bornutyboisson
un carnet (Latinoamérica)
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Mexique, Colombie Equateur...
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bornutyboisson · 2 years ago
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Lire est une foutue connerie, les livres ne servent à rien et José Vasconcelos n'est qu'un âne
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Rue Emiliano Zapata
Elle avait surgi du coin de la rue San Marcos et, arrivée dans la rue Emiliano Zapata, face au magasin Oxxo, l'ombre s'était abaissée dans le caniveau et avait ramassé le mégot encore allumé d'un type qu'elle avait suivi dans la nuit. Celui-ci ayant continué son chemin dans la direction de la Merced, l'un des grands marchés à la limite du centre historique de Mexico, elle se retrouvait seule, dans cette rue d'une solitude sans rémission possible, et elle tira une unique longue taffe avec le plaisir et le soulagement d'avoir enfin atteint son but. Puis ayant jeté le mégot, l'ombre s'était redressée et étirée. Elle avait grandi, et sous des haillons crasseux, et une capuche noire et déchirée tirée sur ses yeux, se devinait un être vivant. Un homme encore jeune en fait, à peine sorti de l'enfance, dont le visage était déjà traversé de rides sévères que le manque de sommeil et les errements infinis à la recherche de la satisfaction de ses besoins les plus primaires comme, où trouver à manger et boire, où chier et où dormir, avait marqué du sceau de la rue.
Même les ombres meurent et elles meurent plutôt jeunes sur les trottoirs des villes, alors rien à foutre pensait l'ombre. Mais elle ne pensait pas vraiment. Une ombre n'a pas le temps de penser à la mort. C'est pour les bien-assis la mort, ceux qui ont un toit au-dessus de leur tête. Depuis plusieurs jours, son pied droit lui faisait une douleur impossible à oublier car à chaque pas sa chaussure de deux tailles supérieures à la sienne frottait son orteil enflé, et l'ombre avait beau l'avoir lacée jusqu'à couper la circulation du sang de son pied, le frottement persistait, et à chaque fois tout son corps jusqu'à son cerveau était traversé par un flash de souffrance. Quand elle n'en pouvait plus, elle n'avait alors qu'une solution, s’asseoir n'importe où et attendre que ça passe. Ça passait toujours plus ou moins, forcément, et elle se relevait, continuait son chemin avec la lourde lenteur des fantômes qui portent leur croix, sans que personne ne les voie.
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Elle remonta la rue Emiliano Zapata et bifurqua sur la gauche, rue de la Santissima puis Alhondiga et dans son prolongement la rue Talavera qui, la journée, était bordée de dizaines de stands dédiés uniquement à des vêtements et des poupées de l'Enfant Dieu, rues évidemment fréquentées par les bigots, les bigotes et les croyants de toute la ville. Puis quasiment les yeux fermés, traînant la patte, elle se dirigea vers le Zocalo, l'immense place centrale de Mexico.
Le centre historique a la particularité d'être à la fois le cœur politique et symbolique du pays, avec ses institutions comme le Palais National, sa cathédrale baroque, son musée aztèque du Templo Mayor, et à la fois d'être pendant la journée, le lieu peuplé de marchands ambulants, d'employés de magasin ou d'administration, de touristes affamés de sensations fortes, d'étudiants bohèmes, d’estropiés de la vie, d'Indiens déracinés, de mendiants et de badauds riches et pauvres, affairés à leurs occupations dans un dédale de rue surchargées de marchandises et au milieu d'une circulation dense et bruyante. La nuit tombée, la multitude refluait du centre historique et ce n'était plus qu'un désert. L'ombre à deux pas du Palais National, était ici chez elle, au cœur du pays, là où le faste et la beauté architecturale côtoient une misère extrême.
L'ombre n'avait pas de nom, pas d'histoire. En tout cas, elle s'en souvenait peu, les drogues et l'alcool lui ayant déjà bousillé une partie du cerveau. Il lui restait pourtant quelques brides du passé, des mots, surtout d'une autre langue que l'espagnol, venus de loin, du sud du Mexique ou du Guatemala. Paroles de son enfance dites par ses parents ? Sans doute, mais elle n'en était pas sûre. D'ailleurs qu'étaient-ils devenus? Il y avait de grandes chances qu'ils soient morts, enterrés quelque part dans le désert à la limite des États-Unis, partis avec d'autres immigrés pour passer la frontière que les cartels exploitaient, et parfois assassinaient, c'était quelque chose comme ça son histoire, allez savoir, l'ombre ne voulait pas, ne pouvait pas se souvenir, Elle avait d'autres choses à régler, toujours.
En arrivant sur la place du Zocalo absolument déserte, elle alla la traverser pour rejoindre la cathédrale, puis se ravisa quand elle vit passer une patrouille policière et préféra rebrousser chemin. Elle avait une envie terrible de dormir, une envie de chier aussi, mais moins forte que celle de dormir. Mécaniquement, au fond de ses poches elle toucha ses deux pièces de monnaie. Elle ne sait pas pourquoi, elle pouvait tout faire dans la rue , voler , mendier et même violer pour assouvir ses pulsions sexuelles. Heureusement jusqu'ici elle n'était pas passée à l'acte. Non par manque d'envie ou de volonté morale mais parce que cela lui demanderait trop d'efforts et aurait entraîné trop de complications. Par contre chier dans la rue, jamais pensait l'ombre, pas ça, préfère encore crever. C'est pourquoi dans sa poche elle conservait toujours une pièce de 5 pesos et une de un peso, pour se payer les toilettes qui sont pour la plupart privées et payantes.
A nouveau rue Emiliano Zapata, elle alla jusqu'à l'église de la Santissima, sur le côté. C'était son coin, un coin de bouts de carton, de crottes de chien, de morceaux de tissu, de mégots et de bouteilles en plastique, entassés pêle-mêle, son palace en quelque sorte sous lequel était cachée une couverture. En hiver les nuits sont froides, dans ces conditions, c'était un vrai trésor qu'il avait planqué sous ce tas de détritus que personne de toute façon n'aurait osé toucher... Sauf une autre ombre évidemment. Et c'était le cas. Quand elle la vit endormie dans sa couverture, cela l'a mise en rage et l'ombre se précipita sur l'autre ombre.
Elle lui donna un coup de pied dans le dos avant de tenter de l'étrangler, espèce d'enculé, t'es dans ma couverture, putain de sale voleur, je vais te faire la peau, hurla- t-elle.
L'ombre qui erre et dort dans la rue, a développé un instinct de survie que la plupart des hommes ne connaissent pas. Si vous croyez qu'elle dort profondément, ne vous méprenez pas. L'ombre dort d'un œil tandis que l'autre directement connecté avec la part reptilienne de son cerveau, veille au grain, prête à réagir au premier danger, et c'est exactement ce qu'elle fit. De sous la couverture, elle sortit promptement ses deux mains qu'elles avaient certes crasseuses mais aussi puissantes et elle se tourna, éjectant la couverture avec ses pieds et se redressa pour enfin renverser la situation et se retrouver accroupie au-dessus de l'ombre la plus jeune qui dans sa colère n'avait pris aucune précaution pour se protéger.
L'autre ombre était un homme trapu mais tout en muscles, un visage sanguin, des dents pourries, une bouche qui sentait le vomi. De ses haillons dégueulasses s'échappaient des odeurs d'aisselles et de merde. Elle s'apprêta à frapper l'autre ombre, au lieu de quoi, elle se releva.
Putain c'est toi dit-elle. Je ne savais pas que c'était à toi cette serpillière à la con.
L'autre ombre se releva aussi et aussitôt s'empara de la couverture qu'elle bouchonna et plaqua sur son ventre et n'arrêta pas de répéter c'est ma couverture, c'est à moi.
Calme -toi dit l'autre. Je suis tombé dessus pas hasard. J'ai filé un coup de pied dans ce gros tas de merde et il y avait un truc dessous. Quand j'ai vu que c'était une couverture, je me suis dit que c'était un don de dieu.
Non pas dieu, c'est à moi, répéta l'ombre jeune, c'est ma couverture, t'as pas le droit.
L'autre n'était pas un mauvais bougre. Ça ne faisait pas trop longtemps qu'elle était devenue cette ombre puante. Deux ans quand-même, le temps de s'abîmer dans les tréfonds de la ville, tout en conservant un minimum de civilisation et d'empathie envers l'ombre la plus jeune avec qui elle partageait la rue, ses horreurs et aussi ses richesses... Comme cette couverture.
Tiens, bois un coup, dit-elle en s'abaissant et en ramassant une bouteille d’alcool dont il restait encore un tiers de liquide, et il la tendit à l'ombre la plus jeune. L'autre s'en saisit et but aussitôt à grandes goulées.
Bon dieu, bois pas tout, moi aussi j'ai soif. Elle lui reprit la bouteille et la vida. Leur altercation était finie et presque déjà oubliée. Parfois dans la rue, il suffit d'une bonne rasade d'alcool pour enterrer la hache de guerre.
L'ombre trapue ramassa sa veste qui lui avait servi d'oreiller. Bon ça te dirait de venir avec moi ? Je connais un coin tranquille. On peut y dormir en paix, et puis si tu veux, demain on se fait les poubelles ensemble et on se partage le butin. Ça te va ?
L'autre toujours cramponnée à sa couverture fit des signes de tête de négation.
Comme tu veux mon gars. Dans ce cas je te lâche. Et n'oublie pas la prochaine fois que tu t'attaques à quelqu'un, reste toujours sur tes gardes et te laisse jamais gagner par tes émotions. Jamais, tu comprends?
L'autre ne répondit pas et l'ombre trapue s'éloigna.
Après tous ses efforts, elle ressentit sa douleur dans le pied. Elle fit quelques pas dans la rue en boitant et se rendit compte qu'elle ne pourrait pas aller plus loin. Elle s'écroula donc sur place, contre un mur, défit son lacet et dégagea la languette de sa chaussure ce qui aussitôt la soulagea. Elle s'enroula dans la couverture tout en collant ses deux mains sur son visage comme si elle voulait effacer toute vision du monde contre lequel elle menait un combat pour ne pas être anéantie, et elle s'endormit comme toutes les ombres, d'un seul œil.
Une poignée d'heures plus tard, pointèrent les premières lueurs du jour accompagnées par toute une série de bruits qui signifiaient que le quartier s'éveillait. D'abord des bruits de pas pressés qui le frôlèrent sans s'attarder, puis le bruit des premières camionnettes de livreurs aux moteurs qui tournaient au ralenti afin de trouver une place de stationnement, ensuite plusieurs bruits métalliques indiquant qu'on installait des ossatures de stands ainsi que ceux des rideaux de fer des petits restaurants qu'on relevait. L'ombre s’éveilla et attendit dans sa couverture en se blottissant contre un coin du mur. Comme elle n'avait jamais assez dormi, elle continua à fermer les yeux et elle se sentit bien, rêvassant qu'elle engloutissait une dizaine de gâteaux devant un gigantesque bol de chocolat brûlant. D'un coup l'ombre se leva. Elle avait senti la première odeur de café d'un vendeur ambulant qui s'installait à côté de l'église. En réalité, elle ne s'était pas vraiment réveillée, étant toujours dans son rêve de chocolat chaud. C'était son ventre qui s'éveillait, et un ventre qui s’éveille domine toutes les autres volontés, même celle de vouloir dormir. Quand l'ombre avait-elle mangé pour la dernière fois ? La veille, vers 18 heures, quand le centre historique ne s'était pas encore tout- à -fait vidé. Un paquet de chips et encore même pas plein. L'ombre l'avait vu la première, sur le trottoir, à côté d'une papeterie et il s'était précipité dessus en même temps qu'un chien errant et après l'avoir éloigné d'un coup de pied, elle l'avait ramassé et avalé en quelques secondes. A ce souvenir associé à l'odeur de café, ses forces lui revinrent soutenues par une énergie nerveuse d'affamé. Elle plia sa couverture et alla la planquer sous son tas de détritus. Puis en quête de nourriture, l'ombre replongea dans son territoire, avec le sentiment étrange de toujours répéter la même chose.
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***
Madame Teofila Orthez Diaz qui avait la passion de la Vierge et de l'enfant Jésus, était une catholique fervente, laquelle se rendait à l'église une fois par jour, le soir quand elle avait fini son travail. Ses cinq enfants étaient maintenant grands et indépendants, tous avaient une situation dont elle était fière. Ce n'était pas le cas de son mari. C'était un alcoolique notoire dans le quartier et il n'en foutait pas une. Depuis bien des années, elle n'avait plus d'amour pour cet homme, même si jamais, ô grand dieu jamais, elle n’aurait émis la moindre idée d'un divorce qui l'aurait pourtant libérée de ce poids mort. 7 heures du matin. Cela faisait déjà une heure qu'elle s'était activée à la préparation de son café, de ses œufs, ses tomates, ses oignons, du poulet et de la viande de bœuf, ainsi que ses deux sauces pimentées dont on disait qu'elles étaient les meilleures de la rue Emiliano Zapata. Elle n'attendait plus qu'on lui livre des tortillas et du pain pour préparer ses tacos et ses tortas au bœuf ou au poulet. Madame Teofila Orthez Diaz prit la manivelle et avec vigueur elle remonta le rideau de fer de son restaurant constitué de 3 tables et de 9 chaises. Il lui fallait maintenant installer son étal sur le trottoir, car la plupart des clients mangeaient et buvaient à même la rue, debout ou assis sur l'un des quatre tabourets en plastique qu’elle mettait à leur disposition.
Ah te voilà dit-elle quand elle vit l'ombre passer sous son rideau de fer qu'elle venait à peine de lever. Je suppose que tu n'as rien mangé depuis un bon moment.
Oui madame dit l'ombre, rien.
Comme d'habitude mon pauvre répondit-elle. Va t'asseoir.
L'ombre alla s'asseoir, à la table au-dessus de laquelle trônait sur le mur la Sainte Vierge dont les larmes d'or coulaient de ses yeux, dans le pur style maniériste espagnol. Quand on y pense, à la regarder de plus près, on pouvait dire que la Vierge abondait de générosité et de sincérité pas tout à fait honnêtes, comme si l'or de ses larmes révélait, en échange de la richesse de ce monde, le désir de se soumettre à une puissance supérieure et invisible qui vous écrasait de tout son poids. L'ombre n��y fit même pas attention. Elle s'accouda à la table en posant son menton dans ses mains et attendit que la femme revienne. Ce qui ne fut pas long. Elle apporta deux cafés et les posa sur la table. Il attendit encore, c'était leur rituel. Elle repartit à sa cuisine et revint avec dans les mains un plateau sur lequel il y avait du poulet, des oignons et des tomates coupés, ses deux sauces, des tortillas de la veille, un morceau de pain lui aussi de la veille, deux bananes, une gélatina à la fraise, et elle déposa le tout sur la table.
Même si son ventre criait famine, l'ombre ne bougea pas. Elle attendait le signal. La femme s'assit en face de lui et prit son café.
A la tienne dit-elle. Tu en as bien besoin.
Et enfin l'ombre put se saisir de son café et il répondit, à la vôtre madame. merci beaucoup.
Il but le café au lait sucré, qu'on appelle café de Olla, préparé d'une façon presque identique au café grec ou turc, et l'ombre pensait que ce café était magique, il le sentait brûlant dans sa gorge et ce goût sucré du lait et du café lui faisait l'effet de naître encore une fois, d'être au premier jour de sa vie, d'une vie où tout était possible. Il regarda madame Teofila Ortez Diaz avec un émerveillement de gosse et il dit, il est bon votre café, je l'adore.
Mange donc mon petit, plutôt que dire des âneries, répondit-elle. ce n'est qu'un café, rien de plus. Tout ça c'est pour toi et excuse-moi si le pain et les tortillas ne sont pas frais. Mais mon livreur n'est pas encore passé. Il a un peu de retard ce matin.
L'ombre ne se fit pas prier. Il mangea, ou plutôt il engloutit la totalité du plateau. Il ne laissa pas une miette. Cela dura quelques minutes. Pendant ce temps, la femme regardait alternativement le portrait de la Vierge sur le mur et le visage de l'ombre. Elle y voyait des similitudes ou mieux encore, elle voyait dans l’ombre qui avait ôté la capuche de sa tête, une ressemblance avec le Christ. Le Christ avait été pauvre comme l'ombre, le Christ était présent dans le visage de l'ombre au moment précis où celui-ci mangeait un morceau de poulet dans une tortilla remplie de sauce, d'oignons et de tomates, et à cette observation elle ne put s'empêcher de faire son signe de croix.
Aider les plus pauvres, c'était le sens même de son existence. L'ombre était l'enfant Jésus réincarné, et la Vierge aux larmes d'or l'aiderait à monter au ciel. C'était son rôle à elle, se donner à l'ombre comme elle se donnait à la Sainte Vierge tous les soirs à l'église, pour que malgré ses péchés, l'ombre monte là-haut, tout là-haut dans le merveilleux paradis, où disait-on, il est plus difficile pour un riche d’ accéder, qu'un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Elle couva l'ombre de toute sa tendresse dévote.
Tu as assez mangé dit-elle, tu veux un autre café ?
Oui merci beaucoup madame, je veux bien un autre café.
Madame Teofila Ortez Dia alla resservir l'ombre qui ne but que la moitié de son bol avant de se mettre au travail. Elle ne lui avait pourtant rien demandé la première fois que l'ombre était venue faire l'aumône. Elle lui avait servi à peu près la même chose qu'aujourd'hui et d'elle-même l'ombre avait monté l'étal devant le restaurant et installé les tabourets en plastique. Maintenant, il balayait aussi la rue autour du restaurant. Quand tout fut prêt, l'ombre retourna à l'intérieur et il but l'autre moitié de son café tandis que le livreur de tortillas pénétrait à l’intérieur du restaurant. Celui-ci quand il le vit ne put s'empêcher de faire cette remarque. Madame vous nourrissez toujours ce clodo. Vous êtes vraiment trop bonne. Vous savez que d'avoir des bons à rien autour de soi, ce n'est pas bon pour le commerce. La femme haussa les épaules, en effet dit-elle, je suis bien placée pour le savoir.
Bien sûr ces paroles n'étaient pas destinées à l'ombre mais à son mari. L'ombre n'écouta pas vraiment le livreur, il était habitué aux paroles désobligeantes, au lieu de quoi il profitait de la chaleur de la salle du restaurant et de la plénitude qu'il ressentait après avoir mangé. Mais les premiers clients n'allaient pas tarder à venir et l'ombre savait que le livreur n'avait pas tout- à- fait tort. Avoir une cloche comme lui dans le restaurant qui de plus puait, ça faisait fuir les clients. Ce n'était décidément pas bon pour le commerce d'être en présence d'un indésirable. Une fois le livreur parti, l'ombre alla en faire de même quand la femme posa gentiment sa main sur son épaule
Tu veux pas te faire un brin de toilette avant de t'en aller ? Ça te fera du bien.
D'accord dit l'ombre.
J'ai une brosse à dents neuve que j'ai retrouvée dans ma salle de bain ce matin et j'avais aussi un tube de dentifrice pas tout à fait vide. Tu peux t'en servir. Et puis j'ai aussi un petit cadeau. Ce n'est rien, mais ce te sera fort utile . Le voici. Et elle le déposa sur la table.
C'était un sac à dos de ville rouge et beige. Il était en parfait état.
Il appartenait à un de mes enfants. Il ne s'en est jamais servi. Plutôt que de traîner dans un placard chez moi, il te sera beaucoup plus utile.
L'ombre n'était pas habituée à tant de bonté et de bienveillance. Ça faisait cinq ans, peut-être plus, qu'il était livré à lui-même. Si dans la rue il n'y a pas que des saloperies, il n'y a pas non plus beaucoup de générosité ni de solidarité. Des cadeaux, l'ombre ne souvenait pas qu'on lui en ait fait depuis une éternité. Il ne sut donc pas quoi dire. Il répéta seulement plusieurs fois merci en touchant le sac à dos neuf.
Arrête de me remercier dit la femme. Il ne servait à personne, alors autant que tu le prennes. Allez ça suffit. Va te laver dans la cuisine avant que mes clients arrivent. Il est temps que je me mette vraiment au travail.
L'ombre se lava les dents dans le lavabo de la cuisine puis elle alla aux toilettes dans la petite cour sombre, derrière la salle où elle put chier en paix tout en conservant ses six pesos dans sa poche en cas où elle en aurait besoin dans la journée, ce qui était toujours le cas. Puis elle retourna dans le restaurant où deux premiers clients attendaient leur café sans cacher leur dégoût dès qu'ils remarquèrent sa présence. Même si elle était habituée à de tels agissements de rejet, plus qu'elle ne sortit, elle se précipita dehors où madame Teofila Ortez Diaz l'attendait, le sac à dos rouge et beige à la main.
J'ai mis dans ton sac, dit-elle, quelques tortillas fraîches et un petit pochon de nourriture. Comme ça dans la journée tu auras de quoi manger.
Quelque chose en lui voulut prendre dans ses bras cette femme si bonne. Mais comment aurait-elle pu faire ? fallait-il seulement tendre les bras et attendre qu'elle s'y blottisse ? Devait-elle lui dire des mots de remerciements qui viendraient du plus profond d'elle-même ? Et quels mots aurait-elle dû dire? L'ombre mit maladroitement le sac à dos et dit une fois de plus merci madame. Et il s'en alla, toujours en traînant la patte, par les rues de Mexico qui maintenant s'emplissaient de vie.
Et pendant que l'ombre s'éloignait, la femme fit un signe de croix rapide, avant de retourner à l'intérieur du restaurant servir son café de Olla aux deux premiers clients de cette nouvelle journée, bénie des dieux, pensait-elle.
***
Bien que les avenues extérieures soient déjà envahies par une circulation dense, Mexico s'éveillent lentement entre sept et huit. Dans les rues du centre historique, le silence avait encore toute sa place. L'ombre marchait lentement, et sans s'en rendre compte, elle prenait plaisir à regarder ces vieilles bâtisses, que la lumière encore tendre de l'aube caressait et mettaient en valeur. Il s'enivrait à leur vue, respirant à fond. Il était l'unique, le privilégié. C'était sa ville, et avec le ventre plein il se croyait heureux, heureux un instant d'être lui aussi partie prenante de ces pierres de la ville qui avaient une histoire millénaire, d'abord Aztèque, puis coloniale, une histoire aussi révolutionnaire, et enfin moderne et qui semblaient la partager avec elle. C'était l'heure qu'il préférait, une heure de cessez-le-feu. Puis l'ombre arriva à 9 heures et elle se dit que la guerre des hommes contre d'autres hommes allaient bientôt entamer ses premiers combats. Toute sa personne s'en trouva changée. Maintenant elle lui fallait être sur ses gardes. Comme disait l'autre ombre délogée de sa couverture, il ne devait jamais céder à ses émotions, jamais. Car aurait-elle pu ajouter, toute ombre est aussi un guerrier.
Neuf, dix, onze, midi. La multitude était de retour. La foule grondait de désirs, elle était impatiente, elle était aussi frustrée dans ses désirs. Parfois elle se faisait poète, tendre et romantique, par exemple quand elle s’agglutinait autour d'un chanteur, d'un clown ou d'Indiens dansant leurs ancestrales danses et qu'elle n'hésitait pas à jeter une pièce ou mieux encore un billet, généreusement. Parfois encore, elle revendiquait comme ces femmes qui s’étaient installées sur les trottoirs en face du zocalo, pour dénoncer les féminicides et l’incurie de l’État. Mais le plus souvent, elle était inerte, indifférente, pure consommation, et toujours dans leurs mains, les smartphones sonnaient l’hallali communicative du vide qui emplissait le pas des touristes et des badauds. Alors pour certaines ombres, les plus douées, le vol à la tire était facile.
Ce n'était pas le cas de notre ombre. Le vol à la tire n'avait jamais été son fort. Elle était trop sale, trop déguenillée, trop de tout en fait, et surtout elle faisait trop peur avec sa gueule de gosse qui avait vieilli d'un coup. Quand elle s'approchait de quelqu'un, aussitôt, presque par réflexe, la personne s'éloignait.
Alors à quoi bon tenter le diable. Autant rester assis et faire la manche. Et puis c'était intéressant de voir tous ces gens avec chacun sa façon de prendre contact avec lui. Certains, c'étaient les plus rares, avaient le même sourire charitable que Teofila Orthez Diaz. Ce sont ceux-là qui donnaient le plus. D'autres, la grande majorité, à peine l'avaient-ils vue qu'ils détournaient le regard et accéléraient le pas. L'ombre percevait aussi une infinité de nuances parmi ces gens. Il y avait ceux qui souriaient en mettant la main dans leur poche et alors que l'ombre croyait recevoir une pièce, la personne levait une épaule en signe d'excuse comme pour lui dire, mon pauvre gars, pas de chance aujourd’hui, je n'ai pas de monnaie. Des hypocrites ! Il y en avait d'autres qui avaient l'air furieux. L’ombre avait l'impression que sa présence leur gâchait la vie et c'est pourquoi ils le fusillaient du regard à défaut de pouvoir le faire réellement. Il y avait les distraits qui lui butaient parfois sur la jambe, les mamans accompagnées de leurs rejetons qui auraient bien donné mais qui ne voulaient pas s'approcher, apeurées de cette chose à moitié humaine. Il y avait aussi ces jeunes bien élevés, à l'avenir tout aussi bien tracé, orgueilleux, qui avaient l'air de lui dire, t'en fais pas, tu t'en tireras si seulement tu veux t'en donner la peine. Ceux- là ne donnaient jamais. Il y avait encore ceux qui donnaient en se cachant comme s'ils avaient honte et il y avait ceux qui avaient trop honte pour oser lui donner. La rue était passionnante. Tant qu'elle n’avait pas faim, l'ombre ne s’ennuyait pas.
Puis le soleil sauta par-dessus les immeubles et d’un coup inonda la rue où il s’était assis. Il n'avait pas de casquette. Il lui en faudrait une. S'il mettait la capuche de son sweet, il avait trop chaud. Il regarda l'argent qu'on avait déposé à ses pieds pendant deux heures de manche. Onze pesos. Même pas le prix d'un tacos ! bandes de radins se dit-elle en se levant, heureusement que j'ai de quoi manger dans mon sac à dos. Et comme le repas du petit déjeuner avait été copieux, il n’avait pas encore faim. L'ombre gardait sa bonne humeur et il eut une idée.Il irait dans la rue Venezuela et plus précisément sur la terrasse bar restaurant de la grande libraire du cœur de Mexico dont il ne connaissait pas le nom. Là il y a un coin sympa et tranquille, lui avait dit une autre ombre, avec deux fauteuils rien que pour toi et personne pour t'emmerder. Puisqu’il avait été assis deux bonnes heures, il partit d'un pas alerte sans ressentir aucune douleur dans le pied. Madame Teofila Orthez Diaz avait tout à fait raison, c’était une journée bénie des dieux, même si, il ne fait aucun doute, que de toute éternité, les dieux avaient oublié la présence des ombres.
Les ombres n'existaient donc pas. Elles n'avaient jamais existé, mais parfois comme les fantômes, elles devenaient visibles... .
La nôtre gagna la place Santo Domingo située en face du ministère de l'éducation. Une fois, il y a déjà plusieurs semaines de cela, parce qu'on lui avait dit que c'était beau, il avait osé tenter sa chance. L'un des policiers de l'entrée avait été sympa, il l'avait laissé passer, peut-être par pitié, ou peut-être parce que les cours du ministère étaient ouvertes à toutes et tous et gratuites. Ce jour-là, ce fut un grand moment pour l'ombre, une sorte de révélation. Elle était restée deux heures là-dedans, au moins, mais ça avait semblé beaucoup plus court, comme si elle était à peine rentrée et qu'elle avait dû sortir aussitôt.
Il s’assit au centre de la place, sur la margelle de la fontaine, en plein soleil, face à l'entrée du ministère et elle se revoyait face à certaines des œuvres qui couvraient les murs des différentes cours.
Ces murs avaient été peints par Diego Riviera et racontent l’histoire du Mexique de l'époque Aztèque jusqu'à la révolution de 1910 à 1920. L'ombre avait aimé ces peintures murales. Surtout celles où les paysans et les Indiens révoltés étaient armés. Ça avait été un choc. Pour la première fois elle comprenait le sens d'une histoire (et c'est après avoir vu ces tableaux, qu'il lui était apparu qu'elle faisait bien partie de cette histoire des pierres de la ville de Mexico), et elle se disait qu'elle n’était peut-être pas aussi seule qu'elle l'avait cru jusqu'ici.
C'était une expérience mystique et à la fois profondément concrète. Elle n'était pas seulement un fantôme mais elle était aussi faite de chair, de sang et de douleur et vu qu'elle pouvait souffrir, elle avait un droit absolu à penser par elle-même. Elle était arrivée à cette conclusion que si elle était un être de chair et de sang, elle était aussi un être humain qui avait le droit de gueuler sa vie comme bon lui plaisait et de revendiquer son existence à la face des bien-assis, sans en avoir honte.
En sortant du ministère, elle était ressortie joyeuse de sa découverte. Elle avait décidé de fêter son nouveau statut de "citoyen", en s'achetant de l'alcool. Bien sûr une heure plus tard, l'ombre fut soûle à rouler par terre et par conséquent elle avait quasiment oublié cette expérience !
Assis sur ce muret, cela lui revint d'un coup, les peintures murales de Diego Riviera, l'histoire du Mexique, les paysans et les Indiens armés et la conclusion qu'il était un homme de droit. Il se demanda pourquoi il avait pensé cette bizarrerie . C'était assez con d'essayer de penser. Ça ne menait à rien qu'à se faire mal à la tête, alors qu'il avait suffisamment de son pied pour se taper la tête contre les murs, qu'ils soient couverts de peintures murales ou pas ! . A cette image de son pied et de la tête contre les murs l'ombre se mit à rire. Un petit rire sarcastique qui à côté de lui, surprit Pépé, le paraplégique qui dans son fauteuil roulant vendait des friandises, quelques babioles et des cigarettes à l'unité.
Hé bien mon garçon, on a l'air en forme aujourd'hui. Ça fait plaisir à voir, dit Pépé en approchant son fauteuil roulant. Mais qu'est-ce que tu regardes comme ça ? Il y a rien qu'un mur de l'autre côté de la rue.
Derrière le mur, répondit l'ombre, il y a des peintures, beaucoup de peintures. C'est beau.
Ha oui, tu savais pas s'exclama Pépé. Ça été peint par ce cornichon de Diego Rivera.
Ce cornichon de Diego Rivera s'étonna l'ombre. Pourquoi cornichon?
Peut-être pas cornichon dit Pépé, mais c'est un attrape-couillon pour les touristes. Il a peint partout ce bonhomme, ici dans ces cours du ministère de l'éducation, dans le grand escalier du Palais National, à Acapulco aussi, et même aux États Unis. Quand quelqu'un te parle de peinture c'est toujours Rivera qu'on site en premier. C'est comme s'il n'y avait eu qu'un peintre au Mexique , non en fait , deux. Lui et Frida Kahlo.
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Frida Khalo ?
Me dis pas que que tu ne connais pas Frida Kahlo. Elle est dans tous les magasins. C'est un produit de choix pour le Mexique. Il y a des tee-shirts et des mugs à son effigie, des écharpes, des sacs à main Frida Kahlo et je ne sais trop quoi d'autres. Ça se vend comme des petits pains. Moi aussi je vends du Frida Kahlo. Regarde à côté de mes cigarettes, j'ai quelques magnets. Tu vois, c'est elle.
L'ombre s'approcha du panier posé sur les genoux de Pépé et regarda attentivement le magnet avec le portrait de Frida Khalo.
Ha oui, dit-il, je la connais. C'était la femme de Diego Rivera ?
Oui plus ou moins, ils ont été souvent ensemble et aussi souvent séparés. C'est que le gros Rivera, aimait courir le jupon. Un sacré queutard parait-il.
Tu en connais des choses dit l'ombre .Moi je savais pas ça.
Bah j'en sais pas plus qu’un autre mon garçon. Le plus étonnant c'est que toi tu ne le sache pas. Tu as pourtant été à l'école.
Oui bien sûr, mais je ne me souviens de pas grand chose .
Je vois ça.
Et puis j'aimais pas ça.
Tu as quand-même appris à lire j'espère.
Oui mais pas bien. J'aime pas ça n'ont plus.
De toute façon dit Pepe, qui prit une voix de philosophe, lire c'est pas fait pour les gens comme nous. Lire est une foutue connerie. On a bien autre chose à faire que passer notre temps avachi dans un fauteuil devant un bouquin comme un bon bourgeois. N'est-ce pas ?
J'aime pas lire répéta l'ombre pour toute réponse.
Tu m'achètes une clope dit alors Pépé qui ne perdait pas de vue qu'il travaillait.
D'accord dit l'ombre enjouée. J'ai gagné 11 pesos ce matin. Et il mis une main dans sa poche et en sortit sa pièce de cinq et de un. Les 11 pesos de la manche du matin étaient dans l'autre poche. 6 pesos, c'était le prix à payer pour se soulager les intestins et c'était aussi le prix pour s'encrasser les poumons!
Avant de prendre une cloque affirma Pépé, viens donc sous les arcades. Il fait trop chaud en plein soleil et moi je ne vends rien ici.
L'ombre suivit Pépé de l'autre côté de la place, sous les vieilles arcades de l'époque coloniale occupées par des vendeurs de timbres, des écrivains publics et des bouquinistes. Une fois dessous, la fraîcheur du lieu leur fit du bien. L'ombre acheta et fuma sa cigarette adossée à une des colonnes des arcades, en faisant attention à ne pas abîmer son sac à dos neuf. A ses côtés, tout en étant à l’affût des passants car c'était tous des clients potentiels de bonbons, de cigarettes ou de ces quelques malheureux magnets à effigie de Frida Kahlo, Pépé alluma lui aussi une cigarette avec sa seule main valide. Le temps s'immobilisa dans des volutes bleues jusqu'à ce qu'ils eussent fini leur cigarette sans se dire un mot.
Pépé dit enfin l'ombre, on est bien ici. Je voudrais toujours être comme ça.
Pour sûr qu'on est bien sous ces arcades, répondit Pépé. Je suis chez moi ici et n'ai aucune envie de quitter ce quartier.
Moi aussi, dit l'ombre, j'aime bien ma rue Emiliano Zapata et toutes les autres rues autour.
Oui mais moi au moins j'ai un toit, dit Pépé comme pour s'excuser. Toi, hélas, tu n’as rien.
