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La voix humaine
C’est un tête à tête tellement étrange, l’écriture. Un ping-pong où la réplique ne vient que de nous. Et pourtant, on peut quand même être surpris. Et puis, avec ce confinement qui débute, rester à la maison revient surtout à resserrer les rangs entre soi-même et soi. Cette introspection, il va falloir l’étirer vers l’expérience spirituelle. Ce silence, il va falloir refuser de le rendre insupportable. Il y a quinze jours, au bord de l’épuisement émotionnel, je n’aurais intimement voulu que ça. Dans mes rêves d’à lors, c’est à peine si je sortais une main timide d’une couette molletonnée. « Laissez moi là, dans cette cabane ouatée à l’abri du monde ». Il y a quinze jours, j’étais persuadée que je venais de vivre le pire week-end de l’année, je me confinais dans un coin de mon canapé pour pleurer. Le monde cacophonait sous ma fenêtre. Moi, j’étais bien avec mes fantômes, avec Guillaume Dustan et Jean Cocteau, Hervé Guibert, Daniel Darc. Il y a quinze jours, j’ai impulsivement jeté mon téléphone au sol, depuis je pianote sur un écran ébréché et j’ai les doigts qui saignent.
Ma note iPhone du 1er mars dit « Ne laissons pas le monde nous étriquer l’âme. » J’ai relu cette phrase aujourd’hui. J’ai ris de moi : cette phrase dit vrai sur un tout autre sujet.
Aujourd’hui, c’est comme si 10 ans, une vie, un siècle, étaient passés en deux semaines. Cette voix au téléphone, par exemple. Je pensais que je ne m’en remettrais pas. Ou qu’elle ne me parviendrait plus. Ou alors juste pour me martyriser sans le vouloir. Mais non. Je me recompose, il le faut. Je me rassemble et je me maintiens droit. Les affects personnels sont soigneusement rangés dans un tiroir que j’ouvrirais peut-être dans trois mois. Maintenant n’est pas le temps de l’égo : question de dignité et de priorités. Je me diffracte totalement. La voix humaine atteint bien quelque chose là-bas, mais étouffée par un obstacle, une déflagration virale qui prend toute la place. La voix, je la comprend à peine. Elle n’est pas mon alliée, et malgré tout ce que j’ai pu espérer, elle n’est pas mon alter. Je me repli sur ma blessure pour l’anesthésier. Je ne veux ni la voir ni la sentir. Le repli va être long. Déjà je ressens les prémisses de l’abrupte. Abrupte silence dans mon appartement de femme vivant seule, bien que cette solitude soit pleinement choisie. Abruptes la peur et la colère. Les vulnérables, l’absence de prise en charge dans les squats, dans les prisons. Cette horrible pensée qui retire le sommeil “pourvu que les médecins ne soient pas forcés de trier, pourvu que les médecins ne soient pas forcés de trier...” Je n’ai pas le droit de partager ces pensées avec la voix qui me manque au téléphone. Pour trouver du sens et ne pas craquer, il faut communier à un autre endroit. Prendre de la hauteur ensemble, c’est à dire avec des millions de personnes qu’on ne tutoie pas mais qui partagent un moment historique. Je ne dois pas me disperser de ce fil tendu, collectif. Un ami écrivait tout à l’heure « Annuler tout. Payer tout le monde ». Le monde de demain, peut-être, fera cela. Le monde de demain se rappellera que pour sauver des vies, ce sont les travailleuses du care, si souvent humiliées, qui ont risqué la leur. Et aussi ce soir, je pense à Act-up. Je pense à leurs slogans qui vivaient le Sida comme une guerre. A Gwen Fauchois et à son beau texte « La réduction des risques et la solidarité, c’est nous ». Ca veut dire que ce n’est pas toi à 20h, non. Toi, tu n’es pas du bon côté du combat. Tu arrives juste à mettre ta guerre en miroir d’un espace Schengen anéanti. Toi, tu as participé à la destruction de tout ce qui fonde notre solidarité collective et ce ne sera jamais ton monde qui prendra soin de nous. La colère que tu amènes, je la garde pour demain et les jours d’après. Pour l’instant, je lis et je refuse de produire. Je regarde les mésanges bleues par la fenêtre de mon salon. Je m’habitue avec joie à l’absence de travail et je veux bien croire qu’on traversera cela sans perdre notre humanité, qu’on prendra soin enfin et collectivement de notre classe et de nos communautés marginalisées, loin de votre toute puissance incapable. Pour l’instant, il y a cette chanson de Daho qui passe comme un souffle feutré : Me manquer (Londres en été). Et par pudeur je le dis en anglais… Miss you baby.
#confinement#communion#daho#cocteau#actup#care#pastravailler#silence#pandemic#coronavirus#quarantine#socialdistancing
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Meilleure version
J’essaye.
Mon voisin tond la pelouse et un parfum de chlorophylle arrive jusqu’à mon balcon. Une femme à l’étage du dessus chante Neverending Story devant Netflix. Merci pour cela. J’essaye de mettre mes actes en adéquation avec l’état du monde. De devenir une meilleure version de moi-même dans ce quotidien soudain beaucoup plus conscient.
J’ai en tête une mélodie désuète, Goodbye Marylou. On s’était offert un carnet qu’on s’échangeait, je caressais les pages griffées de confidences, je chérissais ce journal intime de notre relation. Puis il y a eu la distance, le rouge baiser de tes mots imprimés en lumière bleue sur mon écran et mes doigts.
Maintenant, c’est sur une page virtuelle que nous écrivons le n’importe quoi de nos pensées. J’aime découvrir les ponctuations que tu ajoutes à mes phrases parce qu’elles leur donnent le souffle court. J’aime surtout ce moment où le curseur vient s’insérer dans le mot que j’entame, où il vient l’ouvrir pour lui ajouter une syllabe. Sous cette petite bulle perfide qui indique ton action (… est en train d’écrire), je devine les tensions de tes clavicules et le mouvement de tes mains. Enfermées par la force des choses, on se crée des sensualités insoupçonnées.
Le temps s’étire hors-cadre jusqu’à divaguer. Le printemps mord à ma fenêtre, je dois faire un effort pour simplement le contempler. Comment en suis-je arrivée là ? Comment me suis-je à ce point pliée au rythme sans repos de mon travail et de mes activités militantes ? Je dois tout réapprendre loin des chambres d’hôtel, immobilisée sur ce parquet, entre ces murs, dans les sons de mes voisins que je ne connais pas. En une semaine, nous sommes tous sortis de l’ordinaire. La vie dans ce salon n’est plus au suspens d’une productivité inutile. Le paradoxe est de redécouvrir ce que ça fait, un tête à tête avec soi-même. Je me répète quelques mantras, comme à chaque fois que je sens le vertige me traverser. « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, mais le difficile qui est le chemin ». « Un jour ou l’autre, on est tous le chien de quelqu’un » « Et avec toi c’est sur, que je m’ennuyais pas »
La lumière est belle, elle m’invite à faire le vide. Souffler un peu pour une fois.
Il y aurait eu de la place pour l’amour.
#confinement#journal intime#contemplation#personal diary#pandemie#pastravailler#quarantine#socialdistancing
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