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Camus : En quoi le consentement s'oppose-t-il à la résignation ?
ÉMISSION – Camus : “consentir, c’est ne pas se résigner” Jeudi 23 novembre 2017 FRANCE CULTURE Camus, ou consentir pour mieux se révolter : en quoi le consentement s’oppose-t-il à la résignation ? Avec Marylin Maeso Philosophe et essayiste Dire oui pour mieux dire non, consentir pour mieux se révolter : c’est une façon de décrire la philosophie d’Albert Camus. Cette dernière nous accompagne…
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Marylin Maeso : « Au motif d’expurger les préjugés, on infantilise le lecteur et on appauvrit la littérature »
La profession de « lecteur en sensibilité » qui, aux Etats-Unis, se propose de traquer dans les manuscrits tout ce qui est susceptible d’offenser une minorité, substitue aux préjugés une autre forme d’appauvrissement, s’inquiète, dans une tribune au « Monde », la philosophe.
Tribune. On a tort de dire que « l’art se moque de la morale », selon la formule consacrée. C’est occulter la longue lignée des artistes engagés qui ont insufflé à leurs écrits l’incisivité de l’épée, fiers qu’ils étaient d’apporter leur pierre à l’édifice des justes combats. Mais se mettre au service d’une noble cause n’est pas s’y asservir. La nuance réside dans l’entière liberté que le créateur préserve farouchement, quitte à s’attirer les foudres de ses contemporains.
Ce débat millénaire est aujourd’hui relancé par le phénomène des « sensitivity readers » américains, recrutés par des écrivains ou éditeurs pour repérer et expurger des manuscrits toute expression de préjugés susceptibles de heurter la sensibilité des lecteurs issus de minorités. Un reportage a été récemment consacré par France 24 à ces « relecteurs en sensibilité ».
Doit-on voir en ces relecteurs les dignes héritiers d’Hugo, clamant, dans son William Shakespeare : « Ah ! esprits ! soyez utiles ! servez à quelque chose. Ne faites pas les dégoûtés quand il s’agit d’être efficaces et bons. L’art pour l’art peut être beau, mais l’art pour le progrès est plus beau encore » ? Ou ne sont-ils que les rejetons de la tranchante Anastasie ?
Faire un sort aux stéréotypes
Si l’objectif est de sortir la littérature de ses ornières pour lui imprimer les aspérités bigarrées qui donnent tout son relief à l’humanité, force est de constater que nombre d’auteurs n’ont pas attendu l’œil des sensitivity readerspour, dans leurs œuvres, faire un sort aux stéréotypes. Songeons au roman de Virginie Despentes King Kong Théorie (Grasset, 2006), qui déchire le carcan de l’éternel féminin en parlant « pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du marché de la bonne meuf » et dynamite son pendant masculin, ce « piège pour les deux sexes » déconstruit par Olivia Gazalé dans Le Mythe de la virilité (Robert Laffont, 2017).
Songeons également au roman autobiographique Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, publié, en 1969, par Maya Angelou, figure du mouvement américain pour les droits civiques, où elle démontre par l’exemple le pouvoir transformateur et libérateur de la littérature contre le racisme.
Quant à la littérature jeunesse, si importante dans la formation des esprits qui ont besoin de pouvoir s’identifier à des personnages pour se construire sans complexes, le diptyque Les filles peuvent le faire… aussi !/Les garçons peuvent le faire… aussi !, de Sophie Gourion et Isabelle Maroger (Gründ, 2019), prolonge dignement un travail salutaire de dépoussiérage. Il invite les enfants à faire fi des stéréotypes de genre et à ne pas censurer leurs goûts et leurs envies par crainte d’être socialement stigmatisés : on n’est pas moins fille en pirate qu’en princesse, et pas moins garçon en danseur étoile qu’en pompier.
Appauvrissement de l’art
Mais la démarche des sensitivity readers est tout autre. Il ne s’agit plus de combattre les poncifs en opposant aux œillères une fenêtre ouverte sur un monde pétri de nuances et de différences, loin des clichés en noir et blanc qui vident le réel de sa chair, mais de leur substituer une autre forme d’appauvrissement. Appauvrissement de l’art, d’abord, sommé de se plier à la loi du marché, aiguillonnée par des réseaux sociaux désormais nantis du pouvoir de faire annuler des commandes d’éditeurs à la force de l’indignation collective.
La peur de la censure, si bien intentionnés soient les motifs de cette dernière, n’a jamais fait bon ménage avec la liberté créatrice. En particulier dans un contexte où le second degré et le jeu de décalage en connivence avec le lecteur – permis par l’ironie qu’affectionnaient les philosophes des Lumières – sont aujourd’hui souvent décriés et accusés de servir d’alibi à la diffusion de préjugés coupables.
Mais c’est le réel lui-même qui fait les frais de cette restriction du domaine de la plume, puisque la suppression systématique de tout ce qui est jugé potentiellement offensant équivaut à un retouchage en règle, à la façon de ces images « embellies » sur Photoshop. Croire qu’on fait évoluer les mentalités en effaçant leurs biais, n’est-ce pas se féliciter d’avoir nettoyé le salon quand on n’a fait que planquer la poussière sous le tapis ? Laisser, au contraire, les préjugés s’exprimer dans l’art, c’est consentir à ne plus dissimuler honteusement ses défauts : une manière de jauger le chemin parcouru, et d’estimer celui qui demeure devant nous.
C’est aussi une preuve de confiance et une marque de respect envers le lecteur, qu’on infantilise à force de vouloir l’épargner. Une littérature qui se met au diapason de la fragilité présumée de son public peut-elle encore nous faire réfléchir, nous provoquer, nous malmener pour nous inviter à être acteurs critiques de notre lecture, et non simples récepteurs satisfaits ?
Ajout de nouveaux stéréotypes
Au-delà de ces inquiétudes sur le musellement arbitraire de la création littéraire, c’est la cohérence même de l’initiative qui doit être interrogée. Car confier à une personne issue d’une minorité donnée la charge de déterminer, pour l’ensemble du groupe dont elle est censée être représentative, ce qui est ou non acceptable revient à ajouter de nouveaux stéréotypes à la longue liste de ceux qu’on prétend déconstruire.
