#Eugène Rumédier
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aisakalegacy · 9 months ago
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Automne 1917, Hylewood, Canada (4/9)
Je profite de cette lettre pour vous annoncer une triste nouvelle. Le 11 avril dernier est mort Zéphir Rumédier, mon compagnon du R22eR, sur les falaises de Vimy en Artois. Il avait vingt-quatre ans. Il n’est pas mort en vain, puisque son sacrifice et celui de nombreux Canadiens a permis d’enlever toutes les positions ennemies sur une profondeur de plusieurs kilomètres, de récupérer une centaine de canons dont un certain nombre de pièces lourdes de tout calibre, et de faire une dizaine de milliers de prisonniers. Ses parents sont bien sûr effondrés, mais aussi très fiers, car cette bataille est un peu pour nous un symbole, celui de la victoire des quatre divisions du Corps canadien, et donc en quelque sorte de l’union de notre nation, qui, comme j’ai pu vous le dire, est habituellement très divisée. Si je ne regrette en rien les tranchées, cet esprit d’union face à l’adversité et de camaraderie me manque souvent.
[Transcription] bruits de pétards Maria Mayordomo : Marie, ¡deja eso ahora mismo! (Marie, vous arrêtez ça tout de suite !) rires d’enfant qui s’éloignent
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aisakalegacy · 10 months ago
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Automne 1915, Hylewood, Canada (10/11)
Je me repose pour l’instant, et je n’ai pas l’intention de recommencer à voyager dans l’immédiat. Par les temps qui courent, cela serait inconscient de toute manière. Savez-vous que deux navires-hôpitaux anglais ont coulé ces derniers mois, sans compter de nombreux navires civils en Bretagne coulés par les U-boot ? Les Boches n’ont aucun honneur. Mon épouse était surprise de me voir utiliser ce terme, moi qui était en si bon terme avec mon équipe allemande avant la guerre, et qui compte un certain nombre d’Allemands parmi mes amis. J’avais des amis allemands, et je dirais même que j’en ai toujours. Les gens que j’ai fréquenté étaient des hommes intelligents et distingués. Les barbares que j’ai affronté à Ypres n’étaient pas des Allemands. C’étaient des Boches.
[Transcription] Jules Le Bris : La plupart de mes amis allemands sont probablement morts. Mais, qui sait ? Je dois tenter ma chance et leur écrire. Je vais d’abord attendre la fin de cette maudite guerre, je ne veux pas être accusé de trahison ou de communication avec l’ennemi. Eugénie Le Bris : C’est ben plus sage en effet, mon chéri. Eugénie Le Bris : Moi aussi, j'attends la fin de la guerre avec impatience. Quand je vois les Rumédier qui tremblent à chaque lettre, craignant d'apprendre la mort de leur dernier, ça me fend le cœur. J'veux même pas imaginer comment j'me sentirais si Lucien était à sa place. Jules Le Bris : Lucien a juste dix ans, il est un peu jeune. Eugénie Le Bris : On dit qu'un p'tit gars de huit ans s'est engagé, alors dix, c'est pas si fou que ça. Eugénie Le Bris : Quand même, dix ans… On ne rajeunit pas. Dans trois ans, nous en aurons tous deux quarante-cinq. Pis nous avons déjà quatre enfants. Jules Le Bris : … Voudriez-vous en faire un cinquième ? Eugénie Le Bris : Voyons, Jules, vous n’y pensez même pas, à notre âge… et dans votre état ? Jules Le Bris : Rassurez-vous ma chère, on ne m’a amputé que de la jambe.
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aisakalegacy · 8 months ago
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Automne 1917, Hylewood, Canada (8/9)
Depuis le début de la guerre, la scène politique en Ontario est profondément influencée par les orangistes, qui sont fidèles à la monarchie et à l'Empire britannique. Les grands journaux de Toronto critiquent les Canadiens français pour ne pas contribuer à l'effort de guerre, et on nous impose depuis juillet le service militaire obligatoire… Quand on voit les efforts déployés par le R22eR, je trouve cela honteux.
A cause de sa politique francophobe, Ontario est la risée du Québec. Ils nous appellent « nos Boches à nous » et nous surnomment "Huntario", en référence aux invasions de peuples nomades au Moyen Âge… Quand on voit comment les Anglophones nous traitent, on comprend que nous soyons presque unanimement opposés à ce service et qu'il existe un si faible sentiment de loyauté des francophones pour le Canada.
Sur l’île, si on enlève ceux qui sont déjà en service, cette loi concernerait cinq hommes : mon beau-frère (alors qu’il a trois enfants, pensez-vous !), le mari de ma nièce Winie, le frère du jeune Zéphir (dont les malheureux parents font toujours le deuil), le Révérend de l’île (un homme d’église !), et un neveu de mon beau-frère. Cette loi n’est pas encore appliquée. Des élections fédérales vont avoir lieu en décembre, et nous en sauront davantage après cela.
