#Zocalo Noir
Explore tagged Tumblr posts
escapades-planetaires · 5 years ago
Text
Mexico, la cité des 3 cultures (1988)
Tumblr media
Mexico vu depuis la Torre Latinoamericana (Tour Latino-Américaine)
Construite entre 1948 et 1956, en plein Centre Historique, cette tour était à l’époque le plus haut bâtiment d’Amérique latine (181 m). Sa plateforme d’observation est située au 44e étage, à 139 mètres au-dessus du sol. Elle a résisté au séisme de 1985 (8,1 de magnitude). 
Le Mexique, dont le nom officiel est Estados Unidos Mexicanos (Etats-Unis Mexicains), a été notre premier voyage hors d’Europe, et donc, sur le continent nord-américain. 
Il a débuté, bien entendu, par la Ciudad de México (Ville de Mexico) où nous avons atterri en août 1988.
L’histoire du pays, et plus particulièrement de sa capitale, est fortement marquée par la civilisation aztèque.
Photos d’époque de Nathalie Donadille
Le Mexique précolombien
Un des plus importants peintres incarnant le Muralisme 1, Diego Rivera (1886-1957), témoigna de l’héritage précolombien de son pays dans ses célèbres peintures murales que l’on peut admirer au Palacio Nacional (Palais National) à Mexico.
1. Courant artistique du XXe siècle, principalement mexicain, caractérisé par ses peintures murales imposantes d’inspiration populaire et nationale.  
Sur cette fresque intitulée Fiestas y Ceremonias - Cultura Totonaca (Fêtes et Cérémonies - Culture Totonaque) réalisée en 1950, on peut voir un dignitaire totonaque offrir un tribut à un chef aztèque, un signe de soumission qui préfigurait la prédominance de l’Empire aztèque sur les autres peuples de la région.
Nous sommes entre le Ve et le Xe siècle, à El Tajin (près de l’actuelle ville de Veracruz 2), l’ancienne capitale des Totonaques (Totonaco) qui jouèrent plus tard un rôle dans la défaite des Aztèques lors de la conquête espagnole (1519-1521). Le site archéologique est inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco.   
En arrière-plan, on voit la Pirámide de los Nichos ou de Tajin, construite vers le Ve siècle, symbole de leur civilisation avec ses 365 niches (probablement pour compter les jours de l’année) et à sa gauche, un jeu de “voladores” (les "Hommes-Oiseaux"), une danse aérienne rituelle.
2. Hernán Cortés (1485-1547), à la tête d’une expédition espagnole, accosta à Costa Verde, sur la côte du Golfe du Mexique, un lieu alors appelé Chalchiucueyetl-cuecan (sable sur sable empilé). Il s’y installa et fonda Veracruz, la première colonie continentale des Amériques, sous le nom de Villa Rica de la Vera Cruz, le 22 avril 1519.   
Tumblr media
Les Mexica  
Au début, donc, était Tenochtitlán, la capitale (huey altepetl, en langue nahuatl, la “grande cité”, le lieu du pouvoir) des Aztèques.
Selon la mythologie, le peuple nomade des Mexica, guidés dans leur migration vers le sud par leur dieu tribal Huitzilopochtli 3, auraient réalisé la prophétie de ce dernier selon laquelle ils bâtiraient leur ville à l’emplacement où ils verraient un aigle debout sur un nopal (Figuier de Barbarie) en train de dévorer un serpent. Ce qui se serait produit sur un ilot du Lac Texcoco.  
3. Du Nahuatl “Huitzilin”, “colibri”, et “opochtli”, “de gauche”, il représente le guerrier du sud ramené d’entre les morts selon la croyance aztèque que les guerriers décédés ressuscitaient sous la forme d’un colibri. C’est donc le dieu de la guerre et le dieu du soleil triomphant à son zénith.
Ainsi, les Mexica 4  ou Azteca (qui signifie le peuple d'Aztlán 5) s’y seraient établis entre 1325 et 1350, voire 1370, et auraient fondé un petit village lacustre aux maisons éparpillées sur des ilots au milieu des marécages. 
4. Tribu d’origine chichimèque (chichimeca : “têtes rouges” ou “lignage de chien”) qui vivait dans le nord du pays actuel ou le sud des Etats-Unis, et qui appartenaient au peuple Nahua, principal groupe ethnique amérindien du Mexique. 
5. Du Nahuatl “azatl”, “héron” et du suffixe “an”, “parmi”, “près de”, lieu sans doute légendaire dont ils seraient originaires.  
Le calendrier aztèque
De 1469 à 1481 régna le sixième huey tlatoani 6, Axayacatl (En Nahuatl, le visage de l'eau). Petit-fils de Moctezuma Ier auquel il succéda, il était aussi le père du futur Moctezuma II.      
6. Le “grand locuteur”, de “huey, “grand” et “tlatoani”, “celui qui parle”, titre des empereurs aztèques.
C’est à cette époque, en 1479 que fut sculptée la Pierre du Soleil ou Calendrier aztèque, un monolithe de basalte de 3,59 m de diamètre, 122 cm d’épaisseur et de plus de 24 tonnes, découverte en 1790 lors de travaux près de la Cathédrale de Mexico sur la Place de la Constitution. Elle était placée sur le Templo Mayor de Tenochtitlán (Voir plus loin). Elle est exposée aujourd’hui au Museo Nacional de Antropología à Mexico (inauguré en 1964).     
Elle est formée de 8 cercles concentriques qui se référent à la conception de l’univers du peuple Mexica et représentent les 2 calendriers aztèques : Tonalpohualli (Nombre de jours, en nahuatl), le calendrier rituel de 260 jours et Xiuhpohualli, le calendrier solaire civil, utilisé surtout pour l’agriculture, constitué d’une année (xihuitl) de 18 mois (meztli) de 20 jours (tonali) + 5 jours néfastes (nemontemi). 
Ces deux représentations calendaires combinées que l’on retrouvent en Mésoamérique précolombienne, notamment chez les Mayas, formaient un cycle de 52 ans, le Xiuhmolpilli (qui signifie, ligature des années) à la fin duquel les Aztèques célébraient la Fête du Feu nouveau.
Ici, une inscription gravée sur la pierre indique certainement la célébration de celle de 1479. C’était donc à la fois un calendrier et une pierre commémorative de cette cérémonie rituelle. 
Une troisième structure chronologique existait : le cycle vénusien de 584 jours venant en concordance avec les deux autres tous les 104 ans solaires. Cette période, la plus longue du système aztèque, était appelée Ueuetiliztli (vieillesse). 
Au centre se trouve Tonatiuh (en nahuatl, de tona : faire le soleil et la chaleur, et tiuh qui peut se traduire par aller) le dieu solaire. Il était associé au Cinquième Soleil, notre époque actuelle, l’ère du Soleil en Mouvement (Ollin Tonatiuh). Les quatre premiers mondes s’étaient terminés par des catastrophes et celui-ci devait connaitre le même sort. 
Tumblr media
Tenochtitlán et  Motecuhzoma Xocoyotzin
L’appellation complète de la capitale aztèque est en fait double : México- Tenochtitlán. Son étymologie et son sens se prêtent à plusieurs interprétations.
Entre autres hypothèses, Mexico viendrait de Mexitl, l’autre nom du principal dieu aztèque Huitzilopochtli. Mais ce pourrait être (la ville qui est) au milieu (du lac) de la lune (du nahuatl metztli, lune et xictli, ombilic, centre), ce qui rappellerait l’ancienne dénomination de la lagune de Texcoco, Metztliapan (le lac de la lune).   
Tenochtitlán signifierait lieu du grand prêtre Tenoch. Ce dernier était aussi un Cuauhtlahtoani, un gouverneur militaire. Ce pourrait désigner également l’endroit où pousse le Figuier de Barbarie (tenochtli).
En 1521, après l’avoir conquise avec l’aide des tribus revanchardes de la région qui avaient été soumises par les Aztèques, dont les Totonaques, les Conquistadores emmenés par Hernán Cortés la rasèrent pour effacer toute trace qui pourraient rappeler leur civilisation aux indiens survivants. Dès l’année suivante, ils commencèrent à assécher les lagunes et les canaux et à construire, à la place, ce qui allait devenir la ville de Mexico.
Succédant à son oncle Ahuitzotl 7, sous le règne duquel l’empire avait atteint son apogée (1486-1502), le neuvième et antépénultième huey tlatoani, Motecuhzoma “Xocoyotzin” - “jeune honoré” - (1466-1520), se trouvait sur le trône à l’arrivée des Espagnols.   
7. “Ahuitzotl” signifie “Chose aquatique épineuse”. Le nom est associé à une créature mythique s’attaquant à ceux qui s’approchaient de sa demeure située au fond d‘un lac.   
Son nom, dont les variantes sont Motecuzoma, Moteuczoma, Montezuma, ou Moctezuma II, est un mot composé qui associe un terme, tecuhtli, signifiant seigneur et puissant à tout jamais et un verbe, zuma, voulant dire froncer les sourcils de colère. Il est interprété comme celui qui fronce les sourcils comme un seigneur ou celui qui est en colère avec noblesse.
Le numéro de règne ne fut utilisé qu’à l’époque moderne pour le distinguer de son arrière-grand-père Moctezuma Ier, que les chroniques aztèques appelaient Motecuhzoma Ilhuicamina ou Huehuemotecuhzoma (Moctezuma l’ancien), car, chez les Aztèques, la succession dynastique n’existait pas. Les souverains étaient élus.   
Les cités jumelles du Lac Texcoco
Depuis sa fondation, Tenochtitlán s’était étendue au point d’englober la ville voisine de Tlatelolco comme en témoigne la Plaza de las Tres Culturas (Place des Trois Cultures), ou Plaza de Tlatelolco, que l’on peut considérer comme un condensé de l’histoire de Mexico et du Mexique.
Les immeubles des années soixante du Mexico moderne côtoient les vestiges de la période coloniale de Nueva España (Nouvelle-Espagne) et de l’époque précolombienne (ou préhispanique) des Mexica.
En 1527, la construction de la première Eglise de Santiago Tlatelolco fut terminée et dédiée à Santiago Apóstol (l'apôtre Saint-Jacques le Majeur) évangéliste et saint patron de l'Espagne, dont le tombeau se trouve, selon la tradition, dans la Catedral de Santiago de Compostela (Saint-Jacques-de-Compostelle) en Galice. L’église fut confiée à l'ordre des Frères mineurs (les franciscains) qui fondèrent ensuite un couvent. 
Mais, plus important, en 1536, les missionnaires inaugurèrent le premier établissement supérieur d’Amérique, le Colegio de Santa Cruz de Tlatelolco (Collège de la Sainte Croix) destiné à former l’élite amérindienne. Malheureusement, pour des raisons financière et politique, l’établissement périclita et tomba en ruine vers la fin du XVIe siècle.  
Ce fut dans ce collège qu’enseigna le Révérend Père Fray Bernardino de Sahagún (1499–1590) qui arriva au Mexique en 1529 et fut l’auteur, avec l’aide d'Indiens lettrés, de la Historia general de las cosas de nueva España (Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne). Cet ouvrage encyclopédique dont le manuscrit compte 12 livres, chacun consacré à un thème différent lié au monde aztèque, est couramment appelé Codex de Florence ou Codex florentin. Commencé vers 1558 et daté de 1577, il fut écrit à la fois en espagnol et en nahuatl pour faciliter la christianisation des amérindiens.       
L'église que l’on peut voir aujourd’hui fut inaugurée en 1610.
Tumblr media
De l’époque précolombienne, il reste les ruines des temples et autres édifices de l’enceinte sacrée aztèque de Tlatelolco des XIV e et XVe siècles dont le Templo Mayor, le Templo Calendárico (du Calendrier) ou encore, le Coatepantli (Mur des Serpents).
Situé dans la Colonia 8 Tlatelolco 9, dans le nord du centre-ville de Mexico (Voir plus bas), c’était l’ancienne place principale de Tlatelolco fondé comme Tenochtitlán sur un ilot de la lagune de Texcoco en 1337 à la suite d’une sécession du groupe Mexica. Mais le site serait en fait plus ancien d’environ un siècle comme le montre le résultat de fouilles archéologiques récentes.
8. Colonia (colonie en espagnol) désigne un quartier dans les villes mexicaines. Cette appellation plus administrative que “barrio” fait référence à la colonisation de lotissements par les habitants du centre ville en 1900.
9. “Tlatelolco” provient de "Xaltelolco" qui dérive de " xaltiloll " qui signifie "pointe de sable" ou "à la place du tas de sable". Ou bien de “tlatelli”, "terrasse".
Sur la place se déroulaient les tianguis (en nahuatl, tianquiztli signifie marché, lieu de commerce ; également place, place centrale). C’était le plus important marché du pays.
Mais en 1473, les deux cités entrèrent en conflit et Tlatelolco, qui avait sa propre dynastie, fut annexée à l’Empire Aztèque par le souverain Axayacatl et devint le faubourg commercial de la capitale aztèque.
Les derniers combats se seraient déroulés sur cette place lorsque Tenochtitlán chuta le 13 août 1521, après un siège qui durait depuis le 30 mai. Les Conquistadores mirent ainsi fin à une civilisation exceptionnelle.
Les derniers “ huey tlatoani”
Lors de l’entrée des troupes espagnoles dans Tenochtitlán le 8 novembre 1519, Moctezuma accueillit Cortéz comme un dieu, le prenant pour un émissaire de Quetzalcóatl 10, sinon comme la divinité elle-même dont la légende indiquait, qu’un jour, il reviendrait pour mettre un terme à l’oppression et aux sacrifices.
10. Quetzalcóatl, le “serpent à plumes”, “serpent à plumes précieuses” ou “jumeau précieux”. En nahuatl, “quetzal” signifie “oiseau”, “volant” ou “précieux” et “cóatl”, “serpent” ou “jumeau”. Dieu important du panthéon aztèque (chef des prêtres, inventeur du calendrier et du livre, protecteur des orfèvres et des artisans), il était vénéré depuis longtemps et avait un rôle majeur dans les mythes de la création du monde des légendes mésoaméricaines. Il fut souvent confondu avec le roi toltèque de Tula, Ce Acatl Topiltzin Quetzalcóatl, qui en était également le grand prêtre.
En 1520, l’empereur qui était retenu prisonnier par Cortés, tenta de calmer la foule lors d’une émeute et fut alors tué par un jet une pierre. On ne sait toujours pas aujourd’hui s’il fut assassiné par un de ses sujets ou par les occupants.
Après Moctezuma, deux autres huey tlatoani se succédèrent : son demi-frère Cuitláhua 11, ou Cuitláhuac, mort de la variole au bout de 80 jours de règne en 1520, puis son cousin Cuauhtémoc (Soleil dans son déclin ou Aigle qui est tombé), Cuauhtémoctzín ou Guatimozín. Celui-ci fut le dernier souverain aztèque. On le condamna à mort et on l’exécuta en 1525 sur ordre de Cortéz pour avoir résisté aux Espagnols. 
11. Cuitláhua (qui peut être interprété comme “Propriétaire d'excréments”) aurait été désigné de façon erronée sous le nom de "Cuitláhuac", abréviation de "Cuitlahuacan" dont la signification serait "où ils ont des excréments" ou "dans les excréments secs". A cette époque, les excréments était commercialisés et utilisés pour bronzer les peaux.
El  Penacho de Moctezuma   
Au Museo Nacional de Antropología, on peut voir une reproduction réalisée en 1939 d’une coiffe rituelle. 
Tumblr media
Exceptionnelle illustration de l’art de la plumasserie aztèque, la pièce originale de ce quetzalapanecáyotl, ou coiffe de plumes de quetzal, est plus connu sous le nom de  Penacho de Moctezuma (Panache de Moctezuma). Il aurait été portée soit par Motecuhzoma Xocoyotzin, soit par un grand prêtre.    
Avec des dimensions d’à peu près 178 centimètres de long sur 130 de haut, il comporte 450 plumes vertes de quetzal, ainsi que des plumes bleues de l'oiseau xiuhtototl, roses de tlauquecho et marron de squat. Il est aussi serti d'or et de pierres précieuses (beaucoup de ces matériaux abimés furent remplacés). C’est le seul exemplaire qui existe au monde.
En 1519, Il fut offert par l’empereur à Cortéz qui en fit cadeau ensuite à Charles Quint, empereur du Saint-Empire Romain Germanique et roi d’Espagne, entre autre titre, sous le nom de Carlos Ier. 
Ce dernier appartenait à la famille des Habsbourg et était Archiduc d’Autriche, ce qui expliquerait pourquoi la coiffe s’est retrouvée à Vienne. Après une longue restauration qui dura 3 ans, elle est aujourd’hui exposée au  Weltmuseum (Musée du Monde), le musée d’ethnologie de la ville. 
Le Mexique voudrait le récupérer, mais les Autrichiens considèrent qu’il n’est pas en assez bon état pour être transporté.  
Mexico et le Zócalo
Aujourd’hui, 9 millions d’habitants vivent à 2250 mètres d’altitude dans la capitale mexicaine qui constitue également un des 32 états du pays.
La population de son agglomération, une aire urbaine dénommée Zona Metropolitana del Valle de México (Zone Métropolitaine de la Vallée de Mexico - ZMVM), compte approximativement 21 ou 22 millions de personnes  répartis sur 3 états : Ciudad de México, Estado de México et Morelos.
En 1988, la ville formait déjà une mégapole polluée. Sa situation géographique au milieu d’une cuvette et la proximité (70 km) du volcan Popocatepetl, très actif, s’associent au facteur démographique pour dénaturer l’environnement. 
Jusqu’en 2016, la Ciudad de México (CDMX) était appelée Distrito Federal (District fédéral).
Le Centro Histórico (Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1987) s’organise autour de la Plaza de la Constitución (Place de la constitution), son nom officiel depuis l’adoption par la Nouvelle Espagne de la constitution espagnole de 1812.
Mais elle est en fait appelée Zócalo (socle) par les habitants de Mexico. Ces derniers prirent en effet l’habitude de se donner rendez-vous autour de ce piédestal, construit en 1843 et qui devait servir à accueillir un monument en l’honneur de l’indépendance du Mexique. Ils assimilèrent alors le socle à l'esplanade, et bientôt, la population des autres villes du pays empruntèrent le terme pour leur place centrale.
Le Centro Histórico , appelé également Centro, se nomme administrativement, Colonia Centro. Les quartiers tout autour font partie de la delegación   (arrondissement) de Cuauhtemoc considérée comme le centre-ville de la cité.
La cathédrale
Bordant le nord du Zócalo se trouve la Catedral Metropolitana de la Asunción de la Santísima Virgen María a los cielos (Cathédrale Métropolitaine de Mexico), la plus grande d’Amérique latine.
Elle penche sur ses fondations implantées dans le sol instable de l’ancien Lac Texcoco.
Tumblr media
Peu après la conquête, Hernan Cortès avait commandée une première église dont la construction commença en 1524 et se termina en 1532. Mais elle s’avéra rapidement trop petite pour la capitale de la Nouvelle Espagne. On la détruisit complètement en 1626.
Les travaux des fondations de la cathédrale, à l’emplacement d’un temple aztèque dédié au dieu Xipe Topec (notre seigneur l'écorché en nahuatl), débuta en 1562 et la première pierre fut posée en 1573. Elle ne fut achevée qu’en 1813. 
D’une architecture composée de styles différents allant du gothique au néoclassique en passant par le baroque, elle mesure 110 mètres de long pour une largeur de 54 mètres. Ses tours qui s’élèvent à une hauteur de 67 mètres datent de la fin XVIIIe siècle.
A l’intérieur, on peut voir le Cristo del Veneno (Christ du Poison) ou Cristo Negro (Christ Noir) du XVIIIe siècle, devant l’ Altar del Perdón (Autel du pardon).  
Selon la légende, le christ en croix était de couleur claire quand il arriva au Mexique en provenance d’Espagne à l’époque coloniale. Un fidèle, qui avait été empoisonné sans le savoir, embrassa les pieds de la sculpture dans un acte de dévotion et y laissa une tache de poison. En l’absorbant, le christ devint entièrement noir. Ainsi, il sauva le dévot d’une mort annoncée.
Tumblr media
Selon une autre version, un prêtre aurait reçu les confessions d’un meurtrier et lui aurait demandé de se rendre. Mais le criminel voulut se débarrasser de l’homme d’église pour que son secret soit bien gardé. Il mit du poison sur les pieds du christ. Lorsque le prêtre essaya de les embrasser comme tous les soirs, la sculpture releva les jambes pour l’empêcher, absorba la substance et noircit.
Plus prosaïquement, ce serait plutôt l’Eglise catholique qui aurait changé la couleur du crucifix pour que les indigènes, à la peau foncée, s’identifient plus facilement au fils de Dieu.
La cathédrale jouxte aujourd’hui les ruines monumentales découvertes en 1978 du Templo Mayor (Grand Temple, en espagnol), la double pyramide à degrés de l’ancienne Tenochtitlán dédiée au culte de Huitzilopochtli et de Tláloc (Celui qui fait ruisseler les choses, le dieu de la pluie). 
Ce monument dont l’édification s’étala en 13 phases, de 1375 à 1519, fut détruit par l’empire colonial au XVIe siècle.
Le Palais National
Sur le côté Est du Zócalo , s’élève le Palacio nacional, siège du pouvoir exécutif. Sa façade de tezontle, une pierre volcanique couleur lie de vin, s’étend sur une longueur de plus de 200 mètres.
Tumblr media
En 1523, Cortés, nommé le 15 octobre 1522 gouverneur et capitaine général des terres conquises par Charles Quint, avait fait construire sa maison, à l’emplacement de l’ancien palais de l'Empereur aztèque Moctezuma. Le second vice-roi de Nouvelle Espagne, de 1550 à sa mort,  Luis de Velasco (1511-1564), la racheta en 1562 pour en faire la résidence de la vice-royauté. 
L'édifice fut transformé au cours des siècles suivants et reçut le nom de Palais National lors de l’indépendance du Mexique en 1821. Les présidents de la république y vécurent également jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Le Palais des Beaux Arts 
En bordure ouest du Centre Historique, s’élève le Palacio de Bellas Artes.
Tumblr media
A l’origine se trouvait l'ancien Grand Théâtre National (1841-1901). Après sa destruction, on décida d’y édifier de ce qui devait être le nouveau Théâtre National.   
Les travaux commencèrent en 1904, mais à cause de diverses difficultés, il ne furent terminés qu’en 1934. 
En 1932, étant destiné à être plus largement le "... siège d'une institution nationale à caractère artistique", son nom fut changé en Palais des Beaux Arts. Outre un théâtre et une salle de spectacle, il comprend en effet le Museo Nacional de Arquitectura et le Museo del Palacio de Bellas Artes.
Pastelería
A proximité, un lieu étonnant me permet de dire un petit mot concernant la gourmandise des Mexicains.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle ne se traduit pas uniquement, dans leur cuisine, par les plats salés. Ils adorent tout ce qui est sucré et possèdent un grand choix de desserts que l’on peut acheter dans les nombreuses boulangeries et pâtisseries de Mexico.
Pastelería Ideal est l’une des pâtisseries les plus anciennes et les plus reconnues de la ville. En 1988, une de leurs trois succursales située Avenida 16 de septiembre, et qui existe toujours d’ailleurs, était un véritable supermarché où on pouvait admirer de magnifiques échafaudages de gâteaux à la crème !
Tumblr media
La Place Garibaldi  et les Mariachis    
Les Mexicains adorent également faire la fête.
Au nord du Palais des Beaux Arts, à la limite du Centre historique, est située la Plaza Garibaldi 12, haut-lieu touristique célèbre pour ses groupes de Mariachi et ses soirées festives où les Mexicains viennent se réunir et s’amuser.
12. José “Peppino” Garibaldi, de son vrai nom, Giuseppe Garibaldi, était en 1910 un compagnon de lutte, lors de la Révolution mexicaine, de Francisco  Madero (Président de la République de 1911 à 1913 lorsqu’il fut assassiné). Il était également le petit-fils de Giuseppe Garibaldi, général et homme politique, un des héros du Risorgimento, l’unification de l’Italie, en 1871.
On pensa longtemps que le terme “mariachi” dérivait du mot “mariage” et désignait donc les musiciens ou le genre de musique qu’on jouait pendant les mariages locaux lors de l’occupation française de l’ouest du Mexique dans les années 1860. 
Mais cette version fut définitivement écartée en 1981 quand on découvrit un document daté de 1848, donc antérieur à la présence des Français, qui faisait référence aux mariachis.
Entre autre théorie, il s’avérerait plutôt que le terme soit originaire du village de Cocula (État de Jalisco) où les indiens Coca, au XVIe siècle, nommaient ainsi un musicien. Ce serait donc un vocable indigène qui ferait référence à la plateforme de bois sur laquelle jouaient ces musiciens dans cette région considérée comme le berceau de ce genre musical appelée Mariachi.  
Cette musique à cordes, chant et trompette inscrite sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO 13 se joue, se chante et se danse tous les jours sur la Place Garibaldi. 
13. Dans le pays, en font également partie, entre autre, la cuisine traditionnelle mexicaine, la cérémonie rituelle des Voladores ou la Charrería (voir plus bas pour cette dernière activité).
Tumblr media
Le maguey
A l’origine, la Place Garibaldi était le quartier préhispanique de Texcatzoncatl, le dieu du vin et de l’ébriété chez les Aztèques. Or, dans ce quartier habitaient principalement des potiers et des cultivateurs de Maguey (Agave 14 américana). Ce mot taïno (langue des Taïno, peuple amérindien disparu qui vivait dans les Grandes Antilles) fut adopté par les Espagnols. 
C’est avec cette plante que, bien avant la domination des Mexica, les populations du plateau central du Mexique fabriquaient le Pulque 15 , une boisson alcoolisée à base d'aguamiel (littéralement, eau de miel, la sève du Maguey) fermenté, rappelant le Cidre. Elle est considérée aujourd’hui comme la boisson du pauvre, des “Indios”. 
14. Du grec ancien ἀγαυός (agauós) qui signifie “admirable”, l'Agave a été nommée ainsi du fait de sa taille imposante. Il ne faut pas la confondre avec l'Aloe. Même si ces deux plantes succulentes ou plantes grasses - comme la plupart des Cactus, dont le Figuier de Barbarie - se ressemblent, leur origine géographique et leur floraison diffèrent et elles appartiennent à deux familles botaniques distinctes. 
15. “Pulque” est un mot espagnol dont l’origine nahuatl est incertaine. Il pourrait venir du nom “poliuhqui” (”Quelque chose perdue ou condamnée”) dérivant lui-même de “polihui” (”à disparaître, périr, être passé”).      
Deux autres alcools célèbres du patrimoine mexicain sont produits à partir du Maguey : le Mezcal et la Tequila. Mais les Mésoaméricains ne les connaissaient pas car ils ne savaient rien du procédé de distillation.
Si on peut dire que toutes les Tequila sont des Mezcal, le contraire n’est pas vrai. En effet, si ces deux boissons sont élaborées de la même façon, la Tequila doit être fabriquée majoritairement à base d’Agave bleue (Agave tequilana ou Agave à Tequila) cultivée dans une aire géographique délimitée : l’État de Jalisco et quelques municipalités de quatre autres états.  
Le Charro
Traditionnellement, les Mariachis, les musiciens qui font partie de ces orchestres, portent le costume de charro 16 constitué notamment de son sombrero 17 typique qui, bien qu’il incarne le peuple mexicain, est une forme de chapeau qui existait déjà en Espagne près de Salamanque ou en Andalousie. 
Il fut introduit au Mexique à l’époque de sa colonisation et fut utilisé pour la première fois dans la région de San Luis Potosí par les vaqueros (cow-boy, en anglais), les paysans à cheval qui s’occupaient du bétail, et plus précisément des vaches (vaca, en espagnol), pour se protéger du soleil.
Tumblr media
16. Le “Charro” était primitivement le nom donné aux natifs de la province de Salamanque. 
Le mot  qui viendrait d’une langue pré-romaine parlée en Espagne, signifie “rugueux”, “grossier” et désignait péjorativement l’agriculteur typique de la région dont le costume était la caractérisation principale : il portait un chapeau à large bord et flexible et des vêtements rappelant celui des Charros mexicains qui sont les cavaliers spécialistes du dressage et de la monte des chevaux. Ils exercent également la Charreria, une tradition équestre issue d’une pratique des communautés d’éleveurs de bétail, et considérée comme un sport, à l’instar du rodéo aux Etats-Unis.
17. “Sombrero” veut dire “chapeau” dans la langue de Cervantes. Le mot est dérivé de “sombra” : “ombre”. Au Mexique, il faut d’ailleurs préciser, “sombrero charro” pour ceux portés par les paysans ou les Mariachis.
La Ciudadela
L’artisanat mexicain est bien entendu très richement marqué par son histoire plurimillénaire. Pour s’en rendre compte Il suffit de déambuler dans les nombreux lieux qui lui sont dédiés à Mexico comme le Mercado de Artesanias de La Ciudadela (Marché artisanal de la Citadelle), situé au coin sud-ouest du Centre Historique, dans la rue de Balderas, en face du jardin Morelos.  
Tumblr media
Jouxtant la Plaza de la Ciudadela, le marché existe depuis 1965, date à laquelle il fut créé sous le nom de Foire de la Citadelle dans l’optique des Jeux Olympiques de 1968. Des artisans proposent des produits traditionnels provenant de tout le pays, dans une ambiance de souk.