C'est pas grave répondit l'ombre, j'aime quand-même ma rue.
Je comprends, fit Pépé. Mais c 'est quand-même pas une vie de pas avoir de chez toi. Un bon gars de ton genre, ça devrait dormir dans des draps tous les soirs. Tiens, prends donc une autre cigarette. Celle-là je te l’offre.
Merci Pépé dit l'ombre en se servant dans un des paquets ouverts posé dans son panier. Je la garde pour plus tard ajouta-t-il. L’ombre enleva son sac et mis sa cigarette dans la pochette intérieure. Par la même occasion il sentit l'odeur encore tiède du pochon de nourriture que lui avait offert Madame Teofila Orthez Diaz et cela lui ouvrit l'appétit. Elle se dit qu'elle avait encore le temps d'attendre. Si elle pouvait atteindre cette petite terrasse avec ces deux fauteuils dont on lui avait parlé, elle serait confortablement installée pour manger en paix.
Pépé demanda-t-elle, tu connais la librairie de la rue Venezuela. Il parait qu’il y a une super terrasse qui donne au-dessus du Templo Mayor ? Je ne sais pas comment monter.
Ha tu as entendu parler de cet endroit. Oui moi je connais. J'y suis allé plusieurs fois, mais je vends rien. Il y a que des touristes, des intellos à gogo et des gens snobs qui me regardent à peine. C'est quasiment impossible que tu y arrives tout seul, il faut prendre un ascenseur et il y a un vigile qui le surveille.
Ah je savais pas? comment je pourrais faire ? T'aurais pas un plan.
Moi je pourrais monter. Mais toi. Tu as vu dans quel état tu es ? faudrait d'abord que tu changes de fringues.
J'ai rien d'autre dit l'ombre déçue car il se voyait déjà tranquille en train de manger assis dans un des deux fauteuils. Tant pis dit-il, je vais trouver autre chose.
Bah non mon garçon, s'exclama Pépé, faut pas abandonner la partie aussi vite. Tiens, je sais ce qu'on va faire. Peut-être que ça va marcher. Viens, je t'accompagne et t'explique.
Le plan de Pépé était très simple, puisque lui pouvait monter, il suffisait que l’ombre l'assiste dans ses déplacements. Pépé avait une carte d’handicapé autour du cou, de ce fait, on pouvait rarement lui refuser le passage.
Pépé était un retraité approchant les quatre- vingts ans. Il avait travaillé toute sa vie et avait-été mis à la retraite à 65 ans avec une pension ridicule qui lui permettait à peine à payer son loyer et ses charges. Comme si cela n'avait pas suffi, deux ans plus tard il fit un avc. Il n'avait plus qu'une jambe et un bras valides et il n'entendait plus que d'une oreille. Mais il se démonta pas. La mort n'avait pas voulu de lui et d'ailleurs il s'en foutait au point de lui faire un pied de nez. Il fit donc des démarches pour avoir son statut d’handicapé et celui de vendeur ambulant. Malgré son accident cérébral et sa petite retraite, Pépé ne se disait, ni vaincu par l'existence, ni malheureux. Certes il travaillait encore toute la journée dans la rue, mais il n’était pas une ombre. Avoir un chez soi, vous donne une certaine visibilité d'homme honnête et respectable dont il était assez fier. Comme c’était un vieil homme curieux et plutôt généreux, pas toujours, parfois, comme on vient de le voir, il côtoyait facilement les ombres de son quartier. A force Pépé les connaissait toutes et celles-ci l'aimaient bien. Aucune d'entre elles ne venait lui chercher des noises. Et puis, Pépé ne l'oubliait pas, grâce à une association d'aide aux handicapés, il avait pu obtenir un fauteuil roulant électrique. Alors aider une ombre, il le faisait volontiers. En quelque sorte, depuis qu'il les connaissait, les ombres faisaient partie de sa famille et bien souvent c'est lui qui leur remontait le moral.
La nôtre marcha donc à côté du fauteuil roulant, sans le pousser. La douleur la reprenait au pied. Cependant avec moins de virulence. Cela ne lui vrillait plus l'esprit à chaque fois qu'il mettait un pied l'un devant l'autre. Pépé s'arrêta deux fois ce qui lui fit du bien. Une fois pour vendre deux cigarettes à des écoliers qui étaient à peine en âge de fumer et une autre fois à une femme qui acheta des bonbons pour sa fille qui eut peur de l'ombre et n'osa s’approcher de Pépé qu’une fois qu'elle s'en fut écartée. Ils arrivèrent bientôt derrière le Temple Mayor et la cathédrale. La librairie était située juste à côté, au rez-de-chaussée. Pépé fit rouler son fauteuil par l'entrée latérale, car signifia-t-il à l'ombre c'est ici que se trouve l’ascenseur. Ensuite lui dit-elle , tu prends les deux poignées de mon fauteuil, tu le tournes et quand la porte de l’ascenseur s'ouvre, tu rentres le premier en me tirant à l'intérieur. Mais au dernier moment, je fais comme si j'avais oublié quelque chose et je ressors. Toi, tu n'as plus qu'à appuyer sur le bouton du deuxième étage et hop ,ni vu ni connu, tu te retrouves sur la terrasse. Pigé !
Quand il les vit rentrer dans la librairie, le vigile fit un geste vers eux pour leur interdire le passage. Pepe, lui montra alors sa carte d'handicapé accrochée au cou et l'homme se rétracta. Il leur fit même un sourire amical.
Il mirent leur stratagème en place qui fonctionna à merveille. D'ailleurs cela avait été facile à exécuter car le vigile, ne les surveillait plus. Il était déjà occupé à contrôler deux autres clients. Pepe quitta la libraire et s'en retourna sur sa place.
Soulagée que tout roule comme sur des roulettes, l'ombre monta au deuxième étage et quand la porte de l'ascenseur s'ouvrit, il se trouva face à une grande terrasse ombragée où seulement trois tables sur une vingtaine étaient occupée par des clients. A l'autre extrémité de la terrasse il y avait le bar et la cuisine où pour l'instant, aucun employé n'était présent. Derrière cette première terrasse, il y en avait une deuxième, jamais utilisée d'après les affirmations de l'ombre qui lui avait donné ce plan. Elle y fonça et jeta son sac à dos dans l'un des fauteuils situé sous un mur sur lequel il y avait imprimé une photo de José Vaconcelos. Et à côté de cette photo, était écrit en gros caractère une de ces phrases les plus célèbres.
L'ombre la remarqua et leva son doigt dans sa direction. Comme le font certains enfants qui apprennent à lire, de l'extrémité de ce même doigt elle la déchiffra lettre après lettre, puis phonème après phonème et enfin mot après mot, jusqu'à ce qu'elle voie à peu près l'ensemble. Après plusieurs essais infructueux, elle réussit à lire la phrase d'un seul tenant sans se tromper. Seuls les livres peuvent sortir ce pays de la barbarie. Il l’apprit par cœur tout en se demandant le sens exact de la phrase. Livres. Barbarie. Qu'est-ce que faisaient ces deux mots à un bout et à l'autre bout de cette phrase? Il sentait ce que l'homme avait voulu dire mais c'était flou, et puis il n'était pas là pour disserter, mais pour manger tranquillement. Il sortit de son sac ses tacos et son pochon de nourriture que lui avait donnés madame Teofila Ortez Diaz et l'avala de bon appétit, puis elle détendit tous ses membres, bâilla et ferma les yeux. Enfin rassasiée et apaisée, elle s'apprêta à passer une agréable petite sieste.
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Il n'est certes pas aussi célèbre que Che Guevara, Castro, ou Trotski qui vécurent aussi à Mexico, mais pour de nombreux Mexicains et les passionnés de ce pays, il est loin d'être un inconnu. Qui est donc ce José Vasconcelos ? Si on va sur un moteur de recherche, on trouvera de nombreuses références. Il est né dans la ville de Oaxaca, devint avocat et participa à la révolution mexicaine. En 1920, sous la présidence d'Alvaro Obregon, il créa et dirigea le ministère d'éducation publique (SEP). Là même où l'ombre admira les œuvres de Diego Riviera. Sous son impulsion, d'après Wikipédia, le taux d'alphabétisation des plus de 10 ans passa de 1924 à 1930 de 25% à 51%, et le nombre d'écoles rurales est triplé. Il travailla en faveur d'une éducation de masse, créa des réseaux de bibliothèques, des missions culturelles, des maisons du peuple, ce qui lui valut le surnom de, "Le Maestro de la jeunesse d'Amérique".
Même s'il n'a sans doute pas rencontré Trotski, qui à cette époque à côté de Lénine avait d'autres chats à fouetter, (ceux, marins de Cronstad et ceux, anarchistes de la bande à Makno , entre autres), il partage avec lui, la nécessité dans un pays socialiste de donner toute la liberté d'expression aux artistes. Pour Trotski, il est légitime de se demander s'il aurait mis en pratique cette très bonne idée - mais on ne le saura jamais car le Petit Père des peuples ne lui laissa pas le choix - Vasconcelos qui représentait pourtant l'Etat, lui, ne se dégonfla pas.
Les peintres, Jean Charlot, Firmin Revueltas, Ramon Alva de la Canal, Fernando Lea et ceux qu'on appelait déjà "les très grands", José Clément Orozco, David Alfaro Siquieros et Diego Riviera, tous montant des échafaudages, lavant, blanchissant, enduisant des murs, côte à côte, parfois se filant des coups de main, peignaient comme des fous et créèrent l'un des plus grands mouvements esthétiques du 20ème siècle, le muralisme. Plus tard, peut-être par jalousie, certains appelèrent ces peintres les "évangélistes culturels de Vasconcelos". Des évangélistes qui avaient toute liberté de peindre ce qui leur passait par la tête et qui ne s'en privèrent pas.
Vasconcelos est aussi écrivain et penseur . Son livre le plus connu est "La race cosmique", dans lequel il expose qu'est venu le temps de l'union de tous les hommes en une cinquième race universelle fruit des précédentes et surmontant tout le passé. Bref, ce sympathique José Vasconcelos méritait amplement qu'on lui consacre ces quelques lignes.
On s'en doute. Notre ombre n'avait aucune connaissance de la biographie de Vasconcelos et c'était le cadet de ses soucis. Elle faisait la sieste, elle rêvassait et elle s'était rarement sentie aussi heureuse. Dans sa rêverie, elle voyait des couleurs joyeuses qui se mélangeaient avec les mots de cette phrase apprise par cœur. Une brosse à dents lui traversa l'esprit, et des Indiens la brandissaient en lieu de fusils dans un tableau de Diego Riviera. Madame Teofila Ortez Diaz se transforma en princesse aztèque trônant au bout d'une table couverte de mets succulents. Pepe se tenait debout à côté d'elle et lui faisait un clin d’œil. Des fumées de cigarettes enrobaient la place Santo Domingo, et l'ombre nageait dans une mer d'un bleu aussi onctueux que de la crème chantilly. D'autres images lui venaient encore et les mots livres, barbarie se transformaient en chanson. Sa rêverie n'avait pas de fin, elle s’amplifiait jusque dans sa respiration de plus en plus calme. Un souffle de fraîcheur balaya la terrasse et son visage. Une promesse de caresses et d'amour étaient des mots qui s'inscrivirent dans sa tête venus d'une autre planète que celle de la rue Emiliano Zapata. Oui, une promesse de caresses et d'amour, qui, sur ce visage retrouvant un instant tout le charme de sa jeunesse, esquissait un sourire de bien-être.
Puis ce fut le trou noir et la débâcle du rêve. On le secouait sans ménagement et l'ombre ouvrit les yeux.
Il y avait un homme portant un tablier et une toque blanche, sans doute le chef cuisinier, une jeune femme en jean et en chemisier, certainement une serveuse et puis le vigile. Pas un n’ avait de la sympathie pour l'ombre, cela se voyait à leurs regards noirs.
Qu'est-ce que tu fous là sale pouilleux, lança le vigile .
L'ombre sentit le danger qui le menaçait, il se leva promptement. D'un coup le jeune homme endormi prit vingt ans dans sa gueule fracassée par un vilain rictus de haine, et il fit le dos rond comme un chat noir. Le chef cuisinier et la serveuse reculèrent d'un pas. Ce n’était pas le cas du vigile. Il domina l'ombre de toute sa présence athlétique et menaçante. L'ombre se radoucit, tenta de parler avec une petite voix, Il y arriva presque.
Bah quoi, je faisais juste une petite sieste dans ce fauteuil. IL n'y a pas de mal à ça dit-il en prenant un air soumis.
Tu n'as rien à faire ici répondit le vigile avec fermeté. Tu vas dégager tout de suite, avant que je m'énerve. Compris ?
Derrière l'homme, le chef cuisinier et la serveuse hochaient la tête. Ils avaient retrouvé tout leur aplomb. On aurait dit de bons petits soldats prêts à jeter l'ombre par dessus bord au premier signe de leur général.
L'ombre avait du mal à jouer le jeu. Il croyait dur comme fer qu'il ne faisait rien de mal. Il s’efforça de garder son calme.
D'accord, mais on n'est pas aux pièces dit-il en remettant son sac à dos. Je vais m'en aller dans un moment.
Le vigile s'approcha et agrippa l'ombre par la bretelle de son sac. Pas question d’attendre dit-il, tu dégages maintenant.
D'accord, d'accord, vous énervez pas, j'y vais tout de suite. Mais lâchez- moi, je n'ai rien fait de mal quand-même répéta-t-il !
Mais le vigile n'écoutait pas. IL secoua l'ombre, tentant de l’entraîner vers la sortie. L'ombre ne résista pas. Il repensait à l'autre ombre qui lui avait dit de rester toujours sur ses gardes et de ne pas se laisser submerger par ses émotions. Il tenta même un sourire, mais c'était raté. Le vigile la tenait maintenant par l'épaule et la bretelle du sac, et pour faire bonne fortune une fois sur l'autre terrasse, il lâcha l'ombre et celle-ci en profita pour s'écarter et buter contre la table où un couple lisait leur journal devant leur jus de fruits. Le vigile en profita pour le rattraper.
Excusez- nous dit-il à ce couple en faisant son plus beau sourire de bovin.
Toujours derrière lui, la serveuse et le chef cuisinier grimaçaient et s'énervaient. Qu'il se casse fissa ce clodo puant. Nous on veut travailler. Ils se dirent ça, super soulagés de la suite des événements, car le vigile poussait cette loque vers l'ascenseur, et quand la porte s’ouvrit, le vigile balança l’ombre à l’intérieur de la cabine où elle se cogna contre la paroi du fond en faisant un bruit sourd suivi de son écho, écœurant aurait pensé une personne si elle avait vu la scène. Mais le vigile avait agi avec cette violence parce qu'il n'avait vu personne.
En fait si, il y avait une personne qui vit cette scène. Un homme seul à sa table devant son ordinateur et son café, un écrivailleur, moi, et qui leva la tête de son ordinateur quand la porte de l'ascenseur se referma sur l'ombre et le vigile.
Rue Regina
C'est mon deuxième voyage en Amérique latine, c'est aussi le deuxième livre à partir de mon blog un carnet (latinoamerica) que je suis en train d'écrire. J'avais envoyé le manuscrit du premier à deux éditeurs et j'avais reçu deux réponses négatives. Hier encore en ouvrant mes mails dans la chambre de mon hôtel de Mexico, rue San Marcos, j'avais reçu une troisième réponse accompagnée d'un mot me disant qu'il (il c'est qui ? Disons le responsable du comité de lecture) avait lu avec attention mes histoires de voyage. Il y avait de très bonnes choses là-dedans. De plus, vous avez trouvé une unité de temps et de lieu et blablabla, et ce responsable de comité de lecture m'avait sorti toute sa science sur la théorie aristotélicienne de l'esthétisme, et en concluait en citant une unique phrase sur les 250 pages de mon livre. Celle-ci, on la voyait arriver avec ses gros sabots, elle était téléphonée, vraiment, ce c'est pas comme ça qu'il faut écrire. Il ajouta, vous comprendrez que je ne peux pas vous en dire plus car je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer. J'ai de nombreuses autres d'obligations. Nous ne pouvons accepter votre manuscrit. Si vous voulez le récupérer, il est à votre disposition à l'adresse de notre maison d'édition. Mes salutations amicales.
C'était tout. Salopard. J'avais usé sang et larmes et aussi pris un immense plaisir pendant des nuits pour travailler ce livre et en quelques mots on le jetait aux oubliettes. Mes espoirs de publier ce bouquin devenant de plus en plus incertains, je ne suis pas au mieux de ma forme. Pour tout vous dire, je déprime sérieusement. Je ne suis qu'un écrivailleur qui erre dans la ville de Mexico avec ses bleus à l'âme et ses doutes.
Et parmi ses doutes, j'en ai un, au risque de vous faire bâiller d'ennui, sur lequel je me permets d'intervenir car pour moi il est crucial. La ponctuation. Après promis, je n'en parlerai plus.
Un de mes copains, shérif, qui a publié 5 ou 6 très bons livres, et à qui j'avais passé mon manuscrit, m'avait dit, si tu veux que ton livre sorte, il serait préférable que tu reviennes à une ponctuation plus classique. Utilise les deux points, le point virgule et le tiret à la ligne pour les dialogues. Tu verras ça ira beaucoup mieux. D'autant plus qu'avec ta manière de faire, je vois pas très bien ou tu veux en venir.
Shérif n'a sans doute pas tort. Moi non plus je ne vois pas trop où je veux en venir. Seulement pendant des années, surtout avant l'avènement des ordinateurs, j'écrivais essentiellement à la main et j'avais mis au point une technique. J'écrivais sans aucune ponctuation. La ponctuation m’emmerdait trop. Elle cassait le flux de mes mots et m'empêchait d'avancer. Pour donner du rythme à mes textes, j'avais donc remplacer la ponctuation par des espacements différents entre les mots. Un point c'était trois espacements entre deux mots, une virgule, un point-virgule et les deux points, c'était deux espacements. Et pas de tiret à la ligne pour les dialogues, seulement trois espacement comme pour le point. Et puis parfois j'ajoutais des demi espacements, ou j'en mettais quatre quand je voulais une respiration plus longue. A force, devant mes yeux, j'en était arrivé à ne plus voir une feuille de papier sur laquelle j'écrivais, mais une partition de musique. Et que voulez vous que je dise à Shérif ? On ne met pas de deux points, point virgule ou de tiret à la ligne sur une partition. On pose des notes. C'est ça que je faisais plus ou moins consciemment, j'écrivais des notes de musique sous forme de mot. Quand j’ai eu mon premier ordinateur, impossible d'utiliser cette technique, mais dans ma tête, une fois pour toutes, j'en avais fini avec les deux points, le point-virgule et le tiret .
Aujourd'hui comme je vous l'ai déjà dit, je doute. Ce serait tellement plus facile d'écrire comme tout le monde. Je pourrais faire un effort, ce n'est pas quand-même pas la mer à boire. Il y a de nombreux écrivains que j'admire, dont Shérif, qui écrivent ainsi. Je n'avais qu'à faire comme eux et tenter ma chance.
Bah non, j'ai tenté et ça ne marche pas. Je ne cherche pourtant pas à être original, loin s’en faut, les originaux m'ayant toujours paru sans profondeur. Tout simplement, je peux pas faire comme les autres car je vois toujours une partition de musique.
Je continue donc à écrire comme bon me chante !
. J'ajoute une nouvelle fois au risque de vous voir encore bâiller d'ennui que ma situation n'est pas des plus grandioses, voyez vous-même. Je n'ai pas de patrimoine et je n'ai jamais voulu, ni pu acheter de maison ou d'appartement. Parce que je vis à Paris, je n'ai pas eu besoin de voiture, mon seul bien est un vélo depuis 30 ans, et donc bien avant que les bourgeois pas bohèmes (les bo-pas-bo comme dirait un copain) se mettent à pédaler en pleurnichant sur la fin du monde que pourtant ils sont les premiers à avoir saccagé. Même si je suis souvent amoureux, je n'ai pas de petite amie, je suis donc seul. Je n'ai pas non plus de fric. Je n'en ai jamais eu beaucoup et ma retraite de postier est presque aussi minable que celle de Pépé, elle me permet à peine d'avoir la tête hors de l'eau. A mon âge, j'ai déjà des milliers d'heures de vol et il ne m'en reste sans doute guère avant de tirer ma révérence, et puis surtout, à part dans des revues confidentielles, je n'ai jamais été édité. Hé bien, croyez le ou pas, j'en ris de bon cœur. Depuis que j'ai commencé à bosser à 17 ans ce qui coïncide avec mes premiers textes, j'ai su qu'il fallait en passer par une certaine dose de solitude, un bon degré de dépouillement, et n'attendre aucune reconnaissance de qui que ce soit pour arracher le verbe du carnage de la terre. C'est une condition préalable à l'écriture (la mienne en tout cas). Alors ce n'est pas un petit chef de comité de lecture parisien qu'allait m'empêcher d'être chaque jour devant ce clavier. Je déprime mais j'ai du répondant, je ne suis pas encore mort, j'ai la rage et je vais remonter le courant. Éditeurs vous allez en souper de mes histoires. Je n’arrêterai jamais de vous les envoyer.
Voilà c'est dit.
Trois mois que je suis au Mexique. Jusqu'ici, j'ai fait le classico des voyageurs en sac à dos. Je suis arrivé à Cancun au milieu des Américains et des Canadiens qui viennent en hiver s’y prélasser en masse et je n’y ai pas perdu de temps . J'ai filé directement dans la capitale du Yucatan au milieu des terres et au cœur du soleil, Merida. Et là je me suis senti mieux. Je me suis même mis des claques pour savoir si je ne rêvais pas. En Europe, cela faisait deux ans qu'on nous confinait, déconfinait, reconfinait. Je n'avais jamais vu sur nos écrans de TV défiler autant de spécialistes en virologie, à se demander si tout le monde n'était pas virologue. Aucun journaliste ne leur demandait jamais leurs liens avec les firmes pharmaceutiques. Mais pourquoi le leur demander puisque ces seigneurs de la santé détenaient la sacro-sainte vérité scientifique !
La vérité c'est que le pouvoir avec l'aide de leurs amis médecins-militaires (plus militaires que médecins) menaient une guerre contre nous. Ces types bouffis d’orgueil qu'on avait sortis de leur cabinets dorés nous ordonnaient quand sortir, quand rentrer, nous ordonnaient même de ne plus nous parler car parler à autrui est irresponsable. Et le petit président entouré de ses zozos en blouse blanche, nous interdisait de faire du vélo ! ! Si si, aussi stupide que cela paraisse, ils nous ont interdit d'enfourcher nos petites reines. Comme cela ne suffisait sans doute pas, on dépensait un fric monstre pour faire tourner des hélicoptères de la police pour surveiller les montagnes, les plages et les côtes, afin d’empêcher qu'un homme ou une femme solitaire n’y propage sans doute le virus à la planète entière. Il y a même eu des bœufs avinés néofascistes (ils votent à plus de 70% pour l’extrême droite) qu'on appelle flics qui au nom de la République, fouillaient les sacs de courses des femmes et s'ils y trouvaient une boîte de tampons hygiéniques leur dressaient un procès-verbal car cela ne faisait pas partie de leurs besoins prioritaires ! Et que dire de tous nos jeunes dans les banlieues qui se sont retrouvés avec des dizaines d'amendes impossibles à payer que ces mêmes bovins avinés néofascistes leur distribuaient avec un plaisir sadique non dissimulé parce que à 18h et cinq minutes, ils n'étaient pas rentrés dans leur logement dont on sait qu'ils sont souvent exigus et surpeuplés.
Ce qui nous a rendus malades, ce n'est pas tant ce virus, que toute la machine de guerre de l'état organisée pour taper, punir, infantiliser, décerveler, afin de nous rendre aussi dociles et obéissants que leurs flics.
Et puis il y a eu les couvre-feux (comme pendant la guerre), les vagues 1,2,3,4 et les vaccins 1,2,3,4, les pass sanitaires, un président de droit divin qui prend des décisions seuls, nos libertés rognées et ils atteignirent enfin leur but. Des millions de gens furent tétanisés de peur, ce qui veut dire qu'on peut en faire ce que l'on veut. L'enfer !
Et l'enfer porte un nom
Emmanuel Macron
Je sais ce qu'on va me dire. Et toi, qu'est-ce que tu aurais fait à sa place ? On était dans l'inconnu et il y eu des millions de morts dans le monde, il fallait bien prendre des décisions énergiques. C'est ce qu'a fait avec courage notre président.
Tu parles d'une question/réponse. Dans quasiment tous les pays on a pratiqué la même politique et celle -ci a consisté avant tout à supprimer des libertés et à attiser les peurs. Quant à l'infantilisation d'un peuple, ceci a bien été une spécificité française.
Vous voulez quand-même savoir ce que j'aurais fait ? Et bien c'est très simple. Prim J'aurais investi des milliards d’euros pris dans les portefeuilles des actionnaires, sur le budget de l'armée, dans les banques et les paradis fiscaux pour l'investir dans un grand truc de santé publique. Et pas seulement à l'échelle de la France ou de l’Europe mais de la planète. Voici ce que j'aurais fait, et ce qu'il faut faire à l'avenir!
Deuze. J'aurais fait confiance aux gens. Ce n'est quand même pas ce qu'il y a de plus compliqué ! Nous sommes assez grands pour nous protéger nous-mêmes. Les médecins n'ont pas tous le doigt sur la couture pour dire ce que veut entendre le pouvoir. Une grande majorité font leur travail de façon admirable. Dans nos quartiers, avec leur concours, on aurait pu s'organiser, aider les plus faibles, prendre des mesures concrètes partagées par la majorité. Et même parmi les flics, bien qu'ils soient de moins en moins nombreux, il n'y a pas que des bœufs avinés néofascistes, il y a aussi des femmes et des hommes de qualité, des républicains, qui font ce métier parce qu'ils pensent qu'ils sont au service de la population. Eux aussi ils auraient pu nous filer un coup de main. Je n'ai pas la science infuse, certes, mais comme des millions d’autres gens, je pense. L'intelligence collective ça existe ! Des décisions, il y en avait des dizaines d'autres possibles à prendre. Il fallait simplement nous faire confiance. Mais qu'un pouvoir fasse confiance à son peuple, vous avez déjà vu ça, vous ?
Je crois que certains sont encore sceptiques. Que pourrais-je vous dire d’autre?
La peur c'est le début de la terreur. Et un gouvernement qui gouverne par la terreur, cela s'appelle le fascisme. Vous me trouvez trop excessif ? Puisque je suis en Amérique latine, demandez donc aux Chiliens, aux Brésiliens, aux Argentins, aux Uruguayens aux Péruviens, aux Guatémaltèques qui ont tous connu des régimes militaires et fascistes, soutenus à bout de bras par la très démocratique Amérique. Vous verrez ce qu'ils vous répondront . Plus jamais de larmes de sang. Nunca mas.
Quand-même, vous allez encore me dire en Europe, nous n'en sommes pas là.
C'est vrai. Mais faites gaffe les amis, nous y courons à toute vitesse.
Je me mets donc des claques. Non je ne rêve pas, je suis bien à Mérida, capitale du Yucatan, Mexique et j'ai laissé ce bon vieux monde derrière moi.
J'ai amené mon ordinateur. J'écris mes petites histoires et je me balade.Après Mérida, je rejoins l'état du Chiapas où je passe Noël à San Cristobal. Ensuite je vais passer la nouvelle année à Oaxaca avant d'aller sur la côte Pacifique...Oui tout à fait, el classico des voyageurs en sac à dos. Deux mois que je suis au pays de Tierra y libertad, je me dépoussière progressivement de toutes les saletés accumulées pendant ces deux ans de malheur. J'en oublie presque mon pays. Je me rends compte qu'il me reste quand-même des traces. Par exemple, j'ai moins d'énergie, et je crois beaucoup moins à ce que j'écris. Je deviens vide exactement comme beaucoup de mes amis et moi-même nous nous sommes sentis pendant ces confinements. Je ne me suis donc pas dépoussiéré totalement du passé, j'arrive au Mexique encore chargé à bloc par ce servage confiné qu'on nous a fait subir. C'est pourquoi devant mon clavier, il me semble que j'ai un boulet accroché à chacun de mes doigts. Mes mots sont lourds, d'une lourdeur paralysante, je n'en reviens pas. Bien sûr, je n’abandonne pas ! Un carnet (latinoamerica) va continuer et même si pour l'instant c'est un peu poussif, dans quelques mois avec beaucoup de travail, ça devrait revenir, en tout cas, j'y crois.
Et mes amis sont arrivés de Grenoble. Rachel et Sylvain.Depuis longtemps, ils rêvaient du Mexique.
On s'était rencontré en Colombie lors de mon premier voyage et à la suite, d'un concert de rock dans le sud du pays, Sylvain s'était cassé le talon. Dans la clinique où nous l'avions conduit d'urgence le chirurgien l’avait salement charcuté. Presque 3 ans plus tard, il boite encore. Il n'empêche que tous les deux possèdent une ardeur de dingue, une incroyable curiosité et un amour vrai pour les latino-américains. Pendant les 3 semaines de leur séjour, je n'écris pas une ligne, je n'en ai pas le temps. Ils discutent en permanence avec les Mexicains, goûtent à tous leur produits sur les marchés, trouvent chaque soir une fête loin des foules de touristes, s'intéressent à la vie politique locale . Un soir ils dégotent du mescal au cannabis, un autre des champignons hallucinogènes mélangés avec du miel, et encore un autre, la meilleure cocaïne de la ville, et tout ça se fait en boitant, en riant, en profitant de chacun de leurs instants pour emmagasiner une foule de sensations nouvelles. Eux aussi, ils avaient besoin de s’échapper de ce qu'on avait tous vécu de bassesse et de relent de fascisme. Quand on s'est quitté, j'ai pu enfin souffler. Mais aussitôt, ils m'ont manqué.
J'espère qu'ils reviendront me voir au cours de ce voyage.
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Après leur départ , Je suis passé au Guatemala pendant 4 semaines et je suis resté autour du lac Atitlan dont on dit qu'il est le plus beau du monde - mais vous n’êtes pas obligé de le croire. J’avais trouvé une chambre dans un village indien San Pedro au pied du volcan du même nom. Il y avait beaucoup de néo hippies assez sympas ainsi que des retraités. Beaucoup d'hommes seuls qui avaient bourlingué pendant des décennies en Amérique latine. C'étaient surtout des Canadiens français et des Américains. Des types plutôt courageux. Ils étaient en bout de course, avaient mal partout, certains marchaient péniblement avec des cannes, ils parlaient peu, se mélangeaient avec les Indiens, j'en ai rencontré plusieurs. Je n'ai rien écrit sur eux. Autour du lac Atitlan était aussi concentrée une communauté d’Israéliens et les Israéliens sont insupportables. Ils ne parlent qu'en hébreu et en anglais, organisent leurs fêtes religieuses dans la rue de San Pedro, n'ont aucune sympathie pour les locaux. Ils ont leur propre bateau, le Tel Aviv, transformé en discothèque qui les promène sur le lac, et ils crient, hurlent, se trémoussent et se soûlent en s'en foutant complètement qu'ici certains Indiens crèvent encore de faim. On dirait qu'ils ont tous les droits ces salauds comme s'ils étaient toujours dans les territoires occupés. Il y a toujours des exceptions, j'en conviens. Mais de tous les voyageurs que j'ai rencontrés pendant mes pérégrinations à l'étranger, ceux-là ont toujours été les pires.
Quand, je suis retourné à Mexico, j'ai donc décidé d'écrire une histoire qui se déroule au Guatemala, à San Pedro, une histoire de touristes israéliens. J'avais déjà le titre, "Tsahal en goguette". Tsahal est le nom de l'armée israélienne et la plupart des jeunes qui voyagent en Amérique latine le font après leur service militaire. Ils reçoivent un pécule de Tsahal pour avoir défendu leur pays pendant 2 ans, puis ils s'en vont se bourrer la gueule à l'autre bout du monde. Ce que je peux comprendre si c'est fait en respectant les autochtones. Sauf qu'ils n'ont aucun respect et ce fric de l’armée est surtout taché du sang des palestiniens.
J'écris donc "Tsahal en goguette", la vie d'un jeune Israélien qui veut échapper à tout ce bazar. Il a honte de son pays, atterrit au Pérou où il tombe amoureux d'une péruvienne qui l'aide à apprendre l'espagnol. Puis ils décident de voyager et de découvrir l'Amérique latine. Arrivés au lac Atitlan, ce jeune couple d'amoureux descend dans le même hôtel que moi. On sympathise. J'apprends que c'est un Israélien pro palestinien et qu'en fait il a déserté Tsahal. La police de son pays le recherche.
Et alors ?
Alors rien, je n'ai pas la suite.
Depuis quelques jours j'écris cette histoire à Mexico. Chaque fin de matinée, je vais sur cette terrasse qui surplombe le Temple Mayor et la cathédrale. Je vois aussi une partie de la place de la Constitution qu'on appelle plus communément le zocalo. Aujourd'hui encore, j'allume mon ordinateur, commande un café et j'écris.
Mes doigts traînent des boulets de taulard, j'avance laborieusement. Peut-être que je suis trop à fond dans cette histoire, je n'arrive ni à trouver une bonne respiration ni la bonne distance avec mes personnages. J'ai le nez sur mon écran, je pense au mail de refus de cette maison d’édition, je ne suis pas au mieux de ma forme et je n'arrive plus à me concentrer. C'est à ce moment -là que j'entends un bruit sourd suivi de son écho et que je lève la tête. Je vois l'ombre de dos et le vigile qui rentre dans l'ascenseur. La porte se referme.
Je prends alors une décision. Cette histoire de Tsahal en goguette ne tient pas la route. Je la sauvegarde quand-même et ouvre un nouveau fichier. Les premiers mots viennent.
Une fois la porte de l’ascenseur fermée, l'ombre se tourna vers le vigile, la main sur sa bouche. Il avait la lèvre supérieure coupée et du sang lui coulait entre les doigts.
***
Ca va pas dit l'ombre. Tu n'avais aucune raison de me pousser. Maintenant je saigne.