[Transcription] Marie Le Bris : Sincèrement, Agathon, es-tu obligé de te montrer ainsi en spectacle ? On dirait que tu t’es coiffé avec un balais brosse. Si j’avais des cheveux comme les tiens, j’aurais au moins la décence de mettre une casquette. Winifred Bernard : Irène, chérie, ne court pas trop loin ! Jules Le Bris : Tout va bien, ma nièce ? Winifred Bernard : Bonsoir, mon oncle. J’aimerais profiter de ma soirée, mais mon aînée m’échappe comme une anguille. Eugénie Le Bris : Ah, les enfants, à cet âge là. Winifred Bernard : A qui le dites-vous ! Elle court partout, et je n’ai pas une minute de répit. Mais je ne peux pas la laisser sans surveillance. Jules Le Bris : Marie, toi qui te plaignais de t’ennuyer, ne veux-tu pas aller jouer avec ta cousine ? Marie Le Bris : C’est que je commence à m’habituer à l’ennui, et je tombe de sommeil, regardez comme mes yeux sont lourds. Non, je suis mieux ici. Eugénie Le Bris : Agathon, va jouer avec Irène. Vous avez pratiquement le même âge. Winifred Bernard : Laissez, Eugénie, Marie a raison, il se fait tard et la petite est fatiguée. C’est probablement pour cela qu’elle est si excitée. Je devrais rentrer la coucher. Quel dommage, je m’amusais beaucoup…
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aisakalegacy · 1 year ago
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Automne 1913, Hylewood, Canada (2/2)
Avec ce règlement indigne, on nous réclame une réforme orthographique pour harmoniser l’orthographe de nos prénoms aux noms anglophones. Lucien était scolarisé depuis un an à l’école bilingue de Gan, mais nous l’envoyons maintenant à l’Albert College, un pensionnat épiscopalien qui se trouve à Belleville et auquel on peut se rendre en quelques heures en automobile, mon frère m’a emmené pour en acheter une pour l’occasion, mais je ne peux pas la conduire et lui non plus, alors M. Rumédier le mari de mon amie Jeanne, a la gentillesse de nous prêter son chauffeur quand nous voulons aller voir notre Lulu à Belleville. Je me perds dans ce que je voulais vous dire et je ne veux pas que vous vous impatientiez, aussi j’y viens. Il a bien fallu que je m’occupe de son inscription, et on a refusé de me le prendre sous son nom de « Le Bris », il a fallu que j’y colle les deux pour qu’on daigne me le prendre. On nous prend jusqu’à nos noms, et on voudrait que je m’appelle LeBris, avec les deux parties toutes-collées. J’en ai écrit à mon mari pour savoir comment qu’il voulait que je nous nomme maintenant, mais il n’a pas encore répondu.
Bien à vous,
Eugénie
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aisakalegacy · 1 year ago
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Printemps 1908, Hylewood, Canada (2/6)
Louise a quinze ans. Elle est désormais une jeune fille, et elle semble aussi obsédée par les chiens que ma sœur et que Tagak. Je n’explique pas cet intérêt fulgurant que semblent avoir les membres de mon entourage pour la race canine. Mais, ayant moi-même l’habitude que l’on ne partage pas mes centres d’intérêt, j’ai tenté de créer du lien avec ma fille et de l’entretenir d’Anubis, ou bien des anecdotes sur le philosophe Diogène qui vivait comme un chien, qu’affectionnaient tant son oncle. Pensez-vous… Ma fille semble plongée dans cette apathie adolescente, marquée par le désintérêt envers tout ce qui ne l’affecte pas directement - c’est-à-dire les chiens, ses illustrés et ses amies du pensionnat, à qui elle passe son temps à écrire dès qu’elle nous revient en fin de semaine, quand bien même elle les revoie le lundi.
[Transcription] Jules Le Bris : Vu le temps qu’il fait, c’est bien aimable de m’accompagner en promenade, mais je sens que tu as quelque chose derrière la tête. Louise Le Bris : C’est que je voulais vous demander une faveur… Jules Le Bris : Je m’en doute. Laquelle ? Louise Le Bris : Papa, serait-il possible que nous prenions un chien ? Les Rumédier ont adopté un adorable pointer anglais, et j’aimerais tellement que nous ayons un chiot, nous aussi… Jules Le Bris : Je ne sais pas, il faudrait voir cela avec ta mère. Il te reste encore au moins un an de pensionnat, et pendant ton absence, c’est à elle que reviendra la charge de s’en occuper…
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