Tumgik
#stefan Maximilian saulter
la-tour-de-babel · 2 years
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La Crêpe Ratée - Pièce de Théâtre en quatre Actes
DISCLAIMER : Le saviez-vous ? C'est très peu pratique de poster des pièces de théâtres, sur Tumblr. Le format ne passe pas très bien. Du coup, eh bien, vous avez l'incommensurable chance d'avoir un lien Google Doc à la place. La pièce est toujours sujette à réécriture, en plus, donc c'est tout benef'.
RESUME : Nous sommes dans un nouvel AU, abordable même sans avoir lu La Tour de Babel. Paul entre en contact via vidéoconférence avec une créature répondant au doux pronom de Lui. Pourquoi ? C'est simple. Il a besoin qu'on répare sa vie.
PAIRINGS : Alphonse Bertrand / Maître Alphabet x Paul Saulter / Programmation.
TRIGGER WARNING : Mention de suicide, de mort, et basiquement, on part complètement dans les principes de #unreality. Manipulation, bien sûr, parce qu'Il est l'un des personnages. Et beaucoup de discussions autour de la Théorie des Crêpes.
Sur ce, et bien. Enjoyez, si vous en êtes capables.
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Ouais, donc- salut. Moi, c’est Stefan, mais appelez moi Monsieur si je vous connais pas. Je suis peut-être sympa, mais je suis un militaire avant tout.
Je sais même pas ce que je fais ici, c’est mon frère qui m’a dit de créer un compte. Ca pourrait être drôle, qu’il a dit. Pas sûr d’être d’accord. Alors, bon, du coup, les règles, elles sont claires. C’est un ask-blog, donc, bah, posez les questions que vous voulez.
Juste, je veux pas voir des insultes, et je veux pas voir des trucs NSFW. Svp. Soyez cools. Pas de discours de haine non plus, hein, que ce soit contre des gens, des animaux, des concepts, ou des fleurs. Surtout pas envers les fleurs.
Et puis, merci de pas venir me les casser si je fais des “fautes de français”. C’est moi que ça regarde. Et je fais déjà un effort. 
Et puis surtout, j’ai un taff à côté, c’est déjà suffisamment galère comme ça, ou  c h r o n o p h a g e, parce que je connais des grands mots aussi, donc vous étonnez pas si je répond pas tout de suite. 
Oh, et je redis, parce que c’est important : ma pdp, c’est @mimmixerenard qui l’a fait. Je ne connais pas cette personne, mais Paul arrête pas de dire qu’iel est “ultra talentueuse”, et je suis d’accord. Merci de m’avoir dessiné, même si je sais pas pourquoi... !
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Avis à toustes,
Selon vous, qui serait le plus designé pour tenir le rôle de tête d'affiche ? Je ne parle pas uniquement du charisme (sinon je me doute déjà de la réponse), mais bien d'un ensemble — pour être un ... acteur de publicité, en quelque sorte ;)
Voilà, je demande ça pour un ... petit projet que j'ai décidé de débuter aujourd'hui :D
@paul-saulter @stefan-maximilian-saulter @maxime-maelic-schreider @carwyn-gibson @sylvain-saulter @celestin-melies @thanasis-aiskhulos @heinrich-attinger @francis-leroy @edward-short @grand-mere-feuillage @le-mouron-rouge @simon-saulter @claudia-gimenez @sam-yelima
Et bien sûr @la-tour-de-babel , et pourquoi pas @tchatso (puisque tu connais un peu les gens du dessus ;) )
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bristish-teacup · 3 years
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@stefan-maximilian-saulter ? I have a good and a bad news.
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not-gomez-addams · 3 years
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Bon anniversaire, @stefan-maximilian-saulter <3 Je suis vraiment navré de ne pas avoir pu être présent, mon coeur, mais je viendrai demain, sans faute.
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holy-mammamia-sir · 3 years
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Un coucher de soleil, et un lever de soleil. Photographies prises par moi-même, sous la demande de @stefan-maximilian-saulter .
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Ce serait bien aimable de ne pas reposter, mais, au fond, cela ne m'importe guère.
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camembert-president · 3 years
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La faute de l'orthographe | Arnaud Hoedt Jérôme Piron | TEDxRennes
Eh bien, c’était tout à fait édifiant. Et étonnamment drôle, au demeurant. Qu’en pensez-vous, vous autres ? Quelle est votre appréhension de l’orthographe ? Je pense notamment à vous, @stefan-maximilian-saulter , mais je serais ravi d’entendre les avis de tous.
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Euh- Bonsoir, Commandant.
Je suis désolé de vous dérangé, je vais essayé d'être bref. Je ne suis pas très bon avec le langage, je suis désolé si je fais des fautes. J'essaye de faire attention. Vous avez déjà eu, je crois, le malheur de "rencontrer" mon frère, Paul (je suis vraiment, vraiment désolé pour son attitude), mais aussi mon subordonné, Maxime.
Je m'appelle Stefan, et c'est moi qui suit à la tête de cette troupe qu'on peut pas vraiment qualifier d'armée. J'y suis depuis que j'ai treize ans, je viens de passer la vingtaine, maintenant, et j'ai jamais été un bon leader. En fait, je crois que je ne peux pas faire autrement que d'être un soldat, dans ce monde. Mais, ça va sûrement vous paraître stupide, je n'aime pas ça. J'avais, petit, l'image du soldat comme un héros, vous voyez, et de la guerre comme un truc- une chose épique. C'est pas ça du tout. Je n'aime pas faire la guerre, et je suis terrifié à l'idée d'un jour devoir tuer quelqu'un. Ca a déjà failli arrivé. Vous devez penser que c'est lâche.
Du coup, c'est ça, ma question stupide : est-ce qu'une armée peut faire autre chose que- eh bien, la guerre ?
Euh- merci d'avance, alors, même si vous répondez pas.
Avec respect,
@stefan-maximilian-saulter
Ainsi vous êtes donc le fameux supérieur de Maxime ; bonsoir à vous, Stefan, et bienvenue sur mon blog. Pas la peine de vous excuser pour les agissements de votre frère. L'Internet regroupant des individus aux horizons et mœurs variés -un océan d'inconnus dans mon sens et dans le leur-, je m'attendais à certaines libertés dans les premiers échanges. L'important étant que le message soit passé et qu'il serve au principal intéressé tout comme aux éventuels visiteurs qui ne me connaîtraient pas. Et puis, dans le fond, son intervention n'était pas méchante ; seulement, si j'avais vraiment cherché un espace pour discuter de manière plus relax, je n'aurais pas créé ce blog en mon nom.
Cela mis au clair, permettez-moi de revenir sur un détail que vous avez spécifié et qui m'a fait tilter : vous aviez treize ans lorsque l'on vous a confié des troupes à mener. J'eu sous mes ordres de jeunes gens guère plus âgés, par le passé, mais c'est la première fois que l'on me rapporte que quelqu'un d'aussi jeune puisse être nommé officier. Encore une fois, je ne connais aucunement vos coutumes ; d'un point de vue externe, votre prise de galons était bien trop prématurée.
Je l'ai dit, et je le répète encore : on ne s'invente pas soldat, on ne s'invente pas officier. Ce n'est pas simple d'acquérir les qualités nécessaire pour pouvoir se prétendre l'un ou l'autre. Et en même temps, comme dans votre cas, comme dans le cas de bien trop d'individus, on vous a largué dans ce rôle sans préavis. Sans choix. Alors si vous-mêmes ne vous y sentez pas à votre place, vous en tant que meneur, il y aura toujours un malaise latent vis-à-vis de vos troupes. Tout ce que je pourrais vous dire sur ce point serait de prendre du recul pour embrasser une vision globale de votre rôle au sein du groupe ; peut-être y retrouverez vous certains aspects qui vous paraîtront moins repoussants. Mais j'y reviendrai plus tard.
À présent votre question : "Une armée peut-elle faire autre chose que la guerre ?"
Oui et non.
À l'origine, l'ensemble que l'on nomme armée a pour mission de protéger le peuple/la nation/l'État à laquelle elle est rattachée et de faire perdurer la paix sur son territoire. Dès l'instant où l'un ou l'autre est menacé, ce corps se déplie et s'arme pour contrer le danger : c'est ce que l'on va généralement appeler guerre. D'autres armées servent un motif idéologique, ou on été premièrement formées pour appuyer une conviction partagée par un ensemble d'individus – tel que la recherche de liberté, par exemple. Pour l'un ou l'autre, l'armée est le recours à la force pour soutenir un groupe ou un concept ; ce qui la rend pratiquement indissociable de la notion de guerre, qui est, en bref, le passage à l'acte.
En temps de paix, elle agit en ombre protectrice sur le peuple qu'elle garde. La guerre n'étant pas un état constant, bien entendu.
Ce que je veux vous faire comprendre par là est que le terme armée, à connotation militaire, va de paire avec le terme guerre, à un moment ou un autre. Mais toute troupe n'est pas une armée, auquel cas vous êtes l'un des mieux désignés pour trouver un nom plus adéquat au groupe dont vous êtes à la tête. Est-ce une association ? Une police ? Une milice ? Que cherchez-vous à faire ? La guerre ? Assurer une protection ? Les deux ?
À moins que je ne fasse fausse route et qu'il s'agisse d'une force extérieure qui a qualifié votre poste d'officier et celui de vos hommes d'armée, prendre un temps de réflexion sur ces points pourrait peut-être vous éclairer. Vous êtes encore jeune, Stefan, et vous êtes accompagné d'un subordonné compétent. Il est encore temps de se poser les grandes questions et d'en discuter.
Une réponse plus longue que prévue ; si certains points abordés vous interpellent ou vous font défauts, ma messagerie privée est ouverte, je le rappelle.
Sur ce, je vous souhaite de passer une bonne journée/nuit, respectueusement.
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ask-bruce-j-speed · 3 years
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Bonjour, Monsieur,
J'ai pas une vraie question à poser, mais je voulais simplement vous dire que je vous admirais beaucoup. J'ai récemment commencé à regarder les parcours de célèbres officiers pour tenter de reproduire ne serait-ce qu'un quart d'une fraction de ce qui a été fait, de leurs méthodes de conduire des troupes et- tout ça. Et du coup, j'ai pu lire beaucoup de choses sur vous, et j'ai vu que vous étiez là, alors... Bah, je voulais juste dire ça. Vous êtes incroyable.
@stefan-maximilian-saulter
Je ne sais pas où vous avez décidé de vous renseigner sur ces "parcours de célèbres officiers", mais ça m'étonne que je figure dedans. Ça m'étonne énormément, même.
Que vous trouviez des informations sur feu Capitaine Wataru Yuuki, ça semblerait encore normal. Ou bien sur la Capitaine Reinhardt, ou encore le Capitaine Johannson de la SPG. Mais moi ? Vous me surprenez, là.
J'aimerais bien savoir où vous avez pu lire ça, honnêtement, c'est intriguant. Surtout en faisant des recherches sur les officiers en particulier, et pas uniquement les membres de la SDF de manière générale.
Mais merci. Bien que je ne fasse que mon travail.
Oh, et d'ailleurs : pas la peine de m'appeler Monsieur. Juste Bruce c'est très bien. (J'ai vraiment l'impression de le répéter sans jamais me faire comprendre :/)
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la-tour-de-babel · 2 years
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Dessin, ou sorte de Redraw - Stefan Maximilian Saulter
C’est techniquement une sorte de redesign de ma première version Post-Apocalyptique de Stefan, mais, franchement, tout ce qui change, c’est la longueur du manteau (t’as vu, @mimmixe-lo-lecteurix​, moi aussi je peux les rétrécir :D) et la posture. Et le setting. Et le décor. Et l’ambiance. Et le visage. Pas grand chose, quoi.
Voici donc le résultat final !
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Le képi a disparu aussi. Et cette fois, le brassard azur est simplement gribouillé, probablement au Posca. Ca ne se remarque peut-être pas très bien, également, mais j’ai également décidé d’ajouter une blessure à l’oeil- donc, un verre teinté pour les lunettes, une cicatrice, et une iris laiteuse.
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Et une boucle d’oreille, aussi, parce que pourquoi pas hein. Il se l’est probablement faite en même temps que Maxime.
Enfin, si vous êtes curieux, ou si vous avez eu la chance de ne pas avoir été précédemment meurtris par la vue du dessin d’origine, voici la première version :
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Ouais c’est pas fou. Ne dignifions pas cela d’un commentaire. Même pas pour les gros traits blancs bien crados en guise de lumière.
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la-tour-de-babel · 3 years
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Burning Flower [Fiction - Happiest AU Ever]
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Disclaimer : Premier OS en exclusivité sur ce blog Tumblr ! Basiquement, juste un peu de Friendship et Hurt/Comfort. Ca fait toujours plaisir. Suit globalement la chronologie de l’AU, et se situe donc peu de temps après “The house that Heinrich built”. 
TW : Mention de blessures (brûlures).
Pairings : Platonique Stefan Maximilian Saulter / Sa Tyrannie SMS x Heinrich Attinger / Haut-Alémanique. 
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Il y avait une lueur de mauvais augure, dans le lointain.
 Au début, il n’en pensa rien. Une lueur, d’accord, et certes, dans la direction approximative du camp de SMS ; mais la nuit était tombée, et il pouvait très bien s’agir de quelques lampes allumées. Cela, où l’un des soldats avait mis le feu à une tente. Il semblerait que ce soit une routine- une routine vaguement inquiétante, mais, apparemment, MMS « gérait grave bien la situation », et Haut-Alémanique aimait également prétendre qu’il n’accordait pas grande importance à la sécurité des habitants du camp.
 (Il aimait bien prétendre, mais c’était l’un de ses mensonges les plus éhontés, et il le savait)
 Seulement, voilà. La lueur ne se faisait que plus intense, orange, rouge, dorée, et semblait s’étendre ; juste assez pour qu’il ne se redresse, accoudé à la fenêtre de sa chambre, et darde sur le paysage un regard nettement plus alarmé. Il ne rêvait décidément pas : la lueur, en plus de s’accentuer, prenait de plus en plus d’espace ; et il réalisa, avec un effroi qui ne correspondait pas tellement à sa morgue habituelle, que ce n’était pas juste une tente qui était en feu : c’était, ça semblait être le camp tout entier. Et Haut-Alémanique s’en foutait, des autres. Vraiment, il s’en tapait, il n’en avait rien à foutre. Mais- et bien, depuis quelques temps, il s’était retrouvé bien malgré lui… impliqué. Impliqué, émotionnellement, auprès de gens qui étaient devenus, il ne le savait trop comment, ses amis ; et les habitants de ce camp- au moins deux d’entre eux, trois, s’il comptait Smiley -les jours où il était particulièrement charitable-, étaient tout simplement ses plus proches amis. Et il s’en foutait, évidemment qu’il s’en foutait.
 C’est ce qu’il se répéta en enfilant, en catastrophe, chaussettes et chaussures, pour ouvrir la porte de l’entrée de chez lui tout en grand – cette porte que MMS lui-même avait posé, pas plus tard que le mois dernier- pour détaler à pleine vitesse sur le petit chemin de terre battue qui menait au camp, manteau oublié, chemise pas tout à fait bien boutonnée.
 La vérité, c’était qu’il était difficile de ne pas s’inquiéter. Souvent. Tout le temps, peut-être même. Mais- mais Haut-Alémanique n’avait pas l’habitude, vraiment pas l’habitude, d’avoir dans son esprit un espace dédié aux autres. N’avait pas l’habitude de penser à quelqu’un et de se dire, « j’espère qu’il va bien ». Avec Gallois, oui, peut-être… bien sûr. Mais Gallois avait longtemps été la seule exception.
 (« Je suis toujours… inquiet, » lui avait récemment confié MMS, en lui versant une tasse de thé- - il avait semblé vraiment soucieux, et Haut-Alémanique avait été agacé contre lui-même lorsqu’il s’était rendu compte que, par conséquent, il en était rendu soucieux aussi. « C’est comme si nous étions toujours… entourés d’ennemis. Et que tous, tous… en voulait à Monsieur. A SMS. »)
 Mais il y avait eu MMS ; MMS, qui, sans la moindre raison, lui fabriquait toute sorte de vêtements qu’il n’osait pas même porter tant ils étaient élégants, qui lui parlait comme à un ami de longue date, qui l’invitait régulièrement à boire le thé, qui se pliait en quatre dès l’instant où il soupçonnait seulement qu’Haut-Alémanique puisse avoir besoin de quelque chose. Et puis, il y avait SMS.
 (« Ils l’ont déjà fait brûler », une fois, avait continué MMS, le regard perdu dans le lointain. Haut-Alémanique n’avait pas osé comprendre tout de suite. Il n’avait pas voulu penser que ça puisse être littéral.)
 Il manqua de trébucher sur une branche, le souffle déjà court. En temps normal, il aurait fait bien plus attention à sa respiration ; ce soir, il n’y avait pas vraiment pensé. Le camp était à, quoi- un kilomètre ? Deux kilomètres ? Un peu plus, peut-être ; il pouvait se passer beaucoup de chose, en deux kilomètres et des poussières, dans un camp en feu. Et puis, quand bien même, que pourrait-il y faire ?
 (« Des sujets d’Espagnol ont mis le feu aux tentes… à sa tente », avait murmuré MMS, et sa cuillère avait tinté contre la porcelaine de sa tasse. « Il n’est pas sorti à temps. C’est tout son manteau qui a pris feu. Je n’ai pas eu le temps… »)
 SMS, c’était un gosse. C’était l’être le plus jeune que connaissais Haut-Alémanique. C’était aussi le premier qui l’avait appelé « Bester Freund », comme cela, comme si c’était une chose naturelle qui n’avait aucune raison d’être remise en question. C’était un gamin, pas même un siècle, qui se plaignait beaucoup, qui grondait comme un caniche furieux, un peu pathétique, un peu idiot, sur certaines choses ; c’était quelqu’un de bien, et c’était son ami.
 (« Le temps que nous arrivions au puit, que nous… l’y plongions… il n’était même plus conscient. Brûlé de la tête au pied. J’ai cru… eh bien, il était comme mort, tu vois… ? Parce que je n’ai pas été suffisamment… rapide. » Et Haut-Alémanique avait bu un peu de thé, parce que sa bouche était terriblement sèche, et qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il aurait dû répondre. L’une des rares fois où il regrettait d’être resté silencieux.)
 Il était jeune, SMS, et, grâce à tout ces immondes connards avec lesquels ils partageaient ce monde, avait déjà traversé des choses… des choses ! Haut-Alémanique n’était pas un être compatissant, n’était pas vraiment empathique, et il avait lui-même subi sa part de malheur, comme tout le monde- mais il était difficile, inconcevable d’associer l’image d’un être si petit, si frêle, avec certains récits que lui contait MMS d’un ton d’horreur muette, que lui contait SMS lui-même d’un ton de plaisanterie badine.
 (« G mi d moi à guérir, » avait ri SMS, comme si c’était une blague, comme si c’était drôle. « Karbonisé, timagine bi1. Lé grife 2 la nui koi. » Et il avait ri, SMS, la tête basse et l’air honteux. « Je lé zé mèm pa entendu venir. »)
 Il faisait froid, comme en février, bien sûr, comme en février sans manteau. Mais déjà, il sentait venir la chaleur du feu. Il arrivait en vue du camp, maintenant. Une bonne nouvelle, deux, même. Premièrement, il s’avérait que ce n’était pas le camp en lui-même qui était en proie aux flammes ; deuxièmement, ces flammes étaient déjà considérablement réduites- il apercevait la chaine de soldat, contrôlée par la haute silhouette de MMS, qui passait seau d’eau sur seau d’eau, sans relâche et sans répit. La mauvaise nouvelle- la mauvaise nouvelle, c’était que le feu avait pris dans le champ. Dans le champ fleuri de SMS. Là où personne ne serait blessé- mais là où Haut-Alémanique savait, pertinemment, que ça allait le plus heurter le propriétaire des lieux.
 Il tenta d’accélérer le pas. Tout ce qu’il parvint à accomplir, c’est donner apparemment lieu à un certain fracas ; il vit la tête de MMS qui se tournait vers lui. Les yeux bleus du soldat s’écarquillèrent, ses sourcils se haussèrent, visage haut découpé par les flammes et la nuit- comme si son arrivée précipitée et catastrophée était véritablement inattendue.
 (Elle devait l’être, songea amèrement Haut-Alémanique ; après tout, il s’en foutait, n’est-ce pas, de ce qui pouvait arriver aux autres ?)
 « Haut-Alémanique, » salua doucement MMS, baissant vaguement le képi, avant de passer un seau bien trop large au soldat le plus proche. « Tu n’as… pas de manteau ? Tu pourrais… attraper la mort. »
 Le champ était en feu, et bien sûr, évidemment, c’était pour lui que MMS s’inquiétait. MMS qui sentait la fumée et les cendres, en nage, le front perlé de sueur, petits trous percés par les braises le long des manches de son manteau. Haut-Alémanique ne comprenait pas, ne comprenait vraiment pas, c’était au-delà de sa compréhension. Et l’officier pouvait prétendre tant qu’il le voulait qu’il était calme, et paisible ; Haut-Alémanique savait maintenant reconnaître les lignes soucieuses qui ourlaient ses yeux, son front, hantait son regard. Pas une trace de SMS, dans les alentours.
 « Besoin d’aide ? » s’enquit-il, aussi sobrement qu’il était possible de le faire, essoufflé comme il l’était, inquiet comme il se savait être.
 MMS cligna des yeux ; Haut-Alémanique savait que sa tentative de paraître désintéressé, détaché par la situation avait échouée. Il n’en était pas outrement surpris. Et quel contraste étrange, entre le vent glacial du soir et le brasier du champ… ! Aucune fleur n’y aurait survécu, et il le savait- allons bon, voilà que son cœur se serrait pour quelques plantes brûlées.
 « Le feu est… sous contrôle, » articula MMS, après quelques secondes d’hésitation, regard tristement planté dans les flammes. « Mais, Hochalemannisch, si ce n’est pas trop demander… »
 « Tout ce que tu veux, » répliqua-t-il immédiatement, sans se donner le loisir de jouer les impassibles.
 MMS s’humecta les lèvres, avant d’ôter son képi. Le geste était étonnamment défait. Haut-Alémanique serra les poings. Qui ? Qui était responsable de ça ?  
 « Monsieur est… dans sa tente, » lui expliqua l’officier. « Je ne peux le rejoindre, pour l’instant… mais je crois, je suis certain qu’il doit avoir besoin de compagnie. »
 Haut-Alémanique hocha la tête, sans conteste soulagé d’apprendre que SMS, effectivement, allait bien. Physiquement, du moins ; il y avait bel et bien eu une minute, deux, peut-être, où il avait craint qu’il se soit aventuré dans le champ pour sauver quelques pivoines. Déjà, il avait pris le chemin de la tente, sous le regard de MMS, qui ne le quittait pas. Etant au cœur du camp, il savait que la tente serait intacte ; et, effectivement, elle l’était. Une lanterne était allumée à l’intérieur.
 Un instant, il hésita sur son pas. Il supposait qu’il était encore temps de faire demi-tour ; il s’étonna que la pensée ne lui soit pas venue avant, avant qu’il ne soit arrivé là. Il s’étonna plus encore de se voir la balayer avec tant de nonchalance. Déjà, il soulevait légèrement le pan de la tente, et s’y faufila- un toussotement discret pour seul signal de son arrivée. L’intrusion n’était manifestement pas attendue, puisqu’il vit distinctement la silhouette de SMS sursauter, de là où elle était assise au sol.
 Assise ? Plutôt recroquevillée, oui. Dos contre le lit, genoux contre la poitrine, entourés de ses bras, tête basse, épaules voûtées. Il ne portait ni képi, ni manteau- et c’était la première fois qu’Haut-Alémanique le voyait sans, et c’était tout simplement aberrant de constater qu’il semblait plus petit encore, privé de ses sinistres atours noirs.  Cheveux en bataille, lunettes de travers, visage humide, regard rougi, écarquillé, fixé vers lui, stupéfié sur place. Il le vit, d’un geste paniqué, un peu convulsif, passer ses mains sur ses yeux, sur ses joues ; puis, face à l’inefficacité du geste, se frotter un peu furieusement le visage de la manche de sa chemise : renifler, détourner la tête… et non, oh non, il pleurait.
 Haut-Alémanique en resta figé. Il n’avait jamais su quoi faire, dans ces situations, absolument jamais… ! Et SMS ? SMS n’avait jamais pleuré devant lui. Ce n’était pas comme Gallois, qui pleurait quand il faisait un cauchemar, qui pleurait quand il se blessait, qui pleurait parfois simplement parce qu’il était triste. SMS, il ne le connaissait pas depuis si longtemps que ça. Et ça ne voulait pas dire, que, par conséquent, Haut-Alémanique n’en avait rien à faire : ça voulait dire qu’il avait encore moins de foutre d’idée de la marche à suivre.
 « Je vé bi1, » hoqueta SMS, si peu convaincant que c’en était déchirant. « Tkt, Hochalemannisch. Keske tu fé là ? San manto, en + ? »
 Bon sang. Le type était en pleurs, recroquevillé dans sa tente, et il prononçait à la perfection le nom du type qui s’introduit sans autorisation dans sa tente, et il prenait le temps de noter exactement la même chose que MMS. Haut-Alémanique déglutit. SMS avait le regard complètement dérobé à sa vue, maintenant ; résolument fixé de l’autre côté de la tente. Il ne voyait qu’une partie de son visage, de sa nuque. Il l’entendait renifler. Que devait-il dire ? Que devait-il faire ?
 (« Tu as faim ? » N’était-ce pas exactement ce qu’il avait déjà dit à Gallois, dans une situation semblable ? Pathétique.)
 « J’ai vu le feu, de loin », tenta-t-il, prudemment, avant de se décider à faire un pas en avant. « Il semble y avoir beaucoup de… eh bien, dégât. »
 Ce n’était apparemment pas la bonne chose à dire. Bien sûr que non ! Beaucoup de dégât ? Mais enfin ! Bonjour, SMS, est-ce que tu as remarqué que toutes tes fleurs ont cramé ? Oui, probablement, mais tu sais quoi, je vais te le rappeler quand même. Quel connard il faisait. La prise que le plus jeune tenait sur ses propres jambes se resserra plus encore. Il ne répondit pas tout de suite ; alors, Haut-Alémanique prit une courte inspiration, et s’assit à côté de lui.
 « … CT ke d plante, » murmura finalement SMS, tout bas, beaucoup trop bas. « Je men fich. »
 Il dit ça, puis, il renifla encore une fois. Haut-Alémanique ne pouvait toujours pas voir son visage ; il en conclut -enfin !- que cela signifiait simplement que SMS ne voulait pas être vu. Alors, il cessa d’essayer de le voir. Un silence ; on entendait, dans le lointain, les cris des soldats, le crépitement des flammes. Haut-Alémanique se mordilla les lèvres, malaisé, avant de se décider à fixer le sol. Un sol de terre. Tu parles d’un confort. Et SMS pleurait toujours, probablement, juste plus silencieusement, parce qu’Haut-Alémanique était la plus grande merde qui soit lorsqu’il s’agissait de consoler quelqu’un en détresse.
 « C’était tes plantes, » articula-t-il, finalement. « Tu y tenais beaucoup. »
 En voilà encore une chose bien pourrie à dire. Tu sais, SMS, ces plantes qui crament ? Tu les aimais vraiment, vraiment bien, hein ?  Il s’en serait foutu une claque. Mais SMS était bien trop charitable pour la lui foutre lui-même ; il le vit simplement hausser les épaules, en périphérie de sa vue- avant d’entendre, quelques secondes plus tard, un pauvre « oui » bien trop misérable pour être tolérable. Il se mordit un peu sauvagement la lèvre inférieure, le corps tendu. Non, décidément, il ne savait pas consoler les gens ; il aurait même pu croire que SMS serait sans doute bien mieux sans lui, tout compte fait, si celui-ci ne s’était pas légèrement rapproché de lui quand il s’était assis. Il était évident qu’il ne trouverait pas les mots, pas ce soir ; peut-être que c’était MMS qui les trouverait, une fois qu’il en aurait fini avec les flammes. En attendant, il ne pouvait rien faire, si ce n’était… être présent.
 (Ils l’ont fait brûler. Espagnol a essayé de me décapiter. Tout le temps, des insultes… des ennemis partout…)
 Mais la situation… la situation ne pouvait pas être tolérée plus longtemps. Haut-Alémanique serra les poings, considéra un instant la silhouette tremblante de l’un de ses meilleurs amis. Sa mâchoire se crispa.
 « Ils le payeront cher, SMS, » s’entendit-il murmurer, après quelques minutes de silence. « Je t’en fais la promesse. »
 SMS ne répondit rien. Haut-Alémanique eut l’impression douloureuse qu’il ne le croyait tout simplement pas.
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 « Des graines de tournesol. Ça t’intéresse ? »
 Sa Tyrannie SMS leva la tête, pris de court par la voix qui venait de se manifester sans préavis. Son regard se posa immédiatement sur un petit sac de toile, minuscule, qu’une main ferme tenait devant son visage. Il était accroupi par terre, manches retroussées, les bras et les mains maculées d’engrais ; depuis quelques jours, presque deux semaines, il s’acharnait à replanter tout son champ, vindicatif, furieux, dépité et indubitablement bouleversé, malgré le vent qui soufflait sans pitié. MMS et Smiley était venu lui prêter main forte, bientôt suivi par quelques soldats ; il y passait ses journées, une partie de ses nuits, incapable de supporter la vue de la terre brûlée. Il avouait cependant qu’il ne s’était pas attendu à voir Haut-Alémanique les rejoindre, après son absence quelque peu remarquée des derniers jours.
 (SMS avait assumé, résigné, qu’il ne donnait pas signe de vie à cause de la gêne qu’il avait éprouvé, ce soir-là, face à un gamin comme lui qui se comportait de façon si pathétique.)
 (Bien sûr, il ne pouvait pas savoir qu’Haut-Alémanique avait passé ses deux dernières semaines à essayer de trouver un moyen de fabriquer des graines de fleurs, n’importe lesquelles, par magie. Dès l’instant où il avait réussi, il avait pris le chemin du camp.)
 « Oh, » murmura SMS, attrapant sa cigarette du bout de ses doigts boueux avant qu’elle ne tombe au sol. « Uh, oué. Merci bokou. »
 Haut-Alémanique hocha sobrement la tête, le visage figé dans cette espèce d’expression qu’il avait toujours quand il essayait très fort d’avoir l’air neutre et désintéressé. Ça ne fonctionnait pas très bien, à l’humble avis de SMS, mais qui était-il pour juger ?