Il occupe une partie de l’enceinte de l’ancien dépôt d’armes de la Ciudadela. 
Cette dernière, conçue à l’origine pour être une fabrique de tabac et occupée dès la fin des travaux en 1807 par la Royal Tobacco Factory, fut transformée en prison en 1815 et un an plus tard en citadelle destinée au parc d'artillerie générale.
Le bâtiment donnant sur la Plaza de la Ciudadela abrite la Biblioteca de México.
2 notes · View notes
ramonlmorales · 3 years ago
Photo
Tumblr media
¡Muy pronto Labios de Carmín y Sombras de carmín estarán presentes en la Feria Internacional del Libro Zócalo Ciudad de México! Búscalos en el stand 15 de la SOCIEDAD ARTÍSTICA LA SANGRE DE LAS MUSAS, del 8 al 15 de octubre. Date una vuelta, verás que te vas a sorprender. https://fb.me/e/15Fn13HAd “Se llama vida, Yago. Es un juego, hay que saber jugarlo. Las reglas… son una mierda, es necesario inventarse las propias a costa de lo que sea. Avanzar a través de todo: de la ciudad, de los vivos, de los que quieren que mueras…, de los que te abandonan en un basurero. Yo nací en la ciudad, sus calles son mi hogar, su aire pestilente es mi aliento. Conozco la piedra y el metal de sus edificaciones, sus grietas, incluso su dolor. La ciudad vivirá por siglos, nosotros sólo necesitamos sobrevivir por unos años". Entre el humo y el alcohol unos labios de carmín beben el trago de los sueños añejos. La noche sigue reinando. . . . #filz2021 #Labiosdecarmin #sombrasdecarmin #libros #Novela #novelanegra #lector #terror #horror #book #noir #zocalo #zocalocdmx #lecturasrecomendadas #thriller #suspenso #suspense #lectura #nochedeletras #noche https://www.instagram.com/p/CUqVQBBlxEj/?utm_medium=tumblr
0 notes
mclghostdetachment · 5 years ago
Text
A Few New: Kismat Charging, Zocalo Noir, Sometimesit by A. Yobi B.
A Few New: Kismat Charging, Zocalo Noir, Sometimesit by A. Yobi B.
Kismat Charging Monochrome by A. Yobi B. Kismat Charging Color, A Yobi B. Zocalo Noir Monochrome ,(painting color one) by A. Yobi B.
View On WordPress
0 notes
jenniferstolzer · 6 years ago
Photo
Tumblr media
Babylon 5 Rewatch Ep 0213 Hunter, Prey
Earthdome cops storm the station looking for a person of interest who has delicate information on President Clark. Garibaldi and Franklin go under cover in the most unsuspicious costumes every stitched. And Kosh keeps being as creepy as he possibly can. 
Impressions of Hunter, Prey
I am happy any time Corwin appears :) Even though I do’nt think he has a name yet. 
Garibaldi as a mystery hunter. He’s always looking for the catch, the hook. I maintain that he lives his life in his own private noir novel complete with internal monologue only he can hear. He probably sees in black and white. ><
Sheridan comes down to stare at Kosh’s ship. Ivanova joins him like “I stare at it sometimes” This leads me to conclude that Vorlon Ships are better than cocaine... but its a real bad trip when the coke tries to kill you with its laser pointer.
Kosh comes out of the shadows after the command staff leaves and is like “don’t hurt the captain, Ship and/or Pet, I need him for reasons.”
Franklin went to Harvard!
Kosh is supposed to be mysterious but he’s actually kinda silly. I like to imagine he’s on roller blades under his drapery and is just skating around the station super pleased with himself. 
John corners kosh in the hallway and tries to get an answer out of him to his own complete exhaustion. 
John: “W H Y”
Kosh: “I do not believe in being forthcoming with any request or communication. I listened to the song of your dreams and therefore have nothing to say to you, ....peace out.”
Tumblr media
The person of interest (clark’s physician) has a tracking crystal in him. I would not sign up for any job that required them implanting a tracker in me. And yet the crystal’s signal is so weak they can’t detect it outside the station. Is it there in case of avalance? What’s the point of it? 
Enter the random Furnace set. Sheridan walks in to this random boiler room and meets with a contact that is rebelling against Clark. This woman walks in and out of the boiler room to meet him... i’m going to assume this woman just sleeps down here. Like why are you here?
Garibaldi sends a coded text by telling Franklin Happy Birthday with hand-written MSPaint text over it is my favorite thing in the universe. 
Garibaldi is in his ugly shirt again. I love that ugly shirt so much. It confirms to me that he only sees in black and white b/c why would you wear that? And then add the hat and trench... come on man ><
Tumblr media
Franklin’s “act casual” outfit is wearing a jean jacket and a hawaiian shirt. AFter an exhaustive search of Down Below, they stop to bond over granola bars like the middle-aged moms they are.
I love Max, the guy holding the doctor hostage. I wish he was in more of the show. He’s a cyberpunk asshole complete with wrap-around glasses.
I like that Kosh got offended when Sheridan asked “what do you want.” “THAT IS NOT OUR QUESTION YOU TAKE THAT BACK”
Do you think the crystal from Clark’s doctor would have proof of his keeper? Is he kept at this point? It’s heavily implied he has one at the time of the Earth Civil War.
There are these internal scanners that can pick up the tracking crystal but we didn’t use them. Why didn’t we use them? I understand at this point in the story, when Mr. Government (who is not a good actor, he has flubbed a bunch of lines) discovers we have that capability. Right now, Sheridan is trying to get Dr. Convict Guy out of the station safely, but why didn’t he bring this up when he was rolling his eyes trying to get this nonsense out of his hair before contacting Boiler Room Woman? I guess b/c the plot needed him not to solve the problem in 2 hours and take a nap.
They manage to get Dr. Convict off the ship by letting Kosh’s ship eat him for a little bit. Through this it’s revealed that Kosh’s ship is another lifeform with a certain amount of intelligence. It can also punch a guy. I’ll call her Moya from now on and I’m gonna pretend she has a super sassy telepathic conversation with Kosh when he comes to visit. They had to drug Dr. Convict to score him a ride... I think its’ because the inside is just blinding light like crazy. Also the acid trip from the natural Moya drugs would send him spinning. Even so, Dr. Convict remembered Moya singing to him while he slept. Maybe she’s less sassy and more disapproving mother. “Kosh, have you been eating?  You never visit, you never call... come back here young man!”
So I have a theory. I think Boiler Room Woman written in last. She’s never seen outside the boiler room and only speaks to Sheridan. All her scenes were shot on the same day. I think Bruce was invited in for callbacks, they had this boiler room leftover from last episode’s Down Below scenes so they’re like “Shoot on this before we rip it down to put the Zocalo set back in” so they shot it quick in like 3 hours after principle photography was done to sort of tie up the “where did Dr. Convict go” plot. It’s just a theory, but it checks out in my mind. Like they were reading through the script and someone said “But where does Dr. Convict /go/ exactly?” and JMS is like “he’s taken by...a... BOILER ROOM LADY!”
Tumblr media
22 notes · View notes
bornutyboisson · 6 years ago
Text
Monsieur Soleil (dont Google a volé l'âme)
Tumblr media
Monsieur Soleil
(dont Google a volé l'âme)
Minuit était passé depuis longtemps, il n'y avait presque plus personne. Je  me baladais dans les rues du centre historique de la ville de Mexico. Pour être venu plusieurs fois dans la capitale du Mexique, je pouvais me vanter de bien connaître les rues autour de la plaza del Zocalo et de la cathédrale jusqu'à la plaza de Bellas Artes et du parque Alameda. Pourtant d'un coup je me suis arrêté et j'ai levé la tête. Je ne reconnaissais pas cet endroit. Je ne sais pas comment j'étais arrivé là, j'avais marché machinalement.
J'étais parvenu au bout d'une rue qui se finissait en une petite place sur laquelle était planté un arbre sec et rabougri. Dessous il y avait un banc.  Je devais soit faire demi tour soit prendre derrière l'arbre, un étroit passage bordé par des hauts murs qui menait je ne sais trop où  et qui était peu éclairé. Ca avait tout l'air d'un coupe-gorge. J'ai donc fait demi-tour quand j'ai entendu  quelqu'un dans mon dos qui m'appelait. Monsieur Bornu Tyboisson, arrêtez vous, s'il vous plaît. Je dois vous parler.
Je me suis retourné d'un coup. IL n'y avait personne.  J'ai repris ma marche et j'avais à peine fait trois pas  qu'à nouveau  la voix répéta,  monsieur Bornu Tyboisson.  
Je me suis retourné à nouveau, mais cette fois-ci plus lentement car je savais  que mon esprit était en train de me jouer un tour, et qu'il n'y aurait personne dans l'impasse quand je me serais retourné. Ce qui fut évidemment le cas.
Vous de pouvez pas encore me voir a dit une voix. Je m'appelle monsieur Soleil et j'ai besoin de votre aide.
Cette voix était très clair,  très net   mais impossible. de dire de quel côté, elle venait
Un instant je suis resté immobile. J''avais entendu des voix une fois, l'année précédente  dans un musée à Guadalajara, mais depuis   tout était redevenu normal. J'ai donc fait comme si tout était encore normal.
Bonjour j'ai dit en tendant la main dans le vide. C'était un jeu.
Ne soyez pas cynique monsieur Tyboisson. Pour l'instant,il ne vaut mieux pas que vous me voyiez.
Personne ne peut vous voir  dans toute votre  splendeur sans aussitôt en mourir. N'est-ce pas ainsi  monsieur Soleil, j'ai demandé ?
Vous ne croyez pas si bien dire. En effet. S'il vous plaît, allez vous asseoir sur ce banc. Je vous rejoins dans un instant.
Comme il me l'avait dit, j'ai été m’asseoir sous l'arbre rabougri.  Je ne sais pas pourquoi. Il aurait été tellement plus simple de partir. Au lieu de quoi j'ai croisé les jambes et enserré un genou entre mes mains et je me suis tenu bien droit. Presque aussitôt j'ai perçu à mes côté une présence ou plutôt une force. J'ai commencé à suer. J'avais l’impression qu'il faisait 40 degrés.
Attendez encore un instant à fait la voix.
J'ai décroisé les jambes. Je me suis essuyé le front et remonté les manches de ma chemise, puis j'ai tourné la tête. Un homme était assis à côté de moi. Il portait un sweet noir avec une capuche démesurée qui lui descendait jusqu'au niveau de la bouche. Il avait aussi des gants noirs, un pantalon et des chaussures noirs.  J'avais très chaud,  mon cœur battait plus vite qu'à la normale et je suais de plus en plus, à grosses gouttes.
Attendez encore a-t-il dit. Bientôt vous vous ne sentirez beaucoup mieux. Respirez à fond.
C'est ce que je fis , je respirais et soufflais puis mon cœur se mit à ralentir et à nouveau j'ai ressenti la fraîcheur des nuits de Mexico. C'est comme si on m'avait fait un massage. J'étais très décontracté.
Ca va mieux n'est-ce  pas ?
Je vais vraiment très bien, merci, je lui ai répondu. Vous m'avez drogué a l'insu de mon plein gré  non ?
Monsieur soleil s'est mit à rire d'un rire comment dire? C'était un rire plus que chaleureux. Je dirais un rire de flammes ou un rire qui crachait des braises. Mais plus que tout c’était  un rire qui vous donnait confiance et qui vous rassurait. C'était inconsidéré de ma part mais j'avais décidé que cet homme dont je ne connaissait rien, qui se cachait derrière des habits noirs et sans visage visible, était mon  ami, quelqu'un que je semblais connaître depuis toujours.
Ca m'a pris d'un coup. Je n'avais pas fumé depuis 3 ans et j'ai eu un besoin vital de Marijuana et comme par enchantement monsieur soleil a dit, n'hésitez pas - je crois qu'il lisait dans mes pensées.
C'est pour vous ajouta-t-il. N'ayez crainte, demain vous n'aurez pas envie de fumer. Faite vous plaisir et de sa main gantée,  il me tendit une toute petite cigarette.
C'est de la pure. Elle pousse dans la montagne du côté de Oaxaca. Elle est excellente, je vous l'assure.
Merci j'ai dit . J'ai pris cette petite cigarette et tirer deux taffes. Mes poumons ont hurlé, mes yeux sont sortis de ma tête je me suis plié en deux. J'ai crié géniale en me redressant et en me levant  du banc, avant de retomber d'un coup.
Houa c'est de la bonne j'ai dit. Monsieur Soleil vous ne seriez pas dealer, des fois? Si oui je vous en achète un kg. Mes amis vont en raffoler.
Il a rit de nouveau. De ces vêtement si sombre se dégageait  une très légère lumière qui formait un halo autour de sa personne.
Non je ne suis pas un dealer. Je savais juste que de fumer allait vous aider à mieux cerner  mon problème et je l'espère à m'aider. J'ai tant besoin de vous.
J'ai repris ma position initiale, jambe croisé un genou dans mes mains. La ruelle et la place semblait  voguer au dessus de la terre ce qui devait être l'effet de la marijuana. Ce lieu était perdu, nous étions seuls et à quelques mètres du banc, un lampadaire  nous éclairait d'une lumière jaune, ocre, presque irréelle. Monsieur Soleil à commencer à me parler. Il a parlé longtemps. Je ne l'ai pas interrompu. Sa voix était douce et ferme. Elle aurait pu être chantante mais elle avait quelque chose de tragique qui l'empêchant d'être tout à fait musicale. Je ne l'ai pas une seule fois regarder. J'avais le regard fixé sur l'autre halo, celui jaune ocre du lampadaire.
Je vais bientôt mourir fut sa première phrase. O n'ayez crainte, vous me verrez encore longtemps mais je ne serai plus le même car en ce moment, on est en train de me voler mon âme et sans mon âme, je devient  fade, sans couleur, vide. Chaque jour je le suis un peu plus. Vous savez la lumière n'existe pas sans âme. L'âme est le principe même de la lumière. Ne croyez pas que je parle de religion quand je parle d'âme. Je pourrais parler d'animation, de mouvement, de vitesse et même d'amour, l’âme c'est un peu tout ça. Vous comprenez ?
J'ai fait oui plus ou moins avec ma tête car  j'étais incapable de prononcer un mot, même oui. Cela devait être aussi l'effet de la Marijuana. Si vous voulez, je pourrais très bien dire,  à la place, qu'on est en train de me voler mon cœur. L'âme est aussi un cœur et sans cœur il n'y a pas de vie même pour moi comme pour toute chose. J'ai acquiescé, je comprenais à peu près.
Chaque nuit, je m'affaiblis un peu plus. C'est toujours la même chose.  Des milliers de personnes que dis-je des millions de personnes se réunissent sur les montagnes, dans  les plaines, en haut d'un bâtiment d'une ville et bien sûr sur le bord de la mer et, au moment du couché, ces millions d'hommes et de femmes prennent des photos. Je devrais dire qu'ils mitraillent. Qu'on fusille un peu plus chaque jour qui passe. Jusqu'à il y a une vingtaine d'année, c'était très supportable. Je peux même dire que cela flattait l’ego.  Mais avec l'arrivée des téléphones portables puis des smartphones, chaque couché de mon soleil est    devenu un enfer et il me souffre. Je m'en rappelle très bien, c'est ce qu'à dit monsieur Soleil, et il me souffre.
Monsieur Soleil a laisser un long silence  se poser sur nous. J'ai entendu son souffle, il était long, lent et profond. Il a ensuite parlé des peuples primitifs qui refusent qu'on les prennent en photos car ils pensent qu'on leur volent leur âme. Cela fait rire la plupart des gens des grandes cités habitués à une consommation effrénée d'images. Et pourtant les hommes sages sont ces hommes là. Puis il a ajouté, je vous ai choisi monsieur Tyboisson parce que en quelques sorte, vous êtes un homme primitif. Vous n'avez jamais fait de photos de votre vie jusqu'à ce dernier voyage et même aujourd'hui, vous ne faites jamais de photos de couché de soleil. Peut-être ne le savez vous pas, mais vous êtes de plus en plus rares, hommes et femmes, à ne pas photographier. Je vous ai choisi aussi parce qu'il me fallait quelqu'un au Mexique, disponible tout de suite.J'ai donc pensé à vous.
j'ai à nouveau fait un sigle de tête que je comprenais. Et maintenant j'étais presque certain qu'il lisait dans mes pensées car  je me demandais , il a besoin de moi pour quoi faire? Et il a ajouté, aussitôt après que je me suis mentalement posé la question, je vais vous le dire.
Google.
C'est en faite le seul mot que j'ai dit de toute cette conversation.
Quoi !
Oui Google. Google est en train de me voler mon âme.
Certes Google est une entreprise qui contrôle une très grande partie de notre vie. Mais au point de contrôler Monsieur Soleil , je ne pouvais le croire.
Non seulement il me contrôle à t-il dit mais Google me tue un peu plus chaque jour.
vous ne savez sans doute pas mais à chaque fois que sur votre smartphone vous faîtes une photo, Google l'enregistre et l'archive dans ses banques de données. Pour être très clair monsieur Tyboisson, je fais appel à vous pour que vous entriez dans les banques de données de Google et que vous détruisiez, les images de couché du soleil qui y sont emprisonnées. Vous êtes perplexe.  Je vous comprends. Vous vous demandez comment vous allez pouvoir faire, n'est-ce pas ?
J'ai hoché la tête.
Et combien d'image il vous faudra détruire ? C'est assez simple tout compte fait. Il vous suffira de détruire les photos faites ces dix dernières année ce qui correspond à 123 milliards de photos.  Le couché du soleil est la photo la moins originale de l'humanité et pourtant on continue à fusiller ce sans quoi, la vie n'existerait pas. Quel paradoxe ajouta-t-il et il y avait dans la voix de monsieur Soleil, un peu d'amertume. L'humanité aime à détruire ce qui donne à vivre. Et pourtant je ne peux m'empêcher de l'aimer.
Pas Google, pas ce monstre.
J'ai encore hoché la tête, rien de plus simple je me suis dit. 123 milliards de photos à détruite . Une bagatelle ! pour quelqu'un qui sait à peine ce qu'est une banque de données et qui n'a pas la moindre idée de la manière de rentrer dans ce type de banque et je ne sais encore moins comment faire pour détruire 123 milliards de photos ! Il faudrait des années et une armée entière  pour m'aider dans ma tâche.
Vous n'avez pas à détruire physiquement 123 milliards de photos, bien sûr,  il a dit. A l'époque du numérique, en quelques secondes, on peut effacer des millions de données. Cela devrait prendre tout au plus deux ou trois heures pour effacer toutes ces images et bien sûr vous allez être aidé par un groupe d'amis, les Péréphéricos d''une TAZ de l'état de Oaxaca.  Une TAZ est une Zone Autonome Temporaire et les péréphéricos sont des pirates.Vous  ne comprenez pas? C'est normal. Alors vous lirez la petite note que j'ai laissé pour vous à la fin de l'histoire.  Vous verrez, puisque vous allez les rencontrer, ce sont des gens sympathiques.
Monsieur Bornu Tyboisson. Je vous remercie même si vous ne m'avez pas dit que vous acceptiez ma proposition de détruire ces photos, je sais que vous allez le faire. Il faut que vous alliez vous reposer et vous coucher. J'ai réservé un vol pour vous ce matin. Vous allez  rejoindre la ville de Oaxaca et ensuite vous prendrez un bus pour vous rendre dans la montagne et rejoindre ainsi nos amis les Péréphéricos. Ils vous aideront. Vous pouvez vous levez monsieur Bornu Tyboison? J'ai confirmé. Je ne sentais plus vraiment l'effet du joint ni la fatigue.
Monsieur Soleil ne me tendit pas sa main. Il se leva du banc, le contourna et il s'engagea dans la ruelle. Avant de disparaître il me dit, bonne chance. Votre billet d'avion est dans votre chambre d'hôtel avec tout ce que vous avez besoin. On se reverra encore. Et  je vous remercie  de tout mon cœur ou tout de moins,  de ce qu'il en reste.
                                        X X X
Tumblr media
On allait bientôt arrivé à San José du Pacifico. Je me suis demandé si je n'étais pas l'objet d'une farce. San José au milieu de la montagne à 3 heures de bus de la ville de Oaxaca était devenu depuis une vingtaine d'année une sorte  de point de chute  de zombis défoncés, de types sans repère, de  néo-bouddhistes ramollis et de charlatans  en tout genre profitant de la naïveté  d'occidentaux qui confondaient culture indienne  chamanique avec  leur nombril inculte et paumé. Mais heureusement je n'allais pas avoir à faire à ces gens que généralement je fuyais.Je descendais du bus , 10 km après  San José, au milieu de nulle part. Il y avait juste un abri de bus et j'étais seul. J'ai été m’asseoir sous cet arrêt, à l'ombre. Sur le papier que j'avais retrouvé dans ma chambre, monsieur Soleil me disait que quelqu'un viendrait me chercher.
Après la sortie de M Soleil par cette  ruelle étroite  derrière la petite  place, j'avais facilement retrouver le chemin de mon hôtel situé dans la rue Isabella la Catholica pas très loin de la place du  Zocalo. En rentrant dans ma chambre  j'avais trouvé un mot de Monsieur Soleil sur mon lit. Il m'expliquait comment rejoindre la TAZ de Oaxaca et il y avait aussi suffisamment d'argent pour vivre 15 jours . IL avait écrit je ne vous ferrai pas l'insulte de vous payer . Vous ne l'accepteriez pas. Cet argent est juste une façon de vous dédommager de quelques frais.
Le papier de cette lettre était d'une nature très bizarre. Quand vous le teniez dans vos mains, il était doux comme  un pétale de rose  qui serait en permanence chauffé . Si vous le  saisissiez  entre l'index et le pouce, vous aviez l'impression de toucher une peau vivante bien que de texture végétale . C'était chaud et je m'attendais à percevoir un battement de cœur. Il y avait aussi un billet d'avion de Mexico à Oaxaca. Il y avait même du produit anti-moustique une crème solaire d'une grande marque, ainsi qu'une paire de lunette de soleil de très bonne qualité. Évidemment question se protéger des rayons solaires, Monsieur Soleil, était la personne  appropriée. Bref il avait acheté exactement ce qu'il me manquait.
Après quelques heures de sommeil, j'ai pris l'avion à l'aéroport  de Mexico. Moins d'une heure après le décollage, j'arrivais à Oaxaca et me faisait conduite directement à la station de bus à coté du marché de abastos, de l'autre coté du périphérique de la ville. Je faisais tout ce trajet sans penser une seule seconde à autre chose que d'arriver  dans cette Zone Autonome Temporaire au milieu de cette montagne et maintenant j'y étais presque. Depuis une demi-heure j'attendais sous l'arrêt de bus. Je n'avais  vu  personne. Un autobus était passé dans le sens inverse ainsi que 3 camionnettes qui devait arriver  de Puerto Escondido ou de Puerto Angel. J'ai regardé mon téléphone et je me suis dit encore trois minutes et s'il se passe rien , je retourne à Oaxaca. Au bout de deux minutes comme j'étais toujours aussi seul, me suis levé du banc  et j'ai mis mon sac sur mon dos. Au moment ou j'allais traversé la route, un vieux pick up est arrivé par un chemin de la forêt  et s'est arrêté juste devant moi.
Excuse moi a dit le chauffeur par sa fenêtre ouverte.Je ne t'ai pas trop fait attendre au moins ?
Une demi-heure j'ai dit.
Ah c'est rien, il a décrété, jette ton sac derrière et monte à côté de moi.
J'ai fait ce qu'il m'a dit et il a démarré sur les chapeaux de roues.
Il faut qu'on arrive avant la nuit, il s'est justifié, ce vieux tacot n'a pas de lumière.  Tiens met ça pendant vingt minutes. Tu n'es pas censé savoir ou je te conduis.
C'était un masque que l'on trouve dans les avions, d'ailleurs il y avait le logo d'une compagnie aérienne sur ce loup. Je l'ai mis.
Je sais que c'est des conneries mais bon, tu dois le garder vingt minutes.  Dans 5 minutes tu ne sauras déjà plus ou on est et tu pourras l’enlever. Et puis de toute façon, il y a déjà beaucoup de monde qui sait  ou se trouve cette  Zone Autonome Temporaire. Qu'on nous repère n'est pas important. Ce qui l'est beaucoup plus,  c'est d'être là où on nous attend pas ou de ne pas être là où on nous attend. Tu piges camarade.
Vaguement j'ai dit. Je ne l'avais pas dit a monsieur Soleil mais je savais que le livre  "TAZ", Zone Autonome Temporaire avait été écrit par Achim Bay aux Etats-Unis. Je l'avais lu à une  époque ou je m’intéressait aux pirates et que j'avais écrit un petit livre de piraterie pour Lou. 5 minutes sans voir,  me paraissait des heures, surtout que j'étais chahuté de tous cotés et que je ne pouvais pas anticiper les soubresauts du pick up.
Allez enlève ton truc il a dit, je m’appelle Nino et je suis italien.
J'ai enlevé le masque noir et je l'ai regardé. Tu te fous de moi je lui ai dit. Tu es chinois, japonais ou coréen j'en sais rien moi, mais cela m’étonnerait que tu aies du sang de Berlosconi dans les veines.
Il a rit.
Je suis Coréen mais je m'appelle quand-même Nino. Comme Nino Ferrer, "le Sud". La chanson. Ça te dit ?
J'ai fait un signe de tête de haut en bas.
Mucho gusto Bornu et il me tendit la main. Je me suis mis à sourire. Il avait un  foulard rouge autour du cou et une casquette parisienne qui lui tombait avec élégance sur une oreille. Il lui manquait juste un  vieux mégot au coin des lèvres et il aurait pu ressembler à un titi parisien. Comme il portait un débardeur blanc, taché de cambouis. On aurait pu aussi le prendre pour un ouvrier français pendant les grèves de 36.
Je suis  marxiste, sans parti, affirma-t-il fièrement,  libertaire et  historien amateur du mouvement ouvrier européen du XX siècle. J'ai beaucoup d'admiration pour vous les prolos français. On a pas ça dans notre culture en Corée mais ça va venir. Il y a déjà eu de grandes grèves et d'énormes manifestation comme chez vous.. On m'a dit que tu avais été militant pendant des années. C'est vrai ?
Pas tout le temps j'ai répondu, quand c'était nécessaire.
Plus de trente ans quand-même a fait Nino.
C'est ça.
Il faisait plus frais, par moment le soleil disparaissait derrière un sommet alors les couleurs du ciel s'adoucissaient et quand le soleil réapparaissait,  les ombres s'étiraient et s'enfuyaient en galopant sous les arbres. Une légère brise s'était  levée, elle venait de la direction du Pacifique et était chargée d'une fragrance de fleurs sucrées et d'épines de pin. Nous avons roulé sur des chemins de terre, le plus souvent en silence. Nous rencontrions parfois un  indien avec ses bêtes. Il nous faisait toujours un petit signe de la main. Nous avons quittez ce paysage de montagne et nous nous sommes retrouvé au bord, d'un vallon en forme de cirque. Au milieu il y avait un village en dur et des centaines de tentes.
Bienvenue dans une des Zones d'Autonomies Temporaires  de l'état de Oaxaca a dit Nino. On est enfin arrivé. Je te paye d'abord un verre camarade. Après nous passerons aux choses sérieuses.
                                        X X X
Tumblr media
(sur un mur de la ville de Oaxaca en janvier 2019)
TAZ.
C'était en réalité entre un hameau et un village  fait de maisons en bois pour la plupart, et quelques unes en dur, comme le bar ou nous sommes rentrés.
Sur les murs, il y avait les photos de Pancho villa, de Zapata et de Flores Magon l'anarchiste mexicain du début du vingtième siècle .Au dessus des toilettes hommes il y avait le portrait de Bakounine et au dessus de celles des femmes, de Louise Michel. Il y avait aussi des slogans politiques sur les 43  élèves instituteurs  de l'école normale d'Ayotzinapa disparus avec leur bus en septembre 2014, une affiche des Zapatistes de EZLN. Plus surprenant, une immense affiche recouvrait la moitié d'un pan de mur, c'était  un photomontage du tableau, "la liberté" de Delacroix et d'une manifestation des gilets jaunes en France.
Quel surprise, il y avait mon ami  Miguel de Guadalajara que je n'avais pas vu depuis plusieurs mois. J'allais me lever pour aller lui serrer la main mais Nino m'a dit, pas la peine camarade.  Tu le verras certainement plus tard.
A la table à côté de celle de Miguel, il y avait aussi le poète aux pieds nus de Puerto Vallarta. Il était dans les bras d'un mexicain et tous les deux semblaient heureux.  Je me suis demandé si ce n'étais pas son amoureux disparu, l'avocat qui défendait la cause des migrants. Los Desaparecidos, les disparus, on ne les retrouverait que rarement et souvent au hasard de la découverte d'un  charnier que suppurait  cette terre mexicaine  imbibée du sang de son  peuple.
J'ai eu l’impression qu'il me faisait un clin d’œil, je lui fait un petit signe de la main. Mais déjà il m'avait oublié et il embrassait goulûment son amoureux.
Comment tu trouves ce bar a dit Nino?
Très bizarre, j'ai répondu. J'ai l'impression d'être venu ici plein de fois et d'être entouré d'amis.
