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Camus : En quoi le consentement s'oppose-t-il à la résignation ?
ĂMISSION â Camus : âconsentir, câest ne pas se rĂ©signerâ Jeudi 23 novembre 2017 FRANCE CULTURE Camus, ou consentir pour mieux se rĂ©volter : en quoi le consentement sâoppose-t-il Ă la rĂ©signation ? Avec Marylin Maeso Philosophe et essayiste Dire oui pour mieux dire non, consentir pour mieux se rĂ©volter : câest une façon de dĂ©crire la philosophie dâAlbert Camus. Cette derniĂšre nous accompagneâŠ
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Marylin Maeso : « Au motif dâexpurger les prĂ©jugĂ©s, on infantilise le lecteur et on appauvrit la littĂ©rature »
La profession de « lecteur en sensibilitĂ© » qui, aux Etats-Unis, se propose de traquer dans les manuscrits tout ce qui est susceptible dâoffenser une minoritĂ©, substitue aux prĂ©jugĂ©s une autre forme dâappauvrissement, sâinquiĂšte, dans une tribune au « Monde », la philosophe.
Tribune. On a tort de dire que « lâart se moque de la morale », selon la formule consacrĂ©e. Câest occulter la longue lignĂ©e des artistes engagĂ©s qui ont insufflĂ© Ă leurs Ă©crits lâincisivitĂ© de lâĂ©pĂ©e, fiers quâils Ă©taient dâapporter leur pierre Ă lâĂ©difice des justes combats. Mais se mettre au service dâune noble cause nâest pas sây asservir. La nuance rĂ©side dans lâentiĂšre libertĂ© que le crĂ©ateur prĂ©serve farouchement, quitte Ă sâattirer les foudres de ses contemporains.
Ce dĂ©bat millĂ©naire est aujourdâhui relancĂ© par le phĂ©nomĂšne des « sensitivity readers » amĂ©ricains, recrutĂ©s par des Ă©crivains ou Ă©diteurs pour repĂ©rer et expurger des manuscrits toute expression de prĂ©jugĂ©s susceptibles de heurter la sensibilitĂ© des lecteurs issus de minoritĂ©s. Un reportage a Ă©tĂ© rĂ©cemment consacrĂ© par France 24 Ă ces « relecteurs en sensibilitĂ© ».
Doit-on voir en ces relecteurs les dignes hĂ©ritiers dâHugo, clamant, dans son William Shakespeare : « Ah ! esprits ! soyez utiles ! servez Ă quelque chose. Ne faites pas les dĂ©goĂ»tĂ©s quand il sâagit dâĂȘtre efficaces et bons. Lâart pour lâart peut ĂȘtre beau, mais lâart pour le progrĂšs est plus beau encore » ? Ou ne sont-ils que les rejetons de la tranchante Anastasie ?
Faire un sort aux stéréotypes
Si lâobjectif est de sortir la littĂ©rature de ses orniĂšres pour lui imprimer les aspĂ©ritĂ©s bigarrĂ©es qui donnent tout son relief Ă lâhumanitĂ©, force est de constater que nombre dâauteurs nâont pas attendu lâĆil des sensitivity readerspour, dans leurs Ćuvres, faire un sort aux stĂ©rĂ©otypes. Songeons au roman de Virginie Despentes King Kong ThĂ©orie (Grasset, 2006), qui dĂ©chire le carcan de lâĂ©ternel fĂ©minin en parlant « pour les moches, les frigides, les mal baisĂ©es, les imbaisables, toutes les exclues du marchĂ© de la bonne meuf » et dynamite son pendant masculin, ce « piĂšge pour les deux sexes » dĂ©construit par Olivia GazalĂ© dans Le Mythe de la virilitĂ© (Robert Laffont, 2017).
Songeons Ă©galement au roman autobiographique Je sais pourquoi chante lâoiseau en cage, publiĂ©, en 1969, par Maya Angelou, figure du mouvement amĂ©ricain pour les droits civiques, oĂč elle dĂ©montre par lâexemple le pouvoir transformateur et libĂ©rateur de la littĂ©rature contre le racisme.
Quant Ă la littĂ©rature jeunesse, si importante dans la formation des esprits qui ont besoin de pouvoir sâidentifier Ă des personnages pour se construire sans complexes, le diptyque Les filles peuvent le faire⊠aussi !/Les garçons peuvent le faire⊠aussi !, de Sophie Gourion et Isabelle Maroger (GrĂŒnd, 2019), prolonge dignement un travail salutaire de dĂ©poussiĂ©rage. Il invite les enfants Ă faire fi des stĂ©rĂ©otypes de genre et Ă ne pas censurer leurs goĂ»ts et leurs envies par crainte dâĂȘtre socialement stigmatisĂ©s : on nâest pas moins fille en pirate quâen princesse, et pas moins garçon en danseur Ă©toile quâen pompier.
Appauvrissement de lâart
Mais la dĂ©marche des sensitivity readers est tout autre. Il ne sâagit plus de combattre les poncifs en opposant aux ĆillĂšres une fenĂȘtre ouverte sur un monde pĂ©tri de nuances et de diffĂ©rences, loin des clichĂ©s en noir et blanc qui vident le rĂ©el de sa chair, mais de leur substituer une autre forme dâappauvrissement. Appauvrissement de lâart, dâabord, sommĂ© de se plier Ă la loi du marchĂ©, aiguillonnĂ©e par des rĂ©seaux sociaux dĂ©sormais nantis du pouvoir de faire annuler des commandes dâĂ©diteurs Ă la force de lâindignation collective.
La peur de la censure, si bien intentionnĂ©s soient les motifs de cette derniĂšre, nâa jamais fait bon mĂ©nage avec la libertĂ© crĂ©atrice. En particulier dans un contexte oĂč le second degrĂ© et le jeu de dĂ©calage en connivence avec le lecteur â permis par lâironie quâaffectionnaient les philosophes des LumiĂšres â sont aujourdâhui souvent dĂ©criĂ©s et accusĂ©s de servir dâalibi Ă la diffusion de prĂ©jugĂ©s coupables.
Mais câest le rĂ©el lui-mĂȘme qui fait les frais de cette restriction du domaine de la plume, puisque la suppression systĂ©matique de tout ce qui est jugĂ© potentiellement offensant Ă©quivaut Ă un retouchage en rĂšgle, Ă la façon de ces images « embellies » sur Photoshop. Croire quâon fait Ă©voluer les mentalitĂ©s en effaçant leurs biais, nâest-ce pas se fĂ©liciter dâavoir nettoyĂ© le salon quand on nâa fait que planquer la poussiĂšre sous le tapis ? Laisser, au contraire, les prĂ©jugĂ©s sâexprimer dans lâart, câest consentir Ă ne plus dissimuler honteusement ses dĂ©fauts : une maniĂšre de jauger le chemin parcouru, et dâestimer celui qui demeure devant nous.
Câest aussi une preuve de confiance et une marque de respect envers le lecteur, quâon infantilise Ă force de vouloir lâĂ©pargner. Une littĂ©rature qui se met au diapason de la fragilitĂ© prĂ©sumĂ©e de son public peut-elle encore nous faire rĂ©flĂ©chir, nous provoquer, nous malmener pour nous inviter Ă ĂȘtre acteurs critiques de notre lecture, et non simples rĂ©cepteurs satisfaits ?
Ajout de nouveaux stéréotypes
Au-delĂ de ces inquiĂ©tudes sur le musellement arbitraire de la crĂ©ation littĂ©raire, câest la cohĂ©rence mĂȘme de lâinitiative qui doit ĂȘtre interrogĂ©e. Car confier Ă une personne issue dâune minoritĂ© donnĂ©e la charge de dĂ©terminer, pour lâensemble du groupe dont elle est censĂ©e ĂȘtre reprĂ©sentative, ce qui est ou non acceptable revient Ă ajouter de nouveaux stĂ©rĂ©otypes Ă la longue liste de ceux quâon prĂ©tend dĂ©construire.