L'ombre se suça les doigts puis les sécha sur son sweet déjà passablement taché de graisse. La plaie n'était pas profonde et il ne sentait pas de douleur. Ce qui était plus douloureux c'était ce sentiment de vexation et d'être en permanence en prise avec la gratuité de la violence. L'ombre se voyait en punching-ball sur lequel on pouvait taper sans aucune raison. La colère commençait à le submerger , il la maîtrisa tant bien que mal. En face de lui, le vigile gardait le silence. La gratuité de son geste, il concevait qu'elle était déplacée, que cela n'en valait pas la peine. C'était beaucoup de bruit pour pas grand- chose. Mais bon pensait-il, j'ai un statut à défendre , celui d'être un bon vigile. C'est de ma faute si ce sale gosse a réussi à monter sur cette terrasse. Je n'ai pas envie de perdre mon job à cause de cette crasse. Et puis qu'est- ce que j'en ai à faire ? Ce type c'est rien.
Il lui fit un sourire bête, tout en bombant le torse, sa musculature dominant toujours l'ombre d'une menace latente.
Tu n'avais rien à faire sur la terrasse José Vasconcelos dit-il, rien à faire là-haut. Que cela te serve de leçon. Et maintenant tu vas déguerpir au plus vite.
L'ombre regarda le vigile dans les yeux, puis les baissa. Elle entendit le clic caractéristique du passage de l'ascenseur d'un étage à l'autre, ils arriveraient bientôt au rez-de-chaussée, quelques secondes encore. L'ombre se repassa la main sur sa lèvre. Il saignait encore et il s'obligea à se sucer une nouvelle fois les doigts. Le vigile resta collé le dos à la porte, un peu embêté quand-même. Il n'avait en face qu'un jeune homme, presque un enfant, plutôt gringalet et de toute évidence, en mauvaise santé physique. Quand la porte de l'ascenseur s'ouvrit, il lui fit un visage sévère et lui dit, dégage maintenant, je ne veux plus jamais te revoir ici. Et tu diras à ton compère en fauteuil roulant que c'est fini aussi pour lui. Plus jamais il ne montera sur cette terrasse. Allez casse-toi.
Le vigile laissa sortir l'ombre en premier qui se dirigea sans rien dire vers la porte de sortie tout en gardant sa main sur sa lèvre, tandis que le vigile marcha d'un pas dominateur vers la librairie.
Au moment où il atteignit l'entrée, l'ombre se retourna. Le vigile était de dos , il ne faisait déjà plus attention à elle comme s'il ne s'était rien passé ou pire encore, comme si le vigile avait juste écrasé une mouche dont il avait oublié l'existence l'instant d'après. C'était le moment.
L'ombre courut et de toutes ses forces d'un coup d'épaule dans le dos, il fit basculer le vigile sur la première table couverte de livres . Un craquement sec se fit entendre. Sous son poids, la table se cassa et les livres volèrent et s'éparpillèrent autour du vigile. Tous les clients et les caissières levèrent les yeux et virent ce monceau de muscles au visage rouge de colère à quatre pattes qui tentait de se relever. L'ombre lui adressa alors un coup de pied dans l'entrejambe qui le fit hurler de douleur.
Tu l'as bien cherché espèce de fils de pute, hurla-t-elle .
Puis elle regarda autour d'elle, vit un livre qui semblait pouvoir lui rapporter quelques centaines de pesos, le ramassa et le tenant à la main, elle disparut.
Enfant de salaud cria le vigile qui malgré la douleur réussit à se relever et en boitant et sautillant, une main entre ses jambes, se dirigea à son tour vers la rue. Il regarda à gauche et à droite, il n'y avait déjà plus personne.
C'était l'avantage d'être une ombre. Puisqu'elle n'était rien, personne ne la voyait. Elle s'était dissoute dans la ville. Le vigile ne chercha pas à la poursuivre, tout piteux, elle fit demi-tour et constata les dégâts. Une table de cassée et un livre volé.
Cette sous-merde. Je suis sûr qu'elle ne sera même pas quoi en faire, pensa t-il en se massant les testicules.
Le vigile avait tort. L'ombre savait ce qu'elle allait faire. Après avoir couru, elle prit un passage et rejoignit une autre rue, elle avait soigneusement mis dans son sac à dos ce livre encore recouvert de son film plastique. Puis elle se dirigea vers la place Santo Domingo où Pépé à l'ombre des arcades avait repris son travail.
Mais qu'est-ce qui t'est arrivé dit Pépé quand il vit le sang qui coulait encore de la lèvre de l'ombre.
L'ombre ne répondit pas. Les mots ne lui venaient plus.
Bah quoi mon garçon. Faut pas te laisser abattre comme ça. C'est pas la fin du monde. Allez dis-moi, qu'est-ce qui t'est arrivé ?
L'ombre continua à garder le silence. Son corps résistait, tous les ressorts semblaient s'être arrêtés en même temps. Une machine émotionnelle en grève. Plus rien ne voulait bouger. Une tétanie totale. L'ombre ne sentait rien, ne vivait rien, ne possédait plus de langage ni de facultés à comprendre ce qui lui arrivait.
Elle était morte. Vivante, mais enfermée dans la mort, la sienne, une petite mort que personne de toute façon n'intéressait. Elle mourrait vivante sans pouvoir appeler au secours, sans aucun mot possible qui lui sortait du ventre. Elle s'accrocha alors à l'accoudoir du fauteuil roulant de Pépé qui garda à son tour le silence.
Pépé avait de l'expérience. L'expérience des ombres et des misères. Et de la pire des misères, celle qui ne sait pas poser des mots sur ce qu'elle est. Cette misère dans laquelle pas même un cri ne sort.
Dans le cas de l'ombre, Pépé se disait qu'il y avait autre chose que des mots qui était en jeu et qu'il n'avait que la solution de rester à côté d'elle, et de lui signifier qu'elle n'était pas seule. De sa main valide, Pépé posa la sienne sur celle de l'ombre et la tapota.
Parfois, pensa t-il, un homme est plus qu'un homme. Il est une bouée. Une bouée d'humanité à laquelle on peut toujours se raccrocher pour ne pas couler.
Pépé était cette bouée et l’ombre s'y accrocha de toutes ses forces.
Cela dura une éternité. Pour quelqu'un qui à ce moment là les aurait regardés sans trop y faire attention, Pépé et l'ombre avaient l'air si immobiles qu'il aurait vu deux statues rivées sous ces arcades, dont l'une était un handicapé en fauteuil roulant, un bras mort ballant à côté de son panier posé sur ses genoux, l'autre main valide recouvrant sur son accoudoir celle d'un jeune homme, debout à ses côtés, légèrement voûté, et le visage dévasté d'émotions contradictoires contenues avec peine dans les muscles de ce même visage. Puis il aurait vu ces deux statues prendre vie et le jeune homme s'écrouler sur l'épaule du vieil homme. Et si ce quelqu'un eût été pertinent, il aurait dit, ce que je vois là, c'est l'effondrement de la jeunesse qui s'écrase sur le corps meurtri de la vieillesse.
Et c'est la vieillesse qui redonna vie à la jeunesse. L'ombre pleurait enfin. Elle mélangea ses larmes avec le sang de sa lèvre se répandant sur le haut de la veste de Pépé. Et Pépé ne bougea pas. Il en était incapable, coincé qu'il était dans son fauteuil roulant et avec le panier posé sur ses genoux. Il ne pouvait que hausser les épaules et dire, oui, oui, vas-y mon garçon. Pleure, ça fait du bien. Et c'est ce que fit l'ombre. Elle laissa ses larmes, et aussi son sang et aussi sa morve couler sur l'épaule de Pépé, et sa vie accrochée à cette bouée d'humanité refit surface, et avec elle, des mots pour se faire du bien. Alors l'ombre se déplaça pour se camper devant Pépé et elle parla.
L'ombre parlait vite et mélangeait l'espagnol avec une autre langue, une langue indienne sans doute, que Pépé ne comprenait pas. L'ombre disait son expulsion de la terrasse, le vigile à quatre pattes au milieu des livres, son coup de pied entre les jambes, puis elle dit ses parents perdus, sa jeunesse dans la ville de San Cristobal et de Oaxaca, montra le panier de Pépé et dit qu'elle avait aussi vendu des cigarettes dans la rue, et puis ses premières années seule à Mexico. Pépé hochait la tête toujours sans comprendre, trop vite les mots montaient aux lèvres encore ensanglantées de l'ombre et se bousculaient pour sortir libres au plus vite de son corps. Elle continua. Parla de tas de trucs qui tournaient autour de la violence, de son absence au monde, de sa survie, des douleurs , celle de son pied et elle souleva sa chaussure trop grande pour elle et dit qu'elle avait encore mal, là au pied et puis là aussi, et elle montra son cœur et puis sa tête. Elle avait encore des larmes qui tombaient sur ses joues qu'elle effaçait d'un geste rapide mais qui laissaient des traces de saleté, et elle renifla, parla toujours, l'ombre elle-même ne savait pas ce qu'elle disait. Mais ça lui faisait tellement du bien, merci, merci Pépé, et elle s'approcha et enlaça le vieil homme.
Elle hoqueta deux trois fois, renifla encore, et respira à fond accrochée à ce cou, et puis ce fut fini. Elle allait mieux, et elle se détacha. Maintenant Pépé et l'ombre se souriaient.
Viens, dit le vieil homme, je t'emmène chez moi.
Pépé avait pour principe de ne jamais amener d'ombres chez lui car ceux qui sont dans la rue peuvent parfois se taper l'incruste et ne plus vouloir retourner sur le trottoir. De plus avec son handicap, il aurait été bien en peine de les déloger de son appartement. Il aimait aussi sa tranquillité. Quand il avait passé douze heures dans la rue, il retrouvait son intimité avec plaisir, il n'avait besoin de personne pour apprécier ces moments où il laissait le monde à la porte de chez lui. Cette fois-ci c'était différent. Un homme avait pleuré contre lui et s'en était senti mieux. Non seulement Pépé avait aidé cet homme et il pouvait en tirer quelque fierté, mais de plus l'ombre quand elle l'avait enlacé lui avait fait un bien fou. Ces quelques instants de contact avec elle, lui avaient fait oublier qu'il était un vieil handicapé.
L'ombre ne se fit pas prier pour venir chez Pépé. Elle avait besoin d'un moment de paix après ce qu'elle avait vécu. Et elle était légère, légère, légère, et sale aussi, avec ses fringues tachées, son pied dont la douleur revenait et ces odeurs qu'elle ne discernait pas mais qui l’enveloppaient comme si elle était une couche supplémentaire de crasse visible. L'ombre avait envie de se sentir propre.
L'appartement de Pépé se situait à quelques encablures de la place Santo Domingo, au rez -de -chaussée d'un vieil immeuble. Il n'avait donc besoin d'aucune aide. Une fois sur son pas de porte, il fit pivoter son fauteuil sur le côté et avec sa seule main valide, il prit sa clé qui était cachée au fond de son panier sous ses paquets de cigarettes, ouvrit sa porte et fit passer l'ombre devant lui.
Te gêne pas lui dit-il, fais comme chez toi, la lumière est à droite à côté du meuble.
L'ombre rentra, alluma la pièce qui était vaste et meublée d'une table, d'une bibliothèque vide sur laquelle était posée une télévision, et d'un canapé. Sur la gauche se situait une cuisine, et au fond de cette pièce, une porte ouverte signalait une chambre.
Vas-y dit Pépé, une fois à l'intérieur de son appartement, la salle de bain est dans ma chambre. Tu trouveras des serviettes propres. C'est bien ce que tu veux ?
Oui répondit l'ombre. Comment tu savais dit-elle?
Pas la peine d'être un génie répondit-il. Après ce qui vient de t'arriver, à ta place, si tu m'avais invité chez toi, c'est ce que j'aurais demandé en premier. Prendre une bonne douche pour te laver de tout ça. je crois que tu en as bien besoin. Hélas je n'ai pas de vêtements pour toi. Tu es bien plus grand que moi. Une bonne douche c'est déjà mieux que rien, non?
Oui répondit l'ombre. J'y vais.
Pendant que l'ombre se lavait, pépé avait changé de veste et préparé des sandwichs. Son appartement était adapté à son handicap. Il se déplaçait avec facilité. Son hémiplégie ne l'empêchait pas de se lever et de faire un pas ou deux avec l'aide d'une canne. Mais pépé avait pris l'habitude de tout faire de son fauteuil. Il ne se levait que pour aller aux toilettes et atteindre son lit où il y avait toujours sa canne au cas où il en aurait eu besoin. Sa seule hantise, c'était de tomber de son lit ou de son fauteuil, car seul, il n’avait plus suffisamment de force pour se relever. Cela lui était arrivé une fois et il était resté sur le sol de sa chambre une bonne partie de la nuit avant qu’un voisin n'entende ses appels à l'aide.
Malgré qu'il eût remis ses anciens vêtements, quand l'ombre revint dans le séjour, Pépé eut bien du mal à le reconnaître. Non que physiquement il avait changé, seulement il ne marchait pas comme avant, ne respirait pas comme avant, ne regardait pas comme avant. L'ombre se tenait plus à l'oblique et dégageait une légèreté qui était presque de l'ordre de la frivolité. Non ! pas de la frivolité se dit Pépé, c'est autre chose. C'est de l'insouciance. Mieux encore, c'est de la grâce.
L'ombre en effet avait perdu sa lourdeur, il ne portait plus sa croix sur ses épaules, on aurait dit un jeune chat prêt à jouer avec le premier morceau de ficelle qui lui tomberait entre les pattes. Et il souriait. Pépé se rendit compte alors qu'il n'avait pas affaire à un adulte, mais à un jeune homme qui devait avoir 17 ans. Ou 18 ans tout au plus
Tu veux manger quelque chose demanda t-il, j'ai préparé des sandwichs.
Non répondit l'ombre j'ai mangé avant qu'on me chasse de cette terrasse. Mais je veux bien en garder un de côté pour plus tard, si cela ne te gêne pas.
Bien sûr . Et puis si tu veux, pour te changer les idées, je t’emmène boire un verre et voir un drôle de type, le Professeur. Je ne crois pas que tu le connaisses c'est du côté de Regina. Ça te dit ?
Oui répondit l'ombre.
Oui, oui, répéta-t-il ça me plaît. Et puis je pourrais peut-être vendre mon livre. Je l'ai volé dans cette librairie.
T'as bien fait dit Pépé. Peut-être que tu en tireras un bon prix.
***
Rue Regina, vingt minutes de marche et de fauteuil roulant depuis chez Pépé. C'était à l'autre extrémité du centre historique, pas très loin du Métro Isabela la Catholica. En début de soirée, c'était l'un des seuls lieux animés du centre. La rue était fréquentée par des étudiants, des artistes, des touristes et des fêtards. L'ombre marchait à côté et le plus souvent derrière le fauteuil car les rues sont étroites et à eux deux ils auraient occupé toute la largeur du trottoir. Ils s'arrêtèrent dans un Oxxo acheter en promotion trois bouteilles d'un litre de bière Corona qu'ils mirent dans le sac à dos de l'ombre. C'est Pépé qui paya. Puis ils continuèrent leur chemin jusqu'à la portion de la rue Regina située entre les rues Isabela la Catholica et Cinco de mayo.
L'ombre n'aimait pas beaucoup ce quartier dans lequel il y avait tant de jeunes, peut-être parce que cela lui renvoyait une image trop négative d'elle-même, peut-être aussi parce qu'elle était beaucoup plus âgée que ces étudiants qui pourtant avaient trois ou 4 ans de plus qu'elle. Quand on vit depuis son enfance dans la rue, il faut grandir à toute vitesse sinon on est foutu. Mais en cette fin d'après-midi, elle était curieuse de revenir dans ce quartier et curieuse de connaître le Professeur. En fait, l'ombre ne savait pas pourquoi, mais depuis qu'elle avait retrouvé Pépé sur la place Santo Domingo, tout ce qui l'entourait l'intéressait comme si elle était au premier jour du monde et qu'elle était dedans et non plus à côté de ce monde.
Ils passèrent devant plusieurs bars et arrivés à côté de l'ancien hôpital, Pépé fit des signes à un homme seul, assis sur un muret. Il tenait sa tête dans sa main comme le Penseur de Rodin.
Salut Professeur dit-il.
Salut Pépé répondit l'homme en se levant d'un bond et en lui faisait une accolade. Cela fait longtemps que je ne t'ai vu. Toujours vivant et bien portant. Je veux dire, dit-il en riant que tu as l'air le plus heureux des hommes.
Merci professeur; oui tout va bien. Je suis en pleine forme malgré ma patte folle et mon bras idiot. Je suis venu avec un jeune ami. Le voici.
Salut dit le professeur en se tournant et en prenant l'ombre dans ses bras. Content de te connaître. Ami de Pépé alors ?
Oui dit l'ombre. On se connaît de la rue. J'aime bien Pépé.
Tu as bien raison, c'est un chouette type. Comment tu t’appelles ?
L'ombre haussa les épaules sans répondre.
Pas de nom alors.
Pas de nom.
Ho la la fit le Professeur en se lissant les cheveux. Je vois que tu viens de loin.
Oui de loin, dit l'ombre.
Le professeur ne continua pas la conversation. Il retourna au muret sur lequel il était assis et derrière celui-ci il ramassa une bouteille d'eau, qu'il fit couler sur ses cheveux puis il but à cette bouteille et se lissa une nouvelle fois les cheveux.
Pendant ce temps, l'ombre le regardait bouche ouverte. Cet homme, un professeur ! l'ombre n'en revenait pas. Un homme qu'on appelle Professeur, ce n'était pas comme ça qu'il l'imaginait. Un professeur était un sage et c'était nécessairement un très vieil homme avec des cheveux blancs et du poil en broussaille plein les oreilles et plein le nez. Ce professeur -là était très différent. Il avait à peine quarante ans, il avait des cheveux longs. Et comme il avait mis ses cheveux derrière les oreilles, il vit aussi qu'il portait deux boucles d'oreilles d'argent. Ce qui le surprenait encore plus c'était qu’il était vêtu d'un pantalon de cuir qui lui moulait le cul et les couilles et qu'il était chaussé de santiags. Le professeur avait aussi une veste de cuir et une chemise déboutonnée jusqu'au milieu de la poitrine. Quand le professeur eut fini de boire, il s'approcha de nos deux compères en marchant d'une manière que l’ombre définit comme bizarre. Le professeur marchait en se déhanchant et il avait même une main posée sur une de ses hanches. L'ombre pensa à un rocker et à un pédé. Nous nous dirons que le professeur était un mélange de Mick Jagger et d'Iggy Pop, un mélange d'iguane et de sexe. Et l'ombre referma sa bouche et lui sourit.
Alors demanda le Professeur qui se lissa à nouveau les cheveux qu'est- ce qui vous amène dans ce lieu de perdition ? Vous aviez une envie subite de boire un verre avec la jeunesse de Mexico et les touristes ?
Pas tout -à -fait fit Pépé. On est surtout venu boire un coup avec toi. Allez mon gars sors les munitions ajouta-t-il en direction de l'ombre.
L'ombre ne se fit pas prier, ouvrit son sac à dos et sortit une bouteille qu'il tendit au Professeur.
Viens dit-il à l'ombre, on va s’asseoir sur le muret et toi Pépé approche toi.
Le professeur s’assit sur le muret, l'ombre à ses côtés et pépé leur faisait face. Avec un briquet le Professeur déboucha la Corona et but un bon tiers de la bouteille avant de la tendre à Pépé. Ils étaient à l’extrémité de la rue Regina , là où elle formait une place avec ces immenses palmiers qui les dominaient. Cinquante mètres en aval les bars et les terrasses étaient pleins de gens buvant et parlant bruyamment tandis que des enceintes diffusaient du reagaton à profusion. A partir de l'ancien hôpital devenu une cafétéria pâtisserie, d'une manière brusque, le monde changeait. Il n'y avait plus personne dans la rue et du muret ils entendaient de manière diffuse le brouhaha et la musique des terrasses. Une lumière appropriée, jaune orangée éclairait la place et l'ancien hôpital ainsi que l'église mitoyenne. Le lieu était paisible en parfait contraste avec l’hystérie du reste de la rue Regina. Le Prof croisa ses jambes sur le muret et mis son menton dans la paume de ses mains. Pépé but le deuxième tiers de la bouteille et la tendit à l'ombre qui la finit avant de la jeter derrière le muret au pied d'un des palmiers. Pépé raconta l'histoire de l'ombre sur cette terrasse et ce qui s'en suivit avec le videur. Le professeur écoutait avec attention en gardant son menton dans les mains et l'ombre impressionnée regardait le prof avec la bouche à nouveau ouverte.
Une heure plus tard les trois bouteilles étant vides, toujours avec l'argent de Pépé, l'ombre alla à l'Oxxo du coin et revint avec trois nouvelles bouteilles. L'ambiance monta d'un cran et les langues se délièrent. L'ombre qui jusqu'ici n'avait presque rien dit se sentait le courage et surtout l'envie de parler.
Vous savez ce qu'a dit José Vasconcelos demanda t-il? Comme les deux autres se taisaient, il reprit. José Vasconcelos a dit que seuls les livres peuvent sortir ce pays de la barbarie. C'est beau non?
Tiens tu connais José Vasconcelos demanda Pépé. Je croyais que tu n'avais rien appris à l'école ?
Je ne l'ai pas appris à l'école répondit l'ombre, mais sur la petite terrasse d'où je me suis fait virer. C’était écrit sur le mur et le j'ai appris par cœur. Et il répéta fier de lui. Seuls les livres peuvent sortir ce pays de la barbarie.
Bravo dit le professeur qui se doutait que l'ombre n'était pas loin d'être un analphabète et qu'elle avait dû faire un effort pour la lire et la retenir. Je te félicite dit-il, c'est en effet une phrase intéressante mais néanmoins, jeune homme, sache que ce José Vasconcelos n'est qu'un âne.
Un âne s'exclama l'ombre et pourquoi un âne? José Vasconcelos est un grand homme, puisqu'on écrit ses phrases sur les murs ?
Tout ce qui est écrit ou se trouve sur des murs ou dans des livres n'est pas pour autant grand. Il y a beaucoup de conneries écrites par ces soi-disant grands hommes. Crois-en mon expérience, il n'y a pas grand-chose à attendre des livres et de ce José Vasconcelos.
Tu exagères dit Pépé, je connais un peu la vie de cet homme. Il fait partie du panthéon de la révolution mexicaine. José Vasconcelos c'est aussi notre patrimoine à nous.
Je te le concède Pépé, José Vasconcelos fait partie de notre patrimoine mais laissez-moi vous dire et répéter que José Vaconcelos n'est qu'un âne et si cette phrase est belle, elle est aussi creuse qu’inexacte. Je vous explique ?
Bah oui dit l'ombre et d'abord dit moi ce qu'elle veut dire car moi je ne vois pas très bien. Barbarie livres. Ça veut dire quoi tout ça ?
Oui explique-toi dit Pépé qui jeta avec sa seule main valide la quatrième bouteille vide du côté des palmiers.
. Elle veut simplement dire, répondit le Professeur, que si nous devenons tous des bons lecteurs, alors le Mexique sortira de l'obscurantisme et nous ferrons reculer le mal et la bêtise. Connerie que tout cela ! Il n'y a pas besoin d'avoir fait des années d'université pour savoir qu'aucun pays où la barbarie a sévi n'a été vaincu par le fait que ses habitants étaient des grands lecteurs. Ce fut même dans l'histoire tout le contraire. Vous savez dit-il, il n'y a pas si longtemps, quel a été le pays le plus cultivé du monde, celui où le nombre de livres lus en moyenne par habitant était le plus élevé?
La France, dit Pépé à tout hasard.
Les États Unis, dit l'ombre qui avait à peine compris la question.
Non, fit le professeur.
Avec son briquet, il décapsula la cinquième bouteille et la leva.
C'est l’Allemagne, dit-il, la grande Allemagne des années trente. Un pays considéré comme le plus cultivé du monde mes amis. Bien sûr vous savez ce qui s'est passé par la suite, n'est-ce pas ? ,
Pépé le savait, mais l'ombre un peu moins. La guerre dit l'ombre. Il y a eu la deuxième guerre mondiale, c'est ça ?
Oui tu as raison, la guerre, mais aussi la plus folle barbarie de l'histoire. Des millions de Juifs exterminés dans les camps de concentration. Un petit chef avec une moustache de psychopathe qui avait le droit de vie et de mort sur le monde entier et un peuple qui s'est cru une meute de loups et qui n'était en réalité qu'un troupeau de moutons. Voilà ce qu'a donné la culture de ce pays, un peuple de moutons sanguinaires. Alors en effet, croire que les livres peuvent nous sortir de la barbarie est une fumisterie et José Vasconcelos, répéta une nouvelle fois le professeur en prenant une grande gorgée de la bouteille, n'est qu'un âne. A votre santé.
Moi j'ai toujours cru que les livres c'était pour les riches dit Pépé, mais quand-même professeur, ils peuvent être utiles.
A peine répondit le professeur en se levant du muret pour passer la bouteille à Pépé. A peine répéta-t-il.
Tu veux dire que ça sert à rien de lire demanda l'ombre.
Je n'ai pas dit cela dit le Professeur. Par exemple, lire permet de ne pas se faire avoir en signant n’importe quoi quand on veut usurper ta terre, comme l'ont éprouvé tant de paysans et d'Indiens illettrés au cours des siècles. Apprendre à lire est une forme de combat. Oui il faut apprendre à se démerder avec les mots écrits. Et puis lire et écrire c'est aussi conserver des traces des cultures anciennes. Je ne dis donc pas que lire ne sert à rien, mais je dis que les livres ne nous sortiront jamais de la barbarie. José Vaconcelos n'est qu'un âne, répéta-t-il une nouvelle fois et il partit d'un grand éclat rire. L'ombre se mit à son tour à rire en passant un bras derrière le dos du Professeur. Seul, Pépé restait avec un sourire pensif au coin des lèvres. Il attendit que ses deux amis se calment et dit, moi je ne comprends pas bien . Professeur est-ce que tout ce qui est beau, les peintures, les chansons, les films,les belles histoires, tout ça ne sert à rien ?
Le professeur redevint sérieux presque tout de suite et l'ombre retira son bras passé derrière son dos.
Oui pépé dit-il, cela ne sert à rien. Mais attention il faut que je précise ma pensée. Je veux dire, et il se mit à faire des allers et retours le long du muret. Ce qui est beau n'est pas utile. Ce qui est beau rend simplement la vie plus belle, c'est aussi bête que ça. Comme un tableau de Rubens ou de Bacon, une chanson de Calle 13 ou bien disons de David Bowie, les film d’Einstein ou même un livre comme le vieil homme et la mer d’Hemingway ou le Don Quichotte de Cervantès. Cela fait de nous autre chose que des bêtes immondes. C'est tout et c'est déjà beaucoup.
Il se mit à danser devant nos deux amis. Il bougeait de manière élastique, les lèvres retroussées, les bras et les mains relevés comme un danseur balinais, son bas ventre oscillant d'avant en arrière, et les yeux tournés vers l'intérieur, paupières quasi closes. Puis il s'arrêta net.
Ce qui peut nous sauver reprit-il, ne peut venir que du corps. Ce qui veut dire que la danse est l’art premier par excellence. Puis viennent les chansons et la musique qui l'accompagnent. Les poésies aussi, qui font la jonction entre la raison et toute cette folie qui traverses nos nerfs et nous font sauter et danser jusqu'aux étoiles. Voilà ce qui nous sauve et qui est suprêmement inutile.
Il dansa à nouveau devant nos deux amis médusés, puis éclata à nouveau de rire avant de reprendre son souffle et de s’asseoir sur le muret. Il déboucha la sixième bouteille de bière.
Le jour, reprit-il où il n'y aura plus de danseurs, de chanteurs, de musiciens et de poètes, mes amis, il sera alors temps de saluer les dieux du néant car ils auront gagné. Mais en attendant, tu vois Pépé, même toi dans ton fauteuil roulant, tu peux danser parce que nous sommes nés de la danse et nous vivons dans la danse même si nous le savons pas. C'est en dansant que nous devenons vivants, fauteuil roulant ou pas.
Bien qu'il ne comprît pas tout ce que disait le professeur, une chose touchait profondément l'ombre. C'était sa manière d'être. Non seulement il ne ressemblait en rien à l'idée qu'elle s'en était faite, mais elle admirait aussi comment l'homme se déplaçait, riait, produisait des images avec les mots. On aurait presque pu prendre le professeur pour un clown et en même temps c'était la première fois que l'ombre découvrait que ce qu'elle apprenait avec lui n’avait rien à voir avec ce qu'elle était censée apprendre avec les maîtres de son enfance. Elle se dit que si elle avait eu le Professeur à l'école, sa vie aurait été changée. Elle aurait peut-être aimé lire, écrire. L'ombre se rappela alors ce qu'elle avait mis au fond de son sac à dos, le livre volé dans la librairie. Elle alla le chercher.
Pépé, Professeur, regardez ce que j'ai rapporté de cette librairie et l'ombre brandit à bout de bras le livre qui était toujours enveloppé de son film plastique.
C'est quoi ça demanda Pépé ?
Bah c’est le livre dont je t'ai parlé.
D'accord mon garçon, dit le Professeur. Mais c'est quoi le titre.
Je sais pas répondit l'ombre. Je ne l'ai pas regardé.
Fais voir fit Pépé et l'ombre passa son livre à Pépé qui lit à haute voix, L'Idiot de Dostoïevski . Connais pas reprit Pépé. D'ailleurs je connais rien aux bouquins.
L'idiot, fit le professeur qui partit à nouveau à rire. Quel heureux hasard car c'est toi mon garçon l'idiot, et il se tapa les mains sur les cuisses. L'idiot. Mais c'est génial, génial.
L'ombre du coup détesta le professeur. Je ne suis pas un idiot Prof, dit-elle. C'est toi l'idiot. Et l'ombre s'approcha, menaçant, poing en avant.
Calme-toi dit alors le Professeur. Ce n'est pas une insulte mon garçon. L'idiot est l'un des plus beaux personnages de la littérature. Assieds- toi. Pépé passe-moi le livre.
Le professeur se leva pour récupérer le livre et se rassit à côté de l'ombre. Celle-ci se calma. De tout de façon c'était de l’esbroufe de sa part. Jamais elle n'aurait frappé le professeur. Elle l'admirait trop.
Très beau livre dit le professeur, une bonne édition. Bon l'idiot qui est il ? Je t'ai dit que c'était l'un des personnages les plus intéressants de la littérature. C'est un prince, l'idiot est un prince. Rappelle-toi ça . Toi aussi tu es un prince. Le prince de tout ça dit le professeur, en embrassant de son bras la moitié d'un cercle. Tu es le prince de Mexico.
L'idiot reprit-il est une magnifique histoire. Trop longue à expliquer et puis cela n'aurait aucun sens. Sache seulement que c'est une histoire d'amour à la russe, et le prince est un homme simple , aimant, et plein de compassion. Et surtout c'est un homme qui ne peut s'empêcher de dire la vérité sans même s'en rendre compte. L'idiot c'est la vérité incarnée à l'état pur qui affronte un monde cruel. Alors tu vois mon garçon quand je te dis que tu es l'idiot, je veux dire que tu es aussi le prince de cette ville. Tu m'en veux pas j'espère ?
Non répondit l'ombre. Ça me fait plaisir que tu m'appelles le prince. Je préfère le prince à l'idiot. Même si j'ai bien compris, prince et idiot c'est la même chose.
C'est ça dit le professeur. C'est le cas pour cette histoire. Car bien sûr tous les idiots ne sont pas des princes.
Oui je comprends, dit l'ombre.
De toute façon les livres, dit le Professeur.
Bof ! dit Pépé en le coupant.
C'est ça Pépé, les livres bof! Mais la poésie c'est autre chose ! Grand respect pour les poètes et peut être encore plus, grand respect pour les chanteurs et les musiciens. Non, en fait c'est la même chose, si on y pense bien. Je ne fais pas de différence entre les musiciens, les poètes et les chansonniers. C'est ce qu'il y a de plus précieux au fond de nous, la chanson, la poésie, la musique, avec la danse au-dessus de tout ça. Le reste n'est que broutille, illusion et petitesse mes amis. On s'amuse, ça vous dit ?
A quoi demanda Pépé. Pas à danser j'espère.
Non non dit le professeur on s'amuse à faire de la poésie.
Bah moi répondit l'ombre ça m'intéresse pas. La poésie j'y connais rien. Professeur. Pour moi les mots, c'est comme les oiseaux. D��s que je m'approche, ils s'envolent. Jamais, j'arrive à les attraper.
Bravo fit le professeur en applaudissant. Ça c'est de la poésie mon garçon. Et il répéta, les mots c'est comme les oiseaux, dès que je m'en approche, ils s'envolent. Jamais j'arrive à les attraper. Bravo, bravo.
Tu crois demanda Pépé qui n'en était pas persuadé?
Oui Pépé, c'est de la poésie et même de la très bonne poésie. A mon tour. Je vais donner le titre. Vous m'écoutez.
Oui firent-il ensemble.
On va l'appeler reprit le prof, un poème rose pour les intestins d'une vache. Ça vous va ?
Pépé mis sa main valide devant sa bouche pour ne pas cracher en même temps qu'il éclata de rire. Poème rose pour les intestins d'une vache. OK Prof si tu dis que c'est de la poésie, je suis d'accord.
Et toi mon garçon ça te va aussi?
C'est beau Professeur, mais ça ne veut rien dire du tout.
Justement ne cherchons pas à trouver un sens. Disons n'importe quoi. Cela n'est pas grave. Bon si ça te va aussi, à ton tour Pépé, dit nous une phrase qui te plaît.
Je ne sais pas dit Pépé. J'aime pas beaucoup ce jeu. Moi non plus je n'étais pas très fort à l'école.
Vas-y fit l'ombre. Qu'est qu'on en a à faire ? On est entre copains.
Exactement répéta le professeur, amuse-toi avec les mots.
D'accord fit Pépé qui se mit à réfléchir intensément puis il dit quand il pleut mon fauteuil roule et dérape dans la merde .
Aussitôt en rigolant l'ombre dit roule et dérape dans la merde de vache.
Et sous cette pluie les amants se noient dans l'ombre de la terre dit le prof.
Car l'amour dit Pépé se fout du soleil car il brûle plus fort que tout.
Oui dit l'ombre, pas de soleil pour ceux qui s'aiment comme trois copains dans la nuit de Mexico.
Rouler les mots, rouler les fauteuils, rouler les amants et les copains dit le prof.
Ne vous arrêtez jamais dit l'ombre.
Car mes bras et mes jambes sont les ailes coupées du condor dit Pépé.
et vole, vole encore, dit le professeur, toujours plus haut.
Son panier de cigarettes à 6 pesos l'unité dans les nuages, dit l'ombre
Qui veut des cigarettes roses ? dit le prof,
Moi moi répondit la vache, dit Pépé
Qui en avait déjà plein la panse, dit l'ombre...