 « Très bien, » dit la langue germanique, déposant son petit sac à côté des autres- avant de faire quelque chose de très, très surprenant : il retroussa les manches de sa chemise, sauta par-dessus la barrière, et pris place à côté de SMS. « Comment puis-je t’aider ? »
 SMS cligna des yeux, remontant maladroitement ses lunettes sur son nez ; puis, tout à sa confusion, il replaça sa cigarette dans son bec, et en tira une bouffée. Il songea un instant à tenter de dissuader l’autre langue (Haut-Alémanique en avait déjà fait bien assez, et il était hors de question qu’il soit un fardeau pour lui), mais l’autre semblait déjà plus que décidé- et SMS était trop fatigué pour protester.
 « Uh, é bi1, pour linstan, on creuz lé trou pour lé grène. Tu- euh, tu veu 1 truel ? »
 Haut-Alémanique hocha simplement la tête ; et déjà, MMS -occupé jusqu’ici à arroser les quelques graines déjà plantées- lui tendait une truelle orange. Sans rien ajouter, et définitivement sans moufter, Haut-Alémanique s’attela à la tâche, consciencieusement, sans piper mot ; et SMS, après un instant d’hésitation, se remit au travail. Juste le son de la terre qu’on grattait, sèche et aride -il doutait sincèrement pouvoir faire repousser quoique ce soit là-dedans avant quelques années, mais évitait soigneusement d’y penser de peur de fondre une nouvelle fois en larme- ; le son des petits lopins retournés, creusés, des graines que Smiley laissait tomber dans les trous, des gouttelettes que MMS arrosait. Juste assez longtemps pour que l’arrivée d’Haut-Alémanique soit pleinement acceptée, et que SMS en oublie une partie de sa gêne, de ses doutes, et de son embarras. Il ne fallut pas plus d’une demi-heure pour que se lance, d’abord timidement, une conversation- entre MMS et Smiley, qui avait un débat sur la nécessité d’arroser avant ou après avoir remis la terre. Et puis, Haut-Alémanique s’y joint- certainement pas pour être objectif, de l’avis de SMS, mais juste pour le plaisir d’être sarcastique sans rien apporter d’intéressant à la question. Enfin, naturellement, il y eut quelques rires- et si SMS lui-même ne se sentait pas le cœur à joindre la conversation, il devait admettre que ça mettait un peu de baume au cœur. De la camaraderie, tout simplement.
 Et puis, Haut-Alémanique tourna légèrement vers lui, impassible (le visage en ‘-‘, comme aimait bien le dire Smiley, même si, personnellement, SMS lui attribuait plus un è-é), et, le ton suffisamment bas pour ne pas être entendu de Smiley, lui glissa :
 « Des nouvelles des responsables ? »
 SMS se mordilla pensivement l’intérieur de la joue. Souffla sa bouffée de cigarette à l’opposé de son meilleur ami- parce qu’il était hors de question qu’il empuantisse l’atmosphère d’Haut-Alémanique avec sa merde. Puis, prudemment, définitivement maladroitement il tenta d’esquisser un sourire mesquin. Il tremblait, ce sourire, mais il était là : c’était déjà beau.
 « Maran ke tu mensione sa, » répondit-il, imitant le ton bas de l’autre langue. « Parske lé responsabl, com tu di -Alfabeto é Gramàtica-, ba il son venu se DnonC, é sexQsé, tou seul. »
 « Mh ? » fit Haut-Alémanique, mine de rien, en plantant sa truelle dans le sol.
 L’intuition avait été bonne, donc. Haut-Alémanique pouvait dire ce qu’il voulait, mais il n’était pas très doué pour jouer la comédie, et encore moins les innocents ; pas étonnant qu’Allemand ait toujours été convaincu qu’il faisait masse de conneries. Le sourire de SMS s’élargit, se fit nettement plus franc. Petite bulle de gratitude- presque assez pour noyer l’amertume.
 « Tu devinera jamé, » continua-t-il, décidé à jouer le jeu. « Aparemen, qlq’1 leur a fé tré peur. Lé a konv1Q 2 venir. E genr, il zavé D bleu partou. Et c pa lé seul à ètre venu, en +. Pl1 2 gen on DcD 2 venir sexcuzé, genr, duran la semène, just com sa. »
 « C’est très étonnant, » dit Haut-Alémanique, qui n’avait pas du tout l’air étonné.
 « Ahah, ouais, 1 genr 2 fol ko1ssidanse » rit SMS ; puis, après quelques secondes d’un silence définitivement confortable, il ajouta, nettement plus bas « Merci, Hochalemannisch. »
 La langue germanique ne réagit pas, pendant un instant. Puis, Haut-Alémanique tourna la tête vers lui. Impassible, comme toujours, illisible, même ; un regard qui semblait sombre, sérieux, et tranchant. Mais, définitivement -et il ne pensait pas se tromper-, il y avait l’ombre d’un sourire, venue étirer ses lèvres. Un pétillement de satisfaction.
 « De rien, SMS. »
 FIN
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Tu gères, @mimmixerenard​​
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la-tour-de-babel · 3 years
Text
Home stuck [Human!AU - Family]
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Précédemment : https://la-tour-de-babel.tumblr.com/post/674288984395071488/please-take-me-away-fiction-humanau
Disclaimer : Ce texte a été écrit durant le second confinement, en suivant un petit concours de notre encore plus petite communauté : écrire un texte avec des personnages confinés. Celui-ci se place dans la continuité du premier texte de l’AU dit “Family”, mais peut être lu indépendamment. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu le livre pour le comprendre. Majoritairement, ce texte est une suite de mésaventures qu’on peut imaginer avec des enfants enfermés avec soi dans une maison. 
Triggers Warning : Discussion de maladie (cancer) entre deux personnages ; Mentions d’ancienne relation abusive, avec un stress post-traumatique. 
Pairings : Franglais, Probet.
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Ça avait semblé être une bonne idée. Ou, tout du moins, ça avait semblé être une idée tolérable. L’affaire de quelques jours… ! Avait dit Edward. Ils n’en étaient certainement pas plus avancés. Bien au contraire. Et, si on lui demandait, Francis dirait que c’était entièrement de la faute de Sylvain.
Lorsqu’Edward était venu le voir, une semaine plus tôt, pour lui proposer de partir une semaine en vacance en montagne, Francis avait été ravi. Bien sûr qu’il avait été ravi. C’était tellement rare de voir le britannique quitter son bureau, encore plus de passer du temps en famille. C’était enfin l’occasion de profiter de quelques jours tous les trois, loin des soucis du travail et de la vie quotidienne. Juste eux, et leur fils. Mais, lorsqu’Edward avait glissé, à la toute fin de son discours, qu’ils n’iraient pas seuls, parce que le chalet qu’ils allaient occuper de lui appartenait pas, Francis avait senti venir la douille.
Parce que, voyez-vous, en disant cela, Edward lui avait adressé un sourire absolument rayonnant, et complètement machiavélique. Parce qu’il savait, le petit fourbe, que Francis, ayant déjà accepté tout ce qu’il avait dit avec un enthousiasme si marqué, ne pouvait tout simplement pas faire machine arrière. Il le connaissait bien, le saligaud. Il savait que Francis avait un point faible évident, et, ce point faible, c’était le sourire d’Edward. Une denrée rare, évidemment qu’il allait céder.
« Laisse-moi deviner, » avait-il soupiré, se retenant fortement de venir se frotter les yeux. « Sylvain ? »
« Et ses enfants, » a confirmé Edward, le ton rendu tout mielleux par sa satisfaction et les réminiscences de son accent anglais. « C’est eux qui nous invitent. »
Sylvain, c’était, semblait-il, le meilleur ami de son mari, et ils étaient mutuellement parrain de leurs enfants. Francis n’avait aucune objection à y faire ; il n’avait jamais cherché à les séparer, à couper les ponts, merci bien. Edward avait eu son lot de relations abusives, et, après tout, Francis n’avait pas à choisir pour lui qui il fréquentait. Mais cela ne voulait pas dire qu’il appréciait, même juste un peu, un seul membre de cette famille. Pourquoi ? Oh. Pas grand-chose.
C’était simplement que Sylvain avait ce sourire particulier, tellement joyeux pour Edward, et infiniment condescendant et venimeux pour Francis. Il le lui rendait bien, alors, il estimait que c’était de bonne guerre.
C’était aussi que Sylvain était toujours si classieux, si soigné, si charmeur, avec tout et tout le monde, et que Francis, malgré tous ses efforts, sentait parfois qu’il faisait pâle figure. Peut-être était-ce une illusion, mais, vraiment, Francis tenait à son orgueil, et si quelqu’un, dans une pièce, devait être charismatique, c’était lui.
C’était également que Sylvain semblait tout droit sorti d’un album photo des années trente. Sa tenue, sa posture, sa canne, son chapeau, son ridicule accent. C’était très subjectif, mais, en toute subjectivité, ça donnait envie à Francis de lui arracher son dahlia pour le lui faire manger.
C’était, de plus, que l’un des fils de Sylvain, celui qui n’était pas qu’un morne adolescent lassé de tout, et qui n’était pas un gosse de quatre ans qui ne savait qu’à peine parler, mais qui était un gamin surexcité qui ne pouvait pas s’empêcher de courir partout en hurlant ou en cassant tout ce qu’il touchait, semblait s’être accroché à Alphonse, et que, vraiment, Francis ne voulait pas de ce genre de fréquentation près de son fils.
C’était surtout que Sylvain, avec tout son charme, ses sourires et ses rires, avait, parfois, le même regard que Francis lorsqu’il le posait sur Edward. Plein d’une affection soucieuse. Le regard d’un ami, peut-être, ou peut-être plus. Et c’était surtout que, parfois, c’était à lui qu’Edward souriait le plus.
Alors, non, Francis n’était pas transporté de joie à l’idée de passer une semaine coincée dans un chalet avec un homme qu’il n’aimait pas, et qui le lui rendait bien. Surtout si cela voulait dire qu’Alphonse n’allait pas pouvoir échapper à… il était quasiment sûr que le gosse s’appelait Paul.
Mais, comme l’avait fait remarquer Edward, ce n’était qu’une semaine. Et puis, vraiment, le chalet était grand, et il aurait toujours le loisir d’ignorer Sylvain, s’il le voulait. Ils parvenaient bien à s’entendre à Noël, au Nouvel An, aux anniversaires, non ? Il lui suffirait de s’isoler s’il sentait monter une envie de répliquer. Franchement, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?
Alors, Francis, bon gré, mal gré, avait accepté. Ils avaient fait leurs valises, et étaient allés se paumer au fin fond de la Savoie. Non loin des pistes de skis, au beau milieu d’un flanc enneigé d’une montagne. Il avait, évidemment, grincé des dents en constatant que le chalet était parfaitement isolé ; plus encore lorsque, portière à peine ouverte, Paul s’était précipité vers Alphonse pour le traîner derrière lui et lui faire visiter le bâtiment.
Mais Sylvain semblait décidé à faire un effort, parce qu’il ne l’avait presque pas insulté, en le saluant. Ou peut-être que si ; mais Francis avait parfois du mal à décrypter ce qu’il disait. Sylvain avait toujours eu cette manie de miner ses phrases de double sens difficile à saisir. Et puis, son fils cadet, le filleul d’Edward, avait gazouillé en le voyant, et lui avait même offert un caillou en forme de cœur pour lui souhaiter la bienvenue. C’était ridicule, mais ça valait ce que ça valait. Un genre de rameau d’olivier.
Alors, ils s’étaient installés. Alphonse dans la chambre des trois autres garçons ; Sylvain, tout seul, au rez-de-chaussée, et, évidemment, Francis et Edward au fond du couloir. Trois jours s’étaient écoulés sans trop d’accroches. De fait, Francis ne voyait Sylvain que lors des repas, puisque l’homme ne sortait jamais avec eux pour les promenades. Soi-disant qu’il préférait garder Stefan. Comme si Francis ne le voyait pas boiter, avec sa canne.
C’était donc aussi idéal que c’était possible de l’être ; et Francis commençait, peu à peu, à se détendre, et vraiment profiter du séjour. Et puis, un soir, ils allumèrent la télévision.
Et l’annonce du confinement tomba. Parce que le destin est une prostituée de soixante ans qui fait le tapin sur le trottoir du boulevard Carnot.
Il y eut quelques temps de silence ; puis, naturellement, son regard horrifié se tourna vers Sylvain. Son expression se trouva presque mimé chez l’autre homme. Il entendit, à côté de lui, Edward qui soupirait, et Paul qui s’enthousiasmait en kidnappant l’épaule d’un Alphonse bien trop complaisant. Et puis, d’un même élan, ils ouvrirent la bouche.
« Et merde, » firent-ils, en concert.
« Merde, » répéta diligemment Stefan.
« Papa a dit un gros mot, » s’exclama Paul.
Les semaines à venir s’annonçait affreusement longues.
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« Non, Paul, on ne jette pas son crayon à la tête de Simon. On l’utilise pour résoudre ses problèmes de maths. »
« Mais, Oncle Ed’, » protesta le gosse, se renfonçant dans sa chaise avec une moue si théâtralement boudeuse que c’en était risible. « Je déteste les maths, et je suis putain de doué en tir. »
Edward leva un doigt menaçant vers l’enfant, faisant de son mieux pour avoir l’air aussi imposant et autoritaire que possible.
« On ne jure pas, » gronda-t-il, intérieurement dépité de ne se voir récompensé que par un sourire goguenard, « Et on ne discute pas. Tant que cette page d’exercice n’est pas terminée, tu n’as pas autorisation d’aller jouer. »
Paul se renfrogna visiblement, foudroyant son cahier avec tout le ressentiment du monde. A côté de lui, Simon ramassait le fameux crayon, et le posait d’autorité devant son cadet. Parce que lui, au moins, travaillait sans broncher, et avait déjà bien entamé la dissertation qu’il était supposé terminer.
Edward retint un petit soupir. Voyez-vous, c’était à son tour d’aider les enfants à faire leurs devoirs- ce qui, en soit, n’était pas plus mal. Francis n’aurait eu aucune patience, et, de toute façon, Sylvain et lui étaient déjà suffisamment occupés avec les myriades de visio-conférence auxquelles ils étaient supposés participer. Il n’était pas rare de le voir se promener partout en portant l’ordinateur à bout de bras ; et si Sylvain gardait toujours un équilibre remarquable, il arrivait que Francis se prenne les pieds dans des jouets qui traînaient, et ne finisse par terre sous l’œil de ses employés. Ça avait d’ailleurs été la cause de la première véritable engueulade entre les deux hommes.
(Une engueulade qui avait duré plus d’une heure, et qui aurait duré plus longtemps si Edward n’était pas allé chercher le tuyau d’arrosage pour calmer toutes ces ardeurs.)
(Il leur avait fallut des heures, ensuite, pour éponger le sol détrempé du salon.)
(On déplorait encore la perte de l’ordinateur de Francis.)
(Et Sylvain lui avait fait la tête pour le reste de la soirée.)
Edward était le seul dont le travail ne nécessitait pas de réguliers appels vidéo, merci bien. Il était auteur, et tout ce qu’on attendait de lui, c’était qu’il se colle dans un coin pépouze et qu’il ponde un livre potable pour son éditeur.
Alors, oui. Corvée devoirs avec les quatre enfants de la maisonnée. Une corvée qui n’en était pas tant une, parce qu’Edward adorait ces gosses, et qu’il se disait parfois que s’il n’avait pas été écrivain, s’il n’avait pas eu une telle angoisse face à un public nombreux, il aurait pu être professeur.
« J’ai fini les miens, » fit Alphonse, avec cette espèce de tranquille fierté qu’on les enfants bien élevés qui savent qu’ils ont accomplis quelque chose de bien.
« Genre, » souffla Paul, plein d’incrédulité.
« Tu vois, Paul, » reprit Edward, saisissant la balle au vol, « Alphonse a fini, donc, il peut aller jouer. Si tu veux l’accompagner, il faudrait que tu t’y mettes sérieusement, non ? »
Evidemment, ça fonctionna. Paul se saisit de son crayon avec un enthousiasme et une concentration renouvelée, et, enfin, s’attaqua à ses problèmes de maths. Béni soit Alphonse qui décida immédiatement qu’il allait l’aider.
En fait, ce n’était pas tant que Paul était mauvais en maths. Bien au contraire, le gosse était un petit génie. C’était simplement que Paul était hyperactif ; et il ne parvenait que très difficilement à se focaliser sur une tâche, une seule, pendant plus de cinq minutes. Non sans une sérieuse motivation, en tout cas.
Edward le surveilla une seconde ou deux de plus, juste pour s’assurer que tout se déroulait bien ; puis, il reporta son attention sur l’enfant qui était assis juste à côté de lui, et qui essayait laborieusement de déchiffrer quelques pages qu’on lui avait donné à lire. Stefan était l’image même de la concentration ; tout son petit visage était crispé par l’effort, sourcils froncés et langues à demi-sortie, alors qu’il suivait du bout de ses doigts potelés les mots qu’il articulait silencieusement.
C’était un enfant intelligent, quoi que puisse parfois en dire Francis ; ce qu’il comprenait, il le comprenait vite, et ne l’oubliait jamais. Il pouvait déjà, du haut de ses quatre ans, vous pointer toutes les fleurs d’un jardin, et vous dire leur nom, scientifique et commun, ainsi qu’une foule de petits détails les concernant, tout simplement parce qu’il avait vu, une fois, un documentaire à son sujet. Mais les choses sur lesquelles il butait, il butait vraiment. C’était difficile, pour lui, de parvenir à former des phrases cohérentes ; plus encore de lire, et de les écrire. Mais Dieu savait qu’il essayait, qu’il essayait vraiment ; et Edward était prêt à mordre le premier qui oserait dire que son filleul était stupide.
« Tout va bien, Stefan ? » s’enquit-t-il, parce que l’enfant été resté bloqué sur le même mot pendant quelques minutes, déjà, et qu’il commençait visiblement à se frustrer.
« J’y arrive pas, » couina Stefan, levant vers lui un regard large de détresse vers lui. « Trop de syllabes. »
Edward lui adressa un sourire aussi rassurant que possible, et lui passa la main dans les cheveux. Le résultat fut immédiat ; l’enfant se détendit, et sembla se départir, juste un peu, de sa frustration, coinçant la gomme de son crayon à papier contre sa lèvre inférieure. L’adulte rapprocha sa chaise de la sienne, et se pencha avec lui sur le fameux mot outrageant.
Saperlipopette.
… Avait-on idée de donner un mot si long à lire à un enfant de quatre ans ? Non mais.
« Je vais te le lire, » expliqua-t-il, « Et tu pourras ensuite le répéter. Tu crois pouvoir y arriver ? »
Stefan hocha vigoureusement la tête ; et Edward put voir une toute nouvelle détermination se peindre, derrière ses lunettes.
« C’est pas juste, tu l’aides plus que nous, » geint Paul, qui, à force d’appuyer trop fort, avait accidentellement cassé sa mine de crayon sur sa feuille.
« Paul, » soupira Simon, sans même lever le nez de sa feuille de dissertation qu’il ne cessait de remplir à un rythme effréné.
« C’est parce que chuis le préféré, » gazouilla Stefan, décochant à son ainé un large sourire plein de fossettes.
« Trop pas, » grommela Paul, avant de passer un bras autour des épaules d’un Alphonse profondément blasé de sa vie. « De toute façon, moi, j’ai Alphonse. »
« C’est vrai, » concéda le susdit Alphonse, « Mais continue tes exercices, Paul, ou je pars sans toi. »
Edward savait qu’il aurait peut-être dû intervenir. Mais il ne le fit pas ; c’était simplement adorable. Et puis, quelque part, la scène était si… familiale. Et c’était une chose qui lui avait manqué pendant si longtemps. La sensation d’appartenance.
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Jusqu’ici, Alphonse n’estimait pas qu’il y avait de quoi se plaindre. Bien au contraire ; il y avait, dans le chalet, cette sorte d’ambiance familiale dans laquelle il se repaissait tout à fait volontiers. Certes, ce n’était pas idéal pour suivre les cours ; la majorité de ses professeurs n’ayant même pas donné la moindre nouvelle depuis le début du confinement. Certes, cela signifiait aussi qu’il fallait supporter les instants de tensions lorsque les adultes se trouvaient face à un désaccord.
Mais, ça voulait aussi dire qu’il avait beaucoup de temps libre, avec ses parents. Et aussi, avec Paul.
Paul était-
Alphonse ne préférait pas trop penser à ce que Paul était. Il préférait se limiter à l’étiquette de « meilleur ami », parce que, vraiment, ils étaient encore au collège, et il y avait bien assez de temps pour y réfléchir plus tard. Ainsi, donc, Paul était son meilleur ami ; et c’était aussi fantastique que profondément épuisant. Fantastique, parce qu’il était toujours là pour lui, et qu’on ne s’ennuyait jamais, jamais, jamais avec lui. Epuisant, parce que lorsqu’Alphonse disait jamais, ce n’était vraiment jamais, et qu’il n’y avait pas même une minute ou deux pour respirer et se reposer.
C’était encore pire maintenant que quelqu’un avait eu la fantaisie de croire que Paul pouvait rester  e n f e r m é. Il était intenable ; courant partout dans le chalet en poussant des hurlements de guerre, déguisé en Apache ; glissant le long de la rampe d’escalier, au risque de glisser et de se fracturer les côtes, et causant plusieurs crises cardiaques à son pauvre père ; rassemblant les peluches de Stefan, se plaçant en haut de la balustrade du deuxième étage pour bombarder Francis quand il passait en dessous ; gribouillant sur les dissertations de Simon ; faisant des grimaces en arrière-plan lorsque Sylvain était en vidéo-conférence ; coloriant l’intérieur des mangas d’Edward ; lançant une bataille de polochons au beau milieu de la nuit, alors que ses deux frères et Alphonse dormait profondément ; et puis surtout,  s u r t o u t, se lançant dans un concours de pièges désopilants plus audacieux les uns que les autres.
Ça avait commencé assez doucement- aussi doucement qu’il était possible de le faire lorsque Paul était impliqué.
Francis s’était réveillé, le lendemain de l’annonce du confinement, d’une humeur qu’il était assez facile de qualifier de « massacrante ». Paul, en bon samaritain qu’il était, avait évidemment cru que ce serait une merveilleuse idée de se charger lui-même de lui redonner le sourire. Alors, il s’était  n a t u r e l l e m e n t  faufilé dans la chambre des parents d’Alphonse, et, avec beaucoup de soin, avait dessiné, sur le mur, un visage caricaturé de Francis, et avait noté, en dessous, de sa plus belle calligraphie, « à mon futur beau-papa ».
(Francis s’était littéralement étouffé face à ça. Alphonse aussi, d’ailleurs. Il n’y avait eu qu’Edward et Sylvain pour s’esclaffer bruyamment.)
Et puis, les choses avaient escaladé. On retrouvait de la crème à épiler dans les dentifrices ; Edward n’était plus le seul à mettre du sucre à la place du sel dans les plats ; les lasagnes laissées deux minutes sans surveillance se trouvaient baignées dans du vinaigre ; on se réveillait le matin sous les hurlements de Francis qui constatait que quelqu’un avait remplacé sa mousse à raser par du plâtre ; la canne de Sylvain se retrouvait mystérieusement remplie de vers de terre amoureusement ramassés dans le jardin ; les fichiers de Simon se retrouvait étrangement piratés et remplacés par des gifs de chatons trop mignons ;  les pulls en laine d’Alphonse se retrouvait détrempés de paillettes multicolores ; les nounours en peluche de Stefan devenait tout durs, parce que quelqu’un y glissait des briques de lego- et ce n’était que pour citer les plus inoffensives.
Au fond, Alphonse savait que Paul ne pouvait s’en empêcher. Il avait en lui cette insatiable excitation, toujours bourdonnante, toujours à vif ; et il était bien placé pour savoir qu’il peinait bien souvent à la contrôler. Alors, parfois, inévitablement, ça allait trop loin ; et Paul s’en rendait compte trop tard.
Une fois, il avait fabriqué un masque, s’était caché dans le placard, et avait bondi en hurlant face à Edward. C’aurait été n’importe lequel des autres adultes que ça n’aurait pas posé problème. Mais ça avait été Edward. Le britannique avait réagi avec tout le calme possible. Malgré son teint blafard, son expression imperceptiblement décomposée et le tremblement de ses mains, il avait forcé un rire, et il s’était enfermé dans sa chambre. On ne l’avait pas revu de la soirée.
(Du haut de ses onze ans, Alphonse savait que c’était symptomatique de quelque chose. Il n’avait jamais su quoi. Il savait simplement que, parfois, Edward se renfermait sur lui-même, paniquait, ou se muait dans un silence qui durait des jours, et que c’était la faute d’un homme vêtu de rouge qu’il avait connu, autre fois.)
Une autre fois, il avait dispersé des billes un peu partout dans le couloir. Immanquablement, quelqu’un avait fini par tomber, et ça avait été Sylvain. Il avait forcé un sourire, n’avait pas grondé Paul ; mais il avait fallu qu’on l’aide à se relever, et il n’avait pas réussi à sortir du canapé sans aide pendant près de deux jours, comme une marionnette disloquée.
(Paul en avait été mortifié. Il avait passé le reste de la semaine à suivre son père à la trace, l’aidant à marcher quand sa canne ne suffisait pas. Alphonse n’avait aucune idée de ce qui rendait Sylvain si fragile après une simple chute ; il avait demandé à Francis, mais lui non plus n’en savait rien. En fait, Alphonse aurait presque juré que Francis avait presque l’air inquiet pour l’autre adulte. Au point qu’il lui avait même servi une tasse de thé, un matin.)
La dernière fois, celle qui avait été décisive, et qui avait poussé Alphonse à agir, c’était celle qui avait eu lieu trois jours plus tôt. Paul s’était faufilé dans l’une des prairies qui couvraient les flancs de la montagne, se coulant hors du regard attentif des adultes ; et il en avait arraché des tas et des tas de fleurs, pour les réduire en pièce, et faire croire à Stefan que c’était celles de leurs jardins. Alphonse était absolument certain que Paul n’avait pas eu conscience de la cruauté de sa petite plaisanterie ; pas jusqu’à ce que Stefan fonde en sanglot, et demeure inconsolable pendant plus d’une heure, même bien après que Simon lui ait prouvé que les fleurs du jardin allaient parfaitement bien.
Paul, lui, s’était décomposé. Il s’était enfui dans sa chambre, et n’en était pas ressorti de la journée. Pas même pour manger, et Alphonse savait bien que c’était le signe de quelque chose de grave. Bien sûr, Stefan ne lui en avait pas voulu, et s’était contenté de lui écraser une tartine de beurre de cacahuète au visage en guise de vengeance. Et la morosité de Paul s’était évanoui dès l’instant où son cadet lui avait décoché un sourire. Mais Alphonse avait compris qu’il était tant pour lui d’agir.
Comment ? C’était bien simple. Il ne pouvait pas rêver d’être capable d’endiguer la vigueur et l’énergie de Paul ; mais il pouvait toujours agir comme une « force médiatrice », comme l’avait si bien dit Simon.
(C’était d’ailleurs la supplication de l’aîné de la famille qui l’avait convaincu. Simon s’était quasiment mis à genoux devant lui, assurant que, pitié, Alphonse, tu es le seul qu’il écoute un  m i n i m u m, il va finir par nous faire flamber tous ensemble, et Alphonse était parfaitement d’accord avec ça)
Alors, Alphonse ne pouvait pas rêver de stopper Paul dans ses petites farces et attrapes quotidiennes. Mais il pouvait au moins limiter les dégâts. En d’autres termes, cela signifiait qu’il était désormais contraint de se faire complice de la chose, juste pour s’assurer que personne ne meurt dans le processus.
Il avait pris cette décision, trois jours plus tôt.
Il regrettait déjà.
« C’est trop cool qu’on fasse ça ensemble, » roucoulait Paul, perché en équilibre précaire sur une chaise que tenait fermement Alphonse. « On va casser la baraque ! »
« D-du moment que tu dis pas ça littéralement, » couina Alphonse, se décalant de justesse pour éviter une goutte de slim rose pailletée qui tombait de la bassine que Paul s’efforçait de mettre en haut de la porte.
(La bassine avait été une idée d’Alphonse, parce que, de base, Paul voulait utiliser un seau, et Alphonse avait été obligé de lui rappeler qu’un seau en métal sur la tête de quelqu’un pouvait être plus ou moins létal)
« Mais non, tu me connais, » rassura Paul, comme si c’était pas justement un argument contre sa bonne foi.
« C’est bien le problème, » murmura Alphonse, le regard rivé sur la pointe des pieds de Paul qui avaient cru que ce serait une bonne idée de se percher au bout du bout de la chaise.
« Moh, trop mignon, Al’, mais je sais que tu m’aimes, » et Alphonse ne rougit pas du tout, parce que, de toute façon, c’était faux. « Aller, on décampe, où on va se faire choper ! »
Sur ces bons mots, le gosse bondit de sa chaise, atterrissant sur le sol avec un bruit bien sonore qui sembla résonner dans tout le chalet. Puis, il saisit le poignet d’Alphonse, et l’entraîna, avec la chaise, vers le placard le plus proche, pour s’y cacher comme le petit fourbe qu’il était.
« Simon, » fit la voix de Sylvain, au première étage, « Tu veux bien monter voir ce que fais Paul ? Juste pour s’assurer qu’il ne fait rien de dangereux. »
« Comme s’il lui arrivait de ne  p a s  faire quelque chose de dangereux, » soupira la voix traînante de Simon, qui semblait déjà se rapprocher des escaliers.
Alphonse entendit, tout près de son oreille, le gloussement ravi que laissa échapper Paul ; et il le sentit se rapprocher un peu plus de lui, comme pour se coller contre son flanc. Il le laissa faire, parce que, après tout, il n’y avait pas beaucoup de place, dans ce placard. Et qu’importait que le bras de son ami soit venu se placer autour de ses épaules.
Ils suivirent, tout deux, dans un silence plein d’attente, le doux bruit des chaussons de Simon qui montaient, marche après marche ; un bruit d’autant plus audible que tous, y compris les adultes, à l’étage du dessous, semblaient retenir leur souffle.
« Paul ? » appelait Simon, qui semblait déjà las. « J’espère que ce n’est pas une autre de tes plaisanteries. J’ai du trav- »
Il ouvrit la porte leur chambre ; et, aussitôt, il y eut le bruit d’un choc sourd, spongieux, alors que la slim atterrissait sur l’épaule gauche du malheureux adolescent, détrempant sa veste et se gluant à certaines de ses mèches de cheveux.
Il y eut quelques secondes de silence.
« Paul ! » rugit Simon, et Alphonse était certain que c’était la première fois qu’il l’entendait si ingénument outré. « Je te jure que si je t’attrape, ça va barder ! »
« Merde, » fit Paul. « On court ! »
Une nouvelle fois, la main de Paul se referma sur son poignet ; et Alphonse se sentit entraîné derrière lui, jaillissant du placard à sa suite comme deux petits diablotins de leurs boîtes. Immédiatement, Simon sembla se lancer à leur poursuite, de ses grandes enjambées qui émettaient un bruit visqueux chaque fois que son chausson gluant se posait au sol.
