philonhisway
Coordonnées désordonnées
30 posts
Don't wanna be here? Send us removal request.
philonhisway · 7 years ago
Text
Chagrins d’automne
Ça commence toujours avec un regard par la fenêtre. Tu t’es demandé ce que tu foutais là,
bien au chaud bien au sec. Les gens autour de toi parlent et déjà,
déjà ton esprit se projette à travers le verre
qui brise en éclats, te tailladant le visage au passage
et avec la même intensité, l’air glacé gifle tes yeux.
Tu flottes au dessus du sol, pupilles dilatées, pur esprit écarquillé
Regarde autour de toi, le ciel à perte de vue
A perte de vue parce que justement ton regard se perd, se perd dans la nuée qui se dégage de l’horizon
Sans limite, comme toi,
elle avance et vient se joindre à la fête des hommes
qui à sa venue se précipitent chez eux,
l’évitant à tout prix, la laissant seule et désespérée
elle cavale, court pour arriver avant que tous ne soient partis,
mais déjà les rues sont vides et les portes closes
et elle pleure.
Ca te fait l’effet d’un électrochoc, tu peux pas la laisser comme ça
Comme un élastique tendu, ton esprit réintègre ton corps en pleine face,
tu tombes à la renverse.
Tu bégayes des excuses et cours au dehors au moment où son sanglot éclate.
Et tu es là, seule avec elle, elle qui te pleure dessus en silence
Grise, discontinue, belle derrières ses rideaux d’eau
Prends la par la main et danse !
Elle est contre toi, sous tes doigts et sur ta peau
Passe sa main à travers tes vêtements
Tu lèves les yeux vers elle et les détourne aussitôt, aveuglé
Enveloppé par les odeurs qu’elle dégage, celles de l’herbe et de l’asphalte mêlées
En une valse langoureuse vous ne faites qu’un
Seuls sur la piste azur
En plongeant l’un en l’autre, glissant sur toi,
elle éclate une dernière fois,
ultime sanglot de lumière qui ravive ses yeux ternes
Déversant tout pour toi, pour fondre une dernière fois,
Ses larmes sèchent.
Elle te dit merci et s’en va.
Tu restes quelques instants après son départ
Tes vêtements toujours imprégnés d’elle, tes lèvres goûtent son souvenir
Et tandis que le monde retourne au dehors, tu continues de penser à elle
Ses chagrins que tu es seul à voir
Irrépressibles
Comme ton envie de la consoler
Comme ta soif d’elle sur toi
Comme ton désir de la revoir au plus vite car
Tu es de ceux qui courent vers la pluie.
3 notes · View notes
philonhisway · 7 years ago
Photo
Tumblr media
6K notes · View notes
philonhisway · 7 years ago
Text
Scintillements
On marche seuls depuis longtemps.
Est-ce que c’est l’écho de nos pas qu’on entend ou une musique, fantôme du passé,
de ces boîtes en bois qu’on ouvre et qui nous renvoient à cette époque où était même pas sûrs d’être nés ?
Tu sais, je cours parfois, lorsque j’aperçois un scintillement dans la nuit, et pleure lorsqu’il disparaît 
en une pluie de verre brisé
Dans cette nuit dont j’ignore tout, apprenti navigateur dans une mer d’ébène.
Bien sûr je chasse les étoiles avidemment, hurle leur nom quand leur appaisante lumière vient bénir mes pas.
Comme une pluie qui s’abattrait violemment sur mon visage, un étau serrant mes côtes,
la peur prend possession de mes sensations et de mes jambes,
qui sans besoin qu’on le leur demande, s’élancent à la recherche de l’échappatoire.
A chaque fois la lumière s’éteint, et avec elle celle de mes yeux.
Son reflet ou la lueur d’espoir qu’elle y avait placée.
Cette fois-ci, on y avait tellement cru ! Elle était restée longtemps, nous appelait plus chaleureusement, j’avais même la sensation de pouvoir la tenir entre mes doigts !
La traîtresse nous a encore laissé à genoux sur le sol invariablement noir et humide.
Humide, de ces larmes qu’on verse sans pouvoir s’arrêter. Surface froide, inatlérable qui nous renvoie inlassablement un reflet, on le sait,
mais même ça on en est privé, faute de clarté.
Encore et toujours.
Jamais on la détesterait pourtant.
Un jour, on sait qu’elle viendra nous englober, nous prendre par la main, ouvrir nos paupières et nous appeler par notre nom.
Parce que tu vois, on y a droit aussi, tous, même toi.
Même moi, si ça t’amuse. Merci.
On chasse peut-être des lucioles pour le moment, on se fait peut-être avoir comme des animaux stupides vers lesquels un dieu mesquin pointe un laser pour s’amuser de nous voir courir après nos illusions.
Ah ça il doit se fendre la poire le salaud.
N’empêche qu’à force de courir après des miroirs, de foncer comme des abrutis dans des écrans de fumée et de pleurer à force de poudre aux yeux, on a tout de même parcouru une sacrée distance, tu trouves pas ?
Regarde-nous
Ouais, on est p’t’être tout cassés, amochés, les joues creusées per le sel des larmes et les doigts en sang de se les être mordus
On est p’t’être cabossés, fatigués, déglingués,
Mais tu vois, contrairement à ces monarques qui nous regardent du haut de leurs tours noires, qui règnent ici bas,
Nous on a pas perdu espoir que la lumière viendra.
La vraie, celle qui nous fera sortir d’ici,
Celle pour laquelle notre foi s’est tant meurtrie.
Alors lève-toi, cherche ta lumière,
Peut-être que c’est elle qui viendra te chercher après tout
Et si jamais t’en as marre, que t’as envie de pleurer et que t’es fatiguée
Même dans le noir on trouvera de quoi se réchauffer
Et si je t’ai promis que je baisserai jamais les bras,
Je peux au moins les placer autour de toi
Et t’enlacer
Si ça peut te donner du courage pour avancer.
1 note · View note
philonhisway · 7 years ago
Text
Un chasseur traverse une ville détruite à la préhistoire
Rien. Il ne restait rien, même pas des ruines. Tout avait été rasé, pillé, calciné, souillé, profané, puis brûlé de nouveau. Du village de Crôm, même le nom a été effacé. Pourtant, c’est vers celui-ci que Toumak se dirige.
Situé dans ce que nous connaissons aujourd’hui comme le continent africain, la vie y était prospère, et le cadre bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui : difficile de s’imaginer, à la place des étendues sèches et jaunes de poussière du désert, inhospitalières à force de soleil et d’absence d’abri, des forêts luxuriantes, peuplées d’hommes et d’animaux – les seconds plus dangereux que les premiers à l’époque – , résonnant de cris sauvages, de chants puissants d’oiseaux aux mille couleurs. C’est pourtant là que vivait la tribu de Crôm, préférant la richesse de la jungle aux étendues déjà désertiques de certaines parties du continent.
Mais c’était avant l’oblitération.
Toumak aurait pu passer sans regarder le village. Après tout, il ne l’avait jamais vu, ne le connaissait pas : Toumak n’était pas de cette région. Mais il est des forces dans ce monde dépourvu de magie qui traversent les distances, les âges et les esprits ; des forces qui remontent dans les nerfs et font battre les tambours de nos tempes. Le sang en fait partie.
Quand un lieu a été le théâtre de morts innombrables, quand des flots du liquide vermeil ont été répandus sur le sol dans la rage, et que le vent recèle encore les échos des cris de terreur, notre sang bat dans nos veines pour nous prévenir du danger possiblement imminent, par instinct de conservation. C’est un fait.
Quand un membre de votre lignée a trouvé la mort, que le nombre de vos semblables s’est retrouvé amputé, vous rapprochant un peu plus de la plus grande des solitudes, votre sang se fige un instant et votre cœur se serre. C’est également un fait.