Et ils se mirent à rire à l'unisson.
J'adore dit l'ombre. C'est marrant la poésie.
Puis ils se calmèrent. Les munitions étaient épuisées, les six bouteilles de Corona gisaient au pied du palmier.
On continue demanda alors l'ombre.
Pourquoi pas fit le professeur.
Ils n'en eurent pas le loisir car deux jeunes femmes de loin interpellèrent le Professeur en faisant de grands signes de la main. Une fois arrivées à leur niveau, elles firent une accolade à nos trois amis et l'ombre eut soudain des rougeurs aux visages car d'un coup il retrouvait sa condition d'avant, celle du pauvre type qui vit dans la rue et dont les vêtements troués et couverts de saleté puaient la mort. Elle eut une envie subite de fuir. Pépé le remarqua et déplaça son fauteuil roulant à côté de l'ombre. Calme-toi lui dit-elle. Je connais ces deux filles, elles sont sympas.
L'ombre resta collée à Pépé, intimidée, tétanisée aussi. Les deux jeunes femmes étaient à peine plus âgées qu'elle et si l'une était petite, menue avec de jolies jambes et une bouille ronde comme une pomme qu'on a envie de croquer, l'autre était presque aussi grande que l'ombre et portait un jean serré qui mettait en valeur des fesses énormes. Comme elle avait un tee- shirt qui lui arrivait au- dessus du nombril , l'ombre vit qu'elle avait un bijou dans celui- ci et des bonnes poignées d'amour débordaient au dessus de la ceinture de son pantalon. Elle portait aussi deux couettes qui lui donnaient l'air d'une petite fille. C'est cette seconde jeune femme qui lui faisait le plus d'effet. Les deux avaient agrafé sous leur poitrine une feuille de papier recouverte de slogans. Elles revenaient d'une manifestation et en parlaient au Professeur qui avait repris sa position jambes croisées, la tête posée dans la paume de ses mains.
Approchez les amis dit le prof. Lola et Debahni ont des choses intéressantes à nous dire.
Pépé déplaça son fauteuil et l'ombre resta derrière lui. Elle ne désirait pas être trop proche afin que les deux jeunes femmes ne se sentent pas incommodées par ses odeurs, impossible aussi d'effacer cette honte viscérale qu'il ressentait, honte quasi atavique des pauvres devant des personnes qui leurs paraissent supérieures.
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C'est la plus petite, Lola qui parla la première. Elle avait un débit rapide et nerveux. Elle dit les milliers de femmes qui mouraient de féminicides dans le pays. elle parlait des disparues, des corps retrouvés et suppliciés, elle parlait des filles et des femmes qui tombaient dans les mains de salauds qui faisaient la traite des blanches, elle parlait des flics, cette racaille dit-elle, qui ne font jamais leur travail comme si tuer ou violer une femme , il n'y avait rien de plus normal dans un pays comme le Mexique. Lola avait beaucoup de choses à dire et les mots sortaient avec la vitesse de ceux qui n'en peuvent plus de rester coincés au fond de la gorge, de la même manière que l'avait éprouvé l’ombre dans l'après- midi, quand il s'était mis à pleurer et à parler face à Pépé. Lola avait parfois la voix qui se coinçait car ses mots étaient surchargés d’émotion et l'empêchaient de respirer. L'ombre ne comprit par tout. Il hochait la tête et en même temps il tentait de décrypter ce qu'elle avait écrit sur sa feuille de papier. Tant bien que mal il y réussit "Nous sommes le cri de celles qui ne sont plus" ainsi que"Mexico est l'enfer des femmes". Debahni aussi hochait la tête. Puis elle prit la parole pour dire, il faut en finir avec le machisme qui tue. Nous on veut sortit dans les rues sans avoir peur. Et elle montra sa poitrine que l'ombre regarda à peine car il était effrayé qu'on y voit son désir. Elle avait aussi une énorme poitrine fort visible sous son tee -shirt échancré. Pépé lut à haute voix ce qui était écrit "Je ne voulais pas vivre forte et courageuse, je voulais seulement vivre mon enfance" et dit c'est bien les filles, il ne faut jamais se laisser faire. Vous avez tout à fait raison. Je vous approuve à cent pour cent.
L'ombre dit oui puis se tut car il n'avait rien à ajouter.
Le prof se taisait aussi et portait tantôt son regard sur Pépé et l'ombre tantôt sur l'une ou l'autre femme tout en se lissant les cheveux et les repoussant derrière ses oreilles.
Enfin le Prof leur demanda, vous avez rien à boire les filles et il leur montra les cadavres entassés au pied du palmier. Nous on est à sec.
Si, dit Lola. J'ai piqué une bouteille de whisky dans un magasin Seven et elle sauta du muret pour récupérer son sac à dos posé à ses pieds.
Tous burent à la bouteille et l'ombre perdit de son inhibition devant les filles au point qu'il finit par oublier à quel point avec ses habits déchirés et puants, il tranchait avec le reste de la bande. Hélas à son grand désarroi et à celui de Pépé, la conversation reprit autour des livres ce qui, d'office, les excluait. Mais le prof était un homme qui ne voulait pas les exclure, et n'oublions pas qu'il ne tenait pas la littérature en très grand respect.
Il sortit alors un journal de derrière le muret et dit à la cantonade. Bon dieu de connerie de bouquins. Si vous croyez que c'est avec des livres qu'on va s'en sortir, je vous garantis que dans un siècle on sera toujours dans la merde. Regardez -moi ça.
Et il montra une photo d'une voiture brûlée dont le coffre était ouvert et rempli d'os calcinés. On voyait très nettement six crânes. Le professeur qui commençait à être soûl, tapait avec sa main sur la photo du journal ce qui empêchait les autres de la voir. Six personnes de plus d'assassinées dans l'état du Morelos. Foutu pays ! Vous savez ce que sont ces cadavres ? Comme personne ne le savait, il continua, c’est un groupe de musiciens qui se rendaient à leur concert. Six musiciens, merde. Personne ne sait pourquoi ils sont été assassinés, ni par qui. Les enfants d'enculés de la Marine ou de l'armée ? La Garde Nationale, des flics municipaux corrompus, des membres du cartel de Sinaloa ou de Jalesco Nueva Generation ? Six musiciens dont on a tranché la tête. Quel autre pays est capable d'une telle barbarie ? Et le professeur, des larmes au bord des yeux regarda dans la direction de l'ombre.
Tu vois reprit-il, ce que pensait Vasconcelos n'est qu'une grosse illusion d'intellectuel, mon garçon. On ne s'en sortira jamais, jamais. Ce pays condamne ses enfants, toi, ses femmes et même ses musiciens à l'enfer.
Il sauta du muret et se mit à danser comme précédemment. Cette fois-ci, il ne fut pas seul. Lola et Debohni en firent autant et même Pépé mit en marche son fauteuil et fit des tours sur place puis en roulant autour des deux filles et du Prof.
L'ombre n'osa pas. Et puis comment danser sans musique, sans chanson ? On entendait au loin le brouhaha des bars et du reggaeton, mais cela ne suffisait pas. C'est pas avec ça qu'il allait danser. Debohni lui tendit la main et il fit non de la tête. Mais elle avait déjà attrapé la sienne et l’entraînait vers sa copine et le Professeur. Alors il sourit et commença à bouger ses pieds puis ses mains et enfin tout son corps. Le Prof se mit à chanter avec une voix de fausset une chanson dans une autre langue et l'ombre comprenait toutes les phrases. Il dansa plus vite, il ouvrit la bouche et des mots qui semblaient venir de ses pieds ou peut-être de plus bas, de la terre elle-même, remontèrent vers sa poitrine et il chanta en duo avec le Prof. Et ce fut une farandole de fous et de folles mais dont l'esprit était sain, circulant autant du muret et des immenses palmiers. Les filles sifflotaient, Debohni gardait la main de l'ombre dans sa main et l'ombre grandit, grandit encore. Il n'avait jamais été aussi grand et même pépé s'en rendait compte qui levait parfois le cul de son fauteuil comme s'il voulait sauter sur place et ils retournèrent à la bouteille de whisky qui était restée sur le muret et comme si c'était une offrande, le Prof la salua avant d'en boire une gorgée et d'inviter les autres à en faire autant et tout cela finit ainsi, avec cette chanson, que reprit une nouvelle fois le Prof et l'ombre. A la fin, ils s'applaudirent et le silence revint. La bouteille était vide.
Tu sais ce que tu chantais demanda le prof ?
Non dit l'ombre. Quand tu as commencé à chanter, ça m'est revenu d'un coup, je comprenais tout.
C'est du tsotsil, une langue maya parlée au Chiapas. Comment se fait-il que tu la parles demanda le Prof ?
Et toi? demanda l'ombre, qui se mit sur ses gardes, car il se sentait le centre de l'attention. Tu la parles aussi.
Non je ne connais que cette chanson. Ma grand-mère du côté de ma mère était Totsil et donc ma mère à moitié Totsil. Mais elle ne m'a jamais parlé sa langue, seulement en espagnol. Je connais que cette chanson, et encore je ne sais pas trop ce que veulent dire ces paroles. C'est ma grand-mère qui me la chantait quand j'étais enfant. Mais toi tu prononçais bien tous les mots. Tu dois parler la langue non ?
Je veux pas, dit l'ombre. oui je la parlais au Chiapas puis à Oaxaca quand j'étais enfant. Mais je veux plus.
Le prof ne voulait pas insister et il était prêt à changer de discussion mais Lola revint à la charge.
Pourquoi tu veux pas en parler. On peut être fier de parler une langue maya et les totsiles sont un grand peuple du Chiapas.
Je veux pas dit l'ombre. Le fouet.
Quoi dit Pépé qui s'était approché.
Le fouet dit l'ombre plus bas. Quand je vendais des cigarettes comme toi, si à trois heures du matin je rentrais sans argent, il me fouettait. C'était un Indien tsotsil tu vois. Je veux pas parler cette langue. Je veux pas parler Pépé. J'ai vendu des cigarettes de 6 ans à 9 ans toutes les nuits à Oaxaca dans les bars et les boites de nuits. J'avais interdiction de dire mon nom... Sinon... J'ai connu trop le fouet et puis la faim aussi. Je veux pas parler.
Ha mon petit, dit Pépé.
Tu as réussi à t'enfuir demanda Debanhi
Oui à 10 ans je suis arrivé à Mexico.
Debanhi s'approcha et lui reprit la main. Viens t’asseoir sur le muret.
L'ombre se laissa conduire sur le muret
Je ne sais pas où étaient mes parents, dit-il à nouveau sans que personne ne lui demande de parler. Ils étaient peut-être partis trouver du travail ailleurs. Je vivais chez cet homme. On était quatre enfants et tous on vendait des cigarettes ou des friandises et uniquement la nuit. On était aussi tous fouettés et il nous donnait pas à manger quand on ne rapportait pas assez d'argent. Oui c'était un tsotsil, les autres enfants aussi. Fallait pas dire notre nom, pas dire notre âge, pas dire où on dormait et toujours ramener de l'argent. A dix ans je me suis sauvé avec le plus vieux des garçons. En stop, et on est arrivé dans la capitale. On a dormi dans la rue trois nuits. Puis j'ai été recueilli par une association d'aide aux enfants de la rue, mais l'autre enfant n'a pas voulu venir avec moi. Je ne l'ai jamais revu.
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Les personnes étaient gentilles, reprit l'ombre J'étais bien soigné, je mangeais à ma faim, j'allais à l'école et on me frappait pas. .
Pourquoi tu t'es retrouvé dans la rue demanda Pépé ? Tu aurais pu rester où tu étais.
C'est vrai Pépé. Mais moi aussi à 13 ans je suis parti. Je voulais rentrer au Chiapas pour retrouver mes parents et c'est ce que j'ai fait. Mais là -bas il y avait pas de travail, rien à faire et pas mes parents. Alors je suis revenu à Mexico et je me suis installé ici dans le centre. Mexico, c'est ma ville.
Cela fait longtemps que tu es dans la rue dit Debohni en lui caressant la main. Tu n'en as pas marre ?
Je sais pas. Je connais que ça.
L'ombre n'était pas habitué à être le centre d'intérêt et il était encore moins habitué à parler.
On fait quoi maintenant dit-il en se levant et en était faussement joyeux ? On se refait le jeu du poème.
Le crois dit le Prof que pour cette nuit ça suffit comme ça pour moi .Si je ne veux pas dormir dans la rue. Je dois aller prendre le métro dans peu de temps.
Tu habites où demanda l'ombre ?
J'ai une petite chambre du côté du Stade Azteca. Quoique ce soit pas si mal, mais ça fait assez loin, d'autant plus que j'ai encore un quart d'heure de marche depuis le terminal du métro et la nuit ça craint. Et vous les filles qu'est-ce que vous faites ?
Lola regarda sa copine. Nous on va aller boire un verre rue X et puis après on prend un taxi pour rentrer à la Condessa. On dort toutes les deux chez mes parents.
Famille de riche n'est-ce pas, demanda le prof pour la taquiner?
Bah oui, pourquoi tu me le demandes, tu devais t'en douter. Puis elle déplaça son regard vers sa copine et vers l'ombre. Ils se tenaient toujours la main. Elle resta un moment silencieuse et dit, ce n'est pas notre faute si on est d'une famille de riches. Ça ne change rien.
Non dit le professeur. Ce n’est assurément pas votre faute. Et vous êtes des filles géniales, vraiment. Vous n'êtes pas responsables de vos parents mais vous vivez dans leur monde qui n'est pas tout-à-fait le même que notre monde ma chère Lola, ce qui peut dans certaines circonstances produire de sacrés chocs. Parfois les mondes sont irréconciliables. J'imagine que tu le savais.
Tu dis des conneries, dit Debahni. C'est la volonté d'être qui compte, pas les conditions matérielles. Nous, on en a rien à foutre Prof, riche pauvre, c'est pas ça qui compte.
Si tu le dis, fit le prof, en se lissant encore une fois les cheveux, d'accord. Sans vouloir te remettre en place, Nietzsche parle de volonté de puissance, pas d'être. Il me semble qu'il veut dire que l'être en lui-même n'est rien, une case vide. C'est ta puissance à vivre qui fait ton être. Donc on parlera plus volontiers de volonté de puissance que d'être. Debahni cette volonté a son importance mais sans doute pas autant que le déterminisme social. Et ce n'est pas facile d'échapper à son milieu. On n'y arrive presque jamais, même avec la meilleure volonté du monde.
Presque jamais dit Debahni ce n'est pas jamais. Il y a donc des exceptions et moi et Lola, on en fait partie.
Je n'en doute pas dit le professeur en se levant. Je vous aime beaucoup toutes les deux. Vous ferez de très belles choses dans votre vie, j'en suis certain. Je vous quitte, dit le professeur en faisant une révérence puis en faisant des entrechats. Enfin il ajouta, Pépé, et toi mon ami tsotsil, le sans nom, prenez soin de vous. Ce fut un plaisir de passer la soirée en votre compagnie.
Et sur ces paroles, il disparut si rapidement qu'on aurait pu douter de sa présence parmi eux quelques instants plus tôt. Mais bien sûr, l'absence du professeur se fit sentir aussitôt.
Moi aussi, dit Pépé, il est temps que je rentre. Il sortit son portable de sa poche pour regarder l'heure. Ho la la, reprit-il en plaisantant, c'est le moment de regagner mon logis avant que les rues se vident complètement et que les loups-garous les remplissent.
Je t'accompagne, dit l'ombre à Pépé, je ne vais pas te laisser rentrer seul.
Tu es sûr mon petit demanda Pépé qui n'avait pas du tout envie de rentrer seul ?
Oui Pépé répondit l'ombre, il n'est pas question de te laisser traverser toutes ces rues sans que je t'accompagne.
Merci petit, dit- il en approchant son fauteuil des deux filles toujours assises sur le muret. On se reverra leur dit-il en présence ou sans la présence du Professeur. Je vous aime bien moi-aussi, vous êtes de chouettes filles.
Merci Pépé dit Lola, avec plaisir. On a passé un bon moment avec vous. Surtout mon amie, dit-elle en riant. On est là quasiment tous les vendredis et samedis soir. Tu pourras toujours nous y retrouver.
Oui dit Debanhi, rentrez bien tous les deux. Moi aussi j'aimerais bien te revoir Pépé et toi aussi, dit-elle à l'ombre en retirant sa main qu'elle avait toujours posée sur celle de l'ombre et en sautant du muret. Tu m'entends demanda- t-elle à l'ombre qui était restée immobile à regarder sa main comme s'il se demandait si c'était bien la sienne. J'ai beaucoup envie de te revoir.
L'ombre leva la tête. Quoi, demanda- t-elle?
Les deux filles se mirent à rire.
Oui, bafouilla alors l'ombre. Moi aussi cela me ferait plaisir. Oui,vous revoir.
Et les filles redoublèrent de rire avant de les embrasser. Puis, à regret, surtout pour Debanhi et l'ombre, ils se séparèrent, laissant les cadavres des bouteilles de bières et celle de whisky entassées au pied du palmier.
***
Rue Isabela la catholica, l'enfant, une Indienne de 5 à 6 ans dormait sur le trottoir. A ses pieds reposaient 4 poupées artisanales à vendre. Elle était adossée contre un mur et sa tête tombait sur sa poitrine. Elle avait le bras allongé sur sa jambe et sa main tenait un gobelet en plastique dans lequel il y avait une pièce de 5 pesos. Ils passèrent à ses côtés sans s'arrêter. Puis l'ayant dépassée Pépé dit, attends.
Il fit pivoter son fauteuil et sans rien ajouter, il rejoignit l'enfant toujours endormi et sortit un billet de sa poche.
Qu'est-ce que tu fais demanda l'ombre ?
Pépé lui tendit le billet. Mets-le dans son gobelet et essaie de ne pas la réveiller, dit-il à voix basse.
Tu es sûr fit l'ombre en parlant à son tour sans faire de bruit.
Oui. Quand elle se réveillera elle aura de quoi se payer à manger. Et puis j'ai passé une si belle journée. Je voudrais bien en faire profiter quelqu'un. J'ai beau être habitué à la rue, continua t-il. Voir une enfant seule dans la nuit je ne peux pas.
L'ombre plia le billet en quatre et délicatement il le déposa dans le verre en plastique. L'enfant à ce moment- là leva la tête et bâilla les yeux entre-ouverts. Elle semblait sourire et se réveiller, mais sa tête retomba sur sa poitrine et elle ne bougea plus.
Pépé fit pivoter à nouveau son fauteuil et il reprit son chemin. L'ombre resta quelques instants à contempler l'enfant, caressa ses cheveux du bout de ses doigts et d'un pas rapide, il rejoignit Pépé. Ils arrivèrent chez lui sans rencontrer un seul loup-garou leur cherchant des poux, car, il se peut que les loups-garous ne se nourrissent pas des ombres de la rue et de vieilles personnes handicapées.
Merci de m'avoir accompagné, dit Pépé à l'ombre une fois devant son immeuble. Si tu veux ajouta-t-il, tu peux dormir chez moi pour cette nuit. Ça te va ?
Merci dit l'ombre je vais dormir rue Emiliano Zapata, Là-bas c'est chez moi.
Tu es sûr, insista Pépé.
Oui sûr, répondit l'ombre. Bonne nuit Pépé.
Merci. Bonne nuit à toi aussi mon petit.
Pépé rentra chez lui. L'ombre reprit son chemin et il était surpris; il ne ressentait plus aucune douleur au pied. Pour lui aussi la journée avait été bonne.
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Rue San Marcos
Alors que je fume une cigarette au pied de mon hôtel, rue San Marcos, je la vois qui s'abaisse dans le caniveau, saisit un mégot encore allumé et en tire une longue bouffée avant de reprendre son chemin. Puis au coin de la rue Emiliano Zapata, elle disparaît dans la nuit.
Après l'avoir vue une première fois sur cette terrasse à côté du Zocalo, c'est la deuxième et dernière fois que je la croise. Ayant terminé moi aussi ma cigarette, je remonte dans ma chambre en emportant avec moi le souvenir d'un fantôme qui porte sa croix sans que personne ne la voie et je décide de publier son histoire sur mon blog de voyage. Je dois me dépêcher. Cela fait six mois que je suis au Mexique et il est temps de m'envoler pour l'Amérique du sud.
Les voyages ne se déroulent jamais comme on le prévoyait. En six mois, j'ai beaucoup erré seul et j'ai partagé des dortoirs avec des voyageurs qui m'emmerdaient à parler en anglais et qui n'avaient aucune idée du pays dans lequel ils mettaient les pieds. La plupart recherchaient la plus belle plage où ils s'entassaient avec leurs congénères, les bars où ils pouvaient rencontrer des individus qui leur ressemblaient comme deux gouttes d'eau ou les vieilles pierres mayas ou aztèques devant lesquelles faire des selfies cucul la praline, je n'avais rien à partager avec eux et le plus souvent je les évitais. Pour autant, je n'étais pas différent. Si je préférais ma solitude à leur présence, je ne rencontrai pourtant que peu de Mexicains. C'est pourquoi, à part l'histoire de l'ombre, mon blog ne contient jusqu'ici presque aucune autre histoire. Je quitte donc le Mexique, comme si en six mois il ne s'était rien passé et vous m'en voyez désolé, vous, qui peut-être attendiez des nouvelles de mon carnet (latinoamerica).
Je vous promets que je ferai mieux dès mon arrivée en Amérique du sud où à Bogotá je vais suivre les élections présidentielles. Car, vous ne le savez peut-être pas, pour la première fois dans son histoire, la Colombie peut élire Pétro, un candidat de gauche, ce qui serait un tremblement de terre pour la géopolitique de la région et sans doute une immense bouffée d'air frais pour les Colombiens, surtout les plus pauvres. Je me dois donc d'être là. Voilà pour demain. Mais avant de partir du Mexique, il me reste à préciser quelques détails au sujet de l'histoire de l'ombre.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, l'homme rencontré par Pépé et l'ombre, le Professeur, développe des positions le plus souvent radicales que pour la plupart je partage; mais pas toutes. Je crois comme lui que de la danse est né le monde et que tout ce qui existe, les planètes, la lumière, la terre, les bêtes; les humains et bien sûr toutes les formes d'arts en découlent.
La danse s'est fait verbe, et comme le dit le Professeur, même si nous le savons pas, c'est par la danse que nous naissons à nous-mêmes. D’où dit-il la supériorité de la musique, du chant et de la poésie qui l'accompagne sur la littérature par exemple. Là-dessus d'accord, Prof ne dit pas de conneries. Par contre concernant la culture dans son ensemble et l’Allemagne sous le régime nazi en particulier, là j'ai un profond désaccord avec lui. Certes durant ces années immensément désespérantes, on peut dire comme lui que le peuple allemand n'a été qu'un troupeau de moutons sanguinaires, mais est- ce suffisant ?
Je m'explique mais je fais vite car je prends mon avion dans quelques heures, pour être plus précis à six heures demain matin. J’avais pourtant prévu d'écrire un long texte sur l’Allemagne, je ne le ferai donc pas.
Je voudrais juste rappeler au Professeur et à ceux qui seraient de son avis, que les premiers à avoir goûté aux joies des camps furent les révolutionnaires et les démocrates allemands. La répression fut féroce et en quelques années Hitler éradiqua la quasi totalité des oppositions. Quant aux artistes de l'époque, la plupart avait pris le chemin de l'exil, le plus connu d'entre eux, le poète et dramaturge Bertold Brecht, mais aussi les philosophes de ce qu’on appelle l'école de Francfort, tous juifs et marxistes, Théodore Adorno, Herbert Marcus, Eric Fromm qui s'installèrent aux USA. Le plus sublime d'entre eux, Walter Benjamin, après avoir traversé la frontière française, se suicidera d'une overdose de morphine à Port Bou en Espagne. Pensons aussi à l'Autrichien Stephan Zweig que je considère comme l'un des plus grands nouvellistes de tous les temps, désespéré par la barbarie allemande, en compagnie de sa femme, ils se suicideront aux barbituriques dans leur pays d'exil, le Brésil. Les peintres, les cinéastes, les comédiens, les musiciens que je connais moins, eux aussi ont subi le silence, le même exil; la répression ou l'enfermement. Une culture ne meurt jamais tout-à-fait mais il est toujours possible de l'assassiner. C'est ce qui se passa dans ces années de malheur. Ensuite... Nous connaissons tous et toutes la suite.
J'aime beaucoup le professeur, mais à ce sujet il était trop injuste avec celles et ceux qui en Allemagne, inconnus ou illustres, furent confrontés à la machine de mort du nazisme et y résistèrent. J'ai donc essayé dans ces quelques lignes de leur rendre justice.
Néanmoins si on est mexicain comme le professeur; je peux comprendre sa pensée. Devant les fosses communes, les disparus, les féminicides, les assassinats de journalistes, les tortures pratiquées par l’armée, la police ou les cartels, devant la photo de six musiciens brûlés; la tête coupée dans un coffre de voiture, devant l'omniprésence de cette mort scandaleuse qui semble gagner à tous les coups sur la vie, comment ne pas désespérer de tout ce qui fait culture ? N'avez-vous pas eu vous aussi la tentation de jeter les livres, de déchirer des toiles de maîtres, de refuser de penser, en vous disant à quoi bon tout ça ? Le combat est perdu d'avance.
Moi cela m'est arrivé cette tentation du désespoir.
A ce moment-là, je lis le poème les assis d'Arthur Rimbaud, ou les premières pages de Sexus d’Henry Miller, ou bien n'importe quelle nouvelle de Bukowsky, ou bien encore j'écoute à fond dans mes écouteurs, Global A Go-Go de Jo Strummer and the Mescaleros, et je danse. Ça marche presque à chaque fois. Je remonte aussitôt la pente et je regarde à nouveau ma vie comme si j'étais un jeune homme encore plein de rêves.
Illusions ? Certes. Mais ces illusions sont du côté de la vie et ça fait vraiment du bien. Ces illusions nous devons les défendre bec et ongle.
Est- ce que l'ombre a compris tout ce que disait Prof ? Je ne sais pas. Mais il se peut qu'avec le livre l'idiot dans son sac à dos, il ne soit pas tout à fait le même après cette rencontre.
J'écris pour ceux qui ne lisent pas ou les analphabètes et pas très loin de l'ombre. Si vous qui lisez, avez été jusqu'au bout de cette lecture, et qu'elle ne vous a pas déplu, alors j'aurai réussi mon coup, ce voyage au Mexique aura fait connaître quelques instants de la vie de notre ami.
Je vais dans un instant faire mon sac à dos et vérifier tous mes papiers en attendant un taxi pour l'aéroport de Mexico. Mais avant ce départ pour la Colombie passons encore quelques instants avec celui qui n'a pas de nom.
***
L'ombre était joyeuse.
Et la vie était belle. Presque.
Elle regardait souvent sa chaussure en souriant.
Plus de douleur. Un miracle.
Elle remonta la rue Emiliano Zapata jusqu'à l'église de la Santissima où sous le tas de détritus, l'ombre retrouva sa vieille couverture et elle la plia puis la serra sous son bras et en sautillant elle continua son chemin dans cette nuit fraîche mais douce, puis s'arrêta, c'était son endroit, elle enleva son sac à dos, s'adossa au mur, déplia la couverture sur ses jambes et son ventre et regarda sa rue noire de nuit traversée par les halos jaunes orangés émanant de quelques réverbères, respira un grand coup et s'allongea, colla son sac à dos contre sa tête, ferma les yeux en pensant à Debohni, puis elle mit ses mains sur ses yeux et s'endormit, et pendant qu'elle dormait, pour la première fois les doigts de ses mains s'écartèrent pour que le monde passe en lui, et ce sont les bruits du petit matin qui le réveillèrent et l'ombre s'étira, elle avait faim et elle se leva.
Madame Teofila Ortez Diaz venait de lever le rideau de fer de son petit restaurant quand l'ombre passa dessous et se retrouva nez à nez avec elle.
Bonjour dit madame Teofila Ortez Diaz en souriant. Tu as faim je suppose.
Bonjour répondit l'ombre, oui très faim.
Alors va t’asseoir; Je t'apporte de quoi manger.
Merci madame.
L'ombre alla s’asseoir à sa place habituelle sous le portrait de la sainte vierge qui pleurait des larmes d'or. Il posa son sac à dos sur la table et attendit que la femme vienne le servir. Comme la veille; elle revint de la cuisine avec un plateau chargé de nourriture et deux cafés de Olla.
A votre santé dit l'ombre, et surtout à la tienne répondit-elle en levant sa tasse. Tu m'as l'air en forme aujourd’hui. Ça me fait plaisir.
Oui madame lui répondit l'ombre, je vais bien.
Puis ils burent leur café en silence. L’ombre mangea de bon appétit puis une fois le petit déjeuner terminé il alla mettre les tables et les tabourets sur le trottoir et balaya. Quand tout fut fini, il lui dit au revoir.
N'oublie pas ton sac que tu as laissé sur la table, dit-elle.
Oui répondit l'ombre, vous avez raison, il m'est bien utile ce sac à dos. Merci encore.
Elle retourna donc à l'intérieur du restaurant et avant de remettre son sac à dos, Elle déposa l'idiot toujours dans son film plastique sur la table, puis ressortit sur le pas de la porte pour embrasser Teofila Ortez Diaz, avant de s'élancer dans la rue Emiliano Zapata en sifflotant l'air de la chanson indienne Tsotsil qu'elle avait chantée la veille avec le Professeur.
Fin
Sans Cristobal de Las casas, sans Marcos de la Laguna, Antigua, Puerto Escondido, Zipolite, Oaxaca, Puebla, Guanajuato, Guadalajara, Mexico et Bogotá
Février à Juin 2022
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bornutyboisson · 3 years ago
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L'homme qui pleurait en punk
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Pour notre dernière soirée à San Cristobal de las Casas, avec mes amis Sarah et Sylvain, qui étaient venus passer trois semaines de vacances au Mexique, nous sommes allés au Bandera Negra, le Drapeau Noir, bar dont le mur principal était couvert de pochettes de disques rock, punk et métal. Sur l'autre mur en grosses lettres noir sur blanc était écrit
antifascismo
antiracismo
feminismo
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Le bar annonçait un concert de l'unique groupe punk de la ville. C'était vraiment ce qu'on voulait pour notre dernière soirée. Arrivés au Bandera Negra, comme d'habitude quand Sarah, Sylvain et moi étions ensemble, nous nous sommes installés directement au comptoir, où une jolie jeune femme habillée très classique nous a servi trois bières. La salle était à moitié pleine et alors que la ville grouillait de touristes et d'expatriés des quatre coins du monde qui se la coulaient douce, à part nous trois, il n'y avait pas d'autres étrangers. Pour être plus précis, il y en avait quand même un. Un type grand, blouson de cuir clouté, crête d'iroquois, multiples boucles d'oreilles, pantalon troué et des docks pourries. Bien qu'il ne dut pas avoir plus de trente ans, il paraissait un pur punk des années 80. Il s'est accoudé à côté de nous. C'était Juan. Il parlait le castillan avec l'accent d'ici, il n'était pourtant pas mexicain, mais espagnol d’Andalousie, de Cordoba, la plus belle ville du monde affirma t-il. La jeune femme qui nous avait servis, était sa copine, Maria. Elle était originaire de Mexico et ça faisait un an qu'ils étaient ensemble et avaient décidé d'ouvrir ce bar musical à San Cristobal. Maria parlait un peu le français car elle avait habité 2 ans à Paris, Porte de la Villette et elle connaissait les bars que fréquentaient mes amis et moi-même, place Krasucki, dans le vingtième arrondissement. Avec ce couple, plutôt disparate et passionné, on s'est senti bien tout de suite. Il est vrai qu'une heure plus tôt, un dealer de la ville était venu en scooter à notre hôtel et nous avait livré un gramme d'une très bonne came.
Dans un coin de la salle, près de la porte d'entrée, je remarquai quatre hommes tapant le carton, en buvant des bouteilles de bière d'un litre et je me disais qu'il était difficile d’imaginer ces quatre hommes dans ce bar parce qu'ils pouvaient ressembler à n'importe qui, mais surtout pas à des punks. Il y avait aussi une dizaine de personnes jeunes, quasiment que des femmes, assises sur des chaises le long du mur couvert de pochettes de disques. Un peu plus tard, quand il y eut assez de monde à leur goût, le groupe commença à jouer.
Composé d'un organiste et d'un guitariste, ce qu'il jouait était bon. Tous leurs morceaux étaient introduits par une explication de leur démarche. Chanson contre des narcotrafiquants qui tentaient d'infiltrer un village dans la montagne, au dessus de San Cristobal, une autre en soutien aux Indiens zapatistes, une autre encore sur le rapport entre l'anarchie et la liberté individuelles. Les morceaux étaient longs, pleins de rage et de colère mais aussi d'espoir et d'envie d'en découdre. Il y avait une superbe énergie, la salle était en symbiose avec le groupe et il en découlait une buena onda comme on dit en espagnol, une bonne vibration.
Sarah, Sylvain et moi nous étions aux anges, buvant bière sur bière, au comptoir, un peu à l'écart où parfois Juan ou Maria venaient nous faire un brin de causette. Tout était parfait.A' la fin du concert, Juan nous a quitté, s'est approché de la table des quatre hommes et il a tapé avec tendresse sur l'épaule de l'homme, que du bar je voyais de dos et celui-ci s'est levé. Le guitariste lui a passé sa guitare. L'homme avait des larmes qui lui coulaient des yeux. Aussitôt le silence s'est fait.
Sans doute qu'une grande partie de la salle connaissait son histoire, mais pas nous. Alors pendant qu'il parla devant le micro, nous sommes restés bouche bée.
Ils étaient trois types en début de nuit, une nuit comme les autres, dit-il en se cramponnant à sa guitare qu'il avait mise en bandoulière. Ils rencontrèrent ma femme et sans aucune raison, ils la tabassèrent. L'un des trois types n'a pas voulu en rester là et avant de prendre la fuite, il l'acheva à coups de couteau.
Puis après avoir déplacé sa guitare sur sa hanche, il nous expliqua que dénoncé par ses 2 comparses, il fut arrêté et mis en prison. C'était il y a tout juste un an dit encore l'homme et ce meurtrier va être libéré dans deux semaines.
