#Jeanne Daville
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aisakalegacy · 2 days ago
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[TRANSCRIPTION] Monsieur Jules LeBris, assistant de fouilles ; Monsieur Lucien LeBris, contremaître des opérations portuaires à la Canadian Steamship Lines, Mademoiselle Marie LeBris, libraire, Monsieur Agathon LeBris, pianiste, Mesdemoiselles Dolorès et Gizelle LeBris ; Monsieur Ferdinand Bernard, instituteur à l'école de Gananoque, Madame Louise Bernard et leurs enfants, Mademoiselle Simone Bernard et Monsieur Fabien Bernard ; Madame Jeanne Rumédier ; Madame Layan Bahar, cuisinière ; Les familles Simmon et Rumédier ; Mademoiselle Layla Bahar, sa pupile ; Mademoiselle Clothilde Floch, sa dévouée servante ; Ont la douleur de vous faire part de la perte cruelle qu'ils viennent d'éprouver en la personne de Madame LeBris née Eugénie Bernard leur épouse, mère, sœur, belle-sœur, tante, amie, bienfaitrice, décédée le 19 février 1929 à Hylewood (Ontario), dans sa 56ème année. Priez pour elle !
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selidren · 2 years ago
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Automne 1896 - Champs-les-Sims
2/6
Je dois par ailleurs annoncer à ma famille canadienne mon récent mariage avec ma chère Marie. La cérémonie fut très émouvante et j’eu enfin la sensation d’être pleinement moi-même une fois uni à elle officiellement. Plus d’œillades dérobées, plus de baisers volés, nous sommes maintenant libres de faire ce que nous voulons. Avec un peu de chances, je serai père d’ici quelques mois. C’est l’idée de cette responsabilité nouvelle qui m’a fait réaliser que j’étais à présent un homme.
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aisakalegacy · 2 months ago
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Printemps 1924, Hylewood, Canada (9/14)
Lulu ne voulait pas devenir ingénieur, c’est ce que j’aurais aimé pour lui, mais j’aurais voulu que son père lui laisse le choix… Il n’est pas un grand travailleur, il aime mieux profiter de la vie. Encouragé par son frère, il s’est mis à la guitare, et il l’accompagne en chantant. Quand je les vois comme ça, j’ai l’impression que c’est tout ce qui leur faut.
La question de son avenir est de toute façon en train de se régler doucement. Il a commencé à travailler, mais Jules voudra vous écrire à ce sujet lui-même. Il a passé son examen et a obtenu le permis nécessaire pour conduire l’automobile, qu’on a fait transporter sur la rive en bateau à vapeur. Il prend la barque pour Gananoque le matin, et en trente minutes d’auto, il est à Kingston. Il a déjà dix-huit ans, il en aura dix-neuf cette année, et Jules pense qu’en tant qu’héritier de la famille, il est temps qu’il prenne le relais sur ces lettres. Vous rendez-vous compte que les familles de nos maris s’écrivent depuis plus d’un siècle ?
Même si nous ne nous sommes jamais rencontrées, je vous tiens parmi mes bonnes amies. D’ailleurs je parle de vous à mes amies comme l’une d’entre elles, et la distance n’est qu’un désagrément de circonstance. J’attends toujours vos nouvelles avec impatience, et je souhaiterais que nous continuons à correspondre.
Embrassez bien tout le monde de ma part.
Bien à vous,
Eugénie LeBris
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De : [email protected] À : [email protected] Sujet : Lettres Eugénie et Albertine
Chers cousins français, J'ai cherché partout et je n'ai pas retrouvé les lettres entre Eugénie et Albertine postérieurs à 1924. Elles ont peut-être été jetées. Avez-vous par hasard conservé les lettres d'Eugénie et brouillons d'Albertine ? A bientôt, D. LeBris
[Transcription] Lucien LeBris : ♪ In olden days, a glimpse of stocking was looked on as something shocking, / But now, Lord knows… ♪ Dolorès, Agathon et Lucien LeBris : ♪ ANYTHING GOES!! ♪ Eugénie LeBris : Vous n'êtes pas en train de chanter des cochoncetés devant votre petite sœur, j'espère ? Agathon LeBris : Absolument pas, Maman ! Lucien LeBris : Nous ? Jamais !