J’ignore si vous avez déjà senti vos veines à la fois se glacer et fulminer, mais c’est exactement la sensation qu’eût Toumak en posant le pied dans la poussière du village. Et à la vue de la bête qui s’éloignait paresseusement des lieux de la tragédie, ses yeux s’écarquillèrent. Sa respiration se fit courte, et une perle de sueur vint rouler depuis le haut de son front jusqu’aux commissures de ses lèvres, qu’il humecta. S’il sentit le regard des morts se poser sur lui, hurlant vengeance depuis les limbes, tandis qu’il pointait son arme vers le colossal animal, il est impossible de le savoir.
Mais cette éventualité était peu probable.
Il y eût un grand bruit, et la créature s’écroula. Il réajusta son chapeau, et avança vers son trophée.
Les esprits tournèrent le dos à Toumak, et retournèrent à la poussière dont ils faisaient partie désormais, profondément déçus. Mais l’intéressé ne l’était pas tant que ça, occupé qu’il était à recharger son fusil.
Après tout, il n’en était pas à son premier éléphant abattu, et ce ne serait pas le jugement d’ancêtres préhistoriques dont il ignorait jusqu’à l’existence qui allait le faire culpabiliser, quand bien même il se tenait sur l’emplacement exact de leur village, effacé par le temps il y a des milliers d’année de cela. Coïncidences.
Le sang a beau traverser les âges, il ne transmet pas tout. Ni les informations cruciales, ni la noblesse du cœur.
0 notes
philonhisway · 7 years ago
Text
Première neige
Le géant s’assit par terre, aussi délicatement qu’il pût, à côté de l’enfant. Le résultat était, il faut le dire, assez grotesque. Du haut de ses huit mètres, il contorsionnait ses muscles en une chorégraphie étrange, évoquant vaguement un chat qui rentrerait peu à peu dans l’eau : les géants n’aiment pas s’asseoir. L’enfant regardait, amusé, le grand homme gesticuler à côté de lui, et finalement se laisser lourdement tomber au sol, faisant frémir la terre.
« Pourquoi le sol est-il si bas ? » maugréa le grand velu.
L’enfant partit d’un rire clair, et le laissa s’éteindre en regardant le paysage face à eux.
La vue était à couper le souffle. Tous deux se tenaient, les jambes allant dans le vide, sur une falaise qui faisaient face à une vaste vallée au creux des montagnes. Leur profil ciselé déchirait agressivement le ciel, se lançant furieusement à l’assaut des nuages qu’un pic, ça et là, éventrait fièrement.
Au pied de ces monstres de pierre, la vallée était verte et brune : le froid avait commencé son office, recueillant une à une les feuilles des arbres, déjà ocrées par le passage du prince automne, si bien que des arbres enflammés de mille nuances chatoyantes, il ne restait que le squelette noir, brun et blanc des hêtres, des frênes et des bouleaux qui bordaient les routes qui sinuaient en contrebas. Seules, mais nombreuses exceptions, les sapins avaient gardé leur épais manteau vert sombre, et s’amassaient en de larges bosquets et forêts, un peu à l’écart des hameaux, depuis lesquels les enfants avaient appris à craindre les bois, surtout les bêtes féroces qui les peuplaient et venaient de temps à autres dévorer l’un ou l’autre mouton mal surveillé (ou les marmots récalcitrants à l’idée d’aller se coucher, selon les parents fatigués par une longue journée de labeur). Il faisait encore jour, quoiqu’il fut difficile de dire avec exactitude quelle heure il était. Tel un immense drap usé, les nuages recouvraient l’intégralité du ciel, et cachaient le bleu céruléen au profit d’un gris clair, presque douloureux à regarder, qui diffusait la lumière de l’astre diurne.
Il en était ainsi depuis plusieurs semaines : après prince Automne, roi Hiver avait fait du monde sa demeure, et s’était installé dans chaque recoin qu’il pouvait trouver. Ainsi, il tirait à lui le couverture des jours et en diminuait la durée ; il soutirait à la terre ses ressources et aux plantes leurs fruits ; il recouvrait les animaux d’un pelage épais, et pressait les villageois peu prévoyants vers les bois pour récolter quelques bûches et réchauffer leur foyer. On voyait d’ailleurs à travers les vitres des maisonnées la lueur orange des flammes, vague souvenir de la couleur des arbres il y a quelques semaines à peine, mais surtout bulles de résistance humaine à la mort autour d’eux. Près du feu, la vie subsistait et refusait de s’éteindre avant les braises.
Depuis leur fenêtre se laissaient quelques uns aller à la rêverie en observant les flancs des montagnes encore noirs là où les sapins n’avaient pas encore entrepris de pousser, en se demandant si un jour ils verraient ce qu’il se trouve derrière cet implacable rideau de roche autant inhospitalier qu’infranchissable. Dire qu’ils étaient prisonnier serait mentir : ils étaient aussi libres d’aller où ils voulaient que n’importe qui ; leur cellule était plus petite, voilà tout. Alors ils regardaient les pentes abruptes, en imaginant ce qu’elles cachaient.
Bien sûr, le géant et l’enfant savaient, et ce dernier pouvait même se vanter d’être l’un des seuls habitants de la vallée à avoir vu au-delà des chaînes de montagnes, grâce à son ami aux longues jambes et au pelage épais, qui pouvait escalader les pythons bien plus vite et dans de bien pire conditions que n’importe quelle petit homme. Malgré cela, l’enfant préférait la vision de sa vallée, qu’il connaissait par coeur. De là, il pouvait observer la vie de son petit monde, et peut-être plus tard se déciderait-il à explorer les autres mondes dont il ne faisait pas encore partie. Le géant ne comprenait pas vraiment, et grommelait souvent qu’ils pourraient s’en aller loin, voir des merveilles que personne ne voyait jamais, au lieu de ce ridicule creux dans les montagnes. Mais là où l’enfant était, le géant restait.
Et tandis qu’il s’occupait à rouspéter – c’était, vous l’avez deviné, une de ses occupations favorites – se produisit le miracle annuel, que tous attendaient avec impatience. Les premiers flocons commencèrent à apparaître dans les airs, se laissant tomber paresseusement dans la légère brise, d’abord timides puis de plus en plus lourds et nombreux. Peu à peu, ils commencèrent à recouvrir le sol, s’agrippant à la terre gelée, marquée par les sabots des chevaux et le soc des charrues.
Davantage que le tapis de neige qui commençait à se former, c’est le rideau taché de blanc qui se formait devant ses yeux que regardait l’enfant, émerveillé. Les flocons dansaient au gré du vent, dessinant des figures irréelles et temporaires, se formant et disparaissant, comme un animal vagabonderait entre les arbres et ne se laisserait jamais que deviner sans se montrer entièrement. Et chaque flocon, unique individu semblable à aucun autre, faisait partie de cette grande danse, qui prenait fin à chaque seconde en touchant le sol, mais jamais ne mourrait vraiment.
« Tu vois, c’est pour ça que le sol est si bas, sourit l’enfant. C’est pour laisser le temps à la neige de tomber. »
0 notes
philonhisway · 7 years ago
Text
Rock mécanique
Elle m'avait trouvé
De la même manière que moi je l'avais trouvée.
Déglingués, saccagés
J'avais la patte qui traînait et elle le flanc ensanglanté
Mais elle marchait
Et je rampais.
Éclat métal de ses yeux rouillés de pleurs
Durs et éprouvés.
Mes jambes ploient
A rebours
et je me lève
Comme une chute vers le haut
Claquement des os qui se ressoudent et mécaniques qui se replacent
Se réparent.
Et repartent !
T'as du cran de rester debout après tout ce que t'as bouffé
Et j'ai de leçons à recevoir de personne
Tu te prends pour qui à me fasciner
Tu crois que je peux pas tenir la distance ? On peut jouer si tu veux, peu importe que ce soit la bonne.
Corps contre coeur, danse danse et tourne, dans ce rock mécanique on est si bien à deux.