Cet homme aurait pu s'écrouler. Il ne le fit pas. Il passa sa main sur ses joues inondées de larmes, se redressa et commença à faire quelques accords sur sa guitare avant de s'arrêter et de regarder la salle avec un courage qui nous laissa sans voix. Il ajouta, j'ai écrit cette chanson pour la femme que j'aimais et que j'aimerai toujours. Je n'ai aucune haine contre ces hommes, aucune envie de vengeance non plus, car c'est le cycle sans fin de la violence. Tous les jours je cherche à devenir un peu plus féministe. Ce n'est pas facile, je n'y arrive pas toujours. Mais j'essaie pour la femme que j'aimais, et pour qu'au Mexique, on en finisse avec les féminicides. Il s'est tu. La salle s'est mise à l'acclamer, surtout les jeunes femmes assises contre le mur, et il a commencé à jouer et à chanter.
Et il jouait fort, à la limite de la saturation, tout à fait à la manière des punks. Sa voix était vibrante, rebelle. Cette chanson qu'il avait écrite pour celle qui avait été sa femme, était un hommage chanté avec la force d'un désespéré qui ne veut pas crever mais hurler d'amour pour témoigner. La salle était comme nous trois, des larmes au bord des yeux, immobile et sidérée.
L'homme joua longtemps avant de finir par un cri qu'on pourrait presque dire d'une douceur infinie, et accompagné à la guitare par un accord strident qui s'acheva par une note plus pacifique qu'il coupa brusquement. Ce fut à nouveau des d'applaudissements, des encouragements, des cris et surtout une libération de toutes nos émotions.
L'homme nous a souri de telle façon qu'on aurait pu croire qu'il s'excusait de nous avoir raconté et chanté son histoire. Puis il est retourné à ses amis. Ils lui ont tapé sur l'épaule et ils se sont remis à boire leur bière, tandis que Juan, derrière le bar rebranchait de la musique punk sur les enceintes, comme s'il nous disait que la vie continuait et qu'il était temps de passer à autre chose.
Et on est passé à autre chose.
Mais pas tout à fait comme avant.
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bornutyboisson · 3 years ago
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Le Miracle de la Vierge de Juquila
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J'avais sympathisé avec Juan, un Indien Mapuche d'Argentine, et nous étions allés dans la cuisine commune de notre hôtel à Puerto Escondido. Nous y avions salué, Michelle, une Québecoise qui était en pleine discussion avec une Canadienne, hippie de Vancouver, puis nous avions préparé notre petit déjeuner. Juan, avait fait chauffer du pain dans une grande poêle dans laquelle restaient quelques traces de gras, ou de rouille, difficile à dire. J'avais préparé des bols de fruits, bananes, clémentines et ananas accompagnés de miel, achetés la veille au supermarché le Chedraui, situé juste de l'autre côté de la passerelle qui enjambe la route côtière de Salinas Cruz à Acapulco. Juan avait apporté du pain et de la confiture. C'était un petit déjeuner tout à fait simple mais il nous suffisait avant d'aller plonger dans les vagues du Pacifique. A peine étions- nous de retour dans notre dortoir après avoir lavé notre vaisselle, que nous avons vu accourir une furie la poêle à la main qu'elle fourra sous le nez de Juan. C'était Michelle et elle lui passa un savon comme si on était chez elle et qu'on s'était mal comporté. Regardez- moi cette poêle avec tout ce gras dedans, et puis ces miettes de pain. Ce n'est pas à moi de nettoyer ça, hurla-t-elle, tandis que nous deux et les trois jeunes femmes du dortoir avions les yeux écarquillés de surprise. Elle jeta la poêle sur la table à côté du lit de Juan et s'en alla d'un pas cadencé. Nous avions éclaté de rire, les cinq.
Depuis nous avions pris nos distances avec Michelle, par la même occasion, nous évitions aussi la hippie de Vancouver qui devait être son amie et qui nous regardait toujours de travers. Cette scène suivie de nos éclats de rire nous avait donné l'occasion de nous présenter les cinq occupants du dortoir. Les trois jeunes femmes étaient une Française, Carole qui cherchait du travail comme professeur, Nuria, une Espagnole qui faisait des petits boulots d'été à Ibiza et qui bourlinguait en Amérique latine en attendant le début de la saison estivale, et une étudiante hollandaise, Anna qui avait la particularité de dormir avec un gros nounours dans ses bras et un autre à ses pieds, elle était végan. L’après midi, nous avions décidé d'aller sur une plage au nord du port où au coucher du soleil une association mexicaine organisait un lâcher de tortues. Nous avions payé notre petit écu à l'association et avec une centaine de personnes, on nous avait remis une moitié de noix de coco évidée dans laquelle chacun avait sa propre petite tortue à peine sortie de sa coquille. Nous sommes tous allés sur la plage accompagnés d’animateurs et nous avions déposé notre tortue à une dizaine de mètres des premières vagues. Malgré la débauche d'énergie des animateurs pour jeter du sable sur les mouettes qui survolaient leur futur repas, c'était un massacre. Une mouette s'approchait d'un bébé tortue, l’animateur lui jetait du sable, elle reprenait alors de l’altitude, mais par derrière, une autre mouette se jetait sur sa proie sans que l'homme eût le temps de reprendre des munitions de sable. Celles qui avaient la chance d'atteindre les premières vagues n'étaient pas sauvées pour autant. Les tortues restant le plus souvent à la surface de la mer, les mouettes bientôt rejointes par 2 frégates, pouvaient se régaler en toute sécurité. Plus loin, des pélicans semblaient regarder ce spectacle d'un air hautain et désintéressé. Avaler une bébé tortue, quel frugal repas indigne d'eux. Ils n'auraient pas senti leur victime se glisser dans leur appareil digestif. Ils attendaient donc, leurs yeux ronds aux aguets, flottant sur les vagues, qu’un banc de poissons vienne les rassasier avant la nuit.
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Ma tortue fut attrapée par une mouette dès son premier mètre sur la plage. Celles de Juan, de Carole et de Nuria, n'avaient pas eu le temps d'apprécier les joies de la mer, à peine arrivées sur le sable humide, elles étaient emportées dans les airs. Seule la torture d'Anna, qui était la plus lente, et qui par deux fois s'était retrouvée en haut de la plage repoussée par une vague, réussit enfin à atteindre le Pacifique. Nous lui avons crié dessus, encouragé de toutes nos forces, hélas, notre manège avait attiré une frégate qui survolant la surface de la mer, l'avait repérée et d'un coup de bec, l'enleva. Combien de tortues allaient-elles atteindre l'âge adulte? Une sur mille survivait les premiers jours avant d'être presque toutes dévorées en mer car leur carapace trop molle ne les protégeait pas des prédateurs, nous a dit un animateur. Il en fallait des lâchers de tortues pour en sauver une seule ! Anna, l'étudiante hollandaise, en avait les larmes aux yeux.
Quand on rentra à l'hôtel,après ce massacre de bébés tortues, un autre drame se préparait. Il s'agit de Michelle, la Québecoise et de son mari, Pierre. Bel homme aux yeux bleus d'une soixantaine d'années, bronzé, des abdos en forme de tablettes de chocolat, des jambes longues et musclées. Deux fois par jour, le matin et avant le coucher de soleil, du port, il partait à la nage faire son km le long de la plage à deux ou trois cents mètres du bord. Ancien nageur de haut niveau, ai-je appris par la suite, il crawlait avec aisance et ne semblait ne jamais faire d'effort. Quand il ressortait de l'eau, il était frais comme un gardon ! Même les pêcheurs admiraient sa condition physique, et comme Pierre et Michelle venaient en villégiature dans le même hôtel depuis des années, il était devenu l'un de leurs amis.
Il était rentré à l’hôtel, un peu avant nous et de notre dortoir où nous nous changions et préparions pour la soirée, nous entendions vaguement Michelle qui était dans la cuisine partagée, sermonner son mari. Il était question d’un bazar. Avec son amie hippie et d'autres retraitées Nord-Américaines vivant une grande partie de l'année au Mexique, elles organisaient une soirée caritative dans un bar le long de la plage de Zicatela afin de récolter des fonds pour la stérilisations des chiens. Un jour ces femmes s'occupaient de stérilisation des chiens, un autre des chats, puis un troisième de faire en sorte qu'il n'y ait plus de pailles en plastique dans les cocktails que buvaient les touristes. Elles confectionnaient donc des pailles durables ou biodégradables ou pas de paille du tout. Un autre jour elles distribuaient des cendriers de plage, tout en faisant des campagnes anti-tabagiques. Elles poussaient même leur grande conscience écologique jusqu'à se baisser une fois par semaine pour ramasser les papiers que les Mexicains en vacances jetaient sur le sable avec une insouciance qui les choquait, et alors elles disaient, quel manque d'éducation ces Mexicains ! Pourtant l'éducation c'est important si on veut des plages propres et ainsi changer le monde. Et celles qui n’avaient pas encore trop de rhumatismes dans les cervicales, hochaient la tête avec la conviction de ces doctes personnes qui enfoncent des portes ouvertes. D'après ce que j'avais compris, Pierre voulait qu'on le laisse en paix, Il préférait aller fumer une cigarette sur le port avec ses amis pêcheurs. J'avais juste entendu clairement qu’elle lui répondait.
Tu l'auras voulu.
Et elle s'en était allée sans doute furieuse, et du même pas cadencé dont elle nous avait gratifiés le matin, quand elle s'était précipitée dans notre dortoir avec la poêle à la main.
Nous aussi passions la soirée là où se situaient tous les bars, le long de cette plage de Zicatela, Juan, l'Indien Mapuche d'Argentine, Nuria l'Espagnole d'Ibiza et moi-même. Les 2 autres filles, se sentant trop fatiguées pour ressortir, elles restaient à l'hôtel.
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Quand nous sommes arrivés à notre destination, Casa Babylone, le concert avait commencé. Le groupe, la Pampa, était composé d'un chanteur argentin, d'un batteur uruguayen, d'un bassiste américain et d'un guitariste mexicain de la ville de Oaxaca. Je les avais déjà vus. Ils jouaient du rock sud-américain, les musiciens étaient excellents, le chanteur avait un bon charisme, les morceaux s’enchaînaient dans un crescendo qui chauffait la salle et le bar ne désemplissait pas. Il devait être minuit quand Michelle fit son apparition (elle devait avoir fini sa mission caritative). Elle était au bras d'un homme, et ils dansèrent devant la scène. L'homme la tenait de près, une main en haut des fesses. Elle avait une robe blanche moulante qui mettait en valeur les courbes de son corps. On voyait que c'était une belle femme qui s'était entretenue toute sa vie. Elle était agréable à regarder danser, languissante, se collant de plus en en plus à son cavalier, un homme plus jeune qu'elle, qui à la fin du morceau, la prit dans ses bras. Elle se laissa faire. Nuria me fit un clin d’œil quand la Québecoise posa ses deux mains derrière le cou de l'homme et l'attira pour un baiser qui dura me semblait-il une éternité. Quand elle se décrocha du cou de l'homme, elle était à bout de souffle, mais radieuse, elle n'avait plus rien à voir avec la femme qui avait réprimandé Juan au petit déjeuner. Deux ou trois clients de Casa Babylone se mirent à siffler d'enthousiasme et le couple se mit à rire de bon cœur.
Le drame classique. Pierre arriva dans le bar dix minutes plus tard, et les surprit se bécotant, sur le coin du comptoir. Il fixa intensivement sa femme et l'homme et sans un mot, mais grimaçant, il se retourna et ressortit du bar. Ces deux amants trop imprégnés l’un de l'autre, n'avaient rien vu de la scène. Juan, Nuria et moi-même, nous étions restés bouche bée jusqu'à ce que Juan me dise, ça va chauffer quand elle rentrera à l’hôtel. En effet, on pouvait difficilement imaginer autre chose. Ils restèrent encore une demi-heure à danser et à s'embrasser puis se tenant par la main, ils s'enfoncèrent dans la nuit chaude de Zicatela.
Le lendemain, en me levant, je vis Michelle dans le hall d'entrée de l’hôtel, pleurant et hurlant, c'est grave, il faut le retrouver immédiatement, et elle joignait ses deux mains dans une prière devant le réceptionniste et 2 policiers qui malgré leur bonnes intentions, ne réussirent pas à la calmer.
Les recherches en mer commencèrent vers 11heures du matin. Pierre était parti nager vers 8 heures et personne ne l'avait vu revenir.
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L'unique vedette de la marine nationale ainsi que plusieurs bateaux de pêcheurs sillonnèrent la mer toute la journée. Sans aucun succès. Pierre n'était ni parti au large, ni n'avait rejoint la Punta, au bout de la plage de Zicatela. ni Barra Colotepec située plus au Sud de la Punta. De notre côté nous étions descendus en ville, le recherchant jusqu'à la gare routière de deuxième classe et dans les bars de Zicatela. La nuit tombée il fallait pourtant se rendre à l'évidence, Pierre avait disparu, et la seule réponse plausible qu'on pouvait donner à Michelle c'est qu'il s'était noyé.
Elle n'en était pas convaincue. On ne se noie pas par chagrin d'amour. Et puis ce n'était pas la première fois qu'elle avait pris un amant, et même si cela avait été dur à avaler pour Pierre, tout de même ce n'était pas une raison pour se suicider.
Elle n'en démordit pas, et après que les recherches en mer eurent cessé, elle continua avec ses amies retraitées à inspecter les plages et les villages environnant Puerto Escondido sans jamais retrouver sa trace. Trois jours plus tard, ravagée par les remords, le visage décomposé par deux nuits sans dormir, ressemblant à une femme devenue soudainement une vieillarde, elle dut se rendre à la raison et à bout de nerfs, gavée d’anxiolytiques, elle fut rapatriée d'urgence à Montréal.
L'histoire pourrait s'arrêter là, et nous n'aurions plus qu'à conclure que parfois les petits paradis sur terre peuvent se transformer en enfer, et dans cet enfer Pierre était bel et bien mort, noyé. Fin du drame. En homme rationnel, c'est ce que j'ai pensé, même quand Carlos, le pêcheur zatopèque, nous a parlé de la Vierge de Juquila. Mais, il se peut que j'aie tort. Car allez savoir où se cachent nos vérités, nos amours et peut-être aussi où se cache Pierre ?
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Pendant plusieurs jours, les pêcheurs ne parlèrent que de cette disparition. Pourtant la vie continuait. Chaque soir, ils allaient poser leurs filets au large et à la première heure du jour, ils les relevaient. De retour de mer, ils vendaient directement leur pêche sur le sable. Le restant de la journée se passait à ravauder les filets, à vérifier les moteurs, et à discuter à l'ombre d’une palapa. La Française, Michelle, qui n'avait pas trouvé de travail comme professeur à Puerto Escondido et Anna qui après 6 mois de voyage devait rentrer prendre son avion de retour, à Mexico, avait quitté notre dortoir. Nuria, moi et Juan avions négocié pour une somme relativement modique une sortie en mer avec le bateau de Carlos, ce pêcheur zapotèque qui comme beaucoup d'autres pêcheurs s'était pris d'amitié pour Pierre;
Nous avons eu la chance de sortir sur une mer d'huile et à peine hors du port, nous sommes tombés sur des raies Manta. Elles jouaient à faire des sauts périlleux de plus d'un mètre au- dessus de la surface de la mer. Je n'aurais jamais cru qu'un poisson plat ait la force de sauter hors de son élément avec une telle énergie. On aurait dit des formes géométriques vivantes, losanges, carrés ou rectangles qui faisaient leur apparition au dessus de l'eau dans un ballet joyeux digne d'Alice au pays des merveilles, et dont la finalité m'échappait complètement. Carlos nous a dit que c'était une danse de séduction, ou une démonstration de force des mâles pour impressionner les femelles. Plus tard nous fûmes accompagnés de 6 dauphins qui se lassèrent vite de notre présence, et enfin nous aperçurent à moins de cent mètres du bateau, le clou de notre sortie en mer. 4 baleines dont une mère et son petit montèrent à la surface et on put les voir replonger tandis que dans une lenteur incroyablement fondue, leur énorme queue s'élevait presque à la verticale avant de glisser sous l'eau. Quelques secondes plus tard les cétacés remontaient pour un nouveau spectacle. Quand les baleines eurent disparu, Carlos sortit une canne de traîne. Nous étions à deux ou trois km du port et le soleil commençait à taper durement, laissant sur la mer et sur la côte, une fine épaisseur de brume qui faisait onduler dans des formes dissipées toutes les choses, comme si la réalité elle-même allait bientôt disparaître avalée par la chaleur. Puis la canne se courba. On avait une touche.
Carlos mit en panne et se précipita sur celle-ci C'était quelque chose de gros car Carlos était arc-bouté, la canne à la main, toute la tension dans ses bras et ses jambes ramassés pour mieux résister à la force opposée du poisson. Soudain à deux mètres au -dessus de la mer nous l'avons vu s'élever. C'était un espadon-voile. Il semblait voler avec rage, son nez en forme d'épée défiant le ciel et quand il retomba à plat sur l’océan, il donna un coup de queue et toute la tension au bout de la canne, d'un coup cessa. L'espadon-voile s'était décroché.
Le premier depuis deux mois. La pêche va pouvoir recommencer dit Carlos en réamorçant sa ligne.
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On revint au port avec un poisson-coque que Nuria avec l'aide de Carlos avait remonté jusqu'à l'épuisette que je leur avais tendue. La bête devait faire 6 ou 7 livres et nous avons pris des photos, posant fièrement devant notre prise. Juan qui n'avait quasiment jamais vu la mer car il avait passé sa vie jusqu'à 20 ans, dans une région montagneuse à la frontière de la Bolivie du Chili et de l'Argentine, était resté silencieux et légèrement inquiet pendant toute notre sortie. Pourtant entre Juan et Carlos, ces deux Indiens vivant à des milliers de kilomètres l'un de l'autre, même dans leur silence, de la sympathie s'établissait entre eux. Une fois rentré au port, Juan fut le premier invité à rejoindre Carlos. Bien sûr nous fûmes aussi invités sous deux arbres au pied de la plage qui déployaient un bel ombrage où nous pouvions nous reposer dans un peu de fraîcheur. Et c'est là, à l'heure la plus chaude de la journée que Carlos remit sur le tapis, l’histoire de la disparition de Pierre.
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Non, affirma Carlos quand je lui dis que Pierre était mort, il s'était tout simplement noyé. Puis il regarda Juan et Nuria, et il leur répondit plus qu'à moi, vous connaissez la Vierge de Juquila, et devant leur dénégation, il nous parla de cette petite statue de la Vierge arrivée dans la région avec les premiers conquistadors au Mexique. Il raconta qu'un jour en mettant le feu à la terre pour commencer de nouvelles récoltes, ils n'avaient plus rien contrôlé, et le feu avait atteint la chapelle dans laquelle était la Vierge. Et vous savez disait Carlos avec la plus parfaite déférence et sincérité, l'église a entièrement brûlé. Il ne restait même pas un banc dans les décombres. Mais sous un tas de gravats, la statue était restée intacte.
Carlos se fit encore plus sérieux, un doigt pointé vers Nuria. Sauf son visage, ajouta-t-il, il était imprégné d'une suie noire. Bien sûr on nettoya la Vierge mais il fut impossible de lui retirer la suie du visage. Elle est devenue une Vierge au visage noir, de la même couleur de peau que nous les hommes de ce pays. Allez vérifier nous dit-il, vous la trouverez là bas, dans l'église du village de Juquila.
Je te crois a dit Juan, la Vierge peut faire bien des miracles, et Nuria ajouta, je ne sais pas si Dieu et la Vierge existent mais dans la vie, oui il y a toujours eu des miracles, et Carlos a répondu, il ne faut pas parler de miracle tout le temps. Il ne s'agit peut-être pas de miracle, mais de quelque chose que vous les occidentaux vous ne comprenez pas bien, même si nous avons la même religion que vous.
Il ajouta, la Vierge de Juquila protège les hommes d'ici, mais elle n'est pas toute seule à nous protéger. Les pélicans qui nous suivent en mer, les crocodiles derrière la punta, dans la lagune, et aussi les dauphins, les espadons-voile et les baleines sont ses amis et nous protègent. Si vous voulez, tout ce qui vit sur cette terre est sous la protection de la Vierge au visage noir de Juquila. Et tout ça nous protège finit-il par dire en faisant un arc de cercle avec son bras.
Votre Vierge demanda Juan, c'est comme la pachamama de mon pays.
Oui répondit Carlos, la Tierra Madre du Mexique, la Pachamama en Amérique du Sud ou notre Vierge, peu importe le nom. Les forces de la terre, les forces de la mer sont féminines, elles donnent la vie et elles nous nourrissent.Nous sommes sous la protection de la terre, de la mer, et de la Vierge de Juquila. C'est pourquoi Pierre est aussi sous sa protection. Et en plus nous les pêcheurs, nous avons prié pour Pierre.
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Puis Carlos se tut un long moment, nous laissant le temps de regarder autour de nous. Derrière les deux arbres où nous nous reposions, il y avait une petite lagune, presque à sec, sur laquelle des échassiers immobiles, blancs et majestueux, des grues peut-être, guettaient leur nourriture au dessus de la vase. Certaines s'envolèrent et avec grâce elles allèrent se poser sur un des cocotiers ou sur les branches d'un arbres d'un vert flamboyant. A l'opposé, sur la mer, une trentaine de pélicans, sans un mouvement, étaient posés sur l'eau entre les bateaux des pêcheurs. Des vendeurs d'ananas et de glaces remontaient la plage, avec des fichus sur leur tête, des foulards sur leurs visages et des lunettes noires pour se protéger de la morsure douloureuse du soleil. Au- dessus de nos têtes, noires, effilées et élégantes, des frégates volaient en faisant des boucles dans les courants ascendants du ciel. La mer au loin, dans l'ondulation des vagues, s'ourlait de pépites d'or qui brûlaient les yeux et qui troublaient la vue. Et soudain dans toute cette beauté de Puerto Escondido que nous admirions, Carlos s'est mis à sourire.
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Vous savez, dit-il, Pierre n'est pas mort. On l'a revu.
Quoi vous l'avez revu et vous n'avez prévenu personne, j'ai dit en haussant le ton, tant cette affirmation me surprenait.
Moi non, je ne l'ai pas revu, reprit Carlos, mais d'autres là-bas, si. Et il nous montra du doigt, des pêcheurs sous une palapa ravaudant des filets. Piedro, Andreas sur leur bateau, et aussi Jesus Angel sur le sien, oui, ils l'ont vu, hier. Il nageait le long de Playa Blanca.
Mais c'est impossible, j'ai dit. C'est au moins à 20 km d'ici. Cela devait être une sorte de mirage dû à la chaleur. Avec tout ce soleil on ne voit pas bien.
Carlos a haussé les épaules avec douceur et presque de la délicatesse. Peut-être que c'est un mirage, il a répondu, énigmatique, peut-être pas.
Ou alors il en avait marre de sa femme et il avait préparé sa fuite depuis longtemps, a dit Nuria. Ensuite, il s'est installé à Playa Blanca.
C'est possible aussi, a dit encore Carlos.
En tout cas pour toi Pierre est vivant, demanda Juan.
Oui vivant, bien sûr. Il ne s'est jamais noyé. La Vierge de Juquila ne l'aurait pas accepté. Elle lui a donné une autre chance car la Vierge au visage noir de Juquila donne toujours une deuxième chance aux hommes. C'est cela le vrai miracle, avoir une deuxième chance, comme l'a eue mon ami Pierre.
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bornutyboisson · 3 years ago
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Dansons avec les chiens de l'enfer qui aboient
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Et l'homme proféra, s'il y a une chose que le Mexique donne au monde, c'est celle-là, la puissance inépuisable des morts qui remuent la terre. Et cette terre, ils la creusent, la grattent et la recrachent pour que la mémoire ne meurt pas. Car les morts ne meurent pas. Ils aboient comme des chiens et vomissent des poussières du monde par toutes les fêlures de la porte des enfers. Nous les vivants nous respirons la vie de ceux qui ne sont plus et nous connaissons l'enfer. Le Mexique ce sont ces voix du dessous et c'est leur soleil noir, c'est une fête de la désespérance qui se prolonge jusqu'à ce que la peau du monde se retourne et que nos vérités éclatent. Le Mexique c'est tierra et libertad, c'est notre pacha mama à nous Mexicains, avec un drapeau rouge à la main. C'est l'éternelle mort qui n'arrête pas de souffrir. Et surtout, ce sont ces femmes violées et qui en mourant, accouchent d'étoiles qui saignent dans un silence étourdissant. Ma petite étoile à moi.
L'homme qui avait prononcé ces paroles, leva son verre vide de mescal, dit, tu m'en payes un autre, et j'ai commandé deux autres mescals. Un peu auparavant, l'homme s'était installé sur un tabouret à côté du mien, avait posé sa canne contre le comptoir et sans se présenter il se mit à me parler. Je crois bien qu'il m'avait à peine vu, et qu'en fait, il se parlait plus à lui-même qu'il ne me parlait. Un type est passé dans son dos et a posé un doigt sur sa tempe tout en me montrant l'homme. J'avais compris, hoché la tête, mais ce n'était pas mon impression, il ne m'avait pas l'air fou. Ma petite étoile, elle s'appelle Frida, il ajouta. Elle habite à Mexico.
Frida j'ai répété parce que je ne savais pas quoi dire.
Oui Frida ma fille. Elle est née au pire moment, mais elle s'en est bien sortie. C'est une avocate. Elle se bat et c'est bien. Le sang de sa mère lui coule dans les veines. Je ne la vois jamais. Elle aussi elle pense que je n'appartient plus à ce monde. Il vida son verre de mescal. J'en fis de même. Ça te dit que je te paye un verre ? Mais pas ici, je connais une cantina sympa.
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Même si je connaissais déjà San Cristobal de las Casas, seul, je ne passais pas les portes battantes de ces bars qui cachent une clientèle essentiellement mexicaine, j’aurais eu l’impression d'être un voyeur qui leur volerait des moments de leur vie sans rien donner en échange. J'ai accepté son invitation, d'autant plus volontiers que cela valait mieux que cette mescaleria, un bar à mescal, de la rue Real de Guadalupe à San Cristobal de las casas, envahie de touristes et d'expatriés du monde entier.
Nous avons marché dans des rues où déambulait une foule nombreuse de Mexicains en vacances et d'étrangers car nous étions à quelques jours de Noël. Et puis après nous être éloignés du centre, nous avons escaladé une rue pavée et sommes arrivés sur une petite place qui dominait une partie de la ville et les montagnes environnantes. Sur une de ces montagnes, une monumentale et lumineuse flèche d'une église mettait en relief une nuit dense d'où quelques étoiles émergeaient. Malgré sa canne, l'homme marchait vite et j'étais obligé de le suivre d'un bon pas. Enfin nous avons passé la porte battante de la cantina en question et nous avons littéralement plongé dans une ambiance de feu. Des gens reprenaient des chansons de Cumbia à pleins poumons, la bière coulant à flot, il y avait beaucoup de viande soûle. Quelqu'un a hurlé, salut Paco, comment tu vas, et Paco a répondu, comme un homme descendu des étoiles de l'enfer, compadre ! C'était un ami de Paco et il nous invita à aller nous asseoir au fond de la cantina, près de la porte des toilettes, où on pouvait encore se parler sans se crier dessus. Et ça aurait pu s'arrêter là, un verre et puis ciao, mais non, au contraire, le type se présenta, Anton, j'en fit de même et une conversation à bâtons rompus s'engagea. Entre moi, Anton et Paco, une discussion politique, une discussion de fou, une histoire que plus personne ne connaissait, c'était l'histoire de militants de
Liga comunista 23 de septiembre
Cette histoire avait commencé des années plus tôt et toi qui ne me lit pas, peut-être qu'elle t'intéressera, bien que je n'en sois pas sûr. Tu préfères - comme tous ceux qui sont dans cet hôtel de San Cristobal d’où je t'écris - aller faire la fête toute la nuit au milieu de la nature et danser sur vos rythmes aux furieuses ressemblances avec les rythmes des premiers hommes des danses de la possession et du sacré, et comme je te comprends ! Dans ce monde où la distanciation sociale est devenue l'acte fondateur de nos enfermements paranoïaques, danser est une mise en mouvement de vos corps d'une démesure saine et joyeuse.
Danse toute la nuit si toi et tous tes amis vous le désirez car votre joie est du baume au cœur, mais cette histoire
existe,
et même si vous ne lisez pas ce qui fut, est et sera toujours au fond de ce Mexique des beautés et des massacres, il se peut qu'elle mérite d'être racontée. J'écris pour ceux qui ne lisent pas, je continue.
L’histoire est de torture, le corps boiteux de Paco étant là pour le prouver, corps qui avait échappé à l'ultime destruction. Il avait eu de la chance, me disait-il à cette table devant nos trois bières Indio, car il s'en était sorti, à 26 ans, avec ce boitement dû à des coups répétés jusqu'à lui briser les jambes, et il ne m'avait pas tout raconté en détail mais on pouvait penser à toutes ces douleurs que le temps ne parvient qu'à peine à calmer, et on imagine bien que d'en parler n'est pas du tout facile, et Anton pour que je comprenne mieux la situation, m’expliqua le pourquoi du nom, 23 de septiembre, c'est la date d'une première attaque de guérilleros dans les années cinquante contre une caserne de l'armée dans l'état de Chihuahua. Anton parla encore comme un historien capable de prendre du recul, il le pouvait, parce que je lui avais demandé si, lui aussi comme Paco, hein tu vois, tu es passé entre les mains des militaires ? Non, il avait dit avec presque de la tristesse dans la voix, et peut-être aussi du remords de ne pas avoir vécu ce que Paco avait vécu. Il avait échappé à toutes ces rafles, et puis à toutes ces horreurs. Il avait même pu fuir aux USA. Mais pas Paco mais pas sa femme.
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Je militais
aussi dans une organisation assez proche de la leur, à cette époque 74 à 78 et tout ce qu'ils me racontent, c'est ce que nous cherchions à construire nous aussi, dans le pays de la Commune et de tant de rebellions et révolutions. Le Mexique étant notre pays frère, mon pays miroir, ce que peux dire Anton ce que peux dire Paco, c'est aussi ce que disaient les voix des militants que j'ai rencontrés et qui m'ont formé à la lutte, à ne jamais céder au désespoir (la révolution étant toujours toute proche mais jamais à la portée de main, hélas). je te dis ça, je ne sais pas pourquoi, je suis une bouteille jeté à la mer et si j'écris, je n'ai aucun espoir pour autant qu'un jour on découvre cette bouteille et qu'on y lise le message, et aussi étrange que cela paraisse, je ne suis pas triste, j'écris encore. Je veux dire, la mort dans la bouche de Paco, n'est jamais la mort, elle est comme il l'a dit, un chien qui aboie à la porte des enfers et qu'il faudra bien qu'un jour ou l'autre on l’entende cette voix des chiens aboyants. La voix de sa femme par exemple, torturée,violée et qui en mourant accouche d'une étoile qui saigne dans un silence étourdissant .
Et toi jusqu' au petit matin, dans un coin reculé du pays, sous un pont, ou dans un entrepôt désaffecté,ou un champ loin des villes danse bien ta vie. Elle est fragile et c'est parce qu'elle est fragile qu' elle a un avenir.
Anton avait fui aux États Unis, passant la frontière près de Tijuana de façon clandestine puis à Los Angeles, il avait rejoint un réseau de militants mexicains qui tentaient avec l'aide de militants progressistes américains de dénoncer les actes de tortures, commis en toute connaissance de cause par la gouvernement du parti institutionnel révolutionnaires, ce parti qui avait trahi les grandes aspirations du peuple depuis la révolution de 1910.
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Après une terrible répression, le mouvement avait perdu la plupart de ces responsables, en fuite comme Anton, "disparus forcés", torturés, violés, fondus dans l'acide. La liga comunista 23 de septiembre décida de se dissoudre. Cinq ans de luttes dit Anton, on peut penser que cela n'avait pas servi à grand choses. Nous avons perdu tant de merveilleux et merveilleuses camarades qui auraient pu apporter encore beaucoup au Mexique. Je comprends, certains ont pu finir aigris. Les défaites sont dures à encaisser, et pourtant, tu vois, nous trois autour de cette table, nous sommes la preuve, chacun à notre manière, que toutes nos luttes , que chacun de nos actes ne furent pas des coups d'épée dans l'eau. Et pendant que Anton parlait, Paco se taisait, impassible, puis il but d'une traite le reste de sa bière, et autour de nous, les chants continuaient, et certains s'embrassaient, et incessants étaient les aller retours aux toilettes, et à chaque fois la personne qui rejoignait les toilettes, nous regardait, nous les gars sérieux assis si loin de la fête, si sérieux , et pourtant qui faisaient bien partie de cette vie de feu, et ils avaient des regards de sympathie et pourquoi pas de complicité.
On a fini notre bière, on s'est arrêté de parler quelques minutes, puis Anton s'est mis à chanter d'une voix grave, une chanson d'amour, une chanson de cumbia et il s'est levé, c'était un grand type, au visage buriné et aux cheveux noirs qui n'avaient pas encore blanchi aux tempes, et il alla pisser. Pendant ce temps Paco aussi s'était levé, caballero hurla t-il , la canne levé vers un serveur, otra por favor, et il se rassit. Amigo., il me dit, nous ne sommes surtout pas des survivants, mais des vivants qui survivons. Et il partit d'un rire énorme presque effrayant tant celui-ci était puissant, et aussi extraordinaire que cela paraisse, d'un coup il se tut, le visage fermé comme une énigme impossible à déchiffrer. Quand Anton revint de pisser, il reprit la parole et Anton avait des yeux tristes comme un lac de larmes parce que Paco disait comment la justice sociale, sa femme, son amour, sa disparition...
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Frida c'est sa petite étoile à Paco, sa fille, il faut que je vous dise à toi et tes amis, comment ça se passait alors. Quand on appartenait à un mouvement révolutionnaire, il était plus prudent de ne pas avoir d'histoires amoureuses et encore moins d'avoir des d'enfants car en cas ou la police ou l'armée vous arrêtait, peut-être que vous pouviez supportez les douleurs de la torture, mais que faire quand sous vos yeux on torture votre conjointe, votre conjoint; qu' on utilise les fruits de vos entrailles à vous broyer dans le pire des cauchemars imaginables, par exemple en entendant les cris horrifiés de vos enfants entre les mains sanglantes d'un tortionnaire. Qui peut résister à cette inhumanité sans aussitôt avouer même ce qu'il ignore ? Paco ne me dit jamais le nom de sa femme comme si dire un nom réveillait l'insupportable souvenir. Ensemble, ils eurent Frida juste au début de leur vie de militants clandestins. Pour éviter qu'on utilise leur fille comme moyen de pression sur eux, ils décidèrent que leur enfant serait élevé par la mère de sa femme jusqu'à ce que les choses se calment et qu'ils puissent enfin l'élever ensemble, lui donner leur amour. Espoir tenu auquel tout militant s'accroche quand il plonge dans la clandestinité, et bien sûr tu peux comprendre la suite. Paco arrêté; sa femme arrêtée, Frida qui avait alors un an en 1974, ne revit jamais sa mère, elle n'en gardait même pas le souvenir, mais elle apprit l’histoire de ses parents, aujourd'hui avocate, à son tour elle milite pour la reconnaissance par l'état, des tortures que l’armée a commise en son nom, et en particulier des tortures spécifiques aux femmes. C'est aussi cela la vie qui danse, tu ne crois pas, la vie de Frida ?