Tu as de la chance il m'a dit. Moi, la première fois que je suis allé dans un bar d'une TAZ , j'étais seul et il m'a fallu beaucoup de temps pour m'adapter. De toute évidence ici tu es comme chez toi. tu ne mettrais pas beaucoup de temps pour te sentir bien.
Les deux bières étaient devant nous. De temps en temps je regardais Miguel derrière mon dos. Il semblait ne pas me voir et était engagé dans une discussion passionnée avec deux autres mexicains.
Derrière à une autre table j'ai reconnu une écrivaine Helena Poniatowska, celle qui avait écrit le très beau, Diego te querio. Il y  avait aussi le poète  Secilia qui avait refusé d'écrire une ligne de poésie depuis l'assassinat  de son fils par des membres d'un cartel à  Cuernavuaca. Toutes les tables étaient occupées, il faisait presque nuit. Ces personnes avaient l'air  passionnées, vivant sans temps morts. On pouvait fumer. Nino a allumé une cigarette et m'en a proposé une. J'ai accepté. C'était ma première cigarette depuis  3 ans et j'ai éclaté de rire. Nino avait mis sa clope sur le coin des lèvres et là il n'y avait plus aucun doute, il était un titi parisien ou Gavroche. J'ai allumé  ma cigarette à la sienne. J'avais envie de fumer, de parler  de boire, de danser, de lutter et d'aimer à la folie, tout à la fois. J'aurais serré entre mes bras toutes ces personnes. J'adorais le bar de  cette Zone AutonomeTemporaire de l'état de Oaxaca.
Qu'est-ce qui te fait rire m'a demandé Nino?
Toi j'ai répondu. Ta manière d'imiter  les français.
C'est pas ça , il a fait inquiet ? Je suis ridicule .
Non Nino, j'aime bien comment tu es. Seulement par moment les étrangers vous nous voyez encore avec une béret basque, une baguette sous le bras et le poing toujours levé, comment si on était toujours en train de manifester, de faire grève et de bouffer en même temps.
Et de baiser aussi à poursuivi Nino. Vous baiser beaucoup vous les français. Ce n'est pas vrai ?
Si si  comme des lapins, mille fois plus que les coréens.
Tu te moques de moi camarade.
Oui Nino. mais surtout ne change rien. Je te trouve très bien avec ce béret et ce foulard rouge. Tu sais nous ne sommes pas différents de vous. Je ne crois pas que nous baisions plus que les coréens Mais au moins, en France, en 2 siècles nous avons fait 5 révolutions, et ça j'en suis fier camarade Nino.
Attend a dit Nino, 5 révolutions tu dis. La révolution française, un.  1830 les 3 glorieuses, deux. Trois? 1848 . C'est ça ?
Parfaitement.
Et 4 la commune de Paris.
D'accord?
Et la cinquième ce n'est pas 36 ou mai 68 ?
Non j'ai dit. La cinquième c'est la révolution à venir.Il faut déjà la compter. Les pouvoirs ont toujours anticipé la révolution dans leur cauchemars. C'est la raison pour laquelle quand ils se réveillent, ils accaparent les richesses avec la rage  de ceux qui ne donner rien à l'avenir. Il faut compter la révolution à venir comme il faut compter tout ce qu'ils ont volé à l'humanité.
Comme l'âme volé de monsieur soleil.
Oui c'est ça Nino comme l'âme volé de  monsieur Soleil.
On s'en prend une autre j'ai demandé ?
M'embrouille pas, il m'a dit, on a du boulot et pas beaucoup de temps. Il faut que l'on rejoigne mes camarades, les Péréphéricos.
Nous avons traversé le village et quatre places différentes sur lesquelles avait lieu des groupes de discussions.
C'est comme ça tous les soirs à dit Nino.
Ce groupe là s'occupe des migrants, de comment les aider. On réfléchit aussi et avant tout sur  comment faire pour briser les murs, comme en Palestine  ou celui que Trump veut dresser entre le Mexique et les États Unis. Nous discutons aussi de comment faire tomber les murs des prisons que nous avons tous dans nos têtes.
Sur la place suivante, il dira, Là  ce que tu vois c'est un groupe de travail  dirigé par des zapatistes contre les travaux inutiles du gouvernements Obrador*. Nouvel aéroport  , barrage électrique dans le Morelos, pays de Zapata, et surtout le train Maya qui doit traverser tout le sud du Pays. Un projet délirant, typiquement capitaliste et comme d'habitude on ne demande pas l'avis des peuples qui vivent sur ces territoires. C'est le pays des indiens mayas et des zapatistes.
Oui Bornu, ils sont toujours armés même si ce sont les hommes les  plus paisible du monde. Dans toute l'Amerique, on tue encore des indiens comme on écrase des mouches.
Nous sommes arrivés devant une maison, la dernière du village. Après il y avait un camping avec une centaine de tentes.
Nous y voilà;  a dit Nino.Je te souhaite la bienvenue dans la maison des Périphéricos.
Nous sommes rentrés dans un salon ou étaient assis 3 femmes et deux hommes.  Autour il y avait des enchevêtrements de fils électriques , des claviers d'ordinateurs posés sur des tables, d'autres sur des tabourets et même parterre. Il  y avait aussi d'immenses écrans d'ordinateurs posés les uns  a côté des autres sur une longue table de bois. Des combinaisons qui ressemblaient à celles de plongeurs ou de cosmonautes étaient suspendus à des porte-manteaux. Il n'y avait pas de fenêtre, la lumière était tamisée et j'avais froid, il ne devait pas faire plus de 18 degrés. Je me suis dit que c'était sans doute pour conserver tous cet arsenal électronique en bonne état.
Tu bois un verre avec nous a demandé une femme rasée, très jeune, qui ressemblait  étrangement à la fille du président que j'avais rencontrée au Pérou à Cusco, si elle n'avait dans le nez un anneau.
Il n'y a pas d'alcool, elle a ajouté.
Oui à fait une autre fille en riant pas d'alcool mais  de la psylo, des champignons, du payolt. A tire la Rigaud, en voici en voilà.
Des extasys, de la MD , des acides, de la coke, un peu de marijuana et des amphètes. tout ça est autorisé a  dit un mexicain d'une quarantaine d'années qui portait un catogan un  short colonial et de vielles docteurs martins grenats. Un homme et une femme un peu plus loin étaient assis devant un écran. Ils avaient un casque sur les oreilles.
Je te les présente pas a dit Nino. C'est notre groupe de Péréphéricos. Tous des cracs du piratage informatique. Des révolutionnaires et des cinglés de justice sociale. Dans la bande, je suis le seul marxiste. Eux se disent anarchistes  ou communalistes.
Moi  a dit la fille avec un anneau dans le nez, je suis Une Inutile au Monde et toi ?
Inutile au Monde, cela me va très bien aussi.
Elle m'a  envoyé un baisé à la volé. Enfin quelqu''un comme moi. Bonne chance elle a ajouté. Tout va bien se passer.
Mais qu'est-ce que je dois faire j'ai dit  avec une boule d'angoisse qui commençait à me serrer le ventre ? Je ne suis pas un pirate comme vous et je n'y connais pas grand chose  dans tous ces trucs ,j'ai fait, en faisant un arc de cercle avec mon bras.
C'est pourquoi nous sommes avec toi a répondu  le mexicain avec un catogan.  Pendant que tu iras faire une petite ballade de santé avec notre camarade Nino dans la banque de données de Google, nous vous suivrons à partir de nos écrans et nous protégerons vos arrières. Tu peux avoir confiance en Nino, c'est le crac des cracs.
Tu comprends a repris la fille a l'anneau, on va tous assurer, nous et vous deux. Va mettre ta combi avec Nino et placez  vous devant ces écrans.
On n'a pas de clavier nous, j'ai demandé ?
Non ce n'est pas la peine à fait la deuxième fille Les claviers c'est pour nous. Vous vous avez des combinaisons et vous allez rentrer là-dedans.
Elle me désigna un écran.
Dans un écran plasma je me suis exclamé !
Non pas exactement. Dans le réseau. L'écran c'est pour vous suivre et vous aider en cas où.
Va t'habiller à dit Nino qui avait déjà passé sa combinaison. Il est temps d'y aller.
J'ai été mettre ma tenu de scaphandrier, je me suis assis dans un fauteuil,. On m'a mis un casque, des lunettes et des gants sensoriels. À coté de nous l'homme et la femme qui avaient un casque sur les oreilles quand nous sommes rentrés dans cette pièce, nous on dit, soyez près on y va dans 10 secondes. Ils ont commencé le compte à rebours et à zéro, je me suis redressé net. Une boule de feu m'avait littéralement traversé la colonne vertébral de bas en haut et  en arrivant dans ma tête,  il y a eu un flash de lumière. J'étais devenu des séries de pixel, quelque chose comme ça.
                                        X X X
Tumblr media
Quand je disais que j'avais une tenue de scaphandrier, c'était une image. Mais maintenant que j'étais dans le système, j'avais vraiment la sensation d'être dans un univers liquide. Mes mouvements, ma pensée étaient liquide. Est-ce que je bougeais réellement pour autant ? J'étais incapable de le dire. Je voyais des  lumières autour de moi, sans forme précises. C'était une impression de froid et d 'eau.  Et puis d'un coup Nino est apparu.Il portait toujours son foulard rouge et sa casquette sur l'oreille mais son tee-shirt blanc était d'une propreté étincelante.
Comment tu as fait pour le laver si vite ?
Ce n'est pas moi c'est mes camarades là-bas dans la pièce. Il peuvent s'amuser avec nous.
OH  !  Mais tu es malade Nino. Tu as plein de points rouges sur le visage. On dirait que tu as la rougeole.
Arrête il a dit. C'est l'Inutile au Monde. Elle adore me chambrer.  Soit un peu sérieuse ma camarade il a dit et aussitôt il retrouva son visage normal.
Merci. Il a levé son pouce, on y va Bornu.
Ou j'ai dit ?
Dans l'antre du monstre  il a répondu et aussitôt ça ma fait comme un trou d'air dans un avion. J'ai cru que toute mes viscères allaient me sortir par la bouche et le nez. Nous allions à une vitesse incroyable. Il y avait plein de couleurs. Je voyais des droites et des angles, parfois des croix comme des carrefours. On appelait cela des autoroutes de l'information. aujourd'hui je ne sais pas  quel mot on donne à cet ensemble numérique de lignes et d'angles. En tout cas jusqu'ici dans ce monde il n'y a pas d'arrondi. Le monde des microprocesseurs et des pixels n'a pas l'air d'aimer les courbes. C'est dommage, il y manque de la sensualité.
J'ai vu des explosions devant moi. Superbe. Cela faisait des gerbes de couleurs. j'ai tourné ma tête sur la droite.  Nino m'a dit c'est la police, ne t’inquiète bas. Nos camarades vont s'en occuper.
A ce moment là une explosion de couleur se répandit juste à côté de lui.
Pas loin il a fait. Mais ça va . Notre tenu nous protège.
Un peu plus tard,  on était dans une mer. En  tout cas, j'avais l'impression de flotter sur l'eau. Tout était calme. On se baladait dans une sorte de carré tout bleu. Parfois un éclair blanc le traversait en silence. Puis cela a accéléré  jusqu’à ce que je ressent un choc. J'avais butté contre une porte.
Je ne sais pas si butter est le bon mot et si nous étions devant une porte. Cela  y ressemblait à l'exception  de l'absence de serrure et de poignée. Nous étions devant un rectangle noir  vertical et si j’essayais d'avancer je butais dessus comme s'il s'agissait d'une porte.
Attend a dit Nino. Il ne faudrait pas nous faire repérer.  Nous sommes arrivés et Google a une armée de petits génies de l'informatique pour se protéger. S'ils nous repèrent, nous serons tout simplement éliminés . Nous ne pourrons plus revenir. Nous errons  dans l'infini solitude du réseau, sans conscience, sans vie et sans mort aussi. Alors laisse moi faire Bornu.
Je n'en menais pas large et je ne sais pas ce qui s'est passé ni combien de temps cela a pris. Je tentais  de comprendre ce que voulait dire être sans conscience, sans vie et sans mort aussi. Cela me faisait froid dans le dos. Nino est réapparu,. Il n'avait plus sa casquette et de long cheveux raides et noirs lui tombaient plus bas que les épaules. Son visage était en sueur.
Ca y est Bornu, on peut rentrer. TU es prêt ?
Oui j'ai dit.
Respire un bon coup. Il faudrait pas que tu vomisses dans ta combi;
Je vais essayer.
Il est passé le premier à travers ce rectangle noir. Je l'ai suivi. Ce rectangle noir n'avait plus aucune substance solide.
Je l'ai désactivé à fait Nino. Nous voilà dans la banque de données, dans  le département du soleil. C'est de loin le département le plus gros de cette banque. Plus de 318 milliards de photos. Ouah quel coup on est en train de faire. Tu t'en rend compte j'espère. On est en train de saboter Google !
Je ne l'écoutais pas vraiment. J'avais presque un haut de cœur. Il m'a fallu faire un effort pour ne pas me retourner et prendre la fuite. C'était inimaginable.  Face à moi, se tenait des milliards de photos de couché de soleil.
Tu est le seul qui peut supprimer des images. Avec ma combi, je ne peut pas. Il te suffit d'avance un pas ou un bras vers les photos et tu détruit plusieurs millions de données à la fois. Essaie, tu vas voir.
J'ai avancé mon bras dans la direction de photos d'un soleil rouge qui plongeait dans la mer J'étais un lance flamme et les photos brûlaient. Je veux dire c'est aussi une image car je ne jetais pas de feu. Cet univers était froid, presque gelée. Ces photos n'avaient aucune vie. C'étaient des combinaisons de chiffres, quelques pixels mortifères enlacés les uns aux autres. En faite quand j’avançais un bras les images par millions  semblait se déchirer de l'intérieur et disparaître dan une sortie de cri muet. J'ai trouvé ça drôle au début, les trois ou 4  premiers milliards  de photos. Puis je n'en pouvais plus, cela me dégoutait.Je fermais les yeux en lançant mon pied ou mon bras en avant.
Que de photos imbéciles l'humanité avait pris.  Chacun devait penser que ses  photos étaient uniques alors qu'elles se ressemblaient toutes.
Familles Devant Couche de Soleil, couple devant CDS, vagues devant CDS. Enfants devant CDS , bateaux devant CDS.  il y avait aussi accidents devant CDS plus rare. C'était toujours la même  photo d'un homme ou d'une femme au bord d'une falaise, le soleil dans le dos, et, il ou elle faisait un pas en arrière dans le vide. Et c'était femme ou homme  battant des bras et hurlant d'effroi devant CDS. Il y avait aussi accidents devant CDS. Il y avait des cons qui avait pris en photos, des corps déchiquetés lors d'accidents de voiture devant CDS. Il y avait aussi amour devant CDS , manifestation, meeting, match de football, inauguration d'un supermarché devant CDS, guerre devant CDS, viol devant CDS  destruction, bombe,explosion devant CDS.  Pauvre Monsieur Soleil que n'avait-il pas vécu? J’avançais mes bras, j’étais à 98 milliards de destructions d'images. J'étais crevé. J'avaise envie de vomir et j'avais froid, terriblement froid.
Une banque de données de Google est comme un cimetière ou s'entassent sans cris et sans pleurs,  des êtes désincarnés et  des fantômes qui errent  dans cet enfer gelé. Il faut que je me repose j'ai dit à Nino.
Il n'a pas répondu. J'ai regardé autour de moi. Il n'y avait rien d'autres que des milliards de soleils couchés, morts.
Nino j'ai hurlé.
Ouai je suis là.
Putain Nino ,  ne me laisse pas  seul, j'ai eu trop peur.
T'inquiète pas, j'assurais tes arrières. Il faut que tu te magnes. Il te reste encore 22 milliards de photos à détruire et on s'est fait repérer.  Il faut que tu ailles vite et que tu penses à rien d'autres que de détruire cet horreur . Google va pas aimé du tout. Et il m'a fait un clin d’œil.
J'ai respiré un bon coup. J'allais mieux. Le camarade Nino a mes côtés, je retrouvais des forces. J'ai balancé mes bras, mes jambes. J'ai pogoté tout ce que je pouvais. Je donnais des coups de poings, des coups de tête, le sautais,  je gesticulais de tous côtés. il ne restait  plus qu'un milliard de photos à  désagréger  et Monsieur Soleil  retrouverait son âme. J'ai entendu un sifflement  aigu. Ca m'a brûlé les entrailles. Une brûlure ? Plutôt une gelure. J'avais si froid. La mort devait ressembler à ce froid.
Bouge a hurlé  Nino. C'est la police privée de Google. Elle est en train de t'attaquer en t'immobilisant par le froid.
C'était facile à dire, mais je ne sentais plus mes membres. J'ai donné deux trois coups de tête. Il n'y avait presque plus d'images. J'en ai encore vu  quelques millions sur ma gauche , les dernières. Je me suis accroupi et mis en boule et j'ai roulé la dessus. Nino était à côté de moi. Il était recouvert de glace. moi je tremblais des pieds à la tête. Dépêche-toi, on sort maintenant, après on ne pourra plus. Je me suis redressé le rectangle noir comme au ralenti,  commença à se redresser.
Merde il a dit trop tard.
A peine avait-il fini de parler que la porte à pris une drôle de forme elle s'est  incurvée et s'est tordue comme si elle n’était plus qu'une pâte molle. Puis d'un coup on a vu des milliers de points noirs se répandent aux quatre coins de la toile. On ne voyait plus rien  pendant quelques secondes et la lumière est revenue.  
C'est nos copains qui ont foutu en l'air tous le système de défense de Google. Accroche toi à moi. Il est temps  qu'on se tire d'ici.
Et à peine avait-il fini sa phrase qu'a nouveau tous mes boyaux me remontèrent dans la gorge. On repartait à une vitesse encore plus grande qu'on était arrivé. Je tenait la main de Nino. Dans ce système gelé où on emprisonne des données, seule la main de Nino était chaude.
Arrête de gesticuler  à dit une voix féminine 'en levant mon casque, tu es de retour. J'ai cligné des yeux et happé une grande bouffée d'air frais. En face de moi, il y avait  l'Inutile au Monde. Elle  me souriait.
                                         X X X
Tumblr media
Et puis il y a eu des applaudissements . L'Inutile au Monde ressemblait tant à la fille du président. Je lui ai tendu les bras et elle m'est tombée dessus et m'a embrassé ... sur la joue.
Camarade j'aime les filles avant tout.
Dommage j'ai dit. Tu me rappelais quelqu'un que j'ai aimé trop  peu longtemps.
Et puis cela  m'a traversé l'esprit,   il est où Nino ?
J'arrive, j'ai entendu dans mon dos, j'enlève ma combi.
J'ai soufflé et je me suis retourné. Nino n'avait plus sa casquette mais ces long cheveux raides et noirs qui lui tombaient sur les épaules.Il paraissait plus jeune. Il a fait une courbette.
Monseigneur, il a dit, chapeau bas Bornu. Grâce à toi monsieur Soleil a retrouvé son âme et, on a détruit une banque de données de Google qu'on disait inattaquable.
On a tous crié, Google facho, le peuple aura ta peau et ça s'est transformé en un immense éclat de rire.
Les Péréphéricos, groupe disparates  de libertaires, pirates de la toile. venaient  de réussir un grand coup contre un monstre informatique qui contrôlait déjà une grande partie de notre vie. Et je leur avais donné un coup de main. J'ai a mon tour enlevé ma combi et mes gants sensoriels. J'ai but presque un litre d'eau.
J'ai demandé, je me sens un peu crevé. vous auriez pas un amphète. Tout se que tu veux a dit  l'homme au catogan en  me tendant une coupe à glace rempli de pilules  toute plus belles les unes que les autres. J'ai pris un amphétamine.
Je te reconduis a dit Nino.
J''ai salué les 5 périphéricos. Je leur ai dit que je regrettais de ne pas mieux les connaître .
Camarade  ce fut un grand plaisir à dit l'homme au catogan et il a ouvert la porte sur la nuit mexicaine dans une montagne de l'état de Oaxaca. On a tous levé le poing.
De l'autre bout du village, on entendait de la musique. Un bal, une fête ?
                                       x x x
Tumblr media
Un bal. De la bonne vieille cumbia mexicaine. Je me suis accoudé au bar de la buvette, une bière Bohémia devant moi,Nino avait pris une Michelada*
On se boit ça et  après qu'est-ce que je fais. je lui ai demandé ?
Nous les Péréphéricos on a pas eu d'autre info que celle de  te conduire dans cette TAZ et t'aider à détruire 135 milliards de putain de saloperies d'images du soleil. C'est fait. Je ne sais pas. Tu devrais te fier à ton instinct. Tu as de l'argent?
Oui. Monsieur Soleil m'en avait remis.
Alors paye moi une autre Michelada.
Le temps est passé, je regardais les couples danser. La musique m'hypnotisait. Je n'arrivais pas à y croire. Tous ceux que j'avais rencontré dans ce voyage étaient présents dans ce bal.  Miguel était  seul à l'autre bout du bar et il tapait du pied en rythme., le poète  américain aux pieds nus était toujours dans les bras de son amoureux. Le couple Roberto de Medellin et Elsa la jeune allemande avec qui j'avais été à  un concert de musique punk en soutien au mouvement social de Colombie, dansait au centre de la piste de danse. Eux aussi ils étaient dans ce bal. Nico et Marianne et ils se tenaient enlacés. Ils étaient magnifiques d'amour. Je ne sais pas comment ils avaient pu venir ici, sans me prévenir. De plus  Nico  n'avait plus aucun problème de pied.
Et ces trois personnes étaient également dans ce bal. J'avais envie de pleurer de bonheur, j'avais souvent penser à eux. C'était  John le congolais avec sa femme  et leur petite fille. Ils avaient donc réussi à traverser l'enfer de cette forêt du Darien entre le Panama et la Colombie et maintenant ils étaient vivants et plein de vie au Mexique au milieu de ce Territoire Autonome Temporaire. Ils auraient peut-être un avenir ?
Je me me rappelais ce jeune Erythréen  aux yeux bleus magnifiques assassiné par les paramilitaires,  et cette femme qui avait pris sa défense , morte aussi. Et je me rappelais le français, Sylvain qui était parti avec eux.  Et l'honneur  que j'avais eu d'avoir à écrire cette histoire.
Tous me regardaient avec  un sourire de bienveillance et ils me faisaient des signes de la main. Il étaient tout près de moi, si prêt et pourtant je savais qu'il m'était impossible de leur parler, de les  toucher, de les embrasser.Ils étaient dans cette TAZ et moi qui les voyais dans ce monde bien vivant, où étais-je donc ? Je me suis retourné vers le bar, à côté de Nino, il y avait un homme avec une capuche noire démesurée qui lui tombait sur la bouche.
Monsieur Soleil, j'ai crié de surprise et de joie  !
Salut vous deux. Prenez  un verre avec moi, j'offre la tournée. Ce que vous voulez. Vous le méritez amplement a t-il dit  en retirant  cette capuche.
Le soleil était mexicain. Ce pays avait toujours été la patrie du soleil. Évidemment qu'il en avait les traits. En face de nous il avait un homme encore jeune, très beau et il portait un anneau d'or à l'oreille droite comme les pirates. Il avait aussi un foulard rouge autour du cou. Ces yeux en amende  n’étaient pas  des yeux clairs qui brillaient de mille feux Non, ils étaient noirs, la lune épousée par la nuit . Il avait les traits saillants. Il souriait du fond des âges.   C'était un indien,  un apache,  un Tarahumara, un Totsil, ou peut-être était-il tous les indiens d'Amérique à la fois ?
Sa peau était tannée jaune, presque ocre.
Merci les amis. Merci du fond du cœur, sans vous ce voyage n'aurait jamais été possible  et Google aurait gagné.
Son visage était de plus en plus jaune de plus en plus ocre ,et rond très rond.
Vous avez bien réussi votre coup continua monsieur Soleil, j'ai retrouvé mon âme.
J'ai tourné ma tête vers Nino, mais je ne le le voyais plus rien, ni Nino, ni la buvette ni les danseurs. Monsieur soleil était de plus en plus une lumière, j'essayai de lever ma main, de lui parler. Sa silhouaite devenait diffuse, elle s'arrondissait encore.Il n'était plus qu'un hallo, jaune , ocre comme la lumière de ce lampadaire.
                                        X X X
Tumblr media
(rêve d’un après-midi de dimanche dans le parc Alameda de Diego Riviera)
Monsieur, monsieur.
J'ai sursauté. Le réverbère était un peu plus loin et de derrière le banc, un homme avait posé sa main sur mon épaule. Un policier.
Vous allez bien monsieur.
Je me suis protégé le visage avec mon bras. On y avait dirigé un faisceau de lumière d'une lampe. Ca devait être un deuxième policier.
Quoi j'ai dit.
La lumière de la lampe s'est éteinte et j'ai pu regarder  plus précisément.
J'étais de nouveau assis sous cet arbre rabougri et il y avait deux policiers autour de moi. Ils n'étaient pas agressifs.
Vous êtes sur que vous allez bien ?
Je n'étais plus dans la montagne  du côté de Oaxaca. J'étais à Mexico sur cette petite place. La lumière ocre du lampadaire était bien réel. L'arbre, le banc, les deux policiers   aussi.
Oui je vais bien, j'ai dit . Merci. J'ai dû m'endormir.
Faut pas rester ici à dit l'un des deux policiers, c'est très dangereux la nuit Mexico et surtout cet endroit, vous savez.
Oui vous avez raison.
Ce sont des voisins qui nous ont appelé. Ils nous ont dit qu'il y avait une personne louche avec vous, habillé tout en noir avec une capuche.
Vous savez ou se trouve cette personne demanda le deuxième flic?
J'étais si déçu. j'avais mille questions à poser à monsieur Soleil. J'ai levé mon bras et j'ai dit oui là-haut. il est là-haut.
On ne plaisante pas avec la police   monsieur.
C'est vrai. Excusez moi. Je veux dire qu'il est parti par la ruelle derrière la place.
On vous a dit de ne pas vous moquez de la police. vous êtes dans une impasse. Il n'y a pas de ruelle derrière vous.
Quoi je vous jure ! Et je me suis retourné.
En effet, il n'y avait pas de ruelle. A la place il y avait un long mur haut et gris.
Je sais plus j'ai dit. Il m'a parlé de Mexico, du temps  qu'il faisait, et  de photos je crois. Puis il est parti. Il ne m'a  même pas demandé de l'argent. Il n'était pas du tout violent vous savez.
D'accord. Et vous avez prit des drogues ?
Je ne crois pas j'ai dit, je ne fume plus depuis 3 ans.
Et d'autres drogues. Cocaïne par exemple?
Non juste un petit doigt par moment  et seulement avec une amie. Elle habite en  France elle s'appelle ...
D'accord a dit le flic impatient. Bon rentrez dans votre hôtel  maintenant. On vous accompagne jusqu'à la sortie de l'impasse.
Merci j'ai dit,et en me levant,  j'ai remarqué en dessous de mon pied, le mégot de la cigarette de Marijuana que m'avait offert monsieur Soleil. Je n'avais donc pas tout  rêvé ? On a commencé à marcher.
Le parc Alameda  est au bout de cette avenue  à dit le deuxième policier.  La place du Zocalo se situe de l'autre côté du parc, tout droit à 15 minutes de marche.
Oui j'ai dit merci, je connais.
Vous ferriez  mieux de commander un taxi.
Je vais encore marché un peu et ensuite, oui, j'en prendrait un. Merci messieurs.
Ils ont porté un doigt à leur casquette et donné un coup de menton. Ils sont remontées dans leur voiture  garée  à l'entrée de l'impasse. Un autre flic les attendait derrière le volant.Dès qu'ils sont partis,  je me suis rendu dans le parc Alameda. Il commençait à avoir de la circulation, quelques joggers. Mexico ne dort jamais. Des employés balayaient un trottoir. Un vendeur ambulant tirait une carriole à bras, vide, et la-haut, la nuit faisait sa révérence aux derrière étoiles et diffusaient les première lumières de l'aube, des bleus encore  noyés dans des ombres grises et des promesses de rose. Un écureuil est tombé d'un arbre et à couru sur une pelouse.
Le temps retrouvé du soleil.
Et puis les dernières étoiles ont rejoint l'immensité invisible. Les gris sont devenus des bleus et les promesse sont devenues des roses doux comme des  caresses. Le soleil se levait. Notre  soleil se levait. Le soleil apache, le soleil mapuche, le soleil tutstil, le soleil tarahumara se levait, le soleil incas,  le soleil maya,  le soleil des migrants, le soleil des vaincus et des tombés, le soleil amoureux et le soleil du lac Titicaca se levait.  Le soleil du volcan Popocatopelt se levait.  Le soleil des femmes de ménages* et celui des mineurs de Bolivie, le soleil à travers les soupiraux des salles de torture de la Marina de Veracruz, le soleil de toutes les ombres  et des cris étouffés dans la forêt du Darien entre le Panama et la Colombie se levait, et le soleil noir, le soleil frère, de sous la terre pour que la mémoire des os  et de la poussière ne s'efface jamais, se levait,   le soleil de l'aube que les enfant regardent avec appétit, et  le soleil de tout ce qui fut se levait aussi.
L'âme ensoleillé du monde, dans ce matin de la Ciutad de  Mexico nous saluait tous , elle était de retour.