Le paradoxe de ces relecteurs est qu’ils vident la sensibilité de son irréductible singularité en prétendant établir des étalons universellement valables. Comment voir un progrès dans un geste qui se veut émancipateur mais qui ne fait qu’enfermer les individus dans de nouvelles cases aseptisées ? A l’heure où certains pans de l’antiracisme tendent à s’accommoder de la banalisation des insultes comme « nègre de maison ! », « Arabe de service ! » et autres « collabeur ! » lancés à la figure des individus auxquels on reproche de ne pas penser et s’exprimer comme leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau le commandent, nous avons plus que jamais besoin d’un art qui assume la divergence et le refus des scripts préétablis. Pour nous rappeler que le progrès collectif ne se gagne pas sur la négation de l’individualité, mais sur l’acceptation d’un pluralisme, qui, seul, peut empêcher l’humanité de s’épuiser dans le standard. La diversité s’affirme par l’acceptation du désaccord, et non par l’alignement forcé.
Marylin Maeso est essayiste et professeure de philosophie dans le secondaire. Elle a publié « Les Conspirateurs du silence » (Editions de l’Observatoire, 2018).
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Pour la philosophe, une partie des militants se disant "intersectionnels" privilégient les indignations sélectives et trahissent le progressisme.
Il fut un temps où le concept d'intersectionnalité servait à mettre en lumière des formes de discriminations jusqu'alors méconnues parce qu'étant hybrides, elles ne s'intégraient pas aux catégories préexistantes. On savait caractériser un acte raciste ou sexiste, mais non la spécificité d'une discrimination touchant simultanément une femme noire en tant que femme et en tant que noire. L'intersectionnalité avait ainsi pour raison d'être, et pour vertu, de nommer des injustices redoublées par l'invisibilité dans laquelle l'absence d'une terminologie idoine les plongeait.
Pourtant, à observer la manière dont des groupes militants français se présentant comme intersectionnels tendent aujourd'hui, au contraire, à privilégier certaines luttes au détriment d'autres, on se dit que ce temps-là est révolu. "Intersectionnalité" n'est plus nécessairement synonyme d'une approche véritablement englobante des discriminations. Elle débouche bien souvent sur leur hiérarchisation. On observe ainsi que les rassemblements organisés contre le sexisme ou contre les LGBT phobies sont le terrain de tensions autour de la création de cortèges de tête réservés aux personnes "racisées" afin de mettre cette discrimination en avant, mais qu'à l'inverse, les marches antiracistes n'ont pas besoin d'intégrer dans leur cortège ou leurs slogans les autres discriminations. De la même manière, il est visiblement impossible, pour ce courant militant, de concevoir une manifestation contre l'antisémitisme sans aborder la question de son instrumentalisation, jusqu'à finir par se focaliser sur elle, voire qu'elle vire à la manifestation antisioniste, comme ce fut le cas en 2019 à Ménilmontant.
L'aboutissement de cette logique a été récemment illustré par la journaliste Lauren Bastide qui, sur son compte Instagram, a entrepris de justifier pourquoi elle refuse de soutenir Mila, jeune femme qui subit depuis janvier 2020 une vague de cyberharcèlement et dont quelques-uns des harceleurs viennent d'être jugés au tribunal. Répondant à ceux qui l'accusaient d'indignation à géométrie variable, elle développe un argumentaire pour le moins insolite. Tout en reconnaissant que Mila est victime d'un cyberharcèlement à caractère sexiste et lesbophobe, elle retourne l'accusation en reprochant à ses détracteurs de négliger le harcèlement subi par d'autres militantes et journalistes féministes, avant de conclure par une explication aussi lapidaire que lunaire : "Je ne soutiens pas publiquement Mila parce que je ne partage pas sa vision du monde raciste et irrespectueuse des musulman-e-s de France. Et vous, vous la soutenez parce que vous partagez cette vision."
Des victimes incriminées
Selon Lauren Bastide, le soutien médiatique et citoyen massif dont bénéficie Mila serait donc le fruit d'une haine viscérale des musulmans, et non la conséquence logique du caractère exceptionnel de sa situation, celle d'une jeune femme (mineure au début des faits) lesbienne qui discutait avec une amie de leurs goûts en matière de partenaires, et qui s'est retrouvée, du jour au lendemain, déscolarisée et sous protection policière. Pour justifier publiquement la sélectivité de ses soutiens, Lauren Bastide n'hésite donc pas à falsifier le réel en repeignant en raciste irrespectueuse des musulmans une jeune homosexuelle qui n'a fait que dire ce qu'elle pensait des croyances qu'on lui avait jetées à la figure pour la déshumaniser en tant que lesbienne. Ce faisant, Bastide embrasse aveuglément le narratif des harceleurs de Mila, consistant à exiger un respect inconditionnel des croyances religieuses, y compris quand celles-ci servent à cautionner une haine homophobe, et ce, alors même que cette dernière continue à recevoir des menaces de mort et de viol par milliers.
Quand le souci de ne pas occulter les discriminations racistes débouche sur une véritable fixette qui pousse à les imaginer là où elles ne sont pas ; quand l'exigence de respecter les croyances s'impose au détriment du respect des personnes que ces croyances déshumanisent, quand elles ne justifient pas leur maltraitance (thérapies de conversion), leur persécution ou leur mise à mort ; quand, enfin, cette confusion entre propos hostiles envers la religion et attaques envers les croyants, qui conduit à faire du blasphème un acte répréhensible, continue à s'imposer dans un pays où ce dernier a déjà coûté la vie à la rédaction de Charlie Hebdo et au professeur Samuel Paty, c'est que le carambolage à l'intersection des luttes fait plus de victimes que de bien. Des victimes qu'on n'hésite pas à incriminer pour couvrir sa propre inconséquence.
Le XXIe siècle, décidément jamais à court de surprises, aura donc engendré sa chimère : le progressisme réactionnaire.
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"L'Homme révolté" d'Albert Camus : comment aimer un monde qui n'est pas aimable ?