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aisakalegacy · 4 months ago
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Printemps 1922, Hylewood, Canada (5/7)
Je suis impressionnée par la capacité d’Adelphe à tenir tête à Madame Eugénie concernant les décisions qui le touchent lui et sa famille. J’aimerais avoir la même confiance tranquille pour tenir face à mon mari. Mais j’ai trop peur de ses réactions. Si je m’oppose à lui, j’ai peur qu’au mieux, il m’ignore, et qu’au pire, il se mette en colère et qu’il ne me le pardonne pas. Je fais un bien piètre modèle pour mes filles…
[Transcription] Eugénie LeBris : Oh, bon matin, Georges. Qu’est-ce qui t’amène ? Georges Rumédier : Euh… Eh bien, je voulais vous demander quelque chose d’important. C’est un peu gênant… Georges Rumédier : C’est l’anniversaire de Maman bientôt, et je n’ai pas la moindre idée de ce que je dois lui offrir. Comme vous êtes proche d’elle, je me disais que vous auriez peut-être une idée. Un bijou ? Un bouquet extravagant ? Eugénie LeBris : Tu sais que ta Maman a été mariée avant ? Georges Rumédier : Oui, à un homme des bois ou quelqu’un de la sorte. Eugénie LeBris : Ce qui l’a séduite chez lui, c’est un beau bouquet de fleurs sauvages qu’il lui a offert. Ta mère aime les choses simples. Va cueillir de la bruyère, des trilles, des sanguinaires et des hépatiques. Prête du temps et du soin à ton bouquet. Elle l’appréciera plus que n’importe quelle bébelle. Georges Rumédier : C’est simple mais… Ça lui correspond bien ! Merci. Voulez-vous que je vous associe au cadeau ? Eugénie LeBris : Pantoute. Ça sera notre petit secret. Je ne demande qu’une chose en échange. Georges Rumédier : Vu l’épine que vous venez de me tirer du pied, demandez ce que vous voulez. Eugénie LeBris : Reste diner avec nous ! Georges Rumédier : Ça devrait pouvoir se faire.
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aisakalegacy · 4 months ago
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Printemps 1922, Hylewood, Canada (7/7)
Ce que vous me dites sur Arsinoé me fait chaud au cœur. Elle devient une vraie jeune femme ! Faites attention quand même à ce qu’elle soit correctement chaperonnée. Ce n’est pas elle que je mets en cause, mais vous savez comment peuvent être les garçons. Marie se voile derrière son flegme apparent, mais même si elle le raille en permanence, je crois bien que son ami d’enfance, le fils de mon amie Jeanne, ne la laisse pas indifférente. Je vous tiendrai au courant de l’évolution de ce feuilleton, qui n’ira peut-être pas bien loin. Après tout, les jeunes, à cet âge…
Je n’attends pas de réponse rapide, je sais que vous aurez beaucoup à faire lorsque vous serez en Egypte. Mais je vous lirai avec plaisir comme toujours.
Bien à vous,
Eugénie LeBris
[Transcription] Marie LeBris : Tu te souviens quand on lançait des pétards sur Maria ? Tu étais plus rapide que moi, et c’est moi qui me faisais disputer. Qu’est-ce qu’on riait. Georges Rumédier : On la rendait folle, la pauvre. J’espère qu’elle ne nous en veut pas trop. Marie LeBris : C’est ça que j’aime bien avec toi. En fait, on se connait depuis tellement longtemps, j’aurais du mal à te voir comme autre chose qu’un frère. Georges Rumédier : Un frère ? Et cette considération est définitive ? Il n’y a rien que je puisse faire pour la changer ? Marie LeBris : Pourquoi, tu as quelque chose en tête ? Georges Rumédier : Oui, quelque chose comme… ça. Georges Rumédier : Alors, « ma sœur » ? Je te laisse donc complètement indifférente ? Marie LeBris : petit rire Arrête, j’ai l’impression que tu t’adresses à moi comme à une nonne.