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Car la danse peut être une conscience.
Est-ce que toi et tes amis vous danserez pour ces femmes violées à l'autre bout du monde ? Est-ce que vous danserez pour que Frida retrouve la paix de l'âme ? Il me semble que vous le ferez, que les tempos des nuits joyeuses sont aussi faits pour de belles revendications. La maman violée et disparue, sa fille Frida , petite étoile saignante, vous les inviterez dans vos danses de vie qui soulèvent la terre des morts.
Comme moi, Anton se taisait. Paco tenait sa bière Indio des deux mains et penché sur celle-ci, il semblait parler à l'Indien imprimé sur l'étiquette de sa bouteille. Il dit qu'ils s'étaient rencontrés sur un marché à Guadalajara dans l’état de Jalesco, et qu'elle était belle comme le jour et qu'il en fut amoureux aussitôt. Très vite il se mirent en couple, lui professeur d'université, elle travailleuse dans une usine de textile. Il était marxiste et militant, elle était révoltée par la pauvreté du peuple dans un pays si riche.
Il ajouta en levant ses yeux posés sur la bouteille, elle avait la joie de vivre et l'énergie de celles qui ne cèdent pas d'un pouce. Et Anton ajouta, c'était une extraordinaire militante. Elle était bien plus forte que nous.
Paco comme Anton étaient des dirigeant du 23 septiembre de l'état de Jalesco. Elle adhéra à la liga comunista 23 de Septiembre, et presque en même temps arriva Frida. Bonheur éphémère car à peine un an après sa naissance, lors d'une réunion à Guadalajara, il y eu un coup de filet organisé par l'armée conjointement avec la garde nationale.
Une trahison peut-être, dit Paco en insistant, et Anton se sentit obligé d'intervenir, je suis le seul à m'en être sorti, alors évidemment pèse sur moi cette suspicion. Tu comprends, à leurs places j'aurais pensé comme eux. Puisque je suis le seul qui ait pu s'échapper, c'est qu'il y a de fortes probabilités que ce soit moi le traître. N'est-ce pas Paco, ajouta-t-il en frappant du poing sur la table? Mais Paco eu soudain un immense sourire qui l'illumina, non ne c'est pas toi, dit-il, bien sûr que non. Jamais tu aurais trahi tes amis. Pas toi compadre. Et Anton se radoucit. Ils se chéquèrent du poing comme on le fait maintenant pour ne pas attraper cette saloperie, et ils levèrent leur bière à ma santé, et moi j'en fis de même pour ces deux hommes.
En même temps que le coup de filet des dirigeants de la région du Jalesco, de la liga comunista 23 de septiembre, l'armée descendit chez Paco où se trouvait sa femme. Elle n'avait pas eu le temps de se sauver.
Je ne l'ai jamais revue, me dit Paco. C'était une dure à cuire, mais il eurent sa peau. Oui,violée, torturée, abattue, on a jamais retrouvé son corps. Mon amour est un chien qui aboie sous la terre, et je l'entends toujours cette voix. Puis Paco se tut, le visage dur.
Anton se leva alors et chanta cette chanson de Césaria Olivera que tout le monde connaît en Amérique Latine. La cantina résonnait des voix de tous les clients qui chantaient avec passion.
Besame, besame mucho
como fuiera esta noche la ultima vez
Besame besame mucho
que tengo miedo tenerte
Y perderte despuès
Embrasse moi, embrasse moi beaucoup.
Comme si cette nuit était la dernière fois.
Embrasse moi, embrasse moi beaucoup.
Car j'ai peur de t'avoir
Et de te perdre après
Et comme Paco se mit à chanter, puis se leva et dansa en tenant d'une main sa canne et de l'autre, en prenant par le cou Anton dont les larmes lui glissaient dessus, que pouvais-je faire d'autre ? J'ai chanté aussi. Puis j'ai recommander trois Indios. Besame, besame, como fuiera esta noche la ultima vez.
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Sur les murs des villes de France, on écrivit "où est Steve", et puis on repêcha son corps. Jour de la fête de la musique à Nantes, un sound-système sur les bords de la Loire. Les forces de l'ordre chargèrent les teufeurs. Steve n’eut pas le temps de fuir, il sauta dans le fleuve. Hélas il ne savait pas nager. Plus tard vous avez organisé une méga fête en son honneur et à nouveau, le préfet, avec toute sa rage de représentant de l'état et de l'ordre, ordonna en toute illégalité la répression de votre nuit de fête. Ils cassèrent votre matériel, tirèrent des lacrimos sur des jeunes femmes et des jeunes hommes assis pacifiquement en face d'eux. L'un d'entre vous reçut une grenade sur la main. Sa main fut arrachée et le responsable de la répression interdit alors aux pompiers de porter secours au blessé, ce ne fut que bien plus tard qu'il fut conduit à l’hôpital.
jamais la justice
Vous avez organisé dans de multiples villes des manifestions joyeuse pour votre liberté de danser, le droit de vivre hors des sentiers battus et pour que votre jeunesse ne soit pas un enfermement.
Nous voilà sortis de cette cantina en compagnie de Paco et Anton. La nuit est noire et froide à San Cristobal de las casas. Nous descendons vers le centre, passons devant le bar "la révolution", puis la cathédrale. Sur le parvis, des Indiens totsiles rempilent leur artisanat vendu aux touristes étrangers et Mexicains. Nous bifurquons ensuite par la rue Real de Guadalupe, ou des néo-hippies, des travelers comme toi et tes amis, jouent de la musique ou vendent encore leurs bijoux. La ville est en train de baisser ses rideaux, mais quelques bars encore résonnent des musiques du monde. Paco et Anton se tiennent bras dessus bras dessous. Nous nous quittons. Ils lèvent le poing, me souhaitant bonne chance. J'en fais de même.
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La terre n'est qu'une. Non extensible.
Dedans cette terre, la maman de Frida
Dessus Paco, Anton, Frida, nous, toi et tes amis
Alors, dansez,
Dansons avec les chiens de l'enfer qui aboient
Et dessus, dessous,
se lève la nuit.
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bornutyboisson · 3 years ago
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Ce qu'aurait dit Jana Cerna
Ce type-là, il s’appelle Hans, un rasta aux
dreadlocks blondes, avec une belle gueule de premier et sa poitrine gonflée de matamore nordique, quel con non !
Assis en face de moi à la même table, il me regarde interrogateur. Je peux, il demande. Ouais je réponds et je lui tends le reste de mon omelette au nopal et de ma purée de haricots rouge que Maria Luz, la cuisinière, nous a servie au petit déjeuner. Merci, il dit. Je bouffe comme deux.
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Je ne prends même pas la peine de le regarder, mais il continue. Je vais aller au cenote de San Lorenzo, il parait que c'est le plus beau de la région et il y a un restaurant et une piscine. On y mange comme des rois, on m'a dit. Ouais ouais, je réponds encore du bout des lèvres, il est très bien ce cenote, et puis je me lève. Bonne journée, je dis de mauvaise foi, et je vais chercher ma trousse de toilette dans le dortoir que je partage avec Hans et six autres touristes dans l’hôtel Candelaria à Valladolid . Je file dans la salle de bain. Elle est libre car je suis le dernier à me laver.
J'ai passé la journée en ville. Il y a eu de l'orage, il faisait une chaleur moite, j'ai juste visité le musée d'archéologie maya régional et j'ai marché dans des rues calmes et plutôt ennuyeuses. Je suis rentré tôt à l’hôtel et j'ai bouquiné. J'ai revu Hans le soir, il était au fond du jardin où trois hamacs suspendus à des arbres tropicaux aux feuilles géantes, étaient à la disposition des clients. Ses fesses touchaient presque le sol, et le hamac dans lequel il était affalé, de tous ses fils rouges, verts et jaunes était tendu à craquer.
J'ai eu la peur de ma vie, il me dit en s'étirant au point que ses pieds dépassaient de son hamac. Il chaussait au moins du 46 ou 47. J'étais allongé dans l'autre hamac situé en face de lui, mon livre ouvert de la poétesse tchèque Jana Cerna, posé sur mon ventre. Il a commencé à raconter son histoire et j'ai refermé mon livre.
Je me suis fais braquer il me fait, deux jeunes en moto avec un flingue et un couteau.
Quoi Hans j'ai fait surpris, te faire braquer toi à Valladolid. Comment est-ce possible, c'est une des villes les plus sûres du Mexique.
Non, il a répondu pas ici dans la ville,tu comprends pas. J'ai loué un vélo ce matin.
D'accord et alors ?
Eh bien je me suis fait braquer sur la route. Je me suis trompé, j'ai pris l'ancien chemin du cenote, une vieille route toute cabossée mais d'après la carte c'était deux fois plus court que de passer par la nouvelle route. Ils m'ont braqué à côté des poubelles. Je ne sais pas si vraiment c'était le coin des poubelles de la ville mais il y avait des tas de vieux trucs comme des machines à laver désossées,des vieux vélos pourris, des centaines de sacs plastiques accrochés aux arbres et arbustes et un tas d'oiseaux noirs vraiment moches. Un putain de sale coin. J'en ai encore la chair de poule.
Hans tu les as vus, ils étaient comment, j'ai demandé en commençant à m’intéresser à son histoire. Il s'est redressé dans le hamac et a replié une de ses jambes sous ses fesses. Bien que ce soit interdit, il alluma une cigarette et il secoua ses dreadlocks en signe de dénégation;
Non, tu parles je n'ai pas pu les voir, ils ont gardé leurs casques tout le temps qu'ils m'ont braqué. Hans a pris une grande respiration. Il avait l'air dépité . Quel con je fais. Si j'avais su. Bon je t'explique. Il n’y avait personne sur cette vieille route. J'ai peut-être pédalé dix minutes avant d'arriver aux poubelles. C'est à ce moment là qu'ils sont sortis de sous les arbres, et il m'ont coupé la route. le type qui était derrière, a sauté de la moto et il s'est mis face à moi. J'ai été obligé de freiner. Le salaud il a pointé son flingue sous mon nez et puis il m'a hurlé dessus. Je tremblais de tous mes membres, Merde la peur de ma vie je te dis. Je ne sentais même plus mes jambes et j’avais mon cœur qui me battait dans les tempes. Ce type m'a bousculé et je crois qu'il m'a dit de descendre du vélo. Je ne me suis pas fait prier, tu comprends, je faisais dans ma culotte; j'ai horreur de la violence, je suis un rasta moi. Après, ils m'ont poussé dans le coin d’où ils étaient sortis.Je me suis trouvé sous les arbres dans la forêt, on ne pouvait plus nous voir de la route. Rétrospectivement, je crois qu'ils auraient pu me tuer, personne ne s'en serait rendu compte.
Tu vois l'autre braqueur, celui qui conduisait la moto, il m'a encore dit en se redressant, et tout comme un pélican maladroit déploie ses deux ailes, il déploya ses deux jambes en dehors du hamac, et après deux tentatives pour se stabiliser, il s’assoit face à moi en s'agrippant des deux mains au bord du hamac. J'ai aussi changé de position pour me retrouver dans l'axe de son regard. J'ai remarqué que Hans était très jeune, pas plus de vingt ans. Il avait une tête de poupon, ses dreadlocks descendaient au milieu de son dos et il semblait encore trembler. Mais c'était peut être la précaire stabilité du hamac qui le faisait légèrement tanguer et que je prenais pour un tremblement. Il a continué à me parler , je l'écoutais maintenant avec plus d'attention.
Celui qui conduisait la moto, il a repris, eh bien il m'a envoyé un uppercut au menton, puis il m'a sorti un couteau. Je croyais qu'il allait me trouer la peau. Mais non! Il a juste sectionné les bretelles de mon sac à dos. Gringo, gringo, monnaie, monnaie, il a dit. Ça j'ai compris. J'avais tout dans mon sac ! Encore heureux que j'avais laissé mon passeport à l'hôtel. Ils n'avaient plus qu'à se servir, 20 000 pesos en liquide et ma carte visa. Pas dur à trouver. J'avais tout mis dans une pochette, et bien sûr ils ont aussi fouillé mes poches et trouvé mon portable. Merde pourquoi je n'ai pas tout laissé dans mon casier à l'hôtel ? Maintenant je suis à poil, je n'ai plus rien.
Hans s'est rallongé dans son hamac rouge,vert et jaune. Il a replié une partie du hamac sur ses jambes et a croisé ses bras derrière la tête. Un souffle de vent est passé à travers les arbres du jardin et une feuille grosse comme un plat à paella est tombée entre nous en faisant un bruit de froissement creux. Un instant, nous avons croisé notre regard, et un silence nous a enveloppés dans sa destinée furtive car il s'est aussitôt crispé, et très vite il a ajouté, le mec avec le flingue m'a filé un coup de ninja dans le ventre. Il s'est mis à rigoler tandis que l'autre avec son couteau, a crevé les deux roues du vélo. Ils sont remontés sur leurs motos et ils se sont volatilisés en emportant mon fric, ma carte et mon smartphone. Maintenant je suis à côté de toi, dans cet hôtel, et j'ai juste 400 pesos pour vivre. Je vais être obligé de rentrer chez moi. J'aurai rien vu du Mexique.
De dépit, il s'est mis à souffler longuement. Le côté matamore que j'avais d'abord vu en lui s'est complètement estompé. Je n'avais plus en face de moi qu'un gamin déboussolé et perdu.
Ne t'inquiète pas, j'ai affirmé, tu sais aujourd’hui, c'est tellement facile de voyager. Tu as ton passeport, c'est le principal. Tu as fait opposition à ta carte bleue ?
Bah oui c'est ce que j'ai fait en premier, dès que je suis sorti du bureau de la police touristique. Mais je ne me souviens d'aucun numéro de téléphone. Perdre mon portable, c'est pire que perdre ma carte bleue. Sans portable, ce n'est pas humain, Je n'existe plus.
Oui je sais, vous les jeunes vous n'avez pas connu ce monde où pour appeler quelqu'un, il fallait aller dans une cabine téléphonique et espérer qu'elle ne soit pas vandalisée.
Qu'est que tu as dit, il a fait distraitement.
Rien. Ça n'a pas d'importance, j'ai répondu.Tu as Facebook, Messenger, Skype, What's app tous ces trucs là, je suppose.
Tu me prends pour qui, il a fait, je ne suis pas un handicapé.
Je sais Hans. je voulais te dire que tu pouvais utiliser mon ordinateur, te brancher sur une de tes applications privilégiées, et demander de l'aide à des amis ou à ta famille.
Merci, il a fait en se tortillant pour se décoincer du hamac et après plusieurs essais infructueux, il a réussi enfin à se relever. C’est déjà fait avec l'ordinateur de la réception. Mes parents vont m'envoyer du fric par la Western Union. Mais putain, je n'ai plus envie de voyager. Quand tu as eu la peur de ta vie, tu penses qu'à une chose, te retrouver au fond du lit de ta chambre d'enfant.
Non, non, j'ai répété avec insistance, quand tu as raté quelque chose, tu recommences tout de suite, et c'est ce que tu vas faire. Tu devais rester combien de temps au Mexique ?
Je dois rentré dans 2 mois.
Hé bien si tu ne veux pas te sentir un moins que rien, ou te regarder dans la glace sans avoir honte de toi, tu vas arrêter tes conneries, reprendre ton sac à dos, acheter un nouveau smartphone , une carte sim mexicaine - je peux te montrer comment faire. Et tu vas le terminer ton voyage. Tu verras, tout se passera bien.Tu comprends ce que je te dis ?
Ouais, il a fait en haussant les épaules d'accord. Je crois que tu as raison. Je vais me reprendre en main.Après tout il n'y a pas eu mort d'homme. Merci. Tu me remontes le moral.
De rien Hans.
Il a secoué ses longues tresses blondes et a commencé à reprendre corps. Sa poitrine s'est gonflée. Il avait l'allure d'un athlète en pleine possession de ses moyens et le matamore a refait surface. Il a tendu un doigt vers moi. C'est quoi ce que tu lis ?
Quoi ça, j'ai demandé en montrant mon ventre.
Oui ce livre c'est quoi.
Ah oui ça. Tu veux que je te traduise le titre ?
Ouais.
Pas dans le cul aujourd'hui. J'ai pris mon bouquin et je lui ai montré la couverture. Un superbe petit livre, j'ai ajouté.
Quoi pas dans le cul aujourd'hui, il a répété.
Oui pas dans le cul aujourd'hui de Jana Cerna. C'est très, très bien.
En une seconde, son visage est devenu carrément cramoisi et il s'est reculé de 2 pas.
Tu lis des livres de cul à ton âge ! Tu n'as pas honte. Tu me donnes des leçons de moral mais tu n'es qu'un vieux pervers.
Hans arrête. Ce livre a été écrit par une femme incroyable. Une poétesse.
Pas dans le cul aujourd'hui, tu parles d'une poésie Et toi, tu n'es qu'un vieil obsédé sexuel qui se permet de donner des leçons aux jeunes;
Calme-toi Hans, c'est pas du tout ce que tu crois;
Je veux pas t'écouter. Ça me me suffit comme ça pour cette journée, me faire braquer avec un flingue et tomber sur un obsédé qui lit des livres de cul . Merci beaucoup, mais c'est trop.
Hans s'est retourné d'un coup, j'en ai marre, il a hurlé en fuyant à grands pas du jardin.
Je me suis retrouvé seul, un peu décontenancé. Je regrettais déjà de lui avoir remonté le moral. Hans n'avait même pas pris le temps de m'écouter jusqu'au bout. Dommage, car tout comme moi, il aurait découvert une sacrée dame en lisant ce petit livre. Pas dans le cul aujourd'hui est une longue lettre de Jana Cerna envoyé à son amant Egon Bondy. Cette lettre est introduite par un de ses poèmes écrit en 1948.
Pas dans le cul aujourd'hui j'ai mal/ Et puis j'aimerais d'abord discuter un peu avec toi car j'ai de l'estime pour ton intellect/ On peut supposer que ce soit suffisant pour baiser en direction de la stratosphère.
Jana Cerna vivait dans la Prague stalinienne d'après guerre, Elle faisait partie d'un petit groupe d’intellectuels bohèmes en opposition radicale avec le régime en place. Elle écrira sur le désir féminin, la nécessité d'être anticonformiste, cherchant toujours à lier la philosophie et la poésie. C'est de cela que parle cette magnifique lettre et dont Hans n'a pas voulu entendre parler. Si elle l'avait rencontré, je me demande ce qu'elle aurait fait ? Sans doute qu'elle l'aurait dragué, puis elle lui aurait avalé sa bite et ses couilles à la fois, comme elle l'écrit dans sa lettre à Egon Bondy. Elle lui aurait mis ses tétons entre ses dents, elle l'aurait baisé jusqu'à la garde et Hans aussi athlétique qu'il l'est, se serait retrouvé tout raplapla, vidé ,complètement retourné. transfiguré et Jana Cerna aurait joui en direction de la stratosphère . Et puis après elle aurait dit.
Mon petit Hans, j'en ai rien à faire de ton petit braquage au Mexique. Moi je n'ai pas besoin d'aller à l'autre bout du monde pour voyager. Petit homme plein de muscles sache que ce n'est pas seulement avec une bite qu'on baise, Et moi, je voyage beaucoup plus loin avec mes mots que toi avec ton smartphone. Adieu beau petit con.
Voilà ce qu'aurait dit Jana Cerna avant de courir rejoindre sa bande de poètes de l'underground praguois. Elle aurait raconté cette petite histoire de baise et de braquage au Mexique et ils auraient tous éclaté de rire .
Oui, je crois bien que cela aurait pu se passer ainsi.
Valladolid dans les Yucatán s'éveillait. Moi aussi. Et en attendant 8 heures, l'heure où le petit déjeuner était servi dans la cuisine en plein air jouxtant le jardin, j'ai été m'allonger dans un des 3 hamacs. Des oiseaux sifflaient des chants qui m'étaient inconnus. Des fourmis balaises étaient déjà à la besogne sous le hamac et transportaient des morceaux de feuilles qui devaient peser vingt ou trente fois leur poids. Un chien dans la ville aboya, puis se tut. Une douceur nimbait toutes les choses et conservait une fraîcheur qui allait être bientôt avalée par la brutale arrivée du soleil. Le ciel était encore d'un bleu tendre qui contrastait avec ce bleu métal chauffé à blanc des heures à venir. Je pouvais sentir sur ma peau la respiration des feuilles géantes de ces arbres auxquels étaient attachés les hamacs. C'était un grand moment de paix. Peut-être que c'est de cette paix de la première heure du matin dont me parlait le chant des oiseaux. Puis l'heure du petit déjeuner approcha et Maria Luz la cuisinière s'apprêta aux fourneaux; Je vis arriver un couple d'argentins, puis une allemande, au visage sévère, s’installa à une table et ouvrit aussitôt son téléphone sans lever la tête. Bientôt un homme s'installa à ses côté en nous souhaitant le bonjour. Trois autres touristes se présentèrent et sans même saluer qui que ce soit, ils collèrent leur visage à l’écran de leur machine et avec leurs doigts, ils scrollèrent furieusement comme des adeptes d'une nouvelle religion du néant. J’ai été m’installer à la dernière table libre, posé mon téléphone à mes côtés et je me suis servi un café au lait.
Hans arriva un peu plus tard en compagnie de 2 jeunes voyageuses d’à peu près son âge. Il était en débardeur qui mettait en valeur une musculature prétentieuse et les 2 filles le couvaient des yeux. Ils se sont installés à la seule table où il y avait trois places de libres. c'est à dire à la mienne . La veille, je l'avais revu deux fois et il m'avait boudé. Ce matin, il 'avait l'air plus détendu et en meilleure disposition. Maria Luz mettait un point d'honneur à ne jamais servir deux fois d'affilée, le même petit déjeuner. Cette fois-ci ce n’était plus des œufs au nopal et une purée haricot rouge, mais un bol débordant de bananes, de pastèques et d'ananas ainsi qu'une assiette avec deux bons gros pancakes accompagnés de chocolat, de miel et de sirop d'érable, de quoi tenir une bonne partie de la journée, qu'elle posa à côté de mon café.
Merci beaucoup Maria Luz j'ai dit, esto me parece muy rico, Ça m'a l'air très bon.
Elle me remercia à son tour puis retourna à ses fourneaux et revint aussitôt servir Hans et ses 2 amies.Ils ne firent pas plus attention au service qu'ils ne la remercièrent. Mais sans doute ne savaient-ils pas dire merci en espagnol. Ils mangèrent comme des affamés.
Je n'avais pas le même rythme qu'eux et puis je voulais voir. Quand Hans eu fini son assiette il me regarda et jeta un regard insistant sur mon assiette qui contenait encore une moitié de pancake. Son visage était chargé d'une tendresse intéressée. Je me suis adossé à ma chaise, ai levé les yeux au ciel et mis mes mains derrière la tête, semblant être rassasié. Déjà il avait posé sa main sur mon assiette.
Puisque tu arrêtes de manger je peux, il me demanda.
J'attendais cet instant avec gourmandise. Non! j'ai hurlé en faisant sursauter l'ensemble des clients et en tapant du poing sur la table. Puis j'ai ajouté, t'as qu'à bouffer tes morts.
Hans a retiré précipitamment sa main de mon assiette et s'est transformé en une statue de sel.
Et il me plaisait de deviner Jana Cerna pouffer de plaisir dans le beau sourire que me faisait Maria Luz qui s'était retournée, avait mis ses deux mains sur ses hanches et hochait la tête.
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Valladolid, Merida
décembre 2021
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bornutyboisson · 3 years ago
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un carnet (Latinoamerica) : deuxième voyage
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Merida, Yucatan
Exposition: Les mayas éternels
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bornutyboisson · 5 years ago
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un carnet (Latinoamerica) a 2 ans aujourd'hui !
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bornutyboisson · 6 years ago
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Monsieur Soleil (dont Google a volé l'âme)
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Monsieur Soleil
(dont Google a volé l'âme)
Minuit était passé depuis longtemps, il n'y avait presque plus personne. Je  me baladais dans les rues du centre historique de la ville de Mexico. Pour être venu plusieurs fois dans la capitale du Mexique, je pouvais me vanter de bien connaître les rues autour de la plaza del Zocalo et de la cathédrale jusqu'à la plaza de Bellas Artes et du parque Alameda. Pourtant d'un coup je me suis arrêté et j'ai levé la tête. Je ne reconnaissais pas cet endroit. Je ne sais pas comment j'étais arrivé là, j'avais marché machinalement.
J'étais parvenu au bout d'une rue qui se finissait en une petite place sur laquelle était planté un arbre sec et rabougri. Dessous il y avait un banc.  Je devais soit faire demi tour soit prendre derrière l'arbre, un étroit passage bordé par des hauts murs qui menait je ne sais trop où  et qui était peu éclairé. Ca avait tout l'air d'un coupe-gorge. J'ai donc fait demi-tour quand j'ai entendu  quelqu'un dans mon dos qui m'appelait. Monsieur Bornu Tyboisson, arrêtez vous, s'il vous plaît. Je dois vous parler.
Je me suis retourné d'un coup. IL n'y avait personne.  J'ai repris ma marche et j'avais à peine fait trois pas  qu'à nouveau  la voix répéta,  monsieur Bornu Tyboisson.  
Je me suis retourné à nouveau, mais cette fois-ci plus lentement car je savais  que mon esprit était en train de me jouer un tour, et qu'il n'y aurait personne dans l'impasse quand je me serais retourné. Ce qui fut évidemment le cas.
Vous de pouvez pas encore me voir a dit une voix. Je m'appelle monsieur Soleil et j'ai besoin de votre aide.
Cette voix était très clair,  très net   mais impossible. de dire de quel côté, elle venait
Un instant je suis resté immobile. J''avais entendu des voix une fois, l'année précédente  dans un musée à Guadalajara, mais depuis   tout était redevenu normal. J'ai donc fait comme si tout était encore normal.
Bonjour j'ai dit en tendant la main dans le vide. C'était un jeu.
Ne soyez pas cynique monsieur Tyboisson. Pour l'instant,il ne vaut mieux pas que vous me voyiez.
Personne ne peut vous voir  dans toute votre  splendeur sans aussitôt en mourir. N'est-ce pas ainsi  monsieur Soleil, j'ai demandé ?
Vous ne croyez pas si bien dire. En effet. S'il vous plaît, allez vous asseoir sur ce banc. Je vous rejoins dans un instant.
Comme il me l'avait dit, j'ai été m’asseoir sous l'arbre rabougri.  Je ne sais pas pourquoi. Il aurait été tellement plus simple de partir. Au lieu de quoi j'ai croisé les jambes et enserré un genou entre mes mains et je me suis tenu bien droit. Presque aussitôt j'ai perçu à mes côté une présence ou plutôt une force. J'ai commencé à suer. J'avais l’impression qu'il faisait 40 degrés.
Attendez encore un instant à fait la voix.
J'ai décroisé les jambes. Je me suis essuyé le front et remonté les manches de ma chemise, puis j'ai tourné la tête. Un homme était assis à côté de moi. Il portait un sweet noir avec une capuche démesurée qui lui descendait jusqu'au niveau de la bouche. Il avait aussi des gants noirs, un pantalon et des chaussures noirs.  J'avais très chaud,  mon cœur battait plus vite qu'à la normale et je suais de plus en plus, à grosses gouttes.
Attendez encore a-t-il dit. Bientôt vous vous ne sentirez beaucoup mieux. Respirez à fond.
C'est ce que je fis , je respirais et soufflais puis mon cœur se mit à ralentir et à nouveau j'ai ressenti la fraîcheur des nuits de Mexico. C'est comme si on m'avait fait un massage. J'étais très décontracté.
Ca va mieux n'est-ce  pas ?
Je vais vraiment très bien, merci, je lui ai répondu. Vous m'avez drogué a l'insu de mon plein gré  non ?
Monsieur soleil s'est mit à rire d'un rire comment dire? C'était un rire plus que chaleureux. Je dirais un rire de flammes ou un rire qui crachait des braises. Mais plus que tout c’était  un rire qui vous donnait confiance et qui vous rassurait. C'était inconsidéré de ma part mais j'avais décidé que cet homme dont je ne connaissait rien, qui se cachait derrière des habits noirs et sans visage visible, était mon  ami, quelqu'un que je semblais connaître depuis toujours.
Ca m'a pris d'un coup. Je n'avais pas fumé depuis 3 ans et j'ai eu un besoin vital de Marijuana et comme par enchantement monsieur soleil a dit, n'hésitez pas - je crois qu'il lisait dans mes pensées.
C'est pour vous ajouta-t-il. N'ayez crainte, demain vous n'aurez pas envie de fumer. Faite vous plaisir et de sa main gantée,  il me tendit une toute petite cigarette.
C'est de la pure. Elle pousse dans la montagne du côté de Oaxaca. Elle est excellente, je vous l'assure.
Merci j'ai dit . J'ai pris cette petite cigarette et tirer deux taffes. Mes poumons ont hurlé, mes yeux sont sortis de ma tête je me suis plié en deux. J'ai crié géniale en me redressant et en me levant  du banc, avant de retomber d'un coup.
Houa c'est de la bonne j'ai dit. Monsieur Soleil vous ne seriez pas dealer, des fois? Si oui je vous en achète un kg. Mes amis vont en raffoler.
Il a rit de nouveau. De ces vêtement si sombre se dégageait  une très légère lumière qui formait un halo autour de sa personne.
Non je ne suis pas un dealer. Je savais juste que de fumer allait vous aider à mieux cerner  mon problème et je l'espère à m'aider. J'ai tant besoin de vous.
J'ai repris ma position initiale, jambe croisé un genou dans mes mains. La ruelle et la place semblait  voguer au dessus de la terre ce qui devait être l'effet de la marijuana. Ce lieu était perdu, nous étions seuls et à quelques mètres du banc, un lampadaire  nous éclairait d'une lumière jaune, ocre, presque irréelle. Monsieur Soleil à commencer à me parler. Il a parlé longtemps. Je ne l'ai pas interrompu. Sa voix était douce et ferme. Elle aurait pu être chantante mais elle avait quelque chose de tragique qui l'empêchant d'être tout à fait musicale. Je ne l'ai pas une seule fois regarder. J'avais le regard fixé sur l'autre halo, celui jaune ocre du lampadaire.
Je vais bientôt mourir fut sa première phrase. O n'ayez crainte, vous me verrez encore longtemps mais je ne serai plus le même car en ce moment, on est en train de me voler mon âme et sans mon âme, je devient  fade, sans couleur, vide. Chaque jour je le suis un peu plus. Vous savez la lumière n'existe pas sans âme. L'âme est le principe même de la lumière. Ne croyez pas que je parle de religion quand je parle d'âme. Je pourrais parler d'animation, de mouvement, de vitesse et même d'amour, l’âme c'est un peu tout ça. Vous comprenez ?
J'ai fait oui plus ou moins avec ma tête car  j'étais incapable de prononcer un mot, même oui. Cela devait être aussi l'effet de la Marijuana. Si vous voulez, je pourrais très bien dire,  à la place, qu'on est en train de me voler mon cœur. L'âme est aussi un cœur et sans cœur il n'y a pas de vie même pour moi comme pour toute chose. J'ai acquiescé, je comprenais à peu près.
Chaque nuit, je m'affaiblis un peu plus. C'est toujours la même chose.  Des milliers de personnes que dis-je des millions de personnes se réunissent sur les montagnes, dans  les plaines, en haut d'un bâtiment d'une ville et bien sûr sur le bord de la mer et, au moment du couché, ces millions d'hommes et de femmes prennent des photos. Je devrais dire qu'ils mitraillent. Qu'on fusille un peu plus chaque jour qui passe. Jusqu'à il y a une vingtaine d'année, c'était très supportable. Je peux même dire que cela flattait l’ego.  Mais avec l'arrivée des téléphones portables puis des smartphones, chaque couché de mon soleil est    devenu un enfer et il me souffre. Je m'en rappelle très bien, c'est ce qu'à dit monsieur Soleil, et il me souffre.
Monsieur Soleil a laisser un long silence  se poser sur nous. J'ai entendu son souffle, il était long, lent et profond. Il a ensuite parlé des peuples primitifs qui refusent qu'on les prennent en photos car ils pensent qu'on leur volent leur âme. Cela fait rire la plupart des gens des grandes cités habitués à une consommation effrénée d'images. Et pourtant les hommes sages sont ces hommes là. Puis il a ajouté, je vous ai choisi monsieur Tyboisson parce que en quelques sorte, vous êtes un homme primitif. Vous n'avez jamais fait de photos de votre vie jusqu'à ce dernier voyage et même aujourd'hui, vous ne faites jamais de photos de couché de soleil. Peut-être ne le savez vous pas, mais vous êtes de plus en plus rares, hommes et femmes, à ne pas photographier. Je vous ai choisi aussi parce qu'il me fallait quelqu'un au Mexique, disponible tout de suite.J'ai donc pensé à vous.
j'ai à nouveau fait un sigle de tête que je comprenais. Et maintenant j'étais presque certain qu'il lisait dans mes pensées car  je me demandais , il a besoin de moi pour quoi faire? Et il a ajouté, aussitôt après que je me suis mentalement posé la question, je vais vous le dire.
Google.
C'est en faite le seul mot que j'ai dit de toute cette conversation.
Quoi !
Oui Google. Google est en train de me voler mon âme.
Certes Google est une entreprise qui contrôle une très grande partie de notre vie. Mais au point de contrôler Monsieur Soleil , je ne pouvais le croire.