25/06/2021 by Adèle Van Reeth
Web player: http://podplayer.net/?id=124910436
Episode: https://rf.proxycast.org/b36b1984-a68a-45e6-8a05-ff52e34f57a5/10467-25.06.2021-ITEMA_22711518-2021C12410S0176.mp3
durée : 00:59:24 - Les Chemins de la philosophie - par : Adèle Van Reeth, Géraldine Mosna-Savoye - Comment se révolter sans trahir l’esprit de révolte, c’est-à-dire sans nier la dignité humaine pour laquelle on se bat ? Peut-on se révolter dans la mesure ? - réalisation : Laurence Malonda - invités : Marylin Maeso philosophe et essayiste
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Evidemment que le ton de Riss est emporté et violent : il a peur de mourir. À sa place, si j’avais échappé une première fois à la mort et que je recevais de nouvelles menaces deux ans plus tard, j’aurais peur aussi, je serais en colère, et ma prose s’en ressentirait. Et je trouve ignoble que l’on puisse l’accuser d’instrumentaliser les morts de Charlie Hebdo : ce sont « ses » morts, ses collègues, ses bons copains, qui ont été tués sous ses yeux, pour des caricatures du Prophète jugées islamophobes. À sa place, si je recevais des menaces de mort à la pelle pour un dessin représentant Tariq Ramadan, et si on m’accusait d’islamophobie et de participer, avec d’autres, à une « guerre aux musulmans » en se fondant sur une Une représentant Edwy Plenel, moi aussi, j’aurais probablement l’impression que l’histoire se répète, que l’on crache un peu sur les morts de Charlie Hebdo, et que l’on fait bien peu de cas de mon droit à ne pas vouloir mourir pour un dessin. Riss disait, en 2015, après l'attentat des frères Kouachi contre son journal, qu’« on a le droit de ne pas aimer Charlie Hebdo ». Qu’on a le droit de dire qu’on n’ « est pas Charlie », du moment que c’est pour de bonnes raisons et non pour légitimer les actes des terroristes. En ce sens, je ne suis pas Charlie. [...] Et quand ce même journal, saigné une première fois en 2015 pour des dessins jugés blasphématoires, reçoit, en 2017, des menaces de mort pour une caricature de Tariq Ramadan, et se voit accusé de participer à une « guerre aux musulmans » suite à une caricature d’Edwy Plenel, j’ai beau ne pas « être » Charlie, je suis avec Charlie, et, donc, avec Riss. Parce qu’un homme qui a perdu ses amis, qui a frôlé la mort, et qui a peur de mourir suite à de nouvelles menaces, a toutes les raisons de voir de tels propos comme irresponsables et de s’énerver : c’est lui, ici, qui risque sa peau. Il serait bon de s’en souvenir. « On ne pense pas mal parce qu’on est un meurtrier. », disait Camus, « On est un meurtrier parce qu’on pense mal. C’est ainsi qu’on peut être un meurtrier sans avoir jamais tué apparemment. Et c’est ainsi que, plus ou moins, nous sommes tous des meurtriers ». C’est à ces mots que j’ai pensé en lisant l’éditorial de Riss, et les réactions qu’il a suscitées.
Marylin Maeso dans le Blog de Mediapart
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De passage, j'en profite pour poster un sincère #JeSuisMila. Une jeune fille parle mal de l'islam, elle est pour cela menacée de viol et de mort, son adresse et son identité diffusées, mais à part ça, on peut critiquer les religions en France ? Vous me faites honte.
— Marylin Maeso (@MarylinMaeso) January 22, 2020
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Interview de Marylin MAESO à propos de son livre "Les conspirateurs du silence" publié dans Magazine littéraire
MARYLIN MAESO : « SUR TWITTER, QU’IMPORTE CE QUE L’ON DIT, ON SERA JUGE POUR CE QUE L’ON EST » Dans un vif essai, la professeure de philosophie Marylin Maeso analyse les stratégies de débat à l'ère des réseaux sociaux. Essentialisme, autocensure, insulte, procès d'intention... Ou comment Twitter est devenu une machine à broyer le dialogue au profit de la polémique. Vous avez intitulé votre ouvrage Les Conspirateurs du silence pour dénoncer ceux qui sévissent sur les réseaux sociaux. Qu’entendez-vous par là ? Marylin Maeso : Rendons à Camus ce qui est à Camus. L’expression « conspirateurs du silence » m’a été soufflée par « Le siècle de la peur », un article de 1948 paru dans Actuelles I. Camus y évoque l’impossibilité de débattre ou de dire certaines vérités à une époque où il serait pourtant urgent de le faire. Il fait état d’une étrange « conspiration du silence » rassemblant des gens qui ne parlent pas car ils jugent inutile de le faire ou qui tremblent à l’idée de s’exprimer, et d’autres qui ont tout intérêt à ce que ce silence perdure. Impossible de parler de l'épuration des artistes en URSS, parce que cela profiterait à l’autre camp, ou de dénoncer le maintien de Franco par les Anglo-Saxons, parce que cela profiterait au communisme. « Je disais bien que la peur est une technique », écrit Camus. Aujourd’hui, je dirais que nous sommes passés du « siècle de la peur » au siècle de l’intimidation. L’intimidation est notamment devenue une méthode privilégiée pour déstabiliser ses adversaires sur Twitter, tous camps confondus. On n’empêche plus quelqu’un de dire quelque chose, mais on va suffisamment le pourrir ou faire en sorte de tordre ce qu’il dit pour lui couper l’envie de débattre. Force est de constater que c’est diablement efficace. Ces « conspirateurs du silence » sont-ils identifiables ? M. M. : Pour Raphaël Enthoven, en tout cas, ils ont un nom : le « Parti unanime ». Contrairement à la lecture qui en est souvent faite, il ne cherche, à travers cette expression, ni à épingler la « pensée unique », ni à fustiger une censure qu’imposerait un « parti unique », et ce pour deux raisons. La première, c’est que le « Parti unanime » ne désigne pas un rassemblement idéologique, mais une sorte de courant transversal regroupant des personnes qui peuvent être en parfait désaccord sur le fond mais qui emploient les mêmes techniques de déstabilisation. Ce sont les méthodes, pas les idées, qui fédèrent ses membres. La seconde, c’est qu’il n’est aucunement besoin de censure là où règne l’intimidation, car l’autocensure (que pointait déjà Camus dans le passage précité) y suffit amplement. Le problème n’est pas qu’« on ne peut plus rien dire » (de fait, tout le monde peut dire à peu près tout ce qu’il veut sur Twitter). Le problème, c’est que tant de personnes s’acharnent à nous attribuer des paroles et des positions qui ne sont pas les nôtres. Si, à chaque fois que vous exprimez un point de vue, ceux à qui il déplaît s’amusent à le caricaturer, voire à tronquer vos propos jusqu’à leur faire dire le contraire de ce qu’ils disaient, pour ensuite diffuser cette