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aisakalegacy · 6 months ago
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Hiver 1919, Hylewood, Canada (11/21)
Layan, c’est son nom, a déjà tout perdu. Sa faute a déjà été payée. Dieu a brisé Jésus Christ pour sauver de misérables pécheurs, et c’est son modèle que je veux suivre. Cette femme n’est pas éduquée, tout comme je ne l’étais pas moi-même quand je me suis mariée, tout comme ma bonne amie Jeanne Rumédier ne l’était pas elle-même avant d’épouser feu Monsieur Le Bris. Nous avons toutes trois été victimes de notre manque d’éducation, avant d’être les victimes d’homme mauvais et mal intentionnés à notre égard. J’ai une grande sympathie pour les femmes de la sorte, et je ne les juge nullement, car je me reconnais en elle. Mon mari a péché, mais il était de mon devoir chrétien d’offrir à cette pauvre femme le gîte et le couvert, et de ne pas la laisser périr de la misère où la faute de mon mari la condamnait.
[Transcription] Eugénie Le Bris : Madame Bahar… Layan Bahar : Il faut m’appeler Layan, Madame. Bahar était mon mari, mais il m’a chassée. Eugénie Le Bris : Layan… Qu’allez-vous faire tantôt ? Layan Bahar : Je ne comprends pas… Eugénie Le Bris : Vous êtes venue de loin… Je suppose que vous allez rester au Canada. Layan Bahar : Jules ne peut pas prendre une deuxième épouse ici… Eugénie Le Bris : Non, il ne peut pas… Ici, les lois sont différentes de l’Egypte. Layan Bahar : Je pense que je vais partir avec la petite et trouver du travail… Je ne peux pas rentrer chez moi, mon mari me tuerais. Eugénie Le Bris : Layan, votre cuisine est délicieuse. Est-ce que vous accepteriez de travailler ici, comme cuisinière ? Layla pourrait rester à la nurserie avec Lola, ma dernière. Elles sont sœurs, nous pourrions les élever ensemble. Layan Bahar : Alhamdulillah (Loué soit Dieu), merci Madame. Tu es bonne. Pardon, je ne voulais pas prendre ton mari. Eugénie Le Bris : Je sais. Vous avez ben payé votre faute et vous la regrettez amèrement. Je pense qu’aux yeux de Dieu, vous êtes acquittée. Jules, lui, savait ce qu’il faisait.
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aisakalegacy · 6 months ago
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Hiver 1919, Hylewood, Canada (16/21)
J’aime mes enfants, leur éducation et l’entretien de ma maison prend presque tout mon temps car Maria ne pouvait pas tout faire toute seule. Le temps libre que j’avais, je le passais en pique-nique ou en visite chez mon amie Jeanne, chez qui j’amène souvent mes enfants car son fils est pile entre Marie et Agathon en terme d’âge, et qui s’entend bien avec les deux. Je faisais cela car cette grande maison peut être pesante toute seule, malgré mon jardin dans lequel j’aime me promener et que j’aime entretenir pour pour tromper l’ennui et briser la solitude en l’absence de Jules.
[Transcription] Eugénie Le Bris : J’ai quelque chose pour vous. Layan Bahar : Oui ? Eugénie Le Bris : Ce n’est pas grand chose, des vêtements de travail plus chauds, un tablier, des souliers, des bas. Eugénie Le Bris : Je ne connais pas les coutumes égyptiennes d’aujourd’hui, Jules n’en parlait pas… Mais… Ce foulard que vous avez, il est important pour vous, non ? Layan Bahar : Oui, Madame. C’est quelque chose que les femmes de ma religion portent. Très important. Eugénie Le Bris : C’est ce que je pensais, donc je vous ai acheté un voile en dentelles, pour aller avec votre tenue. J’espère que cela ira… J’en ai pris un deuxième plus sobre et noir, si le premier ne convient pas. Layan Bahar : Je vais mettre tout de suite. Merci ! Layan Bahar : Oh, c’est très joli. Très différent de ce qu’on porte. Mais ça ira très bien.