Non seulement il me contrôle à t-il dit mais Google me tue un peu plus chaque jour.
vous ne savez sans doute pas mais à chaque fois que sur votre smartphone vous faîtes une photo, Google l'enregistre et l'archive dans ses banques de données. Pour être très clair monsieur Tyboisson, je fais appel à vous pour que vous entriez dans les banques de données de Google et que vous détruisiez, les images de couché du soleil qui y sont emprisonnées. Vous êtes perplexe.  Je vous comprends. Vous vous demandez comment vous allez pouvoir faire, n'est-ce pas ?
J'ai hoché la tête.
Et combien d'image il vous faudra détruire ? C'est assez simple tout compte fait. Il vous suffira de détruire les photos faites ces dix dernières année ce qui correspond à 123 milliards de photos.  Le couché du soleil est la photo la moins originale de l'humanité et pourtant on continue à fusiller ce sans quoi, la vie n'existerait pas. Quel paradoxe ajouta-t-il et il y avait dans la voix de monsieur Soleil, un peu d'amertume. L'humanité aime à détruire ce qui donne à vivre. Et pourtant je ne peux m'empêcher de l'aimer.
Pas Google, pas ce monstre.
J'ai encore hoché la tête, rien de plus simple je me suis dit. 123 milliards de photos à détruite . Une bagatelle ! pour quelqu'un qui sait à peine ce qu'est une banque de données et qui n'a pas la moindre idée de la manière de rentrer dans ce type de banque et je ne sais encore moins comment faire pour détruire 123 milliards de photos ! Il faudrait des années et une armée entière  pour m'aider dans ma tâche.
Vous n'avez pas à détruire physiquement 123 milliards de photos, bien sûr,  il a dit. A l'époque du numérique, en quelques secondes, on peut effacer des millions de données. Cela devrait prendre tout au plus deux ou trois heures pour effacer toutes ces images et bien sûr vous allez être aidé par un groupe d'amis, les Péréphéricos d''une TAZ de l'état de Oaxaca.  Une TAZ est une Zone Autonome Temporaire et les péréphéricos sont des pirates.Vous  ne comprenez pas? C'est normal. Alors vous lirez la petite note que j'ai laissé pour vous à la fin de l'histoire.  Vous verrez, puisque vous allez les rencontrer, ce sont des gens sympathiques.
Monsieur Bornu Tyboisson. Je vous remercie même si vous ne m'avez pas dit que vous acceptiez ma proposition de détruire ces photos, je sais que vous allez le faire. Il faut que vous alliez vous reposer et vous coucher. J'ai réservé un vol pour vous ce matin. Vous allez  rejoindre la ville de Oaxaca et ensuite vous prendrez un bus pour vous rendre dans la montagne et rejoindre ainsi nos amis les Péréphéricos. Ils vous aideront. Vous pouvez vous levez monsieur Bornu Tyboison? J'ai confirmé. Je ne sentais plus vraiment l'effet du joint ni la fatigue.
Monsieur Soleil ne me tendit pas sa main. Il se leva du banc, le contourna et il s'engagea dans la ruelle. Avant de disparaître il me dit, bonne chance. Votre billet d'avion est dans votre chambre d'hôtel avec tout ce que vous avez besoin. On se reverra encore. Et  je vous remercie  de tout mon cœur ou tout de moins,  de ce qu'il en reste.
                                        X X X
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On allait bientôt arrivé à San José du Pacifico. Je me suis demandé si je n'étais pas l'objet d'une farce. San José au milieu de la montagne à 3 heures de bus de la ville de Oaxaca était devenu depuis une vingtaine d'année une sorte  de point de chute  de zombis défoncés, de types sans repère, de  néo-bouddhistes ramollis et de charlatans  en tout genre profitant de la naïveté  d'occidentaux qui confondaient culture indienne  chamanique avec  leur nombril inculte et paumé. Mais heureusement je n'allais pas avoir à faire à ces gens que généralement je fuyais.Je descendais du bus , 10 km après  San José, au milieu de nulle part. Il y avait juste un abri de bus et j'étais seul. J'ai été m’asseoir sous cet arrêt, à l'ombre. Sur le papier que j'avais retrouvé dans ma chambre, monsieur Soleil me disait que quelqu'un viendrait me chercher.
Après la sortie de M Soleil par cette  ruelle étroite  derrière la petite  place, j'avais facilement retrouver le chemin de mon hôtel situé dans la rue Isabella la Catholica pas très loin de la place du  Zocalo. En rentrant dans ma chambre  j'avais trouvé un mot de Monsieur Soleil sur mon lit. Il m'expliquait comment rejoindre la TAZ de Oaxaca et il y avait aussi suffisamment d'argent pour vivre 15 jours . IL avait écrit je ne vous ferrai pas l'insulte de vous payer . Vous ne l'accepteriez pas. Cet argent est juste une façon de vous dédommager de quelques frais.
Le papier de cette lettre était d'une nature très bizarre. Quand vous le teniez dans vos mains, il était doux comme  un pétale de rose  qui serait en permanence chauffé . Si vous le  saisissiez  entre l'index et le pouce, vous aviez l'impression de toucher une peau vivante bien que de texture végétale . C'était chaud et je m'attendais à percevoir un battement de cœur. Il y avait aussi un billet d'avion de Mexico à Oaxaca. Il y avait même du produit anti-moustique une crème solaire d'une grande marque, ainsi qu'une paire de lunette de soleil de très bonne qualité. Évidemment question se protéger des rayons solaires, Monsieur Soleil, était la personne  appropriée. Bref il avait acheté exactement ce qu'il me manquait.
Après quelques heures de sommeil, j'ai pris l'avion à l'aéroport  de Mexico. Moins d'une heure après le décollage, j'arrivais à Oaxaca et me faisait conduite directement à la station de bus à coté du marché de abastos, de l'autre coté du périphérique de la ville. Je faisais tout ce trajet sans penser une seule seconde à autre chose que d'arriver  dans cette Zone Autonome Temporaire au milieu de cette montagne et maintenant j'y étais presque. Depuis une demi-heure j'attendais sous l'arrêt de bus. Je n'avais  vu  personne. Un autobus était passé dans le sens inverse ainsi que 3 camionnettes qui devait arriver  de Puerto Escondido ou de Puerto Angel. J'ai regardé mon téléphone et je me suis dit encore trois minutes et s'il se passe rien , je retourne à Oaxaca. Au bout de deux minutes comme j'étais toujours aussi seul, me suis levé du banc  et j'ai mis mon sac sur mon dos. Au moment ou j'allais traversé la route, un vieux pick up est arrivé par un chemin de la forêt  et s'est arrêté juste devant moi.
Excuse moi a dit le chauffeur par sa fenêtre ouverte.Je ne t'ai pas trop fait attendre au moins ?
Une demi-heure j'ai dit.
Ah c'est rien, il a décrété, jette ton sac derrière et monte à côté de moi.
J'ai fait ce qu'il m'a dit et il a démarré sur les chapeaux de roues.
Il faut qu'on arrive avant la nuit, il s'est justifié, ce vieux tacot n'a pas de lumière.  Tiens met ça pendant vingt minutes. Tu n'es pas censé savoir ou je te conduis.
C'était un masque que l'on trouve dans les avions, d'ailleurs il y avait le logo d'une compagnie aérienne sur ce loup. Je l'ai mis.
Je sais que c'est des conneries mais bon, tu dois le garder vingt minutes.  Dans 5 minutes tu ne sauras déjà plus ou on est et tu pourras l’enlever. Et puis de toute façon, il y a déjà beaucoup de monde qui sait  ou se trouve cette  Zone Autonome Temporaire. Qu'on nous repère n'est pas important. Ce qui l'est beaucoup plus,  c'est d'être là où on nous attend pas ou de ne pas être là où on nous attend. Tu piges camarade.
Vaguement j'ai dit. Je ne l'avais pas dit a monsieur Soleil mais je savais que le livre  "TAZ", Zone Autonome Temporaire avait été écrit par Achim Bay aux Etats-Unis. Je l'avais lu à une  époque ou je m’intéressait aux pirates et que j'avais écrit un petit livre de piraterie pour Lou. 5 minutes sans voir,  me paraissait des heures, surtout que j'étais chahuté de tous cotés et que je ne pouvais pas anticiper les soubresauts du pick up.
Allez enlève ton truc il a dit, je m’appelle Nino et je suis italien.
J'ai enlevé le masque noir et je l'ai regardé. Tu te fous de moi je lui ai dit. Tu es chinois, japonais ou coréen j'en sais rien moi, mais cela m’étonnerait que tu aies du sang de Berlosconi dans les veines.
Il a rit.
Je suis Coréen mais je m'appelle quand-même Nino. Comme Nino Ferrer, "le Sud". La chanson. Ça te dit ?
J'ai fait un signe de tête de haut en bas.
Mucho gusto Bornu et il me tendit la main. Je me suis mis à sourire. Il avait un  foulard rouge autour du cou et une casquette parisienne qui lui tombait avec élégance sur une oreille. Il lui manquait juste un  vieux mégot au coin des lèvres et il aurait pu ressembler à un titi parisien. Comme il portait un débardeur blanc, taché de cambouis. On aurait pu aussi le prendre pour un ouvrier français pendant les grèves de 36.
Je suis  marxiste, sans parti, affirma-t-il fièrement,  libertaire et  historien amateur du mouvement ouvrier européen du XX siècle. J'ai beaucoup d'admiration pour vous les prolos français. On a pas ça dans notre culture en Corée mais ça va venir. Il y a déjà eu de grandes grèves et d'énormes manifestation comme chez vous.. On m'a dit que tu avais été militant pendant des années. C'est vrai ?
Pas tout le temps j'ai répondu, quand c'était nécessaire.
Plus de trente ans quand-même a fait Nino.
C'est ça.
Il faisait plus frais, par moment le soleil disparaissait derrière un sommet alors les couleurs du ciel s'adoucissaient et quand le soleil réapparaissait,  les ombres s'étiraient et s'enfuyaient en galopant sous les arbres. Une légère brise s'était  levée, elle venait de la direction du Pacifique et était chargée d'une fragrance de fleurs sucrées et d'épines de pin. Nous avons roulé sur des chemins de terre, le plus souvent en silence. Nous rencontrions parfois un  indien avec ses bêtes. Il nous faisait toujours un petit signe de la main. Nous avons quittez ce paysage de montagne et nous nous sommes retrouvé au bord, d'un vallon en forme de cirque. Au milieu il y avait un village en dur et des centaines de tentes.
Bienvenue dans une des Zones d'Autonomies Temporaires  de l'état de Oaxaca a dit Nino. On est enfin arrivé. Je te paye d'abord un verre camarade. Après nous passerons aux choses sérieuses.
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(sur un mur de la ville de Oaxaca en janvier 2019)
TAZ.
C'était en réalité entre un hameau et un village  fait de maisons en bois pour la plupart, et quelques unes en dur, comme le bar ou nous sommes rentrés.
Sur les murs, il y avait les photos de Pancho villa, de Zapata et de Flores Magon l'anarchiste mexicain du début du vingtième siècle .Au dessus des toilettes hommes il y avait le portrait de Bakounine et au dessus de celles des femmes, de Louise Michel. Il y avait aussi des slogans politiques sur les 43  élèves instituteurs  de l'école normale d'Ayotzinapa disparus avec leur bus en septembre 2014, une affiche des Zapatistes de EZLN. Plus surprenant, une immense affiche recouvrait la moitié d'un pan de mur, c'était  un photomontage du tableau, "la liberté" de Delacroix et d'une manifestation des gilets jaunes en France.
Quel surprise, il y avait mon ami  Miguel de Guadalajara que je n'avais pas vu depuis plusieurs mois. J'allais me lever pour aller lui serrer la main mais Nino m'a dit, pas la peine camarade.  Tu le verras certainement plus tard.
A la table à côté de celle de Miguel, il y avait aussi le poète aux pieds nus de Puerto Vallarta. Il était dans les bras d'un mexicain et tous les deux semblaient heureux.  Je me suis demandé si ce n'étais pas son amoureux disparu, l'avocat qui défendait la cause des migrants. Los Desaparecidos, les disparus, on ne les retrouverait que rarement et souvent au hasard de la découverte d'un  charnier que suppurait  cette terre mexicaine  imbibée du sang de son  peuple.
J'ai eu l’impression qu'il me faisait un clin d’œil, je lui fait un petit signe de la main. Mais déjà il m'avait oublié et il embrassait goulûment son amoureux.
Comment tu trouves ce bar a dit Nino?
Très bizarre, j'ai répondu. J'ai l'impression d'être venu ici plein de fois et d'être entouré d'amis.
Tu as de la chance il m'a dit. Moi, la première fois que je suis allé dans un bar d'une TAZ , j'étais seul et il m'a fallu beaucoup de temps pour m'adapter. De toute évidence ici tu es comme chez toi. tu ne mettrais pas beaucoup de temps pour te sentir bien.
Les deux bières étaient devant nous. De temps en temps je regardais Miguel derrière mon dos. Il semblait ne pas me voir et était engagé dans une discussion passionnée avec deux autres mexicains.
Derrière à une autre table j'ai reconnu une écrivaine Helena Poniatowska, celle qui avait écrit le très beau, Diego te querio. Il y  avait aussi le poète  Secilia qui avait refusé d'écrire une ligne de poésie depuis l'assassinat  de son fils par des membres d'un cartel à  Cuernavuaca. Toutes les tables étaient occupées, il faisait presque nuit. Ces personnes avaient l'air  passionnées, vivant sans temps morts. On pouvait fumer. Nino a allumé une cigarette et m'en a proposé une. J'ai accepté. C'était ma première cigarette depuis  3 ans et j'ai éclaté de rire. Nino avait mis sa clope sur le coin des lèvres et là il n'y avait plus aucun doute, il était un titi parisien ou Gavroche. J'ai allumé  ma cigarette à la sienne. J'avais envie de fumer, de parler  de boire, de danser, de lutter et d'aimer à la folie, tout à la fois. J'aurais serré entre mes bras toutes ces personnes. J'adorais le bar de  cette Zone AutonomeTemporaire de l'état de Oaxaca.
Qu'est-ce qui te fait rire m'a demandé Nino?
Toi j'ai répondu. Ta manière d'imiter  les français.
C'est pas ça , il a fait inquiet ? Je suis ridicule .
Non Nino, j'aime bien comment tu es. Seulement par moment les étrangers vous nous voyez encore avec une béret basque, une baguette sous le bras et le poing toujours levé, comment si on était toujours en train de manifester, de faire grève et de bouffer en même temps.
Et de baiser aussi à poursuivi Nino. Vous baiser beaucoup vous les français. Ce n'est pas vrai ?
Si si  comme des lapins, mille fois plus que les coréens.
Tu te moques de moi camarade.
Oui Nino. mais surtout ne change rien. Je te trouve très bien avec ce béret et ce foulard rouge. Tu sais nous ne sommes pas différents de vous. Je ne crois pas que nous baisions plus que les coréens Mais au moins, en France, en 2 siècles nous avons fait 5 révolutions, et ça j'en suis fier camarade Nino.
Attend a dit Nino, 5 révolutions tu dis. La révolution française, un.  1830 les 3 glorieuses, deux. Trois? 1848 . C'est ça ?
Parfaitement.
Et 4 la commune de Paris.
D'accord?
Et la cinquième ce n'est pas 36 ou mai 68 ?
Non j'ai dit. La cinquième c'est la révolution à venir.Il faut déjà la compter. Les pouvoirs ont toujours anticipé la révolution dans leur cauchemars. C'est la raison pour laquelle quand ils se réveillent, ils accaparent les richesses avec la rage  de ceux qui ne donner rien à l'avenir. Il faut compter la révolution à venir comme il faut compter tout ce qu'ils ont volé à l'humanité.
Comme l'âme volé de monsieur soleil.
Oui c'est ça Nino comme l'âme volé de  monsieur Soleil.
On s'en prend une autre j'ai demandé ?
M'embrouille pas, il m'a dit, on a du boulot et pas beaucoup de temps. Il faut que l'on rejoigne mes camarades, les Péréphéricos.
Nous avons traversé le village et quatre places différentes sur lesquelles avait lieu des groupes de discussions.
C'est comme ça tous les soirs à dit Nino.
Ce groupe là s'occupe des migrants, de comment les aider. On réfléchit aussi et avant tout sur  comment faire pour briser les murs, comme en Palestine  ou celui que Trump veut dresser entre le Mexique et les États Unis. Nous discutons aussi de comment faire tomber les murs des prisons que nous avons tous dans nos têtes.
Sur la place suivante, il dira, Là  ce que tu vois c'est un groupe de travail  dirigé par des zapatistes contre les travaux inutiles du gouvernements Obrador*. Nouvel aéroport  , barrage électrique dans le Morelos, pays de Zapata, et surtout le train Maya qui doit traverser tout le sud du Pays. Un projet délirant, typiquement capitaliste et comme d'habitude on ne demande pas l'avis des peuples qui vivent sur ces territoires. C'est le pays des indiens mayas et des zapatistes.
Oui Bornu, ils sont toujours armés même si ce sont les hommes les  plus paisible du monde. Dans toute l'Amerique, on tue encore des indiens comme on écrase des mouches.
Nous sommes arrivés devant une maison, la dernière du village. Après il y avait un camping avec une centaine de tentes.
Nous y voilà;  a dit Nino.Je te souhaite la bienvenue dans la maison des Périphéricos.
Nous sommes rentrés dans un salon ou étaient assis 3 femmes et deux hommes.  Autour il y avait des enchevêtrements de fils électriques , des claviers d'ordinateurs posés sur des tables, d'autres sur des tabourets et même parterre. Il  y avait aussi d'immenses écrans d'ordinateurs posés les uns  a côté des autres sur une longue table de bois. Des combinaisons qui ressemblaient à celles de plongeurs ou de cosmonautes étaient suspendus à des porte-manteaux. Il n'y avait pas de fenêtre, la lumière était tamisée et j'avais froid, il ne devait pas faire plus de 18 degrés. Je me suis dit que c'était sans doute pour conserver tous cet arsenal électronique en bonne état.
Tu bois un verre avec nous a demandé une femme rasée, très jeune, qui ressemblait  étrangement à la fille du président que j'avais rencontrée au Pérou à Cusco, si elle n'avait dans le nez un anneau.
Il n'y a pas d'alcool, elle a ajouté.
Oui à fait une autre fille en riant pas d'alcool mais  de la psylo, des champignons, du payolt. A tire la Rigaud, en voici en voilà.
Des extasys, de la MD , des acides, de la coke, un peu de marijuana et des amphètes. tout ça est autorisé a  dit un mexicain d'une quarantaine d'années qui portait un catogan un  short colonial et de vielles docteurs martins grenats. Un homme et une femme un peu plus loin étaient assis devant un écran. Ils avaient un casque sur les oreilles.
Je te les présente pas a dit Nino. C'est notre groupe de Péréphéricos. Tous des cracs du piratage informatique. Des révolutionnaires et des cinglés de justice sociale. Dans la bande, je suis le seul marxiste. Eux se disent anarchistes  ou communalistes.
Moi  a dit la fille avec un anneau dans le nez, je suis Une Inutile au Monde et toi ?
Inutile au Monde, cela me va très bien aussi.
Elle m'a  envoyé un baisé à la volé. Enfin quelqu''un comme moi. Bonne chance elle a ajouté. Tout va bien se passer.
Mais qu'est-ce que je dois faire j'ai dit  avec une boule d'angoisse qui commençait à me serrer le ventre ? Je ne suis pas un pirate comme vous et je n'y connais pas grand chose  dans tous ces trucs ,j'ai fait, en faisant un arc de cercle avec mon bras.
C'est pourquoi nous sommes avec toi a répondu  le mexicain avec un catogan.  Pendant que tu iras faire une petite ballade de santé avec notre camarade Nino dans la banque de données de Google, nous vous suivrons à partir de nos écrans et nous protégerons vos arrières. Tu peux avoir confiance en Nino, c'est le crac des cracs.
Tu comprends a repris la fille a l'anneau, on va tous assurer, nous et vous deux. Va mettre ta combi avec Nino et placez  vous devant ces écrans.
On n'a pas de clavier nous, j'ai demandé ?
Non ce n'est pas la peine à fait la deuxième fille Les claviers c'est pour nous. Vous vous avez des combinaisons et vous allez rentrer là-dedans.
Elle me désigna un écran.
Dans un écran plasma je me suis exclamé !
Non pas exactement. Dans le réseau. L'écran c'est pour vous suivre et vous aider en cas où.
Va t'habiller à dit Nino qui avait déjà passé sa combinaison. Il est temps d'y aller.
J'ai été mettre ma tenu de scaphandrier, je me suis assis dans un fauteuil,. On m'a mis un casque, des lunettes et des gants sensoriels. À coté de nous l'homme et la femme qui avaient un casque sur les oreilles quand nous sommes rentrés dans cette pièce, nous on dit, soyez près on y va dans 10 secondes. Ils ont commencé le compte à rebours et à zéro, je me suis redressé net. Une boule de feu m'avait littéralement traversé la colonne vertébral de bas en haut et  en arrivant dans ma tête,  il y a eu un flash de lumière. J'étais devenu des séries de pixel, quelque chose comme ça.
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Quand je disais que j'avais une tenue de scaphandrier, c'était une image. Mais maintenant que j'étais dans le système, j'avais vraiment la sensation d'être dans un univers liquide. Mes mouvements, ma pensée étaient liquide. Est-ce que je bougeais réellement pour autant ? J'étais incapable de le dire. Je voyais des  lumières autour de moi, sans forme précises. C'était une impression de froid et d 'eau.  Et puis d'un coup Nino est apparu.Il portait toujours son foulard rouge et sa casquette sur l'oreille mais son tee-shirt blanc était d'une propreté étincelante.
Comment tu as fait pour le laver si vite ?
Ce n'est pas moi c'est mes camarades là-bas dans la pièce. Il peuvent s'amuser avec nous.
OH  !  Mais tu es malade Nino. Tu as plein de points rouges sur le visage. On dirait que tu as la rougeole.
Arrête il a dit. C'est l'Inutile au Monde. Elle adore me chambrer.  Soit un peu sérieuse ma camarade il a dit et aussitôt il retrouva son visage normal.
Merci. Il a levé son pouce, on y va Bornu.
Ou j'ai dit ?
Dans l'antre du monstre  il a répondu et aussitôt ça ma fait comme un trou d'air dans un avion. J'ai cru que toute mes viscères allaient me sortir par la bouche et le nez. Nous allions à une vitesse incroyable. Il y avait plein de couleurs. Je voyais des droites et des angles, parfois des croix comme des carrefours. On appelait cela des autoroutes de l'information. aujourd'hui je ne sais pas  quel mot on donne à cet ensemble numérique de lignes et d'angles. En tout cas jusqu'ici dans ce monde il n'y a pas d'arrondi. Le monde des microprocesseurs et des pixels n'a pas l'air d'aimer les courbes. C'est dommage, il y manque de la sensualité.
J'ai vu des explosions devant moi. Superbe. Cela faisait des gerbes de couleurs. j'ai tourné ma tête sur la droite.  Nino m'a dit c'est la police, ne t’inquiète bas. Nos camarades vont s'en occuper.
A ce moment là une explosion de couleur se répandit juste à côté de lui.
Pas loin il a fait. Mais ça va . Notre tenu nous protège.
Un peu plus tard,  on était dans une mer. En  tout cas, j'avais l'impression de flotter sur l'eau. Tout était calme. On se baladait dans une sorte de carré tout bleu. Parfois un éclair blanc le traversait en silence. Puis cela a accéléré  jusqu’à ce que je ressent un choc. J'avais butté contre une porte.
Je ne sais pas si butter est le bon mot et si nous étions devant une porte. Cela  y ressemblait à l'exception  de l'absence de serrure et de poignée. Nous étions devant un rectangle noir  vertical et si j’essayais d'avancer je butais dessus comme s'il s'agissait d'une porte.
Attend a dit Nino. Il ne faudrait pas nous faire repérer.  Nous sommes arrivés et Google a une armée de petits génies de l'informatique pour se protéger. S'ils nous repèrent, nous serons tout simplement éliminés . Nous ne pourrons plus revenir. Nous errons  dans l'infini solitude du réseau, sans conscience, sans vie et sans mort aussi. Alors laisse moi faire Bornu.
Je n'en menais pas large et je ne sais pas ce qui s'est passé ni combien de temps cela a pris. Je tentais  de comprendre ce que voulait dire être sans conscience, sans vie et sans mort aussi. Cela me faisait froid dans le dos. Nino est réapparu,. Il n'avait plus sa casquette et de long cheveux raides et noirs lui tombaient plus bas que les épaules. Son visage était en sueur.
Ca y est Bornu, on peut rentrer. TU es prêt ?
Oui j'ai dit.
Respire un bon coup. Il faudrait pas que tu vomisses dans ta combi;
Je vais essayer.
Il est passé le premier à travers ce rectangle noir. Je l'ai suivi. Ce rectangle noir n'avait plus aucune substance solide.
Je l'ai désactivé à fait Nino. Nous voilà dans la banque de données, dans  le département du soleil. C'est de loin le département le plus gros de cette banque. Plus de 318 milliards de photos. Ouah quel coup on est en train de faire. Tu t'en rend compte j'espère. On est en train de saboter Google !
Je ne l'écoutais pas vraiment. J'avais presque un haut de cœur. Il m'a fallu faire un effort pour ne pas me retourner et prendre la fuite. C'était inimaginable.  Face à moi, se tenait des milliards de photos de couché de soleil.
Tu est le seul qui peut supprimer des images. Avec ma combi, je ne peut pas. Il te suffit d'avance un pas ou un bras vers les photos et tu détruit plusieurs millions de données à la fois. Essaie, tu vas voir.
J'ai avancé mon bras dans la direction de photos d'un soleil rouge qui plongeait dans la mer J'étais un lance flamme et les photos brûlaient. Je veux dire c'est aussi une image car je ne jetais pas de feu. Cet univers était froid, presque gelée. Ces photos n'avaient aucune vie. C'étaient des combinaisons de chiffres, quelques pixels mortifères enlacés les uns aux autres. En faite quand j’avançais un bras les images par millions  semblait se déchirer de l'intérieur et disparaître dan une sortie de cri muet. J'ai trouvé ça drôle au début, les trois ou 4  premiers milliards  de photos. Puis je n'en pouvais plus, cela me dégoutait.Je fermais les yeux en lançant mon pied ou mon bras en avant.
Que de photos imbéciles l'humanité avait pris.  Chacun devait penser que ses  photos étaient uniques alors qu'elles se ressemblaient toutes.
Familles Devant Couche de Soleil, couple devant CDS, vagues devant CDS. Enfants devant CDS , bateaux devant CDS.  il y avait aussi accidents devant CDS plus rare. C'était toujours la même  photo d'un homme ou d'une femme au bord d'une falaise, le soleil dans le dos, et, il ou elle faisait un pas en arrière dans le vide. Et c'était femme ou homme  battant des bras et hurlant d'effroi devant CDS. Il y avait aussi accidents devant CDS. Il y avait des cons qui avait pris en photos, des corps déchiquetés lors d'accidents de voiture devant CDS. Il y avait aussi amour devant CDS , manifestation, meeting, match de football, inauguration d'un supermarché devant CDS, guerre devant CDS, viol devant CDS  destruction, bombe,explosion devant CDS.  Pauvre Monsieur Soleil que n'avait-il pas vécu? J’avançais mes bras, j’étais à 98 milliards de destructions d'images. J'étais crevé. J'avaise envie de vomir et j'avais froid, terriblement froid.
Une banque de données de Google est comme un cimetière ou s'entassent sans cris et sans pleurs,  des êtes désincarnés et  des fantômes qui errent  dans cet enfer gelé. Il faut que je me repose j'ai dit à Nino.
Il n'a pas répondu. J'ai regardé autour de moi. Il n'y avait rien d'autres que des milliards de soleils couchés, morts.
Nino j'ai hurlé.
Ouai je suis là.
Putain Nino ,  ne me laisse pas  seul, j'ai eu trop peur.
T'inquiète pas, j'assurais tes arrières. Il faut que tu te magnes. Il te reste encore 22 milliards de photos à détruire et on s'est fait repérer.  Il faut que tu ailles vite et que tu penses à rien d'autres que de détruire cet horreur . Google va pas aimé du tout. Et il m'a fait un clin d’œil.
J'ai respiré un bon coup. J'allais mieux. Le camarade Nino a mes côtés, je retrouvais des forces. J'ai balancé mes bras, mes jambes. J'ai pogoté tout ce que je pouvais. Je donnais des coups de poings, des coups de tête, le sautais,  je gesticulais de tous côtés. il ne restait  plus qu'un milliard de photos à  désagréger  et Monsieur Soleil  retrouverait son âme. J'ai entendu un sifflement  aigu. Ca m'a brûlé les entrailles. Une brûlure ? Plutôt une gelure. J'avais si froid. La mort devait ressembler à ce froid.
Bouge a hurlé  Nino. C'est la police privée de Google. Elle est en train de t'attaquer en t'immobilisant par le froid.
C'était facile à dire, mais je ne sentais plus mes membres. J'ai donné deux trois coups de tête. Il n'y avait presque plus d'images. J'en ai encore vu  quelques millions sur ma gauche , les dernières. Je me suis accroupi et mis en boule et j'ai roulé la dessus. Nino était à côté de moi. Il était recouvert de glace. moi je tremblais des pieds à la tête. Dépêche-toi, on sort maintenant, après on ne pourra plus. Je me suis redressé le rectangle noir comme au ralenti,  commença à se redresser.
Merde il a dit trop tard.
A peine avait-il fini de parler que la porte à pris une drôle de forme elle s'est  incurvée et s'est tordue comme si elle n’était plus qu'une pâte molle. Puis d'un coup on a vu des milliers de points noirs se répandent aux quatre coins de la toile. On ne voyait plus rien  pendant quelques secondes et la lumière est revenue.  
C'est nos copains qui ont foutu en l'air tous le système de défense de Google. Accroche toi à moi. Il est temps  qu'on se tire d'ici.
Et à peine avait-il fini sa phrase qu'a nouveau tous mes boyaux me remontèrent dans la gorge. On repartait à une vitesse encore plus grande qu'on était arrivé. Je tenait la main de Nino. Dans ce système gelé où on emprisonne des données, seule la main de Nino était chaude.
Arrête de gesticuler  à dit une voix féminine 'en levant mon casque, tu es de retour. J'ai cligné des yeux et happé une grande bouffée d'air frais. En face de moi, il y avait  l'Inutile au Monde. Elle  me souriait.
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Et puis il y a eu des applaudissements . L'Inutile au Monde ressemblait tant à la fille du président. Je lui ai tendu les bras et elle m'est tombée dessus et m'a embrassé ... sur la joue.
Camarade j'aime les filles avant tout.
Dommage j'ai dit. Tu me rappelais quelqu'un que j'ai aimé trop  peu longtemps.
Et puis cela  m'a traversé l'esprit,   il est où Nino ?
J'arrive, j'ai entendu dans mon dos, j'enlève ma combi.
J'ai soufflé et je me suis retourné. Nino n'avait plus sa casquette mais ces long cheveux raides et noirs qui lui tombaient sur les épaules.Il paraissait plus jeune. Il a fait une courbette.
Monseigneur, il a dit, chapeau bas Bornu. Grâce à toi monsieur Soleil a retrouvé son âme et, on a détruit une banque de données de Google qu'on disait inattaquable.
On a tous crié, Google facho, le peuple aura ta peau et ça s'est transformé en un immense éclat de rire.
Les Péréphéricos, groupe disparates  de libertaires, pirates de la toile. venaient  de réussir un grand coup contre un monstre informatique qui contrôlait déjà une grande partie de notre vie. Et je leur avais donné un coup de main. J'ai a mon tour enlevé ma combi et mes gants sensoriels. J'ai but presque un litre d'eau.
J'ai demandé, je me sens un peu crevé. vous auriez pas un amphète. Tout se que tu veux a dit  l'homme au catogan en  me tendant une coupe à glace rempli de pilules  toute plus belles les unes que les autres. J'ai pris un amphétamine.
Je te reconduis a dit Nino.
J''ai salué les 5 périphéricos. Je leur ai dit que je regrettais de ne pas mieux les connaître .
Camarade  ce fut un grand plaisir à dit l'homme au catogan et il a ouvert la porte sur la nuit mexicaine dans une montagne de l'état de Oaxaca. On a tous levé le poing.
De l'autre bout du village, on entendait de la musique. Un bal, une fête ?
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Un bal. De la bonne vieille cumbia mexicaine. Je me suis accoudé au bar de la buvette, une bière Bohémia devant moi,Nino avait pris une Michelada*
On se boit ça et  après qu'est-ce que je fais. je lui ai demandé ?
Nous les Péréphéricos on a pas eu d'autre info que celle de  te conduire dans cette TAZ et t'aider à détruire 135 milliards de putain de saloperies d'images du soleil. C'est fait. Je ne sais pas. Tu devrais te fier à ton instinct. Tu as de l'argent?
Oui. Monsieur Soleil m'en avait remis.
Alors paye moi une autre Michelada.
Le temps est passé, je regardais les couples danser. La musique m'hypnotisait. Je n'arrivais pas à y croire. Tous ceux que j'avais rencontré dans ce voyage étaient présents dans ce bal.  Miguel était  seul à l'autre bout du bar et il tapait du pied en rythme., le poète  américain aux pieds nus était toujours dans les bras de son amoureux. Le couple Roberto de Medellin et Elsa la jeune allemande avec qui j'avais été à  un concert de musique punk en soutien au mouvement social de Colombie, dansait au centre de la piste de danse. Eux aussi ils étaient dans ce bal. Nico et Marianne et ils se tenaient enlacés. Ils étaient magnifiques d'amour. Je ne sais pas comment ils avaient pu venir ici, sans me prévenir. De plus  Nico  n'avait plus aucun problème de pied.
Et ces trois personnes étaient également dans ce bal. J'avais envie de pleurer de bonheur, j'avais souvent penser à eux. C'était  John le congolais avec sa femme  et leur petite fille. Ils avaient donc réussi à traverser l'enfer de cette forêt du Darien entre le Panama et la Colombie et maintenant ils étaient vivants et plein de vie au Mexique au milieu de ce Territoire Autonome Temporaire. Ils auraient peut-être un avenir ?
Je me me rappelais ce jeune Erythréen  aux yeux bleus magnifiques assassiné par les paramilitaires,  et cette femme qui avait pris sa défense , morte aussi. Et je me rappelais le français, Sylvain qui était parti avec eux.  Et l'honneur  que j'avais eu d'avoir à écrire cette histoire.