falsification à leurs abonnés qui la diffuseront à leur tour, il arrivera un moment où vous n’aurez plus la force, le courage ou l’envie de parler : à quoi bon s’adresser à des murs qui n’ont pas d’oreilles, mais dix doigts mal intentionnés ? L’idée est de vous avoir à l’usure. J’en fais les frais régulièrement sur Twitter, et je dois dire que c’est éreintant, à la longue. Et je ne compte plus les messages reçus en privé, de personnes qui me remercient d’avoir pointé telle ou telle chose comme elles auraient aimé le faire mais n’osent plus, lasses de voir leurs mentions se transformer en champ de bataille polémique au moindre désaccord. Reste que l’expression de Raphaël Enthoven a un défaut, à mes yeux : « Parti unanime », ça fait « club » (autre terme qu’il emploie, d’ailleurs). Or, un club, c’est un ensemble clos dont on peut s’extraire pour le combattre de l’extérieur. Si je parle de « conspirateurs du silence », c’est en partie pour conjurer la fausse impression d’immunisation qu’on est tous tentés d’avoir. Il faut prendre l’expression en son sens littéral : conspirer signifie respirer avec, or, précisément, la polémique, sur Twitter comme partout où elle s’insinue, est une atmosphère qu’on ne peut pas ne pas respirer. Il n’y a plus d’extérieur. Quand on est pris dans une polémique, qu’on s’y jette ou qu’on y soit traîné de force, on inspire malgré soi l’air empesté à pleins poumons. Ainsi, nul n’est à l’abri de se muer en polémiqueur, à un moment ou à un autre et à divers degrés, et de s’adonner à des pratiques qu’on dénonçait juste avant, quand on les subissait. Camus écrit dans son roman : « Je sais de science certaine […] que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne. Et qu’il faut se surveiller sans arrêt pour ne pas être amené, dans une minute de distraction, à respirer dans la figure d’un autre et à lui coller l’infection ». Il n’y a pas de « club » ou de « parti » où les rôles seraient répartis clairement et fixés une fois pour toutes. Tout le monde peut être pris au piège de la polémique, c’est pourquoi il faut se méfier, et d’abord de soi-même. Quelles sont leurs méthodes ? M. M. : Tout est bon pour essentialiser son interlocuteur, ne voir en lui que sa seule dimension religieuse, ethnique, son orientation sexuelle, son statut social, etc. Parfois, on le subsume carrément sous une catégorie schématique (« islamogauchiste », « islamophobe », « réac », « féminazie », etc.) à laquelle il ne correspond pas (ne serait-ce que parce qu’elles-mêmes ne correspondent plus à rien à force de vouloir tout dire), en fonction de certains propos qu’il a tenus et qu’on catalogue à la hâte. C’est le principe de l’étiquetage, qui consiste à coller une image à son adversaire pour délégitimer d’emblée son discours : qu’importe ce que l’on dit, on sera jugé pour ce que l’on est, ou plutôt, en fonction de l’idée qu’on se fait de nous. La récente polémique autour du voile de la présidente de l’Unef Paris-IV Maryam Pougetoux est exemplaire : faire parler son voile plutôt qu’elle, et prétendre lui attribuer à elle des pensées et des engagements ou non-engagements uniquement en fonction de ce qu’on déduit du vêtement religieux qu’elle porte, c’est pour moi lui faire un procès d’intention. Évidemment qu’un voile n’est pas sémiotiquement neutre, pas plus qu’une kippa. Et bien sûr qu’on peut s’opposer à la symbolique qu’il charrie : je l’ai moi-même fait, qu’il soit musulman, chrétien ou juif orthodoxe. Mais il y a une différence entre analyser et critiquer un symbole religieux et prétendre lire dans les pensées d’une personne qui le porte en la réduisant au statut d’objet dont on parle au lieu de parler avec elle. Et j’ai trouvé incroyable que l’on puisse me reprocher de vouloir juger sur pièce en écoutant ce qu’elle dit et en m’intéressant à ce qu’elle fait pour me faire une opinion vérifiée. Au demeurant, agir en troll – en recourant à l’insulte et à l’attaque personnelle – reste la méthode par excellence pour créer artificiellement de la controverse et esquiver l’affrontement direct avec son interlocuteur. Vous montrez comment ces méthodes semblent être devenues la règle sur les réseaux sociaux. Et comment il est difficile de les critiquer… M. M. : Dans une vidéo intitulée « Qui en veut à la démocratie ? » et publiée sur le compte Youtube de Mediapart, le chroniqueur Usul soutient que les réseaux sociaux sont le « théâtre des nouvelles luttes démocratiques » et voue toute critique aux gémonies « réactionnaires ». Je crois qu’il faut avoir une bien piètre image de la démocratie pour partir du principe que si on n’accepte pas les insultes, le harcèlement (qui blesse et qui tue, ne l’oublions pas) et les menaces, c’est qu’on n’aime pas la démocratie ! Refuser par principe que l’on puisse critiquer un phénomène du simple fait qu’il est marqué du sceau démocratique revient à confondre la critique et l’offense, et à faire comme si dénoncer les dérives d’un support de communication revenait à condamner ce support dans son ensemble et à jeter le bébé avec l’eau du bain. Je vois derrière ce refus de la critique des réseaux sociaux une fausse populophilie qui cache en fait le contraire. On prétend, par ce genre de discours, aimer le peuple et célébrer la libre expression des opinions divergentes, mais si on en vient à s’en faire une image idéalisée et à applaudir aveuglément un lieu virtuel où un grand nombre d’individus s’écharpent à coups d’invectives, d’attaques sous la ceinture, de chantage et de menaces, j’ai l’impression qu’on l’instrumentalise et qu’on l’insulte plus qu’autre chose, ce pauvre peuple. Dialoguer sur Twitter est-il une expérience difficile pour une professeure de philosophie ? M. M. : Ce n’est pas pour rien qu’on a fait boire la ciguë à Socrate ! Socrate, c’est l’emmerdeur professionnel (ses interlocuteurs le comparaient parfois à un taon), celui qui vous dit non ce que vous avez envie d’entendre, mais ce qui lui semble devoir être dit, sans méchanceté ni complaisance. On peut tous être un emmerdeur, mais en faire son métier ne va pas sans sacrifices ! Sur Twitter, où le dogmatisme s’épanouit, tout ce qui peut amener à introduire du doute et du jeu dans les certitudes sédimentées est généralement assez mal reçu. Dès qu’une voix discordante tente de mettre un peu de nuance dans le débat, une meute vient lui tomber dessus pour la ranger de force dans un camp ou dans l’autre : on n’aime pas les marginaux. De manière générale, l’attitude du perplexe est souvent considérée comme dérangeante. On lui reproche de