Et si dans le joyeux tohu-bohu qui suivit, Alphonse se laissa aller à rire aux éclats… et bien, ce n’était l’affaire de personne.
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« Je vois que certaines personnes ne se foulent pas beaucoup pour aider les autres. »
La seule réponse que Francis reçut, ce fut un soupir agacé et un regard vaguement noir. C’était aussi étrangement passif, parce qu’il n’y avait pas l’habituelle petite remarque bien sentie, que bizarrement abrasif, parce qu’il n’y avait pas de sourire pour atténuer la sévérité du regard. Dans tous les cas, ce n’était pas vraiment ce à quoi il s’était attendu.
Il s’approcha de quelques pas, placardant sur son visage une expression aussi subtilement dédaigneuse que soigneusement désintéressée. De là où ils étaient, au beau milieu du salon, ils pouvaient tout deux entendre les clameurs des enfants et d’Edward, qui s’efforçait, depuis quelques heures déjà, à planter des carottes. Francis avait participé à l’effort, en témoignait la terre qui était venue, à son grand désarroi, se longer sous ses ongles ; mais son merveilleux époux lui avait expressément demandé d’aller voir si tout allait bien du côté de Sylvain, et c’était ce qu’il faisait. A sa manière, et avec sa réticence habituelle.
L’homme était à moitié étendu, sur un fauteuil incliné, pieds sur un petit tabouret, et fixait avec un manque d’enthousiasme certain l’écran de la télévision. Il était manifeste qu’il devait plus ruminer que vraiment faire attention à ce qu’il s’y passait, parce que Francis, du peu qu’il savait de lui, était absolument certain que Sylvain n’était pas du genre à regarder volontairement une rediffusion d’Inspecteur Barnaby.
« Vous pourriez au moins vous lever, et sortir un peu. Vous n’avez pas mis une seule fois le nez dehors, pas même pour aider à faire les courses. Flemmard que vous êtes. »
Nouveau regard, venimeux, cette fois. Francis le vit resserrer ses doigts autour du pommeau de sa canne, comme s’il s’apprêtait à se lever ; et puis, il le vit se renfoncer un peu plus dans son fauteuil, l’expression impénétrable.
« Personne à risque, » l’entendit-il tout juste murmurer, à peine audible, derrière le son de la télévision.
Francis émit un petit grincement moqueur, se laissant tomber sur le canapé avec toute la grâce qu’il était capable d’invoquer. Il était certain que Sylvain essayait très fort de ne pas regarder vers lui.
« Personne à risque, vous ? Mon œil. Vous êtes en pleine forme. Ce n’est pas à cause d’un boitillement que vous êtes plus vulnérable que l’un d’entre nous. »
S’il était parfaitement honnête avec lui-même, Francis aurait pu admettre qu’il savait que, techniquement, Sylvain n’était pas « en pleine forme ». C’était facile à ignorer quand il ne voyait que cinq ou six fois par an ; ces temps-ci, avec la cohabitation forcée, il ne pouvait que remarquer le teint blafard, les petites grimaces, et la raideur des muscles. Et donc, il était curieux. Et donc, il voulait savoir ce qu’il se passait ; mais comme c’était Sylvain, et qu’il ne voulait surtout pas donner l’impression qu’il en avait quelque chose à foutre, il jouait la carte de l’insulte évidente.
Et ça fonctionnait, en plus. La mâchoire de son interlocuteur s’était crispée, et ses doigts s’étaient mis à tapoter nerveusement sur le pommeau de sa canne.
« Ce n’est pas une simple question de boitillement, Francis, et je crois que tu le sais parfaitement. »
« Ah oui, vraiment ? Parce que, de mon point de vue, il me semble que c’est surtout vous qui exagérez les choses pour en faire le moins possible. »
« Je te demande pardon… ? »
« Oh, mais je vous comprends, bien sûr. C’est infiniment plus simple de laisser ses enfants faire tout le travail, pendant qu’on se la coule douce devant la télévision à longueur de journée. »
« Francis, je crois que tu serais bien avisé de fermer ton clapet. »
« Excusez moi d’exprimer mon opinion. Je trouve simplement qu’il est juste honteux de se servir de ses enfants, dont un garçon de quatre ans, pour accomplir les tâches ménagères chez soi, et- »
« J’ai un cancer, Francis. »
Silence.
Francis écarquilla les yeux, et se tut tout net, pas tout à fait certain d’avoir bien entendu. Face à lui, Sylvain poussa un nouveau soupir, profondément morose, et leva sa main droite à son visage. Fatigué, malgré son jeune âge. Il semblait regretter d’avoir seulement ouvert la bouche ; quelque part, Francis pensait que c’était parce qu’il l’avait gardé pour lui trop longtemps.
Il le vit s’humecter les lèvres. Appuyer le dos de sa tête contre le dossier de son fauteuil, et fixer l’écran de télévision avec une expression si lasse et si vide qu’il peinait, tout simplement, à le reconnaître.
« Ça avait commencé dans les poumons, il y a quelques années de ça. Un peu après la naissance de Paul. Je m’en suis rendu compte un peu trop tard, tu vois- le comble, c’est que c’est Simon qui m’a alerté. Il m’entendait tousser la nuit, je crois. Il a fallu que je me fasse opérer, tu t’en doutes bien. Et puis, ce sont mes articulations qui ont commencé à me faire mal. Il paraît que c’est normal, chez les adultes de plus de trente ans. La formation de… de métastase, dans les os. C’est traitable, et, par ailleurs, je le suis, ce traitement. Mais c’est assez difficilement supportable, certains jours. »
Il le vit grimacer, légèrement. Sa main se resserra sur l’accoudoir où elle reposait. Il n’ajouta rien, mais Francis sentait parfaitement le ressentiment qu’il dirigeait vers lui. Silencieux, mais tangible. Ça aurait n’importe qui d’autre que Francis aurait pu ressentir de la compassion à son égard.
« Edward le sait ? »
Sylvain eut un drôle de petit rictus. Presque triste, surtout amer. Il secoua simplement la tête.
« Vos enfants ? »
Une nouvelle fois, il secoua la tête. Francis serra les poings.
« Et vous me le dites, à moi ? Bon dieu, Sylvain, je savais que vous étiez stupide. Mais cela frise des records. »
Et voilà que Sylvain tournait la tête vers lui. Avec ce regard particulier que Francis détestait. Celui qui semblait trop en savoir, qui était trop âgé, et qui semblait se moquer du monde alentour. Un pétillement qu’on pourrait croire joyeux, mais qui était cynique.
« Je sais que toi, tu n’en auras rien à foutre. »
Francis sentit ses propres ongles se planter dans la peau tendre de ses paumes ; il grinça des dents, et se redressa, juste pour toiser Sylvain de toute sa stature. L’autre homme se contenta d’hausser un sourcil très peu impressionné.
« Alors, quoi ? Vous n’allez jamais le leur dire ? Vous allez simplement les laisser trouver votre cadavre, ou recevoir votre avis de décès ? »
Avec une nonchalance que Francis haït profondément, Sylvain plongea une main dans la poche intérieure de sa veste, pour en sortir son étui à cigarette. Il en coinça une entre ses dents. Francis aurait voulu la lui arracher.
« Il n’y aura ni cadavre, ni avis de décès, » affirma Sylvain. « Et si je ne leur dis pas, c’est pour les préserver et les protéger. Ils n’ont pas besoin d’avoir à s’inquiéter pour moi. Je fais ce qu’il faut pour me soigner, et je ne mourrais pas. »
Son regard se fit presque absent ; il alluma le bout de sa cigarette, comme un automate, secouant tout doucement la tête. La voix plus douce encore, alors qu’il répétait, comme pour se convaincre lui-même :
« Non, je ne mourrais pas. »
Francis déglutit ; et, avant même qu’il ne puisse s’en empêcher, il sentit sa bouche qui s’ouvrit, et les mots qui se formèrent.
« Vous n’avez pas intérêt, non. »
Sylvain lui adressa un drôle de regard. Un regard rieur, un regard narquois, mais, surtout, un regard qui ne parvenait pas à se détacher de la profonde stupéfaction qui était venu le hanter. Il le contempla de la tête au pied. Et puis, comme l’insupportable animal qu’il était, il rit.
« Eh bien, ma parole ! Il semblerait que tu en ais quelque chose à foutre, après tout. »
« Non, » répliqua immédiatement Francis, et il fut lui-même surpris de la facilité avec laquelle les mots lui vinrent. « Pas moi. Mais Edward, oui. »
Et le voilà enfin, l’habituel sourire. Il ne lui avait pas manqué ; mais Francis admettait que c’était tout de même plus naturel, quand il était là. Il fit semblant de ne pas remarquer la petite tournure presque amicale qu’il avait pris.
« Ah, Francis, je crois que je n’ai jamais autant détesté quelqu’un que je te déteste toi. Mais en ce qui concerne Edward, tu es tout simplement parfait. »
« J’essaye de l’être, » souffla Francis, du bout des lèvres.
« Et tu as intérêt, » conclut gaiment Sylvain. « Je m’en voudrais de devoir venir pratiquer une petite trépanation sur cette masse épaisse qui te sert de crâne. Maintenant, si tu le permets, j’aimerai terminer de regarder ce  p a s s i o n n a n t  épisode de je ne sais trop quelle série vieillie sans avoir à subir ta présence. »
« Bien sûr, » fit Francis, retrouvant avec aisance le ton mielleux et condescendant qui le caractérisait. « Pour ma part, je préféré encore passer mon après-midi avec les mains plongées dans la terre et les vers de terre, plutôt que passer une seconde de plus en votre compagnie. »
« Il va de soi. »
« Evidemment. »
Francis esquissa quelque pas vers la porte vitrée qui menait à leur petit potager improvisé. Un instant, il s’arrêta, jeta un regard en arrière. Il rouvrit la bouche, comme mu par l’impulsion d’ajouter quelque chose, n’importe quoi. Il ne le fit pas. Il la referma, cette bouche ; et, sans un mot de plus, il sortit, laissant Sylvain seul avec ses pensées.
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Simon était, qu’on se le dise, las. Ce n’était certainement pas une nouveauté, et, vraiment, il en était parfaitement conscience. Il était naturellement las de vivre, pour des myriades de raisons qu’il ne voulait jamais partager- ce fardeau était le sien, et il le conservait, merci bien.
Seulement, cette lassitude là était tout autre. Elle était bien plus de nourrie d’agacement que de fatigue et de découragement. C’était la lassitude d’un adolescent qui avait toujours eu un espace attribué, sa chambre. Un havre de paix pour échapper à la compagnie de sa chère mais bruyante famille. La lassitude d’un adolescent qui avait accepté de passer une semaine, une seule, dans la même chambre que quatre enfants, et qui s’était trouvé confiné avec eux pour un temps indéterminé. Et c’était… atroce.
Simon aimait être plongé dans le noir complet, quand il dormait. Mais Stefan était tout petit, et il avait peur du noir. Alors, il fallait garder une veilleuse ou une lampe toujours allumée, et Simon en était réduit à fixer le plafond pendant des heures en attendant que les petits points de fatigues qui envahissaient ses yeux le plonge complètement dans le noir.
Simon aimait s’étaler dans son lit deux places, parce qu’il bougeait beaucoup, la nuit. Mais ils n’avaient qu’une chambre pour quatre, et donc, cela signifiait des lits superposés. Et puisqu’évidemment, Paul avait voulu du même côté qu’Alphonse (pour mettre des coups de pieds sur le matelas du dessus, ou pour clamer que, techniquement, ils dormaient dans le même lit, c’était dur à savoir), et bien, Simon était coincé avec Stefan. Et Stefan était trop petit pour le lit du haut. Et donc, Simon passait ses nuits raides comme un piquet, perturbé par la pensée irrationnelle qu’il puisse trop gigoter et tomber.
Simon aimait le silence et la sérénité, pour qu’il puisse enfin se détendre et laisser échapper ses pensées tourmentées. Mais Paul avait la fâcheuse habitude de dormir sur le dos, et ronflait comme il n’était pas permis de ronfler. Alors, Simon en était réduit à se planter des bouchons d’oreilles dans les tympans dans l’espoir de bloquer le bruit tonitruant.
Simon aimait, tout compte fait, quand il pouvait dormir la nuit. Cependant, outre tout ces petits détails dérangeants, il y avait aussi la possibilité non-négligeable que Paul décide que c’était le moment parfait pour faire chier son monde, et lance, 1- Une bataille de polochon, 2- Des bombes puantes fabriquées avec les bouses de vache du voisin, 3- Des paillettes, 4- Un cri de guerre tout contre son oreille.
Alors, oui. Simon était las. Et cela faisait des semaines qu’il n’avait pas dormi comme il le voulait. Et ce soir, il était trois heures quarante-deux du matin ; et il n’avait toujours pas fermé l’œil de la nuit. Soigneusement coincé dans le cocon de sa couverture, pour être sûr que toute nuisance extérieure (Paul) ne puisse l’atteindre. Les yeux grands ouverts, alors qu’il comptait, sans pouvoir s’en empêcher, les ronflements de son frère cadet, les grincements des matelas, des lits, et les craquements des poutres du chalet.
Il était parfaitement réveillé ; et c’est sans doute pour ça qu’il réagit immédiatement quand une petite main se posa sur le tas informe qu’il formait. Son premier réflexe fut de réprimer un arrêt cardiaque ; son deuxième fut de laisser poindre un regard aussi bigleux que noir, pour le darder sur l’impudent qui osait venir perturber son nom sommeil.
« Paul, je te jure que- »
Et puis, il réalisa deux choses, au même moment. La première, ce fut qu’on entendait encore très bien les ronflements gutturaux du susdit Paul. La deuxième, ce fut que le gosse qui se tenait face à lui, c’était Stefan. Tout ébouriffé, la main gauche serrée sur la patte de son ours en peluche, l’autre agrippé à la couverture de Simon. Le regard très large, parce que lui non plus, sans ses lunettes, ne voyait pas grand-chose.
Il y eut quelques secondes de silence. Si ça avait été Paul, Simon l’aurait sans doute déjà jeté hors de son lit, et lui aurait probablement adressé une soufflante bien sentie ; Stefan, c’était différent. Sans doute parce qu’il était plus petit, et que lui, au moins, ne venait pas casser ses burnes sans bonne raison.
Et puis, sans rien ajouter, le marmot se faufila sous sa couette, et vint s’accrocher à lui.
« Cauchemar, » l’entendit-il articuler.
Simon soupira. Comme toujours. Se collant contre le mur, pour laisser suffisamment de place à l’intru. S’il n’était pas aussi fatigué, il admettrait sûrement qu’il était flatté que ce soit lui que Stefan soit venu voir ; mais il était fatigué, et il ne parvenait pas à se détacher de son lointain désespoir de ne pouvoir être tranquille, pas une minute.
Peut-être qu’il devrait demander à Père s’il pouvait dormir avec lui. Ce serait sûrement vachement mieux.
Où sur le canapé du salon. C’est bien, le canapé du salon.
« Ah, » s’entendit-il articuler, la tête retombant mollement sur son oreiller, alors qu’il émergeait de son armure de tissu. « Et je suppose que tu veux dormir avec moi ? »
Stefan ne répondit pas, mais il le sentit distinctement hocher la tête de l’endroit où il était. Nouveau soupir ; résigné, il leva les yeux, et les fixa, pour une énième nuit, sur le plafond. Il y eut de nouvelles minutes de silence, comblées par le ronflement délicat de Paul. Et puis, d’une toute petite voix, Stefan reprit.
« C’est l’homme rouge. Veut pas me laisser trankil. »
Simon leva mollement la main droite, tapota paresseusement la tête de son petit frère. C’était le seul geste rassurant qu’il était capable d’invoquer, actuellement.
« Il n’y a pas d’homme en rouge, Stefan. Et, quand bien même, on ne le laissera pas te toucher. »
« Des fois, » continua Stefan, comme s’il ne l’avait pas entendu, « Je suis pas moi. Dans les cauchemars. C’est bizarre. Je vole, et boum, je suis plus là. »
Quelque part, dans son esprit embrumé, Simon savait que ce n’était pas le genre de rêve que devrait faire un enfant aussi jeune que Stefan. Il ne parvint pas à se focaliser sur cette idée ; ses yeux restaient grands ouverts, mais il se sentait glisser, enfin, dans ce sommeil qu’il avait tant attendu. C’est à peine s’il écoute ce que Stefan continue à lui dire.
« Y’a les yeux bleus, aussi. Des fois en haut, des fois en bas, mais y’a du bleu partout, et moi je suis rouge. Je veux descendre et je peux pas. Et personne m’écoute quand je parle. »
Simon ferma les yeux, laissant échapper un petit soupir d’aise. Sa main s’est immobilisée sur le haut du crâne de Stefan ; l’enfant ne cherche pas à se dégager. Il eut vaguement conscience du regard qui ne le quittait pas. Il s’endormit avant d’entendre ce que son petit frère ajouta, tout bas, comme pour lui-même.
« Personne m’écoute, et pouf, je disparais. »
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Ça faisait quelques jours, maintenant, que Francis sentait la crise arriver. C’était impalpable, c’était dans l’atmosphère, comme une fatalité inéluctable. C’était dans le regard vide qu’avait Edward en contemplant ses feuilles blanches. Ses immobilités soudaines, alors qu’il faisait la vaisselle, et qu’il se trouvait subitement à contempler la mousse qui fleurissait dans l’évier, comme foudroyé sur place. C’était dans ses sursauts au moindre son trop fort, ses regards moroses quand il observait le monde, dehors. C’était dans les cauchemars qui se faisait plus fréquents, les souvenirs que Francis sentait remonter, mais qu’Edward taisait, soigneusement, comme si ça pouvait les effacer.
Presque trois mois, maintenant, qu’ils étaient enfermés. Qu’ils ne sortaient jamais, si ce n’est pour faire les courses. Et évidemment- évidemment que c’était inévitable. Inévitable que Lui, et ses souvenirs qui hantaient Edward, ne finisse par le rattraper.
Lorsque ça arriva enfin, Francis était dans le jardin. Il arrosait les plantes, aidé par Stefan qui s’efforçait de tenir son tout petit arrosoir. L’enfant l’agaçait, mais Francis était prêt à le tolérer. Parce qu’il était toujours très silencieux quand il jardinait, comme si c’était une affaire au moins aussi sérieuse que celles qui pouvaient être traitées dans le Pentagone.
Et puis, Sylvain était sorti. Ils n’avaient pas eu besoin d’échanger le moindre mot. Un regard suffit. Sylvain avait le front plissé d’inquiétude ; il était sorti, et c’était lui qu’il venait voir. S’il y avait une chose sur laquelle les deux hommes pouvaient au moins s’accorder, c’était Edward.
Il lâcha son arrosoir, et se dirigea immédiatement vers la porte d’entrée.
« Où est-il ? »
« Dans votre chambre, » répondit immédiatement Sylvain, parce que, visiblement, il s’attendait déjà à cette question.
Francis hocha la tête ; et c’est tout juste s’il ne monta pas les marches de l’escalier quatre à quatre. Sans surprise, la porte de la chambre était ouverte ; c’était le silence qui y régnait qui l’inquiétait. Il s’arrêta un instant sur son pas, inspira profondément. Il sentait son cœur qui battait contre sa poitrine, affolé ; il savait qu’il devait impérativement être calme, et composé.
Et puis, il entra.
La pièce était plongée dans la semi-pénombre. Les volets étaient fermés ; mais ils étaient vieux, et laissaient, malgré tout, filtrer la lumière du jour et du soleil éclatant de ce début d’après-midi. C’était à peine si on distinguait la silhouette d’Edward. Assis à même le sol, contre le mur, la tête plongée dans les bras, et les épaules agitées de tremblements incontrôlables. Il respirait, mais il respirait mal. Par à-coup, saccadé.
Francis déglutit. Tout doucement, précautionneusement, il s’approcha ; puis, il s’agenouilla en face de lui. Ne le toucha pas. Pas encore.
« Chaton ? »
Il l’entendit distinctement inspirer un grand coup. Une respiration tremblante, comme un noyé sortant enfin la tête de l’eau. Ses doigts se crispèrent un peu plus sur ses avant-bras. Il ne leva pas les yeux.
« Je vais bien, Francis, » l’entendit-il articuler, d’une voix qui était si minuscule et si timide qu’on aurait eu peine à croire qu’elle venait vraiment de lui. « Je sais que je vais bien. Je devrais. »
« Tu es en sécurité, » admit Francis, lui-même surpris de la douceur de sa propre voix. « Mais ça ne veut pas nécessairement dire que tu dois aller bien. »
Edward déglutit ; le tremblement qui l’agita sembla l’ébranler tout entier. Il leva juste un peu la tête ; juste assez pour que Francis puisse croiser ses yeux. Grands yeux verts détrempés de larmes qu’il versait en silence. Un animal blessé qui se recroqueville sur lui-même. Il lui fallut réunir toutes ses forces pour ne pas immédiatement le prendre dans ses bras.
« J’allais mieux, » souffla-t-il, comme désespéré, comme brisé, et Francis se sentit renvoyé, avec une force vivide, au jour où Edward était monté pour la première fois dans sa voiture.
« Tu vas mieux, » corrigea-t-il, juste assez ferme pour ne pas laisser de place au doute. « Il y aura toujours des hauts et des bas, mais tu as déjà fait tant de chemin… ! »
Edward secoua vaguement la tête. Lentement, imperceptiblement, comme l’illustration d’un déni si profondément ancré qu’on peinait même à imaginer pourquoi il y avait besoin de le montrer ostensiblement. Mais son regard ne quittait pas celui de Francis. Une supplique silencieuse qu’il était trop fier pour prononcer à haute voix.
« Est-ce que tu m’autorises à te toucher… ? » murmura Francis, s’avançant juste un peu plus, s’efforçant de ne pas mordre sa lèvre inférieure.
Une minute passa. Silencieuse, tranchée par la respiration hachée d’Edward. Et puis, il hocha la tête, et Francis laissa échapper un souffle qu’il n’avait pas eu conscience d’avoir retenu. Ce fut avec beaucoup de précaution qu’il tendit la main. La posa, dans un premier temps, sur l’épaule de l’anglais ; et, enfin, lentement, doucement, il l’attira contre lui. Sans jamais appuyer, sans jamais forcer, parce qu’à tout instant, Edward devait sentir qu’il pouvait dire non, devait sentir qu’il pouvait se dérober et se reculer.
Il ne se déroba pas, il ne se recula pas, il ne dit pas non. Son front se posa contre le torse de Francis, et ce fut comme si, instantanément, une infime partie de la raideur de ses épaules s’effaçait, s’étoilait. Et le silence s’éteint enfin, parce qu’enfin, il relâchait la prise de fer qu’il s’était imposait, et s’autorisait à sangloter. Francis n’ajouta plus rien, pendant quelques minutes. Il le tint contre lui, précieusement. Passant ses doigts dans les cheveux blonds, un geste répétitif et soigné. Une ancre dans la réalité, un signe de sécurité et de bienveillance.
Et puis, enfin, alors que les sanglots semblaient s’espacer, s’apaiser, il s’autorisa à rouvrir la bouche, reprendre la parole.
« Tout va bien, » souffla-t-il. « Tout ira bien. Tu guéris un peu plus chaque jour. »
Et, lorsqu’Edward laissa échapper un petit souffle tremblant, Francis sut que, quelque part, c’était bien une promesse qu’il venait de lui faire. Et qu’il soit damné s’il ne faisait pas tout pour la tenir, quoiqu’il lui en coûte.
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Faire les courses en temps de crises, c’était véritablement quelque chose de particulier. Tous ces visages masqués, ces gens qui restaient à plusieurs mètres de vous comme si vous aviez la peste. Cette sensation que, parce que vous êtes dehors, vous êtes-vous-même promis à une mort précoce. Francis gardait un souvenir particulièrement vivide de cette dame d’âge avancée qui avait fait un très large détour en arrivant près de lui, et qui avait même mesuré la distance qu’il y avait entre eux au moyen de sa canne.
Qu’on se le dise, si c’était, effectivement, une ambiance particulière, c’en était surtout une qui ne gênait pas Francis. Pas le moins du monde, même ; c’était enfin l’occasion d’éviter les attroupements à l’entrée d’Auchan, et la populace qui grouillait entre les rayons. Aussi, lorsqu’il avait été désigné pour ravitailler la petite communauté, il avait été plutôt ravi. On ne crachait pas une occasion de sortir en toute légalité.
(Contrairement à Paul qui, il ne le savait comment, avait convaincu Alphonse de sortir, la semaine dernière.)
(Sans masques.)
(Sans attestations.)
(Ils s’étaient fait arrêtés par la police, et c’était la première fois que Francis avait vu Sylvain  v r a i m e n t  gronder l’un de ses enfants.)
(Inutile de dire qu’Alphonse en avait pris pour son grade, lui aussi.)
Et puis, on lui avait demandé d’emmener Stefan avec lui, et Francis avait été juste un peu plus reluctant. Il n’avait rien contre l’enfant, si ce n’était qu’il le trouvait idiot, agaçant, et qu’il ne pouvait pas supporter son père. Mais il n’avait pas spécialement envie de passer du temps avec lui. Surtout dans un lieu public.
Il s’appliquait donc à faire de son mieux pour prétendre que Stefan n’était pas là, tout en s’assurant qu’il ne risquait pas de le perdre dans les rayons. Ainsi, il l’avait tout à fait logiquement collé dans le caddie, sur le siège prévu pour les enfants, et se concentrait sur sa liste de course sans lui adresser plus de regard que nécessaire.
Il devait l’admettre, le môme était plutôt sage. Il tétouillait la patte de son ours en peluche, silencieux. Sûrement qu’il sentait que Francis ne l’aimait pas, et qu’il se doutait que la moindre scène ou caprice qu’il pourrait être tenté de faire se verrait soldé par une solide réprimande.
Francis en était même venu à simplement oublier qu’il était là. Jusqu’à ce qu’au retour, en fait, vers la voiture.
Il poussait tranquillement le caddie, sortant du supermarché avec tous ses sacs de cours. Toisant les gens qui s’approchaient trop près de lui, avec tout son merveilleux dédain et son merveilleux mépris. Et puis, il avait vu une voiture qui roulait face à eux, dans l’allée, et qui ne semblait pas déterminée à ralentir- et il avait accélérer pour se mettre à l’abri.
Et Stefan avait ris.
Un petit gloussement, à peine audible, alors qu’il s’accrochait au bord du caddie, le visage transfiguré par un ravissement éphémère. Et Francis- Francis se rappela, juste un instant, ce que ça faisait d’être un enfant, et de se retrouver dans un caddie qu’un adulte poussait à toute vitesse. L’espèce d’euphorie gamine, la sensation de vitesse. Il avait toujours adoré ça.
C’est sans doute pour cela qu’il recommença. Juste par curiosité. Accélérant le pas, presque au point de courir. Stefan eut exactement la réaction à laquelle il s’était attendu ; il rit, de nouveau, plus franchement, plus sincèrement.  Un rire de gosse. Pour la première fois depuis le début de leur petite sortie, il leva les yeux vers lui, et lui sourit. Le regard illuminé de petite bulle de joie, derrière les larges verres de ses lunettes.
Alors- Alors, Francis accéléra de plus belle. Et, avant qu’il n’en prenne vraiment conscience, ils couraient un peu partout dans le parking ; et il souriait, et il riait aussi, juste un peu, comme il avait pu le faire avec Alphonse quand il avait l’âge de Stefan. Et le gosse gloussait, mimait des bruits de voiture de course, tendait les bras pour pleinement profiter de la vitesse.
Ça ne durerait qu’un instant, bien sûr. Quelques minutes. Mais peut-être qu’au fond, ça aurait une importance. Et peut-être même que ce n’était pas plus mal.
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« Eh bien, » fit Edward, « Ce ne fut pas si long que cela, n’est-ce pas ? »
« Ne dis pas ça, » grimaça Sylvain, « Qui sait ce que tu pourrais provoquer. »
« Evite d’invoquer un deuxième confinement, chaton, » renchérit Francis. « Un fut bien assez. »
Edward roula dramatiquement des yeux, chargeant sa valise dans le coffre de leur voiture. Derrière eux, Alphonse semblait pris dans un au revoir larmoyant avec Paul, visiblement peu heureux de laisser partir la proximité quotidienne à laquelle ils s’étaient tout deux habitués. Lui-même, pour tout dire, se sentirait presque mélancolique, à l’idée de devoir reprendre le cours de son quotidien.
Presque. Rien ne pouvait valoir le calme d’un après-midi face à son manuscrit, sans bruit de disputes entre deux hommes, et sans apparition du diablotin hyperactif.
Mais il s’était habitué à une forme de proximité, de cocon familial étendu, de camaraderie constante. Et il savait que, pour quelques semaines, la maison lui semblerait bien vide.
Il referma le coffre, un claquement sonore qui sembla sonner comme un rideau de fin de spectacle. Puis, il se tourna vers Sylvain et Simon, debout côte à côte, parce qu’évidemment que ces deux-là avaient déjà préparé et rangé toutes leurs affaires.
« Eh bien ! » s’exclama Sylvain, se redressant un peu, largement appuyé sur sa canne. « Je crois qu’il est temps, pour nous, de se dire au-revoir. »
Edward hocha légèrement la tête ; et, à sa très grande surprise, Francis le battit en vitesse, en tendant la main vers l’autre homme.
« En effet, » dit-il. « Et je suppose que je peux uniquement vous souhaiter de prendre soin de vous. »
Il sembla y avoir comme un accord muet, entre les deux hommes. Quelque chose qui échappait à Edward, et qu’il n’était sans doute pas supposé pouvoir comprendre. Ils se serrèrent la main ; et, sans un mot de plus, Francis monta dans la voiture.
« Uh, » lâcha Edward, clignant des yeux, face au sourire rieur de Sylvain. « Eh bien, au moins, vous êtes parvenu à devenir civils l’un envers l’autre. »
« Je sais, » roucoula Sylvain, parce qu’évidemment qu’il allait en profiter pour être aussi dramatique que possible. « Ce ne fut pas sans effort, sans concessions drastiques qui ne coûta tout deux beaucoup. Sans compter un épisode de Barnaby. »
« Je ne veux pas savoir, » fit judicieusement Edward. « Je contente de me réjouir du résultat. Qui sait, peut-être qu’un jour, vous serez même ami. »
« Qui sait, » rit Sylvain, qui, manifestement, n’y croyait pas du tout. « Dans tous les cas, je te souhaite un très bon retour chez toi. Tu nous manqueras. »
Et que pouvait-il répondre, à ce genre de sincérité ? Rien, vraiment. Il hocha simplement la tête, et se laissa entraîner dans une brève étreinte. Très vite rejoindre par Stefan, qui s’accrocha à sa jambe droite, et Paul, qui se jeta pratiquement sur son dos.