Le paradoxe de ces relecteurs est quâils vident la sensibilitĂ© de son irrĂ©ductible singularitĂ© en prĂ©tendant Ă©tablir des Ă©talons universellement valables. Comment voir un progrĂšs dans un geste qui se veut Ă©mancipateur mais qui ne fait quâenfermer les individus dans de nouvelles cases aseptisĂ©es ? A lâheure oĂč certains pans de lâantiracisme tendent Ă sâaccommoder de la banalisation des insultes comme « nĂšgre de maison ! », « Arabe de service ! » et autres « collabeur ! » lancĂ©s Ă la figure des individus auxquels on reproche de ne pas penser et sâexprimer comme leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau le commandent, nous avons plus que jamais besoin dâun art qui assume la divergence et le refus des scripts prĂ©Ă©tablis. Pour nous rappeler que le progrĂšs collectif ne se gagne pas sur la nĂ©gation de lâindividualitĂ©, mais sur lâacceptation dâun pluralisme, qui, seul, peut empĂȘcher lâhumanitĂ© de sâĂ©puiser dans le standard. La diversitĂ© sâaffirme par lâacceptation du dĂ©saccord, et non par lâalignement forcĂ©.
Marylin Maeso est essayiste et professeure de philosophie dans le secondaire. Elle a publiĂ© « Les Conspirateurs du silence » (Editions de lâObservatoire, 2018).
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Pour la philosophe, une partie des militants se disant "intersectionnels" privilégient les indignations sélectives et trahissent le progressisme.
Il fut un temps oĂč le concept d'intersectionnalitĂ© servait Ă mettre en lumiĂšre des formes de discriminations jusqu'alors mĂ©connues parce qu'Ă©tant hybrides, elles ne s'intĂ©graient pas aux catĂ©gories prĂ©existantes. On savait caractĂ©riser un acte raciste ou sexiste, mais non la spĂ©cificitĂ© d'une discrimination touchant simultanĂ©ment une femme noire en tant que femme et en tant que noire. L'intersectionnalitĂ© avait ainsi pour raison d'ĂȘtre, et pour vertu, de nommer des injustices redoublĂ©es par l'invisibilitĂ© dans laquelle l'absence d'une terminologie idoine les plongeait.
Pourtant, Ă observer la maniĂšre dont des groupes militants français se prĂ©sentant comme intersectionnels tendent aujourd'hui, au contraire, Ă privilĂ©gier certaines luttes au dĂ©triment d'autres, on se dit que ce temps-lĂ est rĂ©volu. "IntersectionnalitĂ©" n'est plus nĂ©cessairement synonyme d'une approche vĂ©ritablement englobante des discriminations. Elle dĂ©bouche bien souvent sur leur hiĂ©rarchisation. On observe ainsi que les rassemblements organisĂ©s contre le sexisme ou contre les LGBT phobies sont le terrain de tensions autour de la crĂ©ation de cortĂšges de tĂȘte rĂ©servĂ©s aux personnes "racisĂ©es" afin de mettre cette discrimination en avant, mais qu'Ă l'inverse, les marches antiracistes n'ont pas besoin d'intĂ©grer dans leur cortĂšge ou leurs slogans les autres discriminations. De la mĂȘme maniĂšre, il est visiblement impossible, pour ce courant militant, de concevoir une manifestation contre l'antisĂ©mitisme sans aborder la question de son instrumentalisation, jusqu'Ă finir par se focaliser sur elle, voire qu'elle vire Ă la manifestation antisioniste, comme ce fut le cas en 2019 Ă MĂ©nilmontant.
L'aboutissement de cette logique a Ă©tĂ© rĂ©cemment illustrĂ© par la journaliste Lauren Bastide qui, sur son compte Instagram, a entrepris de justifier pourquoi elle refuse de soutenir Mila, jeune femme qui subit depuis janvier 2020 une vague de cyberharcĂšlement et dont quelques-uns des harceleurs viennent d'ĂȘtre jugĂ©s au tribunal. RĂ©pondant Ă ceux qui l'accusaient d'indignation Ă gĂ©omĂ©trie variable, elle dĂ©veloppe un argumentaire pour le moins insolite. Tout en reconnaissant que Mila est victime d'un cyberharcĂšlement Ă caractĂšre sexiste et lesbophobe, elle retourne l'accusation en reprochant Ă ses dĂ©tracteurs de nĂ©gliger le harcĂšlement subi par d'autres militantes et journalistes fĂ©ministes, avant de conclure par une explication aussi lapidaire que lunaire : "Je ne soutiens pas publiquement Mila parce que je ne partage pas sa vision du monde raciste et irrespectueuse des musulman-e-s de France. Et vous, vous la soutenez parce que vous partagez cette vision."
Des victimes incriminées
Selon Lauren Bastide, le soutien mĂ©diatique et citoyen massif dont bĂ©nĂ©ficie Mila serait donc le fruit d'une haine viscĂ©rale des musulmans, et non la consĂ©quence logique du caractĂšre exceptionnel de sa situation, celle d'une jeune femme (mineure au dĂ©but des faits) lesbienne qui discutait avec une amie de leurs goĂ»ts en matiĂšre de partenaires, et qui s'est retrouvĂ©e, du jour au lendemain, dĂ©scolarisĂ©e et sous protection policiĂšre. Pour justifier publiquement la sĂ©lectivitĂ© de ses soutiens, Lauren Bastide n'hĂ©site donc pas Ă falsifier le rĂ©el en repeignant en raciste irrespectueuse des musulmans une jeune homosexuelle qui n'a fait que dire ce qu'elle pensait des croyances qu'on lui avait jetĂ©es Ă la figure pour la dĂ©shumaniser en tant que lesbienne. Ce faisant, Bastide embrasse aveuglĂ©ment le narratif des harceleurs de Mila, consistant Ă exiger un respect inconditionnel des croyances religieuses, y compris quand celles-ci servent Ă cautionner une haine homophobe, et ce, alors mĂȘme que cette derniĂšre continue Ă recevoir des menaces de mort et de viol par milliers.
Quand le souci de ne pas occulter les discriminations racistes dĂ©bouche sur une vĂ©ritable fixette qui pousse Ă les imaginer lĂ oĂč elles ne sont pas ; quand l'exigence de respecter les croyances s'impose au dĂ©triment du respect des personnes que ces croyances dĂ©shumanisent, quand elles ne justifient pas leur maltraitance (thĂ©rapies de conversion), leur persĂ©cution ou leur mise Ă mort ; quand, enfin, cette confusion entre propos hostiles envers la religion et attaques envers les croyants, qui conduit Ă faire du blasphĂšme un acte rĂ©prĂ©hensible, continue Ă s'imposer dans un pays oĂč ce dernier a dĂ©jĂ coĂ»tĂ© la vie Ă la rĂ©daction de Charlie Hebdo et au professeur Samuel Paty, c'est que le carambolage Ă l'intersection des luttes fait plus de victimes que de bien. Des victimes qu'on n'hĂ©site pas Ă incriminer pour couvrir sa propre inconsĂ©quence.
Le XXIe siÚcle, décidément jamais à court de surprises, aura donc engendré sa chimÚre : le progressisme réactionnaire.
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"L'Homme révolté" d'Albert Camus : comment aimer un monde qui n'est pas aimable ?