révéler ses failles à l’adversaire et de faire son jeu. Dans Le siècle de la peur, Camus écrit : « Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et dans l’amitié des hommes, ce silence est la fin du monde ». Cette forme d’allergie au désaccord comme à la vulnérabilité est incompatible avec la volonté de dialoguer. À quoi sert en effet d’échanger si l’on est convaincu de détenir la vérité ? Vous démontrez qu’il devient même impossible de s’entendre sur les mots… M. M. : La forte polémicisation de certains concepts contribue à déclencher des polémiques. Les crispations que génère le terme « islamophobie » est illustratif du flou qui règne autour de certaines notions. Le simple fait de les discuter est perçu comme une offensive. Je suis juive, ça ne m’empêche pas de discuter la pertinence du mot « antisémitisme » ! En fait, « islamophobie » et « antisémitisme » sont deux termes qui posent des problèmes, mais pour des raisons différentes. Le mot « antisémitisme » a été forgé par un crétin qui faisait de « sémite » un synonyme de « juif », alors que tous les sémites ne sont pas juifs ni tous les juifs sémites. L’emploi du mot « antisémitisme » traduit de manière courante la haine du juif alors même qu’on ne peut inclure dans ce mot tous les juifs, il est donc très mal ficelé, et on le garde essentiellement parce que c’est lui qui a servi historiquement à désigner la haine envers les juifs. Quant à « islamophobie », ce concept présente une ambiguïté différente, en ce qu’il comporte le nom d’une religion. Certains vont donc l’employer pour qualifier un acte ou un propos d’« islamophobe » même quand celui-ci relève de la simple critique de la religion. Là où les Juifs peuvent compter sur la distinction entre « antijudaïsme » et « antisémitisme », il n’existe pas d’autre mot permettant de désigner la critique de l’islam, facilitant de ce fait l’usage polysémique du mot « islamophobie ». Je déplore l’impossibilité de pouvoir discuter de tel ou tel concept sans être accusé de chercher à nier la réalité qu’il désigne. Refuser de confondre le mot « islamophobie » et le racisme qu’il nomme (mal, à mon sens) est au contraire pour moi la meilleure façon de lutter contre ce dernier, parce qu’un combat efficace appelle un langage clair. Une autre plaie qui contribue à étouffer le débat démocratique est le principe d’indignation à géométrie variable… M. M. : Si je dénonce les thèses homophobes diffusées par des tenants de La Manif pour tous, personne ne me dira que c’est du racisme cathophobe. Mais si je m’indigne des propos ouvertement homophobes d’un imam présent lors de la rencontre annuelle des musulmans de France au Bourget, je suis aussitôt taxée d’islamophobe ! Ce genre de procès d’intention est épuisant, et malhonnête au possible, parce que totalement hermétique aux faits. Ce n’est pas bien compliqué de voir que lorsqu’il s’agit d’épingler le sexisme, l’homophobie ou le racisme, je ne sélectionne pas mes cibles en fonction de leur religion, de leurs origines ou de leurs affinités politiques : tout le monde y passe. Mais comme le dit Camus : « Il ne s'agit pas de ce que je suis, mais de ce que, selon la doctrine ou la tactique, il faut que je sois ». On peut tout à fait reprocher à quelqu’un d’instrumentaliser une cause pour servir un agenda idéologique, du moment qu’on le fait en s’appuyant sur des éléments tangibles, et non sur la volonté de lui nuire coûte que coûte. Par exemple, quand Elisabeth Lévy cosigne une tribune collective dans Le Monde qui banalise le comportement des frotteurs du métro en l’attribuant à la « misère sexuelle » présumée des hommes, alors qu’elle dénonçait durement un an plus tôt les agressions de Cologne dans lesquelles elle voyait la preuve d’un choc des civilisations, on peut lui reprocher d’avoir l’indignation sélective et de ne faire preuve d’intérêt et de compréhension envers les problématiques féministes qu’en fonction de l’origine des agresseurs. Ou encore, quand Madjid Messaoudene décide, après avoir fustigé les « méthodes de fachos » de ceux qui étaient allés fouiller le compte de la chanteuse Mennel pour ensuite réclamer en masse son éviction de The Voice, de faire subir le même sort à un adolescent déjà en proie à un harcèlement massif en jetant ses tweets en pâture sur Twitter sans lui laisser une chance de s’expliquer et en allant jusqu’à lui faire un procès d’intention en racisme sur la base de son seul emploi du mot « communauté » (pour désigner ses abonnés). Faites ce que je dis, pas ce que je fais… Vous consacrez le dernier chapitre de votre livre à Houria Bouteldja. En quoi la trajectoire de son livre Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire fait la démonstration de la stratégie de polémicisation que vous disséquez dans les chapitres précédents ? M. M. : Houria Bouteldja et moi sommes aux antipodes l’une de l’autre. Et parce que son livre est volontairement excessif, sur le fond comme sur la forme, la polarisation des réactions qu’il a provoquées était prévisible. Pour l’essentiel (à de rares exceptions près), l’opinion publique s’est déchirée entre des détracteurs qui s’entêtent à diffuser massivement les passages les plus outranciers de son livre mais qui passent sous silence les questions pertinentes qu’il soulève, et des soutiens qui fustigent l’acharnement dont Houria Bouteldja fait l’objet à leurs yeux en accusant les opposants de survoler son livre, mais sans jamais eux-mêmes s’y plonger, ne serait-ce que pour expliciter les désaccords qu’ils disent avoir avec son contenu. Mon objectif était de créer les conditions d’un débat honnête avec elle, en produisant une critique précise et détaillée du contenu de son livre, afin de substituer le dialogue à l’éternel retour des polémiques qui accompagne ses prises de parole ou les invitations à parler qu’elle reçoit. Et dans la mesure où l’essentialisme est au cœur des dérives que je mets en évidence dans mon livre, je ne pouvais pas faire l’impasse sur un texte qui brasse tout le monde dans la machine essentialiste, à commencer par les « indigènes » eux-mêmes, ses « frères » et « sœurs » qu’elle dit pourtant vouloir défendre contre le racisme. Houria Bouteldja vous a-t-elle répondu ? M. M. : Non. Du moins, pas encore. La porte est toujours ouverte pour un débat !
Propos recueillis par Simon Blin https://www.nouveau-magazine-litteraire.com/idees/marylin-maeso-twitter-importe-dit-juge-pour-est-
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VIVRE EN LITTÉRATURE ET POÉSIE : CES AUTEURS QUI SONT COMME DES COACHS ?