« Bye bye, oncle Ed’, » gazouilla Paul. « T’façon, on se connait, on sait que le week-end prochain, tu seras à la maison à prendre le thé avec Papa. »
« On verra ça, » rétorqua Edward, comme s’il ne savait pas que l’enfant avait parfaitement raison. « Essaye de ménager ton pauvre père, tu veux ? »
« Evidemment, » promit Paul tout sourire.
« Si seulement, » soupira Sylvain. « Au revoir, Edward. »
Edward se fendit d’une courbette un peu dramatique, que Sylvain lui rendit bien ; puis, après avoir ébouriffer une dernière fois les cheveux d’Edward, il se détourna, et monta, à son tour, dans la voiture. Manifestement, Alphonse s’était déjà glissé sur le siège arrière, le regard glué à la silhouette de Paul, à qui il ne cessait de faire des signes de mains.
« Et bien, » remarqua Francis, tournant la clé de contact, « C’est fini. »
« Oui, » répéta Edward, pensivement. « C’est fini. »
« Jusqu’à la prochaine fois…~ »
« Ne parle pas de malheur, Francis. Ne parle pas de malheur. »
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
Conversation
Incorrect Quotes #4
Alphabet : Dites moi, de quelle couleur est cette chemise ?
Service Secret Junior : Grise.
SMS : Grise.
Binaire : Grise.
Alphabet, à Programmation : Maintenant, dis leur quelle couleur tu pensais que c'était.
Programmation, tout bas : Blanc foncé.
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la-tour-de-babel · 3 years
Text
Programmation’s Remake Show [Deuxième Edition]
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Précédemment : Première Edition - https://la-tour-de-babel.tumblr.com/post/674612069620989952/programmations-remake-show-premi%C3%A8re-edition
Disclaimer : Voici le deuxième épisode de la “série”, qui doit être lue dans l’ordre ! C’est une série qui peut difficilement se lire indépendamment du livre, même si les trois premiers épisodes sont facilement abordable. All funny games, right ? Merci, bien sûr, à @mimmixerenard​, pour les deux dessins qui illustrent cette édition en son milieu ! Le film parodié, bien évidemment, ne m’appartient pas.
Pairings : Paul Saulter / Programmation x Alphonse Bertrand / Alphabet
(Beaucoup de mentions, par contre, notamment de Messaging Services, de Dumbasses Boyfriends, et de Franglais. C’est la life :P) 
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Vous hésitez un peu, devant l’écran de votre télévision. La télécommande est bien à sa place, dans votre main. Votre pouce est appuyé sur la touche qui vous permettrait d’allumer l’écran. Vous vous demandez, circonspect, si vous allez effectivement retomber sur la même émission que la dernière fois ; après tout, l’heure est la même, et vous avez la sensation que c’est une possibilité.
Finalement, enfin, vous osez. L’écran s’allume. Directement, le jingle vaguement familier se lance ; vous notez distraitement qu’il est un peu mieux accordé que la dernière fois. Ce qui n’est pas accordé, cependant, c’est le timing. Visiblement, le présentateur n’était pas tout à fait prêt, puisque la personne qui lui servait de maquilleur -Binaire- est encore en train de faire son travail.
Il vous remarque pourtant immédiatement, et a l’audace de vous faire le signe d’attendre. Ce que vous faites, vous installant sur votre fauteuil.
« Ah bah ça, » dit Programmation, « t’as vu, le lecteur est revenu. »
« Bien la seule personne qui supporte tes âneries, » grommelle Binaire. « Voilà, c’est fini. Ta belle gueule est bien pouponnée. Je peux me barrer, maintenant ? »
« Dis tout de suite, si je t’emmerde, » geint Programmation.
« Tu m’emmerdes, » répond diligemment Binaire, avant de sortir, avec beaucoup de soulagement, du champ de la caméra.
Le présentateur gaspille de longues secondes à bouder, le regard fixé sur le dos de son employé ; puis, il se rappelle que vous existez, et vous décoche un sourire rayonnant. Une main surgit de devant la caméra, pour déposer, très discrètement, un script sur le bureau.
« Ah, lecteur, quel plaisir de vous revoir ! Bienvenue dans la deuxième édition de mon petit show du soir. J’espère que tu vas t’enjailler, eh ! Nous avons même entrecoupé les séquences de superbes making-of. »
Il pointe un doigt dynamique vers l’œil de la caméra, la joue gauche creusée d’une fossette, le regard pétillant. Vous remarquez que quelqu’un avait réussi à le coiffer, avant le début de l’émission.
« Au programme du jour, sur une suggestion de notre meilleur auditeur, » présente le présentateur, « Charlie et la Chocolaterie ! Et préparez-vous ; nous avons quelques guest stars au menu… ! Et, croyez-moi, vous allez être surpris… »
Sur cette touche de suspens incommensurable, l’écran se fond au noir ; et voilà que se lance la musique grandiose composée par Danny Elfman, complètement sous copyright, et complètement piratée pour les besoins du film. Ce n’était pas de leur faute. Les arts refusaient résolument de se mêler à leur projet.
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Dès les premières images, il devient très clair qu’il y a eu une hausse de budget -ou d’effort- depuis le premier film. Déjà, il n’y a pas qu’un seul plan pour planter la scène ; il y en a plusieurs, dont un plan drone au-dessus du camp de Service Secret Junior, à l’entrée duquel on a judicieusement placé une pancarte « CHOCOLATERIE DE WILLY WONKA ». Le monteur a même fait l’effort incroyable de mettre un filtre sur l’image, pour faire genre qu’il y a eu un travail de la lumière.
Tout cela aurait même pu être une entrée en scène tout à fait décente, si le monteur avait su faire son travail, et avait coupé la prise avant que le fameux drone ne finisse dans un arbre. Qu’importe ; voilà que les personnages nous sont présentés, par le biais d’un sublime traveling, alors qu’ils attendent par groupe de deux devant les grilles de la « chocolaterie ». Les premiers, bien sûr, c’est Charlie et son Grand-père Joe, campés par, sans la moindre surprise, SMS et son père. Le premier, depuis le temps, a l’air absolument résigné, et accepte visiblement le sort qui lui échoit, en tant qu’acteur fétiche de son grand-frère de réalisateur. Le deuxième s’enjaille toujours autant, sourire aux lèvres, et on ne peut qu’admirer l’abnégation du costumier qui a réussi à le vêtir d’un vieux gilet en tricot et d’un béret d’ouvrier.
« Kel obène ke davoir trouvé ce tiké dor, » marmonne SMS, agitant le fameux ticket -une carte de visite recoloriée en doré avec un feutre à paillette- devant lui. « Moi ki sui si fan du mistériE Willy Wonka, ke person à vu depui grav lonten, mé ki sui tro povr pour pouvoir macheté ne seré-ce k’1 tablet. »
« Quelle aubaine, en effet, » approuve Service Secret, qui maîtrise étonnamment bien l’accent cockney – techniquement un hors sujet géographique, mais, vraiment, il faut souligner l’effort. « Cinq tickets d’or, seulement, et il a fallu que tu le trouves tout à fait  f o r t u i t e m e n t  dans cette barre de chocolat que tu as pu acheter grâce à un billet trouvé encore plus fortuitement par terre ! Ah, comme les choses sont bien faites. »
« En plu, » renchérit SMS, visiblement encouragé par le répondant de son père, « On abite, genr, just à koté. »
« Ah, le  h a s a r d, » soupire Service Secret, visiblement ému.
La caméra s’avance un peu plus, présentant à votre vue les premières guest stars. Et, effectivement, Programmation n’avait pas menti en disant que cela risquait de vous surprendre ; parce que, debout devant la caméra, l’air morose -voir carrément meurtrier-, il s’agit du Chancelier Allemand, dans le rôle de Mme. Gloop, et Haut-Alémanique, dans le rôle d’Augustus. Le premier a l’air d’agoniser sur place, le teint blême, les joues tartinées de fond de teint rouge cerise pour figurer les joues bien écarlates de la madone allemande, et contemple le sol avec tout le dépit du monde. Le deuxième est absolument raide, bras croisé, regard fixé droit devant lui, mâchoire et muscles crispés ; et, comble du comble, on avait réussi à le convaincre d’enfiler un pull rayé, et de glisser un oreiller en dessous.
Si Service Secret et SMS avait fait l’effort d’apprendre leur texte, ce n’est pas le cas de ces deux-là. Allemand tient le script dans ses mains, et Haut-Alémanique a manifestement décrété qu’il ne parlerait pas.
« Es-tu heureux de visiter la fameuse chocolaterie de Herr Wonka ? » s’enquit Allemand, ton monocorde, accent visiblement forcé sous la demande expresse du réalisateur.
Haut-Alémanique lui décoche un regard absolument venimeux qui hurle tout simplement « non », mais, péniblement, comme un androïde aux articulations rongées par la rouille, hoche la tête. On peut noter que, de cet angle de caméra, il est évident qu’Allemand garde une distance de sécurité.
« Dans le même temps, avec tout le chocolat que tu as mangé pour ça… » termine le Chancelier, le ton mourant métaphoriquement dans le murmure qui le conclut.
Nouvel hochement de tête mécanique d’Haut-Alémanique. Bien heureusement, la caméra se sépare d’eux ; et c’est avec une surprise toujours aussi palpable que vous constatez que les deux actrices suivantes, respectivement dans les rôles de Violet Beauregard et de sa mère, ne sont nulles autres que Conjugaison et Gàidhlig. On les a toutes deux vêtus du même ensemble de sport, une veste et un jogging d’une hideuse couleur mauve ; et quelqu’un a même réussi l’exploit de lisser les cheveux de Conjugaison en un carré respectable. Les deux abordent un sourire narquois, juste en coin, et font un excellent travail pour copier la posture l’une de l’autre ; il est très clair que le réalisateur a dû leur promettre quelque chose de remarquable pour les convaincre de participer au projet.
« Il faut que tu remportes la mystérieuse récompense promise par Mr. Wonka, Violet, » entame Gàidhlig, qui a en plus appris son texte- vraiment, la dette du réalisateur doit être particulièrement salée. « Tu sais, cette récompense qu’il a promis de donner à l’enfant qui ressortira gagnant de cette journée de visite dans cette mystérieuse chocolaterie dans laquelle personne n’est entrée depuis des années. Ah, oui, parce que tu es une enfant, Violet. Je ne crois pas que les autres l’ait spécifié. »
Il y a quelques réponses étouffées des autres acteurs, parmi lesquelles on distingue un « je t’emmerde » d’Haut-Alémanique, un « on sen branl pa 1 peu » de SMS, et un « ce n’est pas dans le script !! » du réalisateur. Qu’importe ; voilà déjà la caméra qui continue son avancée, vers les deux acteurs suivants. Ces deux acteurs, c’est Alphabet Anglais, dans une petite robe de satin blanche, les cheveux coiffés en bouclettes enfantines, dans le rôle de Veruca Salt ; et c’est Sa Royauté Anglais, qui n’a pas l’air enthousiasmé du tout, dans son costume deux pièces, mais qui a visiblement accepté de participer pour faire plaisir à Service Secret.
« Daddy, je veux que la porte s’ouvre plus vite, parce que je suis une sale gamine pourrie gâtée qui n’a trouvé le ticket d’or que parce que tu es riche et que tu as dépensé beaucoup d’argent pour que je l’ai, » s’exclame une Alphabet Anglais pleine d’un étrange enthousiasme, parvenant même à répliquer une voix haut perchée qui est, à n’en point douter, l’exemple même de la voix horripilante.
« Ne m’appelle pas comme ça, » murmure Anglais en retour, avant de confirmer que ce n’était pas dans le script en ajoutant : « Français va mal le prendre. »
Bien heureusement, la caméra ne laisse pas le temps à Alphabet Anglais de répondre à ça ; elle passe, enfin, à la dernière paire d’acteur. Et quelle n’est pas votre surprise de constater que l’un d’entre eux n’est nul autre que le réalisateur lui-même, qui n’avait même pas eu besoin de changer sa garde-robe pour jouer le rôle de Mike Teavee !
« J’aime pas le chocolat, » s’exclame Programmation, juste un poil trop fort, faisant brièvement saturer le micro. « J’ai seulement trouvé le ticket parce que je suis un sale petit con qui a piraté le système grâce au mystérieux pouvoir de l’informatique et des probabilités. Pas vrai,  p a p a ? »
Son « père », c’est évidemment Service Secret Junior, qui n’a même pas besoin de se forcer pour avoir l’air épuisé par l’adorable petit Mike. Le voilà déjà qui soupire, tirant vaguement sur les vêtements informes qu’on l’avait forcé à porter.
« Langage, » réprimande-t-il, sans grande conviction.
Enfin, le traveling est terminé ; et c’est le moment que choisi le monteur pour couper abruptement la scène, et insérant un plan de la grille de la « chocolaterie », fort justement en train de s’ouvrir. Voilà qu’apparait finalement le clou de cette scène d’introduction : Willy Wonka en personne. Il y a manifestement eu un soin tout particulier apporté à son costume ; on retrouve le haut de forme, le costume grenat, la canne, les gants, et même les lunettes. Mr. Wonka aborde un très large sourire, creusant des fossettes d’enfant ; un sourire d’ange, avec les boucles blondes qu’on voit tomber, de part et d’autre de son chapeau. C’est bien évidemment Gallois ; et, soudainement, la présence d’Haut-Alémanique semble bien plus crédible.
« Bienvenue dans ma chocolaterie ! » gazouille Gallois, qui n’avait pas tout à fait l’air aussi frappé que le vrai Mr. Wonka, mais qui rattrapait ça en étant nettement plus joyeux. « Préparez-vous, très chers invités ; nous allons commencer notre visite ! »
Fondu au noir. C’est la fin de cette scène remarquable.
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Première Interlude : Parenthèse sur les costumes et les décors.
Sur votre écran se présente maintenant non pas un, mais bien deux réalisateurs. Tous deux assis sur leurs petites chaises, au beau milieu du camp de Service Secret Junior : le petit cadre explicatif qui apparait en bas de l’image vous conforte dans l’idée qu’il s’agit bien de Programmation et d’Alphabet.
« Ouais, on est deux ! » entame Programmation. « Forcé, vu que je joue directement dans le film. Faut bien quelqu’un pour tenir la caméra quand je ne peux pas. »
« Techniquement, ça ne fait pas de moi le réalisateur, » murmure, très judicieusement, Alphabet.
« Mais si ! » coupe Programmation, d’un ton sans appel- il est évident qu’il a choisi de faire les choses ainsi simplement pour avoir leurs deux noms sur la boîte du DVD. « Bref. C’est la parenthèse costume et décor. Ils sont vachement cool, eh ? »
« C’est parce qu’on a demandé à MMS de bien vouloir nous aider, » explique Alphabet. « Et il a bénévolement accepté. »
Brève coupure de la caméra, pour passer, brièvement, sur un plan du fameux MMS. Posé sur sa chaise, sirotant paisiblement une petite tasse de thé, jetant un regard circonspect à la pancarte qui le présentait comme « Costumier ».
« C’est faux, » précise-t-il placidement. « J’ai accepté en échange d’une semaine… de congé. Alphabet va s’occuper de mes soldats… à ma place. »
Vous comprenez bien mieux l’expression misérable d’Alphabet, lorsque la caméra revient sur les deux réalisateurs. Vous compatissez très fort.
« Bref, » rattrape Programmation, « Tout ça pour dire que ça nous a demandé quelques petits sacrifices… »
« Petits, » répète, tout bas, Alphabet.
« Mais le résultat a de la gueule, non ? »
Pas de réponse. Juste un long silence. Il n’a absolument pas l’air déphasé, alors qu’il se saisit d’un vrai clap en noir et blanc, où on avait inscrit, en très gros, un énorme « Scène 2 ! ». Et puis, avec un clin d’œil, il le referme.
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Le décor, une nouvelle fois, se démarque par son originalité. On est manifestement en plein cœur de Foreign Forest ; mieux encore, on se trouve très proche de la fameuse clairière, si on en croit les murmures spectraux qu’on peut entendre en arrière-plan. Et c’est surtout un choix particulièrement audacieux ; parce qu’il est très clair qu’on a essayé de reproduire la prairie en chocolat au cœur de la chocolaterie, et qu’on a, pour cela, pris le parti-pris de  p e i n d r e  les arbres en rouge et en blanc, comme d’énormes cannes à sucre. Cerise sur le gâteau, il est évident qu’on n’avait pas eu Son autorisation pour faire une chose pareille. En effet, la caméra est déjà allumée, alors que tous les acteurs s’empressent de prendre leur place.
C’est-à-dire, Tout le monde regroupé au bord d’un ruisseau, sauf Haut-Alémanique, qui y barbote avec l’expression la plus vide et fermée qu’il soit possible de concevoir, ne faisant même pas l’effort de faire semblant de s’y noyer.
« Oh non, mon fils est tombé dans l’eau, » murmure Allemand, tout bas, qui semble osciller entre la juste terreur d’accidentellement réveiller la Mère de Toute les Langues, et l’adrénaline incrédule qui vient avec la réalisation qu’il est en train d’enfreindre drastiquement les règles.
« Comme c’est dommage, » chuchote Gallois, qui se retient manifestement d’éclater de rire, à la vision qu’offre Haut-Alémanique- on peut deviner qu’il se mord l’intérieur des joues, en plus des larmes d’hilarité qui lui sont montées aux yeux. « Mais regardez, il y a un gros tuyau hors champ qui va bientôt l’aspirer. Avec le chocolat dont cette rivière est évidemment faite. »
Un long silence, plein d’attente et d’une certaine nervosité. Puis, perdant visiblement patience, Conjugaison vocifère :
« Ta réplique, crétin. »
Haut-Alémanique se contente de lui répondre par un doigt d’honneur, déjà occupé par sa tâche présente – celle qui consiste à sortir du champ de la caméra, et, par conséquent, du film en lui-même. Voilà qui explique probablement son empressement renouvelé.
« Il se fait aspirer, » affirme Anglais, une fois qu’il est suffisamment éloigné.
« Il va rester coincé, » renchérit Service Secret, absolument goguenard.
« Moins fort, » supplie Service Secret Junior.
« Regardez, voilà les Oompas-Loompas ! » marmonne Gàidhlig, pointant le bord opposé du petit ruisseau. « Vous savez, les minuscules petits ouvriers employés par Mr. Wonka. Ceux qu’il a kidnappé de leur pays natal pour les exploiter en les payant en cacao. »
« Mais non, ce n’est pas de l’exploitation, » s’indigne Gallois, essuyant discrètement l’une de ses larmes de rire. « Voyez, ils sont heureux, ils vont chanter. »
La caméra se focalise enfin sur les fameux Oompas-Loompas ; et, ces Oompas-Loompas, ce sont E et tkt, qui, tout bas, entreprirent de chuchoter la fameuse chanson du film, se fendant d’une chorégraphie chaotique. Dans le coin gauche de l’écran, SMS se prend la tête dans la main.
« Uneuh bonne sauce au chocolaaat, » concluent-elles, dans un dernier murmure, avant de reculer dans les buissons pour disparaître.
« Bravo ! » s’enthousiasme Gallois, et on sent qu’il le pense vraiment. « Quel talent ! »
Malheureusement, c’est là l’exclamation de trop ; les arbres grossièrement peints se mettent à luire, d’un azur de plus en plus agressif. Les particules en suspension s’agitent. Elle se réveille.
« Courez ! » beugle Programmation.
La scène se termine quelques secondes plus tard ; juste le temps de vous laissez apercevoir une splendide débandade au beau milieu des racines et des buissons, parsemée de petit piaillement, de cris d’angoisses pour les plus sensés, et de rires à gorge déployée pour les frappadingues ; puis, le caméraman, qui est bien évidemment Alphabet, se souvient qu’il doit certainement cesser de filmer, et l’écran vire abruptement au noir, sur une dernière vision d’un Haut-Alémanique détrempé qui jette au loin l’oreiller qui constitue son déguisement.
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Deuxième Interlude : Recruter les Acteurs, Première Partie
C’est le retour des chaises. Il y en a trois présentées à l’écran ; celles d’Allemand, de Programmation, et d’Haut-Alémanique. Il n’y en a qu’un seul qui est ravi d’être là, et ce n’est pas très difficile de savoir duquel il s’agit.
« Ouais, comme vous vous en doutez, certains acteurs ont été plus durs à récupérer que d’autres, » commence Programmation, tout sourire, avant d’avoir l’incommensurable audace de passer un bras autour d’un Allemand absolument pas réceptif. « Dans ces cas-là, en tant qu’excellent réalisateur, il faut savoir jouer ses cartes. »
« Je n’appelle pas cela « jouer ses cartes », » grince Allemand, et, pour une fois, Haut-Alémanique a l’air parfaitement d’accord avec lui. « Vous avez simplement refusé de me laisser tranquille tant que je n’avais pas accepté. »
« Ça a pris une semaine, » se rengorge Programmation, « Mais ça valait grave le coup. »
(Ce qui avait duré une semaine, c’était, tout bonnement, du harcèlement. Programmation avait été assis à côté d’Allemand pendant une réunion ; et l’idée merveilleuse de le faire jouer dans son film lui était venu.)
(Il ne l’avait pas lâché avant qu’il n’accepte.)
(Parlant constamment, trottinant derrière lui, gesticulant, aussi insupportable qu’il pouvait l’être.)
(Il l’avait eu à l’usure, somme toute, parce qu’après six jours, Allemand, la tête prête à exploser, aurait fait n’importe quoi pour que ça s’arrête.)
« Bon, après, il nous fallait un deuxième germanique, » continue Programmation, « Et puisqu’on commençait à envisager Gallois dans le rôle de Willy Wonka, on s’est dit, eh ! Mais il pourrait convaincre ce type, là, avec sa tronche d’Hannibal. »
Il tente bien de passer un autre bras autour du cou d’Haut-Alémanique. Mais celui-ci le lui saisit avant qu’il ne puisse mener le projet à bien ; et, compte tenu du bruit qu’émet le poignet de Programmation, on peut se douter qu’il y a quelque chose de cassé. Le réalisateur ne s’en démonte pas le moins du monde, déjà entouré d’étincelles bleutées.
« Gallois a évidemment accepté, parce que c’est un type bien, » reprend Programmation, qui a la bonne idée de ne plus s’approcher d’Haut-Alémanique. « Et il nous a assuré qu’il nous ramènerait Haut-Alémanique. Ce qu’il a fait ! Personne ne sait trop comment, d’ailleurs, mais ça en valait grave le coup. »
Il y a un moment de silence, pendant lequel il est clair que le réalisateur espère un petit instant story time de la part d’Haut-Alémanique. C’est bien la preuve qu’il ne le connait pas du tout, parce que le dialecte ne cesse de darder un regard meurtrier à la caméra, bras croisé, résolument silencieux.
(Bien sûr, il n’allait quand même pas admettre que Gallois avait juste eu à demander, avec ce regard juste assez large, juste assez suppliant, et ce sourire plein d’espoir, pour qu’il accepte.)
(Et puis quoi encore.)
Programmation finit néanmoins par se résigner. Il pousse un soupir dramatique ; puis, d’un claquement sonore, il signale le passage à la scène trois.
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Lorsque la caméra se rallume, vous vous retrouvez face avec ce qui est très certainement l’intérieur de l’un des Bunkers de Service Secret Junior ; plus précisément, celui où il devait expérimenter sur quelques petites choses chimiques, si vous en croyiez l’étalage de machines futuristes et alambiquées qui couvre la scène. C’est une claire retranscription de la salle d’Invention de Willy Wonka ; de fait, certaines des machines se sont vues repeintes, au grand chagrin du propriétaire, qui traîne tristement ses savates derrière le reste du groupe. Vous apercevez même, très brièvement, Service Secret qui le gratifie d’une œillade compatissante, et qui lui glisse un compliment face à la qualité de ses installations.
L’attention est néanmoins très vite attirée par Gallois, qui, avec un maniérisme ressemblant à s’y méprendre à ceux que Depp avait eu l’occasion d’avoir dans le film, se tourne vers eux, et s’exclame très bruyamment :
« Voici ma dernière invention ! Elle n’est pas du tout au point, donc, surtout, n’y touchez pas, hein. »
« Oui, mais personnellement, j’adore les chewing-gums, » réplique Conjugaison, dont la joue droite est encore barrée d’une large égratignure certainement due à une branche mal placée dans Foreign Forest. « Genre, j’ai gagné des concours de mâché de chewing-gum. File ta merde. »
« Ce n’est pas très conseillé, jeune fille, » intervint courageusement Service Secret, qui ne recule même pas lorsqu’elle lui décoche, en retour, un regard furibond.
Conjugaison l’ignore ostensiblement ; elle se saisit de ce qui semble effectivement être un chewing-gum, évitant sans problème Gallois qui essaye de prétendre la retenir. Puis, elle se pince le nez, pour ne pas avoir à sentir le goût, et l’enfourne résolument dans sa bouche. Mâchant ostensiblement. Avec les bruits de mastications les plus vulgaires qu’elle est capable de conjurer.
Elle le fait exprès, de toute évidence, et ça enchante le réalisateur, qu’on voit trépigner dans un coin de l’écran.
« C’est vraiment dégueulasse, votre truc, » signale-t-elle, tout à fait honnêtement.
« Oui, eh bien, on ne fabrique pas des confiseries, ici, » grommelle Service Secret Junior en retour.
« Mais si, justement ! » coupe Gallois, qui est le seul à avoir l’air de se souvenir de son script. « Recrachez, mademoiselle, votre nez devient violet. »
Le nez de Conjugaison ne devient, bien sûr, pas du tout violet ; mais c’est là qu’intervient toute l’astuce du montage. Dorénavant, il y a deux types de plan. Le plan « réaction », zoomant sur l’un ou l’autre des visages des autres personnages observant la scène ; et le plan « boom, t’es une prune », qui se focalise sur Conjugaison elle-même, et que le monteur a ingénieusement recouvert d’un filtre violet pour suggérer le changement de couleur. La chose est rendue encore plus convaincante par un petit gadget de l’invention complice des deux Services Secrets présents ; il s’agit d’une combinaison airbag, déguisée depuis le début en jogging mauve, qu’on fait gonfler à distance à l’aide d’une petite télécommande. Si bien que Conjugaison, devant vos yeux ébahis, à bel et bien l’air de gonfler comme la prune qu’elle est supposée devenir ; et ce, même s’il est clair que ça ne l’enchante guère.
« Sa fonktion grav bi1, » s’émerveille SMS, qui a pris soin de rester très loin de la femme qui avait explosé le visage de MMS contre les murs de ses cachots.
 « Oh la la, regardez, elle est devenue un fruit géant ! » s’époumone Programmation, qui croit visiblement bon d’accompagner sa performance de grands gestes de bras.
« C’est sympa, ça, pour les concours agricoles, » remarque Alphabet Anglais, parce qu’il aurait été dommage de supprimer la seule bonne réplique de Veruca.
« Bon, bah, vous n’avez plus qu’à aller la presser, » déclare Gallois, en direction d’E et Tkt, chantant en arrière-plan depuis le début de la transformation. « Pour faire sortir le jus. »
« Le premier qui me touche, » signale Conjugaison, « Je lui arrache les tripes à mains nues. »
« Un enfant de moins, » soupire Anglais, fatigué par toutes ces bêtises. « A croire que c’est calculé. »
« Mais non, qu’allez-vous dire là ! » répond immédiatement Gallois, décochant à la ronde un sourire de parfaite innocence. « Continuons la visite ! Sans la prune, évidemment. »
« La prune, elle t’emmerd- »
C’est à ce moment parfaitement bien choisi que la scène s’achève sur un nouveau fondu au noir particulièrement bien réalisé. On ne peut pas même entendre la fin de cette tirade, sans le moindre doute pleine d’une poignante vérité.
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Troisième Interludes : Recruter les Acteurs, Deuxième Partie
Sur les chaises, cette fois, on a assis deux personnes. Il s’agit de Conjugaison et Gàidhlig, qui s’adressent, quelques secondes avant de réaliser qu’elles sont filmées, un regard empli de défiance l’une envers l’autre. Puis, elles roulent des yeux, de concert.
« Sommes-nous vraiment obliger de répondre à cette question idiote ? » s’enquit Gàidhlig. « On l’a déjà tourné, ton film. »
Manifestement, le caméraman doit être en train d’hocher la tête, puisque Conjugaison lève les yeux au ciel, et poursuit la conversation.
« Nous avons rejoint le projet par pur intérêt personnel, » explique-elle. « Quoi d’autre, franchement. »
« Certainement pas pour la qualité du script, » acquiesce Gàidhlig. « Ni même pour faire taire mon cousin. Il n’y a qu’Haut-Alémanique pour céder à ces idioties. »
« Alphabet a promis de gérer mes tâches pendant une semaine, » conclue Conjugaison, avec un hochement de tête vigoureux. « J’ai accepté, et il a intérêt à remplir sa part du marché. »
« Il m’a promis la même chose, » ajoute pensivement Gàidhlig. « Et il a intérêt à faire ça bien. »
Coupure. Les deux chaises, maintenant, sont occupés par les deux réalisateurs. Alphabet est visiblement déprimé, les épaules basses et voûtées. Programmation aborde une grimace éloquente.
« Mec, sérieux, » fait-il. « MMS, Conjugaison et Gàidhlig ? Tu vas crever ta race. »
« Je sais, » geint Alphabet.
Il y a quelques secondes d’un silence lourd de sens ; puis, comme le sauveur héroïque qu’il est, Programmation bombe le torse, prend une grande inspiration pour bien signifier à quel point ce qu’il allait dire lui coûte, et propose galamment :
« Tu voudras que je t’aide, Alphachou ? »
« Oh par pitié, oui. »
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Manifestement, on n’a pas trouvé le moyen de remplir le plateau d’écureuil. Heureusement, le réalisateur est plein de bonnes idées, puisqu’il y a mis, à la place, une floppée de soldat sms, déguisés en écureuils. L’avantage, c’est que ça a un petit côté mignon, genre carnaval de classe primaire. Le désavantage, c’est que c’est un chaos complet, et que les autres acteurs doivent pratiquement hurler pour se faire entendre.