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aisakalegacy · 6 months ago
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Hiver 1919, Hylewood, Canada (14/21)
Elle-même et sa fille semblent avoir pris leurs repères. Je crois qu’elles se plaisent bien ici, et moi, leur présence me plait aussi. Quand je me suis mariée, Jules était absent et ma bonne amie Jeanne était ma seule compagnie. J’ai de bons souvenirs de cette époque. Nous étions trois femmes : moi, Jeanne, la bonne qui travaillait pour nous à l’époque et qui s’appelait Tuala, dont j’ai toujours des nouvelles de temps en temps. Le vieux Monsieur Le Bris nous laissaient tranquilles et passait ses journées à lire dans sa chambre. Nous passions des heures à discuter en cousant toutes ensembles dans le salon, en regardant Louise grandir. Puis Tuala et Jeanne sont parties pour se marier, et je suis restée seule. La présence joyeuse de Layla et Layan me fait du bien, avec les babillages de l’une et les chansons de l’autre qui remplissent la maison.
[Transcription] Layan Bahar : Khali balak, law itas'abet, ha'oullak 'ala Um Ghulah! (Attention, si tu te comportes mal, je vais appeler la Mère Ghoule !) Layan Bahar : Ala el-ragam enni mesh motakkeda enha hatela'ek fe balad behik bard… (Ceci dit, je ne suis pas sûre qu’elle te trouverait dans un pays si froid…)
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aisakalegacy · 1 year ago
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Automne 1913, Hylewood, Canada (2/2)
Avec ce règlement indigne, on nous réclame une réforme orthographique pour harmoniser l’orthographe de nos prénoms aux noms anglophones. Lucien était scolarisé depuis un an à l’école bilingue de Gan, mais nous l’envoyons maintenant à l’Albert College, un pensionnat épiscopalien qui se trouve à Belleville et auquel on peut se rendre en quelques heures en automobile, mon frère m’a emmené pour en acheter une pour l’occasion, mais je ne peux pas la conduire et lui non plus, alors M. Rumédier le mari de mon amie Jeanne, a la gentillesse de nous prêter son chauffeur quand nous voulons aller voir notre Lulu à Belleville. Je me perds dans ce que je voulais vous dire et je ne veux pas que vous vous impatientiez, aussi j’y viens. Il a bien fallu que je m’occupe de son inscription, et on a refusé de me le prendre sous son nom de « Le Bris », il a fallu que j’y colle les deux pour qu’on daigne me le prendre. On nous prend jusqu’à nos noms, et on voudrait que je m’appelle LeBris, avec les deux parties toutes-collées. J’en ai écrit à mon mari pour savoir comment qu’il voulait que je nous nomme maintenant, mais il n’a pas encore répondu.
Bien à vous,
Eugénie
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aisakalegacy · 1 year ago
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Été 1910, Hylewood, Canada (2/3)
De notre côté, je n’ai pas grand chose à vous dire… Il se passe si peu de choses à Hylewood. Eugénie passe tout son temps avec Jeanne Rumédier, l’ancienne compagne de mon frère, qui a un fils de l’âge de Marie. Elles se promènent, s’invitent à prendre le thé ou à faire des pique-niques sur la plage, elles passent tant de temps ensemble qu’Eugénie a accouché chez elle, et que j’ai été envoyé chercher chez mes voisins, tandis que ma femme mettait au monde notre quatrième enfant - vous voyez bien que nous vous rattrapons !…
[Transcription] Jeanne Rumédier : Nous venons de finir d’aménager cette chambre d’enfant… Georges est encore trop petit pour l’occuper. Installez-vous là, je vais vous chercher une tisane. Eugénie Le Bris : Merci… Eugénie Le Bris : Tabarnak, je perds les eaux !! Jeanne Rumédier : Vite, installez-vous. Je vais envoyer ma bonne aller chercher votre mari.
