois sa route. Il ne s’arrêtait jamais. Ne quittait pas le bitume du regard. C’était comme s’il voulait effacer de son esprit la connaissance de la présence d’autrui. Il voulait se convaincre qu’il était seul, qu’il n’y avait, autour de lui, personne, si ce n’est ces animaux qu’il apercevait parfois dans les champs, entre les arbres d’une forêt, ou traversant la route aussi vite que le leur permettaient leurs pattes et leurs ailes.
Ces villages, il essayait de les éviter. C’était difficile, quand une part de lui se refusait même à adresser un seul regard aux panneaux de signalisation. Quand le volant qu’il tenait entre ses doigts tournait, presque absent, au gré du hasard et de ses envies inconscientes.
Il aurait voulu ne jamais avoir à s’arrêter. Pas pour un feu rouge, par pour une route barrée, pas pour un tracteur qui venait obstruer la ligne de sa fuite. Mais il savait qu’il n’avait jamais vraiment le choix. Et il y avait toujours un moment où il devait faire demi-tour.
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Et puis, comme une étape secondaire, naturelle et inévitable, il y avait eu la violence. Son esprit était déjà réduit en pièce. Aliéné, éteint, comme soumis et anesthésié. Il ne cherchait plus à protester lorsque les mots devenaient ouvertement cruels. Il ne cherchait plus à se dérober aux caresses qui provoquait, chez lui, d’affreuses sueurs froides. Il ne cherchait plus à se cacher des regards dédaigneux, méprisants, mauvais. Il ne chercha pas non plus à esquiver les coups, quand ils commencèrent à pleuvoir.
Il était devenu inerte. Une poupée, une marionnette aux fils cassés qui se laissait agiter et secouer en tout sens, sans chercher à se défendre, sans protester, sans mots dire. Eteinte. Parfois, il n’avait même pas la conscience de s’en rendre compte.
Au début, Il s’excusait, bien sûr. Après coup. Des excuses qu’ils savaient tout deux vides de sens, vides de convictions. Des faux sourires, des faux cadeaux. Même ça, ça cessa, au bout d’un certain temps. A quoi bon. Il n’avait pas besoin de se faire pardonner d’Edward. Il l’avait déjà sous sa botte. C’était Lui, le maître marionnettiste. Bientôt, ce fut Edward qui s’excusa.
Qui s’excusa d’exister, sans doute.
Parfois, il ne pouvait s’empêcher de trouver cela justifié. 
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Les retours, c’était le pire. C’était la conscience revenue de ce qu’il faisait, de ce qu’il était et pourquoi. C’était le retour des questionnements quotidiens, des tracasseries de ses responsabilités et de ses devoirs d’être humain. C’était se réveiller d’une longue anesthésie, s’était sortir la tête d’une eau dans laquelle on se serait laissé couler.
Les retours, c’étaient des brusques reprises de conscience, qui le faisait piller tout net au milieu d’une route vide, qui lui faisait écarquiller les yeux, fixer ses mains en se demandant pourquoi, pourquoi il avait encore cédé, encore une fois. Ça prenait des heures, des jours, des semaines, parfois.
Aujourd’hui, ça le prend au milieu d’une route de campagne. Entre un large champ d’herbes trop hautes pour voir par-dessus, et une forêt épaisse et touffue qui semblaient presque atteindre les nuages.
Ça le prend, et il reste immobile, dans sa voiture, comme soufflé par tout ce qui lui revenait, de plein fouet, au visage. Il respire, il inspire ; ses doigts se crispent sur le volant. Il n’a pas la moindre idée d’où il se trouve.
Il ne saura sans doute jamais ce qui l’a poussé à s’arrêter là. Quelque part, il se dira toujours, en son for intérieur, que ça devait être quelque chose comme le destin.
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Et puis, un jour, il se réveille. Dans tout les sens du terme, sans doute. Il rouvre les yeux, et il est étendu, à même le sol de sa cuisine. De leur cuisine. De Sa cuisine. Les dalles de pierres sont tâchées, par endroit, de son sang. Il sait, comme une pensée lointaine qu’il ne parvient pas tout à fait à former, qu’il a dû tomber, à un moment donné, et qu’il s’est probablement frappé la tête contre le plan de travail. Il le sait, parce qu’il a la sensation que son crâne est ouvert en deux, et que quelqu’un y puise, actuellement, à pleine main.
Il rouvre les yeux, et l’absurdité de sa situation le frappe. Avec une douleur et une clairvoyance si brusque qu’il en manque presque d’être aveuglé. Il sent tout ce qui a pourri, dans son cœur. Etendu comme il l’est, sur les dalles de pierre d’une cuisine, d’une maison qui n’a jamais vraiment été la sienne. Il sent tout ce qui est brisé, aussi bien physiquement que mentalement, et c’est la plus intense des formes de désespoir qui le frappe.
Il réalise qu’il aurait pu mourir, aujourd’hui.
Il y a une part de lui qui est affreusement en paix avec cette idée. Ce n’est pas elle qui gagne, pourtant. C’est ce brusque et violent sursaut de vie qui vient lui serrer les tripes, le cœur, presque à l’en rendre ivre. Tout est tellement absurde, tout est tellement et abominablement triste, et tout semble tellement désespéré… !
Plus tard, il se demandera comment il a seulement pu trouver la force de se relever. Il se demandera pourquoi il est sorti de cette maison, pourquoi il s’est dirigé de ce côté-là. Il se demandera quelle force avait bien pu le faire tenir sur ses jambes, après tout ce qui est arrivé, malgré l’état dans lequel il se trouvait.
Quelque part, il se dira toujours, en son for intérieur, que ça devait être quelque chose comme le destin.
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Il s’apprête à redémarrer. Il a repris son souffle, il a repris ses esprits. Suffisamment pour se souvenir de qui il est, pour comprendre où il est, et pour savoir ce qu’il doit faire.
Il ne démarre pas, pourtant. Il y a quelque chose qui l’en empêche. Comme une intuition.
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Il titube, entre les arbres de la forêt qui bordent cette maison qu’il fuit. Il titube, se rattrape aux branches, s’écroule, parfois. Sa chemise est comme raidie, amidonnée, par le sang qu’il a perdu, qui a coulé de sa tempe droite. Son bras gauche est probablement brisé. Il peine à respirer. Il avance, pourtant. C’est certainement ce qu’on appelle l’énergie du désespoir. Il entend les branches qui craquent, pas si loin que ça, derrière lui, et il comprend qu’Il a dû le voir partir. Qu’Il n’allait pas le laisser s’en tirer si facilement.
Et puis, il la voit. La route. Le bitume, sous la bruine, la pluie légère qui a commencé à tomber, quelques minutes plus tôt.
Et c’est comme inespérée. Parce que, sur cette route, il y a une voiture à l’arrêt.
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Et puis, il le voit. L’homme. Titubant au milieu des arbres. Les cheveux blonds, sans doute, détrempés par la pluie, par l’éclat cerise d’un liquide qui lui a coulé sur tout le côté droit de son visage, qui détrempe sa chemise. Comme une apparition, un spectre, un moribond.
Son regard, pourtant, lorsqu’il le plante dans le sien, n’a rien de celui d’un moribond, d’un spectre, d’une apparition. Il est plus vert que l’herbe sur laquelle il vacille, plus vert que les feuilles des arbres qui le surplombe, et il scintille d’une lueur profondément vivant, vindicative, presque, qui remue quelque chose en lui, comme un chamboulement intérieur.
Il y reconnait la terreur, il y reconnait la détermination, il y reconnaît la soif de vivre. Il y reconnait autre chose, aussi. Quelque chose qu’il n’est pas capable de pointer du doigt.