« Oui, alors, donc, vous voyez, » braille Gallois, et, apparemment, quand il hurle, sa voix part dans les aigus, « J’utilise des écureuils pour séparer les noisettes de leurs coquilles, parce qu’ils font ça vraiment très bien. Et puis, c’est tout mignon. »
« C’est vrai que c’est tout mignon ! » s’exclame Alphabet Anglais, grimaçante, les mains sur ses oreilles pour s’épargner le vacarme- un vacarme, en fait, que tout le monde semble ressentir à un niveau viscéral, si ce n’est SMS, désabusé, qui contemple la scène avec l’air d’un vétéran qui en a vu bien plus. « J’en veux un, D- euh, toi, figure parentale. »
« Non, » s’égosille Anglais, qui manque de tomber plus tôt que prévu dans le trou, en se faisant bousculer par un soldat qui passe en courant. « Tu as déjà beaucoup trop d’animaux. »
« Alors c’est moi qui vais en prendre un, » affirme Alphabet Anglais, avant d’ajouter, soudainement bien moins sûre d’elle, « Est-ce que ça veut dire que je dois m’approcher d’eux ? »
« Oui, » acquiesce SMS, « Mé tan fé pa, la plupar du tem, il morde pa. »
« Peste, une armée de petits Programmations, » murmure Service Secret, qui se souvient de toute évidence très bien de cette fois où Programmation l’avait effectivement mordu, alors qu’il essayait de changer sa couche.
« Grave pas cool, Papa, » s’indigne le concerné.
A côté d’eux, Alphabet Anglais esquisse quelques pas peu rassurés, le teint juste suffisamment trop pâle. On peut voir Anglais, juste derrière elle, qui a l’air de se tenir prêt à l’extirper des griffes des soldats sms si les choses tournaient mal. Il n’a pas le temps de faire grand-chose, toutefois ; déjà, la nuée de soldats écureuils entoure Alphabet Anglais, et l’entraîne résolument vers le trou, au milieu de la pièce, qui figure le vide-ordure, mais qui est en fait juste un petit trou avec un matelas au fond.
« Ailé pouri ! » affirme une petite soldate, qui est grimpée sur le dos d’Alphabet Anglais pour lui tapoter le crâne. « Jeté là dan le trou ! »
« Oué ! #PourrieGâtée ! » renchérit #, accroché à la jambe gauche de la pauvre actrice.
Les autres acteurs, le regard compatissant, l’observent se faire jeter dans le fameux trou ; puis, lentement, ils se tournent un à un vers Anglais, dans l’attente qu’il joue à son tour son rôle. Le roi pousse un soupir dramatique, rajustant dignement les pans de sa veste, comme un homme prêt à s’avancer vers sa potence. Il n’y a que Gallois qui n’a pas du tout, mais alors, pas du tout l’air compatissant. Si on ne le connait pas, on pourrait croire qu’il est même ravi.
« Ravi de vous avoir connu, » fait, très justement, Sa Royauté Anglais. « Service Secret, je ne te dis pas merci. »
L’intéressé se contente de le saluer de la main, sourire vaguement contrit aux lèvres. Enfin, Anglais s’approche à son tour des soldats ; et, deux pauvres petites secondes plus tard, il est à son tour jeté dans le trou, juste sur Alphabet Anglais qui n’avait pas eu le temps de sortir, en une série de piaillement de surprise et de douleur. Grimace des acteurs, sourire en coin de Gallois.
« Deux de moins ! » s’exclame-t-il, d’une drôle de petite voix douce. « Continuons la visite, il n’y a plus rien à voir. »
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Quatrième Interlude : Interview des Acteurs
« Alors, » commence Sa Royauté Anglais, assis sur sa chaise, avec, sur le visage, le reste d’un œil au beurre noir dû à sa rencontre impromptue avec Alphabet Anglais. « Je ne sais trop que dire, vraiment. »
Il n’est pas le seul à l’écran. A côté, il y a Service Secret, qui se mordille la lèvre inférieure comme s’il se retenait de lui rire au nez. Ils sont tous deux de retour dans leurs vêtements habituels. Si ce n’est pour ce fameux béret, toujours vissé sur le crâne du plus jeune.
« C’était un projet très intéressant, » tente-t-il, plein de bonne volonté et de compliment. « Oui, vraiment, un projet débordant de passion, comme toujours, avec Programmation. »
« Je ne dis pas le contraire, » concède Anglais. « Et, vraiment, il y a eu quelques moments mémorables, durant le tournage… »
« La fuite dans Foreign Forest, par exemple, » propose Service Secret, le regard hanté d’une drôle de petite lueur.
« Non, ça c’était terrifiant, » corrige immédiatement Anglais. « J’ai cru que mon cœur allait imploser. Et Allemand ! Le pauvre, quand il est tombé… ! Je le croyais déjà mort. »
« Imploser, quel intéressant choix de mot, » gazouille Service Secret. « Cela ne te rappelle rien ? »
Sa Royauté Anglais se contente de lui adresser un regard perplexe. Visiblement, non, ça ne lui rappelle rien. Et puis, Service Secret a l’air étrangement sérieux, pendant quelques secondes. Quelques secondes, seulement, parce qu’après un grésillement de l’écran, les choses sont redevenues parfaitement normal.
« Enfin, je ne pense pas que j’aurais accepté de participer, si tu ne m’avais pas plaidé la cause de la chose, » reprend Anglais, comme si de rien n’était.  « Dire que tu as gaspillé ton joker pour ça. »
« Son joker ? » s’enquiert le réalisateur, derrière la caméra.
« Oui, » précise joyeusement Service Secret. « Une faveur pour une faveur. Techniquement, c’était à mon tour de te demander quelque chose. N’importe quoi. »
« Et tu choisis ça, » termine Anglais, avec un haussement de sourcil. « Choix intéressant. »
« Je crois que ce n’est pas là la chose la plus intéressante, » réplique Service Secret, sans préciser plus en avant ce qu’il entendait par là. « Enfin, voilà quelques souvenirs que je chérirais avec plaisir ! »
Il penche légèrement la tête sur le côté, observant, très brièvement, le contenu du verre qu’il tient en main. Son sourire s’étire, creuse une fossette. Son regard se plante droit dans la caméra. Une fois n’est pas coutume, il semble clair qu’il voit au-delà.
« De beaux souvenirs, oui. N’est-ce pas, Programmation ? »
C’est la fin abrupte de la courte interview. Juste un nouveau grésillement, et le claquement du clap noir et blanc ; il est temps de passer à la scène cinq.
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C’est l’avant dernière scène. Vous le savez, parce que, juste avant que celle-ci ne commence, durant le fondu au noir, vous entendez le réalisateur le chuchoter, juste à côté de la caméra. Lorsque celle-ci s’allume enfin, vous vous trouvez dans une grande salle blanche ; et tous les acteurs restants ont chaussés les fameuses lunettes bien rondes, avec un enthousiasme plus ou moins marqué. C’est-à-dire, avec force de sourires goguenards pour Gallois et Programmation, une moue circonspecte pour Service Secret, et une grimace de franc déplaisir pour SMS et Service Secret Junior. Sur le côté, on peut apercevoir un grand écran de télévision, extrait directement du salon de Programmation ; on y passe des extraits du JT de 20h. Vous constatez que Service Secret a l’air à la fois fasciné et vaguement horrifié par le fait que l’écran soit en couleur.
« Et donc, » commence Gallois, s’approchant à pas guilleret de l’écran, « Grâce à cette invention tout à fait réaliste, je suis parvenu à téléporter des tablettes de chocolat dans la télévision, de manière à ce qu’on puisse la récupérer et la manger. »
Se disant, il tend la main ; et, après une coupure parfaitement visible et pas tout à fait bien gérée, ses doigts, qui, jusqu’à lors, se heurtaient tristement à l’écran, se referment sur la fameuse tablette de chocolat- un carton avec le logo Wonka écrit dessus. Les autres acteurs applaudissent plus ou moins chaleureusement ; puis, Programmation se racle la gorge, parce qu’il sait très bien que c’est à son tour de briller.
« Ouais, mais c’est complètement pourave d’utiliser ça pour des chocolats. Moi, je dis qu’on devrait grave faire ça avec, genre, des gens. Comme moi par exemple. »
« Ça me semble très déconseillé, » remarque judicieusement Service Secret Junior.
« Oué, grav, » renchérit SMS.
Trop tard, bien sûr. Déjà, Programmation s’empresse de décamper hors champ. On l’entend brailler quelque chose ressemblant vaguement à « vers l’infini et l’au-delà ! », et, dans un éclair aveuglant sans le moindre doute obtenu en braquant une lampe dans les yeux des autres acteurs, il disparait.
« Il est parti, » précise SMS, pour les trois clampins qui n’aurait pas suivi. 
« Pourquoi j’ai la sensation que ce serait quelque chose que Programmation ferait vraiment ? » murmure Service Secret.
« Parce que c’est le cas, » répond tout bas Service Secret Junior. « Il a essayé de construire la machine pour de vrai. On a dû la saboter. »
Les deux hommes secouent lentement la tête, entre résignation et amusement. Gallois jette un regard aux trois acteurs restant avec lui, puis dans la direction où est parti Programmation. Puis, son visage s’illumine tout entier, à tel point qu’il doit couvrir le bas de son visage de sa main gauche pour cacher un sourire un rien hors-sujet.
« Oh, mais c’est toute la famille, en fait, » roucoule-t-il.
« Le script, » geint Programmation. « Le script. »
« Mais ça par exemple ! » s’exclame Service Secret. « Regardez, c’est lui, dans la télévision ! »
« Mais oui, tiens donc, » réplique aussitôt Service Secret Junior. « Comme je suis rassuré de le voir en un seul morceau ! »
« A, mé cé con, ilé devenu tou peti m1tenan, » remarque SMS. « C pa ce ke japel 1 seul morsso. »
« Vite, que quelqu’un le saisisse ! » s’enthousiasme Gallois.
Les quatre acteurs entourent prestement la télévision ; et c’est finalement Service Secret Junior qui tend la main, et qui se retrouve, après une nouvelle coupure qui réussit l’exploit d’être encore plus visible que la précédente, avec une minuscule figurine de son frère cadet dans la main. 
« Mon pauvre fils, » soupire-t-il. « Comment lui redonner une taille normale ? »
« Je lèm bi1 en modèl rédui, perso, » ricane SMS. « Il fé mo1 2 brui. »
« Bon, eh bien, ne reste plus qu’à envoyer ce charmant jeune homme directement dans l’étireuse à guimauve ! » rappelle Gallois, avec une grimace éloquente – il est clair qu’il e peut s’empêcher de réfléchir à l’horrible réalité d’une telle déclaration. « Vous allez voir, il sera comme neuf. »
« Je peine à cacher ma joie, » souffle Service Secret Junior, en guise de remerciement, avant d’enfin sortir du film, petite figurine en main.
« Sa fé lontem kon a pa entendu lé Oompas-Loompas chanté, je sui désu, » conclut SMS, juste à l’instant où l’écran se fond, peu à peu, dans son noir habituel.
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Cinquième Interlude : De réalisateur à acteur.
« Ouais ! » s’exclame Programmation, à l’instant même où s’allume la caméra, « C’était un vrai défi de réaliser et de jouer en même temps ! Surtout que je ne suis qu’un pauvre réalisateur amateur, hein. »
« Ah ça, on ne l’aurait jamais deviné, » marmonne Alphabet, sirotant une sorte de milkshake rose bonbon avec juste ce qu’il faut d’hésitation.
« Heureusement, » continue Programmation, qui fait tout pour faire genre qu’il ne l’a pas entendu, « J’avais avec moi une excellente équipe technique, composée de… Eh bien, juste Alphachou, parce que Binaire nous a laissé en plan au beau milieu du tournage, mais c’est cool quand même. »
« Cool, cool, » grommelle Alphabet, « Ça se voit que ce n’est pas toi qui devais gérer les prises sons et la caméra. Tout seul. On a carrément dû redoubler certaines scènes. »
« C’est la marque des vrais professionnels, » ment Programmation. « Enfin, tout ça pour dire que, malgré les deux casquettes que j’ai pu enfiler, je me suis personnellement bien fendu le bide, et j’estime avoir gérer ma race. »
Ce disant, il se tourne ostensiblement vers Alphabet, les yeux bien larges, papillonnant exagérément des cils. Le pauvre citoyen français le dévisage quelques secondes, parfaitement désabusé, avant de lever les yeux au ciel, et de concéder :
« C’est vrai que ce n’était pas trop mal. »
C’est apparemment un compliment suffisant pour Programmation, puisqu’il saisit brièvement la tête d’Alphabet pour lui écraser un baiser sonore sur la joue droite. Puis, il se souvient qu’il est toujours en tournage, et se penche précipitamment pour ramasser le clap qu’il avait fait tomber par terre. Le rattrapage aurait pu être parfait, s’il n’avait pas oublié de le faire claquer dans le champ de la caméra. Il oublie, pourtant, et vous n’avez qu’un claquement invisible pour signaler le passage à la dernière scène.
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Vous retrouvez les décors de la toute première scène, à savoir, l’extérieur du camp de Service Secret Junior. Il est pourtant évident que, cette fois-ci, les habitants n’avaient pu mettre leur travail en pause plus longtemps. En arrière-plan circulent une nuée de codes aux crânes rasés, lunettes de soleil et veste de costard, qui vaquent professionnellement à leurs occupations. Tout cela donne l’impression que Willy Wonka, depuis le début, est en fait à la tête d’une mafia chocolatière qui a pour but d’assassiner méthodiquement des enfants pas sages. Ce n’est pas si loin de l’idée du film d’origine, donc, eh bien, le réalisateur avait visiblement décidé de laisser passer.
Il ne reste plus que trois acteurs, qui marchent ensemble le long des allées. Gallois, qui a franchement l’air déçu que ça se finisse si vite, SMS, qui lui, a l’air ravi, et Service Secret, qui est trop occupé à contempler les environs avec fierté pour faire attention à ce qui se passe.
« Il ne reste plus que toi, Charlie ! » s’exclame Gallois, levant victorieusement les bras au ciel. « Tu es donc l’heureux gagnant ! »
« Chouete alor, » répond SMS, et on peut tout de même noter une certaine amélioration d’acting depuis le premier film- déjà, il ne lisait plus son texte du tout. « E keske je gagn ? »
« La chocolaterie toute entière ! » clame Gallois, balayant l’ensemble du décor d’un large mouvement de bras. « Parce que je suis vieux et j’ai besoin d’un successeur qui soit sympathique, tu comprends ? »
« Non, mé cé cool kan mèm, » concède SMS, qui, au fond, aurait vachement aimé avoir un camp comme celui de son grand-frère. « Sa veu dirk e je sui plu povr m1tenan ! »
« Le  h a s a r d, » soupire Service Secret, ému.
Il est évident que le réalisateur est en train d’essayer de leur dire de faire quelque chose pour finir la scène. En effet, on voit son ombre qui s’agite, à l’aide de grands mouvements de bras compliqués et alambiqués. Les trois acteurs le fixent un instant d’un air perplexe- quelques secondes qui ont du inspirer le monteur, puisque celui-ci y a incrusté des rires enregistrés d’une sitcom des années soixante. Personne ne sut jamais ce voulu dire le malheureux réalisateur ; puisque c’est sur cette image de confusion poilante que s’achève le film, sur un retour de la musique joyeusement piratée de Danny Elfman.
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Vous contemplez le très long générique qui défile sur votre écran. La liste des acteurs, les remerciements larmoyants, et même une petite parenthèse d’excuse envers Elle, juste après les photos prises durant le tournage- une d’Haut-Alémanique, pieds dans le ruisseau, jusqu’aux mollets, qui foudroie le caméraman du regard ; une de Conjugaison, qu’Alphabet essayait courageusement de dégonfler, malgré les claires vociférations qu’elle jetait en sa direction ; une d’Anglais, ratatiné dans son trou avec son Alphabet, refusant tout deux de ressortir au milieu des troupes sms que personne ne parvenait à calmer ; et, enfin, une d’Allemand, de Service Secret Junior, et de SMS, tous les trois avachis dans un coin du plateau, ayant l’air aussi éreintés l’un que l’autre, avec un Gallois souriant qui s’était manifestement incrusté dans la photographie.
Tout ça est très émouvant ; et c’est manifestement l’avis du présentateur de l’émission, qui essuie quelques discrètes larmichettes, juste avant de commencer sa conclusion.
« Quelle aventure ce fut, mes amis ! » s’extasie-t-il, coude sur son bureau, veste mal enfilée, et cheveux enfin décoiffés. « Un tonnerre d’applaudissement pour tout nos merveilleux acteurs, notre costumier, notre équipe technique ! »
 Il y a bien un petit applaudissement tout mou, hors-champ. C’est Binaire, qui ne le fait bien plus par sarcasme que par conviction. Vous savez que c’est iel, parce que vous entendez son commentaire. Un très discret commentaire.
« Ouais, et il serait temps que tu arrêtes tes conneries. »
Programmation l’ignore superbement. Il décoche, en votre direction, un sourire qui laisse voir toutes ses belles dents blanches, qu’il double d’un clin d’œil débordant de charisme.
« C’est tout pour cette deuxième édition du Programmation’s Remake Show ! J’espère, lecteur, que le voyage fut à la hauteur de vos attentes ! Nous nous retrouverons bientôt, peut-être, pour une nouvelle édition… en attendant, la bise, hein ! Mais genre, bise distanciée socialement. »
Sur ces très bons mots, le décor s’assombrit, tout s’y trouve noyé, si ce n’est la silhouette esseulée du présentateur. C’est la fin de l’émission. Cela, vous en êtes sûrs, parce que vous voyez surgir, sur votre écran, le mot suivant :
 FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
Text
Bon baiser d’Angleterre [Fiction - Pre canon]
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Disclaimer : Il y a probablement besoin de connaître au moins vaguement l’univers pour comprendre ça. Ca se passe environ un siècle avant le canon. Je ne prétend pas connaître quoi que ce soit sur les services secrets anglais, g just vu 1 film 2 James Bond é jé pa émé. Ceci dit, les personnages m’appartiennent, et ça reste un texte que j’affectionne pas mal xD
Pairing : Service Secret / Sylvain Saulter x Sa Royauté Anglais / Edward Short
TW : Brève mention de blessures, mais traitées comme une blague.
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C’était un très large bâtiment ; du moins, tout autant que c’était un grand bâtiment, suffisamment grand pour sembler caresser, défier les cieux. L’un de ces immeubles modernes, sobres d’extérieur, richement décoré d’intérieur, suivant le goût et la mode des années 1900. D’apparence, il ressemblait, en tout point, à un hôtel. On y entrait par la grande porte vitrée, pour déboucher dans un hall gigantesque, dont le plafond était si haut, si élevé, et si élégant dans sa sobriété, qu’il n’en avait rien à envier, par sa magnificence, à celui de la salle de trône d’Anglais. On se trouvait alors face à l’envolée d’un grand escalier bicéphale, dont les deux cous courbés se réunissaient, en hauteur, sur un bar luxueux qui surplombait les riches tapis et fauteuils du hall d’entrée. Au creux de ces escaliers, comme le cœur d’un arbre protégé par deux racines monumentales, il y avait la cage d’ascenseur ; une invention toute neuve, toute brillante, cachée par une grille dorée, frappée d’un « S » soigneusement calligraphié.
C’était en empruntant cet ascenseur qu’on accédait aux multiples étages ; une suite de couloirs labyrinthiques, tout en pourpre et en or, qui longeaient des myriades de chambres à coucher. Il était aisé de s’y perdre ; les chiffres étaient dans le désordre, et, par moment, les couloirs dérobés s’ouvraient, et se refermaient derrière les visiteurs imprudents qui s’y seraient aventuré sans précaution. La pénombre guettait à chaque recoin de l’immeuble ; les luminaires, très modernes, étaient soigneusement disposés de manières à cacher, à avaler dans l’ombre des passages, des couloirs, des conduits, qui menaient on ne savait où.
Rien de tout cela ne ressemblait, de près ou de loin, à un espace de travail ; mais Anglais n’était pas dupe. Derrière chaque lit, chaque miroir, chaque placard de chaque chambre, il y avait des portes dérobées, des pièces cachées, qui menaient au véritable repère de l’agent qui y travaillait ; encore fallait-il savoir sur quel bouton appuyer, quelle brosse à dent pousser, quel livre retirer. L’endroit, en bien des égards, était une forteresse imprenable ; si bien qu’on ne pouvait songer y entrer sans être au préalable accompagné par l’un des membres du personnel autorisé- l’un des codes du propriétaire des lieux, Service Secret.
C’était lui qu’Anglais, aujourd’hui, était venu voir. Ce n’était pas la première fois qu’il le voyait ; il l’avait déjà croisé, à de nombreuses reprises, durant les réunions linguistiques. Mais c’était sa première visite professionnelle, et, il l’admettait, il se sentait quelque peu nerveux.
Il ne connaissait pas bien Service Secret. Il ne savait de lui que ce qui l’avait surpris, ou interpellé ; c’est-à-dire, tout ce qui, chez lui, était radicalement opposé à ce qu’il avait pu voir chez son père. Par-là, Anglais entendait une sorte de jovialité malicieuse, parfois sournoise ; celle d’un homme avenant et honnête, qui, tout compte fait, n’est pas tant honnête qu’observateur et vaguement manipulateur. Mais il s’agissait aussi, et surtout, de cet engouement marqué qu’avait Service Secret pour toute sorte de gadget d’espionnage qu’il semblait inventer sur le tas, et qu’il n’hésitait jamais à utiliser pour amuser la galerie- des pistolets à glue, des espèces de petits engins étranges et à peine fonctionnels qu’il appelait « radio », des stylos à encre invisible, des petites loupes qui permettaient, justement, de lire cette encre invisible, ou, encore, ces armes rétractables qu’il cachait dans les manches de son costume. Un engouement qui ne manquait jamais d’intriguer Anglais, et qui semblait, apparemment, se retrouver dans son habitation même.
Il fallut près d’une heure pour que les deux codes qui l’accompagnaient, deux femmes en costume rayé, traditionnel Dalhia à la boutonnière, ne parviennent enfin à l’amener devant la porte du bureau de Service Secret ; une porte qui, non sans un certain humour, se trouvait cachée derrière le mur des toilettes, et nécessitait qu’on en tire la chasse d’eau pour pouvoir l’ouvrir. En toute autre circonstance, Anglais aurait sans doute crié à la perte de temps ; à l’instant présent, il admettait volontiers qu’au fond, il s’était amusé comme un petit fou à suivre tout ces dédales cachés pour arriver ici.
A l’instant même où la porte fut ouverte, les deux codes semblèrent se volatiliser ; et Anglais se retrouva bientôt seul, s’avançant, avec la fierté qu’il parvenait à invoquer, dans la pièce exiguë qui servait de bureau à Service Secret. Sans doute, au fond, que la pièce n’était pas si petite que cela ; mais elle le semblait, avec les montagnes de dossiers débordants de feuilles volantes qui s’empilaient, dans un joyeux fatras, le long de ses murs, et l’imposant bureau d’acajou ciselé qui en occupait le centre. Service Secret en personne s’y trouvait assis, dédaignant somptueusement l’épais fauteuil molletonné qui aurait dû servir à cet usage ; il avait manifestement préféré y poser les pieds, alors qu’il décodait, au crayon à papier, un long texte incompréhensible qui ne semblait qu’être une suite de consonnes et de voyelles aléatoires.
« Je suis à vous dans une seconde ! » s’exclama Service Secret, sans même lui adresser un regard, tant il était absorbé dans sa tâche. « Je vous en prie, asseyez-vous. »
Anglais haussa un sourcil circonspect ; il ne savait pas si Service Secret tenait à ce qu’il s’assoit sur ce fauteuil où il avait posé ses pieds, où sur l’une des piles anarchiques de dossier qui jonchait le sol. Dans tout les cas, Anglais préférait encore rester debout.
Il y avait quelque chose d’un peu décalé, en vérité, dans la rencontre actuelle. Anglais avait anticipé une rencontre diplomatique ; il avait donc pris rendez-vous, et s’était apprêté comme se devait de l’être un monarque comme lui. Uniforme blanc, médailles au poitrail, couronne sur la tête. Manifestement, Service Secret n’avait pas eu le même souci d’étiquette. Son chapeau melon et sa veste de costume gisait sur l’une des piles de feuilles, et il se tenait, manches de sa chemise retroussés et bretelles apparentes, comme s’il ne s’agissait que d’une rencontre entre deux bons amis.
C’était quelque chose de plus en plus commun, chez ces langues modernes ou à part, que de ne pas respecter strictement le rigide protocole des rencontres entre dirigeants ; Anglais admettait, malgré la légère frustration qui ne pouvait pas être ignorée, que cela avait quelque chose de rafraîchissant.
Il ne fallut qu’une minute, à peine, pour que Service Secret ne viennent à bout de son nouveau code ; la mine de son crayon volant sur le papier avec une rapidité presque hypnotisante. On le devinait qui réfléchissait et pensait à tout allure, derrière le sourire affable et le regard pétillant.
C’était fascinant. Mais Anglais avait toujours été passionné par tout ce qui touchait le rôle des Services Secrets- même si le précédent titulaire du titre s’était toujours montré très froid, très distant.
« Veuillez m’excuser pour ce léger contre-temps, » sourit Service Secret, tournant vers lui un regard aussi franc que vaguement calculateur. « Vous savez ce que c’est… ! Le travail, toujours le travail. »
Anglais savait ce que c’était. Il hocha la tête. L’absence de tension et d’irritation dans sa gestuelle ne passa visiblement pas inaperçue ; le sourire de Service Secret s’élargit de plus belle, et il laissa cérémonieusement tomber sa feuille fraîchement décodée sur une pile qui jouxtait le bureau.
Ils savaient tout deux que si c’était Français qui était venu ici, et qui aurait dû, après la traversée du dédale de l’immeuble, attendre que Service Secret finisse ses petites affaires, ça ne se serait pas passé avec tant de nonchalante tranquillité.
« Que puis-je faire pour vous ? » s’enquit son hôte, pivotant sur la surface de son bureau, de manière à pouvoir faire face à Anglais. « Je dois admettre que c’est peu usuel de voir se déplacer une autre langue, par ici…~ »
Anglais prit vaguement conscience que Service Secret le testait. Il testait ses réactions, ses paroles, ses mots, comme s’il cherchait à le sonder, à le comprendre. Comme s’il était un autre code à percer.
Ce n’était pas spécialement étonnant. Il s’y était attendu. Il dirait même que cela faisait parti de l’adrénaline générale du contexte. Mais il était ici pour une affaire sérieuse ; aussi prit il soin de racler sa gorge, avant de prendre la parole, d’un ton aussi calme et posé qu’il put le faire.
« Je n’en doute pas. Mais je suis poussé ici par une affaire quelque peu embarrassante, que je ne saurais régler sans votre aide. »
Il ne savait pas ce que Service Secret avait vu en lui ; mais, manifestement, il avait piqué sa curiosité, et l’étrange langue peu orthodoxe laissa, juste un peu plus encore, son sourire s’étirer. Anglais le vit tendre la main, pour saisir sa pipe- une habitude familiale de fumer tout ce qu’on pouvait, visiblement.
« Voyez-vous ça ! »  S’extasia Service Secret. « Et vous me faites suffisamment confiance pour penser que je vous apporterais mon soutien ? »
Anglais haussa un sourcil ; il y eut quelques secondes pendant lesquelles ils se jaugèrent du regard, comme pour décortiquer chacune des actions de l’un, et de l’autre. Evidemment, Service Secret avait l’avantage ; et le monarque était certain qu’il y aurait bientôt, au milieu de ce foutoir, un dossier portant son nom.
« En effet, » finit-il par répondre, pesant prudemment ses mots. « J’ose penser que nous nous trouvons en termes suffisamment courtois, et que vous aurez la clémence de sacrifier un peu de votre temps pour me venir en aide. »
Pour quelque raison que ce soit, sa réponse sembla grandement amuser Service Secret ; il lui rit quasiment au nez, ses yeux si sombres ourlés de petites rides d’amusement.
« Allons, Votre Royauté, la flatterie n’est pas nécessaire, ici. Je ne suis point du genre à exiger des compliments comme rétribution- c’est un comportement tout à fait vain, ne trouvez-vous pas ? »
Il porta sa pipe à ses lèvres, pour en inspirer une bouffée. Le bout de l’objet émit des petits ronds de fumée suspicieusement bleus ; certainement qu’il s’agissait d’un de ces gadgets vaguement inutiles mais hautement fascinants que Service Secret traînait partout. Puis, il se pencha en avant, frappant ses mains contre ses cuisses dans un geste d’excitation presque enfantin.
« Je vous écoute. Quelle est donc cette affaire si pressante ? »
Anglais savait qu’il avait déjà toute l’attention de son vis-à-vis ; et il était même quasiment certain qu’il l’avait de toute façon eu dès l’instant où il avait demandé ce fameux rendez-vous. Ce n’était pas chose commune, chez les langues, de se faire des visites de courtoisie. Encore moins lorsque l’une de ces langues était millénaire, et que l’autre n’avait pas beaucoup plus d’un siècle d’existence. Il émit un petit soupir ; puis, mut par une inspiration soudaine, retira sa couronne, pour la poser auprès du chapeau melon. Un geste casuel, marque d’une confiance accordée. Il sembla grandement plaire (au moins autant qu’il sembla le surprendre) à Service Secret, s’il en jugeait par l’écarquillement soudain de ses iris, et la tournure joyeuse que prit son sourire.
« Figurez-vous que l’un de mes sujets, que je ne qualifierais pas d’empoté, parce que cela serait le dénigrer, mais qui n’en mériterait pas moins l’appellation, s’est récemment rendu dans le monde mortel. C’est une chose que j’autorise, peut-être à tort ; il me semble qu’il est toujours important pour une langue et ses composant de connaître ceux qui les nourrisse. Aussi, ce n’est pas tant ce petit voyage impromptu qui est la source du problème ; mais bel et bien le fait que cet empoté, je veux dire, cette personne-là, que je ne nommerais pas, mais qui s’appelle Syntax, a laissé derrière lui une sacoche pleine de documents qu’il avait emporté dans l’intention de les traiter au grand air. Lorsqu’il y est retourné, la sacoche avait disparu, et les documents avec. »
Service Secret le fixa un instant, les yeux presque un peu trop ronds, pipe immobilisée au bord des lèvres. Anglais vit très nettement l’instant où le fou-rire menaça de poindre ; dans l’humidité progressive et hautement amusée de la cornée, dans l’ourlé de son sourire, dans la rougeur qui semblait lui monter aux oreilles. Immanquablement, Service Secret se trouva très vite à s’esclaffer devant lui, avec la retenue élégante de tout ces gens de bonnes sociétés qui trouvent, néanmoins, une plaisanterie désopilante.
Anglais en fut, bien évidemment, vexé. Ce n’était tout de même pas à lui de subir l’incompétence de ses sujets ! Si ? … Si.
« Il n’y a rien de drôle ! » éructa-t-il, sourcils froncés, bras croisé, tentant de dominer Service Secret par sa taille- un échec, malgré le fait que celui-ci était assis, et que lui était debout. On allait dire que c’était parce que le bureau était trop haut.