25/06/2021 by AdĂšle Van Reeth
Web player: http://podplayer.net/?id=124910436
Episode: https://rf.proxycast.org/b36b1984-a68a-45e6-8a05-ff52e34f57a5/10467-25.06.2021-ITEMA_22711518-2021C12410S0176.mp3
durĂ©e : 00:59:24 - Les Chemins de la philosophie - par : AdĂšle Van Reeth, GĂ©raldine Mosna-Savoye - Comment se rĂ©volter sans trahir lâesprit de rĂ©volte, câest-Ă -dire sans nier la dignitĂ© humaine pour laquelle on se bat ? Peut-on se rĂ©volter dans la mesure ? - rĂ©alisation : Laurence Malonda - invitĂ©s : Marylin Maeso philosophe et essayiste
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Evidemment que le ton de Riss est emportĂ© et violent : il a peur de mourir. Ă sa place, si jâavais Ă©chappĂ© une premiĂšre fois Ă la mort et que je recevais de nouvelles menaces deux ans plus tard, jâaurais peur aussi, je serais en colĂšre, et ma prose sâen ressentirait. Et je trouve ignoble que lâon puisse lâaccuser dâinstrumentaliser les morts de Charlie Hebdo : ce sont « ses » morts, ses collĂšgues, ses bons copains, qui ont Ă©tĂ© tuĂ©s sous ses yeux, pour des caricatures du ProphĂšte jugĂ©es islamophobes. Ă sa place, si je recevais des menaces de mort Ă la pelle pour un dessin reprĂ©sentant Tariq Ramadan, et si on mâaccusait dâislamophobie et de participer, avec dâautres, Ă une « guerre aux musulmans » en se fondant sur une Une reprĂ©sentant Edwy Plenel, moi aussi, jâaurais probablement lâimpression que lâhistoire se rĂ©pĂšte, que lâon crache un peu sur les morts de Charlie Hebdo, et que lâon fait bien peu de cas de mon droit Ă ne pas vouloir mourir pour un dessin.          Riss disait, en 2015, aprĂšs l'attentat des frĂšres Kouachi contre son journal, quâ« on a le droit de ne pas aimer Charlie Hebdo ». Quâon a le droit de dire quâon nâ « est pas Charlie », du moment que câest pour de bonnes raisons et non pour lĂ©gitimer les actes des terroristes. En ce sens, je ne suis pas Charlie. [...] Et quand ce mĂȘme journal, saignĂ© une premiĂšre fois en 2015 pour des dessins jugĂ©s blasphĂ©matoires, reçoit, en 2017, des menaces de mort pour une caricature de Tariq Ramadan, et se voit accusĂ© de participer Ă une « guerre aux musulmans » suite Ă une caricature dâEdwy Plenel, jâai beau ne pas « ĂȘtre » Charlie, je suis avec Charlie, et, donc, avec Riss. Parce quâun homme qui a perdu ses amis, qui a frĂŽlĂ© la mort, et qui a peur de mourir suite Ă de nouvelles menaces, a toutes les raisons de voir de tels propos comme irresponsables et de sâĂ©nerver : câest lui, ici, qui risque sa peau. Il serait bon de sâen souvenir.  « On ne pense pas mal parce quâon est un meurtrier. », disait Camus, « On est un meurtrier parce quâon pense mal. Câest ainsi quâon peut ĂȘtre un meurtrier sans avoir jamais tuĂ© apparemment. Et câest ainsi que, plus ou moins, nous sommes tous des meurtriers ». Câest Ă ces mots que jâai pensĂ© en lisant lâĂ©ditorial de Riss, et les rĂ©actions quâil a suscitĂ©es.
Marylin Maeso dans le Blog de Mediapart
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De passage, j'en profite pour poster un sincÚre #JeSuisMila. Une jeune fille parle mal de l'islam, elle est pour cela menacée de viol et de mort, son adresse et son identité diffusées, mais à part ça, on peut critiquer les religions en France ? Vous me faites honte.
â Marylin Maeso (@MarylinMaeso) January 22, 2020
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Interview de Marylin MAESO à propos de son livre "Les conspirateurs du silence" publié dans Magazine littéraire
MARYLIN MAESO : « SUR TWITTER, QUâIMPORTE CE QUE LâON DIT, ON SERA JUGE POUR CE QUE LâON EST » Dans un vif essai, la professeure de philosophie Marylin Maeso analyse les stratĂ©gies de dĂ©bat Ă l'Ăšre des rĂ©seaux sociaux. Essentialisme, autocensure, insulte, procĂšs d'intention... Ou comment Twitter est devenu une machine Ă broyer le dialogue au profit de la polĂ©mique. Vous avez intitulĂ© votre ouvrage Les Conspirateurs du silence pour dĂ©noncer ceux qui sĂ©vissent sur les rĂ©seaux sociaux. Quâentendez-vous par lĂ ? Marylin Maeso : Rendons Ă Camus ce qui est Ă Camus. Lâexpression « conspirateurs du silence » mâa Ă©tĂ© soufflĂ©e par « Le siĂšcle de la peur », un article de 1948 paru dans Actuelles I. Camus y Ă©voque lâimpossibilitĂ© de dĂ©battre ou de dire certaines vĂ©ritĂ©s Ă une Ă©poque oĂč il serait pourtant urgent de le faire. Il fait Ă©tat dâune Ă©trange « conspiration du silence » rassemblant des gens qui ne parlent pas car ils jugent inutile de le faire ou qui tremblent Ă lâidĂ©e de sâexprimer, et dâautres qui ont tout intĂ©rĂȘt Ă ce que ce silence perdure. Impossible de parler de l'Ă©puration des artistes en URSS, parce que cela profiterait Ă lâautre camp, ou de dĂ©noncer le maintien de Franco par les Anglo-Saxons, parce que cela profiterait au communisme. « Je disais bien que la peur est une technique », Ă©crit Camus. Aujourdâhui, je dirais que nous sommes passĂ©s du « siĂšcle de la peur » au siĂšcle de lâintimidation. Lâintimidation est notamment devenue une mĂ©thode privilĂ©giĂ©e pour dĂ©stabiliser ses adversaires sur Twitter, tous camps confondus. On nâempĂȘche plus quelquâun de dire quelque chose, mais on va suffisamment le pourrir ou faire en sorte de tordre ce quâil dit pour lui couper lâenvie de dĂ©battre. Force est de constater que câest diablement efficace. Ces « conspirateurs du silence » sont-ils identifiables ? M. M. : Pour RaphaĂ«l Enthoven, en tout cas, ils ont un nom : le « Parti unanime ». Contrairement Ă la lecture qui en est souvent faite, il ne cherche, Ă travers cette expression, ni Ă Ă©pingler la « pensĂ©e unique », ni Ă fustiger une censure quâimposerait un « parti unique », et ce pour deux raisons. La premiĂšre, câest que le « Parti unanime » ne dĂ©signe pas un rassemblement idĂ©ologique, mais une sorte de courant transversal regroupant des personnes qui peuvent ĂȘtre en parfait dĂ©saccord sur le fond mais qui emploient les mĂȘmes techniques de dĂ©stabilisation. Ce sont les mĂ©thodes, pas les idĂ©es, qui fĂ©dĂšrent ses membres. La seconde, câest quâil nâest aucunement besoin de censure lĂ oĂč rĂšgne lâintimidation, car lâautocensure (que pointait dĂ©jĂ Camus dans le passage prĂ©citĂ©) y suffit amplement. Le problĂšme nâest pas quâ« on ne peut plus rien dire » (de fait, tout le monde peut dire Ă peu prĂšs tout ce quâil veut sur Twitter). Le problĂšme, câest que tant de personnes sâacharnent Ă nous attribuer des paroles et des positions qui ne sont pas les nĂŽtres. Si, Ă chaque fois que vous exprimez un point de vue, ceux Ă qui il dĂ©plaĂźt sâamusent Ă le caricaturer, voire Ă tronquer vos propos jusquïżœïżœĂ leur faire dire le contraire de ce quâils disaient, pour ensuite diffuser cette falsification Ă leurs abonnĂ©s qui la diffuseront Ă leur tour, il