Et on part, loin, vite, longtemps
La poussière qu'on mordait se colle à nos semelles pour qu'on l'envoie chier
On a bien plus que de la rage
Je t'haine, je t'aime,
Et la vie a bien plus à offrir que ce qu'on essaie de lui reprendre.
0 notes
philonhisway · 7 years ago
Text
No future.
Asriel a 24 ans. C'est à peu près tout ce qu'il est capable de dire sur lui. De son parcours scolaire cahoteux, ses passions à foison, ses relations compliquées, rien n'est à tirer : dans le sac de nœuds qu'est sa vie, vouloir suivre un fil conducteur relève plus du dédale que de la voix d'Ariane. Petite pelote de laine que la vie a émacié entre ses griffes taquines, beauté autrefois tranchante polie et usée par le roulis des vagues, feu de joie dont il ne reste que la fumée qui occulte les braises dormantes, mourantes… On pourra user de bien de métaphores pour parler d'Asriel, mais l'idée est toujours la même : il est presque éteint. De trop d'agitation, il s'est consumé. Un peu comme cette cigarette qu'il tient entre les doigts et dont il fait distraitement tomber les cendres en bas de l'immeuble en haut duquel il s'est perché. Là-bas, tout en bas des deux dizaines d'étages qui le séparent de l'asphalte, le bruit de la ville. Les lumières des phares caressant la nuit. Le chant des sirènes.
Ariane a 22 ans. Du reste, elle n'en dira rien au premier venu. Peu de chances qu'elle dise quoi que ce soit à quiconque de toute manière. Flanquée dans des vêtements trop grands, son visage protégée par l'ombre de ses multiples capuches, mains dans les poches, rasant les murs, elle se fait ombre jour et nuit. Elle marche vite, bouscule ceux qui ne s'écartent pas, serre les dents, grince plus qu'elle ne parle, rouille plus qu'elle ne pleure. Sous la cape d'ombre dont elle s'enveloppe, une machine furieuse, impitoyable, broie des os et du noir. Elle s'alimente de ce qu'elle produit pour continuer à tourner, inexorablement, sans but mais déterminée à ne pas s'arrêter : de la rancœur. Ici-bas, engluée dans l'asphalte et le béton, le bruit de la ville frappe de plein fouet ses oreilles. La lumière des phares déchire épisodiquement son cocon de nuit. Le hurlement des sirènes.
« C'est amusant, cette cendre qui tombe tout en bas, alors que son goût ne cesse de remonter dans ma bouche », pense doucement Asriel, les jambes se balançant dans le vide. Il se charme aisément tout seul – quoique de moins en moins – des choses de la vie. La pluie, la lumière, les gens… tout lui inspire une douce fascination, passive, fatiguée, de ce pétillement qui n'est plus là qu'en esprit. Le sien, d'esprit, a cessé d'être vif, et s'est peu à peu transformé en une sorte de contemplation muette. Il n'est plus fulgurant comme avant, son profil dur et effilé a été poncé méticuleusement durant les quelques dix dernières années. La maladie a fait son travail, lentement, consciencieusement ; elle a tissé sa toile dans les circonvolutions cérébrales d'Asriel, et partout où il va, il est désormais condamné à tourner en rond, à s'approcher du centre de la spirale où l'attend la veuve noire… et pour seul horizon, la cendre et le venin.
Un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, une ruelle mal éclairée, et Ariane dégaine son aérosol de peinture. Lentement, elle trace un premier « N » sur le mur. Non pas qu'elle ne connaisse pas le geste : elle l'effectue presque tous les soirs dans des endroits similaires, et son œuvre pourrait être achevée en quelques instants. Mais quel intérêt dans ces tags à la va-vite pour elle ? Son doigt est crispé sur la tête de la bombe, comme si c'était par la force de son esprit que la peinture était propulsée vers le mur, « comme si » elle comptait graver plus que dessiner ses mots. Elle finit de tracer le O, marque une pause pour surveiller les sirènes. Ce n'est pas pour elle qu'elles chantent ce soir. F, U … la bombe est déjà à moitié vide, le surplus s'écoulant des lettres vers le sol en des larmes de jais, pleurant un avenir qui n'existe plus. T, U. C'est cela, le monde d'Ariane. Marcher seule, depuis deux ans, sans destination ni destin tout court, mais se battre pour ne pas s'arrêter. R, E. L'inscription dégouline, vomit sa ténèbre sur le béton, submerge l’œil en un raz-de-marée noire, engluant, saisissant. Révoltant. NO FUTURE.
À force de tirer sur la corde comme sur sa clope, Asriel sait bien qu'il ne lui reste pas bien longtemps à vivre. Si ce n'est pas la dépression qui le tue, ce sera le cancer, ou une autre connerie de ce style. Il s'est fait à l'idée qu'il vivra peu. Il a bien sûr des idées de comment il pourrait vivre sa vie s'il était « normal ». Il lui arrive aussi d'être heureux. Mais quand la vague des crises de larmes le frappe de plein fouet, quand elle le noie dans ses tourments et le fait suffoquer dans le paroxysme de l'angoisse, quand elle le laisse pantelant, sur la grève après s'être retirée, en chien de fusil tremblant, quel sens a l'avenir ? Comment envisager un chemin de 30, 40, 70 ans parsemé de chutes, rechutes et embûches, un chemin à faire seul qui plus est ?
La majeure partie des gens conçoivent le temps comme un écoulement, passé derrière et futur devant. Si nous étions tous des funambules, nous avancerions en équilibre du passé vers un futur, et éviterions de tomber dans… quoi au juste ? Cette image ne fait aucun sens pour Asriel. Tel qu'il se voit, funambule, le passé est en bas et le futur en haut. L'avant et l'arrière n'ont aucun sens, sinon celui de la fuite : les griffes noires de ses angoisses surgissent d'un côté ou de l'autre de la corde, et c'est un jeu cruel que de tenter de s'échapper en restant en équilibre. Un faux pas, et c'est la chute vers les démons du passé, les limbes des actes manqués, des mots proférés. Et lorsque la tempête passe, que la maladie le laisse – relativement – en paix, il peut toujours essayer d'atteindre son futur du bout des doigts, là-haut, sauter pour grappiller des secondes ; mais là encore le vide sous ses pieds se fait plus menaçant, plus proche. Il se cramponne à son présent, sa corde, de moins en moins fort sous les assauts de la dépression. Le futur ne vaut pas qu'on prenne le risque de retomber dans le passé. Le futur est un risque inutile.
Le futur est un risque inutile. Un risque à prendre, toutefois, si on ne veut pas retomber dans le passé ou stagner dans le présent. Il n'attend rien ni personne, se rit des efforts de ceux qui n'arrivent pas à le suivre. Ariane a décidé qu'elle ne passerait pas son temps à courir derrière le futur : elle le dépasserai, se placerai en travers de sa route et lui referai la mâchoire avec tout ce qu'elle a contre lui. Pour tous ceux qui se sont laissés rattraper par le passé. Évidemment, ils sont de mèche, passé et futur : tandis que le second court sans se laisser rattraper, lâchant derrière lui promesses et mirages, le premier progresse, inexorablement, à la suite des hommes, engloutit les plus lents, les digère et en prélève la moelle vive pour les fondre en une masse morte. Le présent n'est que cet espace entre la mort et le mirage, une arène dans laquelle sont lâchés les vivants pour y être dévorés, sous les hurlements des démons et le regard apathique de ceux qui se sont déjà fait rattraper. Pour ceux qu'elle y a perdu, Ariane a décidé qu'elle mettrait le feu à l'arène.