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aisakalegacy · 1 year ago
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Printemps 1908, Hylewood, Canada (5/6)
Je me sens distant d’Eugénie. Nous allons souvent marcher dans le bois, jusqu’à la plage ; nous continuons jusqu’à ce que les rochers nous bloquent, puis nous faisons demi-tour, généralement dans le plus grand silence. Nous n’avons pas grand chose à nous dire. Parfois, je m’apprête à lui partager une anecdote, un souvenir - je me retiens aussitôt, car je connais l’expression fuyante qu’elle prend lorsque je mentionne mes voyages. Les mentionner, à ses yeux, c’est déjà repartir. Nous échangeons bien quelques banalités de temps à autres - elle m’entretient d’un mariage, d’une naissance, d’une rumeur dont lui a fait part une voisine, d’un exploit récent de Lucien, et j’acquiesce docilement, content de ne pas avoir à faire la conversation, jusqu’à ce que le silence retombe et que nous poursuivions notre marche, soulagés de l’obligation de nous parler. Nos discussions sont essentiellement utilitaires : engageons un jardinier pour tailler les haies, faisons un devis pour réaménager notre cage d’escalier, meublons la chambre vide du deuxième étage, émettons un chèque pour la pension de Louise… C’est par ces banalités que nous maintenons notre lien.
[Transcription] Eugénie Le Bris : Je ne vous ai jamais assez remerciée de votre présence. Quand Jules était en Egypte, sans vous, avec Louise à m’occuper, j’aurais été ben seule. Vous avez été pour moi une sœur. Merci. Jeanne Rumédier : Je repense souvent à cette période avec nostalgie. Nous étions deux étrangères dans cette grande maison sans hommes. Les journées étaient douces, sans tumulte. Eugénie Le Bris : Êtes-vous heureuse ? Jeanne Rumédier : Je le suis. Emile est plus doux que l’était Virgile, plus tranquille aussi. Jeanne Rumédier : Il est veuf comme moi, aussi ne s’attend-il pas à une épouse naïve et malléable, qui n’a jamais vécu. Comme moi, il a dû se battre pour être respecté sur cette île. Nous avons beaucoup en commun, et nous nous entendons. Et vous ? Eugénie Le Bris : Je ne sais pas. Jules est rentré il y a deux ans, et pourtant, je vis dans la peur constante qu’il parte, comme ça, d’un coup, comme il l’a fait de si nombreuses fois. Eugénie Le Bris : J’ai tardé à lui annoncer ma grossesse, car à chaque fois, c’est quand je suis enceinte qu’y lui pousse des envies soudaines de partir en Egypte ou au Pôle Nord. J’ai toujours peur de le faire fuir malgré moi, alors je ne dis rien, je suis comme paralysée, pis je sens qu’il m’échappe.
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aisakalegacy · 1 year ago
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Printemps 1908, Hylewood, Canada (4/6)
Je dois admettre que je ne suis pas tout à fait dans mon état normal ces derniers temps. Une loi est récemment passée, l’Opium Act, qui réglemente l’usage d’un certain nombre de drogues au Canada, dont le cannabis, dont je consomme la résine pour apaiser mes états-limites. Le problème, c’est qu’avec cette loi, il est devenu bien plus difficile de se procurer du haschich, et tout ce à quoi je puis prétendre doit m’être prescrit. Tout ce que j’ai réussi à obtenir du médecin, c’est une malheureuse boîte de bonbons au sucre d’érable et à la résine de cannabis, les mêmes que l’on me donnait lorsque j’étais enfant pour me garder calme - vous pensez donc bien qu’à bientôt trente-cinq ans, ils ne me font plus aucun effet… Je suis donc particulièrement irritable ces derniers temps, et malheureusement, mon entourage en fait les frais. Je songe à faire un nouveau séjour en Egypte afin de m’en faire des réserves, car, bien que sa consommation y soit illégale aussi, on y trouve facilement et à bas coût du haschich en provenance de Turquie et du Maroc.