arrivera un moment oĂč vous nâaurez plus la force, le courage ou lâenvie de parler : Ă quoi bon sâadresser Ă des murs qui nâont pas dâoreilles, mais dix doigts mal intentionnĂ©s ? LâidĂ©e est de vous avoir Ă lâusure. Jâen fais les frais rĂ©guliĂšrement sur Twitter, et je dois dire que câest Ă©reintant, Ă la longue. Et je ne compte plus les messages reçus en privĂ©, de personnes qui me remercient dâavoir pointĂ© telle ou telle chose comme elles auraient aimĂ© le faire mais nâosent plus, lasses de voir leurs mentions se transformer en champ de bataille polĂ©mique au moindre dĂ©saccord. Reste que lâexpression de RaphaĂ«l Enthoven a un dĂ©faut, Ă mes yeux : « Parti unanime », ça fait « club » (autre terme quâil emploie, dâailleurs). Or, un club, câest un ensemble clos dont on peut sâextraire pour le combattre de lâextĂ©rieur. Si je parle de « conspirateurs du silence », câest en partie pour conjurer la fausse impression dâimmunisation quâon est tous tentĂ©s dâavoir. Il faut prendre lâexpression en son sens littĂ©ral : conspirer signifie respirer avec, or, prĂ©cisĂ©ment, la polĂ©mique, sur Twitter comme partout oĂč elle sâinsinue, est une atmosphĂšre quâon ne peut pas ne pas respirer. Il nây a plus dâextĂ©rieur. Quand on est pris dans une polĂ©mique, quâon sây jette ou quâon y soit traĂźnĂ© de force, on inspire malgrĂ© soi lâair empestĂ© Ă pleins poumons. Ainsi, nul nâest Ă lâabri de se muer en polĂ©miqueur, Ă un moment ou Ă un autre et Ă divers degrĂ©s, et de sâadonner Ă des pratiques quâon dĂ©nonçait juste avant, quand on les subissait. Camus Ă©crit dans son roman : « Je sais de science certaine [âŠ] que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde nâen est indemne. Et quâil faut se surveiller sans arrĂȘt pour ne pas ĂȘtre amenĂ©, dans une minute de distraction, Ă respirer dans la figure dâun autre et Ă lui coller lâinfection ». Il nây a pas de « club » ou de « parti » oĂč les rĂŽles seraient rĂ©partis clairement et fixĂ©s une fois pour toutes. Tout le monde peut ĂȘtre pris au piĂšge de la polĂ©mique, câest pourquoi il faut se mĂ©fier, et dâabord de soi-mĂȘme. Quelles sont leurs mĂ©thodes ? M. M. : Tout est bon pour essentialiser son interlocuteur, ne voir en lui que sa seule dimension religieuse, ethnique, son orientation sexuelle, son statut social, etc. Parfois, on le subsume carrĂ©ment sous une catĂ©gorie schĂ©matique (« islamogauchiste », « islamophobe », « rĂ©ac », « fĂ©minazie », etc.) Ă laquelle il ne correspond pas (ne serait-ce que parce quâelles-mĂȘmes ne correspondent plus Ă rien Ă force de vouloir tout dire), en fonction de certains propos quâil a tenus et quâon catalogue Ă la hĂąte. Câest le principe de lâĂ©tiquetage, qui consiste Ă coller une image Ă son adversaire pour dĂ©lĂ©gitimer dâemblĂ©e son discours : quâimporte ce que lâon dit, on sera jugĂ© pour ce que lâon est, ou plutĂŽt, en fonction de lâidĂ©e quâon se fait de nous. La rĂ©cente polĂ©mique autour du voile de la prĂ©sidente de lâUnef Paris-IV Maryam Pougetoux est exemplaire : faire parler son voile plutĂŽt quâelle, et prĂ©tendre lui attribuer Ă elle des pensĂ©es et des engagements ou non-engagements uniquement en fonction de ce quâon dĂ©duit du vĂȘtement religieux quâelle porte, câest pour moi lui faire un procĂšs dâintention. Ăvidemment quâun voile nâest pas sĂ©miotiquement neutre, pas plus quâune kippa. Et bien sĂ»r quâon peut sâopposer Ă la symbolique quâil charrie : je lâai moi-mĂȘme fait, quâil soit musulman, chrĂ©tien ou juif orthodoxe. Mais il y a une diffĂ©rence entre analyser et critiquer un symbole religieux et prĂ©tendre lire dans les pensĂ©es dâune personne qui le porte en la rĂ©duisant au statut dâobjet dont on parle au lieu de parler avec elle. Et jâai trouvĂ© incroyable que lâon puisse me reprocher de vouloir juger sur piĂšce en Ă©coutant ce quâelle dit et en mâintĂ©ressant Ă ce quâelle fait pour me faire une opinion vĂ©rifiĂ©e. Au demeurant, agir en troll â en recourant Ă lâinsulte et Ă lâattaque personnelle â reste la mĂ©thode par excellence pour crĂ©er artificiellement de la controverse et esquiver lâaffrontement direct avec son interlocuteur. Vous montrez comment ces mĂ©thodes semblent ĂȘtre devenues la rĂšgle sur les rĂ©seaux sociaux. Et comment il est difficile de les critiquer⊠M. M. : Dans une vidĂ©o intitulĂ©e « Qui en veut Ă la dĂ©mocratie ? » et publiĂ©e sur le compte Youtube de Mediapart, le chroniqueur Usul soutient que les rĂ©seaux sociaux sont le « thĂ©Ăątre des nouvelles luttes dĂ©mocratiques » et voue toute critique aux gĂ©monies « rĂ©actionnaires ». Je crois quâil faut avoir une bien piĂštre image de la dĂ©mocratie pour partir du principe que si on nâaccepte pas les insultes, le harcĂšlement (qui blesse et qui tue, ne lâoublions pas) et les menaces, câest quâon nâaime pas la dĂ©mocratie ! Refuser par principe que lâon puisse critiquer un phĂ©nomĂšne du simple fait quâil est marquĂ© du sceau dĂ©mocratique revient Ă confondre la critique et lâoffense, et Ă faire comme si dĂ©noncer les dĂ©rives dâun support de communication revenait Ă condamner ce support dans son ensemble et Ă jeter le bĂ©bĂ© avec lâeau du bain. Je vois derriĂšre ce refus de la critique des rĂ©seaux sociaux une fausse populophilie qui cache en fait le contraire. On prĂ©tend, par ce genre de discours, aimer le peuple et cĂ©lĂ©brer la libre expression des opinions divergentes, mais si on en vient Ă sâen faire une image idĂ©alisĂ©e et Ă applaudir aveuglĂ©ment un lieu virtuel oĂč un grand nombre dâindividus sâĂ©charpent Ă coups dâinvectives, dâattaques sous la ceinture, de chantage et de menaces, jâai lâimpression quâon lâinstrumentalise et quâon lâinsulte plus quâautre chose, ce pauvre peuple. Dialoguer sur Twitter est-il une expĂ©rience difficile pour une professeure de philosophie ? M. M. : Ce nâest pas pour rien quâon a fait boire la ciguĂ« Ă Socrate ! Socrate, câest lâemmerdeur professionnel (ses interlocuteurs le comparaient parfois Ă un taon), celui qui vous dit non ce que vous avez envie dâentendre, mais ce qui lui semble devoir ĂȘtre dit, sans mĂ©chancetĂ© ni complaisance. On peut tous ĂȘtre un emmerdeur, mais en faire son mĂ©tier ne va pas sans sacrifices ! Sur Twitter, oĂč le dogmatisme sâĂ©panouit, tout ce qui peut amener Ă introduire du doute et du jeu dans les certitudes sĂ©dimentĂ©es est gĂ©nĂ©ralement assez mal reçu. DĂšs quâune voix discordante tente de mettre un peu de nuance dans le dĂ©bat, une meute vient lui tomber dessus pour la ranger de force dans un camp ou dans lâautre : on nâaime pas les marginaux. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâattitude du perplexe est souvent considĂ©rĂ©e comme dĂ©rangeante. On lui reproche de rĂ©vĂ©ler ses failles Ă lâadversaire et de faire son jeu. Dans Le siĂšcle de la peur, Camus Ă©crit : « Nous Ă©touffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idĂ©es. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et dans lâamitiĂ© des hommes, ce silence est la fin du monde ». Cette forme dâallergie au dĂ©saccord comme Ă la vulnĂ©rabilitĂ© est incompatible avec la volontĂ© de dialoguer. Ă quoi sert en effet dâĂ©changer si lâon est convaincu de dĂ©tenir la vĂ©ritĂ© ? Vous dĂ©montrez quâil devient mĂȘme impossible de sâentendre sur les mots⊠M. M. : La forte polĂ©micisation de certains concepts contribue Ă dĂ©clencher des polĂ©miques. Les crispations que gĂ©nĂšre le terme « islamophobie » est illustratif du flou qui rĂšgne autour de certaines notions. Le simple fait de les discuter est perçu comme une offensive. Je suis juive, ça ne mâempĂȘche pas de discuter la pertinence du mot « antisĂ©mitisme » ! En fait, « islamophobie » et « antisĂ©mitisme » sont deux termes qui posent des problĂšmes, mais pour des raisons diffĂ©rentes. Le mot « antisĂ©mitisme » a Ă©tĂ© forgĂ© par un crĂ©tin qui faisait de « sĂ©mite » un synonyme de « juif », alors que tous les sĂ©mites ne sont pas juifs ni tous les juifs sĂ©mites. Lâemploi du mot « antisĂ©mitisme » traduit de maniĂšre courante la haine du juif alors mĂȘme quâon ne peut inclure dans ce mot tous les juifs, il est donc trĂšs mal ficelĂ©, et on le garde essentiellement parce que câest lui qui a servi historiquement Ă dĂ©signer la haine envers les juifs. Quant à « islamophobie », ce concept prĂ©sente une ambiguĂŻtĂ© diffĂ©rente, en ce quâil comporte le nom dâune religion. Certains vont donc lâemployer pour qualifier un acte ou un propos dâ« islamophobe » mĂȘme quand celui-ci relĂšve de la simple critique de la religion. LĂ oĂč les Juifs peuvent compter sur la distinction entre « antijudaĂŻsme » et « antisĂ©mitisme », il nâexiste pas dâautre mot permettant de dĂ©signer la critique de lâislam, facilitant de ce fait lâusage polysĂ©mique du mot « islamophobie ». Je dĂ©plore lâimpossibilitĂ© de pouvoir discuter de tel ou tel concept sans ĂȘtre accusĂ© de chercher Ă nier la rĂ©alitĂ© quâil dĂ©signe. Refuser de confondre le mot « islamophobie » et le racisme quâil nomme (mal, Ă mon sens) est au contraire pour moi la meilleure façon de lutter contre ce dernier, parce quâun combat efficace appelle un langage clair. Une autre plaie qui contribue Ă Ă©touffer le dĂ©bat dĂ©mocratique est le principe dâindignation Ă gĂ©omĂ©trie variable⊠M. M. : Si je dĂ©nonce les thĂšses homophobes diffusĂ©es par des tenants de La Manif pour tous, personne ne me dira que câest du racisme cathophobe. Mais si je mâindigne des propos ouvertement homophobes dâun imam prĂ©sent lors de la rencontre annuelle des musulmans de France au Bourget, je suis aussitĂŽt taxĂ©e dâislamophobe ! Ce genre de procĂšs dâintention est Ă©puisant, et malhonnĂȘte au possible, parce que totalement hermĂ©tique aux faits. Ce nâest pas bien compliquĂ© de voir que lorsquâil sâagit dâĂ©pingler le sexisme, lâhomophobie ou le racisme, je ne sĂ©lectionne pas mes cibles en fonction de leur religion, de leurs origines ou de leurs affinitĂ©s politiques : tout le monde y passe. Mais comme le dit Camus : « Il ne s'agit pas de ce que je suis, mais de ce que, selon la doctrine ou la tactique, il faut que je sois ». On peut tout Ă fait reprocher Ă quelquâun dâinstrumentaliser une cause pour servir un agenda idĂ©ologique, du moment quâon le fait en sâappuyant sur des Ă©lĂ©ments tangibles, et non sur la volontĂ© de lui nuire coĂ»te que coĂ»te. Par exemple, quand Elisabeth LĂ©vy cosigne une tribune collective dans Le Monde qui banalise le comportement des frotteurs du mĂ©tro en lâattribuant Ă la « misĂšre sexuelle » prĂ©sumĂ©e des hommes, alors quâelle dĂ©nonçait durement un an plus tĂŽt les agressions de Cologne dans lesquelles elle voyait la preuve dâun choc des civilisations, on peut lui reprocher dâavoir lâindignation sĂ©lective et de ne faire preuve dâintĂ©rĂȘt et de comprĂ©hension envers les problĂ©matiques fĂ©ministes quâen fonction de lâorigine des agresseurs. Ou encore, quand Madjid Messaoudene dĂ©cide, aprĂšs avoir fustigĂ© les « mĂ©thodes de fachos » de ceux qui Ă©taient allĂ©s fouiller le compte de la chanteuse Mennel pour ensuite rĂ©clamer en masse son Ă©viction de The Voice, de faire subir le mĂȘme sort Ă un adolescent dĂ©jĂ en proie Ă un harcĂšlement massif en jetant ses tweets en pĂąture sur Twitter sans lui laisser une chance de sâexpliquer et en allant jusquâĂ lui faire un procĂšs dâintention en racisme sur la base de son seul emploi du mot « communautĂ© » (pour dĂ©signer ses abonnĂ©s). Faites ce que je dis, pas ce que je fais⊠Vous consacrez le dernier chapitre de votre livre Ă Houria Bouteldja. En quoi la trajectoire de son livre Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de lâamour rĂ©volutionnaire fait la dĂ©monstration de la stratĂ©gie de polĂ©micisation que vous dissĂ©quez dans les chapitres prĂ©cĂ©dents ? M. M. : Houria Bouteldja et moi sommes aux antipodes lâune de lâautre. Et parce que son livre est volontairement excessif, sur le fond comme sur la forme, la polarisation des rĂ©actions quâil a provoquĂ©es Ă©tait prĂ©visible. Pour lâessentiel (Ă de rares exceptions prĂšs), lâopinion publique sâest dĂ©chirĂ©e entre des dĂ©tracteurs qui sâentĂȘtent Ă diffuser massivement les passages les plus outranciers de son livre mais qui passent sous silence les questions pertinentes quâil soulĂšve, et des soutiens qui fustigent lâacharnement dont Houria Bouteldja fait lâobjet Ă leurs yeux en accusant les opposants de survoler son livre, mais sans jamais eux-mĂȘmes sây plonger, ne serait-ce que pour expliciter les dĂ©saccords quâils disent avoir avec son contenu. Mon objectif Ă©tait de crĂ©er les conditions dâun dĂ©bat honnĂȘte avec elle, en produisant une critique prĂ©cise et dĂ©taillĂ©e du contenu de son livre, afin de substituer le dialogue Ă lâĂ©ternel retour des polĂ©miques qui accompagne ses prises de parole ou les invitations Ă parler quâelle reçoit. Et dans la mesure oĂč lâessentialisme est au cĆur des dĂ©rives que je mets en Ă©vidence dans mon livre, je ne pouvais pas faire lâimpasse sur un texte qui brasse tout le monde dans la machine essentialiste, Ă commencer par les « indigĂšnes » eux-mĂȘmes, ses « frĂšres » et « sĆurs » quâelle dit pourtant vouloir dĂ©fendre contre le racisme. Houria Bouteldja vous a-t-elle rĂ©pondu ? M. M. : Non. Du moins, pas encore. La porte est toujours ouverte pour un dĂ©bat !
Propos recueillis par Simon Blin https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/idees/marylin-maeso-twitter-importe-dit-juge-pour-est-
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VIVRE EN LITTĂRATURE ET POĂSIE : CES AUTEURS QUI SONT COMME DES COACHS ?