Asriel éteint sa cigarette. Avec la régularité des marées, la vague de tristesse qui l'a mené là se retire. Une bouffée d'air frais lui parvient enfin, les embruns quittent son cerveau, il a de nouveau les pieds sur terre et la tête hors de l'eau. Ses yeux rougis se rouvrent : là-bas, tout en bas des deux dizaines d'étages qui le séparent de l'asphalte, le monde vit. Sans se poser de questions, sans se demander pourquoi le futur, pourquoi la vie. Il vit, avance, en équilibre sur sa corde raide, des milliards d'individus dont les chemins se croisent en continu, échangeant regards, mots, amour ! Si le futur est là-haut et le passé dans les limbes, le tissu de la vie est bien là, autour de lui, présent. Un léger sourire, encore à moitié triste, se dessine sur ses lèvres. Asriel se lève et jette un dernier regard sur la ville en contrebas avant de s'éloigner du bord.
Rabattant sa capuche, Ariane se remet en marche, laissant derrière elle un nouveau message dont elle seule connaît la signification profonde.
Soudain, nouvelle vague. Déferlante. Une lame de fond qui n'attendait qu'une occasion de se planter dans le dos d'une victime vulnérable. Le funambule vacille sur sa corde.
« No future », pas pour elle, mais pour ceux qui sont passés, dépassés, trépassés. Pour ceux qui ont écouté le chant des sirènes et se sont pris dans les écueils. Pour quelqu'un en particulier, c'est vrai, mais qui signifiait tout, qui porte avec lui, en Ariane, toutes les mémoires de ceux qui se sont éteints.
Sa cigarette dégringole les vingt étages de l'immeuble.
Une cigarette tombe à ses pieds, sûrement d'un balcon, là-haut. La même marque que celles qu'elle fumait avec lui, dans ces longues soirées à regarder la vie de la nuit sur le toit, à faire et refaire le monde, évoquer des futurs, des miroitements, en écoutant comme deux gamins les bruits du soir.  Sans même s'en rendre compte, elle est arrivée au pied du même bâtiment qu'il y a deux ans. Celui où elle devait le rejoindre comme bien d'autres soirs.
Il la rejoint bientôt.
Elle se remet en marche. Deux ans qu'elle court après le futur pour reprendre ce que le passé lui a dérobé. Elle a encore un long chemin devant elle, une éternité entre le présent et le futur
0 notes
philonhisway · 8 years ago
Text
Écrin du vide
Il se souvient
Les odeurs, les sons... Le goût surtout.
Le regard dans le vague, un sourire léger au coin des lèvres, mais les yeux tristes. Non, pas tristes. Perdus. Il n’y a pas que son regard qui est égaré par ailleurs : ses yeux, ses deux miroirs de l’âme (pour reprendre l’expression. Est-ce le cas ? Spéculez.), son cœur surtout, sont perdus. Ses pupilles semblent se fixer sur quelque chose qui n’est plus là, mais devrait y être. Elles ne cherchent pas ce qui aurait du combler ce vide dans l’air, cela lui aurait demandé une énergie dont il ne dispose plus depuis bien longtemps : il se contente (enfin, “se contente” est un bien grand terme, il n’est pas assuré qu’il y trouve un quelconque contentement. Lui même ne sait pas, il ne réfléchit pas) de fixer le creux de l’écrin, l’air faisant office de velours rouge qui enrobe précieusement la gemme et l’épouse pour la protéger (quel merveilleux amant que l’écrin !) en espérant, peut-être, que le vide se remplisse, avec quelque chose, n’importe quoi. Evidemment, rien ne remplira exactement cette cavité aussi bien que ce qui l’occupait précédemment, jusque dans ses moindres recoins, ses courbures, ses couleurs, ses rires... A part peut-être du sable, un sable qui lui coulerait entre les doigts, finalement à la manière de ce qui occupait le vide plus tôt et qu’il n’avait su garder contre lui. 
Mais cette errance ne semble pas l’inquiéter, ou le faire paniquer. Non pas qu’elle ne l’affecte pas, mais il regarde le vide avec une telle intensité qu’il semble se l’approprier, le faire tout à lui, le faire entrer dans son être. Et puisqu’il n’y a pas de place pour le vide et le reste en lui, il donne, il offre à qui veut son sourire, sa joie, le doré de son coeur et le cristal de son âme. Il les pose un peu négligemment par terre , pas trop loin tout de même, et son regard se tourne vers l’intérieur, contemplent le vide, son vide. Le vide qu’on lui a laissé, rien que pour lui. Il le dévore des yeux, s’aventure à l’effleurer... Mais le vide refuse de se laisser remplir et rejette sa présence, bien qu’il soit en lui. 
Il jette un coup d’oeil à l’extérieur : les petites boîtes qu’il a retirées pour faire de la place au creux sont toujours là, même s’il semblerait que quelqu’un ait donné un coup de pied dans l’une d’elles. Quelle importance ? Il ne compte pas les réutiliser de sitôt. 
Il retourne en lui.
0 notes
philonhisway · 8 years ago
Text
Ivresse
Douce sensation de légèreté fébrile
Due au fonctionnement d’un unique neurone sur mille
Me voilà parti pour de tremblantes rimes plates
Sans même savoir où va ce texte qui traîne la patte.
A trois grammes dans chaque bras je prends la plume ce soir 
Malgré ma promesse de ne plus jamais boire
Le nombre de pieds incertain traduit l’état
Qui m’inspire soudain l’envie de tout mettre à plat
Ivresse enchanteresse qui me délie la langue
Regard amusé sur ce drôle de monde qui tangue
Regard effervescent comme cette blonde mousse
Ivresse que je soupçonne de venir de ma douce
Enivrance tumultueuse de ta majesté 
Si mystique que certains mots je dois inventer
Et que pour rimer je dois comme Yoda parler
Ce poème n’a plus aucun sens, banane flambée.
Amour, ivresse, sensations jumelles en mon corps
Qui ne comprend la perfection de ta beauté
Grisé par toute la désinvolture de tes traits
Il se laisse sombrer dans cet océan d’or
J’aime tes lèvres, Saint Graal du nectar divin,
J’aime ta peau, ses frissons tourbillonnant sans fin
Et s’arrête ici cette imposture sirupeuse
D’un ivre imbriaque pâmé de son amoureuse.
3 notes · View notes
philonhisway · 8 years ago
Text
Opium
♫ Dans le port de Saïgon est une jonque chinoise
Mystérieuse et sournoise dont nul ne connaît le nom ♫
Les clapotis de l’eau mêlés au brouhaha des quais, des vendeurs à la sauvette rentrant chez eux et les marins dépensant leur solde en tord-boyaux local à deux dông maintient la baie d’un des ports de Saïgon dans une forme de torpeur. Les lumières oranges suspendues au-dessus des pontons dans leurs lanternes en terre cuite projettent de larges ombres, vacillantes sur la surface de l’eau, et leur teinte sème le trouble dans l’esprit embrumé du voyageur qui ignore où commence le rêve et où finit le réel. À l’écart de l’agitation environnante de la nocturne cité, sous les planches d’un navire asiatique aux voiles trouées, couvertes de mousse et dont la coque rugueuse offre un habitat aux moules, se joue un autre spectacle, plus onirique encore que celui de la surface.
♫ Et le soir dans l’entrepont, quand la nuit se fait complice
Des européens s’y glissent cherchant des coussins profonds ♫
Une silhouette furtive glisse sur le pont et, avec un regard par-dessus l’épaule, s’engouffre dans les cales. Rien ne perturbe le vision calme de cette vieille jonque à part les allées et venues de ces âmes perdues, qui ne cherchent qu’un peu de repos et - pourquoi pas ? - un peu de rêve.
♫ Opium ! Poison de rêve, fumée qui monte au ciel
C’est toi qui nous élève aux paradis artificiels ♫
Mollement ancrés dans les couvertures épaisses, des voyageurs fatigués ouvrent la bouche pour relâcher le nectar vaporeux. Chaque soir de nouveaux arrivent. On les reconnaît, ce sont les plus nerveux. D’autres partent, gagnent le nouveau monde par la mer, ou l’autre monde après la bouffée de trop. Personne n’y prête attention. Seuls les rêves comptent. L’épais brouillard envahit à heure fixe les cales de son onirique senteur et de son morne gris, semblable à ceux qui le crachent : des rêveurs désabusés. Pour seule témoin la lune, qui voit parfois monter une volute de fumée depuis une écoutille.