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La voiture est comme une offrande d’une Providence en laquelle il ne croyait plus. Mais ce qui l’attire, ce qui le décide à s’approcher, malgré tout, tout moribond qu’il devait sembler être, c’est le regard du conducteur. Deux orbes azurs, écarquillées par la stupeur, qui s’arriment à lui, qui s’accrochent, et qui semblent résolues à ne plus le lâcher.
C’est un profil altier, un visage presque noble, qu’il n’a jamais vu auparavant, mais qu’il a déjà la sensation de connaître par cœur. C’est une étrange reconnaissance, une étrange impression qui semble venir d’un temps bien plus lointain, bien différent, et qui semble presque, juste un instant, mettre une halte au bouillonnement de ses émotions. C’est indescriptible.
C’est ineffable.
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Sans réfléchir, sans y penser à deux fois, il ouvre en grand la portière de sa voiture. Il laisse l’inconnu se glisser, se laisser tomber sur le siège passager, et ils sont tout deux aussi surpris et hébétés par ce geste.
L’homme sent la pluie, sent le sang, la bruyère, le lointain parfum d’une eau de Cologne noyée par bien d’autre chose. Il sent quelque chose qui lui semble familier, qui lui semble connu, il sent comme une évidence.
Et, pendant une seconde, il semble que leurs deux regards ne peuvent se détacher l’un de l’autre. Vert contre azur. Une bataille, une rencontre, c’est difficile de le dire.
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Et puis, l’inconnu referme la portière qui s’était ouverte, comme un miracle qu’il n’aurait jamais pu concevoir. Il rejette, au dehors, la bise glaciale qui lui mordait la peau, le craquement des branches sous Ses pieds qui s’approchaient, toujours, encore, une menace inéluctable qui semblait maintenant ne plus pouvoir l’atteindre.
Et puis, l’inconnu se tourne vers lui, clé de contact en main, et Edward a la sensation de comprendre ce qu’il demande, sans un mot, par un regard azur.
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Il n’a pas besoin de lui demander où aller. L’homme ouvre la bouche, et c’est presque une supplique, presque une demande, presque un ordre. Il est incapable de le dire. C’est sans doute un peu des trois.
« Please, » et sa voix semblait si juste, si normale, si familière, « Please, take me away. »
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Et Edward sent le moteur gronder, il sent le siège vibrer sous son corps éreinté. Il voit l’inconnu qui hoche la tête, avec détermination, comme s’il comprenait parfaitement ce qu’il pouvait bien avoir voulu dire par là. Et la route défile, le paysage se dérobe, s’efface, derrière les gouttelettes qui parsèment les vitres.
Et, pour la première fois depuis il ne savait combien de temps, il sentit monter en lui un véritable sentiment d’euphorie.
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Jamais il n’avait démarré aussi vite. C’est comme s’il se précipitait, une nouvelle fois, sur la route ; et, pour une fois, il sait ce qu’il fuit. Il le voit, dans le rétroviseur. Cet homme en tenue cerise qui surgit des bois, comme son passager quelques secondes plus tôt, et qui darde vers lui un regard qui lui semble presque écarlate, et qui lui semble, tout simplement, en rage. C’est la vision la plus terrifiante qui lui ait jamais été donné de voir.
Et, à côté de lui, l’inconnu se met à rire. Un petit rire, brisé, sans doute, parce qu’il pleure, en même temps. Mais il sourit, il rit, avec ses larmes qui dévalent sur ses joues, et c’est le son le plus libéré qu’il n’ait jamais entendu.
Alors, il sourit, lui aussi. C’est comme une évidence.
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C’est quelques minutes de silence qui s’étirent. Avec le paysage d’Angleterre défilant, derrière les vitres, sous le doux tapotement de la pluie, qui se fait de plus en plus drue. Et l’inconnu conduit, conduit, sans même lui demander une destination précise. Comme s’il savait, au fond, qu’Edward n’avait qu’une envie. Rouler. Rouler, et se sentir libre.
Et puis, l’inconnu ouvre la bouche, et sa voix est exactement telle qu’Edward l’avait imaginée. Princière, distinguée, avec un je ne sais quoi de chaleureux qu’on pouvait aisément rater, si on n’y prêtait pas attention.
« Francis, » dit-il, et son accent aussi est exactement tel qu’il l’avait imaginé- abominable. « Maïe naïmeuh iz Francis. »
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Pour quelques raisons qu’il n’est pas tout à fait sûr de s’expliquer, sa présentation allume une lueur nouvelle dans les deux orbes émeraudes qui se tournent vers lui. Une lueur profondément amusée, derrière le voile des larmes qui n’avaient pas tout à fait séchées.
Et l’homme sourit, de nouveau. Un sourire qui a presque quelque chose de malicieux, et qui est, tout simplement, magnifique.
“And my name is Edward.”
Le sourire qu’ils s’échangent est presque complice. Devant eux, la route s’étend, s’étend, à perte de vue. Et ils roulent, roulent, roulent.
Jamais le chemin n’avait semblé si attirant.
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
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Blooming in Adversity [Fiction - Human!AU - WW2]
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TW : Mention de blessures et de sang. C’est la guerre, quoi.
Disclaimer : Mes connaissances autour de la Seconde Guerre Mondiale se limitent à ce que j’ai pu lire, à mon propre intérêt pour la chose ; mais je ne suis pas historien, et il peut y avoir (beaucoup) d’incohérence. Je m’en excuse d’avance.
Pairing : Stefan Maximilien Saulter / Sa Tyrannie SMS x Maxime Maelic Schreider / Supérieur MMS
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Il y avait un homme dans ses géraniums.
Enfin, un homme. Un très jeune homme, dans ce cas. Maxime n’était même pas certain qu’il soit majeur. Il était étendu dans l’herbe, au milieu des fleurs, avachi, étendu d’une telle façon qu’il était évident qu’il y était tombé, sans avoir réussi à se relever. Il était toujours conscient, pourtant. Des yeux noisette, parsemés d’éclats dorés, grands ouverts, écarquillés, terrifiés qui se fixait vers lui comme s’il craignait que Maxime ne l’achève sur place. Ne l’achève, oui. Parce que le tout jeune homme portait un uniforme allemand. Un simple soldat de l’armée de terre, pas la moindre trace de gallons. Sa veste était déchirée, tâchée de boue, de poussière, de terre, et de sang. De sang- beaucoup de sang. Le soldat était blessé. Gravement, si Maxime s’en référait à la lividité cadavérique de son teint, à la quantité de rouge qui tâchait les mains pâles de l’allemand, à la forme écroulée de son corps, au voile vitreux que ne perçait rien de plus que la terreur. Ce n’était pas très difficile de savoir comment ce soldat était arrivé là. Il y avait eu des combats, tout le matin durant, à deux pas de la ferme de Maxime. C’était plus que probable que l’allemand se soit fait toucher, et ait été laissé pour mort par ses troupes. Et il avait dû se traîner jusqu’ici, désorienté, vers la seule bâtisse des environs- la sienne.
Maxime était français. Il n’avait jamais rejoint l’armée. Pas par choix, mais par obligation : il était sourd, et personne ne voulait de lui sur le front. Infirme, donc inutile. Ça n’importait pas qu’il soit doué pour se battre- il ne pouvait pas entendre, alors, il n’était pas utile. Et Maxime savait parfaitement que n’importe qui, dans sa condition, aurait été outré, gonflé d’orgueil patriotique, et aurait tout fait pour partir défendre sa patrie. Lui ? Non. Il aimait son pays, bien sûr, comme tout le monde. Mais il était un pacifique. Il n’avait jamais cru en la guerre, ne l’avait jamais vraiment comprise. Peut-être qu’il aurait fait un excellent officier, s’il en avait fait sa vocation- s’il en avait eu le choix. Mais ce n’était pas une perte qu’il pleurait. Il n’y avait rien de glorieux, selon lui, à gorger les plaines françaises d’un sang qu’on qualifiait, en ce mois de mai de l’année 1915, d’ennemi.