ARTICLE DostoĂŻevski, Camus, Maupassant⊠pourquoi ils sont les meilleurs coachs pendant les coups durs La littĂ©rature nous montre le mal incarnĂ©, bien mieux que la philosophie ou la thĂ©ologie. Dans « Pourquoi le mal frappe les gens bien ? », FrĂ©dĂ©rique Leichter-Flack nous explique ce que nous apportent les grands auteurs dans lâadversitĂ©. Ouest-France Marylin Maeso le 09/03/2023 « Et lâherbeâŠ
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Suis-je donc la seule Ă trouver pour le moins hallucinant que lâon puisse parler dâislamophobie et de « guerre aux musulmans » au sujet dâune Une (explicitement incriminĂ©e par M. Plenel) qui ne fait aucune allusion ni Ă lâislam, ni aux musulmans ? M. Plenel serait-il donc devenu un symbole islamique ? Le reprĂ©sentant de tous les musulmans de France ? Si, lorsque Charlie Hebdo critique Edwy Plenel au sujet de son rapport Ă Tariq Ramadan (Ă lui seul, et Ă personne dâautre), le journaliste sâestime autorisĂ© Ă parler dâislamophobie, alors, quâil le veuille ou non, il entĂ©rine lâidĂ©e que câest en tant que musulman lambda que Tariq Ramadan est attaquĂ©, et non en tant que Tartuffe violeur, idĂ©e dont jâai montrĂ© quâelle reposait sur une prĂ©misse essentialiste fallacieuse. Non, Tariq Ramadan nâest pas un musulman lambda : câest un prĂ©dicateur mĂ©diatique et puissant [...] accusĂ© de viols. Non, il ne reprĂ©sente pas les musulmans et nâest pas le « hĂ©ros des jeunes maghrĂ©bins des banlieues », pour reprendre le titre confondant de bĂȘtise raciste dâun article du Figaro, dâailleurs modifiĂ© entre temps.
Marylin Maeso dans le Blog de Mediapart
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A l'occasion du Forum France Culture "L'annĂ©e vue par les savoirs" Ă la Sorbonne, Emmanuel Laurentin anime cette table ronde autour de la question : "le goĂ»t du clash a-t-il remplacĂ© le dĂ©bat public ?" Pour en discuter, Christian Salmon, Ă©crivain, (essayiste, auteur notamment de "Storytelling : la machine Ă fabriquer des histoires et Ă formater les esprits", Ă©d. La dĂ©couverte, 2007), Marylin Maeso, Professeure de philosophie, essayiste, (auteure de "Les conspirateurs du silence", Ă©d. l'Observatoire, 2018), et Pauline Escande-GauquiĂ©, sĂ©miologue, maĂźtre de confĂ©rences Ă Sorbonne UniversitĂ© Celsa, (co-auteure de "Monstres 2.0, lâautre visage des rĂ©seaux sociaux", Ă©d. François Bourin, 2018). Retrouvez par ici plus d'informations relatives au Forum France Culture : https://www.franceculture.fr/evenement/forum-france-culture-le-temps-des-conflits Abonnez-vous pour retrouver toutes nos vidĂ©os : https://www.youtube.com/channel/UCd5DKToXYTKAQ6khzewww2g/?sub_confirmation=1 Et retrouvez-nous sur... Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
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Le blog de MARYLIN MAESO
MARYLIN MAESO
6 billets
Jeanne Guien et RaphaĂ«l Enthoven : on n'est pas sorti de la caverneâŠ
5 juin 2018| Par MARYLIN MAESO | 4 commentaires | 7 recommandés
On mâa interpellĂ©e sur Twitter au sujet du billet de Jeanne Guien. Nombreux sont ceux qui lâont estimĂ© excellent, et certains mâont reprochĂ© de le trouver, pour ma part, mauvais et dĂ©cevant, m'accusant de ne pas ĂȘtre objective sur le sujet. Je vais donc honorer lâengagement que jâai pris et expliquer pourquoi, Ă mes yeux, ce billet nâest pas ce quâil prĂ©tend ĂȘtre.
This ainât Hollywood, hunâŠ
25 févr. 2018| Par MARYLIN MAESO | 2 commentaires
Une petite discussion au sujet des agressions sexuelles et des discours sur l'auto-défense, en réponse à la chronique que Raphaël Enthoven a consacrée à ce sujet le 19 février 2018.
Lettre aux conspirateurs du silence
25 févr. 2018| Par MARYLIN MAESO | 2 commentaires | 1 recommandé
Ă l'attention des Ă©nervĂ©s et des dogmatiques qui prĂ©fĂšrent prĂȘcher avec virulence que discuter avec nuance : vos interlocuteurs ne sont pas des punching balls, ils ne vous doivent rien, sinon le mĂȘme respect que vous leur devez en retour, et si c'est trop vous demander, alors - circulez. Si vous ne savez pas vous exprimer sans hurler et insulter, c'est que vous n'avez rien d'intĂ©ressant Ă dire.
Rapport Mathiot sur le bac: quel avenir pour la philosophie?
26 janv. 2018| Par MARYLIN MAESO | 9 commentaires | 6 recommandés
Suite à la publication du rapport Mathiot sur la réforme du baccalauréat et de l'organisation des enseignements du lycée prévue pour 2021, des voix discordantes se sont élevées quant aux implications de cette réforme pour l'enseignement de la philosophie. Je propose une analyse détaillée du rapport mettant l'accent sur le caractÚre flou et tùtonnant des propositions avancées pour la philosophie.
Je ne suis pas Charlie, donc, je suis avec Charlie
15 nov. 2017| Par MARYLIN MAESO | 38 commentaires | 46 recommandés
La polĂ©mique actuelle autour de l'affaire Ramadan interdit tout vrai dĂ©bat. En guise de discussion de fond, les procĂšs par articles et tweets interposĂ©s fleurissent. Impossible de dire quoi que ce soit, de poser une question, et surtout, de faire rĂ©sonner la moindre nuance, sans ĂȘtre automatiquement rangĂ© de force dans un camp et jugĂ© en consĂ©quence. Essayons, malgrĂ© tout.
Contre un mur: chronique dâun dĂ©bat sisyphĂ©en sur antisionisme et antisĂ©mitisme
22 juil. 2017| Par MARYLIN MAESO | 94 commentaires | 22 recommandés
La polĂ©mique soulevĂ©e par les propos d'E. Macron au sujet de lâantisionisme a rĂ©cemment suscitĂ© sur twitter, par ricochet, des Ă©changes pour le moins houleux qui ont mis en Ă©vidence la difficultĂ© quâil y a Ă aborder ce sujet autrement que sous les tristes auspices de la caricature et de lâinvective. Ce texte revient sur lâune de ces discussions, afin dâen dĂ©gager les enjeux et les enseignements.
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La tendre indiffĂ©rence du monde Ă propos de : Laurent Bove, Albert Camus. De la transfiguration â Pour une expĂ©rimentation vitale de lâimmanence, Publications de la Sorbonne par Marylin Maeso , le 19 fĂ©vrier 2015
http://www.laviedesidees.fr/La-tendre-indifference-du-monde.html
Dans une Ă©tude novatrice, qui redonne toute leur place aux Ă©crits de la premiĂšre pĂ©riode, Laurent Bove propose de voir en Camus un penseur de lâimmanence et de lâacquiescement Ă la joie du monde. Cette lecture donne tout son sens Ă la rĂ©flexion de Camus sur lâhistoire, mais tend Ă effacer les ruptures dâune Ćuvre en perpĂ©tuelle tension.
RecensĂ© : Laurent Bove, Albert Camus. De la transfiguration â Pour une expĂ©rimentation vitale de lâimmanence, Publications de la Sorbonne, collection « La philosophie et lâĆuvre », Paris, 2014. 168 p., 19 âŹ.