                                        FIN
PS: Google salaud, le peuple aura  ta peau.  Nique ta banque ! Signé : les Périphéricos
Tulum, Cancun,  du 27 mars au 2 avril 2019
*TAZ: Veut dire,  zone autonome temporaire. C'est le titre d'un livre de 1991 de Hakim Bay. L'auteur s'interdit de définir précisément ce qu'est une Taz pour ne pas créer de dogmes politiques. La Zone Autonome Temporaire se réclame de l'esprit de révolte des flibustiers, des pirates. C'est un système mouvant et souple, impossible à contrôler. Les Free party par exemple  peuvent être des  Zones Autonomes Temporaires. Hakim Bay est un écrivain politique anarchiste et un  poète, né en 1945 à New-York.
*Una michelada est une boisson avec comme base une bière à laquelle on ajoute du citron vert, du sel et une sauce épicée  du genre Tabasco.  C'est un cocktail typique du Mexique.
*Obrador est le nouveau président du Mexique, élu en juin 2018 et qui à pris la tête du gouvernement en décembre 2018. C'est un homme de gauche  avec une forte sensibilité vert le centre. On peut le considéré comme honnête. Quand je suis retourné au Mexique au milieu de janvier 2019. Il menait son premier grand combat contre les cartels et les politiciens vereux qui détournaient l'argent de la plus importante compagnie Mexicaine. La Pemex. La compagnie de pétrole du pays. L'armée était obligée d'occuper les raffineries pour empêcher le détournement du pétrole.  Obrador, après cinquante ans  de contrôle du pays par le PRI puis par le Pan, deux partis néofascistes totalement corrompus, est pour l'instant un espoir pour beaucoup de mexicains. Mais l'armée, la police d'état, la marine et surtout les polices municipales sont eux aussi corrompus en très grande partie et ont des lien avérés avec les différents cartels. Après la défaite  ou la déroute de différents partis de gauches en Amérique Latine au Nicaragua, Venezuela, Brésil,  Obrador est avec Évo Moralès en Bolivie, les seuls représentants de la gauche, dans un continent de plus en plus marqué par le fascisme et le retour des américains dans les affaires intérieurs de ces pays... l'un n'allant pas sans l'autre !
Rappelons que le Mexique est le pays où il y a le plus de disparus au monde, assassinés par la police, l'armée ou les cartels. C'est aussi le pays dit "en paix" où il y a le plus de journalistes assassinés. C'est aussi le pays ou un bus avec 43 élèves instituteur au milieu d'une ville, à disparu sans laissé aucune trace, alors que l'armée et la police étaient à quelques mètres de ce bus.
Le Mexique est un charnier à ciel ouvert.
Même si les mexicains sont avenants et souriants, dessous ces masques que voient  les touristes, c'est un peuple qui souffre et qui attend beaucoup de ce gouvernement. Il n’est pas certain qu'Obrador aille jusqu'à la fin de son mandat !
*Les femmes de ménage : Roma le dernier film du Mexicain Alfonso Cuaron parle de la vie d'une domestique dans le quartier  Roma à Mexico. Il filme la vie sacrificielle d'une  femme indienne  dans une famille petite bourgeoise. Oscar du meilleur film étranger à  Hollywood et Lion d'or à Venise 2018.  Ce film va mettre en lumière ces milliers de femmes de l'ombre qui n'ont quasiment aucun statut  social dans la société mexicaine... Voire à l'échelle mondiale !
C’est la fin “d’Un carnet (latinoamerica)” .
Je remercie tous ceux et celles qui par leur lecture, m’ont accompagné dans ces quelques pays d’Amérique Latine. Grâce à vous, la solitude ne m’a jamais semblé lourde à porter. Je tiens surtout à remercier mes trois fidèles  correcteurs de  mes innombrables fautes d’orthographes. Mon ami Jean-Claude de la Buttes aux Cailles et mes deux compagnons d’un  bout de voyage, Sylvain et Sarah.
.Ne voulant pas mettre à nouveau,  à l’ouvrage mes trois ami-es, ce dernier texte a été publié sur mon blog, sans correcteurs ou correctrices extérieurs.  Désolé pour les très nombreuses fautes.
1 note · View note
itsfinancethings · 5 years ago
Link
January 13, 2020 at 06:52PM
Below our city streets lies an ad-hoc world of subterranean tunnels and pipes. The oldest are brick and concrete sewers that once carried waste streams in one direction, rainfall overflow in another. Today, these waterways must contend with newer sewers, subway tunnels, power lines, and fiber-optic cables. But in the 19th century, these labyrinths were the only man-made things that existed below ground.
Archival photos reproduced in Stephen Halliday’s An Underground Guide to Sewers give us a rare view of these sewers of the past, as they looked to the people who engineered, built, and maintained them.
Tumblr media
Thames Water Utilities LimitedDeptford Pumping Station in London. The pumping station at Deptford was built to raise the sewage of south London into the outfall sewer running through Woolwich to Crossness.
Most of these photographs—dating from the 1880s to the 1940s—show new construction; the before without the after. Pristine iron bars free of rust, walls too freshly mortared to settle and crack, cement yet unstained by water and waste. Older photos show brick-lined culverts, each brick having been laid by hand.
Tumblr media
Passaic Valley Sewerage CommissionConstruction of interceptor sewers in the 1920s—New Jersey, U.S. The main interceptor is 22 miles long and connects to 18 miles of branch sewers.
These images are evocative, sometimes beautiful, appearing like black-and-white outtakes from a forgotten film noir. Storm drains appear as volumes of space, empty by design most of the time. Circular and oval tunnels lead from crawlspaces to caverns beneath reinforcing arches. Concrete corridors and junctions, absent any signage, make one wonder what would have happened if Robert Frost’s traveler had gone underground.
Tumblr media
Courtesy of Ville de Paris/BHVPDevelopment of sewers in 1920s Paris. As the city grew, its sewer system was also required to expand. Here further egg-shaped sewers are added.
But there’s more to these spaces than their cosmetic wonder. These are, after all, not only sites for the flow of waste; they were also places of work. The men photographed in Victorian coats or Depression-era caps and vests do more than provide scale: they remind us that every sewer tunnel started as a noisy construction site. Imagine the human and mechanical din as rocks were carted or bulldozed away, dozens of workers wrangling stone and earth to fit engineers’ specifications.
Tumblr media
Edgar Sutton Dorr Photograph Collection/Boston Public LibraryMen examining sewer stonework in Boston in the 1880s. The use of stone in this sewer was unusual, as bricks, clay, or wood were normally used.
Tumblr media
Courtesy of the Library of Congress, Washington, D.C.Sir Joseph Bazalgette was the creator of London’s great Victorian sewage system, depicted here on this map. The most prominent red lines are the main interception sewers.
Sewers were—and continue to be—the great enabler. As industrialization drew people to the city, those people, in turn, made new demands on water and waste systems. That’s why most of the projects pictured here were at capacity soon after completion. Perhaps that knowledge also imbues these photos with a sense of optimism; designed to solve problems, the sewers continued to work, unobtrusively, from their hiding place, to meet ever larger demands.
Tumblr media
Edgar Sutton Dorr Photograph Collection/Boston Public LibraryBoston Sewer siphon photographed in the 1880s.
With this collection, we get to appreciate today what most people didn’t get to see then. It’s a privileged look at the triumphs of industrial-era infrastructure, but it’s also only one chapter of the narrative. What is left to the imagination is how these underground spaces have since been transformed: the aging materials replaced, the time that’s elapsed, overwriting the glory of a feat of engineering.
Tumblr media
Edgar Sutton Dorr Photograph Collection/Boston Public LibraryA man is pictured mortaring a sewer wall in 1880s Boston. Mortaring the inside of the sewer is designed to make the sewer impermeable to water
This article originally appeared on Zocalo Public Square. Click here to read the original article.
0 notes
78682homes · 5 years ago
Text
Mexique: manifestations et célébrations pour la première année du mandat d'AMLO 78682 homes
http://www.78682homes.com/mexique-manifestations-et-clbrations-pour-la-premire-anne-du-mandat-damlo
Mexique: manifestations et célébrations pour la première année du mandat d'AMLO
L’opposition manifestait dimanche à Mexico, pour protester contre la violence à l’occasion de la première année du mandat du président de gauche Andres Manuel Lopez Obrador, lequel réunissait aussi ses partisans sur la place centrale de la capitale. Avec des indices de popularité en baisse mais qui fluctuent autour des 60% d’opinions favorables, AMLO, son acronyme, est en difficulté: sa politique sécuritaire ne convainc pas.A la mi-journée, devant une place du Zocalo, au coeur de Mexico, noire d…
homms2013
#Informationsanté
0 notes
athziaguilar-blog · 5 years ago
Text
7. LE CARNAVAL
Dialogue :
Moi -Salut mes amies ! Je voudrais vous inviter au carnaval d'Halloween, le 31 octobre.
-A quelle heure ?
-à 7 h pm au zocalo du centre ville
-Combien ça coûte ?
Moi -Si vous allez déguisés, l'entré est gratuite, mais son déguisé il ça coûte 25 pesos.
-Est- ce que je peux choisir ma déguisé ?
-No, la thématic c'est des films d'horror par exemple, je me vais déguiser de "Scream".
-Fantastique ! Je me vais déguiser de "Jason"
Moi - Et je me vais déguiser de Merlina. Je vais porter un robe noir et des bas blancs.
0 notes
raspberryviolet · 8 years ago
Photo
Tumblr media
• Thursday • | | | | | | | | | | | #blackandwhite #bnw #monochrome #instablackandwhite #monoart #insta_bw #bnw_society #bw_lover #bw_photooftheday #photooftheday #bw #instagood #bw_society #bw_crew #bwwednesday #insta_pick_bw #bwstyles_gf #irox_bw #igersbnw #bwstyleoftheday #monotone #monochromatic #noir #fineart_photobw #mexico #zocalo #mexicocity #thursday (en Zocalo de la Cd. de Mexico)
0 notes
bornutyboisson · 2 years ago
Text
Lire est une foutue connerie, les livres ne servent à rien et José Vasconcelos n'est qu'un âne
Tumblr media
Rue Emiliano Zapata
Elle avait surgi du coin de la rue San Marcos et, arrivée dans la rue Emiliano Zapata, face au magasin Oxxo, l'ombre s'était abaissée dans le caniveau et avait ramassé le mégot encore allumé d'un type qu'elle avait suivi dans la nuit. Celui-ci ayant continué son chemin dans la direction de la Merced, l'un des grands marchés à la limite du centre historique de Mexico, elle se retrouvait seule, dans cette rue d'une solitude sans rémission possible, et elle tira une unique longue taffe avec le plaisir et le soulagement d'avoir enfin atteint son but. Puis ayant jeté le mégot, l'ombre s'était redressée et étirée. Elle avait grandi, et sous des haillons crasseux, et une capuche noire et déchirée tirée sur ses yeux, se devinait un être vivant. Un homme encore jeune en fait, à peine sorti de l'enfance, dont le visage était déjà traversé de rides sévères que le manque de sommeil et les errements infinis à la recherche de la satisfaction de ses besoins les plus primaires comme, où trouver à manger et boire, où chier et où dormir, avait marqué du sceau de la rue.
Même les ombres meurent et elles meurent plutôt jeunes sur les trottoirs des villes, alors rien à foutre pensait l'ombre. Mais elle ne pensait pas vraiment. Une ombre n'a pas le temps de penser à la mort. C'est pour les bien-assis la mort, ceux qui ont un toit au-dessus de leur tête. Depuis plusieurs jours, son pied droit lui faisait une douleur impossible à oublier car à chaque pas sa chaussure de deux tailles supérieures à la sienne frottait son orteil enflé, et l'ombre avait beau l'avoir lacée jusqu'à couper la circulation du sang de son pied, le frottement persistait, et à chaque fois tout son corps jusqu'à son cerveau était traversé par un flash de souffrance. Quand elle n'en pouvait plus, elle n'avait alors qu'une solution, s’asseoir n'importe où et attendre que ça passe. Ça passait toujours plus ou moins, forcément, et elle se relevait, continuait son chemin avec la lourde lenteur des fantômes qui portent leur croix, sans que personne ne les voie.
Tumblr media
Elle remonta la rue Emiliano Zapata et bifurqua sur la gauche, rue de la Santissima puis Alhondiga et dans son prolongement la rue Talavera qui, la journée, était bordée de dizaines de stands dédiés uniquement à des vêtements et des poupées de l'Enfant Dieu, rues évidemment fréquentées par les bigots, les bigotes et les croyants de toute la ville. Puis quasiment les yeux fermés, traînant la patte, elle se dirigea vers le Zocalo, l'immense place centrale de Mexico.
Le centre historique a la particularité d'être à la fois le cœur politique et symbolique du pays, avec ses institutions comme le Palais National, sa cathédrale baroque, son musée aztèque du Templo Mayor, et à la fois d'être pendant la journée, le lieu peuplé de marchands ambulants, d'employés de magasin ou d'administration, de touristes affamés de sensations fortes, d'étudiants bohèmes, d’estropiés de la vie, d'Indiens déracinés, de mendiants et de badauds riches et pauvres, affairés à leurs occupations dans un dédale de rue surchargées de marchandises et au milieu d'une circulation dense et bruyante. La nuit tombée, la multitude refluait du centre historique et ce n'était plus qu'un désert. L'ombre à deux pas du Palais National, était ici chez elle, au cœur du pays, là où le faste et la beauté architecturale côtoient une misère extrême.
L'ombre n'avait pas de nom, pas d'histoire. En tout cas, elle s'en souvenait peu, les drogues et l'alcool lui ayant déjà bousillé une partie du cerveau. Il lui restait pourtant quelques brides du passé, des mots, surtout d'une autre langue que l'espagnol, venus de loin, du sud du Mexique ou du Guatemala. Paroles de son enfance dites par ses parents ? Sans doute, mais elle n'en était pas sûre. D'ailleurs qu'étaient-ils devenus? Il y avait de grandes chances qu'ils soient morts, enterrés quelque part dans le désert à la limite des États-Unis, partis avec d'autres immigrés pour passer la frontière que les cartels exploitaient, et parfois assassinaient, c'était quelque chose comme ça son histoire, allez savoir, l'ombre ne voulait pas, ne pouvait pas se souvenir, Elle avait d'autres choses à régler, toujours.
En arrivant sur la place du Zocalo absolument déserte, elle alla la traverser pour rejoindre la cathédrale, puis se ravisa quand elle vit passer une patrouille policière et préféra rebrousser chemin. Elle avait une envie terrible de dormir, une envie de chier aussi, mais moins forte que celle de dormir. Mécaniquement, au fond de ses poches elle toucha ses deux pièces de monnaie. Elle ne sait pas pourquoi, elle pouvait tout faire dans la rue , voler , mendier et même violer pour assouvir ses pulsions sexuelles. Heureusement jusqu'ici elle n'était pas passée à l'acte. Non par manque d'envie ou de volonté morale mais parce que cela lui demanderait trop d'efforts et aurait entraîné trop de complications. Par contre chier dans la rue, jamais pensait l'ombre, pas ça, préfère encore crever. C'est pourquoi dans sa poche elle conservait toujours une pièce de 5 pesos et une de un peso, pour se payer les toilettes qui sont pour la plupart privées et payantes.
A nouveau rue Emiliano Zapata, elle alla jusqu'à l'église de la Santissima, sur le côté. C'était son coin, un coin de bouts de carton, de crottes de chien, de morceaux de tissu, de mégots et de bouteilles en plastique, entassés pêle-mêle, son palace en quelque sorte sous lequel était cachée une couverture. En hiver les nuits sont froides, dans ces conditions, c'était un vrai trésor qu'il avait planqué sous ce tas de détritus que personne de toute façon n'aurait osé toucher... Sauf une autre ombre évidemment. Et c'était le cas. Quand elle la vit endormie dans sa couverture, cela l'a mise en rage et l'ombre se précipita sur l'autre ombre.
Elle lui donna un coup de pied dans le dos avant de tenter de l'étrangler, espèce d'enculé, t'es dans ma couverture, putain de sale voleur, je vais te faire la peau, hurla- t-elle.
L'ombre qui erre et dort dans la rue, a développé un instinct de survie que la plupart des hommes ne connaissent pas. Si vous croyez qu'elle dort profondément, ne vous méprenez pas. L'ombre dort d'un œil tandis que l'autre directement connecté avec la part reptilienne de son cerveau, veille au grain, prête à réagir au premier danger, et c'est exactement ce qu'elle fit. De sous la couverture, elle sortit promptement ses deux mains qu'elles avaient certes crasseuses mais aussi puissantes et elle se tourna, éjectant la couverture avec ses pieds et se redressa pour enfin renverser la situation et se retrouver accroupie au-dessus de l'ombre la plus jeune qui dans sa colère n'avait pris aucune précaution pour se protéger.
L'autre ombre était un homme trapu mais tout en muscles, un visage sanguin, des dents pourries, une bouche qui sentait le vomi. De ses haillons dégueulasses s'échappaient des odeurs d'aisselles et de merde. Elle s'apprêta à frapper l'autre ombre, au lieu de quoi, elle se releva.
Putain c'est toi dit-elle. Je ne savais pas que c'était à toi cette serpillière à la con.
L'autre ombre se releva aussi et aussitôt s'empara de la couverture qu'elle bouchonna et plaqua sur son ventre et n'arrêta pas de répéter c'est ma couverture, c'est à moi.
Calme -toi dit l'autre. Je suis tombé dessus pas hasard. J'ai filé un coup de pied dans ce gros tas de merde et il y avait un truc dessous. Quand j'ai vu que c'était une couverture, je me suis dit que c'était un don de dieu.
Non pas dieu, c'est à moi, répéta l'ombre jeune, c'est ma couverture, t'as pas le droit.
L'autre n'était pas un mauvais bougre. Ça ne faisait pas trop longtemps qu'elle était devenue cette ombre puante. Deux ans quand-même, le temps de s'abîmer dans les tréfonds de la ville, tout en conservant un minimum de civilisation et d'empathie envers l'ombre la plus jeune avec qui elle partageait la rue, ses horreurs et aussi ses richesses... Comme cette couverture.
Tiens, bois un coup, dit-elle en s'abaissant et en ramassant une bouteille d’alcool dont il restait encore un tiers de liquide, et il la tendit à l'ombre la plus jeune. L'autre s'en saisit et but aussitôt à grandes goulées.
Bon dieu, bois pas tout, moi aussi j'ai soif. Elle lui reprit la bouteille et la vida. Leur altercation était finie et presque déjà oubliée. Parfois dans la rue, il suffit d'une bonne rasade d'alcool pour enterrer la hache de guerre.
L'ombre trapue ramassa sa veste qui lui avait servi d'oreiller. Bon ça te dirait de venir avec moi ? Je connais un coin tranquille. On peut y dormir en paix, et puis si tu veux, demain on se fait les poubelles ensemble et on se partage le butin. Ça te va ?
L'autre toujours cramponnée à sa couverture fit des signes de tête de négation.
Comme tu veux mon gars. Dans ce cas je te lâche. Et n'oublie pas la prochaine fois que tu t'attaques à quelqu'un, reste toujours sur tes gardes et te laisse jamais gagner par tes émotions. Jamais, tu comprends?
L'autre ne répondit pas et l'ombre trapue s'éloigna.
Apr��s tous ses efforts, elle ressentit sa douleur dans le pied. Elle fit quelques pas dans la rue en boitant et se rendit compte qu'elle ne pourrait pas aller plus loin. Elle s'écroula donc sur place, contre un mur, défit son lacet et dégagea la languette de sa chaussure ce qui aussitôt la soulagea. Elle s'enroula dans la couverture tout en collant ses deux mains sur son visage comme si elle voulait effacer toute vision du monde contre lequel elle menait un combat pour ne pas être anéantie, et elle s'endormit comme toutes les ombres, d'un seul œil.
Une poignée d'heures plus tard, pointèrent les premières lueurs du jour accompagnées par toute une série de bruits qui signifiaient que le quartier s'éveillait. D'abord des bruits de pas pressés qui le frôlèrent sans s'attarder, puis le bruit des premières camionnettes de livreurs aux moteurs qui tournaient au ralenti afin de trouver une place de stationnement, ensuite plusieurs bruits métalliques indiquant qu'on installait des ossatures de stands ainsi que ceux des rideaux de fer des petits restaurants qu'on relevait. L'ombre s’éveilla et attendit dans sa couverture en se blottissant contre un coin du mur. Comme elle n'avait jamais assez dormi, elle continua à fermer les yeux et elle se sentit bien, rêvassant qu'elle engloutissait une dizaine de gâteaux devant un gigantesque bol de chocolat brûlant. D'un coup l'ombre se leva. Elle avait senti la première odeur de café d'un vendeur ambulant qui s'installait à côté de l'église. En réalité, elle ne s'était pas vraiment réveillée, étant toujours dans son rêve de chocolat chaud. C'était son ventre qui s'éveillait, et un ventre qui s’éveille domine toutes les autres volontés, même celle de vouloir dormir. Quand l'ombre avait-elle mangé pour la dernière fois ? La veille, vers 18 heures, quand le centre historique ne s'était pas encore tout- à -fait vidé. Un paquet de chips et encore même pas plein. L'ombre l'avait vu la première, sur le trottoir, à côté d'une papeterie et il s'était précipité dessus en même temps qu'un chien errant et après l'avoir éloigné d'un coup de pied, elle l'avait ramassé et avalé en quelques secondes. A ce souvenir associé à l'odeur de café, ses forces lui revinrent soutenues par une énergie nerveuse d'affamé. Elle plia sa couverture et alla la planquer sous son tas de détritus. Puis en quête de nourriture, l'ombre replongea dans son territoire, avec le sentiment étrange de toujours répéter la même chose.
Tumblr media
***
Madame Teofila Orthez Diaz qui avait la passion de la Vierge et de l'enfant Jésus, était une catholique fervente, laquelle se rendait à l'église une fois par jour, le soir quand elle avait fini son travail. Ses cinq enfants étaient maintenant grands et indépendants, tous avaient une situation dont elle était fière. Ce n'était pas le cas de son mari. C'était un alcoolique notoire dans le quartier et il n'en foutait pas une. Depuis bien des années, elle n'avait plus d'amour pour cet homme, même si jamais, ô grand dieu jamais, elle n’aurait émis la moindre idée d'un divorce qui l'aurait pourtant libérée de ce poids mort. 7 heures du matin. Cela faisait déjà une heure qu'elle s'était activée à la préparation de son café, de ses œufs, ses tomates, ses oignons, du poulet et de la viande de bœuf, ainsi que ses deux sauces pimentées dont on disait qu'elles étaient les meilleures de la rue Emiliano Zapata. Elle n'attendait plus qu'on lui livre des tortillas et du pain pour préparer ses tacos et ses tortas au bœuf ou au poulet. Madame Teofila Orthez Diaz prit la manivelle et avec vigueur elle remonta le rideau de fer de son restaurant constitué de 3 tables et de 9 chaises. Il lui fallait maintenant installer son étal sur le trottoir, car la plupart des clients mangeaient et buvaient à même la rue, debout ou assis sur l'un des quatre tabourets en plastique qu’elle mettait à leur disposition.
Ah te voilà dit-elle quand elle vit l'ombre passer sous son rideau de fer qu'elle venait à peine de lever. Je suppose que tu n'as rien mangé depuis un bon moment.
Oui madame dit l'ombre, rien.
Comme d'habitude mon pauvre répondit-elle. Va t'asseoir.
L'ombre alla s'asseoir, à la table au-dessus de laquelle trônait sur le mur la Sainte Vierge dont les larmes d'or coulaient de ses yeux, dans le pur style maniériste espagnol. Quand on y pense, à la regarder de plus près, on pouvait dire que la Vierge abondait de générosité et de sincérité pas tout à fait honnêtes, comme si l'or de ses larmes révélait, en échange de la richesse de ce monde, le désir de se soumettre à une puissance supérieure et invisible qui vous écrasait de tout son poids. L'ombre n’y fit même pas attention. Elle s'accouda à la table en posant son menton dans ses mains et attendit que la femme revienne. Ce qui ne fut pas long. Elle apporta deux cafés et les posa sur la table. Il attendit encore, c'était leur rituel. Elle repartit à sa cuisine et revint avec dans les mains un plateau sur lequel il y avait du poulet, des oignons et des tomates coupés, ses deux sauces, des tortillas de la veille, un morceau de pain lui aussi de la veille, deux bananes, une gélatina à la fraise, et elle déposa le tout sur la table.
Même si son ventre criait famine, l'ombre ne bougea pas. Elle attendait le signal. La femme s'assit en face de lui et prit son café.
A la tienne dit-elle. Tu en as bien besoin.
Et enfin l'ombre put se saisir de son café et il répondit, à la vôtre madame. merci beaucoup.
Il but le café au lait sucré, qu'on appelle café de Olla, préparé d'une façon presque identique au café grec ou turc, et l'ombre pensait que ce café était magique, il le sentait brûlant dans sa gorge et ce goût sucré du lait et du café lui faisait l'effet de naître encore une fois, d'être au premier jour de sa vie, d'une vie où tout était possible. Il regarda madame Teofila Ortez Diaz avec un émerveillement de gosse et il dit, il est bon votre café, je l'adore.
Mange donc mon petit, plutôt que dire des âneries, répondit-elle. ce n'est qu'un café, rien de plus. Tout ça c'est pour toi et excuse-moi si le pain et les tortillas ne sont pas frais. Mais mon livreur n'est pas encore passé. Il a un peu de retard ce matin.
L'ombre ne se fit pas prier. Il mangea, ou plutôt il engloutit la totalité du plateau. Il ne laissa pas une miette. Cela dura quelques minutes. Pendant ce temps, la femme regardait alternativement le portrait de la Vierge sur le mur et le visage de l'ombre. Elle y voyait des similitudes ou mieux encore, elle voyait dans l’ombre qui avait ôté la capuche de sa tête, une ressemblance avec le Christ. Le Christ avait été pauvre comme l'ombre, le Christ était présent dans le visage de l'ombre au moment précis où celui-ci mangeait un morceau de poulet dans une tortilla remplie de sauce, d'oignons et de tomates, et à cette observation elle ne put s'empêcher de faire son signe de croix.
Aider les plus pauvres, c'était le sens même de son existence. L'ombre était l'enfant Jésus réincarné, et la Vierge aux larmes d'or l'aiderait à monter au ciel. C'était son rôle à elle, se donner à l'ombre comme elle se donnait à la Sainte Vierge tous les soirs à l'église, pour que malgré ses péchés, l'ombre monte là-haut, tout là-haut dans le merveilleux paradis, où disait-on, il est plus difficile pour un riche d’ accéder, qu'un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Elle couva l'ombre de toute sa tendresse dévote.
Tu as assez mangé dit-elle, tu veux un autre café ?
Oui merci beaucoup madame, je veux bien un autre café.
Madame Teofila Ortez Dia alla resservir l'ombre qui ne but que la moitié de son bol avant de se mettre au travail. Elle ne lui avait pourtant rien demandé la première fois que l'ombre était venue faire l'aumône. Elle lui avait servi à peu près la même chose qu'aujourd'hui et d'elle-même l'ombre avait monté l'étal devant le restaurant et installé les tabourets en plastique. Maintenant, il balayait aussi la rue autour du restaurant. Quand tout fut prêt, l'ombre retourna à l'intérieur et il but l'autre moitié de son café tandis que le livreur de tortillas pénétrait à l’intérieur du restaurant. Celui-ci quand il le vit ne put s'empêcher de faire cette remarque. Madame vous nourrissez toujours ce clodo. Vous êtes vraiment trop bonne. Vous savez que d'avoir des bons à rien autour de soi, ce n'est pas bon pour le commerce. La femme haussa les épaules, en effet dit-elle, je suis bien placée pour le savoir.
Bien sûr ces paroles n'étaient pas destinées à l'ombre mais à son mari. L'ombre n'écouta pas vraiment le livreur, il était habitué aux paroles désobligeantes, au lieu de quoi il profitait de la chaleur de la salle du restaurant et de la plénitude qu'il ressentait après avoir mangé. Mais les premiers clients n'allaient pas tarder à venir et l'ombre savait que le livreur n'avait pas tout- à- fait tort. Avoir une cloche comme lui dans le restaurant qui de plus puait, ça faisait fuir les clients. Ce n'était décidément pas bon pour le commerce d'être en présence d'un indésirable. Une fois le livreur parti, l'ombre alla en faire de même quand la femme posa gentiment sa main sur son épaule
Tu veux pas te faire un brin de toilette avant de t'en aller ? Ça te fera du bien.
D'accord dit l'ombre.
J'ai une brosse à dents neuve que j'ai retrouvée dans ma salle de bain ce matin et j'avais aussi un tube de dentifrice pas tout à fait vide. Tu peux t'en servir. Et puis j'ai aussi un petit cadeau. Ce n'est rien, mais ce te sera fort utile . Le voici. Et elle le déposa sur la table.
C'était un sac à dos de ville rouge et beige. Il était en parfait état.
Il appartenait à un de mes enfants. Il ne s'en est jamais servi. Plutôt que de traîner dans un placard chez moi, il te sera beaucoup plus utile.
L'ombre n'était pas habituée à tant de bonté et de bienveillance. Ça faisait cinq ans, peut-être plus, qu'il était livré à lui-même. Si dans la rue il n'y a pas que des saloperies, il n'y a pas non plus beaucoup de générosité ni de solidarité. Des cadeaux, l'ombre ne souvenait pas qu'on lui en ait fait depuis une éternité. Il ne sut donc pas quoi dire. Il répéta seulement plusieurs fois merci en touchant le sac à dos neuf.