Alors, il était évident que n’importe quel autre homme français, éconduit de l’armée, trouvant un soldat allemand blessé dans son parterre de géraniums, se serait fait un plaisir -un devoir- d’achever l’ennemi. Maxime n’était pas n’importe quel autre homme. Lorsqu’il trouva ce jeune homme, cet adolescent, blessé et terrifié et terriblement humain, il ne prêta pas la moindre attention à la couleur et à la coupe de l’uniforme. Il jeta un regard, un seul, à la forme vacillante, et lâcha aussi sec son seau empli du lait de ses vaches pour se précipiter vers lui.
« Tout ira bien, » assura-t-il, calmement, doucement, alors qu’il s’agenouillait à côté du soldat, pressant résolument ses propres mains sur la blessure pour en endiguer le flot que celle de l’allemand n’était plus assez forte pour contenir. « Tout ira bien. Je ne vais pas… vous faire de mal. »
C’était évident que le soldat allemand ne le comprenait pas. Il ne devait pas parler un seul mot de français. Pourtant, Maxime vit distinctement la terreur s’évanouir derrière un voile de soulagement, lourd, épais, sournois. L’instinct primaire et animal, l’instinct de survie dût se taire sous son influence : le soldat ferma les yeux, et le français comprit très vite qu’il avait perdu conscience. Sous son corps, la terre, les pétales des fleurs étaient gorgés de son sang.
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Il y avait un soldat allemand allongé dans son lit.
Maxime était parvenu à le rentrer dans l’abri de sa ferme. Sa demeure était modeste, puisque le terrain était largement occupé par les enclos de ses vaches- de sa vache, seule survivante de la tourmente, et du potager qu’il s’efforçait de cultiver sur ces terres battues des bombes qui explosaient au loin. Le lit était fin, un matelas qui semblait bien moins matelas que paillasse. Les draps étaient rêches, froids au toucher, qu’importait combien on se pelotonnait dedans. Les murs étaient de pierre, laissaient passer, sans pitié, les bises nocturnes, le moindre coup de vent froid : il fallait constamment garder la cheminée allumée lorsque venait la nuit, même en plein été. L’eau n’était accessible que par un puit, à deux kilomètres d’ici. Il n’y avait pas la moindre trace de médecine. Tout ce qu’il y avait, et en abondance remarquable pour une époque comme celle-ci, c’était de la nourriture : des pots de confitures, des conserves, des légumes, du pain, des fruits, des œufs, du fromage. Rien de cela n’était utile pour sauver la vie d’un jeune homme criblé de balles.
Il en avait reçu trois, en tout. La première, dans l’épaule gauche, n’avait touché à rien, et s’était logée dans sa clavicule. La seconde, dans la jambe droite, et avait bien manqué de sectionner une artère principale ; bien heureusement, elle était ressortie, et Maxime n’avait pas eu à l’extraire. La dernière, la plus inquiétante, avait trouvé sa place dans le côté gauche du soldat, entre deux de ses côtes, à quelques millimètres de ses poumons. Une opération absolument catastrophique à envisager. Et Maxime, bien sûr, n’était pas médecin. Il avait fait des études, néanmoins- c’était avant qu’il ne décide de tout laisser tomber pour plutôt profiter du calme de la campagne. Des études de droits, en même temps que l’un de ses vieux amis, Alphonse. Là était la clé : Maxime n’était pas médecin, mais Alphonse, lui, l’était. Et il se souvenait suffisamment de ce que lui avait dit l’autre homme, lors de leurs après-midi de révision à la bibliothèque de l’université, pour stabiliser un tant soit peu l’état d’un blessé. Alors, c’était ce qu’il avait fait. Il avait soigneusement retiré la veste poisseuse, les bottes, le pantalon lourd de boue. Il avait épongé, puisant dans l’eau qu’il avait tiré du puit le matin même. Il avait bandé les blessures, sommairement, juste suffisamment pour qu’elles cessent de saigner ; il n’avait pas couru le risque de retirer les balles. Avec quoi, de toute façon ? Ses fourchettes ? Ses couteaux ? Autant immédiatement torturer l’allemand. Cela reviendrait à la même chose.
Et puis, il était parti. Il avait laissé le jeune homme inconscient, torse nu sur sa paillasse, enveloppé de bandage sanglant, pâle et maigre et fiévreux, et il avait couru. Il y avait toujours des combats en cours, non loin de là. Maxime ne les entendait pas, mais il sentait la terre trembler sous ses pas, il voyait, du coin de l’œil, les éclats enflammés des obus qui explosaient. Cela ne l’arrêta pas le moins de monde. Il bifurqua, empruntant le petit chemin sinueux qui traversait les bois de Favrieux, droit vers le petit village en contrebas. C’était un trajet d’une heure, deux heures de marche, environ. Il le parcouru en quarante cinq minutes, sans ralentir, sans faillir, le devant de sa chemise tâchée d’un sang qui n’était pas le sien, le cœur battant la chamade- le soldat était allemand, mais Maxime ne pouvait penser à autre chose qu’au fait qu’il était jeune, qu’il était humain, et qu’il y avait peut-être un être humain en train de mourir sur la paillasse de sa ferme.
Alphonse, béni soit-il, était bel et bien présent. Il était le médecin du village. On lui avait demandé, à maintes reprises, de se proposer pour l’effort de guerre. Il n’avait pas accepté. Bien sûr, le Docteur Bertrand soignait des patients en hôpital militaire -trois fois par semaine, tout le jour durant-, mais il avait refusé d’abandonner ceux qui restait derrière, ceux qui avait toujours besoin d’un médecin. Certain le trouvait lâche. Maxime n’en pensait absolument rien ; mais, aujourd’hui, il en fut tant soulagé qu’il aurait presque pu le remercier profusément d’être resté sur place. Il était tout à fait probable qu’Alphonse ne s’était pas attendu à voir Maxime, à bout de souffle, quasiment à l’instant où il ouvrit la porte de son cabinet. Ses yeux s’étaient écarquillés, figés sur l’état de sa chemise.
« C’est du sang ? » s’était-il étranglé, et Maxime ne l’entendait pas, mais il devinait que sa voix devait avoir la sonorité d’un couinement de poulet qu’on étrangle- comme il en entendait parfois, lorsqu’il était petit, et que son père décidait qu’il en avait sa claque de voir ceux du voisin qui venait gratter dans la terre de son potager.
« Ce n’est… pas le mien, » avait immédiatement répliqué Maxime, comme si c’était là une chose rassurante à dire. « Il faut que tu viennes, Alphonse… j’ai besoin de toi. »
Alphonse ne posa pas la moindre question, et c’était tout à son honneur. Il hocha la tête, saisit sa trousse de soin, et suivit docilement son meilleur ami, au petit trot, au travers des bois- sursautant et tremblant à peine aux bruits des combats trop proches. Il ne se plaignit même pas de la fatigue, de l’essoufflement, en arrivant aux abords de la ferme. Il lui épargna de grand éclat horrifié en s’avisant de la quantité de sang qui gorgeait ses géraniums. Et puis, il entra, juste à la suite de Maxime, et ne s’arrêta pas plus d’une seconde, une infime seconde, en s’avisant de la veste d’uniforme allemand, sur le dossier de sa chaise en bois. Une seconde, pendant laquelle il décocha un regard ébahi, horrifié, vers Maxime ; une seconde, après laquelle il repéra enfin le blessé, et l’ébahissement s’effaça. L’horreur, elle, resta. Il ne s’agissait plus de l’horreur qui accompagne la trahison, cependant : il s’agissait de l’horreur d’un homme plein d’empathie face à un autre humain en détresse. Horreur, donc, et détermination nouvelle. Alphonse remonta d’autorité les manches de sa chemise, posa sa sacoche sur la chaise, image même de la conscience professionnelle, et demanda simplement à Maxime de retourner chercher de l’eau.