Il est commun de situer le point de dĂ©part de la philosophie camusienne dans la prise de conscience du non-sens de lâexistence (Le mythe de Sisyphe serait en cela son premier texte proprement philosophique, illustrĂ© par ses pendants littĂ©raires que sont Caligula et LâĂ©tranger), et de voir dans la rĂ©volte la thĂ©matisation dâun dĂ©passement, dâune sortie hors de lâabsurde dont Camus dit quâil ne peut ĂȘtre quâun seuil oĂč nul ne saurait demeurer. Telle serait la philosophie camusienne : une fĂȘlure tragique qui se retourne en force, un divorce dâavec le monde qui dĂ©bouche sur une fraternitĂ© universelle rendue manifeste par la rĂ©volte. Dans une telle optique, on ne saurait voir dans Lâenvers et lâendroit et dans Noces, textes qui dĂ©peignent la beautĂ© solaire de lâAlgĂ©rie et les lieux chĂ©ris de lâenfance, autre chose que des essais littĂ©raires oĂč lâauteur sâadonne Ă la jouissance et la contemplation insouciantes, en-deçà ou au-delĂ de toute rĂ©flexion philosophique. Câest contre une telle interprĂ©tation binaire que sâinscrit le livre de Laurent Bove, qui est dĂ©cisif en ce quâil dĂ©gage un fil conducteur philosophique qui irrigue lâensemble de lâĆuvre de Camus dĂšs les premiers Ă©crits. Il ne sâagit pas pour autant de rajouter une philosophie de jeunesse aux deux grandes Ă©tapes (lâabsurde et la rĂ©volte) que lâon reconnaĂźt ordinairement dans la philosophie de Camus, mais plutĂŽt de dĂ©gager un mĂȘme souffle philosophique qui traverse toute lâĆuvre, de Lâenvers et lâendroit au Premier Homme, et qui nourrit les thĂ©matiques centrales de lâĆuvre de Camus : lâabsurde, la rĂ©volte, lâamour.
Camus, penseur de lâimmanence
Il y a dans les Ă©crits de Camus, selon Laurent Bove, un « processus subversif de la puissance immanente » (p. 14), subversif en ce quâil dĂ©construit les chimĂšres engendrĂ©es par le dĂ©sir asservi Ă un objet â par exemple, lâamour qui cristallise lâĂȘtre aimĂ© en un sujet façonnĂ© par lâimagination, ou celui qui identifie le corps de lâautre Ă un objet que lâon peut possĂ©der et exploiter pour sa propre jouissance â pour Ă©laborer une pensĂ©e de lâĂȘtre-au-prĂ©sent rĂ©vĂ©lant la vĂ©ritĂ© des corps et de la sympathie qui les unit, vĂ©ritĂ© charnelle qui, comme eux, « doit pourrir » (p. 49). Cette philosophie de lâimmanence, traduisant et cĂ©lĂ©brant un monde du « câest ainsi » dont Laurent Bove ne manque pas de relever les accents spinozistes, se trouve dĂ©clinĂ©e au fil des Ćuvres Ă travers le motif dâun Christ dĂ©thĂ©ologisĂ© qui, « du Christ-Ressuscitant de Piero della Francesca Ă la transfiguration dans LâHomme rĂ©voltĂ©, en passant par le personnage de Meursault, ce ââseul Christ que nous mĂ©ritionsââ, expĂ©rimente et parcourt le plan dâimmanence dynamique que construit, de fait, lâĆuvre de Camus » (p. 15). Ce fil dâAriane mis en Ă©vidence par Laurent Bove a non seulement le mĂ©rite de faire apparaĂźtre une philosophie omniprĂ©sente dans tous les Ă©crits de Camus, mais aussi de montrer la nĂ©cessitĂ© de relire les textes que lâon croit, souvent Ă tort, bien connaĂźtre, Ă commencer par LâĂ©tranger. Contre une interprĂ©tation trop unilatĂ©rale qui fait de LâĂ©tranger le roman de lâabsurde et de Meursault lâarchĂ©type de lâhomme absurde rejetant les codes illusoires imposĂ©s par la sociĂ©tĂ© au prix dâun naufrage progressif dans un nihilisme passif, Laurent Bove rĂ©vĂšle un autre visage du personnage qui sâimpose de plus en plus tout au long du roman, celui dâun homme sâabandonnant à « la tendre indiffĂ©rence du monde », embrassant la vĂ©ritĂ© des corps mortels et libĂ©rĂ© par lĂ de lâespoir et des illusions des autres, Ă©tranger non pas au monde mais Ă lâimage dĂ©formĂ©e et vaine que sâen font les hommes. Comme le souligne Laurent Bove, « le parcours de Meursault va ainsi de lâexpĂ©rience du vide, de son aptitude Ă dĂ©saffecter lâunivers des mythes et des sentiments qui y sont assujettis, Ă celle de la densitĂ© et de la diversitĂ© rĂ©elle du rĂ©el, en lui-mĂȘme et en dehors de soi » (p. 36), car de mĂȘme que les visages sans expressions des personnages de Piero della Francesca, « ââtĂ©moinsââ dâune vie sans espoir ni consolation » (p. 62) manifestent ce quâil y a de plus authentiquement humain bien plus fidĂšlement que les larmes que les concitoyens de Meursault lui reprochent de ne pas avoir versĂ©es, de mĂȘme Meursault ne se sera peut-ĂȘtre jamais senti aussi libre que lors de son sĂ©jour en prison. LibĂ©rĂ© de la faussetĂ© des mythes et des stĂ©rĂ©otypes sociaux, le voilĂ rendu Ă la vĂ©ritĂ© essentielle des corps et de leur sympathie silencieuse, celle que partagent, fugacement, la mĂšre et son fils dans la scĂšne du parloir. Lâanalyse que propose Laurent Bove est dâautant plus importante quâelle Ă©tend son travail de relecture Ă lâouvrage qui est probablement le moins compris et qui fut le plus controversĂ© en son temps, Ă savoir LâHomme rĂ©voltĂ©. Face aux lectures biaisĂ©es dâun Sartre ou dâun Jeanson qui voyaient dans lâessai de 1951 le vain cri du cĆur dâune belle Ăąme prĂ©fĂ©rant demeurer en marge de lâhistoire au lieu de sây compromettre, Laurent Bove montre que lâarticulation essentielle de la pensĂ©e de lâimmanence et du consentement au monde avec celle la rĂ©volte, loin de rendre celle-ci inefficace et Ă©thĂ©rĂ©e, constitue le seul fondement solide dâune communautĂ© humaine vivante. Ce nâest en effet que par une identification abusive de lâhistoire (comme civilisation) Ă lâHistoire guidĂ©e par les grandes idĂ©ologies nihilistes (totalitarisme soviĂ©tique, nazisme, franquisme) que lâon peut taxer Camus dâanhistorisme, lĂ oĂč il ne fait que rĂ©tablir les droits de la premiĂšre, proprement humaine et crĂ©atrice, sur la seconde, meurtriĂšre et mensongĂšre. En sâopposant au fantasme de la totalitĂ© qui, parce quâil sacrifie les corps sur lâautel dâune hypothĂ©tique humanitĂ© unifiĂ©e par la rĂ©volution, rend toute vĂ©ritable relation impossible, Camus thĂ©orise avec la notion de rĂ©volte lâidĂ©e dâun ĂȘtre-avec ontologiquement ancrĂ© dans lâempathie spontanĂ©e face Ă la douleur humaine et aux affects partagĂ©s. Aussi ne faut-il pas comprendre le cogito camusien « Je me rĂ©volte donc nous sommes » comme un principe moral abstrait, mais bien comme lâaffirmation dâune Ă©galitĂ© dâĂȘtre qui fonde la solidaritĂ© entre les hommes. Câest cet esprit dâune communautĂ© humaine immanente, dĂ©barrassĂ© des illusions dont sont porteuses les idĂ©ologies totalitaires, que Camus retrouve dans certains phĂ©nomĂšnes historiques qui ont marquĂ© lâĂ©criture de LâHomme rĂ©voltĂ© : la rĂ©sistance, la Commune de Paris, le socialisme libertaire et les actions des rĂ©volutionnaires russes de 1905. Camus, en dĂ©pit des critiques que lui adresse Sartre, ne sacrifie donc pas lâengagement politique Ă lâexigence morale, lâhistoire Ă la nature, mais rĂ©affirme au contraire la rĂ©alitĂ© charnelle et immanente de cette histoire, dâune histoire oĂč il sâagit de « sauver les corps » contre les machines idĂ©ologiques et Ă©tatiques qui les broient au nom dâun messianisme rĂ©volutionnaire. La rĂ©volte camusienne est celle du « dĂ©sir sans objet », câest-Ă -dire du dĂ©sir refusant dâĂ©lever la rĂ©volution ou son aboutissement au rang de fin dĂ©terminĂ©e, car câest alors que tous les moyens se trouvent justifiĂ©s et que le nihilisme installe son rĂšgne. Telle est la transposition qui donne son titre au livre de Laurent Bove : la subversion dâune histoire gangrĂ©nĂ©e par le nihilisme en renaissance historique via la solidaritĂ© des corps.