ARTICLE Dostoïevski, Camus, Maupassant… pourquoi ils sont les meilleurs coachs pendant les coups durs La littérature nous montre le mal incarné, bien mieux que la philosophie ou la théologie. Dans « Pourquoi le mal frappe les gens bien ? », Frédérique Leichter-Flack nous explique ce que nous apportent les grands auteurs dans l’adversité. Ouest-France Marylin Maeso le 09/03/2023 « Et l’herbe…
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Suis-je donc la seule à trouver pour le moins hallucinant que l’on puisse parler d’islamophobie et de « guerre aux musulmans » au sujet d’une Une (explicitement incriminée par M. Plenel) qui ne fait aucune allusion ni à l’islam, ni aux musulmans ? M. Plenel serait-il donc devenu un symbole islamique ? Le représentant de tous les musulmans de France ? Si, lorsque Charlie Hebdo critique Edwy Plenel au sujet de son rapport à Tariq Ramadan (à lui seul, et à personne d’autre), le journaliste s’estime autorisé à parler d’islamophobie, alors, qu’il le veuille ou non, il entérine l’idée que c’est en tant que musulman lambda que Tariq Ramadan est attaqué, et non en tant que Tartuffe violeur, idée dont j’ai montré qu’elle reposait sur une prémisse essentialiste fallacieuse. Non, Tariq Ramadan n’est pas un musulman lambda : c’est un prédicateur médiatique et puissant [...] accusé de viols. Non, il ne représente pas les musulmans et n’est pas le « héros des jeunes maghrébins des banlieues », pour reprendre le titre confondant de bêtise raciste d’un article du Figaro, d’ailleurs modifié entre temps.
Marylin Maeso dans le Blog de Mediapart
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A l'occasion du Forum France Culture "L'année vue par les savoirs" à la Sorbonne, Emmanuel Laurentin anime cette table ronde autour de la question : "le goût du clash a-t-il remplacé le débat public ?" Pour en discuter, Christian Salmon, écrivain, (essayiste, auteur notamment de "Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits", éd. La découverte, 2007), Marylin Maeso, Professeure de philosophie, essayiste, (auteure de "Les conspirateurs du silence", éd. l'Observatoire, 2018), et Pauline Escande-Gauquié, sémiologue, maître de conférences à Sorbonne Université Celsa, (co-auteure de "Monstres 2.0, l’autre visage des réseaux sociaux", éd. François Bourin, 2018). Retrouvez par ici plus d'informations relatives au Forum France Culture : https://www.franceculture.fr/evenement/forum-france-culture-le-temps-des-conflits Abonnez-vous pour retrouver toutes nos vidéos : https://www.youtube.com/channel/UCd5DKToXYTKAQ6khzewww2g/?sub_confirmation=1 Et retrouvez-nous sur... Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
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Le blog de MARYLIN MAESO
MARYLIN MAESO
6 billets
Jeanne Guien et Raphaël Enthoven : on n'est pas sorti de la caverne…
5 juin 2018| Par MARYLIN MAESO | 4 commentaires | 7 recommandés
On m’a interpellée sur Twitter au sujet du billet de Jeanne Guien. Nombreux sont ceux qui l’ont estimé excellent, et certains m’ont reproché de le trouver, pour ma part, mauvais et décevant, m'accusant de ne pas être objective sur le sujet. Je vais donc honorer l’engagement que j’ai pris et expliquer pourquoi, à mes yeux, ce billet n’est pas ce qu’il prétend être.
This ain’t Hollywood, hun…
25 févr. 2018| Par MARYLIN MAESO | 2 commentaires
Une petite discussion au sujet des agressions sexuelles et des discours sur l'auto-défense, en réponse à la chronique que Raphaël Enthoven a consacrée à ce sujet le 19 février 2018.
Lettre aux conspirateurs du silence
25 févr. 2018| Par MARYLIN MAESO | 2 commentaires | 1 recommandé
À l'attention des énervés et des dogmatiques qui préfèrent prêcher avec virulence que discuter avec nuance : vos interlocuteurs ne sont pas des punching balls, ils ne vous doivent rien, sinon le même respect que vous leur devez en retour, et si c'est trop vous demander, alors - circulez. Si vous ne savez pas vous exprimer sans hurler et insulter, c'est que vous n'avez rien d'intéressant à dire.
Rapport Mathiot sur le bac: quel avenir pour la philosophie?
26 janv. 2018| Par MARYLIN MAESO | 9 commentaires | 6 recommandés
Suite à la publication du rapport Mathiot sur la réforme du baccalauréat et de l'organisation des enseignements du lycée prévue pour 2021, des voix discordantes se sont élevées quant aux implications de cette réforme pour l'enseignement de la philosophie. Je propose une analyse détaillée du rapport mettant l'accent sur le caractère flou et tâtonnant des propositions avancées pour la philosophie.
Je ne suis pas Charlie, donc, je suis avec Charlie
15 nov. 2017| Par MARYLIN MAESO | 38 commentaires | 46 recommandés
La polémique actuelle autour de l'affaire Ramadan interdit tout vrai débat. En guise de discussion de fond, les procès par articles et tweets interposés fleurissent. Impossible de dire quoi que ce soit, de poser une question, et surtout, de faire résonner la moindre nuance, sans être automatiquement rangé de force dans un camp et jugé en conséquence. Essayons, malgré tout.
Contre un mur: chronique d’un débat sisyphéen sur antisionisme et antisémitisme
22 juil. 2017| Par MARYLIN MAESO | 94 commentaires | 22 recommandés
La polémique soulevée par les propos d'E. Macron au sujet de l’antisionisme a récemment suscité sur twitter, par ricochet, des échanges pour le moins houleux qui ont mis en évidence la difficulté qu’il y a à aborder ce sujet autrement que sous les tristes auspices de la caricature et de l’invective. Ce texte revient sur l’une de ces discussions, afin d’en dégager les enjeux et les enseignements.
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http://www.laviedesidees.fr/La-tendre-indifference-du-monde.html
La tendre indifférence du monde À propos de : Laurent Bove, Albert Camus. De la transfiguration – Pour une expérimentation vitale de l’immanence, Publications de la Sorbonne par Marylin Maeso , le 19 février 2015
http://www.laviedesidees.fr/La-tendre-indifference-du-monde.html
Dans une étude novatrice, qui redonne toute leur place aux écrits de la première période, Laurent Bove propose de voir en Camus un penseur de l’immanence et de l’acquiescement à la joie du monde. Cette lecture donne tout son sens à la réflexion de Camus sur l’histoire, mais tend à effacer les ruptures d’une œuvre en perpétuelle tension.