Il lui fallut des heures pour venir à bout des blessures visibles ; juste assez pour que le soleil ne se couche, dans le lointain, un éclatement d’orange, de rouge et de jaune, pour ne laisser que le bleu royal de la nuit. La pièce se trouvait envahi de linge ensanglanté, de bassines d’eau sanglante- jamais Maxime n’avait eu l’occasion de faire tant d’aller-retour vers le puit. Une forte odeur de médicament flottait dans l’air, nauséabonde et écœurante ; elle avait au moins le mérite de couvrir celle du sang. Les deux balles restantes trônaient, narquoises, écarlate, sur une petite assiette, à même le sol. Et la cheminée crépitait, chaleur diffuse, alors qu’Alphonse s’essuyait consciencieusement les mains, l’air épuisé, mais soucieux. Maxime profita un instant de l’accalmie, assit sur sa chaise, le regard rivé vers le visage du soldat. Jeune, oui, décidément. Peut-être pas tant que ne l’avait fait paraître sa terreur initiale ; mais il s’agissait peut-être là d’un effet de la moustache. Il devait avoir l’habitude d’en prendre soin, de cette moustache. Mode américaine, étonnante à voir sur un soldat allemand. Qu’importait. Il était jeune, et blafard, et blessé, et c’était peut-être un soldat allemand, mais Maxime se sentait envahi d’un singulier élan protecteur.
Un mouvement, sur sa droite. Il leva la tête, croisa le regard d’Alphonse.
« Il est déshydraté, » expliqua le médecin, toujours professionnel, mais le front barré d’un pli soucieux. « Et il aurait bien besoin d’un bon repas. Je ne sais pas quand il se réveillera, mais il faut espérer que ce soit assez tôt ; je doute qu’il tienne plus longtemps comme cela. En attendant, il faudra changer ses bandages régulièrement. Ne t’en fais pas, je rendrais visite tous les soirs. »
Maxime hocha doucement la tête. Il ne répondit pas. Il attendit. Il savait qu’Alphonse voulait ajouter quelque chose- il le voyait bien s’humecter les lèvres, hésitant, inquiet. 
« Maxime, » reprit effectivement le médecin, « sache que je te soutiendrais là-dedans. Le serment d’Hippocrate ne stipule pas qu’il est de mon devoir de trier mes patients en fonction de leurs origines. Mais- mais soit prudent, tu veux… ? Il y en a beaucoup qui ne verrait pas d’un bon œil ce que nous venons de faire. Sans compter l’armée elle-même. Et puis, tu ne sais même pas comment il réagira, lorsqu’il se réveillera. »
« Je… comprend ton inquiétude, Alphonse, » répondit posément Maxime, croisant délicatement ses mais, devant lui. « Je peux t’assurer que je serais… on ne peut plus prudent. »
Alphonse pinça les lèvres, comme s’il brûlait d’ajouter quelque chose. Puis, il se résigna, et secoua lentement la tête. Sa main se leva, pour tapoter timidement l’épaule de Maxime.
« D’accord. Préviens-moi, lorsqu’il se réveillera. »
S’il se réveille, fila le non-dit.
Maxime se fendit d’un simple sourire, que le médecin tenta faiblement de lui rendre. Au loin, par la fenêtre de la ferme, le ciel s’illuminait d’éclair qui n’avaient rien de naturel.
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Il fallut trois jours pour que le soldat allemand émerge. Trois jours durant lesquels Maxime fut certain, chaque fois qu’il entrait dans la pièce, qu’il allait le trouver mort ; trois jours durant lesquels son état sembla stagner, entre l’immobilité macabre et oppressante, et la fièvre qui le faisait se tordre dans les draps. Trois jours, durant lesquels Alphonse se présenta sans faillir, chaque soir, l’air un peu plus soucieux à chaque fois, secouant péniblement la tête chaque fois qu’il constatait qu’il n’y avait pas eu d’amélioration.
Et puis, enfin, il se réveilla.
Il se réveilla au beau milieu de l’après-midi, alors que Maxime, à côté de lui, brodait, comme chaque fois qu’il était inquiet, comme chaque fois qu’il se sentait mal, comme chaque fois que quelque chose lui pesait. Il se réveilla lentement, au rythme d’infime petits mouvements- le tressaillement d’un doigt, des paupières, de la tête, qui eurent tôt fait d’attirer l’attention du fermier français. Lorsqu’il entrouvrit les yeux, péniblement, deux fentes, parce qu’il ne devait rien y voir sans ses lunettes que Maxime avait retrouvé brisées, à côté des géraniums, le soleil filtrait par les volets fermés de la ferme. Un rayon doré qui capturait les poussières en suspension dans l’atmosphère, qui creusait l’ombre des draps blancs, qui caressait la peau du bras qui gisait immobile sur le matelas, embrassant la courbe fragile du poignet, du coude, et allumait quelques reflets roux dans le brun d’acajou des cheveux en bataille, sur la taie de l’oreiller. C’était un étrange spectacle, suspendu dans le temps, et, pendant un instant, Maxime en oublia de respirer.
Et puis, le regard se tourna vers lui, plissé et perdu et encore enfoncé dans les voiles de l’inconscience, et l’horloge qui cliquetait derrière lui repris la course folle de ses nombres. Maxime se redressa, abandonnant son matériel, pour s’approcher un peu plus du lit. Pas trop près, bien sûr- prudent, comme lui avait si pressement demandé Alphonse. Curieux, pourtant, et empressé, incapable de savoir comment agir, ce qu’il fallait dire, s’il y avait même une chance que l’allemand le comprenne. Et pourtant, la confusion du soldat ne sembla que s’intensifier, alors qu’il prenait visiblement conscience qu’il ne reconnaissait pas Maxime, qu’il ne reconnaissait pas l’endroit où il se trouvait.
« Tout va bien, » tenta-t-il, « Vous êtes en sécurité. »
L’allemand ne parlait pas français, mais il devait reconnaître le langage. Ses yeux s’écarquillèrent, comme saisi une nouvelle fois de terreur. Un instant fugace, pourtant. Très vite, la confusion revint, plus pressante encore. Il fronça les sourcils, doigts crispés sur les draps- il devait certainement se rappeler, un peu plus, au fur et à mesure, de ce qu’il s’était passé. Devait prendre conscience qu’il n’avait pas mal, pas trop, du moins, et qu’il n’était pas maltraité, qu’il était sur un lit, dans des draps, baigné par un timide rayon de soleil. Sa bouche s’ouvrit. Il dut dire quelque chose- quelque chose que Maxime ne parvint pas à comprendre. Deux syllabes. Patiemment, il leva la main, juste un peu, pour lui faire signe d’attendre ; le soldat tressaillit. Puis, à son tour, il sembla comprendre que Maxime ne parlait pas allemand. La confusion se coupla d’une pointe de frustration.
Un problème de communication qui aurait pu être de taille ; seulement, Maxime avait plus ou moins prévu la chose. Il n’eut qu’à tendre la main pour saisir le dictionnaire que lui avait ramené Alphonse, et qu’il avait soigneusement posé près de la tête de lit, au cas où. Croisant élégamment les jambes, sourcils légèrement froncés, il entreprit de tourner les pages de l’ouvrage, sous le regard d’abord perplexe du soldat. Puis, il sembla comprendre- et Maxime fut quasiment certain de le voir former un mince sourire. Rien de bien marqué, évidemment. Il semblait encore à deux doigts de reperdre connaissance.