♫ Je vois le doux visage, les yeux de mon aimée
Parfois j’ai son image dans un nuage de fumée ♫
Un homme sanglote sous un duvet. Il vient là chaque soir, il ne parle pas. Il fume, et il pleure. Il pleure sa douce, partie trop loin - à moins que ce ne soit lui qui ait pris le large, il ne sait plus. La doucereuse toxine lui dévore les neurones et il s’en délecte, moitié fou, moitié exalté, moitié nostalgique. Quand on consomme de l’opium à cette dose, on est davantage qu’un seul. On dépasse ses frontières. Celui-là les a définitivement effacées, et il ne compte pas les réécrire.
0 notes
philonhisway · 8 years ago
Text
De nuit
Dans la chaleur étouffante de mes draps, mais tout de même cramponnés à eux,
Parce qu'ils m'offrent une protection, un contact,
Quelque chose qui manque,
La lumière de mon téléphone qui tente de me rappeler au jour
Diffuse sur l'oreiller, ma joue, ma gueule ensommeillée
Des tentatives désespérées de prolonger l'existence de l'activité diurne
Mais ça y est, c'est trop tard, c'est la nuit
Elle est noire, elle est belle, elle est profonde
On tente de la faire reculer à grands coups de lampadaire dans la mâchoire mais elle reste aux aguets, comme une panthère qui rode derrière les rideaux verdoyants de la jungle,
Sauf que sa jungle à elle c'est les draps,
Pas ceux étouffants que je porte, non, ceux bien plus voluptueux de la ténèbre,
Elle enveloppe elle s'infiltre elle glisse sous la peau
Mais pas comme le froid qui te prend à la gorge comme un salaud, te donne des coups de rasoir sur le visage jusqu'à ce qu'il en soit rouge,
Plutôt comme un corps qui se colle au tien en délicatesse, comme un amant qu'on découvre chaque soir
Jamais le même visage jamais la même odeur jamais la même profondeur
Pourtant toujours lui
Je tâte son corps, il frôle le mien,
Je sais pas trop comment j'ai fait je suis déjà dehors en pyjama
Y a un type bizarre qui doit penser que j'suis bizarre à me balader à moitié à poil comme ça dehors
Mais qu'est-ce que tu veux on n'a pas les mêmes besoins, toi t'as ta clope moi j'ai ma nuit
Et elle est belle putain dans ses draps noirs qui sentent l'ébène, impalpable comme la fumée de l'opium qui empoisonne mes rêves et pleine des mêmes promesses,
Tout aussi toxique bien sûr parce que je me dézingue comme un sapeur mais elle m'emplit les poumons court sous mes veines,
Et c'est pas demain la veille que j'irai en désintox, ah non
J'aime trop son écrin opaque, elle me donne l'impression d'être une perle qu'on garde secrète, une bague qu'on veut cacher pour mieux la révéler après au grand jour
Sauf que moi le jour tu vois il me réussit pas trop, je suis pas vraiment nacré ou doré,
Mais plutôt
Rouillé sclérosé névrosé
Mais tant que Pandore ouvre pas sa boîte,
J'suis pas obligé d'lui sauter à la gueule avec mes tic et mes claques
Je peux, plonger encore dans les eaux infinies que cache la boîte, plus grande à l'intérieur, infiniment
Même que celle-là aussi elle permet de voyager, enfin j'sais pas si vous voyez,
Ca vous est déjà arrivé de rêver ?
Vous me dites oui comme si c'était naturel, mais putain c'est beau,
Et tant qu'on vole dans les abîmes de cette coquille de velours qu'est-ce qu'on risque puisqu'on se réveillera forcément, qu'est-ce qu'on a à perdre à laisser la nuit prendre le dessus et nous tirer plus loin, plus profond, et pas se retourner parce que les statues de sel j'ai déjà donné merci
Alors avant que le téléphone sonne, fait moi voir encore plus d'obscurité, cache moi encore plus de choses que je ne saurais jamais l'imaginer, étale moi des ténèbres plein la gueule et laisse moi rêver.
0 notes
philonhisway · 8 years ago
Text
Un sapin dans la forêt
Ca gueule, oui. Ca crie, certes. Ca fait du bruit, encore une fois nous sommes d'accord. Mais en aucun cas on ne peut dire que cinquante étudiants abreuvés, alcooliquement anesthésiés et absurdement accoutrés, braillards à souhait, à tort et à travers puissent chanter. Et pourtant, cela fait bien dix minutes qu'un bus de ces étranges créatures braille « Dans la forêt, y a un sapin, y a un sapin dans la forêt » sans discontinuer, à l'exception de ces quelques secondes durant lesquelles l'attention s'est concentrée sur un seul homme : le chauffeur. Scandant « le rond-point ! le rond point ! » comme une (large) portée d'enfants gâtés en manque de sucreries, les bipèdes (plutôt réduits à l'état de quadrupèdes par un fort taux d'éthanol dans leurs flux sanguins) étaient à la fois vociférant et suspendus aux gestes du conducteur qui allait-peut-être les exaucer. Ce que, bon joueur, il ne se priva pas de faire, sa récompense étant une ovation dont l'enthousiasme en aurait surpris plus d'un au vu du maigre exploit – un tour complet du giratoire en autocar.
Assis vers l'arrière du bus, je prends le temps d'apprécier la situation. Écouter mon corps, celui des autres, la lumière, les voix… Même si l'odeur principale consiste en un mélange de sueur et de houblon brut de décoffrage, je la laisse imprégner mes capteurs olfactifs. Ce bus qui me ramène vers chez moi part d'un endroit qui y ressemble drôlement. Derrière ma tête, une chaise brinquebale et menace de heurter une partie des occupants des rangées voisines à chaque tressautement du véhicule. La lumière commence à décliner entre les arbres, mais il fait très largement jour encore. Les vêtements sont bariolés, les visages aussi, mais surtout les yeux : ils brillent, pétillent, rayonnent ; ils scrutent, dansent, chantent ; tous sourient. Ici, un gladiateur en carton. Là, une mère Noël avec pas mal de poil sur le torse et une jolie barbe. Plus loin, le lapin blanc d'Alice. Moi dans tout ça, un rayon bleu, longueur d'onde perdue d'un arc-en-ciel éclaté, vagabondant au milieu de ce patchwork multicolore. Chez moi, partant de chez moi, allant vers chez moi, parce qu'entouré, au passé comme au futur (et ne parlons pas du présent) de toute cette joyeuse et imbriaque lumière, qui m'est aussi bien étrangère que familière.
Je me sens vivant. Je prends une bouffée d'air (tiède), comme avant une apnée, avant de quitter ma contemplation doucereuse. J'aime ces moments suspendus, où l'esprit soudain se désolidarise du corps meurtri par les kilomètres et le bruit, prend congé de cette enveloppe malmenée pour un peu plus de légèreté, prendre de l'altitude, contempler ces grands enfants de carnaval et de bohème, comme un vagabond regarde ses frères autour du feu se reposer du chemin parcouru, comme une mère couve du regard ses enfants en train de découvrir la vie, comme un bambin regarde ses aînés sans comprendre quel jeu ils sont en train de jouer.
Un rayon de soleil perce à travers un feuillage. Et je replonge.
Ce n'est pas que la vie reprend son cours : c'est qu'elle me reprend à son bord comme on attrape un retardataire par le col pour qu'il monte dans le train en marche. Ca secoue, mais de ces secousses qui fait se sentir vivant, et heureux de l'être.