Recensé : Laurent Bove, Albert Camus. De la transfiguration – Pour une expérimentation vitale de l’immanence, Publications de la Sorbonne, collection « La philosophie et l’œuvre », Paris, 2014. 168 p., 19 €.
Il est commun de situer le point de départ de la philosophie camusienne dans la prise de conscience du non-sens de l’existence (Le mythe de Sisyphe serait en cela son premier texte proprement philosophique, illustré par ses pendants littéraires que sont Caligula et L’étranger), et de voir dans la révolte la thématisation d’un dépassement, d’une sortie hors de l’absurde dont Camus dit qu’il ne peut être qu’un seuil où nul ne saurait demeurer. Telle serait la philosophie camusienne : une fêlure tragique qui se retourne en force, un divorce d’avec le monde qui débouche sur une fraternité universelle rendue manifeste par la révolte. Dans une telle optique, on ne saurait voir dans L’envers et l’endroit et dans Noces, textes qui dépeignent la beauté solaire de l’Algérie et les lieux chéris de l’enfance, autre chose que des essais littéraires où l’auteur s’adonne à la jouissance et la contemplation insouciantes, en-deçà ou au-delà de toute réflexion philosophique. C’est contre une telle interprétation binaire que s’inscrit le livre de Laurent Bove, qui est décisif en ce qu’il dégage un fil conducteur philosophique qui irrigue l’ensemble de l’œuvre de Camus dès les premiers écrits. Il ne s’agit pas pour autant de rajouter une philosophie de jeunesse aux deux grandes étapes (l’absurde et la révolte) que l’on reconnaît ordinairement dans la philosophie de Camus, mais plutôt de dégager un même souffle philosophique qui traverse toute l’œuvre, de L’envers et l’endroit au Premier Homme, et qui nourrit les thématiques centrales de l’œuvre de Camus : l’absurde, la révolte, l’amour.
Camus, penseur de l’immanence
Il y a dans les écrits de Camus, selon Laurent Bove, un « processus subversif de la puissance immanente » (p. 14), subversif en ce qu’il déconstruit les chimères engendrées par le désir asservi à un objet – par exemple, l’amour qui cristallise l’être aimé en un sujet façonné par l’imagination, ou celui qui identifie le corps de l’autre à un objet que l’on peut posséder et exploiter pour sa propre jouissance – pour élaborer une pensée de l’être-au-présent révélant la vérité des corps et de la sympathie qui les unit, vérité charnelle qui, comme eux, « doit pourrir » (p. 49). Cette philosophie de l’immanence, traduisant et célébrant un monde du « c’est ainsi » dont Laurent Bove ne manque pas de relever les accents spinozistes, se trouve déclinée au fil des œuvres à travers le motif d’un Christ déthéologisé qui, « du Christ-Ressuscitant de Piero della Francesca à la transfiguration dans L’Homme révolté, en passant par le personnage de Meursault, ce ‘‘seul Christ que nous méritions’’, expérimente et parcourt le plan d’immanence dynamique que construit, de fait, l’œuvre de Camus » (p. 15). Ce fil d’Ariane mis en évidence par Laurent Bove a non seulement le mérite de faire apparaître une philosophie omniprésente dans tous les écrits de Camus, mais aussi de montrer la nécessité de relire les textes que l’on croit, souvent à tort, bien connaître, à commencer par L’étranger. Contre une interprétation trop unilatérale qui fait de L’étranger le roman de l’absurde et de Meursault l’archétype de l’homme absurde rejetant les codes illusoires imposés par la société au prix d’un naufrage progressif dans un nihilisme passif, Laurent Bove révèle un autre visage du personnage qui s’impose de plus en plus tout au long du roman, celui d’un homme s’abandonnant à « la tendre indifférence du monde », embrassant la vérité des corps mortels et libéré par là de l’espoir et des illusions des autres, étranger non pas au monde mais à l’image déformée et vaine que s’en font les hommes. Comme le souligne Laurent Bove, « le parcours de Meursault va ainsi de l’expérience du vide, de son aptitude à désaffecter l’univers des mythes et des sentiments qui y sont assujettis, à celle de la densité et de la diversité réelle du réel, en lui-même et en dehors de soi » (p. 36), car de même que les visages sans expressions des personnages de Piero della Francesca, « ‘‘témoins’’ d’une vie sans espoir ni consolation » (p. 62) manifestent ce qu’il y a de plus authentiquement humain bien plus fidèlement que les larmes que les concitoyens de Meursault lui reprochent de ne pas avoir versées, de même Meursault ne se sera peut-être jamais senti aussi libre que lors de son séjour en prison. Libéré de la fausseté des mythes et des stéréotypes sociaux, le voilà rendu à la vérité essentielle des corps et de leur sympathie silencieuse, celle que partagent, fugacement, la mère et son fils dans la scène du parloir. L’analyse que propose Laurent Bove est d’autant plus importante qu’elle étend son travail de relecture à l’ouvrage qui est probablement le moins compris et qui fut le plus controversé en son temps, à savoir L’Homme révolté. Face aux lectures biaisées d’un Sartre ou d’un Jeanson qui voyaient dans l’essai de 1951 le vain cri du cœur d’une belle âme préférant demeurer en marge de l’histoire au lieu de s’y compromettre, Laurent Bove montre que l’articulation essentielle de la pensée de l’immanence et du consentement au monde avec celle la révolte, loin de rendre celle-ci inefficace et éthérée, constitue le seul fondement solide d’une communauté humaine vivante. Ce n’est en effet que par une identification abusive de l’histoire (comme civilisation) à l’Histoire guidée par les grandes idéologies nihilistes (totalitarisme soviétique, nazisme, franquisme) que l’on peut taxer Camus d’anhistorisme, là où il ne fait que rétablir les droits de la première, proprement humaine et créatrice, sur la seconde, meurtrière et mensongère. En s’opposant au fantasme de la totalité qui, parce qu’il sacrifie les corps sur l’autel d’une hypothétique humanité unifiée par la révolution, rend toute véritable relation impossible, Camus théorise avec la notion de révolte l’idée d’un être-avec ontologiquement ancré dans l’empathie spontanée face à la douleur humaine et aux affects partagés. Aussi ne faut-il pas comprendre le cogito camusien « Je me révolte donc nous sommes » comme un principe moral abstrait, mais bien comme l’affirmation d’une égalité d’être qui fonde la solidarité entre les hommes. C’est cet esprit d’une communauté humaine immanente, débarrassé des illusions dont sont porteuses les idéologies totalitaires, que Camus retrouve dans certains phénomènes historiques qui ont marqué l’écriture de L’Homme révolté : la résistance, la Commune de Paris, le socialisme libertaire et les actions des révolutionnaires russes de 1905. Camus, en dépit des critiques que lui adresse Sartre, ne sacrifie donc pas l’engagement politique à l’exigence morale, l’histoire à la nature, mais réaffirme au contraire la réalité charnelle et immanente de cette histoire, d’une histoire où il s’agit de « sauver les corps » contre les machines idéologiques et étatiques qui les broient au nom d’un messianisme révolutionnaire. La révolte camusienne est celle du « désir sans objet », c’est-à-dire du désir refusant d’élever la révolution ou son aboutissement au rang de fin déterminée, car c’est alors que tous les moyens se trouvent justifiés et que le nihilisme installe son règne. Telle est la transposition qui donne son titre au livre de Laurent Bove : la subversion d’une histoire gangrénée par le nihilisme en renaissance historique via la solidarité des corps.