Enfin, le mot qu’il cherchait. Il y apposa le doigt, et tourna le dictionnaire en direction des yeux curieux de l’allemand.
Bonjour – Hallo.
Le soldat cligna des yeux, et hocha imperceptiblement la tête. Sa main se leva à son tour, comme pour réclamer le dictionnaire. Il était pourtant évident qu’il lui serait compliqué de tourner les pages lui-même, et plus encore de tenir l’ouvrage en lui-même. Il s’en rendit compte en même temps que lui- la main retomba, et la frustration s’accentua. Alors, patiemment, Maxime entreprit de tourner les pages lui-même. Il ne fallut qu’une poignée de seconde pour que son patient inattendu comprenne ce qu’il cherchait à faire, et ne se décide à lui donner les lettres qu’il devait chercher- une tâche qui allait se révéler ardue, parce que Maxime ne l’entendait pas, et qu’il n’était pas usité à lire la prononciation allemande de l’alphabet. Cahin-caha, page par page, ils finirent par se comprendre ; et voilà le nouveau mot qui se présentait enfin sous le doigt de Maxime.
Warum - Pourquoi
Les pages tournèrent, une nouvelle fois. Rapidement, bien plus aisément ; déjà, Maxime commençait à s’y retrouver. Déjà, le regard du soldat se faisait un peu plus vif, perçait le voile de la morphine. Il ne se redressait évidemment pas sur le lit, mais sa tête était tout à fait penchée sur le côté, maintenant- et il fixait moins les pages du dictionnaire que Maxime lui-même, les yeux larges, emplis d’une drôle de frome de curiosité. On entendait beaucoup de choses mensongères sur les allemands, depuis le début de la guerre ; il était évident que ce soldat là était bien loin de l’image sanguinaire qui était venu aux oreilles -aux yeux- de Maxime.
 Empathie – empathie
Ah, parfait, c’était un mot transparent. Le soldat sembla surpris. Il cligna une nouvelle fois des yeux, avant de s’humecter les lèvres. S’humecter- oh. Vivement, à la visible surprise de l’allemand, il reprit sa recherche dans les pages du dictionnaire.
 Soif – Durst
Puis, d’un geste qui lui sembla un peu pathétique, il pointa le soldat du doigt. Cette fois-ci, il y eu décidément une forme de sourire pour étirer les lèvres du jeune allemand. Maxime le vit articuler – oui. Probablement l’un des seuls mots français qu’il connaissait ; l’effort lui arracha à son tour un fin sourire, et il se releva immédiatement. Souple, rapide, aisé, il était revenu avec un verre d’eau -judicieusement tirée du puit ce matin- et entreprenait de l’aider à boire. Incliner la tête, la maintenir de sa main gauche, doigts glissés sous la nuque du soldat, emmêlés dans les mèches brunes, et presser le verre contre les lèvres, juste assez pour que l’eau ne s’y précipite pas trop vite. Il avait vu Alphonse faire cela à de maintes reprises ; c’était un réflexe aisé à adopter. Puis, bien sûr, en attendant d’aller chercher de quoi manger, il lui sembla nécessaire de reprendre une nouvelle fois le dictionnaire.
 Nom – Name
Le soldat plissa les yeux, tentant manifestement de déchiffrer ce qui était écrit. Puis, son regard se braqua directement dans celui de Maxime.
« Stefan, » articula-t-il.
Il y eut quelques secondes de flottement, pendant lesquelles Maxime répéta ce qu’il venait de lire, pour s’assurer qu’il s’agissait bien du bon prénom ; puis, Stefan le pointa du doigt à son tour, presque timidement- une question muette. Retour du fin sourire du fermier français.
« Maxime, » se présenta-t-il, posément.
Et Stefan lui sourit en retour. Une fossette creusée dans sa joue gauche.
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C’était une étrange cohabitation. Tout compte fait, Stefan – Stefan Maximilien Saulter, appris bientôt Maxime- ne sortait pas du lit ; il ne pouvait pas vraiment. Alphonse avait prédit (non sans inquiétude, bien sûr) qu’il lui faudrait certainement plusieurs mois pour se remettre complètement ; au moins quelques semaines pour ne serait-ce qu’être capable de sortir du lit. Le médecin avait beaucoup échangé avec son patient, d’ailleurs, parce qu’Alphonse parlait allemand, contrairement à Maxime. Le problème, apparemment, avait été que le soldat voulait rejoindre son armée le plus rapidement possible ; lorsqu’on lui avait demandé pourquoi -et Maxime se doutait qu’Alphonse n’avait pas dû s’empêcher de glisser un commentaire sur à quel point c’était impoli d’être si pressé d’envahir des braves gens français qui n’avaient rien demandé-, il s’était simplement contenté de répondre qu’il n’aimait pas la guerre, mais qu’il devait retrouver quelqu’un- à condition que cette personne soit encore en vie, bien sûr. Ça avait adouci Alphonse, et ça avait certainement achevé de sécuriser la place de l’allemand dans la ferme de Maxime. Stefan avait vingt et un an, avait trois ans de moins que Maxime, et ne voulait partir en guerre que pour suivre quelqu’un qui lui était cher- comment ne pas ressentir une forme d’empathie ?
Ils ne se parlèrent pas beaucoup, au début- problème de cohabitation obligeait. Seulement pour manger, pour les besoins quotidiens, pour les nécessités ; Maxime n’était pas nécessairement souvent présent dans la bâtisse elle-même, devant évidemment s’occuper de ses propres affaires, mais, lorsqu’il s’y trouvait, il constatait bien vite que la compagnie constante, bien que muette, était loin d’être désagréable. Certes, elle signifiait que Maxime se trouvait à dormir sur le vieux canapé ; c’était le seul inconvénient qu’il se trouvait. Stefan, il le soupçonnait, était plutôt timide, et n’était pas du genre à imposer sa conversation- avait même plutôt tendance à tout faire pour ne pas se faire remarquer. Il passait ses journées le nez plongé dans le dictionnaire que Maxime lui avait laissé- et, à sa grande surprise, l’allemand avait bien vite fait des progrès ; suffisamment pour ne plus en avoir besoin dans le cadre d’une simple discussion. C’était aussi ainsi qu’il avait fini par comprendre que Maxime était sourd : en lui demandant poliment de corriger sa prononciation. Il avait été surpris de l’apprendre- et puis, comme si de rien n’était, il avait décidé de trouver un autre moyen d’attirer son attention.
Ce moyen, c’était « prendre le petit miroir qui gisait sur la table de nuit, se débrouiller pour trouver une source de lumière à proximité du lit, et la faire miroiter vers le visage de Maxime ». Désagréable, mais ingénieux. On pouvait lui reconnaître qu’il ne faisait cela que par absolue nécessité- la nécessité étant, Maxime perdu dans ses broderies et ses coutures. Les broderies et les coutures, d’ailleurs.
Il n’était pas rare qu’il lève les yeux de son travail, de temps à autre, et qu’il croise le regard de Stefan, curieux, mais dépassant juste assez des pages du dictionnaire pour observer discrètement ce qu’il faisait. Comme si les mouvements en eux-mêmes le fascinait ; comme si ce que produisait Maxime était digne d’une attention si accrue. C’était… eh bien, c’était flatteur. Ce fut peut-être pour cela qu’il décida de coudre de nouveaux vêtements pour l’allemand- autre chose que son uniforme ensanglanté, ou que les chemises bien trop grandes que Maxime lui avait prêtées.