Transfiguration ou rupture ?
Ă lâissue de cette lecture de lâessai de Laurent Bove, un certain nombre de questions surgissent cependant, qui mĂ©ritent dâĂȘtre posĂ©es. La systĂ©maticitĂ© de lâinterprĂ©tation, qui lui donne sa force et sa cohĂ©rence, nâest pas sans soulever certaines interrogations. Laurent Bove ne cache pas lâarriĂšre-plan spinoziste de sa lecture, quâil justifie par ailleurs, mais ce cadre est Ă ce point prĂ©gnant que la rĂ©serve Ă©mise en introduction, prĂ©cisant que Camus « rejetait certes le principe rationaliste [de la philosophie spinoziste] et aussi son refus du hasard » (p. 12) ne semble pas vraiment prise en compte ; il faudrait se demander sâil ne sâagit lĂ que dâune diffĂ©rence mineure ou bien si elle permet de donner sens Ă certaines tensions de lâĆuvre de Camus qui sont parfois dĂ©crites dans lâessai de Laurent Bove comme des contradictions. Ainsi, L. Bove affirme que la mĂ©fiance de Camus envers toute mĂ©taphysique immanentiste quâil soupçonne de dĂ©boucher inĂ©vitablement sur une trahison de lâabsurde fait « obstacle, chez lui, Ă lâaccĂšs Ă une sagesse philosophique de type matĂ©rialiste ou naturaliste » (p. 49, note) et explique les « affirmations philosophiques contradictoires de Lâenvers et lâendroit (Ă©crit en 1935-1936) et du Mythe de Sisyphe (en chantier depuis 1938 et terminĂ© dĂ©but 1941) » (ibid.), ce qui a empĂȘchĂ© Camus dâembrasser la sagesse immanentiste qui se dĂ©gage pourtant de ses Ćuvres. Nâest-ce pas lĂ prĂ©supposer que Camus aurait dĂ» lâadopter pleinement et exclusivement, ce qui ne peut ĂȘtre affirmĂ© quâen Ă©valuant la philosophie de Camus Ă lâaune dâune autre, ce qui nâest pas sans poser un problĂšme Ă©vident ? On pourrait penser que la philosophie camusienne, qui est non pas systĂ©matique mais faite de tensions et de questionnements incessants, articule en son sein ces tendances comme autant dâexpĂ©riences vĂ©cues, auquel cas ces contradictions seraient lâexpression dâune complexitĂ© existentielle. En quoi est-il contradictoire de cĂ©lĂ©brer lâexpĂ©rience dâune unitĂ© avec le monde dans Lâenvers et lâendroit et de tĂ©moigner de lâexpĂ©rience de rupture quâest lâabsurde dans Le Mythe de Sisyphe, dans la mesure ou les deux peuvent ĂȘtre vĂ©cues Ă diffĂ©rents moments de lâexistence, comme en tĂ©moignent les Carnets oĂč des passages de doute et de dĂ©pression succĂšdent Ă des pĂ©riodes dâaffirmation et de cĂ©lĂ©bration ? Ă moins de figer lâabsurde et la pensĂ©e de lâimmanence dans des doctrines exclusives (ce qui ne serait pas fidĂšle Ă lâesprit de la pensĂ©e camusienne), il paraĂźt possible de concevoir une articulation complexe, sans cesse questionnĂ©e et retravaillĂ©e, entre ces deux dimensions prĂ©sentes dans lâĆuvre de Camus. Le mythe de Sisyphe dĂ©bute sur le problĂšme du suicide, dont il est difficile de rendre compte exclusivement Ă partir dâune philosophie de lâacquiescement. Pourrait-on alors se contenter de lâĂ©carter comme faux problĂšme, en partant du principe que ce geste radical est fondĂ© sur une vision illusoire du monde et de lâexistence, ĂŽtant par lĂ toute pertinence aux questionnements existentiels ? Nâoublions pas que si Le mythe de Sisyphe est effectivement, comme le rappelle lâauteur, postĂ©rieur Ă Lâenvers et lâendroit, sa genĂšse et celle de LâĂ©tranger, oĂč il dĂ©cĂšle les ferments dâune pensĂ©e de lâimmanence, sont quant Ă elles simultanĂ©es, ce qui nous inciterait Ă penser que Camus ne renie pas une philosophie au profit de lâautre, mais que les deux cohabitent, pour ainsi dire, dans une tension perpĂ©tuelle qui est caractĂ©ristique de sa pensĂ©e. La philosophie de lâabsurde que dĂ©veloppe Le mythe de Sisyphe passe au second plan dans le livre de Laurent Bove, qui finit par lui substituer lâabsurde compris comme « choc spirituel » face Ă cette Annonciation dĂ©thĂ©ologisĂ©e esquissĂ©e au dĂ©but de LâĂ©tranger, choc qui dĂ©bouche sur un acquiescement au monde et Ă sa vĂ©ritĂ©. Mais peut-on lĂ©gitimement occulter ou minimiser cette dimension de rupture qui est pourtant centrale dans lâĆuvre de Camus ? Peut-on considĂ©rer que lâabsurde de LâĂ©tranger nâa rien Ă voir avec celui du Mythe de Sisyphe, que le monde de Meursault est simplement celui dâun « Ă©trange amour » qui « distribue tout Ă la vie et Ă ses frĂšres vivants » (p. 43) et qui servira de socle ontologique Ă la rĂ©volte, alors mĂȘme que ce roman met en scĂšne un meurtre et que la rĂ©volte dĂ©bouche sur lâaffirmation du caractĂšre injustifiable du meurtre ? Ce sont effectivement par ces aspects, par ces aspĂ©ritĂ©s, que la philosophie de Camus nâest pas purement identifiable Ă une philosophie de lâimmanence de type spinoziste quâelle inclut pourtant comme lâune de ses facettes essentielles, et il faudrait peut-ĂȘtre, pour prolonger les rĂ©flexions fĂ©condes que Laurent Bove propose dans son livre, tĂącher de comprendre comment cette dimension sâarticule avec les autres, autrement dit, redonner sa place Ă la philosophie de lâabsurde telle que Camus la dĂ©veloppe dans Le mythe de Sisyphe afin de voir comment elle peut rencontrer la pensĂ©e de la transfiguration qui traverse lâensemble de lâĆuvre sans que lâune annule lâautre et sans que cette confrontation dĂ©bouche sur une incohĂ©rence.
Pour citer cet article : Marylin Maeso, « La tendre indifférence du monde », La Vie des idées , 19 février 2015. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/La-tendre-indifference-du-monde.html
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