Arrête de me remercier dit la femme. Il ne servait à personne, alors autant que tu le prennes. Allez ça suffit. Va te laver dans la cuisine avant que mes clients arrivent. Il est temps que je me mette vraiment au travail.
L'ombre se lava les dents dans le lavabo de la cuisine puis elle alla aux toilettes dans la petite cour sombre, derrière la salle où elle put chier en paix tout en conservant ses six pesos dans sa poche en cas où elle en aurait besoin dans la journée, ce qui était toujours le cas. Puis elle retourna dans le restaurant où deux premiers clients attendaient leur café sans cacher leur dégoût dès qu'ils remarquèrent sa présence. Même si elle était habituée à de tels agissements de rejet, plus qu'elle ne sortit, elle se précipita dehors où madame Teofila Ortez Diaz l'attendait, le sac à dos rouge et beige à la main.
J'ai mis dans ton sac, dit-elle, quelques tortillas fraîches et un petit pochon de nourriture. Comme ça dans la journée tu auras de quoi manger.
Quelque chose en lui voulut prendre dans ses bras cette femme si bonne. Mais comment aurait-elle pu faire ? fallait-il seulement tendre les bras et attendre qu'elle s'y blottisse ? Devait-elle lui dire des mots de remerciements qui viendraient du plus profond d'elle-même ? Et quels mots aurait-elle dû dire? L'ombre mit maladroitement le sac à dos et dit une fois de plus merci madame. Et il s'en alla, toujours en traînant la patte, par les rues de Mexico qui maintenant s'emplissaient de vie.
Et pendant que l'ombre s'éloignait, la femme fit un signe de croix rapide, avant de retourner à l'intérieur du restaurant servir son café de Olla aux deux premiers clients de cette nouvelle journée, bénie des dieux, pensait-elle.
***
Bien que les avenues extérieures soient déjà envahies par une circulation dense, Mexico s'éveillent lentement entre sept et huit. Dans les rues du centre historique, le silence avait encore toute sa place. L'ombre marchait lentement, et sans s'en rendre compte, elle prenait plaisir à regarder ces vieilles bâtisses, que la lumière encore tendre de l'aube caressait et mettaient en valeur. Il s'enivrait à leur vue, respirant à fond. Il était l'unique, le privilégié. C'était sa ville, et avec le ventre plein il se croyait heureux, heureux un instant d'être lui aussi partie prenante de ces pierres de la ville qui avaient une histoire millénaire, d'abord Aztèque, puis coloniale, une histoire aussi révolutionnaire, et enfin moderne et qui semblaient la partager avec elle. C'était l'heure qu'il préférait, une heure de cessez-le-feu. Puis l'ombre arriva à 9 heures et elle se dit que la guerre des hommes contre d'autres hommes allaient bientôt entamer ses premiers combats. Toute sa personne s'en trouva changée. Maintenant elle lui fallait être sur ses gardes. Comme disait l'autre ombre délogée de sa couverture, il ne devait jamais céder à ses émotions, jamais. Car aurait-elle pu ajouter, toute ombre est aussi un guerrier.
Neuf, dix, onze, midi. La multitude était de retour. La foule grondait de désirs, elle était impatiente, elle était aussi frustrée dans ses désirs. Parfois elle se faisait poète, tendre et romantique, par exemple quand elle s’agglutinait autour d'un chanteur, d'un clown ou d'Indiens dansant leurs ancestrales danses et qu'elle n'hésitait pas à jeter une pièce ou mieux encore un billet, généreusement. Parfois encore, elle revendiquait comme ces femmes qui s’étaient installées sur les trottoirs en face du zocalo, pour dénoncer les féminicides et l’incurie de l’État. Mais le plus souvent, elle était inerte, indifférente, pure consommation, et toujours dans leurs mains, les smartphones sonnaient l’hallali communicative du vide qui emplissait le pas des touristes et des badauds. Alors pour certaines ombres, les plus douées, le vol à la tire était facile.
Ce n'était pas le cas de notre ombre. Le vol à la tire n'avait jamais été son fort. Elle était trop sale, trop déguenillée, trop de tout en fait, et surtout elle faisait trop peur avec sa gueule de gosse qui avait vieilli d'un coup. Quand elle s'approchait de quelqu'un, aussitôt, presque par réflexe, la personne s'éloignait.
Alors à quoi bon tenter le diable. Autant rester assis et faire la manche. Et puis c'était intéressant de voir tous ces gens avec chacun sa façon de prendre contact avec lui. Certains, c'étaient les plus rares, avaient le même sourire charitable que Teofila Orthez Diaz. Ce sont ceux-là qui donnaient le plus. D'autres, la grande majorité, à peine l'avaient-ils vue qu'ils détournaient le regard et accéléraient le pas. L'ombre percevait aussi une infinité de nuances parmi ces gens. Il y avait ceux qui souriaient en mettant la main dans leur poche et alors que l'ombre croyait recevoir une pièce, la personne levait une épaule en signe d'excuse comme pour lui dire, mon pauvre gars, pas de chance aujourd’hui, je n'ai pas de monnaie. Des hypocrites ! Il y en avait d'autres qui avaient l'air furieux. L’ombre avait l'impression que sa présence leur gâchait la vie et c'est pourquoi ils le fusillaient du regard à défaut de pouvoir le faire réellement. Il y avait les distraits qui lui butaient parfois sur la jambe, les mamans accompagnées de leurs rejetons qui auraient bien donné mais qui ne voulaient pas s'approcher, apeurées de cette chose à moitié humaine. Il y avait aussi ces jeunes bien élevés, à l'avenir tout aussi bien tracé, orgueilleux, qui avaient l'air de lui dire, t'en fais pas, tu t'en tireras si seulement tu veux t'en donner la peine. Ceux- là ne donnaient jamais. Il y avait encore ceux qui donnaient en se cachant comme s'ils avaient honte et il y avait ceux qui avaient trop honte pour oser lui donner. La rue était passionnante. Tant qu'elle n’avait pas faim, l'ombre ne s’ennuyait pas.
Puis le soleil sauta par-dessus les immeubles et d’un coup inonda la rue où il s’était assis. Il n'avait pas de casquette. Il lui en faudrait une. S'il mettait la capuche de son sweet, il avait trop chaud. Il regarda l'argent qu'on avait déposé à ses pieds pendant deux heures de manche. Onze pesos. Même pas le prix d'un tacos ! bandes de radins se dit-elle en se levant, heureusement que j'ai de quoi manger dans mon sac à dos. Et comme le repas du petit déjeuner avait été copieux, il n’avait pas encore faim. L'ombre gardait sa bonne humeur et il eut une idée.Il irait dans la rue Venezuela et plus précisément sur la terrasse bar restaurant de la grande libraire du cœur de Mexico dont il ne connaissait pas le nom. Là il y a un coin sympa et tranquille, lui avait dit une autre ombre, avec deux fauteuils rien que pour toi et personne pour t'emmerder. Puisqu’il avait été assis deux bonnes heures, il partit d'un pas alerte sans ressentir aucune douleur dans le pied. Madame Teofila Orthez Diaz avait tout à fait raison, c’était une journée bénie des dieux, même si, il ne fait aucun doute, que de toute éternité, les dieux avaient oublié la présence des ombres.
Les ombres n'existaient donc pas. Elles n'avaient jamais existé, mais parfois comme les fantômes, elles devenaient visibles... .
La nôtre gagna la place Santo Domingo située en face du ministère de l'éducation. Une fois, il y a déjà plusieurs semaines de cela, parce qu'on lui avait dit que c'était beau, il avait osé tenter sa chance. L'un des policiers de l'entrée avait été sympa, il l'avait laissé passer, peut-être par pitié, ou peut-être parce que les cours du ministère étaient ouvertes à toutes et tous et gratuites. Ce jour-là, ce fut un grand moment pour l'ombre, une sorte de révélation. Elle était restée deux heures là-dedans, au moins, mais ça avait semblé beaucoup plus court, comme si elle était à peine rentrée et qu'elle avait dû sortir aussitôt.
Il s’assit au centre de la place, sur la margelle de la fontaine, en plein soleil, face à l'entrée du ministère et elle se revoyait face à certaines des œuvres qui couvraient les murs des différentes cours.
Ces murs avaient été peints par Diego Riviera et racontent l’histoire du Mexique de l'époque Aztèque jusqu'à la révolution de 1910 à 1920. L'ombre avait aimé ces peintures murales. Surtout celles où les paysans et les Indiens révoltés étaient armés. Ça avait été un choc. Pour la première fois elle comprenait le sens d'une histoire (et c'est après avoir vu ces tableaux, qu'il lui était apparu qu'elle faisait bien partie de cette histoire des pierres de la ville de Mexico), et elle se disait qu'elle n’était peut-être pas aussi seule qu'elle l'avait cru jusqu'ici.
C'était une expérience mystique et à la fois profondément concrète. Elle n'était pas seulement un fantôme mais elle était aussi faite de chair, de sang et de douleur et vu qu'elle pouvait souffrir, elle avait un droit absolu à penser par elle-même. Elle était arrivée à cette conclusion que si elle était un être de chair et de sang, elle était aussi un être humain qui avait le droit de gueuler sa vie comme bon lui plaisait et de revendiquer son existence à la face des bien-assis, sans en avoir honte.
En sortant du ministère, elle était ressortie joyeuse de sa découverte. Elle avait décidé de fêter son nouveau statut de "citoyen", en s'achetant de l'alcool. Bien sûr une heure plus tard, l'ombre fut soûle à rouler par terre et par conséquent elle avait quasiment oublié cette expérience !
Assis sur ce muret, cela lui revint d'un coup, les peintures murales de Diego Riviera, l'histoire du Mexique, les paysans et les Indiens armés et la conclusion qu'il était un homme de droit. Il se demanda pourquoi il avait pensé cette bizarrerie . C'était assez con d'essayer de penser. Ça ne menait à rien qu'à se faire mal à la tête, alors qu'il avait suffisamment de son pied pour se taper la tête contre les murs, qu'ils soient couverts de peintures murales ou pas ! . A cette image de son pied et de la tête contre les murs l'ombre se mit à rire. Un petit rire sarcastique qui à côté de lui, surprit Pépé, le paraplégique qui dans son fauteuil roulant vendait des friandises, quelques babioles et des cigarettes à l'unité.
Hé bien mon garçon, on a l'air en forme aujourd'hui. Ça fait plaisir à voir, dit Pépé en approchant son fauteuil roulant. Mais qu'est-ce que tu regardes comme ça ? Il y a rien qu'un mur de l'autre côté de la rue.
Derrière le mur, répondit l'ombre, il y a des peintures, beaucoup de peintures. C'est beau.
Ha oui, tu savais pas s'exclama Pépé. Ça été peint par ce cornichon de Diego Rivera.
Ce cornichon de Diego Rivera s'étonna l'ombre. Pourquoi cornichon?
Peut-être pas cornichon dit Pépé, mais c'est un attrape-couillon pour les touristes. Il a peint partout ce bonhomme, ici dans ces cours du ministère de l'éducation, dans le grand escalier du Palais National, à Acapulco aussi, et même aux États Unis. Quand quelqu'un te parle de peinture c'est toujours Rivera qu'on site en premier. C'est comme s'il n'y avait eu qu'un peintre au Mexique , non en fait , deux. Lui et Frida Kahlo.
Tumblr media
Frida Khalo ?
Me dis pas que que tu ne connais pas Frida Kahlo. Elle est dans tous les magasins. C'est un produit de choix pour le Mexique. Il y a des tee-shirts et des mugs à son effigie, des écharpes, des sacs à main Frida Kahlo et je ne sais trop quoi d'autres. Ça se vend comme des petits pains. Moi aussi je vends du Frida Kahlo. Regarde à côté de mes cigarettes, j'ai quelques magnets. Tu vois, c'est elle.
L'ombre s'approcha du panier posé sur les genoux de Pépé et regarda attentivement le magnet avec le portrait de Frida Khalo.
Ha oui, dit-il, je la connais. C'était la femme de Diego Rivera ?
Oui plus ou moins, ils ont été souvent ensemble et aussi souvent séparés. C'est que le gros Rivera, aimait courir le jupon. Un sacré queutard parait-il.
Tu en connais des choses dit l'ombre .Moi je savais pas ça.
Bah j'en sais pas plus qu’un autre mon garçon. Le plus étonnant c'est que toi tu ne le sache pas. Tu as pourtant été à l'école.
Oui bien sûr, mais je ne me souviens de pas grand chose .
Je vois ça.
Et puis j'aimais pas ça.
Tu as quand-même appris à lire j'espère.
Oui mais pas bien. J'aime pas ça n'ont plus.
De toute façon dit Pepe, qui prit une voix de philosophe, lire c'est pas fait pour les gens comme nous. Lire est une foutue connerie. On a bien autre chose à faire que passer notre temps avachi dans un fauteuil devant un bouquin comme un bon bourgeois. N'est-ce pas ?
J'aime pas lire répéta l'ombre pour toute réponse.
Tu m'achètes une clope dit alors Pépé qui ne perdait pas de vue qu'il travaillait.
D'accord dit l'ombre enjouée. J'ai gagné 11 pesos ce matin. Et il mis une main dans sa poche et en sortit sa pièce de cinq et de un. Les 11 pesos de la manche du matin étaient dans l'autre poche. 6 pesos, c'était le prix à payer pour se soulager les intestins et c'était aussi le prix pour s'encrasser les poumons!
Avant de prendre une cloque affirma Pépé, viens donc sous les arcades. Il fait trop chaud en plein soleil et moi je ne vends rien ici.
L'ombre suivit Pépé de l'autre côté de la place, sous les vieilles arcades de l'époque coloniale occupées par des vendeurs de timbres, des écrivains publics et des bouquinistes. Une fois dessous, la fraîcheur du lieu leur fit du bien. L'ombre acheta et fuma sa cigarette adossée à une des colonnes des arcades, en faisant attention à ne pas abîmer son sac à dos neuf. A ses côtés, tout en étant à l’affût des passants car c'était tous des clients potentiels de bonbons, de cigarettes ou de ces quelques malheureux magnets à effigie de Frida Kahlo, Pépé alluma lui aussi une cigarette avec sa seule main valide. Le temps s'immobilisa dans des volutes bleues jusqu'à ce qu'ils eussent fini leur cigarette sans se dire un mot.
Pépé dit enfin l'ombre, on est bien ici. Je voudrais toujours être comme ça.
Pour sûr qu'on est bien sous ces arcades, répondit Pépé. Je suis chez moi ici et n'ai aucune envie de quitter ce quartier.
Moi aussi, dit l'ombre, j'aime bien ma rue Emiliano Zapata et toutes les autres rues autour.
Oui mais moi au moins j'ai un toit, dit Pépé comme pour s'excuser. Toi, hélas, tu n’as rien.
C'est pas grave répondit l'ombre, j'aime quand-même ma rue.
Je comprends, fit Pépé. Mais c 'est quand-même pas une vie de pas avoir de chez toi. Un bon gars de ton genre, ça devrait dormir dans des draps tous les soirs. Tiens, prends donc une autre cigarette. Celle-là je te l’offre.
Merci Pépé dit l'ombre en se servant dans un des paquets ouverts posé dans son panier. Je la garde pour plus tard ajouta-t-il. L’ombre enleva son sac et mis sa cigarette dans la pochette intérieure. Par la même occasion il sentit l'odeur encore tiède du pochon de nourriture que lui avait offert Madame Teofila Orthez Diaz et cela lui ouvrit l'appétit. Elle se dit qu'elle avait encore le temps d'attendre. Si elle pouvait atteindre cette petite terrasse avec ces deux fauteuils dont on lui avait parlé, elle serait confortablement installée pour manger en paix.
Pépé demanda-t-elle, tu connais la librairie de la rue Venezuela. Il parait qu’il y a une super terrasse qui donne au-dessus du Templo Mayor ? Je ne sais pas comment monter.
Ha tu as entendu parler de cet endroit. Oui moi je connais. J'y suis allé plusieurs fois, mais je vends rien. Il y a que des touristes, des intellos à gogo et des gens snobs qui me regardent à peine. C'est quasiment impossible que tu y arrives tout seul, il faut prendre un ascenseur et il y a un vigile qui le surveille.
Ah je savais pas? comment je pourrais faire ? T'aurais pas un plan.
Moi je pourrais monter. Mais toi. Tu as vu dans quel état tu es ? faudrait d'abord que tu changes de fringues.
J'ai rien d'autre dit l'ombre déçue car il se voyait déjà tranquille en train de manger assis dans un des deux fauteuils. Tant pis dit-il, je vais trouver autre chose.
Bah non mon garçon, s'exclama Pépé, faut pas abandonner la partie aussi vite. Tiens, je sais ce qu'on va faire. Peut-être que ça va marcher. Viens, je t'accompagne et t'explique.
Le plan de Pépé était très simple, puisque lui pouvait monter, il suffisait que l’ombre l'assiste dans ses déplacements. Pépé avait une carte d’handicapé autour du cou, de ce fait, on pouvait rarement lui refuser le passage.
Pépé était un retraité approchant les quatre- vingts ans. Il avait travaillé toute sa vie et avait-été mis à la retraite à 65 ans avec une pension ridicule qui lui permettait à peine à payer son loyer et ses charges. Comme si cela n'avait pas suffi, deux ans plus tard il fit un avc. Il n'avait plus qu'une jambe et un bras valides et il n'entendait plus que d'une oreille. Mais il se démonta pas. La mort n'avait pas voulu de lui et d'ailleurs il s'en foutait au point de lui faire un pied de nez. Il fit donc des démarches pour avoir son statut d’handicapé et celui de vendeur ambulant. Malgré son accident cérébral et sa petite retraite, Pépé ne se disait, ni vaincu par l'existence, ni malheureux. Certes il travaillait encore toute la journée dans la rue, mais il n’était pas une ombre. Avoir un chez soi, vous donne une certaine visibilité d'homme honnête et respectable dont il était assez fier. Comme c’était un vieil homme curieux et plutôt généreux, pas toujours, parfois, comme on vient de le voir, il côtoyait facilement les ombres de son quartier. A force Pépé les connaissait toutes et celles-ci l'aimaient bien. Aucune d'entre elles ne venait lui chercher des noises. Et puis, Pépé ne l'oubliait pas, grâce à une association d'aide aux handicapés, il avait pu obtenir un fauteuil roulant électrique. Alors aider une ombre, il le faisait volontiers. En quelque sorte, depuis qu'il les connaissait, les ombres faisaient partie de sa famille et bien souvent c'est lui qui leur remontait le moral.
La nôtre marcha donc à côté du fauteuil roulant, sans le pousser. La douleur la reprenait au pied. Cependant avec moins de virulence. Cela ne lui vrillait plus l'esprit à chaque fois qu'il mettait un pied l'un devant l'autre. Pépé s'arrêta deux fois ce qui lui fit du bien. Une fois pour vendre deux cigarettes à des écoliers qui étaient à peine en âge de fumer et une autre fois à une femme qui acheta des bonbons pour sa fille qui eut peur de l'ombre et n'osa s’approcher de Pépé qu’une fois qu'elle s'en fut écartée. Ils arrivèrent bientôt derrière le Temple Mayor et la cathédrale. La librairie était située juste à côté, au rez-de-chaussée. Pépé fit rouler son fauteuil par l'entrée latérale, car signifia-t-il à l'ombre c'est ici que se trouve l’ascenseur. Ensuite lui dit-elle , tu prends les deux poignées de mon fauteuil, tu le tournes et quand la porte de l’ascenseur s'ouvre, tu rentres le premier en me tirant à l'intérieur. Mais au dernier moment, je fais comme si j'avais oublié quelque chose et je ressors. Toi, tu n'as plus qu'à appuyer sur le bouton du deuxième étage et hop ,ni vu ni connu, tu te retrouves sur la terrasse. Pigé !
Quand il les vit rentrer dans la librairie, le vigile fit un geste vers eux pour leur interdire le passage. Pepe, lui montra alors sa carte d'handicapé accrochée au cou et l'homme se rétracta. Il leur fit même un sourire amical.
Il mirent leur stratagème en place qui fonctionna à merveille. D'ailleurs cela avait été facile à exécuter car le vigile, ne les surveillait plus. Il était déjà occupé à contrôler deux autres clients. Pepe quitta la libraire et s'en retourna sur sa place.
Soulagée que tout roule comme sur des roulettes, l'ombre monta au deuxième étage et quand la porte de l'ascenseur s'ouvrit, il se trouva face à une grande terrasse ombragée où seulement trois tables sur une vingtaine étaient occupée par des clients. A l'autre extrémité de la terrasse il y avait le bar et la cuisine où pour l'instant, aucun employé n'était présent. Derrière cette première terrasse, il y en avait une deuxième, jamais utilisée d'après les affirmations de l'ombre qui lui avait donné ce plan. Elle y fonça et jeta son sac à dos dans l'un des fauteuils situé sous un mur sur lequel il y avait imprimé une photo de José Vaconcelos. Et à côté de cette photo, était écrit en gros caractère une de ces phrases les plus célèbres.
L'ombre la remarqua et leva son doigt dans sa direction. Comme le font certains enfants qui apprennent à lire, de l'extrémité de ce même doigt elle la déchiffra lettre après lettre, puis phonème après phonème et enfin mot après mot, jusqu'à ce qu'elle voie à peu près l'ensemble. Après plusieurs essais infructueux, elle réussit à lire la phrase d'un seul tenant sans se tromper. Seuls les livres peuvent sortir ce pays de la barbarie. Il l’apprit par cœur tout en se demandant le sens exact de la phrase. Livres. Barbarie. Qu'est-ce que faisaient ces deux mots à un bout et à l'autre bout de cette phrase? Il sentait ce que l'homme avait voulu dire mais c'était flou, et puis il n'était pas là pour disserter, mais pour manger tranquillement. Il sortit de son sac ses tacos et son pochon de nourriture que lui avait donnés madame Teofila Ortez Diaz et l'avala de bon appétit, puis elle détendit tous ses membres, bâilla et ferma les yeux. Enfin rassasiée et apaisée, elle s'apprêta à passer une agréable petite sieste.
Tumblr media
***
Il n'est certes pas aussi célèbre que Che Guevara, Castro, ou Trotski qui vécurent aussi à Mexico, mais pour de nombreux Mexicains et les passionnés de ce pays, il est loin d'être un inconnu. Qui est donc ce José Vasconcelos ? Si on va sur un moteur de recherche, on trouvera de nombreuses références. Il est né dans la ville de Oaxaca, devint avocat et participa à la révolution mexicaine. En 1920, sous la présidence d'Alvaro Obregon, il créa et dirigea le ministère d'éducation publique (SEP). Là même où l'ombre admira les œuvres de Diego Riviera. Sous son impulsion, d'après Wikipédia, le taux d'alphabétisation des plus de 10 ans passa de 1924 à 1930 de 25% à 51%, et le nombre d'écoles rurales est triplé. Il travailla en faveur d'une éducation de masse, créa des réseaux de bibliothèques, des missions culturelles, des maisons du peuple, ce qui lui valut le surnom de, "Le Maestro de la jeunesse d'Amérique".
Même s'il n'a sans doute pas rencontré Trotski, qui à cette époque à côté de Lénine avait d'autres chats à fouetter, (ceux, marins de Cronstad et ceux, anarchistes de la bande à Makno , entre autres), il partage avec lui, la nécessité dans un pays socialiste de donner toute la liberté d'expression aux artistes. Pour Trotski, il est légitime de se demander s'il aurait mis en pratique cette très bonne idée - mais on ne le saura jamais car le Petit Père des peuples ne lui laissa pas le choix - Vasconcelos qui représentait pourtant l'Etat, lui, ne se dégonfla pas.
Les peintres, Jean Charlot, Firmin Revueltas, Ramon Alva de la Canal, Fernando Lea et ceux qu'on appelait déjà "les très grands", José Clément Orozco, David Alfaro Siquieros et Diego Riviera, tous montant des échafaudages, lavant, blanchissant, enduisant des murs, côte à côte, parfois se filant des coups de main, peignaient comme des fous et créèrent l'un des plus grands mouvements esthétiques du 20ème siècle, le muralisme. Plus tard, peut-être par jalousie, certains appelèrent ces peintres les "évangélistes culturels de Vasconcelos". Des évangélistes qui avaient toute liberté de peindre ce qui leur passait par la tête et qui ne s'en privèrent pas.
Vasconcelos est aussi écrivain et penseur . Son livre le plus connu est "La race cosmique", dans lequel il expose qu'est venu le temps de l'union de tous les hommes en une cinquième race universelle fruit des précédentes et surmontant tout le passé. Bref, ce sympathique José Vasconcelos méritait amplement qu'on lui consacre ces quelques lignes.
On s'en doute. Notre ombre n'avait aucune connaissance de la biographie de Vasconcelos et c'était le cadet de ses soucis. Elle faisait la sieste, elle rêvassait et elle s'était rarement sentie aussi heureuse. Dans sa rêverie, elle voyait des couleurs joyeuses qui se mélangeaient avec les mots de cette phrase apprise par cœur. Une brosse à dents lui traversa l'esprit, et des Indiens la brandissaient en lieu de fusils dans un tableau de Diego Riviera. Madame Teofila Ortez Diaz se transforma en princesse aztèque trônant au bout d'une table couverte de mets succulents. Pepe se tenait debout à côté d'elle et lui faisait un clin d’œil. Des fumées de cigarettes enrobaient la place Santo Domingo, et l'ombre nageait dans une mer d'un bleu aussi onctueux que de la crème chantilly. D'autres images lui venaient encore et les mots livres, barbarie se transformaient en chanson. Sa rêverie n'avait pas de fin, elle s’amplifiait jusque dans sa respiration de plus en plus calme. Un souffle de fraîcheur balaya la terrasse et son visage. Une promesse de caresses et d'amour étaient des mots qui s'inscrivirent dans sa tête venus d'une autre planète que celle de la rue Emiliano Zapata. Oui, une promesse de caresses et d'amour, qui, sur ce visage retrouvant un instant tout le charme de sa jeunesse, esquissait un sourire de bien-être.
Puis ce fut le trou noir et la débâcle du rêve. On le secouait sans ménagement et l'ombre ouvrit les yeux.
Il y avait un homme portant un tablier et une toque blanche, sans doute le chef cuisinier, une jeune femme en jean et en chemisier, certainement une serveuse et puis le vigile. Pas un n’ avait de la sympathie pour l'ombre, cela se voyait à leurs regards noirs.
Qu'est-ce que tu fous là sale pouilleux, lança le vigile .
L'ombre sentit le danger qui le menaçait, il se leva promptement. D'un coup le jeune homme endormi prit vingt ans dans sa gueule fracassée par un vilain rictus de haine, et il fit le dos rond comme un chat noir. Le chef cuisinier et la serveuse reculèrent d'un pas. Ce n’était pas le cas du vigile. Il domina l'ombre de toute sa présence athlétique et menaçante. L'ombre se radoucit, tenta de parler avec une petite voix, Il y arriva presque.
Bah quoi, je faisais juste une petite sieste dans ce fauteuil. IL n'y a pas de mal à ça dit-il en prenant un air soumis.
Tu n'as rien à faire ici répondit le vigile avec fermeté. Tu vas dégager tout de suite, avant que je m'énerve. Compris ?
Derrière l'homme, le chef cuisinier et la serveuse hochaient la tête. Ils avaient retrouvé tout leur aplomb. On aurait dit de bons petits soldats prêts à jeter l'ombre par dessus bord au premier signe de leur général.
L'ombre avait du mal à jouer le jeu. Il croyait dur comme fer qu'il ne faisait rien de mal. Il s’efforça de garder son calme.
D'accord, mais on n'est pas aux pièces dit-il en remettant son sac à dos. Je vais m'en aller dans un moment.
Le vigile s'approcha et agrippa l'ombre par la bretelle de son sac. Pas question d’attendre dit-il, tu dégages maintenant.
D'accord, d'accord, vous énervez pas, j'y vais tout de suite. Mais lâchez- moi, je n'ai rien fait de mal quand-même répéta-t-il !
Mais le vigile n'écoutait pas. IL secoua l'ombre, tentant de l’entraîner vers la sortie. L'ombre ne résista pas. Il repensait à l'autre ombre qui lui avait dit de rester toujours sur ses gardes et de ne pas se laisser submerger par ses émotions. Il tenta même un sourire, mais c'était raté. Le vigile la tenait maintenant par l'épaule et la bretelle du sac, et pour faire bonne fortune une fois sur l'autre terrasse, il lâcha l'ombre et celle-ci en profita pour s'écarter et buter contre la table où un couple lisait leur journal devant leur jus de fruits. Le vigile en profita pour le rattraper.
Excusez- nous dit-il à ce couple en faisant son plus beau sourire de bovin.
Toujours derrière lui, la serveuse et le chef cuisinier grimaçaient et s'énervaient. Qu'il se casse fissa ce clodo puant. Nous on veut travailler. Ils se dirent ça, super soulagés de la suite des événements, car le vigile poussait cette loque vers l'ascenseur, et quand la porte s’ouvrit, le vigile balança l’ombre à l’intérieur de la cabine où elle se cogna contre la paroi du fond en faisant un bruit sourd suivi de son écho, écœurant aurait pensé une personne si elle avait vu la scène. Mais le vigile avait agi avec cette violence parce qu'il n'avait vu personne.