Je regarde ma voisine chanter, ses yeux polychromes, cet arc-en-ciel que nous sommes en train de vivre, et la suis : « … dans la forêt. Dans la forêt, y a un sapin ; y a un sapin dans la forêt... »
1 note · View note
philonhisway · 8 years ago
Text
Faut-il libérer les fous ?
Deux heures quarante-sept du matin. Mes yeux peinent à regarder l'écran, pleurent presque devant la lumière artificielle qui jaillit de la télévision, projetant directement sur nos rétines les images d'un monde qui m'appelait, qui me hurlait de le rejoindre, de danser sur la table avec les Hobbits et de parcourir les vastes étendues de la Terre du Milieu, pourchassant les gobelins et les wargs, l'épée brandie du bout de mon bras affermi par l'entraînement à l'escrime elfique. J'avoue n'être qu'à moitié réceptif : les bras de Morphée sont si confortables qu'on s'y laisserait volontiers glisser pour une éternité ou deux…
Mais je me ressaisis : quel crime odieux que de s'endormir devant l'oeuvre des maîtres Tolkien et Jackson ! Surtout à quelques instants d'un des passages les plus connus de la trilogie, moins pour la scène que pour sa seule ligne de dialogue rendue culte par l'usage.
Je confesse que, jusqu'à ce soir, je n'avais vu ces films que dans leur langue maternelle, en compagnie de puristes qui aurait hurlé au blasphème devant une traduction, et de n'avoir jamais eu le loisir de m'attarder sur leur version française. Reprenant un peu de contenance, je me penchais en avant, comme pour mieux entendre les mots qui allaient être prononcés par Gandalf dans sa descente aux enfers avec le Balrog, avide de savoir comment ils avaient été traduits… On y était ! Le Graal allait m'être offert...
« Fuyez, pauvres fous. »
… Fuyez, pauvres fous ? Fuyez, comme fuir ? Pauvres, comme démunis, à la rue, sans le sou ? *soupir* Que la langue de Molière (et de Damasio) put commettre un tel affront envers sa cousine saxonne me faisait voir plus rouge que la Flamme d'Udûn. Ce n'est pourtant diable pas compliqué ! Fly, you fools ! Pas besoin d'avoir fait une licence de langue pour comprendre qu'à l'heure qu'il est, la rotation exercée par le cadavre de sir Tolkien sur lui-même est suffisante pour alimenter tous les téléviseurs diffusant cette ignoble traduction, en plus du studio de doublage qui l'a autorisée !
Ah, vous ne voyez pas ? Pour vous il n'y a aucun souci ?
Cela m'attriste, car cela signifie pour vous qu'il n'y a pas de différence entre fuir et voler, et qu'un fou est nécessairement pauvre, suppliant, éthéré. Cela signifie pour vous qu'un fou n'a pas le droit de déployer ses ailes. Cela signifie, pour vous, que le fou est condamné à rester enfermé sur sa diagonale, noire ou blanche, et à se faire décapiter par une reine, libre de tous ses mouvements quant à elle.
Chers amis, devant vous aujourd'hui je veux proclamer que les fous doivent être libérés.
Attardons nous tout d'abord sur ce qu'est le fou. L'ami Robert nous informe que le fou n'est pas d'abord celui qui est atteint de troubles mentaux, mais l'individu extravagant, qui a un comportement étrange, contraire à la raison. Ainsi donc, la maladie mentale ne serait, de nos jours, qu'un sous-ordre de la folie. Ne faites pas vos vierges effarouchées : je vous entends à longueur de journée dire « il est fou ce garçon », ou encore « c'était complètement dingue ce concert », et je suis pratiquement certain que votre artiste préféré ne s'est pas déplacé jusque Saint-Anne pour jouer devant une foule en délire – littéralement.
Ainsi donc, ce que vous appelez folie, c'est la différence incompréhensible, et heureux êtes-vous de vous être placés du bon côté de la ligne blanche !
Constatant il y a plusieurs siècles de cela, que de certains individus, la compréhension vous était interdite, vous leur avez donné un nom. Les fous. Ceux qui sont  condamnés à se déplacer en diagonale sur les cases de l'échiquier. Ceux qui ressentent « trop » intensément, voient « trop » loin, veulent « trop » fort. Ceux qui vous font peur, parce qu'ils n'ont jamais prêté attention aux lignes et aux cases dont vous prétendez qu'il leur en manque puisqu'ils ne veulent pas s'y enfermer.
Contrairement à nous. La folie s'est bel est bien déjà libérée, elle est affranchie du joug de la raison. Plus légère que l'atmosphère pesante de sanité qui nous contraint sur la terre ferme, la folie s'envole vers la stratosphère, loin de toute gravité, propulsée par les sentiments. Parmi lesquels, sans surprise, on retrouve l'amour, dont le plus ardent est bien souvent celui qu'on qualifie de fou. On est dingue de quelqu'un, on en est fou amoureux, et alors l'amour ne devient plus un verrou, il devient des ailes. Libéré par l'amour, rendu aérien par son absence d'attaches, on ne regrette plus les folies que l'on commet pour l'être aimé. J'invoque une maxime que vous utilisez à tort et à travers : « l'amour a ses raisons que la raison ignore ». L'amour a des raisons qui ne suivent pas la raison. L'amour est fou. Si l'espérance est la plus grande de nos folies, et le rêve la plus douce, l'amour en est la plus belle.
Voilà le beau triolet de la folie : amour, espoir, rêve. Personne n'est plus libre qu'un amoureux transi, qu'un indécrottable optimiste ou qu'un doux dormeur éveillé. Pourtant, qu'est-ce qu'on a pu s'en prendre à ces figures, moquées, bafouées par la sacro-sainte raison ! Qu'est-ce qu'on a pu traîner dans la boue leurs noms ! Enfermer les fous dans des asiles ne nous suffisait plus, il fallait aussi les cadenasser sous le titre de la médiocrité ! L'Histoire nous apprend pourtant que ce sont eux qui ont mené les plus belles aventures, les plus beaux combats. L'amour du Christ, l'espoir de Gandhi, le rêve de Martin Luther King… Croyez-vous qu'ils auraient pu en faire tant s'ils avaient écouté les chuchotements insidieux de la raison, qui s'infiltre telle l'humidité dans les fondations des entreprises et pourrit les charpentes, jusqu'à ce qu'il ne reste que ruine et regrets ? La folie des grandeurs, ce n'est pas qu'un film de De Funès et Montand : c'est le kérosène des histoires qui ont fait des pas de géants pour l'humanité.
La folie ne nous dépasse pas seulement parce que sa compréhension ne nous est pas accessible, mais surtout parce qu'elle accomplit de plus grandes choses. Et parce que nous avons peur de l'incommensurable, nous nous sommes trouvés des maîtres. L'homme est cet animal fou dont la folie a inventé la raison, pour le restreindre, le rassurer, lui passer des œillères et un collier autour du cou.
Mais nous sommes grands, désormais, l'humanité est grande. Voyez les dommages qu'a fait la raison : nous piétinons sur place. Nous faisons des calculs, nous étudions les probabilités par peur de commettre une infime erreur, comme un enfant qui tergiverse avant de se décider à sauter du plongeoir, parce qu'un adulte « raisonnable » lui a dit que c'était dangereux, alors qu'il ne se serait même pas posé la question si on ne lui avait rien dit. Il est temps de nous retirer les roulettes du vélo et de rouler plus loin que jamais. Déchaînons les passions, exacerbons nos sens, libérons-nous.
Nous avons enfermé les fous, leur rappelant leur condition de prisonnier jusque dans leur nom de « fous à lier », parce qu'ils nous rappelaient ce que nous étions sans la raison. Mais malgré les barreaux, rien n'a jamais pu empêcher leur esprit de voguer sur des océans que nous refusions d'explorer. Les fous sont ceux qui sont déjà les plus proches de la liberté. Dès lors que nous leur aurons ouvert les portes des asiles et rendu leur éclat à leur nom, c'est eux qui viendront nous rendre la vraie liberté.
