Sarah Biffin (1784 â 1850)
Sarah Biffin est une peintre nĂ©e en 1784. Sa particularitĂ© ? Elle nâa Ă la naissance ni bras, ni jambes. Et Ă la fin du XVIIIe siĂšcle, les perspectives dâavenir ne sont pas vraiment radieuses pour les personnes ainsi handicapĂ©es. Sarah Biffin va pourtant dĂ©jouer tous les pronostics, se hissant avec talent jusquâau plus haut sommet de la monarchie anglaise. Portrait dâune femme qui a su se faire une place lĂ oĂč personne ne lâattendait.
PhocomĂ©lie. Câest un mot peu utilisĂ©, bien souvent inconnu. Pourtant, pour comprendre lâhistoire de Sarah Biffin, il faut lâapprivoiser. La phocomĂ©lie, câest une anomalie du dĂ©veloppement qui a eu lieu lors de la grossesse. Cette dĂ©formation a pour consĂ©quence lâarrĂȘt du dĂ©veloppement dâun ou plusieurs membres â les mains peuvent ainsi se retrouver directement implantĂ©es aux Ă©paules ou au tronc, par exemple. Dans le cas de Sarah Biffin, les membres ne se dĂ©veloppent pas du tout : son certificat de baptĂȘme indiquera ainsi quâelle est « NĂ©e sans bras, sans jambes ».
Sa situation rendue encore plus difficile par la modestie de son foyer familial : ses parents, fermiers, nâont pas Ă©normĂ©ment dâargent et ne peuvent donc pas forcĂ©ment amĂ©nager la demeure comme il le faudrait. Le milieu trĂšs rural et agricole de son comtĂ© dâorigine, le Somerset, nâest pas vraiment adaptĂ© Ă une personne avec un tel handicap. Mais Sarah apprend Ă lire. A Ă©crire, aussi. Elle nâa pas de mains ni de pieds ? QuâĂ cela ne tienne ! Elle utilisera sa bouche. A force de dĂ©termination, Sarah apprend la broderie et la couture, allant jusquâĂ se confectionner ses propres robes. Elle se passionne Ă©galement pour le dessin et, contre toutes attentes, se rĂ©vĂšle douĂ©e. Câest alors quâune nouvelle partie de sa vie commence : sa rencontre avec son premier professeur de peinture, Emmanuel Dukes.
Les sources ne sâaccordent pas toutes quant Ă ce moment de la vie de Sarah. Il a longtemps Ă©tĂ© dit quâelle aurait rencontrĂ© Dukes vers 12 ou 13 ans, certains avançant le fait que ses propres parents lâauraient placĂ©e chez lui. Des recherches rĂ©centes, effectuĂ©es dans le cadre de lâexposition « Without Hands : the art of Sarah Biffin » organisĂ©e en 2022 par la Philip Mould & Company, tendent Ă remettre en question cette lĂ©gende. Il faut dire que lâhistoire de Sarah Biffin, avant de tomber dans lâoubli, a atteint le rang de mythe dans la premiĂšre moitiĂ© du XIXe siĂšcle. Beaucoup de fausses rumeurs ont Ă©tĂ© lancĂ©es, des approximations Ă©crites. Pour cet article, nous allons donc nous appuyer sur les recherches les plus rĂ©centes. DâaprĂšs celles-ci, Sarah nâaurait rejoint Dukes quâĂ lâaube de sa vingtaine.
Ce qui est sĂ»r, câest quâaux cĂŽtĂ©s de Dukes, Sarah participe Ă beaucoup de foires en Angleterre. Sarah est prĂ©sentĂ©e comme une curiositĂ© ou comme une « HuitiĂšme merveille », comme le montre lâaffiche ci-dessous :
Lorsquâelle peint, Sarah tient son pinceau dans la bouche. Cette technique bien particuliĂšre attire la curiositĂ© des passants, qui paient pour la regarder faire. Nombreux sont ceux Ă acheter des autographes ou des miniatures sur ivoire. Le phĂ©nomĂšne se propage. Pour attirer les foules, Dukes promet de lâargent Ă qui serait insatisfait des prouesses de Biffin. Rares sont ceux qui sont remboursĂ©s⊠Si ce traitement dâattraction peut choquer aujourdâhui, il permet Ă lâĂ©poque dâassurer Ă Sarah une indĂ©pendance financiĂšre. Du moins, il aurait dû⊠car Dukes sâapproprie les rentrĂ©es dâargent. Sarah ne touche en rĂ©alitĂ© que cinq livre par an de sa partâŠ
Son destin va prendre un nouveau tournant quelques annĂ©es plus tard lorsquâelle est remarquĂ©e par George Douglas, le comte de Morton. Celui-ci se rend Ă la foire de Saint Barthalomew, une grande fĂȘte se dĂ©roulant Ă Londres. Sarah avait lâhabitude de sây produire, comme le montre le dĂ©tail de cette affiche :
Ce comte de Morton vient spĂ©cifiquement pour Sarah : il a dĂ©jĂ vu une de ses productions et est persuadĂ© quâil lui a Ă©tĂ© impossible de la faire toute seule. Lorsquâil voit Sarah travailler sans aide, il est bien obligĂ© dâadmettre ses torts. Il la mĂ©cĂšne alors et lui fait donner des cours par William Marshall Craig Ă lâAcadĂ©mie Royale des Arts de Londres. Le comte la pousse Ă quitter la troupe de Dukes, ce que Sarah fait. Elle est maintenant maĂźtresse dâelle-mĂȘme.