« Veuillez m’excuser, » pouffa Service Secret, qui avait l’air tout sauf désolé. « Vous admettrez tout de même que ce n’est pas commun… ! Quels documents se trouvaient dans cette sacoche ? »
Se disant, l’autre langue s’était levée, et, en poussant adroitement une pile de dossier sur une latte de parquet bien précise, ouvrit une petite trappe dérobée dans le sol pour en sortir une bouteille de scotch et trois verres de cristal. Sans doute sa manière à lui de montrer sa sollicitude, malgré l’hilarité évidente dans laquelle le poussait la confession d’Anglais.
« Du genre bien trop importants pour tomber entre les mains des mortels, » maugréa-t-il, tout en acceptant le verre que lui tendait Service Secret. « Des détails sur le fonctionnement de notre monde, sur mon fonctionnement de langue, à moi. Des comptes rendus, des rapports, qui, je le crains, apportent des détails bien trop précis pour que ce soit sécurisant de les savoir dans les mains d’autrui. Et nous savons tout deux combien il est dangereux qu’un être humain apprenne notre existence. »
Service Secret était jeune, mais pas au point d’ignorer la menace que présentait, encore en ce jour, la Corruption ; et la tournure sympathique de la grimace qu’il esquissa suffit à ce qu’Anglais comprenne qu’il savait exactement ce que cette menace avait de concrète, pour lui.
Il le vit tendre le troisième verre à un Traducteur Automatique qu’Anglais n’avait même pas remarqué. Il n’y avait que Service Secret, de toute façon, qui faisait l’effort de reconnaître sa présence ; sans doute parce qu’il était une langue qui ne pouvait concrètement pas être traduite, et qui devait, chaque fois, faire l’effort d’adopter un langage autre le sien. Ou peut-être était-ce parce qu’ils étaient les deux seuls à avoir connaissance de ce lecteur qui, actuellement, lisait ces mots très précis, derrière son écran. Qui pouvait le savoir !
« En effet. Il serait tout à fait mal venu que ces documents-là tombent entre de mauvaises mains. Mais ne pensez vous pas que les mortels puissent y voir une forme de canular ? »
« C’est une possibilité ; mais nous savons aussi que, depuis Babel, nous sommes… comme une légende, dans l’esprit des humains. S’il advenait qu’ils voient en ces documents la preuve de notre existence… »
« Ce serait une catastrophe. Je pense que nous pouvons féliciter votre sujet… ! »
Anglais émit un petit ricanement vaguement amer, et complètement cynique. Puis, il vida la moitié de son verre, comme pour s’anesthésier de la stupidité de son subordonné. Service Secret l’imita, comme par soucis de solidarité.
« Il faudra que nous nous rendions directement sur place, » fit-il, pensif, regard fixé au plafond, derrière cette mèche accroche-cœur qui semblait déterminée à rester à sa place. « J’ai des alias pour toutes les organisations secrètes mondiales ; s’il s’avère que cette sacoche est tombée entre les mains de parties intéressés, je suis assez confiant que nous pourrions manœuvrer comme il le faut pour en reprendre possession. »
« Vous sauriez vous infiltrer parmi les mortels ? » souleva Anglais, dubitatif.
Service Secret lui décocha un clin d’œil amusé, reposant son verre sur son bureau, d’un geste aussi assuré que tranquille.
« Bien sûr. Cela fait parti de mon travail. Je ne suis pas tant une langue de code écrit qu’une langue d’information. Il m’est souvent nécessaire de me faire passer pour un agent du pays de mon choix, dans le but de me perfectionner. Vous verrez, c’est plus amusant qu’on ne pourrait le croire~ »
Anglais le croyait, en effet, et sans problème. Il sentait déjà monter en lui, malgré la précarité évidente de la situation, cette espèce de poussée d’adrénaline qui lui donnait la sensation d’avoir perdu quelques siècles d’existence et de regrets. A son tour, il posa son verre, et partagea, avec Service Secret, un regard confiant, presque complice.
« Je n’en doute pas une seconde. Pourrais-je compter sur vous pour garder une certaine discrétion, sur le sujet ? Je doute que nos… camarades linguistiques prennent très bien cette négligence de ma part. »
Etrangement, il lui semblait déjà connaître la réponse de Service Secret, avant même que celui-ci n’esquisse un vague geste évasif de la main, et ne se fende d’un nouveau petit rire.
« Bien sûr. Je ne suis pas le dernier des malappris. Et vous m’avez accordé votre confiance ; soyez sûr que j’en ferais bon usage. »
Il n’eut pas besoin d’ajouter quoi que ce soit ; Anglais le prenait au mot. Il ne le connaissait pas si bien que ça, Service Secret ; il lui semblait que ça ne ferait pas de mal d’apprendre à le connaître plus.
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Ils s’étaient donné rendez-vous le lendemain, au domicile même de Service Secret. C’était, contrairement à l’hôtel tape à l’œil qui lui servait de lieu de travail, une petite maisonnée très sobre, toute blanche, qui semblait perdue au milieu d’un large jardin complètement fleuri. Il y avait indubitablement un certain charme pittoresque dans l’éclatement de toutes ces couleurs, qui n’aurait rien eu à envier à un tableau de Monnet ; et Anglais fut très près de se laisser tenter à y rêvasser, à y errer en promeneur solitaire.
Il ne le fit pas, pourtant ; il avait été convenu qu’ils partiraient, tous deux, à dix heures pétantes, et Anglais avait pour principe de toujours arriver un peu en avance par soucis de ponctualité. Il s’était donc présenté sur le pas de la porte à neuf heures, rajustant nerveusement le costume immaculé qu’il avait enfilé, bien plus propice à l’infiltration en milieu humain.
Ce n’était pas Service Secret qui lui avait ouvert, mais un petit garçon à l’air effronté, qui ne devait pas avoir beaucoup plus de onze ans.
« T’es en avance, » fit le gosse, en guise de salut, un sourcil critique haussé.
Anglais ne s’offusqua pas. Il avait l’habitude des enfants ; et il n’était pas l’une de ces langues bouffies d’orgueil au point de tenir rigueur à un enfant de sa franchise. Bien sûr, si une remarque pareille lui était venue de Français, il lui aurait fait avaler sa couronne.
« En effet, » admit-il, forçant, avec une facilité qui le surprit lui-même, un sourire bienveillant sur son visage.
« Père n’est pas encore prêt, » intervint un adolescent, dont l’expression lasse et fatiguée lui rappelait quelque peu Syntax. « Mais vous pouvez entrer, si vous le désirez. »
Anglais ne se fit pas prier ; il laissa le plus jeune des deux garçons lui attraper un pan de sa veste, et l’entraîner, sans sommation, dans le salon. C’était, somme toute, un salon qui respirait la chaleur familiale ; les canapés et fauteuils étaient généreusement couverts de coussins, et le sol jonché de peluches et de jouets indiquait la présence d’une famille relativement nombreuse. C’était bien loin du luxe royal auquel était accoutumé Anglais. Mais il en aima instantanément l’atmosphère. Elle avait quelque chose qui lui rappelait la jeunesse d’Américain, et qui, si elle tirait douloureusement sur cette partie de son cœur qui était encore tâchée de cerise, ne manquait pas d’éveiller en lui cette douce chaleur nostalgique qu’on cherchait si souvent.
« T’es plus petit que je l’aurais cru, » fit le plus jeune des mômes.
« Programmation, » soupira l’aîné.
« Je suis toujours plus grand que toi, » rétorqua, au tac au tac, Anglais, comme si c’était un exploit que d’être plus grand qu’un enfant.  
Le gosse croisa les bras, et tenta de bomber le torse pour se donner un air plus important. Adorable. Anglais crut presque, pendant une seconde ou deux, faire face au souvenir qu’il avait d’Américain ; il ne put se retenir, et lui ébouriffa les cheveux.
« Mais non, » s’indigna Programmation.
« Mais si, » affirma Anglais, sourire bien plus aisé, à présent.
Il y eut une série de craquements, provenant, de toute évidence, de ce petit escalier qu’Anglais avait vu en passant, et qui menait vraisemblablement à l’étage ; après quoi, Service Secret fit son entrée dans la pièce, les cheveux encore vaguement décoiffés, premier bouton de sa chemise ouverte, légèrement essoufflé, et bretelles pas encore enfilées. Il tenait dans ses bras un troisième gosse. Un tout jeune, pas plus de deux ans, avec d’énorme lunettes rondes derrière lesquelles il ne cessait de cligner des yeux, et qui s’agrippait à lui comme s’il craignait à tout instant que son père ne le lâche.
« Bien le bonjour ! » salua gaiement Service Secret. « Je ne vous espérais pas de sitôt ! Mes excuses pour le désordre. Je fais au plus vite, c’est promis. »
« Mais je vous en prie, » répliqua Anglais, quelque peu amusé par le spectacle. « Prenez votre temps. »
Pour quelque raison, Service Secret rit de nouveau- il semblait avoir le rire facile, après tout. Et ce même si, manifestement, il lui était étrangement difficile de garder son souffle tout en portant son fils ; les prémices d’une fatigue qu’Anglais avait déjà vue autrefois, et qu’il ne pouvait se résoudre à voir maintenant.
Il n’eut de toute façon pas le temps de s’appesantir sur cette idée. Sans préavis, Service Secret lui tendit son fils, et le lui laissa à ses bons soins.
« Si vous voulez bien le tenir quelques temps, » fit-il, un peu tard, mais avec un sourire suffisamment contrit pour qu’Anglais ne lui en tienne pas rigueur. « Je reviens de suite. »
Et, juste comme cela, le père de famille s’éclipsa dans l’une des pièces adjacentes, laissant son invité impromptu en compagnie des trois enfants. Celui qu’Anglais tenait dans ses bras s’était complètement raidi, et le contemplait avec la suspicion qu’un enfant pouvait accorder à un adulte inconnu. Si le monarque se laissa, sans le vouloir, emporter dans une bataille de regard- eh bien, il ne l’admettrait pas.
« C’est SMS, » fit Programmation, qui semblait couver son petit frère d’un regard protecteur. « C’est marrant, il aurait presque la même taille que vous. »
« Programmation, » soupira l’adolescent.
« Kouillon, » gazouilla SMS.
Allons bon.
Anglais ne dirait pas que ces enfants étaient mal élevés ; lui-même n’avait eu à en élever qu’un, et avait déjà bien trimé sa race pour en faire quelqu’un de décent- pour se manger, au final, une bonne grosse indépendance bien ingrate dans la face. Alors, trois ? Il ne se permettrait jamais de juger. Mais, tout de même. Il adressa un regard vaguement sévère à Programmation (qui, manifestement, s’en fichait comme de sa première chaussette), et décida, dans une optique tout à fait pédagogique, de corriger le mot prononcé par SMS.
« On dit « couillon ». Avec un « c ». »
Le marmot se contenta de s’agiter dans ses bras, comme s’il voulait rejoindre le plancher des vaches. Ce qui était sans doute le cas- à son âge, il devait parfaitement être capable de marcher.
« Ça ne sert à rien de le corriger, » remarqua Programmation. « Il fait tout le temps des fautes. »
« Nous supposons que ce doit être inhérent au langage qu’il est, » intervint l’aîné, qui, pour une fois, ne soupira pas.
Une langue qui se caractérise par les erreurs qu’elle fait ? Anglais n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. Sans le moindre doute, l’idée avait quelque chose d’inquiétant- cela voudrait dire que cette langue-là n’en serait pas une unique, à proprement parler, mais une de celle qui s’accroche et se nourrit des autres pour les modifier. Les modifier à quel point … ?
Oui, l’idée était effrayante ; mais, lorsqu’Anglais reposa son regard sur SMS, il n’y vit aucune menace. Il y vit simplement un tout jeune enfant qui le fixait, les yeux comme des billes derrière le verre épais de ses grosses lunettes, les mains minuscules et potelées jouant avec la cravate qu’il avait enfilée spécialement pour aujourd’hui, et qui gazouillait des séries de mots avec la fierté d’un petit garçon qui apprenait à parler.
« Blan, » faisait-il, en pointant la veste de son costume trois pièces. « C blan. »
Il y avait tant de fierté, dans ces quelques mots, qu’Anglais ne put s’empêcher d’esquisser ce sourire qu’il avait perdu, juste quelques secondes.
« Oui, en effet, c’est blanc. Bravo ! »
Il comprit immédiatement que ça avait été la bonne réaction à avoir. Le regard vaguement agressif et protecteur de Programmation se fit bien plus lumineux ; l’aîné parut juste un peu moins las, et SMS gazouilla un rire joyeux. Et puis, la voix de Service Secret se fit entendre, dans son dos- pleine d’une chaleur qui n’avait pas tout à fait été là, jusqu’ici.
« Vous savez, » disait-il, « il y a très peu de langues qui aurait réagi avec votre calme. »
Ce n’était pas dit ; mais, cette fois, au moins cette fois-ci, Anglais le comprit très bien – ce discret remerciement qui se glissait, à demi-mot, dans le sous-texte toujours présent, caché dans les phrases et les mots de Service Secret.
Il tourna la tête vers lui. L’autre langue était à moitié appuyée à l’encadrement de la porte. Chapeau melon sur la tête. Veste rayée, dahlia à la boutonnière, foulard écarlate autour du cou. Sourire aux lèvres. Un vrai sourire, cette fois ; Anglais n’avait pas réalisé qu’il y avait toujours eu une petite retenue dans ceux qu’il lui adressait. Peut-être, au fond, que ça avait été un test. Un autre. Une autre façon de le sonder et de le comprendre.
Il ne lui laissa de toute façon pas le temps de répondre ; il reprit, brièvement, son fils, pour lui déposer un baiser sur le front, et le reposer précautionneusement sur l’un des gros fauteuils.
« Je pense que nous pouvons partir, » fit-t-il, laissant, quelques secondes SMS mordiller le bout de ses doigts. « Je compte sur vous, les enfants, pour rester sages, aujourd’hui. »
« Oui, Père, » répondit immédiatement l’aîné, la mine très sérieuse.
« Evidemment, » affirma Programmation, avec un sourire trop large auquel il manquait une dent. « Tu nous connais. »
Service Secret lui lança un regard criant d’un « justement » plein d’une poignante vérité, et tourna la tête vers Anglais. Anglais, qui faisait de son mieux pour garder son apparent flegme, et ne pas paraître trop attendri par une scène familiale sans doute bien trop rare dans leur monde de langue.
Il échouait, visiblement, si on en croyait l’éclat dans le regard de Service Secret. Alors, Anglais hocha la tête ; et Service Secret se redressa, saisissant d’un geste souple l’attaché case qui reposait sagement sur l’un des canapés, avant de joindre leurs deux mains. Un geste absolument nécessaire, bien sûr ; il était impératif qu’ils empruntent le même passage. Ce serait tout de même dommage qu’ils se retrouvent chacun à l’autre bout de l’Angleterre.
« Tenez-vous prêt, Anglais, » eut-il la bonne grâce de prévenir.
De fait, Anglais n’eut le temps de se préparer à rien du tout ; déjà, il se sentait happé, au-delà de son propre monde, par l’esprit d’il ne savait quel être humain ; et les voilà qui disparaissaient, tout deux, dans un tourbillon de poussières azurs.
« C’est putain de cool, » s’émerveilla Programmation, les yeux étincelants.
« Programmation… » soupira Service Secret Junior, qui semblait déjà au bout de sa vie.
« Kouillon, » roucoula SMS, qui fixait fort justement l’aîné de la fratrie.
« Comme tu dis, bébé frère. Comme tu dis. »
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Si quiconque lui demandait, un jour, comment il s’était retrouvé dans cette situation, Anglais était tout prêt à dire que c’était le mur qui l’avait attaqué. Parce qu’il ne conviendrait bien sûr pas d’admettre, par soucis d’orgueil, qu’il s’était pris les pieds dans les poubelles de la petite allée en se matérialisant dans le monde humain, et qu’il s’était écrasé son royal visage contre la surface humide et refoulant vaguement la pisse des habitations de la ruelle.
Quelle idée il avait eu de s’habiller en blanc. Il aimait le blanc, certes ; mais le simple contact des pierres crasseuses sur le tissu de ses gants, sur le devant de sa veste, et sur le bout de son chapeau haut de forme, avait suffi à les colorer vaguement de gris et de noir. Sans compter ce pauvre nez qui avait bien manqué de se briser.
Le plus frustrant, c’était qu’à côté de lui, Service Secret avait immédiatement retrouvé son équilibre, après quelques petits bonds dansants pour s’assurer un centre de gravité fiable. Si on lui demandait, Anglais dirait que c’était juste parce qu’il avait une canne. C’était quasiment de la triche, après tout.
Bien sûr, le fait que l’autre langue prenne le temps de lui adresser un regard goguenard, alors qu’il massait son appendice nasal avec une expression douloureuse, ne fit rien pour soigner sa vanité blessée. Pas plus que cette main gantée qui vient lui tapoter amicalement l’épaule, comme pour lui dire « mais quel être désopilant vous êtes ! Permettez que j’illustre mon amusement par le moyen de ce geste empli d’une condescendance rieuse~ ».
De toute façon, Service Secret s’était déjà détourné, pour se pencher vers l’humain avachi par terre, qui se tenait la tête avec souffrance et désarroi. Anglais trouva qu’il avait franchement l’air d’un snobillard, appuyé sur sa canne, buste penché en avant, dans son costume resplendissant. Non pas que le monarque puisse donner une impression différente. Ils avaient tout deux l’air de deux riches bourgeois perdus au bout milieu du quartier le plus mal famé de l’East End.
« Oh, mon bon monsieur ! Est-ce que vous allez bien ? Mais que faites-vous par terre ! C’est humide, vous allez attraper la mort… ah ça, par alors, je me demande bien comment vous en êtes arrivé là. »
Anglais réprima un ricanement entre le soufflement moqueur et le hoquet stupéfait. Ils savaient tout deux très bien que si ce pauvre être humain subissait, actuellement, la pire migraine de sa vie, c’était parce qu’il venait de servir de tunnel à deux langues bien trop influentes. Anglais n’osait imaginer l’effet que devait produire la sensation de son crâne s’emplissant d’une nuée de codes et de mots anglais qui s’entremêlaient dans la plus affreuse des anarchies.
« Euh, je, je crois que je vais bien, » balbutia l’humain, clignant des yeux, luttant toujours visiblement pour retrouver ses repères.
« Vous m’en voyez bien rassuré, » fit, immédiatement, Service Secret, qui avait vraiment l’air de le penser. « J’aurais été bien fâché de vous savoir irrémédiablement marqué par ce malencontreux incident. »
Sur ces bons mots, et se désintéressant quasiment immédiatement de l’être qui se détrempait dans une flaque d’eau de pluie et d’urine, la langue pivota gracieusement, et lui décocha un sourire aussi lumineux que débordant d’une sorte de charisme tout à fait charmant. Pour un peu, Anglais pourrait presque accepter d’en oublier l’élancement continu de son nez.
« Allons, mon cher Edward ! Puisque ce brave homme est indemne, je vous propose de vaquer à nos occupations du jour~ »
« Il serait temps, en effet, » grommela Anglais, plus pour la forme que par réel élan d’humeur.
Pendant un instant, il lui sembla que Service Secret allait, une énième fois de plus, lui rire au nez. Mais non ; la langue prit tranquillement la tête de la marche, esquissant un geste de la main gauche en passant devant lui – un geste dont l’effet fut rendu parfaitement évident lorsqu’Anglais constata que les saletés tachant son costume s’étaient mystérieusement évaporées dans un discret nuage de particules azurs.
Son regard, aussi surpris que vaguement interloqué, croisa brièvement l’amusement qui scintillait dans celui de son vis-à-vis ; il décida de le cacher, rajustant veste et chapeau d’un mouvement assuré, et lui emboîta résolument le pas.
« Merci, » admit-il, tout de même, du bout des lèvres.
« Oh, mais de rien, » fit, évasivement, Service Secret. « Il aurait été dommage de laisser un si beau costume dans un état pareil. Veillez à éviter les murs, malgré tout…~ »
Le ton était aussi paternel que moqueur. Il fut tout à fait suffisant pour que Service Secret eut l’honneur de se voir dédier son premier vrai regard venimeux d’Anglais. Peut-être même qu’il eut le droit à un « fuck you » bien senti ; mais, par soucis de politesse, nous allons prétendre que nous ne l’avons pas remarqué.
Les deux langues ne tardèrent pas à déboucher sur l’une des rues centrales de la ville de Londres, comme deux tâches noir et blanche dans une marée de vêtements bruns et vaguement formels. Anglais vit son compagnon de route tendre brusquement la main, et ne réalisa qu’à cet instant précis qu’il venait tout simplement de sauver Traducteur Automatique d’une collision avec un passant trop pressé. Quelle prévenance. Une fois n’est pas coutume, Anglais n’avait même pas remarqué qu’il était là.
Pour sa défense, son regard était bien trop accaparé par la réalité du monde qui l’entourait. Il n’était pas venu dans le monde humain depuis près de deux siècles ; et il devait admettre que tout, ici, était à la fois spectaculaire, et quelque peu angoissant.
La hauteur des immeubles flambants neufs- certes pas aussi hauts que son palais, mais suffisamment resserrés et agglutinés pour lui donner une sensation d’étouffement- au point de presque en cacher le ciel qu’il cherchait comme il le pouvait du regard, comptant sur Service Secret pour lui épargner une rencontre avec un lampadaire pendant qu’il avait le nez en l’air.
Ces étranges engins de métal, qui semblaient se faire la course au milieu des rues, bien plus rapides que ne pouvaient l’être les calèches dont Anglais avait le souvenir, et qui émettaient, à leur passage, un grondement semblant venir des tréfonds de l’enfer.
Les usines, dont les hautes cheminées semblaient dépasser les immeubles en eux-mêmes, et qui crachaient dans le ciel d’épaisses volutes de fumées affreusement noires. C’était, somme toute, un décor qui aurait pu être cauchemardesque, mais qui, dans l’ébullition et le foisonnement de son activité, avec quelque chose d’enivrant et de stimulant, tant et si bien qu’Anglais peinait même à savoir où donner de la tête. Il supposait qu’il pouvait chaleureusement remercier Service Secret, qui semblait avoir parfaitement compris la situation, et qui, sans la moindre remarque moqueuse, lui avait saisi la manche gauche pour l’aider à louvoyer sur la chaussée en toute sécurité.
« Où allons-nous ? » finit-il par articuler, forçant son esprit à se recentrer sur ce qui était important.
« Eh bien, je vous propose de nous arrêter, un instant, au restaurant Piccadilly, » répondit, immédiatement, l’accent Brahmane de Service Secret. « Nous ne sommes pas attendu au siège du MI6 avant dix heures trente- et vous êtes arrivés en avance, rappelons-le. »
Il y avait comme une forme de douce taquinerie dans le ton de l’autre langue ; suffisamment gentillette pour qu’Anglais n’en prenne pas mouche, et se laisse traîner comme il lui chantait.
« Piccadilly ? » reprit-il, plus par soucis de poursuivre la conversation qu’autre chose. « Je ne connais pas. »
« Un restaurant très réputé, » expliqua, gaiement, Service Secret. « Ils servent aussi des petits-déjeuners plus que corrects ; et j’ai ouïe dire que vous aimez ce qui est français. »
« Pas du tout, » répliqua immédiatement Anglais, parce qu’il ne pouvait pas laisser passer le sous-entendu, aussi vrai soit-il. « Quelle idée vous avez là. »
Il n’eut pour réponse que le regard bien trop clairvoyant et malicieux de Service Secret. Anglais s’en trouva à se demander si, vraiment, tout cela avait l’évidence que ça semblait avoir. Dans le doute, il tenta de changer de sujet.
« Je pourrais presque croire que vous l’aviez prévu, cet arrêt au restaurant. »
« Pas du tout, » sifflota Service Secret. « Mais il serait dommage de ne pas tirer parti d’une si bonne compagnie, n’est-ce pas ? »
Allons bon. Que pouvait-il répondre à ça ?
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« Cet endroit est au moins aussi bordélique que votre bureau, Sylvain. »
Service Secret, ou « Sylvain », s’il en suivait son identité humaine, lui adressa une petite moue presque aussi théâtralement triste que pouvait en faire Français lorsqu’il constatait l’état de la cuisine après un passage d’Anglais.
« Mon bureau n’est pas « bordélique », » protesta l’autre langue, et Anglais admettait que le mot « bordélique » prononcé avec tant de distinction prenait une toute nouvelle saveur. « Il est simplement organisé d’une manière toute personnelle et particulièrement libre dans son expression. »
Anglais haussa un sourcil stoïque ; la moue de Service Secret se fendilla, parce qu’il ne parvenait visiblement pas à lutter contre la facilité de son sourire.
« Et puis, on ne critique pas les archives du MI6, Edward. Tout de même, un peu de respect. »
Anglais roula des yeux ; un geste qu’il regretta quasiment immédiatement, puisqu’il manqua de se prendre les pieds dans un carton qui gisait au beau milieu de son chemin. Il dut se rattraper sur Service Secret, qui, bien évidemment, se paya sa tronche. Alors que lui, encore une fois, trichait avec sa canne, et qu’il ne pouvait décemment pas comprendre les tourments de la vie d’un être de petite taille dans des archives en foutoir.
« Il faudrait inventer un truc qui permettent de stocker tout ça sur une toute petite surface, » bougonna Anglais, parce qu’admettons le, il aimait bougonner.
« C’est amusant que vous disiez cela, » fit, distraitement, Service Secret, qui feuilletait d’épais dossier avec une aisance parfaitement remarquable. « Programmation développe, actuellement, un système tout à fait intriguant de stockage dématérialisé. Il essaye de l’implanter dans l’esprit des humains ; avec un peu de chance, nous vivrons tout deux assez longtemps pour le voir se concrétiser. Et pour vous voir cesser de trébucher partout comme une grosse oie pataude. »
Est-ce que Service Secret venait de le comparer à une grosse oie pataude ? Oui. S’il en jugeait par l’étincelle de son regard décidément bien trop gamin, c’était exactement ce qu’il venait de faire. Il avait de la chance qu’Anglais n’ait pas à disposition une tasse de thé à lui verser au visage. Il en avait ébouillanté pour moins de ça, Français en est témoin.
« Allez-vous faire foutre, Sylvain. Avec tous les respects que je vous dois, vous commencez à agir de façon particulièrement efficace sur mon système digestif. »
« Oh, mais c’est que la conversation prend une tournure très graphique... ! Il y a des jours où je peine à savoir si vous êtes la langue la plus sage, ou la langue la plus grossière que je connaisse. »
« Qui a dit que les deux ne pouvaient pas être compatible ? »
Ils se défièrent un instant du regard. Un défi qui n’avait pas l’agressivité et la tension qu’il pouvait y avoir avec Français, et qui privilégiait un côté gamin et espiègle assez rafraîchissant. Anglais supposait que ça avait beaucoup à faire avec la jeunesse de Service Secret- une jeunesse qui, paradoxalement, était déjà bien plus proche de sa fin que ne l’était Anglais.
Il refusa de trop s’y attarder.
De toute façon, Service Secret s’était d’ores et déjà replongé dans sa tâche, empilant dossier après dossier sur la surface miraculeusement libre du bureau qui se trouvait derrière eux. Anglais pouvait admettre, sans en être trop honteux, qu’il était bien loin d’égaler une telle efficacité ; il lui fallait beaucoup plus de temps pour déchiffrer ne serait-ce qu’une feuille, tant tout ce qui y était inscrit était cryptique et sujet à l’interprétation la plus hasardeuse. Peut-être même qu’il ralentissait Service Secret, au fond, à force de lui demander de lui décoder certaines phrases. Mais, après tout, l’autre langue ne s’en plaignait jamais, et Anglais n’était pas du genre à se jeter volontairement la pierre.
« Ah ! » s’exclama Service Secret, triomphant. « Je suis prêt à parier votre chapeau que c’est là ce que nous cherchons. »
« Mon chapeau ? Pariez le vôtre, » répliqua Anglais, tout en se hissant sur la pointe des pieds pour lire par-dessus l’épaule pas si haute que cela de son acolyte. « Qu’en est-il ? »
« Il y aura un échange de sacoche ce soir, » expliqua Service Secret, qui, visiblement, avait très bien compris qu’Anglais ne comprenait rien du tout à ce qui y était écrit. « Le MI6 cherche à l’obtenir pour les informations qu’elle renferme ; elle serait, à priori, entre les mains d’un indépendant. Un certain « J.M ». »
« Sommes-nous sûrs qu’il s’agit de celle que nous recherchons ? » objecta Anglais, sourcil gauche haussé sous la visière de son haut de forme.
« Pas du tout, » sifflota gaiement Service Secret. « Mais c’est possible. Je n’irais pas jusqu’à probable, mais le possible reste acceptable. D’où le fait que mon pari se porte sur votre chapeau, et non le mien. »
Anglais le foudroya impitoyablement du regard. Evidemment, Service Secret se contenta d’avoir l’audace de lui rire au nez.
Un jour, il lui collerait une pichenette. Il verrait. La vengeance sera terrible. Il pourrait même envisager de lui faire à manger.
« Et où se fera l’échange ? » finit-il par demander, plus pour changer de sujet qu’autre chose.
« C’est là le plus drôle, » fit Service Secret, et il avait dans le regard une lueur si profondément espiègle qu’Anglais fut certain qu’il n’allait pas apprécier. « Il se fera ce soir, durant… »
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… Un bal. C’était un fichu bal.
L’un de ces événements mondains du début du millénaire ; une réception pleine de faux semblants, de sourires hypocrites et de tenues tellement luxueuses qu’elles auraient pu avoir été grattées des murs du palais d’Anglais. Avec un buffet de petits fours et d’autres victuailles absolument indécentes par leur opulence.
(Ce n’était, de toute façon, certainement pas aussi bon que ce que pouvait faire Anglais. Evidemment.)
« Je vous hais, » marmonna-t-il dans son inexistante barbe, alors que Service Secret l’entraînait dans le hall d’entrée, tout en sourires charmeurs à la ronde.
« Mais non, » ronronna l’autre langue. « Et puis, c’est vous qui êtes responsable de sa perte. Je n’y suis pour rien ! »
« Admettez-le, vous y prenez du plaisir. »
« Bien sûr. Comment ne le pourrais-je pas ? »
Et Service Secret ponctua sa question d’un clin d’œil sans doute un peu trop appuyé pour être innocent. Sans doute. Anglais n’avait jamais été doué pour lire dans ce qui n’était pas dit.