Transfiguration ou rupture ?
À l’issue de cette lecture de l’essai de Laurent Bove, un certain nombre de questions surgissent cependant, qui méritent d’être posées. La systématicité de l’interprétation, qui lui donne sa force et sa cohérence, n’est pas sans soulever certaines interrogations. Laurent Bove ne cache pas l’arrière-plan spinoziste de sa lecture, qu’il justifie par ailleurs, mais ce cadre est à ce point prégnant que la réserve émise en introduction, précisant que Camus « rejetait certes le principe rationaliste [de la philosophie spinoziste] et aussi son refus du hasard » (p. 12) ne semble pas vraiment prise en compte ; il faudrait se demander s’il ne s’agit là que d’une différence mineure ou bien si elle permet de donner sens à certaines tensions de l’œuvre de Camus qui sont parfois décrites dans l’essai de Laurent Bove comme des contradictions. Ainsi, L. Bove affirme que la méfiance de Camus envers toute métaphysique immanentiste qu’il soupçonne de déboucher inévitablement sur une trahison de l’absurde fait « obstacle, chez lui, à l’accès à une sagesse philosophique de type matérialiste ou naturaliste » (p. 49, note) et explique les « affirmations philosophiques contradictoires de L’envers et l’endroit (écrit en 1935-1936) et du Mythe de Sisyphe (en chantier depuis 1938 et terminé début 1941) » (ibid.), ce qui a empêché Camus d’embrasser la sagesse immanentiste qui se dégage pourtant de ses œuvres. N’est-ce pas là présupposer que Camus aurait dû l’adopter pleinement et exclusivement, ce qui ne peut être affirmé qu’en évaluant la philosophie de Camus à l’aune d’une autre, ce qui n’est pas sans poser un problème évident ? On pourrait penser que la philosophie camusienne, qui est non pas systématique mais faite de tensions et de questionnements incessants, articule en son sein ces tendances comme autant d’expériences vécues, auquel cas ces contradictions seraient l’expression d’une complexité existentielle. En quoi est-il contradictoire de célébrer l’expérience d’une unité avec le monde dans L’envers et l’endroit et de témoigner de l’expérience de rupture qu’est l’absurde dans Le Mythe de Sisyphe, dans la mesure ou les deux peuvent être vécues à différents moments de l’existence, comme en témoignent les Carnets où des passages de doute et de dépression succèdent à des périodes d’affirmation et de célébration ? À moins de figer l’absurde et la pensée de l’immanence dans des doctrines exclusives (ce qui ne serait pas fidèle à l’esprit de la pensée camusienne), il paraît possible de concevoir une articulation complexe, sans cesse questionnée et retravaillée, entre ces deux dimensions présentes dans l’œuvre de Camus. Le mythe de Sisyphe débute sur le problème du suicide, dont il est difficile de rendre compte exclusivement à partir d’une philosophie de l’acquiescement. Pourrait-on alors se contenter de l’écarter comme faux problème, en partant du principe que ce geste radical est fondé sur une vision illusoire du monde et de l’existence, ôtant par là toute pertinence aux questionnements existentiels ? N’oublions pas que si Le mythe de Sisyphe est effectivement, comme le rappelle l’auteur, postérieur à L’envers et l’endroit, sa genèse et celle de L’étranger, où il décèle les ferments d’une pensée de l’immanence, sont quant à elles simultanées, ce qui nous inciterait à penser que Camus ne renie pas une philosophie au profit de l’autre, mais que les deux cohabitent, pour ainsi dire, dans une tension perpétuelle qui est caractéristique de sa pensée. La philosophie de l’absurde que développe Le mythe de Sisyphe passe au second plan dans le livre de Laurent Bove, qui finit par lui substituer l’absurde compris comme « choc spirituel » face à cette Annonciation déthéologisée esquissée au début de L’étranger, choc qui débouche sur un acquiescement au monde et à sa vérité. Mais peut-on légitimement occulter ou minimiser cette dimension de rupture qui est pourtant centrale dans l’œuvre de Camus ? Peut-on considérer que l’absurde de L’étranger n’a rien à voir avec celui du Mythe de Sisyphe, que le monde de Meursault est simplement celui d’un « étrange amour » qui « distribue tout à la vie et à ses frères vivants » (p. 43) et qui servira de socle ontologique à la révolte, alors même que ce roman met en scène un meurtre et que la révolte débouche sur l’affirmation du caractère injustifiable du meurtre ? Ce sont effectivement par ces aspects, par ces aspérités, que la philosophie de Camus n’est pas purement identifiable à une philosophie de l’immanence de type spinoziste qu’elle inclut pourtant comme l’une de ses facettes essentielles, et il faudrait peut-être, pour prolonger les réflexions fécondes que Laurent Bove propose dans son livre, tâcher de comprendre comment cette dimension s’articule avec les autres, autrement dit, redonner sa place à la philosophie de l’absurde telle que Camus la développe dans Le mythe de Sisyphe afin de voir comment elle peut rencontrer la pensée de la transfiguration qui traverse l’ensemble de l’œuvre sans que l’une annule l’autre et sans que cette confrontation débouche sur une incohérence.
Pour citer cet article : Marylin Maeso, « La tendre indifférence du monde », La Vie des idées , 19 février 2015. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/La-tendre-indifference-du-monde.html
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