#chemin du roucas blanc | Explore Tumblr Posts and Blogs

thomastdeframberg · 8 years

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# 80 - “Locus Solus”

Plage du Prado, “La Plage” – matinée de brouillard et impression de fin du monde : un paysage à la Ballard. A gauche, les formes des montagnes, spectrales, reliefs sans reliefs ; plus près le chapiteau d’un cirque. Derrière, dans les collines, les villas et immeubles grand luxe du Roucas Blanc – faux paradis luxuriant, mouroir où végètent des vieux pourris de fric, retranchés du monde par des palissades en béton et de grandes grilles surveillées 24/24 par des caméras. Devant, le sable désert, la mer d’une platitude extrême (quoi qu’on l’entende, par moment, respirer), avec, au loin, les Frioul immobiles. Sur le chemin passent des marcheurs, quelques joggeurs à la mine crispée d’effort et de jouissance - de jouissance dans l’effort. Personne ne sort des cabanons, les installations sportives semblent abandonnées, les poubelles béantes aux couvercles rouillées sont vides – comme les terrasses alignées de l’autre côté de la route : la plupart des restaurants (pizzerias aux noms stupides, glaciers, spécialistes des fruits de mer : établissements comme on en voit sur tous les fronts de mer d’Europe) sont fermés. Les mouettes se hurlent les unes sur les autres. Tout est blanc, très blanc, trop blanc.

Seul le monument hideux dédié à Rimbaud témoigne de son passage ici, de sa mort à Marseille, du fait qu’il a existé, avant ce grand déballage saisonnier, d’autres paysages. Le prévoyait-il, lui qui s’autoproclamait “Voyant”, prévoyait-il ce monde étrange où, l’été, les pauvres viennent se masser sur ces plages qu’on a construites pour eux tandis que de l’autre côté de la route par laquelle ils sont arrivés des super-riches les regardent de loin sans les voir, enfermés dans des prisons dorées ? Lui qui, de fait, avait vu tellement juste, avait vu si loin qu’il lui avait fallu renoncer à voir, prévoyait-il la désolation qui règne ici l’hiver, quand tout est vide, fermé, quand le sel et l’humide reprennent leurs droits sur le métal, quand le vent attaque les parapets en béton des corniches et des jetées ? Il avait vu les canons, de terribles cendres, des peuples pliant l’échine, les banques surpuissantes, la terre vendue – plusieurs de ses Illuminations, comme “Soir historique” ou “Démocratie”, en témoignent – mais ses yeux n’étaient peut-être pas allés ou n’avaient pas voulu aller jusqu’à ces plages, cette vie, cette étrange époque... Et après tout qu’importe. Comme l’a dit Char, tu as eu raison de partir, Arthur : il fallait que tu partes. Et nous ne pouvons regretter qu’une chose, nous qui vivons ici et maintenant, témoins impotents, incapables de freiner la course lamentable de notre époque, incapables d’imaginer un monde meilleur sans nous en remettre aux idées courtes de vue de ceux qui entendent nous diriger, nous ne pouvons regretter qu’une chose : de ne pouvoir t’emboîter le pas en criant tes mots : “Au revoir ici, n’importe où. Conscrits du bon vouloir nous aurons la philosophie féroce; ignorants pour la science, roués pour le confort; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vraie marche. En avant, route !”

T.T.d.F. - 19 janvier 2017

(à écouter, peut-être, avec ceci : Pray for rain)

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