Son camarade s’avança légèrement, vers le majordome qui semblait attendre devant la porte de la salle principale, avec la liste des invités. L’homme avait l’air vaguement renfrogné, et fatigué, surtout. Anglais pouvait le comprendre ; il devait y avoir quelque chose d’amer à observer ce défilé d’indécente richesse, en sachant que c’était un monde vicieux et mauvais auquel nous n’appartiendrons jamais. Mais le sourire de Service Secret semblait vraiment avoir un petit quelque chose de spécial ; peut-être était-ce l’honnête et complète politesse qui s’en dégageait, ou sa bienveillance. Tout ce qu’il en savait, c’est que le majordome sembla se faire juste un peu moins raide et ennuyé.
« Bonsoir, monsieur, » faisait Service Secret, et il était vraisemblablement le seul à l’avoir salué, de toute la soirée. « Je suis Bond. James Bond. Je crois être sur la liste des invités. »
(Bond, James Bond. Ça sonnait bien. Dans tous les cas, ça stimulait l’imaginaire d’Anglais.)
« En effet, » répondit le vieux majordome. « Vous pouvez entrer. »
Service Secret ne se fit pas prier ; après un remerciement un peu trop chaleureux pour le bourgeois qu’il était supposé être, il se dirigea vers l’entrée, Anglais sagement sur ses talons.
« Bond, James Bond, » marmonna-t-il. « D’où est-ce que ça sort, ça ? »
« C’était écrit sur la liste, et l’homme n’était pas encore arrivé, » répondit, tout aussi bas, Service Secret. « Les salutations de politesse sont aussi nécessaires que pratiques ; elles m’ont laissé le temps d’y jeter un coup d’œil. »
« Je vois, » souffla Anglais, qui refusait d’avoir l’air impressionné. « Mais Mr. Bond peut arriver à n’importe quel moment. »
« En effet, » sifflota Service Secret. « C’est pourquoi nous allons devoir faire vite. »
Ce disant, l’autre langue s’était déjà engagée dans les longs escaliers de marbres qui descendait jusqu’à la piste de danse ; une piste qui était envahie de gens de toutes tailles, en costume aussi colorés que voyant et extravagant, qui tournoyaient paresseusement ensembles, ou sirotait des flûtes de champagne comme s’il était s’agit d’eau du robinet. Tout cela transpirait d’un luxe imposant, qui se trouvait aussi loin de l’élégance de l’hôtel de Service Secret que de la majesté du palais d’Anglais. Un luxe qu’il trouvait grossier et tapageur, somme toute ; il ne résista pas à l’envie d’esquisser une moue dédaigneuse.
D’un geste assuré, il saisit deux coupes de champagne sur le plateau d’un des serveurs qui louvoyaient au milieu de la foule, pour le tendre à Service Secret. S’il fallait se fondre dans la masse, et si le temps était compté, il fallait le faire vite, et bien. Prétendre être de ceux qui buvaient en discutant sobrement, et avec le mépris qui s’impose, des choses alentours était, selon lui, un excellent moyen d’y parvenir. L’autre langue pensait apparemment de même, puisqu’il sirota quasiment immédiatement quelques gorgées de champagne.
« Nous recherchons donc notre camarade, celui que notre agence a envoyé ici, » exposa-t-il, comme pour lui rappeler quelque chose qu’Anglais savait déjà- à moins que ce ne soit pas vraiment à lui qu’il était en train de l’expliquer. « Je ne connais que son alias, M ; et son allure générale. Cherchez un homme avec un profil acéré, qui n’est pas très loin de la chouette ou du hibou. Costume trois pièces, sans doute bleu. Il préfère les cravates. Et je ne doute pas qu’il aura, avec lui, un parapluie. Il ne s’en sépare quasiment jamais, et il faut faire attention à ce qu’il y cache. »
Il dit ça avec une petite grimace, et Anglais fut quasiment certain qu’il avait déjà dû avoir fait face à ce qui se cachait dans le fameux parapluie.
Il hocha néanmoins la tête, et, s’efforçant de boire son champagne avec le plus de flegme possible, balaya la pièce du regard. Les coiffes surmontées de plumes des femmes. Les robes incrustées de diamants, de brillants. Les costumes en queue de pie. Les grands chapeaux. Les cannes ciselées, les faux sourires, les yeux emplis de jugement, les bouches qui s’ouvraient pour enfourner il ne savait quel genre de nourriture-
« Vous grimacez, » lui souffla Service Secret.
« Non, » répliqua immédiatement Anglais.
(Si.)
L’autre langue le fixa un instant. Un sourcil délicatement arqué, le regard perçant, affreusement observateur. Pour une fois, il ne rit pas. Il le fixa, et sembla y trouver quelque chose qui lui inspirait, manifestement, une forme de sympathie. Il ne dit rien, pourtant. Il se contenta de lui tendre la main ; et, avant qu’Anglais n’ait pu protester, l’entraîna sur la piste de danse.
« Nous sommes deux hommes, » grinça Anglais, entre ses dents, suivant malgré lui le mouvement. « N’est-ce pas mal vu, chez les mortels ? »
« C’est le dernier de mes soucis, » répliqua, au tac-au-tac, un Service Secret qui avait retrouvé son agaçant sourire. « Êtes-vous à ce point désireux de plaire à ces gens ? »
Non, Anglais ne l’était pas. Pas du tout. Et puis, Service Secret était manifestement un excellent danseur, et le monarque savait qu’il pourrait tout à fait passer un excellent moment s’il se laissait entraîner dans l’action. Mais il sentait tous les regards qui se tournaient, un à un, vers eux, pleins de jugement, de mépris, de murmures, comme une myriade de bout de verre qui venait percer sa peau.
Il songea, un instant, à laisser sa magie linguistique l’envelopper tout entier, pour réduire tout ces êtres en cendre ; c’est tout juste s’il parvint à se souvenir qu’il s’agissait sans doute là d’une pensée issue des résidus cerises.
« Il me semblait que nous devions nous fondre dans la masse, » finit-il par articuler, s’efforçant d’empêcher Service Secret de le faire pirouetter sur place.
« C’est une possibilité, » répondit l’autre langue, goguenard. « Mais réfléchissez. Officieusement, ces réceptions sont avant tout une occasion pour chacun de se juger, de se toiser et de se mépriser les uns et les autres. Tout le monde, ici, devrait donc, à un moment où à un autre, émettre un commentaire à notre égard. Sauf… »
« … S’ils ont déjà autre chose en tête, » compléta Anglais.
Il fut récompensé par un sourire juste un peu plus large. Non pas qu’il y accorde de l’importance. Bien sûr que non. C’était juste agréable de se savoir reconnu à sa juste valeur.
Dans tous les cas, il détacha son regard de l’homme qui lui faisait face-
(Une fatale erreur, puisque Service Secret saisit sa chance et le fit, effectivement, pirouetter sur lui-même, le saligaud)
- et se focalisa, une nouvelle fois, sur la foule. Il était bien plus aisé de maintenir son flegme quand on se savait source de la moquerie générale ; surtout lorsqu’on savait que cette moquerie était puérile, et que, du haut de ses millénaires d’existence, il se sentait tout à fait à même de réprouver. C’était exaltant, en soi. Savoir qu’à tout moment, ils pouvaient être découverts, et choisir de palier à cela en se faisant le centre de l’attention. Anglais était incapable de dire si c’était de la folie ou du génie.
Et puis, juste comme ça, il croisa brièvement le regard d’un homme. Un homme solitaire, isolé du groupe, qui, lui aussi, balayait la foule du regard, tout en consacrant une grande partie de son attention à sa montre. Un homme assez grand, doté du discret embonpoint de ces gens qui aimaient manger mais qui essayaient de se limiter. Appuyé non pas sur une canne, mais sur un parapluie dont on ne devinait que la pointe, derrière la colonne contre laquelle il semblait chercher à se fondre. Anglais savait qu’il ne l’aurait pas remarqué, s’il s’était contenté de le chercher parmi une nuée de visages dispersés ; là, quand tous les regards, ou presque, convergeaient, il semblait impossible de ne pas le voir. Il semblait également qu’il l’ait repéré juste à temps ; déjà, il se détachait de sa colonne, et se dirigeait subrepticement vers une porte légèrement en retrait, légèrement cachée de la vue de tous.
Il n’eut même pas besoin de prévenir Service Secret ; manifestement, ils l’avaient repéré quasiment en même temps, et, déjà, l’autre langue cessait de le faire tournoyer, pour s’incliner exagérément en direction du public.
Un regard, c’est tout ce qui leur suffit pour s’accorder sur la marche à suivre ; d’un même mouvement, ils emboitèrent le pas de celui qu’ils supposaient être M.
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Si on voyait le bon côté des choses, ils avaient récupéré la sacoche. Ils étaient même parvenus à revenir dans leur monde avant que M et J.M ne parviennent à les en empêcher. Somme toute, on pouvait dire que la mission était un franc succès, et qu’ils pouvaient être très fiers d’eux même.
D’un autre côté, l’entièreté de la chose n’avait sans doute pas été aussi reluisant que ce qu’Anglais s’était imaginé. Oh, bien sûr, ils étaient arrivés juste à temps pour intercepter sa sacoche- qui était vraiment la sienne, et ça avait été une constatation très plaisante. Anglais était même parvenu, en profitant de l’effet de surprise, à l’arracher des mains de J.M, un homme d’une trentaine d’année aux cheveux plus noirs que le corbeau, dont le regard bien trop sombre lui avait affreusement semblé dénué d’émotions.
Seulement, voilà. J.M avait également de très bons réflexes, et, surtout, de très bons réflexes létaux ; il avait dégainé une sorte de petite arme à feu, et, sans sommation, lui avait tiré dessus. Anglais savait qu’il n’avait échappé à la balle dans la tête que par la bienheureuse intervention de Service Secret, qui, d’un coup de canne, avait dévié le bras du mortel. La balle avait ainsi eu la grande bonté de se loger dans son épaule, plutôt que dans son très cher crâne. Il n’en demeure pas moins que ça avait été une expérience très peu agréable.
Et puis, quelque part, à un instant de leur fuite précipité vers leur monde – à cet instant très intriguant où Anglais avait vu, malgré la douleur de son épaule, que la canne de Service Secret était en fait pleine de petites boules qui, une fois écrasées, émettaient d’épaisses volutes de fumée-, M avait brandi son parapluie, et s’était servi de sa pointe suspicieusement trop acérée comme d’une lance. Elle n’avait pas touché Anglais ; mais ce n’était qu’après s’être retrouvé étalé dans les prairies d’herbe de l’abstrait, après l’évanouissement de la dernière des particules bleus, après qu’il ait fini de reprendre son souffle, qu’il constata que ce susdit parapluie avait néanmoins atteint Service Secret, et avait bien manqué de lui trancher la jugulaire.
Il avait plaqué sa main gauche sur son cou, avec une grimace parfaitement éloquente, de la même manière qu’Anglais gardait la sienne sur son épaule exsangue ; et, entre ses doigts, entre le tissu de son gant noir, coulait une mixture épaisse et poisseuse de son sang, et de ces particules azurs qui se rassemblaient, scintillantes, pour refermer la plaie. Mais c’était tout son foulard écarlate qui s’en trouvait gorgé ; tout le blanc de sa chemise. Une vision tout à fait inquiétante, parce qu’il était évident qu’il avait du mal à respirer.
Pourtant, il réussit à lui adresser un regard vaguement espiègle, comme un gosse qui venait de réaliser une bêtise assez conséquente et qui, malgré les inévitables conséquences, s’en délectait grandement. Peut-être était-ce parce que, vraiment, Anglais n’avait pas l’air plus reluisant que lui. Avec tout le pan gauche de sa veste détrempé de cerise, les cheveux hirsutes, sans le chapeau qui était parti rouler un peu plus bas.
Ils avaient l’air vaguement pitoyables. Avec tout ce myosotis qui signalait que leurs blessures se soignaient, et qu’il en fallait décidément beaucoup plus pour blesser irrémédiablement une langue.
Anglais aurait été incapable de savoir qui rit en premier. Qui, parmi eux, était suffisamment frappé pour trouver que la situation était décidément très cocasse, et qui l’était suffisamment pour se dire que l’autre avait raison. Toujours est-il qu’ils se retrouvèrent bientôt à rire comme deux imbéciles, au milieu d’une prairie complètement isolée, du bas de laquelle on apercevait les tours de son château, à lui ; sous le ciel nocturne et le vent qui soufflait sans ménagement.
« Est-ce au moins la bonne sacoche ? » parvint à articuler Service Secret, d’un ton qui était aussi hilare que rendu rauque par l’état de sa gorge. « Ce serait tout de même désopilant d’avoir fait tout cela pour rien. »
« C’est la bonne, » répondit Anglais, qui ne s’était sans doute pas senti aussi vivant et amusé depuis ce jour où il avait entendu la voix cerise pour la première fois. « Damn, tu pisses le sang. »
« En voilà une nouvelle expression bien graphique, » le taquina l’autre langue. « Et puis, tu peux parler. As-tu seulement vu l’état de ta veste ? On croirait voir, à s’y méprendre, un harlequin d’un genre nouveau. »
Sur ces bons mots, Service Secret se laissa basculer en arrière, s’affalant non sans grâce au milieu des hautes herbes. Main sur le cou, yeux vers le ciel, sourire incontrôlable aux lèvres. Il avait l’air d’un gosse, vraiment. Il l’était, d’une certaine manière, à côté d’Anglais. Si jeune.
Il avait déjà des cheveux blancs.
« Je pense que tu vas devoir attendre un peu, pour rentrer chez toi, » conseilla Anglais, qui ne s’allongea pas à côté de lui, parce qu’il tenait à garder le reste de son costume un tantinet immaculé. « Tes enfants pourraient avoir un choc. »
« SMS, oui. Mais Service Secret Junior se contentera simplement de soupirer, et de me sermonner pour mon imprudence, et Programmation s’extasierait sûrement. »
Il y avait beaucoup de chaleur, dans sa voix, quand il parlait de ses fils. Anglais se souvenait qu’il y avait eu la même, autrefois, dans la sienne, quand il parlait d’Américain. C’était une drôle de pensée, et elle triturait quelque chose dans son estomac. Il préféra ne pas s’y attarder.
C’était étrange comme avec certaines personnes, le silence pouvait être agréable. Il se prit à se perdre, quelques minutes, dans la contemplation de ce ciel qui semblait avoir absorbé Service Secret. Quelques minutes, pendant lesquelles sa blessure acheva sa guérison spontanée, tout comme celle de l’autre langue. Comme si elle ne s’était jamais trouvée là. Parfois, Anglais se prenait à penser qu’il était impossible, pour un humain, de tuer une langue. Puis, il pensait à Lui, il pensait à Langage Shakespearien. Et savait qu’il n’y avait rien de plus faux.
« Tu rumines, » remarqua Service Secret, qui, pourtant, ne lui avait pas même jeté un regard.
Anglais prit conscience qu’ils se tutoyaient, à présent. Il n’était pas sûr de savoir quand ils avaient commencé ; ça ne le dérangeait pas. Il détacha son regard des étoiles, et le fixa sur l’autre langue.
« C’est vrai, » admit-il. « Je rumine. »
Service Secret n’ajouta rien. Il tourna, simplement, à son tour, la tête vers lui. Le décortiqua, une énième fois, de ce regard qu’il avait trop observateur, et qui, dans la nuit, sous la lune et les résidus azurs qui flottaient encore paresseusement dans l’air, lui semblait fondre entre l’encre noir et le chocolat. Et puis, sans rien dire, il posa sa main sur la sienne.
Un geste qui n’avait pas besoin d’être accompagné de mots pour être aussi compatissant, rassurant et chaleureux qu’il l’était.
« Ça passera. Un jour, » souffla-t-il.
Et Service Secret était si jeune. Il n’avait pas un siècle. Il comprenait, pourtant. Il semblait même, parfois, en comprendre plus qu’Anglais. Il n’avait pas autant vécu, mais, quelque part, il avait été contraint de grandir- plus vite. Parce que le temps lui était bien plus compté qu’à tous.
Il était plus jeune, mais déjà plus vieux que tant d’autre langue. Plus vieux qu’Anglais. Anglais, qui paraissait un peu plus de vingt-cinq ans ; lui, qui avait dépassé la trentaine.
« Il y a des jours où j’ai la sensation que ça ne me quittera jamais. »
C’est un murmure, le genre de chose qu’il ne disait pas, qu’il taisait tant qu’il pouvait le taire. Ce soir, ça sortait tout seul. C’était facile, avec Service Secret. Presque autant que ça l’était avec Français.
« Je sais, » fit très simplement Service Secret, et Anglais le crut. « Mais, ces jours-là, tu auras toujours quelqu’un pour te soutenir. »
« Toi ? »
Le sourire de Service Secret fut presque surpris ; mais, surtout, il était triste, affreusement mélancolique. Il y avait presque une lueur émeraude, dans le fond de son regard.
« Moi, » répète-t-il, tout bas, tout doucement, comme si un son trop fort pouvait le briser. « Tant que je le pourrais. Ou Français. »
Le nom est inattendu. Suffisamment pour qu’Anglais sente, brièvement, son cœur manquer un battement. Il s’efforça, pourtant, de conserver son calme apparent. De ne pas penser à ce que signifiait ce « tant que je le pourrais ». De ne pas penser à ce que Français pouvait bien faire avec « soutien ».
« Tu détestes Français, » objecta-t-il, d’un ton un peu plus léger.
« C’est vrai, » répondit Service Secret, en toute joyeuse honnêteté. « Mais toi, non. Et c’est là la seule chose qui compte, ne le crois-tu pas ? »
Anglais ne répondit pas. Ce n’était pas quelque chose qu’il était prêt à admettre. Sans doute, Service Secret le savait-il ; peut-être même était-ce pour cela qu’il le mentionnait, qu’il l’évoquait, qui l’ancrait par ses mots.
La main, sur la sienne, se resserra brièvement. Service Secret se redressa, chassant d’un revers de la manche les brindilles qui étaient restées accrochées à son costume. Anglais savait parfaitement ce qu’il allait dire, avant même qu’il n’ouvre la bouche. Il allait dire qu’il était temps, pour lui, de rejoindre ses enfants, parce qu’il était tard, et qu’il leur avait promis d’être là quand ils iraient se coucher.
C’est peut-être pour cela qu’il décida, sous une bizarre impulsion, d’agir comme il le fit. Il se pencha en avant, et, avant que Service Secret n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche pour s’exprimer, il l’embrassa. Ce fut très bref, à peine le temps d’un battement de son cœur. Juste assez bref pour que l’autre langue n’ait pas le temps de comprendre, et de se détacher. C’était ce que c’était ; une simple et brève impulsion. Celle d’un moment qui passait bien vite.
Déjà, il avait repris sa posture initiale, vaguement avachie dans l’herbe, malgré son dos droit et son air tranquille. Il savait, de toute façon, que s’il ne l’avait pas fait, il l’aurait regretté.
Service Secret n’eut même pas l’air surpris. Il se contenta de pencher un peu la tête sur le côté, et de faire ce qu’il savait si bien faire- rire. Un rire qui n’était pas moqueur, qui était simplement très doux, très tranquille. Il fit fleurir un sourire sur les lèvres d’Anglais. Parce que le moment présent avait cette espèce de suspension hors du temps, de quiétude chaleureuse qu’il était si rare de trouver. Ils savaient tout deux que c’était le genre de chose qui ne le dépasserait jamais, ce moment ; chacun avait, hors de cette petite bulle à part, autre chose, quelqu’un d’autre, pour l’attendre. Quelqu’un qui, à bien des égards, était bien plus fait pour eux qu’ils ne l’étaient l’un pour l’autre. D’une certaine manière, ça ne retirait rien au sens, ça ne retirait rien à ce qu’il y avait. Ici. Maintenant. Dans les herbes hautes, sous le vent, la lune, et les fenêtres du donjon lointain.
Service Secret se releva tout à fait, avec souplesse et élégance. Il emportait avec lui l’instant ; Anglais le lui laissa bien volontiers. Il ne bougea pas, lui ; il se prenait à penser qu’il serait peut-être plaisant de rester ici, juste un peu plus longtemps.
« Bonne soirée, Anglais, » fit, très simplement, Service Secret, avec une légère inclinaison respectueuse de la tête. Le visage tiré de son sourire espiègle, les yeux scintillants.
Enfin, il se détourna ; et, sur une dernière courbette, et un signe de la main, il s’éloigna, canne tournoyante à bout de bras. Le pas presque dansant et tranquille, vers un sentier bordé d’églantiers, sous le regard émeraude d’Anglais.
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« Quel petit malotru ! » éructa Français, surgissant de la foule de langue comme s’il s’attendait à ce que sa simple présence suffisse à ce qu’Anglais prenne immédiatement son parti.
Le britannique leva la tête du rapport qu’il rédigeait (un peu en retard, il l’admettait) et qu’il devait déclamer plus tard, lorsque la réunion commencerait. Et il manqua de s’étouffer littéralement sur place, tant la vision qui s’offrit à lui était tout bonnement hilarante.
Français, les joues rougies d’indignation et les yeux jetant des éclairs, se tenait debout, juste à côté de lui, poings sur les hanches. Ses cheveux habituellement si soignés étaient affreusement désordonnés ; mais, plus encore, c’était son accoutrement qui était plus que risible. Chemise brodée de petites fleurs, débraillée, sur un short qui s’arrêtait juste au-dessus de ses genoux, et qui permettait d’admirer ses jambes beaucoup trop pâlichonnes. Enfin, le clou du spectacle : les tongs qu’il avait au pied.
Anglais n’avait pas pour coutume de se moquer ostensiblement des gens. Il étouffa donc son fou-rire parfaitement légitime en buvant un peu de son thé.
« Tu te crois en vacances, Français ? »
« Non ! » pestiféra le monarque, la voix rendue aigue par son incommensurable frustration. « Que crois-tu, mon chou à la crème ? Que je m’habille ainsi pour le plaisir ? »
Amusant de constater que la plus cuisante des humiliations ne parvenait visiblement pas à détacher Français de son stupide surnom. Anglais se vengea en lui renversant le reste de son thé sur les orteils, et prit un air faussement compatissant.
« Ne m’appelle pas comme ça, si tu ne veux pas que je t’arrache les tripes avec une petite cuillère d’argent. Que s’est-il passé ? »
Pour toute réponse, Français jura, parce que le thé était toujours aussi bouillant, et pointa un doigt accusateur vers la foule. Plus précisément, vers Service Secret, qui avait l’air infiniment fier de lui.
« Je ne sais pas comment il a fait, » pesta son homologue, « Mais il l’a fait. Et il refuse d’effacer ce qu’il a fait, cette espèce de petit vermisseau, de cloporte, de gastéropode, de mollusque infâme, de- »
Anglais roula des yeux, et, très discrètement, lui colla un coup de pied dans le tibia gauche. Français lui décocha un regard de chiot blessé.
« Arrête de l’insulter, abruti. Je suis sûr que tu l’as cherché. »
« Mais pas du tout, » geignit Français, ce qui, de toute évidence, voulait bel et bien dire qu’il l’avait cherché. « Et puis qu’est-ce que ça peut te faire, que je l’insulte ? »
« C’est un ami, » répondit évasivement Anglais- parce que, de toute façon, c’était vrai. « Et tu constaterais qu’il est bien plus sympathique qu’il n’y parait quand tu ne te pavanes pas partout avec tout le mépris du monde, vieux paon poussiéreux que tu es. »
Sa Majesté Français se laissa tomber à côté de lui, moue boudeuse, mais regard fier et infiniment vexé. Anglais échangea, brièvement, un regard vers Service Secret- qui lui fit comprendre, par un système de mime remarquablement élaboré, que l’effet ne durerait pas plus d’une heure ou deux. Merveilleux. Anglais aurait tout le loisir de graver indélébilement cette image dans son esprit. Peut-être même qu’il aurait le temps d’en faire une reproduction suffisamment exacte pour envisager d’en faire un tableau à accrocher dans son palais.
« Tu me blesses, chaton, » bougonna Français.
« J’espère bien, » rétorqua Anglais.
Il serait de toute façon malvenu qu’il exprime une quelconque forme de sollicitude envers sa plus vieille connaissance. Il avait une réputation ; et leur relation était ce qu’elle était. Anglais n’aurait pas su la définir. Mais il savait qu’il y avait, là-dedans, quelque chose de très important. Non pas qu’il l’admettrait, un jour, à Français. De toute façon, il était persuadé que celui-ci le savait déjà.
« Et tu l’apprécies ? » reprit Français, mine de rien, en triturant les manches de sa chemise brodée.
Anglais lui jeta un bref regard. Français avait l’air absolument ridicule, dans cet accoutrement ; et, pourtant, il ne parvenait pas à se détacher de son air infiniment royal. De cette stupide prestance qui le suivait partout, comme un vieux pot de colle qui se serait glué à ses cheveux.
Il haussa un sourcil.
« Oui. »
Pas autant que toi, ajouta-t-il, en son fort intérieur, juste pour lui, parce qu’il n’était pas question qu’il le dise à haute voix. Quelque chose lui dit, pourtant, qu’il n’avait pas besoin de le faire.
Français émit un petit « hm », et, avec un sourire étrangement retrouvé, fit mine de rassembler ses documents.
FIN
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la-tour-de-babel · 3 years
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Ce n’était que des mots [Fiction - Etude de Personnage : Programmation]
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Disclaimer : Voilà donc un texte qui suit les évènements du canon, mais qui peut probablement être lu sans problème sans avoir lu le livre. Beaucoup de spoilers, par contre. Basiquement, juste des tranches de vie autour de Programmation et de sa relation avec son petit frère, SMS. L’incroyable dessin est fait par @mimmixerenard​ , que je remercie profusément. J’espère que ça vous enjaillera :P
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« Non, SMS. Pas « enkulé », mais « enculé ». Avec un « c ». »
Programmation sentit le regard d’absolu jugement de son aîné, Service Secret Junior, se poser sur lui. Qu’importait. Il était en mission. Celle d’éduquer son bébé frère, et lui apprendre, comme le grand frère exemplaire qu’il était, à insulter les gens dans une langue correcte et bien orthographiée.
SMS n’avait pourtant pas l’air de bien percuter. Il le fixait, les yeux grands ouverts, comme s’il le voyait pour la première fois. Ou comme s’il ne le voyait pas bien. Programmation était quasiment certain que le môme était bigleux comme une taupe.
De toute façon, il n’était visiblement pas passionné par l’orthographe exacte du mot « enculé ». Sans doute même qu’il n’avait aucune idée de ce que cela pouvait bien pouvoir dire, et qu’il se contentait de répéter, avec un zèle qu’on ne pouvait qu’admirer, les mots qui sortaient très régulièrement de la bouche de Programmation. Ainsi, il ne chercha même pas à répéter ce que venait fort judicieusement de lui enseigner son aîné. Il préféra fourrer la patte de son ours en peluche dans sa bouche, comme le faisait tous les nouveaux nés qui cherchaient à comprendre pourquoi Diable ils avaient des dents, et cessa de le dévisager avec son fichu regard de bébé innocent.
« Vraiment, Programmation, » soupira Service Secret Junior qui, décidément, depuis sa naissance, ne semblait capable de s’exprimer qu’au travers de soupirs débordant de lassitude, « Es-tu vraiment obligé de lui apprendre toutes ces obscénités ? »
« Evidemment, » répondit, fort justement, Programmation. « Son premier mot a été « kouilon », faut bien poursuivre sur cette superbe lancée. »
Il en avait été pas peu fier, de celui-là. Certes, le mot était mal orthographié. Mais Programmation avait passé tellement de temps au-dessus du berceau à lui murmurer ce mot là en boucle, dans l’espoir qu’il le répète. Le premier mot d’une langue était toujours un instant incroyablement important. C’était un privilège d’y assister. Et Programmation avait eu ce privilège-là. SMS l’avait regardé droit dans les yeux, alors qu’ils étaient seuls, tout les deux, et qu’il l’aidait à détruire une petite tour de brique en mousse qui ressemblait étonnamment à Babel, avait pointé son doigt potelé vers lui, et avait affirmé, avec la conviction absolue qu’on toujours les enfants quand ils parlent, « kouilon ».
Et il en avait été si fier, Programmation. Parce qu’il avait inspiré le premier mot de son bébé frère. Et qu’il avait su, aussi, que SMS serait comme le reste de la famille. Une langue un peu à part. Universelle. Déclinable partout dans le monde. C’était une tradition, après tout, que Traducteur Automatique laisse les nouvelles langues exprimer leurs premiers mots sans être traduites. SMS n’avait pas eu besoin de l’être. Ne restait plus qu’à savoir qu’elle était la nature exacte de son existence.
Un langage pour ceux qui ne peuvent s’exprimer à haute voix, comme Langue des Signes ? Un code, comme Programmation, Service Secret et Service Secret Junior ? Difficile de le savoir. Mais, en attendant que le gosse soit suffisamment grand pour comprendre la raison de son existence, Programmation ferait tout ce qu’il pourrait pour l’éduquer. Et lui apprendre à parler comme il fallait.
« Aller, bébé frère. Arrête de bouffer la papatte de Nounours. Répète après moi. En-cu-lé. T’peux regarder vers Service Secret Junior, si ça t’aide. »
Service Secret Junior poussa un nouveau soupir à fendre l’âme. Manifestement, le ton qu’avait employé Programmation amusait beaucoup le gamin ; il se mit à babiller, tapant des mains comme s’il tentait d’applaudir. Il était ridicule, avec son affreux petit pyjama bleu.
« Enkulé, » gazouilla-t-il, l’air fier comme un paon.
Programmation lui ébouriffa les cheveux. Il ne se décourageait pas. Certes, SMS avait un problème avec l’orthographe, chose qui devrait être inné chez les langues. Mais peut-être qu’il avait juste un peu de retard. Service Secret Junior lui avait un jour dit que, quand il était petit, Programmation ne savait pas s’exprimer autrement que par des chiffres. Et que personne n’avait compris ce qu’il essayait de dire par « 01010000 01110101 01110100 01100001 01101001 01101110 00100000 01101010 01011100 00100111 01100001 01101001 00100000 01101100 01100001 00100000 01100100 01100001 01101100 01101100 01100101 », jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour maîtriser une autre langue que la sienne, et révéler que cette suite de 0 et de 1 signifiait en fait « Putain, j’ai la dalle ».
« Non, SMS. EnCulé. Répète. »
Le nouveau-né, pour toute réponse, se contenta de se lancer dans la périlleuse entreprise de faire des petites bulles avec sa bave. Oui, décidément, l’hypothèse d’un retard était clairement à envisager.
La porte d’entrée claqua. Programmation dressa la tête ; c’était leur père, Service Secret, qui rentrait du travail. C’était toujours un petit moment de joie. On voyait rarement les parents, par ici ; toujours perdus dans leurs tonnes de travail à faire, d’endroit à visiter, de réunions auxquelles il fallait assister. Et ça semblait, de toute évidence, de plus en plus fatiguant. Pour leur père, en tout cas.