En fait si, il y avait une personne qui vit cette scène. Un homme seul à sa table devant son ordinateur et son café, un écrivailleur, moi, et qui leva la tête de son ordinateur quand la porte de l'ascenseur se referma sur l'ombre et le vigile.
Rue Regina
C'est mon deuxième voyage en Amérique latine, c'est aussi le deuxième livre à partir de mon blog un carnet (latinoamerica) que je suis en train d'écrire. J'avais envoyé le manuscrit du premier à deux éditeurs et j'avais reçu deux réponses négatives. Hier encore en ouvrant mes mails dans la chambre de mon hôtel de Mexico, rue San Marcos, j'avais reçu une troisième réponse accompagnée d'un mot me disant qu'il (il c'est qui ? Disons le responsable du comité de lecture) avait lu avec attention mes histoires de voyage. Il y avait de très bonnes choses là-dedans. De plus, vous avez trouvé une unité de temps et de lieu et blablabla, et ce responsable de comité de lecture m'avait sorti toute sa science sur la théorie aristotélicienne de l'esthétisme, et en concluait en citant une unique phrase sur les 250 pages de mon livre. Celle-ci, on la voyait arriver avec ses gros sabots, elle était téléphonée, vraiment, ce c'est pas comme ça qu'il faut écrire. Il ajouta, vous comprendrez que je ne peux pas vous en dire plus car je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer. J'ai de nombreuses autres d'obligations. Nous ne pouvons accepter votre manuscrit. Si vous voulez le récupérer, il est à votre disposition à l'adresse de notre maison d'édition. Mes salutations amicales.
C'était tout. Salopard. J'avais usé sang et larmes et aussi pris un immense plaisir pendant des nuits pour travailler ce livre et en quelques mots on le jetait aux oubliettes. Mes espoirs de publier ce bouquin devenant de plus en plus incertains, je ne suis pas au mieux de ma forme. Pour tout vous dire, je déprime sérieusement. Je ne suis qu'un écrivailleur qui erre dans la ville de Mexico avec ses bleus à l'âme et ses doutes.
Et parmi ses doutes, j'en ai un, au risque de vous faire bâiller d'ennui, sur lequel je me permets d'intervenir car pour moi il est crucial. La ponctuation. Après promis, je n'en parlerai plus.
Un de mes copains, shérif, qui a publié 5 ou 6 très bons livres, et à qui j'avais passé mon manuscrit, m'avait dit, si tu veux que ton livre sorte, il serait préférable que tu reviennes à une ponctuation plus classique. Utilise les deux points, le point virgule et le tiret à la ligne pour les dialogues. Tu verras ça ira beaucoup mieux. D'autant plus qu'avec ta manière de faire, je vois pas très bien ou tu veux en venir.
Shérif n'a sans doute pas tort. Moi non plus je ne vois pas trop où je veux en venir. Seulement pendant des années, surtout avant l'avènement des ordinateurs, j'écrivais essentiellement à la main et j'avais mis au point une technique. J'écrivais sans aucune ponctuation. La ponctuation m’emmerdait trop. Elle cassait le flux de mes mots et m'empêchait d'avancer. Pour donner du rythme à mes textes, j'avais donc remplacer la ponctuation par des espacements différents entre les mots. Un point c'était trois espacements entre deux mots, une virgule, un point-virgule et les deux points, c'était deux espacements. Et pas de tiret à la ligne pour les dialogues, seulement trois espacement comme pour le point. Et puis parfois j'ajoutais des demi espacements, ou j'en mettais quatre quand je voulais une respiration plus longue. A force, devant mes yeux, j'en était arrivé à ne plus voir une feuille de papier sur laquelle j'écrivais, mais une partition de musique. Et que voulez vous que je dise à Shérif ? On ne met pas de deux points, point virgule ou de tiret à la ligne sur une partition. On pose des notes. C'est ça que je faisais plus ou moins consciemment, j'écrivais des notes de musique sous forme de mot. Quand j’ai eu mon premier ordinateur, impossible d'utiliser cette technique, mais dans ma tête, une fois pour toutes, j'en avais fini avec les deux points, le point-virgule et le tiret .
Aujourd'hui comme je vous l'ai déjà dit, je doute. Ce serait tellement plus facile d'écrire comme tout le monde. Je pourrais faire un effort, ce n'est pas quand-même pas la mer à boire. Il y a de nombreux écrivains que j'admire, dont Shérif, qui écrivent ainsi. Je n'avais qu'à faire comme eux et tenter ma chance.
Bah non, j'ai tenté et ça ne marche pas. Je ne cherche pourtant pas à être original, loin s’en faut, les originaux m'ayant toujours paru sans profondeur. Tout simplement, je peux pas faire comme les autres car je vois toujours une partition de musique.
Je continue donc à écrire comme bon me chante !
. J'ajoute une nouvelle fois au risque de vous voir encore bâiller d'ennui que ma situation n'est pas des plus grandioses, voyez vous-même. Je n'ai pas de patrimoine et je n'ai jamais voulu, ni pu acheter de maison ou d'appartement. Parce que je vis à Paris, je n'ai pas eu besoin de voiture, mon seul bien est un vélo depuis 30 ans, et donc bien avant que les bourgeois pas bohèmes (les bo-pas-bo comme dirait un copain) se mettent à pédaler en pleurnichant sur la fin du monde que pourtant ils sont les premiers à avoir saccagé. Même si je suis souvent amoureux, je n'ai pas de petite amie, je suis donc seul. Je n'ai pas non plus de fric. Je n'en ai jamais eu beaucoup et ma retraite de postier est presque aussi minable que celle de Pépé, elle me permet à peine d'avoir la tête hors de l'eau. A mon âge, j'ai déjà des milliers d'heures de vol et il ne m'en reste sans doute guère avant de tirer ma révérence, et puis surtout, à part dans des revues confidentielles, je n'ai jamais été édité. Hé bien, croyez le ou pas, j'en ris de bon cœur. Depuis que j'ai commencé à bosser à 17 ans ce qui coïncide avec mes premiers textes, j'ai su qu'il fallait en passer par une certaine dose de solitude, un bon degré de dépouillement, et n'attendre aucune reconnaissance de qui que ce soit pour arracher le verbe du carnage de la terre. C'est une condition préalable à l'écriture (la mienne en tout cas). Alors ce n'est pas un petit chef de comité de lecture parisien qu'allait m'empêcher d'être chaque jour devant ce clavier. Je déprime mais j'ai du répondant, je ne suis pas encore mort, j'ai la rage et je vais remonter le courant. Éditeurs vous allez en souper de mes histoires. Je n’arrêterai jamais de vous les envoyer.
Voilà c'est dit.
Trois mois que je suis au Mexique. Jusqu'ici, j'ai fait le classico des voyageurs en sac à dos. Je suis arrivé à Cancun au milieu des Américains et des Canadiens qui viennent en hiver s’y prélasser en masse et je n’y ai pas perdu de temps . J'ai filé directement dans la capitale du Yucatan au milieu des terres et au cœur du soleil, Merida. Et là je me suis senti mieux. Je me suis même mis des claques pour savoir si je ne rêvais pas. En Europe, cela faisait deux ans qu'on nous confinait, déconfinait, reconfinait. Je n'avais jamais vu sur nos écrans de TV défiler autant de spécialistes en virologie, à se demander si tout le monde n'était pas virologue. Aucun journaliste ne leur demandait jamais leurs liens avec les firmes pharmaceutiques. Mais pourquoi le leur demander puisque ces seigneurs de la santé détenaient la sacro-sainte vérité scientifique !
La vérité c'est que le pouvoir avec l'aide de leurs amis médecins-militaires (plus militaires que médecins) menaient une guerre contre nous. Ces types bouffis d’orgueil qu'on avait sortis de leur cabinets dorés nous ordonnaient quand sortir, quand rentrer, nous ordonnaient même de ne plus nous parler car parler à autrui est irresponsable. Et le petit président entouré de ses zozos en blouse blanche, nous interdisait de faire du vélo ! ! Si si, aussi stupide que cela paraisse, ils nous ont interdit d'enfourcher nos petites reines. Comme cela ne suffisait sans doute pas, on dépensait un fric monstre pour faire tourner des hélicoptères de la police pour surveiller les montagnes, les plages et les côtes, afin d’empêcher qu'un homme ou une femme solitaire n’y propage sans doute le virus à la planète entière. Il y a même eu des bœufs avinés néofascistes (ils votent à plus de 70% pour l’extrême droite) qu'on appelle flics qui au nom de la République, fouillaient les sacs de courses des femmes et s'ils y trouvaient une boîte de tampons hygiéniques leur dressaient un procès-verbal car cela ne faisait pas partie de leurs besoins prioritaires ! Et que dire de tous nos jeunes dans les banlieues qui se sont retrouvés avec des dizaines d'amendes impossibles à payer que ces mêmes bovins avinés néofascistes leur distribuaient avec un plaisir sadique non dissimulé parce que à 18h et cinq minutes, ils n'étaient pas rentrés dans leur logement dont on sait qu'ils sont souvent exigus et surpeuplés.
Ce qui nous a rendus malades, ce n'est pas tant ce virus, que toute la machine de guerre de l'état organisée pour taper, punir, infantiliser, décerveler, afin de nous rendre aussi dociles et obéissants que leurs flics.
Et puis il y a eu les couvre-feux (comme pendant la guerre), les vagues 1,2,3,4 et les vaccins 1,2,3,4, les pass sanitaires, un président de droit divin qui prend des décisions seuls, nos libertés rognées et ils atteignirent enfin leur but. Des millions de gens furent tétanisés de peur, ce qui veut dire qu'on peut en faire ce que l'on veut. L'enfer !
Et l'enfer porte un nom
Emmanuel Macron
Je sais ce qu'on va me dire. Et toi, qu'est-ce que tu aurais fait à sa place ? On était dans l'inconnu et il y eu des millions de morts dans le monde, il fallait bien prendre des décisions énergiques. C'est ce qu'a fait avec courage notre président.
Tu parles d'une question/réponse. Dans quasiment tous les pays on a pratiqué la même politique et celle -ci a consisté avant tout à supprimer des libertés et à attiser les peurs. Quant à l'infantilisation d'un peuple, ceci a bien été une spécificité française.
Vous voulez quand-même savoir ce que j'aurais fait ? Et bien c'est très simple. Prim J'aurais investi des milliards d’euros pris dans les portefeuilles des actionnaires, sur le budget de l'armée, dans les banques et les paradis fiscaux pour l'investir dans un grand truc de santé publique. Et pas seulement à l'échelle de la France ou de l’Europe mais de la planète. Voici ce que j'aurais fait, et ce qu'il faut faire à l'avenir!
Deuze. J'aurais fait confiance aux gens. Ce n'est quand même pas ce qu'il y a de plus compliqué ! Nous sommes assez grands pour nous protéger nous-mêmes. Les médecins n'ont pas tous le doigt sur la couture pour dire ce que veut entendre le pouvoir. Une grande majorité font leur travail de façon admirable. Dans nos quartiers, avec leur concours, on aurait pu s'organiser, aider les plus faibles, prendre des mesures concrètes partagées par la majorité. Et même parmi les flics, bien qu'ils soient de moins en moins nombreux, il n'y a pas que des bœufs avinés néofascistes, il y a aussi des femmes et des hommes de qualité, des républicains, qui font ce métier parce qu'ils pensent qu'ils sont au service de la population. Eux aussi ils auraient pu nous filer un coup de main. Je n'ai pas la science infuse, certes, mais comme des millions d’autres gens, je pense. L'intelligence collective ça existe ! Des décisions, il y en avait des dizaines d'autres possibles à prendre. Il fallait simplement nous faire confiance. Mais qu'un pouvoir fasse confiance à son peuple, vous avez déjà vu ça, vous ?
Je crois que certains sont encore sceptiques. Que pourrais-je vous dire d’autre?
La peur c'est le début de la terreur. Et un gouvernement qui gouverne par la terreur, cela s'appelle le fascisme. Vous me trouvez trop excessif ? Puisque je suis en Amérique latine, demandez donc aux Chiliens, aux Brésiliens, aux Argentins, aux Uruguayens aux Péruviens, aux Guatémaltèques qui ont tous connu des régimes militaires et fascistes, soutenus à bout de bras par la très démocratique Amérique. Vous verrez ce qu'ils vous répondront . Plus jamais de larmes de sang. Nunca mas.
Quand-même, vous allez encore me dire en Europe, nous n'en sommes pas là.
C'est vrai. Mais faites gaffe les amis, nous y courons à toute vitesse.
Je me mets donc des claques. Non je ne rêve pas, je suis bien à Mérida, capitale du Yucatan, Mexique et j'ai laissé ce bon vieux monde derrière moi.
J'ai amené mon ordinateur. J'écris mes petites histoires et je me balade.Après Mérida, je rejoins l'état du Chiapas où je passe Noël à San Cristobal. Ensuite je vais passer la nouvelle année à Oaxaca avant d'aller sur la côte Pacifique...Oui tout à fait, el classico des voyageurs en sac à dos. Deux mois que je suis au pays de Tierra y libertad, je me dépoussière progressivement de toutes les saletés accumulées pendant ces deux ans de malheur. J'en oublie presque mon pays. Je me rends compte qu'il me reste quand-même des traces. Par exemple, j'ai moins d'énergie, et je crois beaucoup moins à ce que j'écris. Je deviens vide exactement comme beaucoup de mes amis et moi-même nous nous sommes sentis pendant ces confinements. Je ne me suis donc pas dépoussiéré totalement du passé, j'arrive au Mexique encore chargé à bloc par ce servage confiné qu'on nous a fait subir. C'est pourquoi devant mon clavier, il me semble que j'ai un boulet accroché à chacun de mes doigts. Mes mots sont lourds, d'une lourdeur paralysante, je n'en reviens pas. Bien sûr, je n’abandonne pas ! Un carnet (latinoamerica) va continuer et même si pour l'instant c'est un peu poussif, dans quelques mois avec beaucoup de travail, ça devrait revenir, en tout cas, j'y crois.
Et mes amis sont arrivés de Grenoble. Rachel et Sylvain.Depuis longtemps, ils rêvaient du Mexique.
On s'était rencontré en Colombie lors de mon premier voyage et à la suite, d'un concert de rock dans le sud du pays, Sylvain s'était cassé le talon. Dans la clinique où nous l'avions conduit d'urgence le chirurgien l’avait salement charcuté. Presque 3 ans plus tard, il boite encore. Il n'empêche que tous les deux possèdent une ardeur de dingue, une incroyable curiosité et un amour vrai pour les latino-américains. Pendant les 3 semaines de leur séjour, je n'écris pas une ligne, je n'en ai pas le temps. Ils discutent en permanence avec les Mexicains, goûtent à tous leur produits sur les marchés, trouvent chaque soir une fête loin des foules de touristes, s'intéressent à la vie politique locale . Un soir ils dégotent du mescal au cannabis, un autre des champignons hallucinogènes mélangés avec du miel, et encore un autre, la meilleure cocaïne de la ville, et tout ça se fait en boitant, en riant, en profitant de chacun de leurs instants pour emmagasiner une foule de sensations nouvelles. Eux aussi, ils avaient besoin de s’échapper de ce qu'on avait tous vécu de bassesse et de relent de fascisme. Quand on s'est quitté, j'ai pu enfin souffler. Mais aussitôt, ils m'ont manqué.
J'espère qu'ils reviendront me voir au cours de ce voyage.
Tumblr media
Après leur départ , Je suis passé au Guatemala pendant 4 semaines et je suis resté autour du lac Atitlan dont on dit qu'il est le plus beau du monde - mais vous n’êtes pas obligé de le croire. J’avais trouvé une chambre dans un village indien San Pedro au pied du volcan du même nom. Il y avait beaucoup de néo hippies assez sympas ainsi que des retraités. Beaucoup d'hommes seuls qui avaient bourlingué pendant des décennies en Amérique latine. C'étaient surtout des Canadiens français et des Américains. Des types plutôt courageux. Ils étaient en bout de course, avaient mal partout, certains marchaient péniblement avec des cannes, ils parlaient peu, se mélangeaient avec les Indiens, j'en ai rencontré plusieurs. Je n'ai rien écrit sur eux. Autour du lac Atitlan était aussi concentrée une communauté d’Israéliens et les Israéliens sont insupportables. Ils ne parlent qu'en hébreu et en anglais, organisent leurs fêtes religieuses dans la rue de San Pedro, n'ont aucune sympathie pour les locaux. Ils ont leur propre bateau, le Tel Aviv, transformé en discothèque qui les promène sur le lac, et ils crient, hurlent, se trémoussent et se soûlent en s'en foutant complètement qu'ici certains Indiens crèvent encore de faim. On dirait qu'ils ont tous les droits ces salauds comme s'ils étaient toujours dans les territoires occupés. Il y a toujours des exceptions, j'en conviens. Mais de tous les voyageurs que j'ai rencontrés pendant mes pérégrinations à l'étranger, ceux-là ont toujours été les pires.
Quand, je suis retourné à Mexico, j'ai donc décidé d'écrire une histoire qui se déroule au Guatemala, à San Pedro, une histoire de touristes israéliens. J'avais déjà le titre, "Tsahal en goguette". Tsahal est le nom de l'armée israélienne et la plupart des jeunes qui voyagent en Amérique latine le font après leur service militaire. Ils reçoivent un pécule de Tsahal pour avoir défendu leur pays pendant 2 ans, puis ils s'en vont se bourrer la gueule à l'autre bout du monde. Ce que je peux comprendre si c'est fait en respectant les autochtones. Sauf qu'ils n'ont aucun respect et ce fric de l’armée est surtout taché du sang des palestiniens.
J'écris donc "Tsahal en goguette", la vie d'un jeune Israélien qui veut échapper à tout ce bazar. Il a honte de son pays, atterrit au Pérou où il tombe amoureux d'une péruvienne qui l'aide à apprendre l'espagnol. Puis ils décident de voyager et de découvrir l'Amérique latine. Arrivés au lac Atitlan, ce jeune couple d'amoureux descend dans le même hôtel que moi. On sympathise. J'apprends que c'est un Israélien pro palestinien et qu'en fait il a déserté Tsahal. La police de son pays le recherche.
Et alors ?
Alors rien, je n'ai pas la suite.
Depuis quelques jours j'écris cette histoire à Mexico. Chaque fin de matinée, je vais sur cette terrasse qui surplombe le Temple Mayor et la cathédrale. Je vois aussi une partie de la place de la Constitution qu'on appelle plus communément le zocalo. Aujourd'hui encore, j'allume mon ordinateur, commande un café et j'écris.
Mes doigts traînent des boulets de taulard, j'avance laborieusement. Peut-être que je suis trop à fond dans cette histoire, je n'arrive ni à trouver une bonne respiration ni la bonne distance avec mes personnages. J'ai le nez sur mon écran, je pense au mail de refus de cette maison d’édition, je ne suis pas au mieux de ma forme et je n'arrive plus à me concentrer. C'est à ce moment -là que j'entends un bruit sourd suivi de son écho et que je lève la tête. Je vois l'ombre de dos et le vigile qui rentre dans l'ascenseur. La porte se referme.
Je prends alors une décision. Cette histoire de Tsahal en goguette ne tient pas la route. Je la sauvegarde quand-même et ouvre un nouveau fichier. Les premiers mots viennent.
Une fois la porte de l’ascenseur fermée, l'ombre se tourna vers le vigile, la main sur sa bouche. Il avait la lèvre supérieure coupée et du sang lui coulait entre les doigts.
***
Ca va pas dit l'ombre. Tu n'avais aucune raison de me pousser. Maintenant je saigne.
L'ombre se suça les doigts puis les sécha sur son sweet déjà passablement taché de graisse. La plaie n'était pas profonde et il ne sentait pas de douleur. Ce qui était plus douloureux c'était ce sentiment de vexation et d'être en permanence en prise avec la gratuité de la violence. L'ombre se voyait en punching-ball sur lequel on pouvait taper sans aucune raison. La colère commençait à le submerger , il la maîtrisa tant bien que mal. En face de lui, le vigile gardait le silence. La gratuité de son geste, il concevait qu'elle était déplacée, que cela n'en valait pas la peine. C'était beaucoup de bruit pour pas grand- chose. Mais bon pensait-il, j'ai un statut à défendre , celui d'être un bon vigile. C'est de ma faute si ce sale gosse a réussi à monter sur cette terrasse. Je n'ai pas envie de perdre mon job à cause de cette crasse. Et puis qu'est- ce que j'en ai à faire ? Ce type c'est rien.
Il lui fit un sourire bête, tout en bombant le torse, sa musculature dominant toujours l'ombre d'une menace latente.
Tu n'avais rien à faire sur la terrasse José Vasconcelos dit-il, rien à faire là-haut. Que cela te serve de leçon. Et maintenant tu vas déguerpir au plus vite.
L'ombre regarda le vigile dans les yeux, puis les baissa. Elle entendit le clic caractéristique du passage de l'ascenseur d'un étage à l'autre, ils arriveraient bientôt au rez-de-chaussée, quelques secondes encore. L'ombre se repassa la main sur sa lèvre. Il saignait encore et il s'obligea à se sucer une nouvelle fois les doigts. Le vigile resta collé le dos à la porte, un peu embêté quand-même. Il n'avait en face qu'un jeune homme, presque un enfant, plutôt gringalet et de toute évidence, en mauvaise santé physique. Quand la porte de l'ascenseur s'ouvrit, il lui fit un visage sévère et lui dit, dégage maintenant, je ne veux plus jamais te revoir ici. Et tu diras à ton compère en fauteuil roulant que c'est fini aussi pour lui. Plus jamais il ne montera sur cette terrasse. Allez casse-toi.
Le vigile laissa sortir l'ombre en premier qui se dirigea sans rien dire vers la porte de sortie tout en gardant sa main sur sa lèvre, tandis que le vigile marcha d'un pas dominateur vers la librairie.
Au moment où il atteignit l'entrée, l'ombre se retourna. Le vigile était de dos , il ne faisait déjà plus attention à elle comme s'il ne s'était rien passé ou pire encore, comme si le vigile avait juste écrasé une mouche dont il avait oublié l'existence l'instant d'après. C'était le moment.
L'ombre courut et de toutes ses forces d'un coup d'épaule dans le dos, il fit basculer le vigile sur la première table couverte de livres . Un craquement sec se fit entendre. Sous son poids, la table se cassa et les livres volèrent et s'éparpillèrent autour du vigile. Tous les clients et les caissières levèrent les yeux et virent ce monceau de muscles au visage rouge de colère à quatre pattes qui tentait de se relever. L'ombre lui adressa alors un coup de pied dans l'entrejambe qui le fit hurler de douleur.
Tu l'as bien cherché espèce de fils de pute, hurla-t-elle .
Puis elle regarda autour d'elle, vit un livre qui semblait pouvoir lui rapporter quelques centaines de pesos, le ramassa et le tenant à la main, elle disparut.
Enfant de salaud cria le vigile qui malgré la douleur réussit à se relever et en boitant et sautillant, une main entre ses jambes, se dirigea à son tour vers la rue. Il regarda à gauche et à droite, il n'y avait déjà plus personne.
C'était l'avantage d'être une ombre. Puisqu'elle n'était rien, personne ne la voyait. Elle s'était dissoute dans la ville. Le vigile ne chercha pas à la poursuivre, tout piteux, elle fit demi-tour et constata les dégâts. Une table de cassée et un livre volé.
Cette sous-merde. Je suis sûr qu'elle ne sera même pas quoi en faire, pensa t-il en se massant les testicules.
Le vigile avait tort. L'ombre savait ce qu'elle allait faire. Après avoir couru, elle prit un passage et rejoignit une autre rue, elle avait soigneusement mis dans son sac à dos ce livre encore recouvert de son film plastique. Puis elle se dirigea vers la place Santo Domingo où Pépé à l'ombre des arcades avait repris son travail.
Mais qu'est-ce qui t'est arrivé dit Pépé quand il vit le sang qui coulait encore de la lèvre de l'ombre.
L'ombre ne répondit pas. Les mots ne lui venaient plus.
Bah quoi mon garçon. Faut pas te laisser abattre comme ça. C'est pas la fin du monde. Allez dis-moi, qu'est-ce qui t'est arrivé ?
L'ombre continua à garder le silence. Son corps résistait, tous les ressorts semblaient s'être arrêtés en même temps. Une machine émotionnelle en grève. Plus rien ne voulait bouger. Une tétanie totale. L'ombre ne sentait rien, ne vivait rien, ne possédait plus de langage ni de facultés à comprendre ce qui lui arrivait.
Elle était morte. Vivante, mais enfermée dans la mort, la sienne, une petite mort que personne de toute façon n'intéressait. Elle mourrait vivante sans pouvoir appeler au secours, sans aucun mot possible qui lui sortait du ventre. Elle s'accrocha alors à l'accoudoir du fauteuil roulant de Pépé qui garda à son tour le silence.
Pépé avait de l'expérience. L'expérience des ombres et des misères. Et de la pire des misères, celle qui ne sait pas poser des mots sur ce qu'elle est. Cette misère dans laquelle pas même un cri ne sort.
Dans le cas de l'ombre, Pépé se disait qu'il y avait autre chose que des mots qui était en jeu et qu'il n'avait que la solution de rester à côté d'elle, et de lui signifier qu'elle n'était pas seule. De sa main valide, Pépé posa la sienne sur celle de l'ombre et la tapota.
Parfois, pensa t-il, un homme est plus qu'un homme. Il est une bouée. Une bouée d'humanité à laquelle on peut toujours se raccrocher pour ne pas couler.
Pépé était cette bouée et l’ombre s'y accrocha de toutes ses forces.
Cela dura une éternité. Pour quelqu'un qui à ce moment là les aurait regardés sans trop y faire attention, Pépé et l'ombre avaient l'air si immobiles qu'il aurait vu deux statues rivées sous ces arcades, dont l'une était un handicapé en fauteuil roulant, un bras mort ballant à côté de son panier posé sur ses genoux, l'autre main valide recouvrant sur son accoudoir celle d'un jeune homme, debout à ses côtés, légèrement voûté, et le visage dévasté d'émotions contradictoires contenues avec peine dans les muscles de ce même visage. Puis il aurait vu ces deux statues prendre vie et le jeune homme s'écrouler sur l'épaule du vieil homme. Et si ce quelqu'un eût été pertinent, il aurait dit, ce que je vois là, c'est l'effondrement de la jeunesse qui s'écrase sur le corps meurtri de la vieillesse.
Et c'est la vieillesse qui redonna vie à la jeunesse. L'ombre pleurait enfin. Elle mélangea ses larmes avec le sang de sa lèvre se répandant sur le haut de la veste de Pépé. Et Pépé ne bougea pas. Il en était incapable, coincé qu'il était dans son fauteuil roulant et avec le panier posé sur ses genoux. Il ne pouvait que hausser les épaules et dire, oui, oui, vas-y mon garçon. Pleure, ça fait du bien. Et c'est ce que fit l'ombre. Elle laissa ses larmes, et aussi son sang et aussi sa morve couler sur l'épaule de Pépé, et sa vie accrochée à cette bouée d'humanité refit surface, et avec elle, des mots pour se faire du bien. Alors l'ombre se déplaça pour se camper devant Pépé et elle parla.
L'ombre parlait vite et mélangeait l'espagnol avec une autre langue, une langue indienne sans doute, que Pépé ne comprenait pas. L'ombre disait son expulsion de la terrasse, le vigile à quatre pattes au milieu des livres, son coup de pied entre les jambes, puis elle dit ses parents perdus, sa jeunesse dans la ville de San Cristobal et de Oaxaca, montra le panier de Pépé et dit qu'elle avait aussi vendu des cigarettes dans la rue, et puis ses premières années seule à Mexico. Pépé hochait la tête toujours sans comprendre, trop vite les mots montaient aux lèvres encore ensanglantées de l'ombre et se bousculaient pour sortir libres au plus vite de son corps. Elle continua. Parla de tas de trucs qui tournaient autour de la violence, de son absence au monde, de sa survie, des douleurs , celle de son pied et elle souleva sa chaussure trop grande pour elle et dit qu'elle avait encore mal, là au pied et puis là aussi, et elle montra son cœur et puis sa tête. Elle avait encore des larmes qui tombaient sur ses joues qu'elle effaçait d'un geste rapide mais qui laissaient des traces de saleté, et elle renifla, parla toujours, l'ombre elle-même ne savait pas ce qu'elle disait. Mais ça lui faisait tellement du bien, merci, merci Pépé, et elle s'approcha et enlaça le vieil homme.
Elle hoqueta deux trois fois, renifla encore, et respira à fond accrochée à ce cou, et puis ce fut fini. Elle allait mieux, et elle se détacha. Maintenant Pépé et l'ombre se souriaient.
Viens, dit le vieil homme, je t'emmène chez moi.
Pépé avait pour principe de ne jamais amener d'ombres chez lui car ceux qui sont dans la rue peuvent parfois se taper l'incruste et ne plus vouloir retourner sur le trottoir. De plus avec son handicap, il aurait été bien en peine de les déloger de son appartement. Il aimait aussi sa tranquillité. Quand il avait passé douze heures dans la rue, il retrouvait son intimité avec plaisir, il n'avait besoin de personne pour apprécier ces moments où il laissait le monde à la porte de chez lui. Cette fois-ci c'était différent. Un homme avait pleuré contre lui et s'en était senti mieux. Non seulement Pépé avait aidé cet homme et il pouvait en tirer quelque fierté, mais de plus l'ombre quand elle l'avait enlacé lui avait fait un bien fou. Ces quelques instants de contact avec elle, lui avaient fait oublier qu'il était un vieil handicapé.