Oui, la cohabitation, dans un premier temps, avait été muette, avait été un peu étranges, comme s’ils dansaient tout deux, marchant sur des coquilles d’œufs, tâtonnant sans vraiment savoir vers quoi ils se dirigeaient. Et puis, petit à petit, sans qu’il n’en prenne tout de suite conscience, les conversations se faisaient plus nombreuses. Maxime se trouvait à expliquer quelques règles de grammaire et de conjugaison française ; Stefan, en retour, lui enseignait des mots allemands, des expressions. Maxime se trouvait à tirer sa chaise près du lit pour broder, et Stefan, très vite, ne cacha même plus qu’il le regardait faire. Maxime se trouvait à lui enseigner la pratique du point de croix, et Stefan s’y échinait, motifs floraux sur motifs floraux. Maxime se trouvait à parler de sa vie, et Stefan, de la sienne. Maxime se trouvait à l’observer, sans vraiment y songer, alors qu’il était penché sur son dictionnaire, langue à demi-sortie, l’expression fermée par une concentration presque enfantine. Maxime se trouvait à sourire, chaque fois qu’il le voyait, et Stefan ne manquait jamais de le lui rendre. Bientôt, une poignée de semaines qui passèrent bien vite- le temps que mai se fondent en juin, juillet, et n’atteigne le début du mois d’août, la cohabitation s’était muée en une étrange forme de camaraderie, d’amitié- au point que, parfois, Stefan se joignait aux conversations lorsqu’Alphonse était dans les parages, sans trop hésiter.
« Maxime Maelic Schreider, » disait Stefan. « On dirait, c’est allemand. »
« D’origine, seulement, » répondait Maxime, et le soldat lui souriait, largement.
Cohabitation, camaraderie, amitié- tendresse inattendue, émotion naissante qui semblaient bien décidées à ne pas quitter le creux de sa poitrine où elles avaient trouvé racines. Dehors, pourtant, la guerre faisait toujours rage.
Etrange bulle hors du temps.
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Les motifs floraux brodés maladroitement par Stefan auraient dû être un indice ; mais l’allemand aimait, adorait le jardinage. Tant et si bien que le premier jour, littéralement, où Alphonse l’autorisa à quitter le confort du lit, ce fut tout juste s’il ne se trépigna pas face à Maxime pour qu’il le laisse l’accompagner dehors. Non pas qu’il puisse en avoir eu besoin ; il lui suffisait tout simplement de sourire, ce sourire qui creusa sa fossette, l’air innocent et les yeux larges, cheveux en bataille et col de la chemise froissée, et Maxime ne pouvait rien faire d’autre qu’hocher la tête, et lui accorder tout ce qu’il souhaitait.
« Il te mène par le bout du nez, » avait plaisanté Alphonse, alors que l’allemand s’était un peu éloigné pour s’extasier sur les plantes grimpantes qui couvraient la façade ouest de sa ferme. « C’était peut-être ça, son plan, depuis le début… ! »
« Terriblement machiavélique, » avait approuvé Maxime, plus par désir de cacher sa gêne qu’autre chose.
Alphonse l’avait observé quelques instants, comme s’il n’était absolument pas dupe du tout ; puis, doucement, il avait tenté de lui filer un petit coup de coude. « Tenté » étant le mot clé, puisque Maxime avait pris grand soin de lui immobiliser le bras d’une poigne aussi courtoise que sévère.
« Je crois qu’il t’apprécie aussi, » avait ajouté, bien plus bas, le médecin- et, cette fois, Maxime n’avait pu cacher la gêne.
« Qu’est-il arrivé… à tes exhortations à la prudence ? »
« Il y a des choses qui ne se contrôle pas ! » avait répondu Alphonse, avec un petit sourire. « Je suis content pour toi. Je sais que tu es suffisamment intelligent pour ne pas attirer l’attention des imbéciles qui auraient quelques choses à y redire. »
Peut-être, avait pensé Maxime. Ce n’était pas pour autant que le problème n’était pas épineux. Tant de variables à franchir. La guerre, les obus qui semblaient éclater toujours plus près de chez lui. Les mentalités. La réciprocité, aussi, évidemment. C’était une amitié, une drôle d’amitié- peut-être plus, ou peut-être pas. Beaucoup de risques à prendre pour un résultat incertain. Pourtant, songea-t-il, mains dans la terre, suivant les indications enthousiastes de Stefan qui baragouinait dans un mix de français et d’allemand pour lui apprendre à prendre soin d’un parterre de bégonias- pourtant, c’était peut-être quelque chose qui en valait amplement la peine.
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Une petite bulle de paix qui ne pouvait pas durer éternellement, bien sûr. C’est un beau matin de la fin du mois d’août qu’Alphonse surgit, à bout de souffle, après avoir visiblement couru jusqu’à sa ferme ; et son apparition impromptue avait trouvé Maxime dans son étable, en train de traire sa vache.
« L’armée arrive, » lui avait signalé le médecin, entre deux inspirations tremblantes, les jambes flageolantes. « L’armée française. Elle fouille les maisons, réquisitionnes des objets, pour l’armée. Des poêles, des casseroles, de la nourriture- Maxime, ils vont forcément se rendre compte que tu as un allemand chez toi ! »
Maxime, bien sûr, n’avait pas perdu une seconde. Il avait abandonné son seau, et s’était précipité, Alphonse sur ses talons, vers la ferme. Stefan devait les avoir entendu arriver, et devait déjà avoir compris que quelque chose se tramait ; il était déjà debout, malgré l’heure précoce, et finissait de boutonner sa chemise.
« L’uniforme… » marmonna Maxime, scannant la pièce du regard. « Où donc ai-je mis… l’uniforme ? »
« L’armée ? » s’enquit Stefan, manifestement inquiet, mais s’efforçant de rester droit, menton et tête haute, malgré sa posture vacillante.
« Oui, » répondit Alphonse. « Comment cacher votre accent, votre identité ? »
Maxime, du coin de l’œil, vit l’allemand se mordiller la lèvre inférieure- il devait chercher dans sa mémoire pour comprendre, dans un premier temps, ce que lui disait Alphonse, et ensuite, trouver une solution. Il se pencha en avant, saisissant le fameux uniforme qui était resté, plié, dans la vieille armoire, depuis près de trois mois, maintenant.
« Alphonse, » appela-t-il doucement, attirant l’attention des deux hommes vers lui. « Trouve un endroit… pour cacher cela. »
Le médecin sembla soulagé d’avoir quelque chose à faire ; déjà, il s’emparait de l’uniforme, des bottes, et sortit en trombe dans la pièce. Stefan dressa la tête ; Maxime comprit qu’il devait entendre, dans le lointain, le bruit des véhicules qui s’approchaient. A pas décidé, il le contourna, et se planta face à lui.
« Vous êtes… mon cousin. Muet. »
« Muet ? » répéta Stefan, sourcils froncés.
« Ne parlez… surtout pas. »
Le message sembla passer, bien heureusement. Le soldat hocha la tête, un geste rapide, saccadé, militaire. Par la fenêtre, Maxime vit Fiat 15 se garer dans l’allée de sa ferme, sous une folle fuite endiablée des quelques poules qui y picoraient- juste au moment où Alphonse revenait, se glissant par la porte arrière de la ferme. En descendirent un sergent, suivit de quelques soldats, qui se dirigèrent sans la moindre hésitation vers la porte laissée ouverte par l’entrée précipitée d’Alphonse et Maxime. Les trois hommes s’échangèrent un regard ; puis, bravement, se fut Alphonse qui s’avança, et qui se présenta.
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Lorsque les soldats partirent enfin, la ferme avait été quasiment saccagé. Plus la moindre casserole, plus le moindre pot. Plus de confitures, de pain, de fromage ; Maxime s’estimait heureux qu’on lui ait laissé ses légumes et ses meubles. Ils se trouvaient tout trois attablés, comme encore hébétés par l’entrée inattendu, par ce rappel brutal de la guerre qui se jouait.