Programmation se souvenait d’un temps où les cheveux de Service Secret était parfaitement noirs. Où il avait la prestance qui lui conférait un rang aussi important que le sien. Ou son visage était celui d’un homme confiant, dans la force de l’âge, au regard perçant. Maintenant, ses cheveux étaient grisonnants. Ses yeux, ourlés de rides qui laissaient présager une vieillesse prématurée. Depuis la naissance de SMS, il avait commencé à boiter. Programmation savait que ça ne devait qu’être une phase. Qu’il irait mieux, une fois passé le choc initial de l’apparition d’un nouveau dérivé. Il l’espérait. Il vénérait son père.
Aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle. Il avait presque l’air d’un grand père, alors qu’il retirait son long manteau sombre, son chapeau melon, pour les pendre au porte-manteau. Mais il souriait, pourtant ; et Programmation lui trouvait toujours le charisme d’antan.
« Bonjour, les enfants, » salua-t-il, la voix grave, profonde, accent Brahmane que Programmation, encore tout enfant qu’il était, lui enviait.
Service Secret Junior s’était déjà levé, pour l’aider à s’asseoir, tranquillement, sur son fauteuil préféré. Une habitude bien huilée, parce que Papa était fatigué, et que, parfois, il avait besoin d’aide.
« Bonjours, Père, » répondit l’aîné de la fratrie, oubliant, pour une fois, ses profonds soupirs d’incommensurable détresse.
« S’lut, » fit Programmation.
« Enculé, » pépia SMS.
Le mot était parfaitement bien orthographié, cette fois. On pouvait lui reconnaître ça, malgré le manque de timing certain dont il faisait preuve.
Les sourcils de Service Secret se haussèrent si brusquement qu’on aurait cru qu’ils venaient d’être propulsés par deux lance-pierre. Service Secret Junior tourna vers lui son fameux regard du « Je-te-l’avais-dit-mais-tu-ne-m’écoutes-jamais ». Et Programmation, le rouge aux joues, tenta de sauver les meubles.
« Je suis sûr qu’il essayait de dire « ampoulé », ou un truc du genre. »
« Enculé, » répéta SMS, visiblement très fier de lui, le petit merdeux.
« Programmation… »
« … Au moins, vous remarquerez qu’il n’a pas fait de faute. »
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« Programmation, je peux rentrer ? »
L’adolescent leva la tête. Il n’avait aucune idée de comment l’autre petit merdeux avait bien pu trouver le moyen d’ouvrir sa porte fermée à double-tour, mais il l’avait fait. Et il se tenait là, juste dans l’encadrement, sa ridicule peluche bien serrée dans sa main gauche, ses lunettes trop larges sur le pif, comme une grosse mouche stupide. Et Programmation voyait bien qu’il n’était pas à l’aise, le gamin. Il triturait les pans de son affreux tee-shirt plein de petites fleurs brodées comme si ça avait une chance d’apaiser son grand frère.
Mais, surtout, il avait le culot d’avoir l’air triste. Alors que c’était, tout simplement, de sa putain de faute. A lui.
« Ah, parce que tu sais parler correctement, maintenant. »
Le ton était acerbe. Il faisait tout pour qu’il le soit. Il n’avait aucune envie de lui parler. Certainement pas maintenant. Certainement pas dans cet état. Parce qu’il sentait qu’il avait encore les larmes aux yeux, que son visage devait en être bouffi, et qu’il devait avoir l’air aussi ridicule que son bébé frère, recroquevillé comme il l’était sur son lit.
Le visage de SMS se ferma, à demi. Il fronça les sourcils, fit la moue. Programmation savait que c’était une expression que son cadet avait construit directement en s’inspirant des siennes. Parce que, jusqu’à aujourd’hui, SMS avait toujours été bien plus proche de lui que de n’importe qui. Parce qu’il avait pris cette ridicule habitude de vouloir lui ressembler à tout prix. Et Programmation en avait été fier. Jusqu’à ce matin.
Ils venaient d’enterrer leur père.
Enfin, enterrer. Ils avaient organisé les funérailles, mais il n’y avait pas de corps. Il n’y avait jamais de corps. Il était parti rejoindre grand-père, dans la forêt.
Et peut-être que ce n’était pas de la faute de SMS. Le gamin ne comprenait même pas ce qu’il se passait. Mais Programmation ne pouvait pas s’empêcher d’y penser. C’était son père, qui était parti. Son père, qui avait perdu toute énergie à la naissance de SMS. Son père, qu’il avait toujours vénéré comme on vénérerait un modèle.
Et ça faisait mal. Programmation ne savait pas gérer la douleur. Elle le mettait en colère, elle lui donnait envie de se décharger. De s’en débarrasser. Parce qu’elle non plus, il ne savait pas la gérer. Elle le suivait à la trace, s’accrochait à lui comme une pâte trop cuite. Il ne savait pas la gérer. Alors, il lui fallait un coupable à blâmer.
Service Secret Junior devait déjà faire avec le poids qui lui incombait. Celui de reprendre, dès à présent, la tâche de leur père, sans même avoir le temps de faire son deuil. Langue des Signes était bien trop anéantie par la disparition de celui qui l’avait suivie si longtemps dans la vie.
Mais SMS… SMS ne comprenait même pas ce qu’il se passait. Et Programmation se disait que ce ne serait qu’un moindre mal. Ce n’était pas comme s’il allait le frapper, où le blesser physiquement.
Programmation n’avait jamais compris l’impact, le pouvoir qu’avaient les mots, lui qui n’utilisait que des chiffres. Les mots étaient acerbes, mais ce n’était que des mots. Et ils le faisaient se sentir moins mal. Et il ne parvenait pas à regarder SMS sans penser au cercueil vide de Service Secret.
« Mé tu narète pa 2 dir ke je devré parlé com toi. Normalemen. Je pensé ke sa te feré plézir. »
Hier, peut-être que ça lui aurait fait plaisir, en effet. Il aurait sans doute été fou de joie. Il s’en serait vanté toute la soirée, se serait accaparé tous les mérites, et aurait même laissé SMS lui voler son dessert en guise de récompense. Mais ça n’avait pas été hier. C’était aujourd’hui. Bien sûr qu’il fallait que SMS réussisse à aligner ses premiers vrais mots après la mort de papa. Evidemment.
Ça faisait si mal. Il ne parvenait même pas à se rattacher au fait que, peut-être, SMS avait accompli cet ultime effort pour lui remonter le moral. Il ne parvenait qu’à penser à l’éventualité… L’éventualité que, peut-être, c’était parce que son bébé frère avait siphonné ce qui restait de pouvoir à papa. Et que les mots qu’il parvenait à prononcer l’étaient aussi bien seulement parce qu’il avait, maintenant, tout ce qu’il lui fallait.
C’était injuste, et ce n’était pas fondé. Mais il avait mal. Et SMS ne comprenait même pas.
« Eh bah, p’t’être bien que tu devrais même pas essayé de parler correctement. P’t’être bien que c’est ça, ta nature de langue, hein, bébé frère ? Tu es une sangsue et tu absorbes la vigueur des autres pour te construire. T’es pas une langue. T’es un cancer. »
C’était cruel. C’était acerbe. Mais ce n’était que des mots. Les mots ne pouvaient pas blesser, pas vrai ? Les mots ne pouvaient pas laisser des marques comme le ferait un couteau. Comme le ferait le feu qui avait brûlé la moitié du visage de Signe. Comme le faisait l’absence de son père, comme le faisait les brumes émeraudes qui l’entouraient.
Et SMS avait les larmes aux yeux, maintenant. Comme Programmation. Mais pas pour Papa, non. Pour lui-même. Et Programmation se prit à se dire qu’il le haïssait, à cet instant. Peut-être même autant qu’il l’adorait, son bébé frère.
C’était cruel.
« C pa vré ! Tu di ke D coneri ! »
Mais ce n’était que des mots. Rien d’autre. Que des mots. Peut-être même qu’il ne les pensait même pas, au fond. Parce que la colère nous fait dire et faire de drôle de chose. Parce que l’émeraude nous ronge et nous gangrène de l’intérieur.
Ce n’était que des mots.
Mais les mots blessent. Programmation ne le sait pas, ne le comprend pas. Mais, aujourd’hui, SMS l’apprend. De plein fouet.
Les mots blessent, peut-être plus cruellement encore que la lame d’un couteau, que les flammes d’un brasier. Ils blessent, et ils ravivent les anciennes blessures. Celles d’un cercueil vide, sans cesse rappelé, sans cesse rejeté, la pire des insultes, la pire des remarques, entre les deux frères.
Et les blessures cicatrisent. Elles se referment. Les vides se remplissent, l’émeraude s’estompe. Ce n’est qu’avec les mots, quelques mots de colère, qu’ils pourrissent et restent à vif.
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“Good Lord, I think Spanish just killed the kid….! With his bloody axe!”
« Mais non, chaton. Regarde, il va très bien. Juste un peu amoché. »
“French, I swear to Her, don’t call me that here-”
Programmation dressa la tête. Pieds sur la large table de réunion, documents étalés un peu partout, devant lui. Y compris sur la place normalement réservé au Chancelier Allemand et à la Présidente Coréen, qui avaient eu la bonne grâce et la complaisance de ne pas le lui faire remarquer.
Il savait déjà de qui les deux vieux hiboux étaient en train de parler. Il n’y avait qu’une seule nouvelle langue qui assistait à la réunion d’aujourd’hui. Une seule langue, si on pouvait lui attribuer ce titre, qu’Anglais appelait « kid », parce qu’il était le moins véhément parmi les plus vieux monarques. Et c’était son bébé frère.
Il ne mit pas longtemps à le trouver. Il était par terre, complètement blême derrière le verre de ses lunettes, derrière le haut col de son manteau d’uniforme. Peut-être qu’il y avait du sang qui coulait, le long de son bras. Il n’en était pas sûr. Ce dont il était sûr, par contre, c’était que celui qui l’avait placé là -Mandarin, de toute évidence- souhaitait secrètement que ce genre d’incident arrive. Personne n’était jamais installé à côté d’Espagnol. Personne.
Alors, évidemment, l’accident était arrivé. Et Espagnol avait enfilé son masque de parfaits regrets, et se confondait en excuses plus hypocrites les unes que les autres. Des excuses qui n’était pas entendues, puisque tout ce qu’il reçut, en réponse, fut « tg, je men tap, taproch pa avek ta hach 2 mer2, bordel- ». Et, bien sûr, toutes les langues présentes grimacèrent, parce que SMS n’avait jamais été doué pour oublier son propre langage quand il avait mal, quand il avait peur, ou quand il était en colère.
Ce n’était rien du tout, bien sûr. Au pire, une simple éraflure un peu méchante qui cicatriserait très vite avec le temps, et la magie. Mais il y avait du sang, et SMS était blafard, et il criait, des accents de paniques si profondément sincères et angoissés que Programmation sentit son cœur manquer, très distinctement, un battement.
Il ne lui avait pas adressé la parole une seule fois, depuis des mois ; et les derniers mots échangés avaient été des insultes, des blâmes. Mais SMS restait son bébé frère. Et ce salopard d’Espagnol l’avait blessé, physiquement, juste pour le plaisir, juste parce qu’il n’était pas une langue très conventionnelle. Et il l’aimait, son petit frère. Peut-être même plus qu’il le haïssait. C’était la limite qu’il avait lui-même tracée. La blessure physique.
Alors, il bondit. Ce fut un réflexe. Il ne prit pas même le temps d’y réfléchir. Il bondit ; et, en une seconde à peine, il fut juste à côté de SMS, et décocha un regard si mauvais, si terrible, en direction d’Espagnol, que celui-ci se tut tout net.
Comme toutes les autres langues, en fait. Et surtout, comme SMS, qui le fixa avec des yeux si larges, derrière le reflet de ses lunettes, que Programmation s’attendait presque à le voir gazouiller un joyeux « enkulé ! » plein de bonne volonté. De toutes les personnes présentes, c’était lui qui avait l’air le plus surpris. Et il avait l’air tellement effrayé. Tellement perdu. Tellement petit. Tellement fatigué. Tellement fragile.
« … Ça va, bébé frère ? »
C’était les premiers mots qu’il lui adressait. Les premiers vrais mots de grand-frère. Les premiers qui n’avaient pas une once d’agressivité en eux. Les premiers, depuis la mort de Papa. Et ils le savaient tout les deux.
SMS cessa de trembler, au sol. Principalement parce que ses yeux s’étaient embués de larmes, et qu’il avait simplement l’air de vouloir lui bondir dans les bras. A cet instant, à cet instant très précis, Programmation sut qu’il l’aurait laissé faire.
« Ah, c’est vrai, c’est ton frère ! » coupa, brusquement, Espagnol, qui rangeait discrètement son énorme hache dans son dos. « Désolé, hein. Mais ces machins-là, c’est si difficile à manier, tu sais. Les accidents sont si vite arrivés. »
Et, juste comme cela, l’instant fut brisé. Programmation reprit conscience de tout ces regards qui étaient tournés vers eux. De tout les murmures qui traversaient l’assemblée, parce qu’ils savaient, maintenant, avec certitude, que Programmation, cette langue si « cool », si « jeune », était le frère de « l’abomination ». Tout ces regards, tout ces murmures, qui, comme une claque, semblaient lui rappeler pourquoi il avait gardé, toutes ces années, ses distances avec SMS.
Et celui-ci avait l’air d’aller bien. Et la blessure n’était pas si grave. Et la colère, la douleur était de retour, accentuées par le regard des autres, ce regard qui était toujours, toujours, si plein de jugement. Lorsqu’il posa, de nouveau, le regard sur son bébé frère, il prit conscience qu’il avait les mêmes yeux que leur père.
Ça faisait mal.
Et ce n’était que de mots, en soi.
« T’inquiètes. C’était cool. »
Cinq mots. Ce n’était rien. Ça avait fait rire Espagnol, et quelques autres membres, dans l’assemblée. Ça avait éloigné la douleur et la colère, pour quelques secondes de plus. Ça l’avait écarté du voile émeraude, juste par ces cinq mots. Cinq mots qui l’avaient rejeté, ce voile, sur quelqu’un d’autre.
Et SMS n’avait rien dit. Il ne s’était même pas défendu. Il avait simplement baissé la tête. La main gauche crispée sur son bras. Maculée de la teinte cerise de son sang. Il n’avait rien dit. Programmation avait pensé que c’était, tout simplement, parce que vraiment, « c’était cool ». Ce n’était que des mots. Il comprendrait, plus tard, que ça avait définitivement brisé quelque chose.
Ils n’avaient jamais eu plus un seul mot amical l’un pour l’autre.
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« Tu as deux secondes pour dégager. »
Une agression cerise. C’était la deuxième fois qu’il voyait les mots si rouges, si marqués. Et SMS crépitait de toute part. Un étrange lampion. Sordide et morbide. Il tremblait, de la tête au pied ; sans le moindre doute secoué entre la rage meurtrière que lui inspirait la Chose, et le désarroi dans lequel l’avait plongé les mots de Programmation.
Des mots, juste des mots. Comment pouvaient ils avoir eu un tel effet ? Les yeux de son frère, ceux qu’il avait toujours eu si semblables à leur père, était cerise, maintenant. Complètement cerise. Sa peau était plus blafarde que jamais. Plus encore que le jour où Espagnol l’avait blessé avec sa hache. Plus encore que la première fois où Programmation lui avait jeté ses mots, ses simples mots, au visage.
Il ne comprenait pas. Il ne parvenait pas à comprendre. Ce qui avait pu dégénérer à ce point. Était-ce parce qu’ils s’étaient séparés ? Eux qui étaient si proches, enfants ? La mort de Papa qui ne l’avait jamais lâché ? Est-ce que SMS avait, sans qu’il ne s’en soit rendu compte, toujours été pris dans l’émeraude ? Est-ce que c’était ça qui l’avait rendu vulnérable ?
Parce que ça ne pouvait pas être les mots. Ce n’était que ça, des mots. Ça ne pouvait pas l’avoir blessé à ce point.
Il ne pouvait pas être la cause de cela. Il ne pouvait pas être la cause du virus. Celui qui brûlait le col du manteau noir de son bébé frère, celui qui l’avait rendu si maigre, si instable, celui qui le tuait, à petit feu. Il ne pouvait pas être responsable. Il ne voulait pas être responsable.
Il aimait son bébé frère.
Mais il tremblait, lui aussi. De rage. Les mots qu’il venait de lui jeter à la figure, il les avait dits tant de fois, il les avait dits si souvent, qu’ils en semblaient presque vrais. Ils s’étaient imprimés dans son esprit comme une demi-vérité qu’il ne parvenait pas à déconstruire, qu’il ne parvenait pas à décoller. Parce que les mots n’étaient pas juste des mots. Ils recelaient d’une forme de pouvoir et de force qui dépassait la réalité. Ils modelaient la réalité.
Ils avaient modelé la sienne, parce qu’il s’y était trop accroché, sans prendre conscience qu’ils maintenaient la blessure, dans son cœur, grande ouverte. Sans prendre conscience qu’ils avaient réduit son bébé frère, ce même gamin avec qui, enfant, il passait ses journées entières, en cendre.
Il n’en avait toujours pas pris conscience. Et il était en rage. Et il lui semblait, à cet instant, qu’il avait pensé chacun des mots qu’il avait dits.
Mais, quand il s’était détourné, il n’avait pas pu s’empêcher de penser… tout au fond… qu’il avait eu l’impression de parler à un spectre. Et il avait refusé d’y croire. Mais il avait su, presque absurdement, que son bébé frère risquait de ne pas survivre. Qu’il risquait de ne pas survivre, parce que son intervention avait empiré les choses, là où elle aurait dû les améliorer.
Et il avait eu raison.
SMS était mort, le soir même.
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« Vous êtes quand même vachement petit. Même vu de près. »
Face à lui, Sa Royauté Anglais éructait presque littéralement d’une colère et d’un outrage parfaitement légitime. Programmation en aurait été hilare. Quelques temps plus tôt.
Aujourd’hui, il se contenta, simplement, de lui adresser un sourire absolument goguenard, et daigna, enfin, le reposer sur son trône. Il voulait bien admettre qu’entrer en trombe dans une salle de trône, pour saisir le monarque par les aisselles, le soulever, et lui faire remarquer qu’il n’était pas très grand, avait certainement quelque chose à voir avec un crime de lèse-majesté.
Et, de toute évidence, Anglais n’en pensait certainement pas moins. Il fulminait tant que ses joues avaient virées à l’écarlate. On aurait presque cru voir une fumée métaphorique qui lui sortait des oreilles, comme une sorte de cocotte-minute prête à exploser. Pourtant, le monarque ne dit rien. Il ne reprocha rien. Les insultes bouillonnaient, de toute évidence.
Mais non. Rien. Il rajusta son uniforme, rajusta sa couronne, et, malgré le criant ressentiment qu’il ne devait pas manquer d’éprouver, il posa sur lui un regard quelque peu curieux. Programmation prit conscience que l’émeraude des iris d’Anglais n’avait jamais été si vive… avant.
« … Vous êtes le frère de SMS. N’est-ce pas ? »
C’était les premiers mots que prononçait le monarque. Et les mots avaient toujours eu du pouvoir. Ils rouvrirent, impitoyablement, une blessure si récente qu’elle en saignait encore. Il fut presque, le temps d’un battement de cil, aveuglé par l’émeraude.
Il se souvenait du jour où il avait appris ce qu’il s’était passé. Le lendemain de la mort de SMS. Il n’avait pas eu mal. Pas comme il avait eu mal pour Papa. Pas sur le moment. En fait, ça avait été pire. Parce que la douleur s’était étirée dans le temps. D’abord, le taraudant sentiment de culpabilité. Puis, les remords. Enfin, les regrets. Des regrets si viscéraux, si renforcé par une absence qu’il n’aurait même pas cru pouvoir ressentir. Maintenant, la douleur était quasiment intolérable. Il la traînait partout, derrière lui, un large boulet qui l’empêchait d’avancer.
Il s’efforçait. De se distraire. De se détendre. Comme si rien n’avait changé. Et il souriait, il riait, il faisait des trucs de plus en plus cons, de plus en plus stupides, comme si ça allait tout effacer. Soulever Anglais au-dessus de son trône en était un bon exemple. Mais…
Mais il n’était pas là pour ça. Aujourd’hui, c’était différent. C’était si différent.
Et il avait senti ses yeux qui commençaient à brûler. Sa vision qui, en plus d’être perdue sous son filtre vert, devenait trouble. Et ce qui restait de ressentiment dans le regard d’Anglais disparut. Une vraie compassion, maintenant.
Sa Royauté avait toujours été un peu différent des autres monarques. Il n’avait jamais été cruel envers SMS. Envers personne. Programmation s’en fit la réflexion, en lui voyant, tant bien que mal, tenter de le calmer, en lui tapotant presque paternellement l’épaule.
« Je suis désolé, » s’entendit-il articuler, d’un ton qu’il s’était efforcé de rendre plus calme, plus semblable à lui-même, « Que mon bébé frère ait latté la tronche de votre petit-ami. »
« Français n’était pas mon « petit-ami », » répond calmement Anglais, d’une voix absente, d’une voix teintée d’émeraude. « Il était bien plus que ça. »
Il y eut quelques secondes de silence. Il leur semblait, à tout deux, qu’ils se noyaient dans des vagues incessantes. Toujours la même couleur. L’affreuse couleur. Programmation la haïssait. La culpabilité et les regrets qu’elle transportait, plus encore.
« C’est lui qui m’a sorti du virus, » reprend, tout doucement, le monarque, forçant son regard à se reposer sur la langue la plus jeune. « Et je dois admettre que je ne connaissais pas votre frère. SMS. Mais je sais qu’il n’est pas responsable de ce qui est arrivé à Français. En un sens, c’est nous tous, qui le somme. Et j’en suis désolé. Peut-être que si l’un d’entre nous, juste un… moi, peut-être… Lui avait montré la reconnaissance dont il avait besoin… Il serait en vie. Et Français aussi. »
Programmation se sentit étouffer. La gorge serrée, serrée si fort, si étroitement, qu’il lui semblait qu’il ne serait jamais plus capable de respirer. Culpabilité. Remord. Regret. Il aimait son bébé frère. Il avait toujours cru que ça n’avait été que des mots.
Mais c’était pour cela qu’il était venu. Pour des réponses. Des explications. Il voulait… Il voulait comprendre. Il voulait comprendre. Et Anglais était le seul à avoir survécu.
« Pourquoi… ? Pourquoi la Corruption s’en ait… pris à lui ? »
Le regard d’Anglais, maintenant qu’il s’était à peu près ancré dans la réalité, semblait le transpercer. L’analyser. Pas le moindre jugement, pas la moindre malveillance. Rien à voir avec le regard de Service Secret Junior. Le regard douloureux. Celui qui lui disait…
Je te l’avais dit. Mais tu ne m’as pas écouté. Et tu as tué notre frère.
Alors, le monarque se rassit, doucement, sur son trône. Et Programmation l’imita. Prenant siège sur les marches qui menaient à celui du roi. Sans doute qu’il leur semblait, à tout deux, qu’il n’était plus possible de rester debout.
« Lorsqu’Histoire est intervenue, et qu’elle a décidé de faire en sorte que Français déménage ici… nous avions tous cru, pendant des années, que c’était parce qu’il fallait quelqu’un de suffisamment fort pour pouvoir combattre le virus. Quelqu’un qui puisse supporter la dangerosité des attaques, sans broncher. Mais… »
Anglais se tut. Et son regard se perdit, de nouveau. Sur les fresques du plafond. Sur les statues qui ornaient les angles. Programmation n’aurait pas su le dire. Il se demandait si lui aussi, ressentait la douleur. Aussi fort, aussi puissamment que lui.
« … Mais le virus, la Corruption, Lui… Il se nourrit de tout ce qui vous rend faible. De tout ce qui vous fait du mal. De toutes vos insécurités. Des vides et des manques dans votre vide. Plus il y en a, plus son emprise est forte. »
Les doigts d’Anglais se mirent à tapoter les accoudoirs de son trône. Et Programmation les fixa, ses doigts. Comme s’il cherchait, lui aussi, à prendre contact avec une réalité lointaine.
« Lorsqu’Américain… »
Il cherchait ses mots. Des mots, toujours des mots, qu’il fallait poser sur une vieille blessure. Quitte à la rouvrir, un peu.
« … Lorsqu’Américain est parti, lorsqu’il a pris son « indépendance »… J’étais dévasté. C’était comme si une partie de moi m’avait été arrachée. Comme si j’avais perdu… perdu quelque chose que je ne saurais jamais retrouver. Et je me suis senti si seul, si vide. Il a commencé par me susurrer des mots. Dans l’oreille. Dans la tête. Et, très vite, je n’étais plus rien. Une coquille vide. Je ne ressentais… plus que la douleur, la solitude. Et je ne parvenais plus qu’à penser à cela. Comme s’il n’y avait jamais rien eu d’autre. Ce n’était que des mots, vous saviez. Mais, pour une langue, c’est… C’est la pire des armes. Le plus puissant des leviers. Ce n’était que des mots, mais ils conditionnaient tout. »
Que des mots. Ce n’était que des mots. Pour la première fois de sa vie, Programmation prit conscience qu’ils en avaient, véritablement, du pouvoir. Parce que ceux-ci lui firent mal. Affreusement mal.
Il les prit de plein fouet.
La preuve de sa culpabilité.
« Mais Français… ! Français aussi en disait, des mots. Ce n’était pas des mots de rage. Il n’attisait pas la colère qu’Il provoquait. Bien au contraire. C’était des mots… des mots d’attention. La preuve que je n’étais pas seul, et qu’il y avait des raisons de ne pas avoir mal. C’était des mots qui aidaient à guérir. Des mots de tendresses. Et ils emplissaient, peu à peu, le vide. Et, bientôt, ceux du virus s’effaçaient, s’oubliaient… et il n’y avait plus que ces mots-là. Ces mots azurs. »
Ce n’était que des mots. Mais il avait tant de pouvoir. Il aurait pu tant changer. Juste quelques mots. Si les cinq mots à Espagnol avait été… « va te faire foutre, connard » … s’il s’était retourné, ce jour-là, au camp, au lieu de partir, et qu’il avait dit, « ce n’est pas de ta faute, je suis désolé ». Des mots pour guérir, des mots pour retirer le poids qu’il avait jeté sur les maigres épaules de SMS.
Un bruit étouffé. C’était celui du sanglot qu’il n’avait pas réussi à retenir. Culpabilité, remord, regret. C’était bien trop tard, pour les ressentir.
Et Anglais continuait. A la fois impitoyable, et si plein d’empathie.
« Alors, s’Il s’en ait pris à votre frère… C’est, sans le moindre doute, de votre faute. De la mienne. De celle de Français. Mais vous savez ce que vous devez en faire ? De cette culpabilité ? »
Programmation ne savait pas. Il secoua la tête, parce qu’elle l’étouffait, et que les sanglots étaient incontrôlables. Les mains d’Anglais se posèrent sur ses épaules. Leurs regards se croisèrent. La même douleur. Mais l’un gardait la tête haute. L’autre se décomposait et se brisait.
« Vous vous y accrochez. Vous la gardez contre votre cœur. Et vous en apprenez. Vous tournez un regard vers vous-même, et vous vous remettez en question. Vous changez. Vous ne l’oubliez jamais. Mais vous ne la laissez pas vous ronger. Vous rassemblez votre douleur, vos regrets, et vous les conservez. Et puis, vous rassemblez tout vos souvenirs… et vous conservez les meilleurs. Vous vous souvenez de la souffrance et des remords. Mais vous vous consacrez à ce qui peut vous maintenir à flots. Vous vous consacrez aux plus beaux souvenirs que vous avez de lui. De ceux qui sont partis. »
Et Sa Royauté Anglais esquissa un sourire. Un sourire cassé, mais un sourire si plein de force moral, si plein de courage, que Programmation sentit naître en lui une admiration sans borne pour ce petit bout d’homme.
Alors, il essaya de sourire, à son tour. De le faire renaître derrière les larmes et les sanglots. De suivre les conseils. De s’y accrocher, comme à une bouée. La tête hors des eaux vertes qui tentaient de l’entraîner vers le fond.
Il chercha les mots. Parce que ce n’était que des mots. Mais il fallait qu’il les trouve, qu’il les assemble, de manière à ce qu’ils puissent soigner ce qui avait été brisé. Brisé par lui. Brisé par ces mêmes mots qu’il avait, autrefois, usés de façon si inconsciente.
Il les chercha, ses mots. Et il les trouva.
« Vous savez, c’est moi qui lui aie appris son premier mot. C’était un peu con, parce que c’était juste une insulte. J’arrêtais pas de le lui répéter, au-dessus de son berceau, alors qu’il avait son pied dans la bouche, et qu’il me fixait comme on fixerait un alien. »
Le souvenir lui arracha un bref petit rire. Un rire qui restait résolument semblable à un sanglot. Mais il souriait, maintenant. Et il se souvenait. Et le regard d’Anglais était si compatissant. Si bienveillant. Comme l’était, autrefois, celui de Papa.
« Et puis, un jour, il a pointé son doigt vers moi, et, avec une bouille hyper sérieuse, il a juste dit… « kouilon ». Vous savez, avec cette conviction qu’on les mômes quand ils vous causent. »
Anglais émit un petit rire, à son tour. Son regard brillait. Programmation sut, sans même avoir à lui demander, qu’il pensait à Américain. Qu’il pensait à cet enfant qu’il avait vu grandir.
Kouilon. Deux syllabes. Et SMS l’avait pointé du doigt, en disant cela. Avec le recul, c’était si putain de vrai. Programmation était le plus grand couillon que ce monde n’ait jamais connu. Culpabilité, remord, regret. Et cet amour fraternel qu’il n’avait que trop négligé, qui arrivait trop tard, mais qui était si important.
« J’étais si fier. Il venait de m’insulter, le gosse, et j’étais si fier. C’était qu’un seul mot, pourtant. Un seul petit mot. Et j’étais… fier. »
« Oui, » souffle Anglais. « Ce n’était qu’un mot. Mais c’était tout un monde, n’est-ce pas ? »
Programmation leva le bras gauche. Essuya ses joues détrempées, d’un revers de la manche. Il revoyait le regard lumineux qu’avait eu son bébé frère. Il se souvenait du « kouilon », il se souvenait de « l’enkulé ». Des simples mots.
Tout un monde.
En y repensant, c’était toute une vague d’émotion qui le touchait. Tous les souvenirs d’une vie. Tous les souvenirs qu’il avait de son frère. Tous ces souvenirs, toutes ces émotions, qu’il lui semblait revivre.
Un mot, un simple mot.
Qu’est-ce que c’est, au fond, un mot ? Ce tout petit mot ?
« C’était la chose la plus puissante que je n’ai jamais vécu. »
FIN
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