Alors, tels ces deux Hobbits qui, loin d'imaginer qu'il sauveraient le monde d'une désolation certaine, eurent le grain de folie de s'aventurer hors de chez eux, nous voleront, porté par les ailes puissantes des aigles qui ne craignent pas de se brûler les plumes. Ne fuyez pas, nobles fous : volez.
1 note · View note
philonhisway · 8 years ago
Text
Histoire obscure d’un calmar en fin de vie
“Histoire obscure d'un calmar en fin de vie.”
André ne savait pas vraiment à quoi il s'attendait après avoir écrit un tel titre. L'agencement des mots, leur rythme, leur saveur se mêlaient dans son cortex préfrontal en une ambroisie délicieuse, relevée d'une touche de poivre de Cayenne apportée par le burlesque de la signification finale. Et il se tenait là, face à son joli titre. Comme bien souvent, il n'avait réfléchi à rien avant de propulser sur le papier, plus vite qu'un spéculateur novice ne dégaine sa carte bancaire à Wall Street, les mots qui s'étaient percutés dans son esprit en formant une gerbe d'étincelles et de petits cotillons, ceux qui sont particulièrement énervant à ramasser en pleine gueule de bois le matin du nouvel an.
André était amèrement fier de la métaphore qu'il venait de faire éclore : les cotillons, c'est bien gentil, mais encore faut-il savoir les lancer correctement si on ne veut pas avoir l'air profondément stupide devant ses invités, et assumer de devoir passer le balai le lendemain. Telle était son imagination : une succession infinie de réveillons et de gueules de bois. Les idées se forment et se déforment, effectuant un étrange ballet dans sa tête.
Il avait pensé « cortex préfrontal » tout à l'heure, mais à la réflexion il n'avait aucune idée d'où cela se trouvait, et se souvenait davantage d'une histoire d'hémisphères gauche et droit… Mais les mots semblaient trouver leur place dans la phrase.
Vous avez pu voir là un court extrait du fonctionnement de l'imagination d'André : la gerbe d'étincelle, la fulgurance de l'idée (pas si mauvaise, dans bien des cas) qu'il s'empressait de cristalliser en des mots à l'encre sur la première feuille qui passait à portée de tentacule. Voilà, c'est fait, étape 2 : se rendre compte qu'il n'a pas pris le temps de faire fructifier cette graine éthérée, avoir un mouvement de recul. Puis, tenter de se saisir de nouveau de l'idée première, avec autant de succès que s'il avait voulu attraper le brouillard qu'il traversait tous les matins jusqu'à sa tasse de café noir. Le cycle se termine aisément : il peste contre lui même, suce un bonbon, et son esprit reposé laisse la prochaine graine se planter avec la délicatesse d'une étoile filante (je ne sais pas si vous avez déjà vu une étoile filante atterrir, ou alunir, amarsir, aplutonir… mais c'est généralement d'une délicatesse tétrapachydermique).
Attendez, n'ai-je pas dit « tentacule » quelques lignes plus haut? Je devais vouloir dire quelque chose comme « main », vous savez, ce fabuleux outil aux pouces opposable qu'on possède en dix exemplaires. Deux. Deux exemplaires. Pas huit non plus, c'est d'un vulgaire, chez les céphalopodes… C'est ce qui embêtait André : on confondait toujours les calmars et les pieuvres, alors que tout distingue le noble teuthide de cette classe si vaste et grossière, ce fourre-tout (plutôt  fourre-tentacules, pensa-t-il pour lui-même) que désigne le nom vernaculaire de « poulpe » ! Mais encore là n'est pas la question, car on n'a ni huit ni dix, mais bien deux mains, avec cinq doigts, fois deux, c'est-à-dire dix pour ceux qui dormaient, au fond… Ou voulait-il en venir déjà ?
Encore une fois il s'était perdu, dans les méandres tentaculaires de son esprit, et s'il rêvait des anneaux de Saturne, c'est accroché à ceux, bien plus visqueux et moins féériques, d'un bras lovecraftien, qui l'entraînait à l'opposé des étoiles que ses circonvolutions cérébrales ressassaient des pensées benthiques… Peu à peu il sombrait, dans des profondeurs obscures, loin des astres et proche des algues, et il regardait s'obscurcir avec lui l'idée de frôler les calmars. Elle s'éteignait, l'étreignait, l'étouffait, si bien qu'il ne faisait plus qu'un, le corps flasque et l'esprit pas mieux loti, avec l'histoire obscure d'un calmar en fin de vie.
0 notes
philonhisway · 8 years ago
Text
Doit-on tout tenter ?
La sentence avait était assénée avec plus de violence encore qu'un 49.3, puisqu'elle ne laissait entendre aucune possibilité de motion de censure.
Papa et  Maman se tenaient devant moi, avec leur tête de « on-est-déçus-alors-on-met-les-poings-sur-les-hanches », tandis que je me balançais d'une jambe sur l'autre, les lèvre pincées, signe que j'étais pressé d'en finir.
Oui, bon, à leur décharge, j'étais couvert de boue et de diverses substances organiques non identifiables, à force de faire des concours de dérapages dans les flaques du terrain vague où les copains du quartier se retrouvaient tous les jours. Mais tout de même, être privé de sortie pour un peu de terre sur mes vêtements ?
Il est vrai que j'étais un enfant turbulent, et les fois où je suis rentré avec mes habits intacts et immaculés se comptaient sur les doigts d'un manchot. Si bien que je connaissais par coeur l'enchaînement des arguments bulldozer que Maman allait me réciter pour me convaincre que j'étais un mauvais garçon. On en arrive d'ailleurs à mon passage préféré : « Et si tous tes copains se jetaient du haut du pont, tu te jetterais aussi du haut du pont ? »
« Maman, je pense que je serais même le premier à sauter, pour voir ce que ça fait. » Ca m'a valu plusieurs séances chez le pédopsychiatre. Mais ma réponse n'a pas changé, et est restée immuable au fil des années. Imaginez la tête de ma pauvre mère quand elle a appris, 15 ans plus tard, que je m'étais effectivement jeté du haut du pont. Et que je recommençais chaque semaine, un élastique accroché aux pieds, que de temps à autres je faisais l'équilibriste entre deux immeubles et que j'escaladais parfois des falaises à mains nues…
Oui, j'avais décidé que tout ça, je le ferai, parce que, entre nous, que vaut la vie si on ne tente rien ? J'irai même plus loin : que vaut la vie si on ne tente pas tout ?
« Tenter le tout pour le tout », « Qui ne tente rien n'a rien », « Tenter le diable », pour ne citer que les plus connues : nombreuses sont les maximes qui nous enjoignent à tout tenter, à tout mettre en œuvre.
Car pour mettre en œuvre, pour se dire vraiment qu'on a voulu façonner de ses mains la réalité, à si faible échelle que ce soit, il faut tout tenter, déployer toutes ses tentatives, tous ses atouts, toutes ses ailes, alors seulement on a essayé pour de vrai. On ne change pas le monde avec de l'eau tiède. Qu'a-t-il inventé d'ailleurs, celui qui a trouvé l'eau tiède ? Quelle est la place de la demi-mesure dans un projet ? Au rebut.
L'enjeu n'est pas la réussite : c'est la pleine tentative qui la précède, elle ou sa sœur l'échec. Oui, l'échec, eh bien ? Ce mot fait-il si peur pour que sa simple évocation fasse trembler les fondations des plus belles aventures qui ne verront jamais le jour ?
Combien de fois vous êtes vous dit « c'est au-delà de mes capacités » ? A tort ou à raison, cela est égal : combien de fois avez-vous cru voir, au loin, une ligne blanche tracée au sol, et derrière, votre objectif, et vous êtes-vous dit « Ah ! Ce n'est pas pour moi », plutôt que de voir si cette ligne blanche n'était faite que de peinture – que vos peurs auraient tracée ? Cela ne vaut-il pas le coup d'aller voir soi-même ? Pas une fois, pas deux fois, mais à chaque fois ?