L'ombre ne se fit pas prier pour venir chez Pépé. Elle avait besoin d'un moment de paix après ce qu'elle avait vécu. Et elle était légère, légère, légère, et sale aussi, avec ses fringues tachées, son pied dont la douleur revenait et ces odeurs qu'elle ne discernait pas mais qui l’enveloppaient comme si elle était une couche supplémentaire de crasse visible. L'ombre avait envie de se sentir propre.
L'appartement de Pépé se situait à quelques encablures de la place Santo Domingo, au rez -de -chaussée d'un vieil immeuble. Il n'avait donc besoin d'aucune aide. Une fois sur son pas de porte, il fit pivoter son fauteuil sur le côté et avec sa seule main valide, il prit sa clé qui était cachée au fond de son panier sous ses paquets de cigarettes, ouvrit sa porte et fit passer l'ombre devant lui.
Te gêne pas lui dit-il, fais comme chez toi, la lumière est à droite à côté du meuble.
L'ombre rentra, alluma la pièce qui était vaste et meublée d'une table, d'une bibliothèque vide sur laquelle était posée une télévision, et d'un canapé. Sur la gauche se situait une cuisine, et au fond de cette pièce, une porte ouverte signalait une chambre.
Vas-y dit Pépé, une fois à l'intérieur de son appartement, la salle de bain est dans ma chambre. Tu trouveras des serviettes propres. C'est bien ce que tu veux ?
Oui répondit l'ombre. Comment tu savais dit-elle?
Pas la peine d'être un génie répondit-il. Après ce qui vient de t'arriver, à ta place, si tu m'avais invité chez toi, c'est ce que j'aurais demandé en premier. Prendre une bonne douche pour te laver de tout ça. je crois que tu en as bien besoin. Hélas je n'ai pas de vêtements pour toi. Tu es bien plus grand que moi. Une bonne douche c'est déjà mieux que rien, non?
Oui répondit l'ombre. J'y vais.
Pendant que l'ombre se lavait, pépé avait changé de veste et préparé des sandwichs. Son appartement était adapté à son handicap. Il se déplaçait avec facilité. Son hémiplégie ne l'empêchait pas de se lever et de faire un pas ou deux avec l'aide d'une canne. Mais pépé avait pris l'habitude de tout faire de son fauteuil. Il ne se levait que pour aller aux toilettes et atteindre son lit où il y avait toujours sa canne au cas où il en aurait eu besoin. Sa seule hantise, c'était de tomber de son lit ou de son fauteuil, car seul, il n’avait plus suffisamment de force pour se relever. Cela lui était arrivé une fois et il était resté sur le sol de sa chambre une bonne partie de la nuit avant qu’un voisin n'entende ses appels à l'aide.
Malgré qu'il eût remis ses anciens vêtements, quand l'ombre revint dans le séjour, Pépé eut bien du mal à le reconnaître. Non que physiquement il avait changé, seulement il ne marchait pas comme avant, ne respirait pas comme avant, ne regardait pas comme avant. L'ombre se tenait plus à l'oblique et dégageait une légèreté qui était presque de l'ordre de la frivolité. Non ! pas de la frivolité se dit Pépé, c'est autre chose. C'est de l'insouciance. Mieux encore, c'est de la grâce.
L'ombre en effet avait perdu sa lourdeur, il ne portait plus sa croix sur ses épaules, on aurait dit un jeune chat prêt à jouer avec le premier morceau de ficelle qui lui tomberait entre les pattes. Et il souriait. Pépé se rendit compte alors qu'il n'avait pas affaire à un adulte, mais à un jeune homme qui devait avoir 17 ans. Ou 18 ans tout au plus
Tu veux manger quelque chose demanda t-il, j'ai préparé des sandwichs.
Non répondit l'ombre j'ai mangé avant qu'on me chasse de cette terrasse. Mais je veux bien en garder un de côté pour plus tard, si cela ne te gêne pas.
Bien sûr . Et puis si tu veux, pour te changer les idées, je t’emmène boire un verre et voir un drôle de type, le Professeur. Je ne crois pas que tu le connaisses c'est du côté de Regina. Ça te dit ?
Oui répondit l'ombre.
Oui, oui, répéta-t-il ça me plaît. Et puis je pourrais peut-être vendre mon livre. Je l'ai volé dans cette librairie.
T'as bien fait dit Pépé. Peut-être que tu en tireras un bon prix.
***
Rue Regina, vingt minutes de marche et de fauteuil roulant depuis chez Pépé. C'était à l'autre extrémité du centre historique, pas très loin du Métro Isabela la Catholica. En début de soirée, c'était l'un des seuls lieux animés du centre. La rue était fréquentée par des étudiants, des artistes, des touristes et des fêtards. L'ombre marchait à côté et le plus souvent derrière le fauteuil car les rues sont étroites et à eux deux ils auraient occupé toute la largeur du trottoir. Ils s'arrêtèrent dans un Oxxo acheter en promotion trois bouteilles d'un litre de bière Corona qu'ils mirent dans le sac à dos de l'ombre. C'est Pépé qui paya. Puis ils continuèrent leur chemin jusqu'à la portion de la rue Regina située entre les rues Isabela la Catholica et Cinco de mayo.
L'ombre n'aimait pas beaucoup ce quartier dans lequel il y avait tant de jeunes, peut-être parce que cela lui renvoyait une image trop négative d'elle-même, peut-être aussi parce qu'elle était beaucoup plus âgée que ces étudiants qui pourtant avaient trois ou 4 ans de plus qu'elle. Quand on vit depuis son enfance dans la rue, il faut grandir à toute vitesse sinon on est foutu. Mais en cette fin d'après-midi, elle était curieuse de revenir dans ce quartier et curieuse de connaître le Professeur. En fait, l'ombre ne savait pas pourquoi, mais depuis qu'elle avait retrouvé Pépé sur la place Santo Domingo, tout ce qui l'entourait l'intéressait comme si elle était au premier jour du monde et qu'elle était dedans et non plus à côté de ce monde.
Ils passèrent devant plusieurs bars et arrivés à côté de l'ancien hôpital, Pépé fit des signes à un homme seul, assis sur un muret. Il tenait sa tête dans sa main comme le Penseur de Rodin.
Salut Professeur dit-il.
Salut Pépé répondit l'homme en se levant d'un bond et en lui faisait une accolade. Cela fait longtemps que je ne t'ai vu. Toujours vivant et bien portant. Je veux dire, dit-il en riant que tu as l'air le plus heureux des hommes.
Merci professeur; oui tout va bien. Je suis en pleine forme malgré ma patte folle et mon bras idiot. Je suis venu avec un jeune ami. Le voici.
Salut dit le professeur en se tournant et en prenant l'ombre dans ses bras. Content de te connaître. Ami de Pépé alors ?
Oui dit l'ombre. On se connaît de la rue. J'aime bien Pépé.
Tu as bien raison, c'est un chouette type. Comment tu t’appelles ?
L'ombre haussa les épaules sans répondre.
Pas de nom alors.
Pas de nom.
Ho la la fit le Professeur en se lissant les cheveux. Je vois que tu viens de loin.
Oui de loin, dit l'ombre.
Le professeur ne continua pas la conversation. Il retourna au muret sur lequel il était assis et derrière celui-ci il ramassa une bouteille d'eau, qu'il fit couler sur ses cheveux puis il but à cette bouteille et se lissa une nouvelle fois les cheveux.
Pendant ce temps, l'ombre le regardait bouche ouverte. Cet homme, un professeur ! l'ombre n'en revenait pas. Un homme qu'on appelle Professeur, ce n'était pas comme ça qu'il l'imaginait. Un professeur était un sage et c'était nécessairement un très vieil homme avec des cheveux blancs et du poil en broussaille plein les oreilles et plein le nez. Ce professeur -là était très différent. Il avait à peine quarante ans, il avait des cheveux longs. Et comme il avait mis ses cheveux derrière les oreilles, il vit aussi qu'il portait deux boucles d'oreilles d'argent. Ce qui le surprenait encore plus c'était qu’il était vêtu d'un pantalon de cuir qui lui moulait le cul et les couilles et qu'il était chaussé de santiags. Le professeur avait aussi une veste de cuir et une chemise déboutonnée jusqu'au milieu de la poitrine. Quand le professeur eut fini de boire, il s'approcha de nos deux compères en marchant d'une manière que l’ombre définit comme bizarre. Le professeur marchait en se déhanchant et il avait même une main posée sur une de ses hanches. L'ombre pensa à un rocker et à un pédé. Nous nous dirons que le professeur était un mélange de Mick Jagger et d'Iggy Pop, un mélange d'iguane et de sexe. Et l'ombre referma sa bouche et lui sourit.
Alors demanda le Professeur qui se lissa à nouveau les cheveux qu'est- ce qui vous amène dans ce lieu de perdition ? Vous aviez une envie subite de boire un verre avec la jeunesse de Mexico et les touristes ?
Pas tout -à -fait fit Pépé. On est surtout venu boire un coup avec toi. Allez mon gars sors les munitions ajouta-t-il en direction de l'ombre.
L'ombre ne se fit pas prier, ouvrit son sac à dos et sortit une bouteille qu'il tendit au Professeur.
Viens dit-il à l'ombre, on va s’asseoir sur le muret et toi Pépé approche toi.
Le professeur s’assit sur le muret, l'ombre à ses côtés et pépé leur faisait face. Avec un briquet le Professeur déboucha la Corona et but un bon tiers de la bouteille avant de la tendre à Pépé. Ils étaient à l’extrémité de la rue Regina , là où elle formait une place avec ces immenses palmiers qui les dominaient. Cinquante mètres en aval les bars et les terrasses étaient pleins de gens buvant et parlant bruyamment tandis que des enceintes diffusaient du reagaton à profusion. A partir de l'ancien hôpital devenu une cafétéria pâtisserie, d'une manière brusque, le monde changeait. Il n'y avait plus personne dans la rue et du muret ils entendaient de manière diffuse le brouhaha et la musique des terrasses. Une lumière appropriée, jaune orangée éclairait la place et l'ancien hôpital ainsi que l'église mitoyenne. Le lieu était paisible en parfait contraste avec l’hystérie du reste de la rue Regina. Le Prof croisa ses jambes sur le muret et mis son menton dans la paume de ses mains. Pépé but le deuxième tiers de la bouteille et la tendit à l'ombre qui la finit avant de la jeter derrière le muret au pied d'un des palmiers. Pépé raconta l'histoire de l'ombre sur cette terrasse et ce qui s'en suivit avec le videur. Le professeur écoutait avec attention en gardant son menton dans les mains et l'ombre impressionnée regardait le prof avec la bouche à nouveau ouverte.
Une heure plus tard les trois bouteilles étant vides, toujours avec l'argent de Pépé, l'ombre alla à l'Oxxo du coin et revint avec trois nouvelles bouteilles. L'ambiance monta d'un cran et les langues se délièrent. L'ombre qui jusqu'ici n'avait presque rien dit se sentait le courage et surtout l'envie de parler.
Vous savez ce qu'a dit José Vasconcelos demanda t-il? Comme les deux autres se taisaient, il reprit. José Vasconcelos a dit que seuls les livres peuvent sortir ce pays de la barbarie. C'est beau non?
Tiens tu connais José Vasconcelos demanda Pépé. Je croyais que tu n'avais rien appris à l'école ?
Je ne l'ai pas appris à l'école répondit l'ombre, mais sur la petite terrasse d'où je me suis fait virer. C’était écrit sur le mur et le j'ai appris par cœur. Et il répéta fier de lui. Seuls les livres peuvent sortir ce pays de la barbarie.
Bravo dit le professeur qui se doutait que l'ombre n'était pas loin d'être un analphabète et qu'elle avait dû faire un effort pour la lire et la retenir. Je te félicite dit-il, c'est en effet une phrase intéressante mais néanmoins, jeune homme, sache que ce José Vasconcelos n'est qu'un âne.
Un âne s'exclama l'ombre et pourquoi un âne? José Vasconcelos est un grand homme, puisqu'on écrit ses phrases sur les murs ?
Tout ce qui est écrit ou se trouve sur des murs ou dans des livres n'est pas pour autant grand. Il y a beaucoup de conneries écrites par ces soi-disant grands hommes. Crois-en mon expérience, il n'y a pas grand-chose à attendre des livres et de ce José Vasconcelos.
Tu exagères dit Pépé, je connais un peu la vie de cet homme. Il fait partie du panthéon de la révolution mexicaine. José Vasconcelos c'est aussi notre patrimoine à nous.
Je te le concède Pépé, José Vasconcelos fait partie de notre patrimoine mais laissez-moi vous dire et répéter que José Vaconcelos n'est qu'un âne et si cette phrase est belle, elle est aussi creuse qu’inexacte. Je vous explique ?
Bah oui dit l'ombre et d'abord dit moi ce qu'elle veut dire car moi je ne vois pas très bien. Barbarie livres. Ça veut dire quoi tout ça ?
Oui explique-toi dit Pépé qui jeta avec sa seule main valide la quatrième bouteille vide du côté des palmiers.
. Elle veut simplement dire, répondit le Professeur, que si nous devenons tous des bons lecteurs, alors le Mexique sortira de l'obscurantisme et nous ferrons reculer le mal et la bêtise. Connerie que tout cela ! Il n'y a pas besoin d'avoir fait des années d'université pour savoir qu'aucun pays où la barbarie a sévi n'a été vaincu par le fait que ses habitants étaient des grands lecteurs. Ce fut même dans l'histoire tout le contraire. Vous savez dit-il, il n'y a pas si longtemps, quel a été le pays le plus cultivé du monde, celui où le nombre de livres lus en moyenne par habitant était le plus élevé?
La France, dit Pépé à tout hasard.
Les États Unis, dit l'ombre qui avait à peine compris la question.
Non, fit le professeur.
Avec son briquet, il décapsula la cinquième bouteille et la leva.
C'est l’Allemagne, dit-il, la grande Allemagne des années trente. Un pays considéré comme le plus cultivé du monde mes amis. Bien sûr vous savez ce qui s'est passé par la suite, n'est-ce pas ? ,
Pépé le savait, mais l'ombre un peu moins. La guerre dit l'ombre. Il y a eu la deuxième guerre mondiale, c'est ça ?
Oui tu as raison, la guerre, mais aussi la plus folle barbarie de l'histoire. Des millions de Juifs exterminés dans les camps de concentration. Un petit chef avec une moustache de psychopathe qui avait le droit de vie et de mort sur le monde entier et un peuple qui s'est cru une meute de loups et qui n'était en réalité qu'un troupeau de moutons. Voilà ce qu'a donné la culture de ce pays, un peuple de moutons sanguinaires. Alors en effet, croire que les livres peuvent nous sortir de la barbarie est une fumisterie et José Vasconcelos, répéta une nouvelle fois le professeur en prenant une grande gorgée de la bouteille, n'est qu'un âne. A votre santé.
Moi j'ai toujours cru que les livres c'était pour les riches dit Pépé, mais quand-même professeur, ils peuvent être utiles.
A peine répondit le professeur en se levant du muret pour passer la bouteille à Pépé. A peine répéta-t-il.
Tu veux dire que ça sert à rien de lire demanda l'ombre.
Je n'ai pas dit cela dit le Professeur. Par exemple, lire permet de ne pas se faire avoir en signant n’importe quoi quand on veut usurper ta terre, comme l'ont éprouvé tant de paysans et d'Indiens illettrés au cours des siècles. Apprendre à lire est une forme de combat. Oui il faut apprendre à se démerder avec les mots écrits. Et puis lire et écrire c'est aussi conserver des traces des cultures anciennes. Je ne dis donc pas que lire ne sert à rien, mais je dis que les livres ne nous sortiront jamais de la barbarie. José Vaconcelos n'est qu'un âne, répéta-t-il une nouvelle fois et il partit d'un grand éclat rire. L'ombre se mit à son tour à rire en passant un bras derrière le dos du Professeur. Seul, Pépé restait avec un sourire pensif au coin des lèvres. Il attendit que ses deux amis se calment et dit, moi je ne comprends pas bien . Professeur est-ce que tout ce qui est beau, les peintures, les chansons, les films,les belles histoires, tout ça ne sert à rien ?
Le professeur redevint sérieux presque tout de suite et l'ombre retira son bras passé derrière son dos.
Oui pépé dit-il, cela ne sert à rien. Mais attention il faut que je précise ma pensée. Je veux dire, et il se mit à faire des allers et retours le long du muret. Ce qui est beau n'est pas utile. Ce qui est beau rend simplement la vie plus belle, c'est aussi bête que ça. Comme un tableau de Rubens ou de Bacon, une chanson de Calle 13 ou bien disons de David Bowie, les film d’Einstein ou même un livre comme le vieil homme et la mer d’Hemingway ou le Don Quichotte de Cervantès. Cela fait de nous autre chose que des bêtes immondes. C'est tout et c'est déjà beaucoup.
Il se mit à danser devant nos deux amis. Il bougeait de manière élastique, les lèvres retroussées, les bras et les mains relevés comme un danseur balinais, son bas ventre oscillant d'avant en arrière, et les yeux tournés vers l'intérieur, paupières quasi closes. Puis il s'arrêta net.
Ce qui peut nous sauver reprit-il, ne peut venir que du corps. Ce qui veut dire que la danse est l’art premier par excellence. Puis viennent les chansons et la musique qui l'accompagnent. Les poésies aussi, qui font la jonction entre la raison et toute cette folie qui traverses nos nerfs et nous font sauter et danser jusqu'aux étoiles. Voilà ce qui nous sauve et qui est suprêmement inutile.
Il dansa à nouveau devant nos deux amis médusés, puis éclata à nouveau de rire avant de reprendre son souffle et de s’asseoir sur le muret. Il déboucha la sixième bouteille de bière.
Le jour, reprit-il où il n'y aura plus de danseurs, de chanteurs, de musiciens et de poètes, mes amis, il sera alors temps de saluer les dieux du néant car ils auront gagné. Mais en attendant, tu vois Pépé, même toi dans ton fauteuil roulant, tu peux danser parce que nous sommes nés de la danse et nous vivons dans la danse même si nous le savons pas. C'est en dansant que nous devenons vivants, fauteuil roulant ou pas.
Bien qu'il ne comprît pas tout ce que disait le professeur, une chose touchait profondément l'ombre. C'était sa manière d'être. Non seulement il ne ressemblait en rien à l'idée qu'elle s'en était faite, mais elle admirait aussi comment l'homme se déplaçait, riait, produisait des images avec les mots. On aurait presque pu prendre le professeur pour un clown et en même temps c'était la première fois que l'ombre découvrait que ce qu'elle apprenait avec lui n’avait rien à voir avec ce qu'elle était censée apprendre avec les maîtres de son enfance. Elle se dit que si elle avait eu le Professeur à l'école, sa vie aurait été changée. Elle aurait peut-être aimé lire, écrire. L'ombre se rappela alors ce qu'elle avait mis au fond de son sac à dos, le livre volé dans la librairie. Elle alla le chercher.
Pépé, Professeur, regardez ce que j'ai rapporté de cette librairie et l'ombre brandit à bout de bras le livre qui était toujours enveloppé de son film plastique.
C'est quoi ça demanda Pépé ?
Bah c’est le livre dont je t'ai parlé.
D'accord mon garçon, dit le Professeur. Mais c'est quoi le titre.
Je sais pas répondit l'ombre. Je ne l'ai pas regardé.
Fais voir fit Pépé et l'ombre passa son livre à Pépé qui lit à haute voix, L'Idiot de Dostoïevski . Connais pas reprit Pépé. D'ailleurs je connais rien aux bouquins.
L'idiot, fit le professeur qui partit à nouveau à rire. Quel heureux hasard car c'est toi mon garçon l'idiot, et il se tapa les mains sur les cuisses. L'idiot. Mais c'est génial, génial.
L'ombre du coup détesta le professeur. Je ne suis pas un idiot Prof, dit-elle. C'est toi l'idiot. Et l'ombre s'approcha, menaçant, poing en avant.
Calme-toi dit alors le Professeur. Ce n'est pas une insulte mon garçon. L'idiot est l'un des plus beaux personnages de la littérature. Assieds- toi. Pépé passe-moi le livre.
Le professeur se leva pour récupérer le livre et se rassit à côté de l'ombre. Celle-ci se calma. De tout de façon c'était de l’esbroufe de sa part. Jamais elle n'aurait frappé le professeur. Elle l'admirait trop.
Très beau livre dit le professeur, une bonne édition. Bon l'idiot qui est il ? Je t'ai dit que c'était l'un des personnages les plus intéressants de la littérature. C'est un prince, l'idiot est un prince. Rappelle-toi ça . Toi aussi tu es un prince. Le prince de tout ça dit le professeur, en embrassant de son bras la moitié d'un cercle. Tu es le prince de Mexico.
L'idiot reprit-il est une magnifique histoire. Trop longue à expliquer et puis cela n'aurait aucun sens. Sache seulement que c'est une histoire d'amour à la russe, et le prince est un homme simple , aimant, et plein de compassion. Et surtout c'est un homme qui ne peut s'empêcher de dire la vérité sans même s'en rendre compte. L'idiot c'est la vérité incarnée à l'état pur qui affronte un monde cruel. Alors tu vois mon garçon quand je te dis que tu es l'idiot, je veux dire que tu es aussi le prince de cette ville. Tu m'en veux pas j'espère ?
Non répondit l'ombre. Ça me fait plaisir que tu m'appelles le prince. Je préfère le prince à l'idiot. Même si j'ai bien compris, prince et idiot c'est la même chose.
C'est ça dit le professeur. C'est le cas pour cette histoire. Car bien sûr tous les idiots ne sont pas des princes.
Oui je comprends, dit l'ombre.
De toute façon les livres, dit le Professeur.
Bof ! dit Pépé en le coupant.
C'est ça Pépé, les livres bof! Mais la poésie c'est autre chose ! Grand respect pour les poètes et peut être encore plus, grand respect pour les chanteurs et les musiciens. Non, en fait c'est la même chose, si on y pense bien. Je ne fais pas de différence entre les musiciens, les poètes et les chansonniers. C'est ce qu'il y a de plus précieux au fond de nous, la chanson, la poésie, la musique, avec la danse au-dessus de tout ça. Le reste n'est que broutille, illusion et petitesse mes amis. On s'amuse, ça vous dit ?
A quoi demanda Pépé. Pas à danser j'espère.
Non non dit le professeur on s'amuse à faire de la poésie.
Bah moi répondit l'ombre ça m'intéresse pas. La poésie j'y connais rien. Professeur. Pour moi les mots, c'est comme les oiseaux. Dès que je m'approche, ils s'envolent. Jamais, j'arrive à les attraper.
Bravo fit le professeur en applaudissant. Ça c'est de la poésie mon garçon. Et il répéta, les mots c'est comme les oiseaux, dès que je m'en approche, ils s'envolent. Jamais j'arrive à les attraper. Bravo, bravo.
Tu crois demanda Pépé qui n'en était pas persuadé?
Oui Pépé, c'est de la poésie et même de la très bonne poésie. A mon tour. Je vais donner le titre. Vous m'écoutez.
Oui firent-il ensemble.
On va l'appeler reprit le prof, un poème rose pour les intestins d'une vache. Ça vous va ?
Pépé mis sa main valide devant sa bouche pour ne pas cracher en même temps qu'il éclata de rire. Poème rose pour les intestins d'une vache. OK Prof si tu dis que c'est de la poésie, je suis d'accord.
Et toi mon garçon ça te va aussi?
C'est beau Professeur, mais ça ne veut rien dire du tout.
Justement ne cherchons pas à trouver un sens. Disons n'importe quoi. Cela n'est pas grave. Bon si ça te va aussi, à ton tour Pépé, dit nous une phrase qui te plaît.
Je ne sais pas dit Pépé. J'aime pas beaucoup ce jeu. Moi non plus je n'étais pas très fort à l'école.
Vas-y fit l'ombre. Qu'est qu'on en a à faire ? On est entre copains.
Exactement répéta le professeur, amuse-toi avec les mots.
D'accord fit Pépé qui se mit à réfléchir intensément puis il dit quand il pleut mon fauteuil roule et dérape dans la merde .
Aussitôt en rigolant l'ombre dit roule et dérape dans la merde de vache.
Et sous cette pluie les amants se noient dans l'ombre de la terre dit le prof.
Car l'amour dit Pépé se fout du soleil car il brûle plus fort que tout.
Oui dit l'ombre, pas de soleil pour ceux qui s'aiment comme trois copains dans la nuit de Mexico.
Rouler les mots, rouler les fauteuils, rouler les amants et les copains dit le prof.
Ne vous arrêtez jamais dit l'ombre.
Car mes bras et mes jambes sont les ailes coupées du condor dit Pépé.
et vole, vole encore, dit le professeur, toujours plus haut.
Son panier de cigarettes à 6 pesos l'unité dans les nuages, dit l'ombre
Qui veut des cigarettes roses ? dit le prof,
Moi moi répondit la vache, dit Pépé
Qui en avait déjà plein la panse, dit l'ombre...
Et ils se mirent à rire à l'unisson.
J'adore dit l'ombre. C'est marrant la poésie.
Puis ils se calmèrent. Les munitions étaient épuisées, les six bouteilles de Corona gisaient au pied du palmier.
On continue demanda alors l'ombre.
Pourquoi pas fit le professeur.
Ils n'en eurent pas le loisir car deux jeunes femmes de loin interpellèrent le Professeur en faisant de grands signes de la main. Une fois arrivées à leur niveau, elles firent une accolade à nos trois amis et l'ombre eut soudain des rougeurs aux visages car d'un coup il retrouvait sa condition d'avant, celle du pauvre type qui vit dans la rue et dont les vêtements troués et couverts de saleté puaient la mort. Elle eut une envie subite de fuir. Pépé le remarqua et déplaça son fauteuil roulant à côté de l'ombre. Calme-toi lui dit-elle. Je connais ces deux filles, elles sont sympas.
L'ombre resta collée à Pépé, intimidée, tétanisée aussi. Les deux jeunes femmes étaient à peine plus âgées qu'elle et si l'une était petite, menue avec de jolies jambes et une bouille ronde comme une pomme qu'on a envie de croquer, l'autre était presque aussi grande que l'ombre et portait un jean serré qui mettait en valeur des fesses énormes. Comme elle avait un tee- shirt qui lui arrivait au- dessus du nombril , l'ombre vit qu'elle avait un bijou dans celui- ci et des bonnes poignées d'amour débordaient au dessus de la ceinture de son pantalon. Elle portait aussi deux couettes qui lui donnaient l'air d'une petite fille. C'est cette seconde jeune femme qui lui faisait le plus d'effet. Les deux avaient agrafé sous leur poitrine une feuille de papier recouverte de slogans. Elles revenaient d'une manifestation et en parlaient au Professeur qui avait repris sa position jambes croisées, la tête posée dans la paume de ses mains.
Approchez les amis dit le prof. Lola et Debahni ont des choses intéressantes à nous dire.
Pépé déplaça son fauteuil et l'ombre resta derrière lui. Elle ne désirait pas être trop proche afin que les deux jeunes femmes ne se sentent pas incommodées par ses odeurs, impossible aussi d'effacer cette honte viscérale qu'il ressentait, honte quasi atavique des pauvres devant des personnes qui leurs paraissent supérieures.
Tumblr media
C'est la plus petite, Lola qui parla la première. Elle avait un débit rapide et nerveux. Elle dit les milliers de femmes qui mouraient de féminicides dans le pays. elle parlait des disparues, des corps retrouvés et suppliciés, elle parlait des filles et des femmes qui tombaient dans les mains de salauds qui faisaient la traite des blanches, elle parlait des flics, cette racaille dit-elle, qui ne font jamais leur travail comme si tuer ou violer une femme , il n'y avait rien de plus normal dans un pays comme le Mexique. Lola avait beaucoup de choses à dire et les mots sortaient avec la vitesse de ceux qui n'en peuvent plus de rester coincés au fond de la gorge, de la même manière que l'avait éprouvé l’ombre dans l'après- midi, quand il s'était mis à pleurer et à parler face à Pépé. Lola avait parfois la voix qui se coinçait car ses mots étaient surchargés d’émotion et l'empêchaient de respirer. L'ombre ne comprit par tout. Il hochait la tête et en même temps il tentait de décrypter ce qu'elle avait écrit sur sa feuille de papier. Tant bien que mal il y réussit "Nous sommes le cri de celles qui ne sont plus" ainsi que"Mexico est l'enfer des femmes". Debahni aussi hochait la tête. Puis elle prit la parole pour dire, il faut en finir avec le machisme qui tue. Nous on veut sortit dans les rues sans avoir peur. Et elle montra sa poitrine que l'ombre regarda à peine car il était effrayé qu'on y voit son désir. Elle avait aussi une énorme poitrine fort visible sous son tee -shirt échancré. Pépé lut à haute voix ce qui était écrit "Je ne voulais pas vivre forte et courageuse, je voulais seulement vivre mon enfance" et dit c'est bien les filles, il ne faut jamais se laisser faire. Vous avez tout à fait raison. Je vous approuve à cent pour cent.