« Ils auraient pu te laisser plus de choses, quand même, » s’indigna Alphonse, secouant lentement la tête, de gauche à droite, répétitif et frustré. « Ils ne doivent pas avoir besoin de tant de casseroles. »
« Si, » murmura Maxime, en retour. « Ce n’est pas très… grave. »
Stefan semblait particulièrement perplexe, sur sa propre chaise. Il s’y était effondré à l’instant même où la porte s’était refermée ; il n’aurait pas du pouvoir rester debout si longtemps, mais il était évident que ses blessures ne pourraient faire autre chose qu’attirer une attention qui était bien loin d’être bienvenue.
(« Il a l’air bien livide, votre cousin, » avait dit le sergent ; Maxime était certain qu’il ne pouvait pas avoir été le seul à s’être liquéfié sur place. Béni soit Alphonse et son jargon médical obscur.)
« C’est… normal ? Faire ça ? » s’enquit finalement Stefan, tripotant machinalement les manches de sa chemise. « Voler… euh, des trucs ? » 
« C’est une façon de participer à « l’effort militaire », » expliqua Alphonse, avec un soupir. « Quand on est du mauvais côté d’une invasion militaire, personne n’est vraiment prêt, et c’est les civils qui finissent par en pâtir. »
Stefan n’avait probablement pas tout compris. Il avait dû en comprendre assez. Il baissa simplement la tête, contemplant ses doigts d’un air un peu fâché, avant de jeter un bref coup d’œil vers Maxime.
« Voilà pourquoi j’aime pas la guerre, » dit-il. « On sait jamais qui la subit. »
Personne, dans la pièce, n’y trouva quoi que ce soit à redire.
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Il pleuvait. Seulement, voilà ; il ne s’agissait pas de gouttes de pluie. Il pleuvait, et les obus, lorsqu’ils s’écrasaient sur le sol meuble des champs alentours, incendiaient le monde d’ocre, d’orange et de rouge. Eux-aussi faisaient pleuvoir, autour d’eux. Faisait pleuvoir la terre, les débris, les corps, aussi. De loin, du haut du tout où Maxime s’était perché avec Stefan, c’était comme un feu d’artifice morbide. On voyait se découper le champ de bataille, au-dessus de la cime des arbres des petits bois ; on voyait pleuvoir les obus, lâchés par les avions qui survolaient la zone, silhouettes sombres et lugubres, corneille dans le ciel nocturne. Pas de lune, pas d’étoile, derrière la fumée et les nuages. Tout aurait été noir, sans ces lumières-là. Le spectacle, de leur perchoir, était beau à sa manière. Beau comme un chant de cygne. Beau et lancinant, beau et terrifiant. Eux, pourtant, étaient en sécurité. Enveloppés tous deux dans une couverture, protection contre le froid glacial du vent d’octobre. Et Stefan, à côté de lui, avait l’air grave, le regard perdu dans le lointain. Il fronçait les sourcils, comme bien souvent. Cheveux ramenés en arrière, légère moue, profil illuminé de temps à autre par l’intervalle des explosions lointaines.
« Je suis presque guéri, » dit-il finalement. « Ça veut dire que je vais devoir partir. »
C’était ce que Maxime craignait. Cela faisait quelques jours, maintenant, qu’il se torturait, sachant pertinemment que ce jour n’était plus très loin. Qu’il voyait Stefan marcher de mieux en mieux, presque sans fatigue ; boitant légèrement, épaule trop raide, respiration plus courte- mais guéri, ou peu s’en fallait. Cinq mois, et Maxime ne parvenait déjà plus à imaginer sa vie sans cette présence là- sans les rires et les remarques et les sourires et les fleurs qui s’épanouissaient dans son jardin. Il savait que ça allait arriver. Ça n’empêcha pas son cœur de sombrer.
« Je… comprends, » souffla-t-il, du bout des lèvres.
Stefan tourna la tête vers lui. Pensif, peut-être. Grave. Contrarié. Triste. Maxime savait bien qu’il n’était pas le seul à s’être habitué à cette proximité- peut-être même qu’il n’était pas le seul à s’être attaché ainsi, au-delà de toute raison. Il en eut l’implicite confirmation lorsque l’allemand, lentement et timidement, vint couvrir sa main de la sienne.
« C’est mes frères, » lâcha le soldat. « Les personnes que je dois trouver. Paul et Simon. Je peux pas les laisser croire que je suis mort. Et faut- faut, uh, sich schützen zwischen Brüdern. Entre frères ? »
Maxime inspira profondément. Ses doigts, naturellement, vinrent se mêler à ceux de Stefan. La main de l’allemand était bien plus petite que la sienne. Elle semblait fragile. Lorsqu’il le voyait comme cela, assis au bord du toit, les épaules sous le poids de sa couverture, jeune et frêle et fragile, et qu’il savait, savait que c’était lui qui allait bientôt se retrouver sous le feu d’une lancinante beauté des obus, il ne pouvait chasser la nausée qui montait. Il songeait à l’uniforme ensanglanté, il songeait aux blessures qu’il avait soigné, à la certitude qu’il avait eu, plus d’une fois, que Stefan allait mourir. Il déglutit péniblement.
« Ich liebe dich, » prononça-t-il, sans vraiment pouvoir s’en empêcher, comme si les mots ne pouvaient tout simplement pas rester en lui plus longtemps.
Les yeux de Stefan s’écarquillèrent, largement. Sombre et noir dans la nuit. Lointaine lumière du champ de bataille, au coin de son regard. La main, dans la sienne, serra plus fort ; elle tremblait, de froid, de peur, Maxime ne saurait le dire. Le sourire s’esquissa, vacillant, creusant sa fossette.
« Moi aussi, » répondit Stefan, et il n’y avait rien de joyeux, là-dedans ; rien de plus que la saveur d’un adieu.
Un long silence. Un instant muet. Un avion les survola, l’oiseau de mauvais augure. Stefan reporta son attention sur le paysage. Il n’y eut que sa tête pour venir se reposer, lasse et triste et grave, contre l’épaule de Maxime. Blottis sous la même couverture. Le monde enflammé à leurs pieds.
« Promets moi de revenir, » souffla Maxime. « Lorsque cette folie… sera finie. Peu importe… qui aura gagné. Reviens… s’il te plaît. »
« Je le promets, » murmura Stefan.
Il n’y avait pas besoin d’entendre le ton de sa voix pour savoir qu’il n’y croyait pas, pas une seconde. Son regard s’exprimait de lui-même- un voile lointain d’une mort assurée.
 ----
« Il va s’en sortir, Maxime. Il est têtu, et il est coriace ! Trois balles ne suffisent pas à l’abattre… Il reviendra, Maxime, tu verras. »
La pièce semblait vide. Le lit, défait. Plus de sourire, plus de rire, plus d’éclat noisette d’un regard qui semblait piqueté d’éclat doré. Plus de dictionnaire, non plus. Stefan était parti avec- Maxime avait refusé de le lui reprendre. Un comble, parce que ce dictionnaire, ce n’était même pas le sien.
Alphonse se trouvait juste face à lui. Il lui parlait. Il essayait de rassurer- rassurer Maxime, et se rassurer, lui-même. Stefan était parti, il y avait cinq minutes de cela, par le petit chemin sinueux du bois de Favrieux. Dans son uniforme lavé, recousu, un simple soldat allemand- l’ennemi. Mais un ennemi qui avait un nom, qui avait un rire, qui avait un sourire, qui avait une famille et des rêves et des passions. Derrière lui, il laissait un trou que rien ne semblait pouvoir remplir.
Deux kilomètres plus loin, la guerre grondait, prête à l’avaler tout entier.