[Transcription] Eugénie Le Bris : Bonjour, Jeanne, on m’a fait dire de vous rejoindre ? Jeanne Rumédier : Comme je suis contente de vous voir ! J’ai une grande nouvelle, et vous êtes la première personne à laquelle je souhaitais l’annoncer. Eugénie Le Bris : Vous n’avez pas besoin de faire autant de cachettes, dites-moi donc ! Jeanne Rumédier : Vous ne le devinez pas ? Eugénie Le Bris : Non ?… Jeanne Rumédier : Si ! Je suis enceinte ! Eugénie Le Bris : Enceinte ?? Mais… Je croyais… Jeanne Rumédier : Je croyais aussi ! Virgile était si déçu que nous n’ayons jamais eu d’enfants, je pensais que le problème venait de moi. Et pourtant… Je le suis ! Eugénie Le Bris : Je suis ben contente pour vous ! Et pis vu que nous en sommes en train de tout s’dire… Moi aussi ! Jeanne Rumédier : Vous aussi ?… Oh ! Bien sûr, comment ai-je pu ne pas le remarquer ? Jeanne Rumédier : Alors cela va mieux avec Jules ? Eugénie Le Bris : C’est plus compliqué que cela… Jeanne Rumédier : Asseyons-nous. Vous allez me raconter.
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aisakalegacy · 1 year ago
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Automne 1905, Glacier de Fharhond, Canada (5/8)
Après un mois à geler sous mon uniforme, mes vêtements habituels ne me protégeant pas suffisamment du froid malgré la parka doublée de fourrure épaisse, j’ai finalement acheté des vêtements à des locaux, en les échangeant contre de la vodka. Bottes, pantalon, gants et par-dessus en peau de phoque et de caribou permettent de retenir la chaleur corporelle, tout en étant légères et souples. La densité de la fourrure assure une isolation thermique optimale, et je garde ma tête au chaud avec un bonnet en fourrure de putois. Les Inuits ont l’ingéniosité de superposer les couches afin d’offrir une isolation supplémentaire : sous l’uniforme, la parka en phoque. De toute évidence, des millénaires passés dans ces conditions extrêmes ont conduit les Inuits à s’adapter, et leurs vêtements traditionnels sont spécialement conçus pour faire face aux conditions extrêmes de l'environnement arctique. Chaque aspect de leur conception est pensé pour offrir une protection maximale contre le froid intense, les vents glacés et les variations climatiques.
[Transcription] Tagak Angottitauruq : On ne reçoit pas le même journal d’habitude. Jules Le Bris : C’est normal, il s’agit d’un journal local, The Gananoque Reporter. Ma femme m’écrit de consulter la page des annonces. Voyons voir… « Monsieur Emile Rumédier a l’honneur de vous faire part de son mariage avec Madame Jeanne Le Bris ». Jules Le Bris : Oh ! Voyez-vous cela ! Jules Le Bris : « Madame Jules LeBris, née Bernard, a mis au monde un fils, Lucien ». C’est ma femme ! Cela date du mois de septembre ! Je l’ai laissée enceinte en partant. Tagak Angottitauruq : Tu as plusieurs fils ? Jules Le Bris : Non, j’ai une fille aînée de douze ans. Tagak Angottitauruq : Moi aussi, j’avais une fille. Jules Le Bris : Oh ! Où vit-elle ? Est-elle avec sa mère ? Tagak Angottitauruq : … Je ne veux plus en parler. Jules Le Bris : J’entends, mais c’est toi qui… Tagak Angottitauruq : Je ne veux plus en parler.
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aisakalegacy · 2 years ago
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Printemps 1905, Hylewood, Canada (2/5)
Je vous écris aujourd’hui avec une grande tristesse dans le cœur et une forte volonté d'agir. Avant de vous expliquer ce qui me tourmente, il faut que je vous fasse part des évènements récents.
Depuis plusieurs années, ma femme et moi avons traversé des moments difficiles dans notre relation, notamment en ce qui concerne notre intimité. J'ai passé de longues périodes à l'étranger sans jamais vraiment consulter Eugénie, ce qui a créé une distance entre nous. Bien que nous ayons récemment réussi à faire la paix, notre vie de couple reste fragile.
C'est donc avec une grande surprise et une grande joie que j'ai appris  cet hiver que ma femme se trouve à nouveau enceinte.