L'ombre dit oui puis se tut car il n'avait rien à ajouter.
Le prof se taisait aussi et portait tantôt son regard sur Pépé et l'ombre tantôt sur l'une ou l'autre femme tout en se lissant les cheveux et les repoussant derrière ses oreilles.
Enfin le Prof leur demanda, vous avez rien à boire les filles et il leur montra les cadavres entassés au pied du palmier. Nous on est à sec.
Si, dit Lola. J'ai piqué une bouteille de whisky dans un magasin Seven et elle sauta du muret pour récupérer son sac à dos posé à ses pieds.
Tous burent à la bouteille et l'ombre perdit de son inhibition devant les filles au point qu'il finit par oublier à quel point avec ses habits déchirés et puants, il tranchait avec le reste de la bande. Hélas à son grand désarroi et à celui de Pépé, la conversation reprit autour des livres ce qui, d'office, les excluait. Mais le prof était un homme qui ne voulait pas les exclure, et n'oublions pas qu'il ne tenait pas la littérature en très grand respect.
Il sortit alors un journal de derrière le muret et dit à la cantonade. Bon dieu de connerie de bouquins. Si vous croyez que c'est avec des livres qu'on va s'en sortir, je vous garantis que dans un siècle on sera toujours dans la merde. Regardez -moi ça.
Et il montra une photo d'une voiture brûlée dont le coffre était ouvert et rempli d'os calcinés. On voyait très nettement six crânes. Le professeur qui commençait à être soûl, tapait avec sa main sur la photo du journal ce qui empêchait les autres de la voir. Six personnes de plus d'assassinées dans l'état du Morelos. Foutu pays ! Vous savez ce que sont ces cadavres ? Comme personne ne le savait, il continua, c’est un groupe de musiciens qui se rendaient à leur concert. Six musiciens, merde. Personne ne sait pourquoi ils sont été assassinés, ni par qui. Les enfants d'enculés de la Marine ou de l'armée ? La Garde Nationale, des flics municipaux corrompus, des membres du cartel de Sinaloa ou de Jalesco Nueva Generation ? Six musiciens dont on a tranché la tête. Quel autre pays est capable d'une telle barbarie ? Et le professeur, des larmes au bord des yeux regarda dans la direction de l'ombre.
Tu vois reprit-il, ce que pensait Vasconcelos n'est qu'une grosse illusion d'intellectuel, mon garçon. On ne s'en sortira jamais, jamais. Ce pays condamne ses enfants, toi, ses femmes et même ses musiciens à l'enfer.
Il sauta du muret et se mit à danser comme précédemment. Cette fois-ci, il ne fut pas seul. Lola et Debohni en firent autant et même Pépé mit en marche son fauteuil et fit des tours sur place puis en roulant autour des deux filles et du Prof.
L'ombre n'osa pas. Et puis comment danser sans musique, sans chanson ? On entendait au loin le brouhaha des bars et du reggaeton, mais cela ne suffisait pas. C'est pas avec ça qu'il allait danser. Debohni lui tendit la main et il fit non de la tête. Mais elle avait déjà attrapé la sienne et l’entraînait vers sa copine et le Professeur. Alors il sourit et commença à bouger ses pieds puis ses mains et enfin tout son corps. Le Prof se mit à chanter avec une voix de fausset une chanson dans une autre langue et l'ombre comprenait toutes les phrases. Il dansa plus vite, il ouvrit la bouche et des mots qui semblaient venir de ses pieds ou peut-être de plus bas, de la terre elle-même, remontèrent vers sa poitrine et il chanta en duo avec le Prof. Et ce fut une farandole de fous et de folles mais dont l'esprit était sain, circulant autant du muret et des immenses palmiers. Les filles sifflotaient, Debohni gardait la main de l'ombre dans sa main et l'ombre grandit, grandit encore. Il n'avait jamais été aussi grand et même pépé s'en rendait compte qui levait parfois le cul de son fauteuil comme s'il voulait sauter sur place et ils retournèrent à la bouteille de whisky qui était restée sur le muret et comme si c'était une offrande, le Prof la salua avant d'en boire une gorgée et d'inviter les autres à en faire autant et tout cela finit ainsi, avec cette chanson, que reprit une nouvelle fois le Prof et l'ombre. A la fin, ils s'applaudirent et le silence revint. La bouteille était vide.
Tu sais ce que tu chantais demanda le prof ?
Non dit l'ombre. Quand tu as commencé à chanter, ça m'est revenu d'un coup, je comprenais tout.
C'est du tsotsil, une langue maya parlée au Chiapas. Comment se fait-il que tu la parles demanda le Prof ?
Et toi? demanda l'ombre, qui se mit sur ses gardes, car il se sentait le centre de l'attention. Tu la parles aussi.
Non je ne connais que cette chanson. Ma grand-mère du côté de ma mère était Totsil et donc ma mère à moitié Totsil. Mais elle ne m'a jamais parlé sa langue, seulement en espagnol. Je connais que cette chanson, et encore je ne sais pas trop ce que veulent dire ces paroles. C'est ma grand-mère qui me la chantait quand j'étais enfant. Mais toi tu prononçais bien tous les mots. Tu dois parler la langue non ?
Je veux pas, dit l'ombre. oui je la parlais au Chiapas puis à Oaxaca quand j'étais enfant. Mais je veux plus.
Le prof ne voulait pas insister et il était prêt à changer de discussion mais Lola revint à la charge.
Pourquoi tu veux pas en parler. On peut être fier de parler une langue maya et les totsiles sont un grand peuple du Chiapas.
Je veux pas dit l'ombre. Le fouet.
Quoi dit Pépé qui s'était approché.
Le fouet dit l'ombre plus bas. Quand je vendais des cigarettes comme toi, si à trois heures du matin je rentrais sans argent, il me fouettait. C'était un Indien tsotsil tu vois. Je veux pas parler cette langue. Je veux pas parler Pépé. J'ai vendu des cigarettes de 6 ans à 9 ans toutes les nuits à Oaxaca dans les bars et les boites de nuits. J'avais interdiction de dire mon nom... Sinon... J'ai connu trop le fouet et puis la faim aussi. Je veux pas parler.
Ha mon petit, dit Pépé.
Tu as réussi à t'enfuir demanda Debanhi
Oui à 10 ans je suis arrivé à Mexico.
Debanhi s'approcha et lui reprit la main. Viens t’asseoir sur le muret.
L'ombre se laissa conduire sur le muret
Je ne sais pas où étaient mes parents, dit-il à nouveau sans que personne ne lui demande de parler. Ils étaient peut-être partis trouver du travail ailleurs. Je vivais chez cet homme. On était quatre enfants et tous on vendait des cigarettes ou des friandises et uniquement la nuit. On était aussi tous fouettés et il nous donnait pas à manger quand on ne rapportait pas assez d'argent. Oui c'était un tsotsil, les autres enfants aussi. Fallait pas dire notre nom, pas dire notre âge, pas dire où on dormait et toujours ramener de l'argent. A dix ans je me suis sauvé avec le plus vieux des garçons. En stop, et on est arrivé dans la capitale. On a dormi dans la rue trois nuits. Puis j'ai été recueilli par une association d'aide aux enfants de la rue, mais l'autre enfant n'a pas voulu venir avec moi. Je ne l'ai jamais revu.
Tumblr media
Les personnes étaient gentilles, reprit l'ombre J'étais bien soigné, je mangeais à ma faim, j'allais à l'école et on me frappait pas. .
Pourquoi tu t'es retrouvé dans la rue demanda Pépé ? Tu aurais pu rester où tu étais.
C'est vrai Pépé. Mais moi aussi à 13 ans je suis parti. Je voulais rentrer au Chiapas pour retrouver mes parents et c'est ce que j'ai fait. Mais là -bas il y avait pas de travail, rien à faire et pas mes parents. Alors je suis revenu à Mexico et je me suis installé ici dans le centre. Mexico, c'est ma ville.
Cela fait longtemps que tu es dans la rue dit Debohni en lui caressant la main. Tu n'en as pas marre ?
Je sais pas. Je connais que ça.
L'ombre n'était pas habitué à être le centre d'intérêt et il était encore moins habitué à parler.
On fait quoi maintenant dit-il en se levant et en était faussement joyeux ? On se refait le jeu du poème.
Le crois dit le Prof que pour cette nuit ça suffit comme ça pour moi .Si je ne veux pas dormir dans la rue. Je dois aller prendre le métro dans peu de temps.
Tu habites où demanda l'ombre ?
J'ai une petite chambre du côté du Stade Azteca. Quoique ce soit pas si mal, mais ça fait assez loin, d'autant plus que j'ai encore un quart d'heure de marche depuis le terminal du métro et la nuit ça craint. Et vous les filles qu'est-ce que vous faites ?
Lola regarda sa copine. Nous on va aller boire un verre rue X et puis après on prend un taxi pour rentrer à la Condessa. On dort toutes les deux chez mes parents.
Famille de riche n'est-ce pas, demanda le prof pour la taquiner?
Bah oui, pourquoi tu me le demandes, tu devais t'en douter. Puis elle déplaça son regard vers sa copine et vers l'ombre. Ils se tenaient toujours la main. Elle resta un moment silencieuse et dit, ce n'est pas notre faute si on est d'une famille de riches. Ça ne change rien.
Non dit le professeur. Ce n’est assurément pas votre faute. Et vous êtes des filles géniales, vraiment. Vous n'êtes pas responsables de vos parents mais vous vivez dans leur monde qui n'est pas tout-à-fait le même que notre monde ma chère Lola, ce qui peut dans certaines circonstances produire de sacrés chocs. Parfois les mondes sont irréconciliables. J'imagine que tu le savais.
Tu dis des conneries, dit Debahni. C'est la volonté d'être qui compte, pas les conditions matérielles. Nous, on en a rien à foutre Prof, riche pauvre, c'est pas ça qui compte.
Si tu le dis, fit le prof, en se lissant encore une fois les cheveux, d'accord. Sans vouloir te remettre en place, Nietzsche parle de volonté de puissance, pas d'être. Il me semble qu'il veut dire que l'être en lui-même n'est rien, une case vide. C'est ta puissance à vivre qui fait ton être. Donc on parlera plus volontiers de volonté de puissance que d'être. Debahni cette volonté a son importance mais sans doute pas autant que le déterminisme social. Et ce n'est pas facile d'échapper à son milieu. On n'y arrive presque jamais, même avec la meilleure volonté du monde.
Presque jamais dit Debahni ce n'est pas jamais. Il y a donc des exceptions et moi et Lola, on en fait partie.
Je n'en doute pas dit le professeur en se levant. Je vous aime beaucoup toutes les deux. Vous ferez de très belles choses dans votre vie, j'en suis certain. Je vous quitte, dit le professeur en faisant une révérence puis en faisant des entrechats. Enfin il ajouta, Pépé, et toi mon ami tsotsil, le sans nom, prenez soin de vous. Ce fut un plaisir de passer la soirée en votre compagnie.
Et sur ces paroles, il disparut si rapidement qu'on aurait pu douter de sa présence parmi eux quelques instants plus tôt. Mais bien sûr, l'absence du professeur se fit sentir aussitôt.
Moi aussi, dit Pépé, il est temps que je rentre. Il sortit son portable de sa poche pour regarder l'heure. Ho la la, reprit-il en plaisantant, c'est le moment de regagner mon logis avant que les rues se vident complètement et que les loups-garous les remplissent.
Je t'accompagne, dit l'ombre à Pépé, je ne vais pas te laisser rentrer seul.
Tu es sûr mon petit demanda Pépé qui n'avait pas du tout envie de rentrer seul ?
Oui Pépé répondit l'ombre, il n'est pas question de te laisser traverser toutes ces rues sans que je t'accompagne.
Merci petit, dit- il en approchant son fauteuil des deux filles toujours assises sur le muret. On se reverra leur dit-il en présence ou sans la présence du Professeur. Je vous aime bien moi-aussi, vous êtes de chouettes filles.
Merci Pépé dit Lola, avec plaisir. On a passé un bon moment avec vous. Surtout mon amie, dit-elle en riant. On est là quasiment tous les vendredis et samedis soir. Tu pourras toujours nous y retrouver.
Oui dit Debanhi, rentrez bien tous les deux. Moi aussi j'aimerais bien te revoir Pépé et toi aussi, dit-elle à l'ombre en retirant sa main qu'elle avait toujours posée sur celle de l'ombre et en sautant du muret. Tu m'entends demanda- t-elle à l'ombre qui était restée immobile à regarder sa main comme s'il se demandait si c'était bien la sienne. J'ai beaucoup envie de te revoir.
L'ombre leva la tête. Quoi, demanda- t-elle?
Les deux filles se mirent à rire.
Oui, bafouilla alors l'ombre. Moi aussi cela me ferait plaisir. Oui,vous revoir.
Et les filles redoublèrent de rire avant de les embrasser. Puis, à regret, surtout pour Debanhi et l'ombre, ils se séparèrent, laissant les cadavres des bouteilles de bières et celle de whisky entassées au pied du palmier.
***
Rue Isabela la catholica, l'enfant, une Indienne de 5 à 6 ans dormait sur le trottoir. A ses pieds reposaient 4 poupées artisanales à vendre. Elle était adossée contre un mur et sa tête tombait sur sa poitrine. Elle avait le bras allongé sur sa jambe et sa main tenait un gobelet en plastique dans lequel il y avait une pièce de 5 pesos. Ils passèrent à ses côtés sans s'arrêter. Puis l'ayant dépassée Pépé dit, attends.
Il fit pivoter son fauteuil et sans rien ajouter, il rejoignit l'enfant toujours endormi et sortit un billet de sa poche.
Qu'est-ce que tu fais demanda l'ombre ?
Pépé lui tendit le billet. Mets-le dans son gobelet et essaie de ne pas la réveiller, dit-il à voix basse.
Tu es sûr fit l'ombre en parlant à son tour sans faire de bruit.
Oui. Quand elle se réveillera elle aura de quoi se payer à manger. Et puis j'ai passé une si belle journée. Je voudrais bien en faire profiter quelqu'un. J'ai beau être habitué à la rue, continua t-il. Voir une enfant seule dans la nuit je ne peux pas.
L'ombre plia le billet en quatre et délicatement il le déposa dans le verre en plastique. L'enfant à ce moment- là leva la tête et bâilla les yeux entre-ouverts. Elle semblait sourire et se réveiller, mais sa tête retomba sur sa poitrine et elle ne bougea plus.
Pépé fit pivoter à nouveau son fauteuil et il reprit son chemin. L'ombre resta quelques instants à contempler l'enfant, caressa ses cheveux du bout de ses doigts et d'un pas rapide, il rejoignit Pépé. Ils arrivèrent chez lui sans rencontrer un seul loup-garou leur cherchant des poux, car, il se peut que les loups-garous ne se nourrissent pas des ombres de la rue et de vieilles personnes handicapées.
Merci de m'avoir accompagné, dit Pépé à l'ombre une fois devant son immeuble. Si tu veux ajouta-t-il, tu peux dormir chez moi pour cette nuit. Ça te va ?
Merci dit l'ombre je vais dormir rue Emiliano Zapata, Là-bas c'est chez moi.
Tu es sûr, insista Pépé.
Oui sûr, répondit l'ombre. Bonne nuit Pépé.
Merci. Bonne nuit à toi aussi mon petit.
Pépé rentra chez lui. L'ombre reprit son chemin et il était surpris; il ne ressentait plus aucune douleur au pied. Pour lui aussi la journée avait été bonne.
Tumblr media
Rue San Marcos
Alors que je fume une cigarette au pied de mon hôtel, rue San Marcos, je la vois qui s'abaisse dans le caniveau, saisit un mégot encore allumé et en tire une longue bouffée avant de reprendre son chemin. Puis au coin de la rue Emiliano Zapata, elle disparaît dans la nuit.
Après l'avoir vue une première fois sur cette terrasse à côté du Zocalo, c'est la deuxième et dernière fois que je la croise. Ayant terminé moi aussi ma cigarette, je remonte dans ma chambre en emportant avec moi le souvenir d'un fantôme qui porte sa croix sans que personne ne la voie et je décide de publier son histoire sur mon blog de voyage. Je dois me dépêcher. Cela fait six mois que je suis au Mexique et il est temps de m'envoler pour l'Amérique du sud.
Les voyages ne se déroulent jamais comme on le prévoyait. En six mois, j'ai beaucoup erré seul et j'ai partagé des dortoirs avec des voyageurs qui m'emmerdaient à parler en anglais et qui n'avaient aucune idée du pays dans lequel ils mettaient les pieds. La plupart recherchaient la plus belle plage où ils s'entassaient avec leurs congénères, les bars où ils pouvaient rencontrer des individus qui leur ressemblaient comme deux gouttes d'eau ou les vieilles pierres mayas ou aztèques devant lesquelles faire des selfies cucul la praline, je n'avais rien à partager avec eux et le plus souvent je les évitais. Pour autant, je n'étais pas différent. Si je préférais ma solitude à leur présence, je ne rencontrai pourtant que peu de Mexicains. C'est pourquoi, à part l'histoire de l'ombre, mon blog ne contient jusqu'ici presque aucune autre histoire. Je quitte donc le Mexique, comme si en six mois il ne s'était rien passé et vous m'en voyez désolé, vous, qui peut-être attendiez des nouvelles de mon carnet (latinoamerica).
Je vous promets que je ferai mieux dès mon arrivée en Amérique du sud où à Bogotá je vais suivre les élections présidentielles. Car, vous ne le savez peut-être pas, pour la première fois dans son histoire, la Colombie peut élire Pétro, un candidat de gauche, ce qui serait un tremblement de terre pour la géopolitique de la région et sans doute une immense bouffée d'air frais pour les Colombiens, surtout les plus pauvres. Je me dois donc d'être là. Voilà pour demain. Mais avant de partir du Mexique, il me reste à préciser quelques détails au sujet de l'histoire de l'ombre.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, l'homme rencontré par Pépé et l'ombre, le Professeur, développe des positions le plus souvent radicales que pour la plupart je partage; mais pas toutes. Je crois comme lui que de la danse est né le monde et que tout ce qui existe, les planètes, la lumière, la terre, les bêtes; les humains et bien sûr toutes les formes d'arts en découlent.
La danse s'est fait verbe, et comme le dit le Professeur, même si nous le savons pas, c'est par la danse que nous naissons à nous-mêmes. D’où dit-il la supériorité de la musique, du chant et de la poésie qui l'accompagne sur la littérature par exemple. Là-dessus d'accord, Prof ne dit pas de conneries. Par contre concernant la culture dans son ensemble et l’Allemagne sous le régime nazi en particulier, là j'ai un profond désaccord avec lui. Certes durant ces années immensément désespérantes, on peut dire comme lui que le peuple allemand n'a été qu'un troupeau de moutons sanguinaires, mais est- ce suffisant ?
Je m'explique mais je fais vite car je prends mon avion dans quelques heures, pour être plus précis à six heures demain matin. J’avais pourtant prévu d'écrire un long texte sur l’Allemagne, je ne le ferai donc pas.
Je voudrais juste rappeler au Professeur et à ceux qui seraient de son avis, que les premiers à avoir goûté aux joies des camps furent les révolutionnaires et les démocrates allemands. La répression fut féroce et en quelques années Hitler éradiqua la quasi totalité des oppositions. Quant aux artistes de l'époque, la plupart avait pris le chemin de l'exil, le plus connu d'entre eux, le poète et dramaturge Bertold Brecht, mais aussi les philosophes de ce qu’on appelle l'école de Francfort, tous juifs et marxistes, Théodore Adorno, Herbert Marcus, Eric Fromm qui s'installèrent aux USA. Le plus sublime d'entre eux, Walter Benjamin, après avoir traversé la frontière française, se suicidera d'une overdose de morphine à Port Bou en Espagne. Pensons aussi à l'Autrichien Stephan Zweig que je considère comme l'un des plus grands nouvellistes de tous les temps, désespéré par la barbarie allemande, en compagnie de sa femme, ils se suicideront aux barbituriques dans leur pays d'exil, le Brésil. Les peintres, les cinéastes, les comédiens, les musiciens que je connais moins, eux aussi ont subi le silence, le même exil; la répression ou l'enfermement. Une culture ne meurt jamais tout-à-fait mais il est toujours possible de l'assassiner. C'est ce qui se passa dans ces années de malheur. Ensuite... Nous connaissons tous et toutes la suite.
J'aime beaucoup le professeur, mais à ce sujet il était trop injuste avec celles et ceux qui en Allemagne, inconnus ou illustres, furent confrontés à la machine de mort du nazisme et y résistèrent. J'ai donc essayé dans ces quelques lignes de leur rendre justice.
Néanmoins si on est mexicain comme le professeur; je peux comprendre sa pensée. Devant les fosses communes, les disparus, les féminicides, les assassinats de journalistes, les tortures pratiquées par l’armée, la police ou les cartels, devant la photo de six musiciens brûlés; la tête coupée dans un coffre de voiture, devant l'omniprésence de cette mort scandaleuse qui semble gagner à tous les coups sur la vie, comment ne pas désespérer de tout ce qui fait culture ? N'avez-vous pas eu vous aussi la tentation de jeter les livres, de déchirer des toiles de maîtres, de refuser de penser, en vous disant à quoi bon tout ça ? Le combat est perdu d'avance.
Moi cela m'est arrivé cette tentation du désespoir.
A ce moment-là, je lis le poème les assis d'Arthur Rimbaud, ou les premières pages de Sexus d’Henry Miller, ou bien n'importe quelle nouvelle de Bukowsky, ou bien encore j'écoute à fond dans mes écouteurs, Global A Go-Go de Jo Strummer and the Mescaleros, et je danse. Ça marche presque à chaque fois. Je remonte aussitôt la pente et je regarde à nouveau ma vie comme si j'étais un jeune homme encore plein de rêves.
Illusions ? Certes. Mais ces illusions sont du côté de la vie et ça fait vraiment du bien. Ces illusions nous devons les défendre bec et ongle.
Est- ce que l'ombre a compris tout ce que disait Prof ? Je ne sais pas. Mais il se peut qu'avec le livre l'idiot dans son sac à dos, il ne soit pas tout à fait le même après cette rencontre.
J'écris pour ceux qui ne lisent pas ou les analphabètes et pas très loin de l'ombre. Si vous qui lisez, avez été jusqu'au bout de cette lecture, et qu'elle ne vous a pas déplu, alors j'aurai réussi mon coup, ce voyage au Mexique aura fait connaître quelques instants de la vie de notre ami.
Je vais dans un instant faire mon sac à dos et vérifier tous mes papiers en attendant un taxi pour l'aéroport de Mexico. Mais avant ce départ pour la Colombie passons encore quelques instants avec celui qui n'a pas de nom.
***
L'ombre était joyeuse.
Et la vie était belle. Presque.
Elle regardait souvent sa chaussure en souriant.
Plus de douleur. Un miracle.
Elle remonta la rue Emiliano Zapata jusqu'à l'église de la Santissima où sous le tas de détritus, l'ombre retrouva sa vieille couverture et elle la plia puis la serra sous son bras et en sautillant elle continua son chemin dans cette nuit fraîche mais douce, puis s'arrêta, c'était son endroit, elle enleva son sac à dos, s'adossa au mur, déplia la couverture sur ses jambes et son ventre et regarda sa rue noire de nuit traversée par les halos jaunes orangés émanant de quelques réverbères, respira un grand coup et s'allongea, colla son sac à dos contre sa tête, ferma les yeux en pensant à Debohni, puis elle mit ses mains sur ses yeux et s'endormit, et pendant qu'elle dormait, pour la première fois les doigts de ses mains s'écartèrent pour que le monde passe en lui, et ce sont les bruits du petit matin qui le réveillèrent et l'ombre s'étira, elle avait faim et elle se leva.
Madame Teofila Ortez Diaz venait de lever le rideau de fer de son petit restaurant quand l'ombre passa dessous et se retrouva nez à nez avec elle.
Bonjour dit madame Teofila Ortez Diaz en souriant. Tu as faim je suppose.
Bonjour répondit l'ombre, oui très faim.
Alors va t’asseoir; Je t'apporte de quoi manger.
Merci madame.
L'ombre alla s’asseoir à sa place habituelle sous le portrait de la sainte vierge qui pleurait des larmes d'or. Il posa son sac à dos sur la table et attendit que la femme vienne le servir. Comme la veille; elle revint de la cuisine avec un plateau chargé de nourriture et deux cafés de Olla.
A votre santé dit l'ombre, et surtout à la tienne répondit-elle en levant sa tasse. Tu m'as l'air en forme aujourd’hui. Ça me fait plaisir.
Oui madame lui répondit l'ombre, je vais bien.
Puis ils burent leur café en silence. L’ombre mangea de bon appétit puis une fois le petit déjeuner terminé il alla mettre les tables et les tabourets sur le trottoir et balaya. Quand tout fut fini, il lui dit au revoir.
N'oublie pas ton sac que tu as laissé sur la table, dit-elle.
Oui répondit l'ombre, vous avez raison, il m'est bien utile ce sac à dos. Merci encore.
Elle retourna donc à l'intérieur du restaurant et avant de remettre son sac à dos, Elle déposa l'idiot toujours dans son film plastique sur la table, puis ressortit sur le pas de la porte pour embrasser Teofila Ortez Diaz, avant de s'élancer dans la rue Emiliano Zapata en sifflotant l'air de la chanson indienne Tsotsil qu'elle avait chantée la veille avec le Professeur.
Fin
Sans Cristobal de Las casas, sans Marcos de la Laguna, Antigua, Puerto Escondido, Zipolite, Oaxaca, Puebla, Guanajuato, Guadalajara, Mexico et Bogotá
Février à Juin 2022
Tumblr media
1 note · View note
itsfinancethings · 5 years ago
Link
Below our city streets lies an ad-hoc world of subterranean tunnels and pipes. The oldest are brick and concrete sewers that once carried waste streams in one direction, rainfall overflow in another. Today, these waterways must contend with newer sewers, subway tunnels, power lines, and fiber-optic cables. But in the 19th century, these labyrinths were the only man-made things that existed below ground.
Archival photos reproduced in Stephen Halliday’s An Underground Guide to Sewers give us a rare view of these sewers of the past, as they looked to the people who engineered, built, and maintained them.
Tumblr media
Thames Water Utilities LimitedDeptford Pumping Station in London. The pumping station at Deptford was built to raise the sewage of south London into the outfall sewer running through Woolwich to Crossness.
Most of these photographs—dating from the 1880s to the 1940s—show new construction; the before without the after. Pristine iron bars free of rust, walls too freshly mortared to settle and crack, cement yet unstained by water and waste. Older photos show brick-lined culverts, each brick having been laid by hand.
Tumblr media
Passaic Valley Sewerage CommissionConstruction of interceptor sewers in the 1920s—New Jersey, U.S. The main interceptor is 22 miles long and connects to 18 miles of branch sewers.
These images are evocative, sometimes beautiful, appearing like black-and-white outtakes from a forgotten film noir. Storm drains appear as volumes of space, empty by design most of the time. Circular and oval tunnels lead from crawlspaces to caverns beneath reinforcing arches. Concrete corridors and junctions, absent any signage, make one wonder what would have happened if Robert Frost’s traveler had gone underground.
Tumblr media
Courtesy of Ville de Paris/BHVPDevelopment of sewers in 1920s Paris. As the city grew, its sewer system was also required to expand. Here further egg-shaped sewers are added.
But there’s more to these spaces than their cosmetic wonder. These are, after all, not only sites for the flow of waste; they were also places of work. The men photographed in Victorian coats or Depression-era caps and vests do more than provide scale: they remind us that every sewer tunnel started as a noisy construction site. Imagine the human and mechanical din as rocks were carted or bulldozed away, dozens of workers wrangling stone and earth to fit engineers’ specifications.
Tumblr media
Edgar Sutton Dorr Photograph Collection/Boston Public LibraryMen examining sewer stonework in Boston in the 1880s. The use of stone in this sewer was unusual, as bricks, clay, or wood were normally used.
Tumblr media
Courtesy of the Library of Congress, Washington, D.C.Sir Joseph Bazalgette was the creator of London’s great Victorian sewage system, depicted here on this map. The most prominent red lines are the main interception sewers.
Sewers were—and continue to be—the great enabler. As industrialization drew people to the city, those people, in turn, made new demands on water and waste systems. That’s why most of the projects pictured here were at capacity soon after completion. Perhaps that knowledge also imbues these photos with a sense of optimism; designed to solve problems, the sewers continued to work, unobtrusively, from their hiding place, to meet ever larger demands.
Tumblr media
Edgar Sutton Dorr Photograph Collection/Boston Public LibraryBoston Sewer siphon photographed in the 1880s.
With this collection, we get to appreciate today what most people didn’t get to see then. It’s a privileged look at the triumphs of industrial-era infrastructure, but it’s also only one chapter of the narrative. What is left to the imagination is how these underground spaces have since been transformed: the aging materials replaced, the time that’s elapsed, overwriting the glory of a feat of engineering.
Tumblr media
Edgar Sutton Dorr Photograph Collection/Boston Public LibraryA man is pictured mortaring a sewer wall in 1880s Boston. Mortaring the inside of the sewer is designed to make the sewer impermeable to water
This article originally appeared on Zocalo Public Square. Click here to read the original article.
0 notes