Elle rĂ©alise Ă cette Ă©poque un autoportrait, saisissant par les dĂ©tails quâil porte :
Sarah Biffin,
Sarah Biffin, 1812, Wellcome Collection (Londres)
Les cheveux sont dĂ©licatement tressĂ©s, les boucles bien dessinĂ©es, les bijoux ciselĂ©s, les plis de la robe soulignant dĂ©licatement lâarrondit de la poitrine. Un rendu dâautant plus spectaculaire que ne fait que 9 centimĂštres sur 7 !
Sarah se spĂ©cialise en effet dans la production de portraits miniatures sur ivoire. Pour vous donner une idĂ©e de la taille de ses Ćuvres, voici le portrait quâelle rĂ©alise dâun officier :
Without Hands : the art of Sarah Biffin,
Philip Mould & Company
Comme vous pouvez le constater, lâĆuvre est de la taille dâune main. Peindre sur une surface aussi rĂ©duite est difficile, dâautant plus pour une artiste comme Sarah qui utilise sa bouche. Le moindre geste de tĂȘte trop fort ruine tout le travail effectuĂ©, puisque les reprises sur une miniature sont trĂšs ardues Ă faire. Sarah est donc une artiste qui a une maĂźtrise parfaite de sa technique.
Elle ne se limite pas aux portraits, mais peint aussi des paysages, des études. Parmi celles-ci, on peut trouver sa magnifique Etude de plumes, peinte en 1812 :
Etude de plumes, Sarah Biffen, 1812
Les plumes sont si lĂ©gĂšres, les couleurs si vives et les dĂ©tails si prĂ©cis quâon en viendrait presque Ă craindre que les plumes ne sâenvolent. Cette Ă©tude tĂ©moigne aussi dâune marque caractĂ©ristique de Sarah, sa signature : celle-ci permettant aux visiteurs de prouver quâils ont bien vu la Sarah Biffen, elle fait partie des artistes femmes ayant le plus signĂ© ses Ćuvres. Au fur et Ă mesure, elle ajoutera la mention « peint sans les mains ».
De plus en plus assurĂ©e et libre, Sarah sâinstalle seule Ă Londres en 1819. DĂ©terminĂ©e Ă rĂ©ussir, elle ne se contente pas de lâaide du comte. Elle publie de nombreux articles dans la presse pour se faire connaĂźtre, faisant preuve dâune vĂ©ritable stratĂ©gie commerciale. Un investissement et une persĂ©vĂ©rance qui paie puisquâen 1821, la Society of Arts lui dĂ©cerne un prix pour une de ses piĂšces. Sa notoriĂ©tĂ© est telle quâelle obtient le plus haut mĂ©cĂ©nat qui soit : le roi George III et la reine Victoria. Ils lui commanderont beaucoup de portraits miniatures, dâeux et de leurs proches.
Edward, Duke of Kent, Sarah Biffin, 1839, Royal Collection Trust, London
La Reine Victoria, Sarah Biffin
En 1824, elle Ă©pouse William Stephen Wright, un employĂ© de banque. Il est difficile de connaĂźtre la teneur de leur mariage, puisque son mari est trĂšs peu prĂ©sent dans les documents intimes (lettres, journauxâŠ) retrouvĂ©s par les historiens de lâart. William Ă©tait en tout cas impliquĂ© dans diverses fraudes et a souvent eu affaire Ă la justice. Selon la lĂ©gende, William se serait mĂȘme emparĂ© dâune grande partie des richesses de Sarah. Ce qui est sĂ»r, câest que celle-ci a tout de mĂȘme utilisĂ© son nom de 1824 Ă 1842. On a ainsi pu retrouver certaines de des Ćuvres signĂ©es Sarah Wright. Il a fallu les recherches les plus rĂ©centes pour faire le lien entre les peintures Sarah Biffin et Sarah Wright, et reconstituer le panel complet de sa production.
Dans les derniĂšres annĂ©es de sa vie, la Reine Victoria lui accorde une pension. Sarah se retire Ă Liverpool. Un dĂ©mĂ©nagement qui aurait pour objectif dâaccĂ©der Ă une autre Ă©tape dans sa carriĂšre : un dĂ©part aux Etats-Unis, oĂč elle aurait rejoint des artistes ayant les mĂȘmes conditions physiques quâelle. NĂ©anmoins, sa santĂ© dĂ©cline, ainsi que ses finances. Sarah dĂ©cĂšde finalement en 1850, Ă 66 ans.
AcharnĂ©e, dĂ©terminĂ©e et douĂ©e, Sarah Biffin aura rĂ©ussi Ă faire de son handicap sa force. Et avant de nous quitter, je ne rĂ©siste pas Ă lâenvie de vous partager son Autoportrait, rĂ©alisĂ© en 1842 : Sarah est Ă la pointe de la mode, porte une tenue Ă©lĂ©gante, agrĂ©mentĂ©e de la mĂ©daille quâelle a eue de la Royale Society of Arts. Sur son vĂȘtement, un pinceau est cousu, symbole de sa profession. Car voilĂ la vĂ©ritable empreinte laissĂ©e par Sarah Biffin : elle est une femme accomplie et une artiste de talent. Le handicap, lui, est secondaire.
Sarah Biffin, Autoportrait, 1842, ,The Baltimore Museum of Art
Sources / Pour en savoir plus :
â https://youtu.be/UK0ScP0htFU
â https://youtu.be/AdkEipjzo_o?si=Yhj1wS598tnYV0es
â « Without Hands »: The Art of Sarah Biffin | Exhibition film : https://youtu.be/GAUVat2HfzY?si=Np2OdtH563P1pa8Q
0 notes