 ----
 Epilogue
1919. La guerre était finie depuis quelques temps, maintenant. C’était une drôle de pensée ; comme si chaque instant qui passait était voué à s’achever en explosion, à s’achever sous l’éclat de la poudre des fusils qui tiraient, des mitraillettes qui massacraient. La France avait gagné, disait-on ; la vie de Maxime n’en était pas pour autant métamorphosée. Il gardait sa ferme, sa vache, ses poules. Le soleil se levait et se couchait. Les aiguilles des montres défilaient. Alphonse venait et repartait. Les champs gardaient leurs visages ravagés. Les fleurs qu’avaient plantées Stefan étaient fanées depuis longtemps. La guerre était finie ; et le soldat allemand n’était jamais revenu.
Et Maxime continuait sa vie. En automatisme. Chaque matin, il se levait. Chaque soir, il se couchait. Chaque instant, il guettait le petit chemin sinueux, guettait les silhouettes qui s’y profilaient. Trop grandes, trop petites, trop féminines, trop Alphonse. Ce n’était jamais la bonne. Alors, il continuait. Se levait. Se couchait. Guettait.
Chaque jour qui passait, c’était un espoir qui s’effaçait. La guerre était finie, et le soldat allemand ne revenait pas. Peut-être qu’il l’avait oublié. Peut-être qu’il était mort. Se lever. Se coucher. Guetter.
Vint le mois de mai. Les fleurs qui bourgeonnaient. Les oiseaux qui volaient. La chaleur qui montait. Un espoir qui s’amenuisait, s’amenuisait, s’amenuisait… Se lever, se coucher, guetter. Se lever, se coucher… guetter. Se lever, se coucher. Se lever. Se coucher. Se lever. Se coucher. Depuis quand avait-il cessé de guetter ? 
Se lever. Se coucher. Se lever…
“Kleiner Bruder ! Ich habe es gefunden!”
Maxime cligna des yeux. Il était assis sur son petit tabouret, à côté de sa vache, seau entre les jambes, en train de traire machinalement. Plongé dans ses pensées, automate- lorsqu’avait surgis, entre deux pis roses, un visage jovial, familier sans l’être, barré d’un large sourire. Chemise au col désordonné, cheveux ébouriffé, manches retroussés, regard noisette- familier, douloureusement familier, sans l’être vraiment. Un vétéran de guerre, sans le moindre doute.
« Paul ! » s’exclama l’inconnu si, oh, si semblable à Stefan. « Paul Saulter. Schön, Sie kennenzulernen, zukünftiger Schwager ! »
Maxime ne répondit pas. Figé sur place. Routine explosée, cheminement de pensée brisé, envahi par l’éclat d’un nouvel espoir bien trop fort. Et voilà qu’il y avait du mouvement, derrière Paul- le grand frère de Stefan, comprit-il. Si familier, sans vraiment l’être. Ce mouvement, c’était Alphonse qui trottinait dans leur direction, foudroyant l’allemand du regard (« Ich habe Sie gebeten, Sie nicht zu bewegen ! » qu’il piailliait, le pauvre médecin); et ce mouvement, c’était…
« Bonjour, » salua Stefan, timidement, penché par-dessus la croupe de la vache bien trop complaisante. « Je suis en retard, je crois. »
Il n’avait pas changé, ou si peu. Sourire à peine esquissé, fossette creusée. Regard parsemé d’éclat doré. Souriant, timide, inquiet- vivant. Un petit miracle inespéré, un rescapé- recraché par la guerre, un acte de bonté que personne n’aurait songé à lui prêter. Et le soleil, derrière lui, le soleil de mai qui l’avait vu venir, trois ans plus tôt, était radieux. Il inondait la grange, inondait la paille et les arbres derrière eux. Un tableau idyllique, un tableau paisible- la petite bulle hors du temps qui venait se réinstaller, à ses côtés.
La guerre était finie. Enfin, il en mesurait le sens.
La guerre était finie ; Stefan était revenu.
Maxime se sentit sourire.
 FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
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Bienvenue sur La Tour de Babel.
Certain.e.s d’entre vous seront venu.e.s ici après avoir lu le livre ; d’autres auront croisé, peut-être, quelques comptes RPs, et auraient suivi leur curiosité. Dans tout les cas, c’est un plaisir de vous voir parmi nous.
Sur ce blog, vous trouverez de tout : des fanfictions, des fanarts, des écrits autour de l’oeuvre. L’ask box est ouverte, pour tout ceux qui aimeraient en savoir plus sur l’univers en question, pour tout ceux qui voudrait interargir avec l’auteur- également admin de ce blog. Donc, moi. Bibi. Salut ! :P
Les contributions sont plus qu’encouragées, tant que vous respectez les quelques règles énoncées. N’hésitez pas à me taguer lorsque vous postez quelque chose en rapport avec ce livre. 
Voici donc pour le message de bienvenue ; sous la coupure, pour ceux que cela intéresse, vous pourrez trouver la présentation globale de l’univers, ainsi que les tags associés aux ships et aux AUs récurrents. Pour ceux qui sont intéressés par les fanfictions, bien sûr...
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Présentation générale :
Vous êtes dans un monde peuplé d’allégories. Ici, les idées, les concepts sont personnifiés : Histoire, Géographie, Art, Mathématiques, Théâtre, Français, SMS sont autant de personnages qu’il est possible de croiser. Un monde au delà du notre, donc, accessible par l’ancien passage de la Tour d’un être Corrompu, par les observations d’une mystérieuse fondation Babel.  Le champ des possibilité et plutôt étendu, bien sûr. Je vous invite d’abord à vous renseigner sur les personnages existants avant de construire un OC ! D'autres parts, tout les personnages sont tagués sur les posts où ils apparaissent. Si vous voulez le tag d'un personnage en particulier, n'hésitez pas à demander !
Masse de noms de ships déjà existants (ce qui vous donne aussi une idée des personnages canons- et puis, bien sûr, je ne prétend pas définir les noms des ships ! C’est seulement ceux qui seront utilisés sur ce blog) :
- SMS x MMS : #MessagingServices
- Français x Anglais : #Franglais
- Alphabet x Programmation : #Probet
- Gallois x Haut-Alémanique : #DumbassesBoyfriends
- Elle x Lui : #Them 
- Larousse x Collins : #DictionnaryGang
- Sylvia x Larousse : #FarewellLovers
- Danse x Musique : #OperaWifes
- Service Secret x Langue des Signes : #SecretSigne
- Conjugaison x Elle : #ConjugElle
- Président Américain x Présidente Coréen : #Corecan
- E x Tkt : #Troublemakers
- Smiley x Meme : #LAUGH
- Histoire x Géographie : #CartesHistoriques
- Mathématiques x Arts : #Artique
- Service Secret x Anglais : #SpyEnglish
- Théâtre x Cinéma : #LivingShow
- Métaphore x Hyperbole : #DramaQueens
- Français x Alphabet : #SaMajesteAlphabet
- Lui x Haut-Alémanique : #HisPrettyPuppet
- Espéranto x Traducteur Automatique : #PenpalsSweethearts
- Lui x Correcteur Automatique : #KarmaInYourFace
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AUs :
Nous comptons pour l’instant une dizaine de AUs ; lorsques des posts y seront dédiés pour les présenter, j’ajouterai le lien derrière leur entrée.
- Human!AU, et toutes ses nuances
- Family
- Conte de fée
- Epoque victorienne
- Première et Deuxième Guerre Mondiale
- Entreprise
- Be More Chill
- Heathers
- Among Us
- Old people
- Minecraft
- Post-Apocalyptique
- Happiest AU Ever
- Programmation’s Remake Show
Qui sait, un AU OFF est peut-être en production...
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Et voilà pour la présentation générale... ! Cela fait un sacré post épinglé. Bienvenue, donc, dans cette communauté : j’espère que vous y trouverez votre compte !
Les dessins que vous avez pu voir apparaître tout du long sont de @mimmixerenard​ : allez checker son compte, c’est un.e artiste de talent !
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