Se l'interdire, c'est vouloir rester idiot.
Joseph Fourier, pour ne pas citer un inconnu, disait : « On commence par dire : cela est impossible, pour se dispenser de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce qu'on ne le tente pas. »
Je parle de tenter des choses pour réaliser un projet – parce que c'est votre projet – mais cela est valable à plus forte raison pour la vie, rien que ça. On s'interdirait de tenter ce dont on rêve, ou au contraire, ce qui nous effraie – au nom de quoi ? De la tempérance ? De la raison ? Où est la raison de celui qui se cramponne à ses certitudes et ne veut pas tenter ce qu'il ne connaît pas ?
« Je crains l'homme d'un seul livre », et celui qui a dit ça n'était pourtant pas homme à tenter le Diable, même avec Dieu.
Tout tenter, tout traverser, franchir toutes les frontières, découvrir de nouveaux pays, de nouvelles couleurs. A-t-on déjà vu un arc-en-ciel monochrome ? Si la lumière blanche est si pure, c'est qu'elle est composée d'une multitude de facettes, décomposée par le prisme des expériences. Et c'est parce qu'elle est si riche qu'elle rend possible l'abondance, qu'elle permet aux plantes de synthétiser la vie. Il en est de même pour nous. Penser sur plusieurs longueurs d'ondes, c'est rendre fertile toutes les idées, même les plus folles, même celles que le diable ne voudrait tenter. Même, et surtout, si ça signifie se retrouver la tête en bas avec pour seule ligne de vie un élastique tendu plusieurs mètres au dessus du vide.
Car au fond, vous en avez envie. « Oh, comme il dessine bien ! » « Oh, quelle chance il a d'avoir visité ce pays ! » « Oh, comme j'aimerais essayer, moi aussi. » Le sentez-vous, cet appel de l'aventure, cette attraction naturelle vers l'inconnu ? Combien de fois vous êtes vous demandés si vous n'êtes pas passés à côté de quelque chose ? Trop de vies ne sont pas vécues, s'évanouissent dans un simple « non » prononcé sans grande conviction, par habitude sociale. YOLO, comme disent les jeunes. Derrière cet acronyme rendu insipide par l'usage, une vérité : on ne vit qu'une fois. On ne vit que maintenant. Il n'est pas possible, et Dieu sait que j'ai pu le souhaiter, de remonter sa ligne temporelle pour refaire un choix, pour vivre ces miroitements que l'on a aperçus au détour d'un choix – refusé. Nous faisons des choix, et nos choix nous font. Cela n'est pas un mal, mais demande de l'attention de notre part : il nous faut vivre notre vie, en croquer le coeur à pleines dents, pas la survoler hâtivement, en effleurer la surface. Il nous faut répondre présent, habiter notre corps et nos décisions.
A m'entendre parler de tout vivre, j'entends déjà la voix grondante de l'opposition : « Mais comment ? Faire l'apologie de la frivolité ? Cet homme a-t-il seulement connu la civilisation pour oser penser cela ? ». Je vous rétorquerais bien volontiers de n'avoir voulu entendre dans mes mots que ce qui vous plaisait. Je dis bien qu'une vie doit être vécue avec intensité et sans les frontières que l'on s'impose ordinairement. Mais celui qui veut tout vivre sans profiter de ce qu'il est en train d'accomplir, celui-ci est perdu car il a encore moins vécu que les autres.
Le second argument qu'on m'opposera, chers amis, est la question du « tout ». On ne peut pas tout tenter, on ne peut pas diviser une infinité de possibilités par le temps limité que nous avons ici bas, c'est impossible. Et vous avez raison. Tout simplement parce que nous n'entendons pas la même chose dans ce « tout ». Qu'est-il, ce tout ? A la fois le bon et le mauvais, l'accessible et le – prétendument – inaccessible, le rouge et le noir ?
Non, ça n'a pas de sens, humainement en tous cas. Non, je vous demande d'imaginer l'être humain comme une mélodie, tantôt piano, staccato ou fortissimo… Et, si vous avez fait un peu de solfège, vous savez que toute composition est régie par une gamme, qui malgré un nombre limité de notes, se dérive en une quasi-infinité de possibilités rythmiques. Alors, de même, lorsque nous quittons notre gamme, nous pouvons paraître dissonants. Hors de ce qui nous définit. Et il n'y a pas de mal à cela, en effet comment savoir quelle gamme nous compose, si nous ne prenons pas le risque, comme je le disais tantôt, d'en explorer les limites et les environs ? Il est même possible d'en jouer de manière pertinente, de faire de cette fugue avec les limites son ode à la vie. C'est bien comme cela que le jazz naquit : par goût de l'impertinence. Mais gardons à l'esprit que si nous nous sentons dissonant, si nous percevons un décalage entre nos actes et ce que nous voulons être, c'est que nous atteignons les limites de notre portée, de notre nous, de notre tout. Tout tenter, c'est explorer ce qui est nous dans les moindres recoins, marcher sur la corde raide de nos limites, et savoir quand s'arrêter, quand être en harmonie.
Notre temps a tous est limité, mon temps est limité, et il est des choses que j'aurais voulu tenter sur cette scène, mais m'en suis-je donné les moyens ? Une question plus importante, peut-être : ai-je des regrets, d'avoir voulu trop rester sur ma portée, ou de m'en être trop éloigné ? D'avoir fait trop de dérapages dans le terrain vague à côté de chez moi, ou pas assez dans ce discours ? Mes amis, je voudrais vous laisser avec ces mots, pour que vous puissiez les faire résonner dans chaque note de la chanson que vous écrirez jour après jour : « Peut-être la seule chose que l'on puisse faire, c'est de finir avec les bons regrets. »
0 notes
philonhisway · 8 years ago
Photo
Tumblr media
Fibonacci all day, every day [http://bit.ly/2jiUBF6]
44K notes · View notes
philonhisway · 8 years ago
Text
Oblique en pot n°1 (Exercice Oulipo)
Un pot. C'est tout bête un pot, ce n'est qu'un creux avec des bords. On met des trucs dedans, on le casse, on le recolle, on le jette. On le retourne, on l'émaille, on l'use, on se le met sur la tête pour les plus audacieux.
Un pot en oblique, autant dire que les applications sont limitées, pas vrai ?
Un pot candide qui s'est engagé à cultiver notre jardin
Un pot qui regarde vers le ciel pour s'en donner les moyens,
et un autre qui sait précisément ce qu'il cible.
Un pot pour recueillir nos soupes quand nous iront vers l'automne, vieux que nous sommes,
et quand l'hiver sera là, au feu qui réchauffera nos os pour d'autre breuvages ira le pot.
Celui-ci tout lisse, aseptisé, qui se joue de nos trait tirés par la haine dans son monde (de) plastique(s).
Qu'il se taise ! Conjectures irrecevables par centaines, qui dupe-t-il ?
Un pot obscène ! Qui gratte aux fenêtres des filles à la peau d'or et qui trouve ça normal !
Une dernière gorgée de thé, et enfin il ose se lancer là, vers les étoiles des yeux des autres.
Un pot fleur bleue, maintes fois recollé les morceaux quand il éclate en sanglots de terre cuite.
Encore un, qui se damne en rêvant ses vies de princesses aux robes de soleil et de lune
Un, par malchance, absent de nos vies, créant le manque si creux.
Ouvert au monde, sûrement trop : morose d'empathie et ubiquité des sentiments.
Abandonné, délaissé, ce pot-là fêlé dans son amour propre abandonné sur le trottoir tel un déchet.
Lézardé de fragilités, zélé, mais le combat sous les ormes d'été prend fin sur cette ultime oblique.
0 notes