Si vous insistez toujours pour avoir des nouvelles, sachez que l’ancienne compagne de mon frère s’appelle maintenant Madame Rumédier : elle s’est mariée cette année et elle ne vit plus avec nous. J’avais fini par m’habituer à sa présence, malgré son incongruité, et je ne m’attendais pas à ce qu’une femme de son âge se remariât un jour. Je voyais bien que ma présence à la maison l’inconfortait, et je crois que c’est ce qui l’a poussée à se marier. Ma femme la voit souvent, car elles vont régulièrement prendre le thé ensemble ou bien se promener. Je vous jure qu’Eugénie est plus unie à cette femme qu’à moi.
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aisakalegacy · 2 years ago
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Printemps 1903, Hylewood, Canada (1/3)
Cher cousin Adelphe,
Deux ans déjà depuis ma dernière lettre. Votre fils ou votre fille doit être déjà né, aussi je vous adresse, en retard, toutes mes félicitations. Le temps passe… Je suis rentré au Canada depuis deux ans, et jusqu’à il y a quelques mois seulement, ma femme se montrait glaciale. Eugénie a eu beaucoup de mal à me pardonner d’avoir prolongé mon séjour égyptien, et elle me l’a bien fait sentir. Nous n’en avons pas parlé : Eugénie est gentille, elle n’a jamais un mot plus haut que l’autre, et elle n’est jamais franche dans ses sentiments ; je l’ai donc déduit moi-même.
Louise est au pensionnat depuis trois ans, et Jeanne s’absente toute la journée pour ses promenades à cheval. Nous sommes donc seuls la plupart du temps, et vous pouvez imaginer comme il peut être pesant d’être avec une compagne qui ne vous adresse pas la parole Pour me faire pardonner, je lui montre que je suis présent : elle affectionne particulièrement le salon, la pièce la plus chaude de notre maison, où elle passe ses après-midi à lire. Je passe donc la plupart de mes après-midi au salon, à lire le journal, à rêver ou à fumer la pipe, afin de lui prouver que je suis présent et prêt à lui accorder de l’attention si elle en demande. Je fais preuve de patience et je n’exige rien, mais ce n’est pas demain que j’aurai un cadet, si vous voyez ce que je veux dire.
Après l’euphorie de mes années égyptiennes, tout semble plus lent ici. La neige a cet effet qu’elle semble figer le temps. Vos ouï-dires étaient corrects : le Saint-Laurent gèle tous les ans de janvier à mars, sur une portion qui va de Kingston à Montréal. Il y a eu une exception il y a cinquante-deux ans, dont j’ai entendu parler par les anecdotes que racontait mon père. Des bateaux se retrouvent régulièrement coincés dans la glace et l’hiver, on peut aller à Gananoque à pied. Je dois avouer que ce phénomène est idéal pour le patinage ou le hockey.
[Transcription] Jules Le Bris : … Jules Le Bris : … Eugénie Le Bris : … Il parait qu’au Québec, ils ont élevé l’âge pour pouvoir travailler dans une usine de douze à treize ans tantôt. Jules Le Bris : Vraiment ?
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aisakalegacy · 2 years ago
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Automne 1896, Hylewood, Canada (1/3)
Cher Monsieur Barbois,
Jules étant en Égypte et Monsieur Le Bris étant presque aveugle et n’étant pas en mesure de vous écrire lui-même c’est donc à moi de vous écrire. Monsieur Le Bris a bien reçu le faire-part de naissance de son petit-fils Honoré et Virgile a écrit une longue lettre à sa sœur pour la féliciter de son accomplissement. Nous vous remercions cependant de vous être assurés que nous ayons bien eu la nouvelle. Monsieur Le Bris demande d’ailleurs à ce que je vous informe de la naissance de sa petite-fille Louise, au cas où Jules ne l’aurait pas fait lui-même.
J’ai de pénibles nouvelles à vous transmettre. Nous avons la douleur de vous faire part du décès de mon époux Virgile, ainsi que de celui de Marie Bernard la sœur de Monsieur Le Bris.
Madame Bernard est décédée des suites d’un cancer du muscle qui s’est développé dans son bras droit. Elle avait dû être amputée, mais hélas l’amputation a été faite trop tard. Son enterrement a été célébré par son époux Monseigneur Bernard à la cathédrale de Kingston.
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