Tous me regardaient avec  un sourire de bienveillance et ils me faisaient des signes de la main. Il étaient tout près de moi, si prêt et pourtant je savais qu'il m'était impossible de leur parler, de les  toucher, de les embrasser.Ils étaient dans cette TAZ et moi qui les voyais dans ce monde bien vivant, où étais-je donc ? Je me suis retourné vers le bar, à côté de Nino, il y avait un homme avec une capuche noire démesurée qui lui tombait sur la bouche.
Monsieur Soleil, j'ai crié de surprise et de joie  !
Salut vous deux. Prenez  un verre avec moi, j'offre la tournée. Ce que vous voulez. Vous le méritez amplement a t-il dit  en retirant  cette capuche.
Le soleil était mexicain. Ce pays avait toujours été la patrie du soleil. Évidemment qu'il en avait les traits. En face de nous il avait un homme encore jeune, très beau et il portait un anneau d'or à l'oreille droite comme les pirates. Il avait aussi un foulard rouge autour du cou. Ces yeux en amende  n’étaient pas  des yeux clairs qui brillaient de mille feux Non, ils étaient noirs, la lune épousée par la nuit . Il avait les traits saillants. Il souriait du fond des âges.   C'était un indien,  un apache,  un Tarahumara, un Totsil, ou peut-être était-il tous les indiens d'Amérique à la fois ?
Sa peau était tannée jaune, presque ocre.
Merci les amis. Merci du fond du cœur, sans vous ce voyage n'aurait jamais été possible  et Google aurait gagné.
Son visage était de plus en plus jaune de plus en plus ocre ,et rond très rond.
Vous avez bien réussi votre coup continua monsieur Soleil, j'ai retrouvé mon âme.
J'ai tourné ma tête vers Nino, mais je ne le le voyais plus rien, ni Nino, ni la buvette ni les danseurs. Monsieur soleil était de plus en plus une lumière, j'essayai de lever ma main, de lui parler. Sa silhouaite devenait diffuse, elle s'arrondissait encore.Il n'était plus qu'un hallo, jaune , ocre comme la lumière de ce lampadaire.
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(rêve d’un après-midi de dimanche dans le parc Alameda de Diego Riviera)
Monsieur, monsieur.
J'ai sursauté. Le réverbère était un peu plus loin et de derrière le banc, un homme avait posé sa main sur mon épaule. Un policier.
Vous allez bien monsieur.
Je me suis protégé le visage avec mon bras. On y avait dirigé un faisceau de lumière d'une lampe. Ca devait être un deuxième policier.
Quoi j'ai dit.
La lumière de la lampe s'est éteinte et j'ai pu regarder  plus précisément.
J'étais de nouveau assis sous cet arbre rabougri et il y avait deux policiers autour de moi. Ils n'étaient pas agressifs.
Vous êtes sur que vous allez bien ?
Je n'étais plus dans la montagne  du côté de Oaxaca. J'étais à Mexico sur cette petite place. La lumière ocre du lampadaire était bien réel. L'arbre, le banc, les deux policiers   aussi.
Oui je vais bien, j'ai dit . Merci. J'ai dû m'endormir.
Faut pas rester ici à dit l'un des deux policiers, c'est très dangereux la nuit Mexico et surtout cet endroit, vous savez.
Oui vous avez raison.
Ce sont des voisins qui nous ont appelé. Ils nous ont dit qu'il y avait une personne louche avec vous, habillé tout en noir avec une capuche.
Vous savez ou se trouve cette personne demanda le deuxième flic?
J'étais si déçu. j'avais mille questions à poser à monsieur Soleil. J'ai levé mon bras et j'ai dit oui là-haut. il est là-haut.
On ne plaisante pas avec la police   monsieur.
C'est vrai. Excusez moi. Je veux dire qu'il est parti par la ruelle derrière la place.
On vous a dit de ne pas vous moquez de la police. vous êtes dans une impasse. Il n'y a pas de ruelle derrière vous.
Quoi je vous jure ! Et je me suis retourné.
En effet, il n'y avait pas de ruelle. A la place il y avait un long mur haut et gris.
Je sais plus j'ai dit. Il m'a parlé de Mexico, du temps  qu'il faisait, et  de photos je crois. Puis il est parti. Il ne m'a  même pas demandé de l'argent. Il n'était pas du tout violent vous savez.
D'accord. Et vous avez prit des drogues ?
Je ne crois pas j'ai dit, je ne fume plus depuis 3 ans.
Et d'autres drogues. Cocaïne par exemple?
Non juste un petit doigt par moment  et seulement avec une amie. Elle habite en  France elle s'appelle ...
D'accord a dit le flic impatient. Bon rentrez dans votre hôtel  maintenant. On vous accompagne jusqu'à la sortie de l'impasse.
Merci j'ai dit,et en me levant,  j'ai remarqué en dessous de mon pied, le mégot de la cigarette de Marijuana que m'avait offert monsieur Soleil. Je n'avais donc pas tout  rêvé ? On a commencé à marcher.
Le parc Alameda  est au bout de cette avenue  à dit le deuxième policier.  La place du Zocalo se situe de l'autre côté du parc, tout droit à 15 minutes de marche.
Oui j'ai dit merci, je connais.
Vous ferriez  mieux de commander un taxi.
Je vais encore marché un peu et ensuite, oui, j'en prendrait un. Merci messieurs.
Ils ont porté un doigt à leur casquette et donné un coup de menton. Ils sont remontées dans leur voiture  garée  à l'entrée de l'impasse. Un autre flic les attendait derrière le volant.Dès qu'ils sont partis,  je me suis rendu dans le parc Alameda. Il commençait à avoir de la circulation, quelques joggers. Mexico ne dort jamais. Des employés balayaient un trottoir. Un vendeur ambulant tirait une carriole à bras, vide, et la-haut, la nuit faisait sa révérence aux derrière étoiles et diffusaient les première lumières de l'aube, des bleus encore  noyés dans des ombres grises et des promesses de rose. Un écureuil est tombé d'un arbre et à couru sur une pelouse.
Le temps retrouvé du soleil.
Et puis les dernières étoiles ont rejoint l'immensité invisible. Les gris sont devenus des bleus et les promesse sont devenues des roses doux comme des  caresses. Le soleil se levait. Notre  soleil se levait. Le soleil apache, le soleil mapuche, le soleil tutstil, le soleil tarahumara se levait, le soleil incas,  le soleil maya,  le soleil des migrants, le soleil des vaincus et des tombés, le soleil amoureux et le soleil du lac Titicaca se levait.  Le soleil du volcan Popocatopelt se levait.  Le soleil des femmes de ménages* et celui des mineurs de Bolivie, le soleil à travers les soupiraux des salles de torture de la Marina de Veracruz, le soleil de toutes les ombres  et des cris étouffés dans la forêt du Darien entre le Panama et la Colombie se levait, et le soleil noir, le soleil frère, de sous la terre pour que la mémoire des os  et de la poussière ne s'efface jamais, se levait,   le soleil de l'aube que les enfant regardent avec appétit, et  le soleil de tout ce qui fut se levait aussi.
L'âme ensoleillé du monde, dans ce matin de la Ciutad de  Mexico nous saluait tous , elle était de retour.
                                        FIN
PS: Google salaud, le peuple aura  ta peau.  Nique ta banque ! Signé : les Périphéricos
Tulum, Cancun,  du 27 mars au 2 avril 2019
*TAZ: Veut dire,  zone autonome temporaire. C'est le titre d'un livre de 1991 de Hakim Bay. L'auteur s'interdit de définir précisément ce qu'est une Taz pour ne pas créer de dogmes politiques. La Zone Autonome Temporaire se réclame de l'esprit de révolte des flibustiers, des pirates. C'est un système mouvant et souple, impossible à contrôler. Les Free party par exemple  peuvent être des  Zones Autonomes Temporaires. Hakim Bay est un écrivain politique anarchiste et un  poète, né en 1945 à New-York.
*Una michelada est une boisson avec comme base une bière à laquelle on ajoute du citron vert, du sel et une sauce épicée  du genre Tabasco.  C'est un cocktail typique du Mexique.
*Obrador est le nouveau président du Mexique, élu en juin 2018 et qui à pris la tête du gouvernement en décembre 2018. C'est un homme de gauche  avec une forte sensibilité vert le centre. On peut le considéré comme honnête. Quand je suis retourné au Mexique au milieu de janvier 2019. Il menait son premier grand combat contre les cartels et les politiciens vereux qui détournaient l'argent de la plus importante compagnie Mexicaine. La Pemex. La compagnie de pétrole du pays. L'armée était obligée d'occuper les raffineries pour empêcher le détournement du pétrole.  Obrador, après cinquante ans  de contrôle du pays par le PRI puis par le Pan, deux partis néofascistes totalement corrompus, est pour l'instant un espoir pour beaucoup de mexicains. Mais l'armée, la police d'état, la marine et surtout les polices municipales sont eux aussi corrompus en très grande partie et ont des lien avérés avec les différents cartels. Après la défaite  ou la déroute de différents partis de gauches en Amérique Latine au Nicaragua, Venezuela, Brésil,  Obrador est avec Évo Moralès en Bolivie, les seuls représentants de la gauche, dans un continent de plus en plus marqué par le fascisme et le retour des américains dans les affaires intérieurs de ces pays... l'un n'allant pas sans l'autre !
Rappelons que le Mexique est le pays où il y a le plus de disparus au monde, assassinés par la police, l'armée ou les cartels. C'est aussi le pays dit "en paix" où il y a le plus de journalistes assassinés. C'est aussi le pays ou un bus avec 43 élèves instituteur au milieu d'une ville, à disparu sans laissé aucune trace, alors que l'armée et la police étaient à quelques mètres de ce bus.
Le Mexique est un charnier à ciel ouvert.
Même si les mexicains sont avenants et souriants, dessous ces masques que voient  les touristes, c'est un peuple qui souffre et qui attend beaucoup de ce gouvernement. Il n’est pas certain qu'Obrador aille jusqu'à la fin de son mandat !
*Les femmes de ménage : Roma le dernier film du Mexicain Alfonso Cuaron parle de la vie d'une domestique dans le quartier  Roma à Mexico. Il filme la vie sacrificielle d'une  femme indienne  dans une famille petite bourgeoise. Oscar du meilleur film étranger à  Hollywood et Lion d'or à Venise 2018.  Ce film va mettre en lumière ces milliers de femmes de l'ombre qui n'ont quasiment aucun statut  social dans la société mexicaine... Voire à l'échelle mondiale !
C’est la fin “d’Un carnet (latinoamerica)” .
Je remercie tous ceux et celles qui par leur lecture, m’ont accompagné dans ces quelques pays d’Amérique Latine. Grâce à vous, la solitude ne m’a jamais semblé lourde à porter. Je tiens surtout à remercier mes trois fidèles  correcteurs de  mes innombrables fautes d’orthographes. Mon ami Jean-Claude de la Buttes aux Cailles et mes deux compagnons d’un  bout de voyage, Sylvain et Sarah.
.Ne voulant pas mettre à nouveau,  à l’ouvrage mes trois ami-es, ce dernier texte a été publié sur mon blog, sans correcteurs ou correctrices extérieurs.  Désolé pour les très nombreuses fautes.
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bornutyboisson · 6 years ago
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Time waits for no one. Chanson pour “la fille du président”
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bornutyboisson · 6 years ago
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Epilogue de la fille du président
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(conte de noël érotique pour backpackers névrosés)
Île du Soleil, lac Titicaca, 24 décembre au soir, Bolivie.
La fille du président prenait son bus pour aller à la frontière du Chili, en passant par Arequipa, la grande ville péruvienne du sud du pays, le soir-même. Elle m'a embrassé en se levant.
Il faut que j'aille voir mes deux amis pour prendre des billets pour le bus de ce soir. Je te laisse Bornu. Quelle nuit nous avons passé! N'est-ce pas mon chou ? Je l'oublierai jamais, tu peux en être sûr. Et elle se donna une claque sur la fesse en rigolant. On se voit en fin d'après midi ?
D'accord ma belle, j'ai répondu. On se retrouve avant que tu partes. Promis.
Je me suis rendormi une petite heure puis je suis allé prendre un café dans la cuisine de l’hôtel. Marina y était. Elle avait le regard sombre et, sans cérémonie, elle a dit, tu es sans doute fier de toi ? Baiser avec une gamine poilue comme un singe. Vous n'étiez pas beau à voir tous les deux sur ce lit.
Bonjour d'abord, Marina. Il y a un problème ?
Oui, je trouve cela dégueulasse. C'est bien connu, les françaises ce sont toutes des putes.
Oh non Marina, pas ma mère. Ma mère n'est pas une pute, je peux te le certifier.
Fais pas le malin avec moi Bornu. Ta mère, comme les autres, une pute. Sinon, elle se serait abstenue de mettre au monde un type comme toi. Et puis, se faire tailler une pipe dans la rue par une gamine et laisser tomber sa canne, ce n'est pas très fin tout ça.
C'était donc toi, la personne qui nous matait dans ce passage. C'est toi la dégueulasse, pas nous.
J'arrivais pas à dormir, alors je suis partie vous rejoindre au Lukuku. Je vous ai vus au loin prendre ce passage. Je voulais vous rejoindre. J'étais loin de penser à ce que vous avez fait. Si tu crois que je prends mon plaisir à regarder ces horreurs là, tu te trompes.
Mais qu'est-ce qu'il t'arrive à monter sur tes grands chevaux, j'ai dit. Excuse pour le bruit, si c'est ce que tu veux, des excuses. Mais pour le reste, c'est ma vie. Cela ne te regarde pas.
Jusqu'ici, elle avait une tasse dans la main et s'était tapotée les lèvres avec une serviette deux ou trois fois. Je remarquai qu'entre ses doigts, maintenant, la tasse tremblait. Elle la reposa et me foudroya du regard.
Bien sûr que ça me concerne. Si tu avais la moindre jugeote, tu ne poserais pas ce type de question. Puis elle a dit, d'une voix haute et froide, tu passes la soirée avec moi et tu baises avec une gamine quasiment sous mon nez. Tu me crois insensible ?
Je n'ai jamais dit cela.
Elle ne  m'a pas écouté et elle a ajouté, d'une voix éteinte, je ne te plais donc pas ?
Ce n'est pas la question, Marina. Tu sais mon âge ? Tu es bien trop jeune pour moi.
Je sais que ce n’était pas très fin de dire cela, mais je le pensais réellement. Elle s'est mise à hurler.
Tu baises avec une pute de singe française qui a tout juste 18 ans et moi, qui ai 32 ans, je serais trop vieille pour toi. Tu n'es qu'un gros con le Frenchie, et elle tapa du poing sur la table.
Je suis resté coi. J'aurais jamais imaginé Marina tapant du poing sur une table.
Marina, calme toi. On est amis tous les deux.
Non, Bornu. Pourquoi tu n'as pas essayé avec moi? Tu n'as pas eu un geste depuis que je te connais, pour me monter que je te plais. Tu détestes peut-être les filles comme moi ?
Au contraire, Marina. Je te trouve superbe, et j'ai eu plus d'une fois envie de t'embrasser. Plus même, je pensais que je n'avais aucune chance avec toi. C'est juste pour cette raison. Tu es beaucoup trop belle pour moi.
Cette dernière phrase était stupide aussi, je le savais. Marina est une femme au-dessus du commun. Dans la rue, même les filles s'arrêtent pour l'admirer. Et sans doute que si j'avais eu 20 ou 30 ans de moins, j'aurais agi autrement, j’aurais laissé aller mes sentiments et me serais battu comme un lion pour elle. Aujourd'hui, je n'étais pas de taille face à des beaux mecs de son âge. Moi avec elle, je croyais que je n'avais pas  une chance sur un million.
Je me suis approché d'elle et j'ai posé une main sur son épaule. Excuse-moi, Marina. Si j'avais su.
Me touche pas, Frenchie, elle a crié en se tournant d'un quart vers moi. C'est trop tard et tu comprends rien.
J'ai fait un bon en arrière. Marina s'est levée et m'a fait face.
C'est toujours la même chose avec vous les garçons. Vous baisez avec n'importe qui et à moi, vous dites que je suis trop belle pour vous. Je me retrouve toujours seule à la fin. Tu sais, c'est dur et douloureux à porter d'être la plus belle.
À mon tour, je me suis énervé. Elle aussi disait des phrases bateau que je ne supportais pas.
Marina, j'ai dit, arrête de faire ta malheureuse. Je connais des centaines, voire des milliers de filles, qui rêveraient être rien que le quart aussi belle que toi. Alors, ne fais pas ta narcissique malheureuse. Personne ne m'aime parce que je suis la plus belle, j'ai fait, en imitant sa voix. Marina, c'est des conneries. C'est dans ton esprit que cela se passe. Tu te prends pour une princesse ou je ne sais trop quoi d'autre. Tu te regardes trop dans le miroir et tu ne regardes pas assez les filles et les garçons de la rue. Tu n'as qu’à faire comme nous, si tu as envie de quelqu’un, bats-toi pour lui montrer tes sentiments et arrête avec ton narcissisme de petite fille bien élevée.
J'ai juste eu le temps de finir ma phrase que je recevais une baffe monumentale. Une seule. Mon oreille en sifflait, mais j'ai quand-même compris ce qu'elle m'a dit, avant de faire demi-tour.
Tu as raison.
Ensuite, elle est retournée dans le dortoir et a fait ses bagages. Elle a payé la nuit et est partie. Je ne l'ai plus revue.
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Mais, une semaine plus tard, j'ai eu des nouvelles. J'étais dans la ville de Puno, dernière ville péruvienne, à la frontière avec la Bolivie, au bord du lac Titicaca et berceau de la civilisation inca. Je buvais un café dans un bar, dans la rue principale, quand la Française de l'Hostel Lucky, qui jusqu'ici n'avait pas quitté les bras de son superbe Péruvien, rentra et me vit. Je lui proposai un café. Elle travaillait comme volontaire dans un hôtel sur la place de la cathédrale et attendait de l'argent de France. Elle avait les traits tirés. Il n'y avait plus aucune trace de bonheur sur son visage. Ce n'était pas difficile à deviner, elle le portait sur elle. Elle s'était faite larguer par son mec. Dehors, il faisait un froid de canard. Depuis deux heures, il pleuvait des cordes. Par la fenêtre du café, je voyais les gens dans la rue, pliés en deux, faisant des grimaces sous leurs parapluies, et beaucoup étaient coiffés, le plus souvent avec classe, de leurs chapeaux melons, leurs hautes-forme ou leurs bonnets à oreillettes traditionnels des indiens Quechuas et Aymaras du  lac Titicaca. Sur les carreaux, la buée laissait des traces qui ressemblaient à de la bave. Je me sentais bien au sec et au chaud. Elle a commencé très fort et je me suis dit. Ça y est, on recommence.
Toutes des putes, les Colombiennes et les Américaines (déjà, j'avais compris ce qu'il s'était passé). Tu te rappelles le bar à coté de la place San Blas, elle m'a demandé.
Oui, je vois bien, le Km Zéro.
C'est ça. Donc, elle a quitté notre hôtel. Tu vois, le jour où toi et la petite Française et le pitbull...
Je l'ai coupée, je ne voulais plus entendre parler de pitbull. Oui oui, je vois très bien. Elle a donc pris un autre hôtel, avec une chambre perso. Pas un dortoir. Elle savait ce qu'elle faisait, la sale pute.
J'avais envie de lui dire, bon, c'est fini les insultes entre filles, ça vous grandit pas, ni toi, ni elle. Mais la haine était trop forte. Cette fille était salement blessée. Elle avait dû l'aimer du plus profond d'elle-même, son Péruvien. D'un coup, son monde  s’écroulait. Elle s'était transformée en une bombe attendant d'exploser sa haine. Elle aurait été capable de déchiqueter le beau Péruvien et Marina.
C'est donc au Km Zéro qu'ils se sont vus pour la première fois. Dès que je suis rentrée dans le bar, car j'avais rendez-vous avec Mario, la chienne perverse m'a vue. Elle m'a fait un sourire sournois et elle est partie en douce. J'avais compris son jeu. De toute façon, Carlos n'était déjà plus le même. Je sentais qu'il était sous le charme de cette sorcière. Si vite, quand-même ! Non, j'aurais pas cru cela de Carlos. Le soir même. Tu comprends ce que ça veut dire ? Deux heures plus tard, il me larguait comme une vieille chaussette. Il m'a dit qu'il ne m'aimait plus et, sans autre explication, il a fait son sac et a changé d’hôtel. Je l'ai suivi, je me suis traînée à ses genoux, je lui ai promis tout ce qu'il voulait. Mais non, rien, il n'a plus dit un mot. Il m'a abandonnée dans la rue.
Elle avait les larmes aux yeux. Il n'y avait rien à dire. Se faire larguer par quelqu'un qu'on aime au bout de deux mois ou de vingt ans ne change rien. La même douleur vous déchire les entrailles et il n'y a aucun baume pour vous soulager, excepté le temps, ce foutu temps de l’absence et de la souffrance, avec lesquelles vous allez vous coucher en boule, le poing dans le ventre, nuit après nuit, sans pouvoir dormir avant de longues et douloureuses heures. Avec la haine qui était en elle, je lui souhaitais bon courage. Il allait lui en falloir.
Oui, elle a repris, on était bien tous les deux, avant que cette salope de sorcière ne l'ensorcelle. Je ne vois pas d'autre raison. Elle est peut-être belle, pour vous les mecs. Mais quand on la regarde de près, on voit bien que ce n'est que du vent. Elle finira toute ridée, seule et ce sera bien fait pour cette pute colombienne.
J'avais envie de lui dire que c'était le lot de toutes et de tous, salopes ou pas, de finir  ridés et seuls. C’était peut-être moche aux yeux de personnes âgées de seulement 30 ans, mais avec les années, la démolition et la solitude, personne n'y échappait. Cette Française me déprimait. À la fin, dans ce bar, elle parlait autant à elle-même qu'à moi. Toutefois, j'appris que tous les deux étaient partis à Lima. Carlos avait toute sa famille dans la capitale et la Française connaissait son adresse. Elle n'allait pas se laisser tondre la laine sur le dos sans réagir, a-t-elle dit. Ils vont en chier, je peux te le jurer. Je pars dans huit jours à Lima. Je ne vais pas les lâcher d'un pas. Si moi je suis malheureuse, je ne vois pas pourquoi la pute et lui seraient heureux. Tu n'es pas d'accord, elle m'a demandé. J'ai juste dit si si, pour avoir la paix et j'ai ajouté qu'il fallait que j'y aille, j'avais mon blog à écrire. Elle est restée assise et je suis allé au comptoir payer nos deux cafés.
Avant de sortir, je me suis retourné. Elle regardait fixement par la fenêtre du bar. Des larmes mouillaient le coin de ses yeux et elle avait les dents serrées. Les poings aussi. J'ai ouvert la porte du café et être happé par la pluie froide des rues de Puno fut un soulagement.
Même si je ne pouvais pas être heureux de la douleur de cette fille, j'étais content pour Marina. Le Péruvien était un type sympa et attentionné. Ils formaient un magnifique couple. Contrairement à ce que disait la française, je ne voyais pas Marina plonger dans les bras de Mario dès le premier jour. Je crois que cette fille a une éthique de l'amour. Elle n'irait pas coucher avec un homme qui a déjà une histoire. J'imagine plutôt que Mario a dû donner de sacrés gages avant que Marina l'accepte, comme par exemple de se séparer immédiatement de la Française. C'est cela, j'imagine. Elle a attendu deux ou trois jours avant de coucher avec lui. Et, ensuite, elle a  tout donné. Je suis sûr que Marina fait une merveilleuse amoureuse. Et j'avais certainement tort (mais je n'ai pas eu le temps de m'expliquer). Elle n'est pas une grande narcissique, elle est juste un peu paumée avec toutes ces images merdiques que véhicule une société d'hommes au sujet des femmes. Je suis sûr que tous les deux vivent une très belle histoire. En tout cas, je leur souhaite, ce serait un très beau cadeau ce soir, puisque c'est le soir de noël.
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Je suis sur l'Île du Soleil, sur le lac Titicaca. À part en faisant les courses ou en croisant les Indiens sur les chemins de l'île, je n'ai parlé avec personne depuis 6 jours. Je pense beaucoup à la fille du président. Souvent, elle me manque, sa présence me manque. En même temps, son fantôme est souvent à coté de moi. Quand je marche dans l'île, canne à la main, je souris. Je vois ma canne tomber pendant qu'elle me fait une petite gâterie. Je me suis aussi surpris à rire en me rappelant qu'elle m'avait appelé Pépé. C'était la première fois qu'on m'appelait Pépé. Faut bien en passer par là aussi, non ? Surtout quand on a une canne ! Je la vois se mettre une main devant la bouche et s'excuser tandis que je la regarde, furieux. Aujourd'hui, je peux en rire, ce qui n'était du tout le cas à Cuzco. Le seul souvenir qui ne me fait toujours pas rire et, au contraire, qui me donne encore des frissons d'horreur, c'est de me rappeler Lula en train de me renifler le trou de balle. Si je peux dire ainsi, je n'arrive pas à prendre du recul avec cette image. Ça doit être mon coté mec. J'associe immédiatement l'image de mon cul et ce pitbull avec l'image de mes couilles et de Lula en train de les bouffer. C'est d'un désagréable !
La fille du président me manque, aucun doute. La raison est peut-être due au fait que nous n'avons pas pu nous revoir avant son départ pour le Chili. Elle et ses deux amis avaient avancé l'heure de leur départ parce qu'il y avait une promo sur les prix des bus de l'après-midi. Elle m'a dit sur Messenger, viens tout de suite Bornu, nous partons dans une heure. Hélas, le temps que je lise le message et que je coure à la station d'autobus, je la ratais de 5 minutes. Cela fait 15 jours exactement et, depuis, je n'ai reçu aucune nouvelle d'elle. Des fois, je me demande si c'est à cause de cette nuit où nous avons fait l'amour. Je n'étais pas trop fier de moi et j'ai un peu, un peu seulement, mauvaise conscience. Ça avait été une nuit sauvage et elle n'a que 18 ans, tout compte fait. Presque 19, elle m'avait dit au lit, dans 4 mois mon chou.
Nous y sommes donc, au 24 décembre, le jour le plus terrible de l'année, tout le monde est en famille, exceptés quelques millions d'hommes et de femmes seuls, immensément seuls. Je me suis promené plusieurs heures sur les chemins de l’Île du Soleil. Mon dos tenait, je faisais des photos de lamas, d'alpagas, d’ânes, des couleurs sur le lac, des montagnes enneigées au loin, des pierres et des fleurs de l'île, mais pas des hommes et des femmes. Je n'ai jamais su photographier des hommes. Je ne m’en sens pas légitime. Et puis je crois, comme certains peuples, que faire une photo d'une personne, c’est lui voler son âme. J'ai fait quand-même quelques photos d'enfants mais j'étais pas fier de moi, car, sur une photo, vous verrez si vous regardez mon blog, une enfant tend la main pour que je la paie.
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Le soir approche et, avec lui, je sens grandir un nœud de tension dans mon ventre. Chaque année, à la même heure, entre 4 et 6 heures, c'est la même chose. L'angoisse de la solitude me saisit et ne me lâche plus, jusqu'à ce que je trouve le sommeil, au milieu de la nuit, souvent après avoir bu une ou deux bouteilles de vin. Je me pose toujours la même question. Est-ce que cette année encore, je vais réussir l'épreuve et en sortir vivant ? Noël, c'est la mort sans la fête des morts et, de toute façon, a-t-on vu quelqu'un mourir une nuit de noël parce qu'il vient de prendre conscience de l'absolue solitude de tout être vivant ? Que cette solitude est le côté irréductible à notre désir du commun, d'être avec des amis, des amours, de la famille ? Goûter à la solitude d'un soir de noël ne serait-il pas plutôt la souffrance nécessaire pour que nous puissions vivre 364 jours de l'année en paix? Je ne sais plus. Mais je crois que oui.
Je vais, comme tous les soirs, au restaurant Pachamama, en haut du village. Il y a la fille et la maman. Ce sont des Guatémaltèques en vacances au Pérou et en Bolivie.  Elles ont une chambre dans un hôtel pas très loin du mien. Je les ai saluées et j'ai été m’asseoir face à la baie vitrée qui donne sur le lac, du côté nord-ouest, et donc du côté Pérou. À l'horizon, il y a une immense masse de nuages noirs sous laquelle un soleil d'un rouge fluo et en même temps d'un rouge d'une douceur incroyable  subsiste encore en entier, au dessus des montagnes. Dès que le soleil disparaît, les couleurs du ciel s'intensifient et celles de la terre de l’île deviennent plus charnelles, comme une révérence à la lumière, avant que, évanescente, celle-ci ne se meure dans la nuit. Il n'y a personne d'autre dans le resto. À côté du Pachamama, dans l'autre restaurant ouvert, un groupe de 6 personnes sont en train de prendre leur repas, peut-être des Américains ou des Canadiens car, dans l'après-midi, je les ai entendus parler anglais. Il y a aussi deux filles, des Allemandes, qui faisaient des photos du coucher de soleil dans le village. C'était la première fois que je les voyais et elle sont vite rentrées dans leur hôtel. Les deux petites filles que j'ai prises en photo tout à l’heure, dont une me tendait la main pour que je lui donne de l'argent, ont conduit leurs  lamas, qui étaient à la pointe de l’île, dans la petite étable de la maison de leurs parents. Il n'y a donc  plus personne dehors. La nuit arrive, il est 19h30 en Bolivie, une heure de moins au Pérou. Quand j'ai eu fini de manger la truite avec du riz, unique plat de cette soirée, j'ai eu envie d'un truc de sucré parce que nous étions le soir de noël. La patronne a ramené quelque chose qui ressemblait à de la crème brûlée, et c'était excellent. Je suis encore resté regarder le paysage à travers la baie vitrée du Pachamama. Dans le ciel, les couleurs vives s'étaient dissoutes en quelques  traits oranges et grenats qui résistaient encore à l'encre de la nuit. Et puis, soudain, le ciel s'est illuminé, comme chaque soir. Il est redevenu comme en plein jour. On voyait le lac et, à l'horizon, les montagnes à des centaines de kilomètres. Cela a duré une fraction de seconde, ce ciel zébré d'un éclair furieux puis la nuit est tombée, noire, intense. On sentait venir la pluie. J'ai remercié la patronne et le serveur et je leur ai souhaité bon Noël. J'ai fait aussi une bise aux deux Guatémaltèque, puis j'ai mis mes gants, mon foulard et mon bonnet à oreillettes et j'ai pris ma canne. Des le premier pas, j'ai senti le froid de cette nuit-là. Un froid différent des autres nuits, le froid de l'homme seul. Il y avait de la lumière dans les quelques maisons du village mais, déjà, les trois petits magasins fermaient leurs portes. J'ai eu juste le temps d’acheter, au double du prix du continent, une bouteille de rhum et une de coca, le vin étant hors de prix. Mais, avec la bouteille de rhum, j'avais largement assez pour combattre contre la mort, la solitude et même le père Noël, s'il venait à déposer des cadeaux dans mon soulier. Ça faisait longtemps que je ne croyait plus au père Noël. Si toutefois je me trompais et qu'il passait me voir, j'espère qu'il savait boxer car j'avais la haine contre lui, et le seul cadeau que j'allais lui offrir, c'est un uppercut bien placé. Je posais avec précaution ma canne entre les pierres du chemin pour ne pas glisser, je redescendais du côté est de l'île et il ne restait plus aucune lumière, exceptée celle, blafarde, qui s'échappait des fenêtres de quelques maisons. Si tôt dans la soirée et il était déjà impossible de marcher sans une torche. Pendant les 10 minutes qui séparaient l'hôtel du village, je n'ai rencontré qu'un vieil Indien qui remontait avec ses trois ânes. Il m'a juste dit bonne nuit et j'ai répondu bonne nuit, mais le ton n'y était pas. Je savais que cette nuit n'était pas une bonne nuit.
La Bolivie comme le Pérou sont des pays pauvres. Le chauffage est un luxe que ne peut se permettre ni la majorité de la population ni les hôtels pour petits budgets. Sur l'île du soleil, dans la journée, il fait bon et on peut marcher en short, avec son pull autour de la taille. Cependant, à quatre mille mètres d’altitude, la nuit, les températures sont plutôt proches de zéro. Ma chambre avait conservé la chaleur de la journée. Quand j'ai refermé la porte derrière moi, je me suis senti au chaud. J'ai enlevé mon pull mais, très vite, je me suis rendu compte que ce n'était qu'une illusion due au contraste avec l'extérieur. Il ne faisait pas si chaud que ça et je l'ai vite remis. Je me suis servi un grand verre de rhum avec un peu de coca et, machinalement, j'ai allumé mon ordinateur. Depuis trois mois, je n'avais lu aucun livre. Je ne lisais que des journaux et des revues en espagnol, avec un stylo à coté de moi, et une application de traduction espagnol/français allumée sur mon smartphone ou sur mon ordinateur. Je traduisais des articles avec une lenteur exaspérante et, au bout d'une heure, j'étais complètement crevé, je n’avais plus aucune envie de lire. Ce n'est pas ce soir que j'allais m'y mettre, même si la lecture d'un roman ou d'une poésie me manquait.
Internet ne passait déjà plus et je me suis surpris à penser que j'étais coupé du monde. Des bêtises. L'ordinateur n'a jamais été le lien unique avec le monde. Il était si tôt, je n'avais rien à faire et je n'avais pas de télé pour boucher ce gouffre d'ennui qui s'ouvrait devant moi. Aussitôt après avoir bu mon verre de rhum coca, je me suis resservi un verre de rhum sans coca et je l'ai bu cul sec. J'ai soufflé, je me sentais mieux et j'ai commencé à écrire cette histoire.
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Je n'avais pas écrit plus de deux lignes que j'ai entendu les premières gouttes tomber sur les marches de bois de l'escalier extérieur. C'étaient des gouttes lourdes comme l'annonce de la fin du monde. Plouc plouc plouc, elles faisaient et elles résonnaient jusque dans mon crâne. J'ai été ouvrir la porte et j'ai vu que la masse de nuages qui était à l'horizon quand je mangeais au Pachamama s'approchait de l'île, le vent s'était levé. Il y avait des éclairs et il y a eu le tonnerre. J'ai compté 6 secondes de décalage. Cela devenait sérieux, surtout que ça s'est mis à péter trois fois, très fort, et que la pluie s'est précipitée sur l'hôtel et a crépité sur le toit. On n'entendait plus rien d'autre. J'ai commencé à trembler. J 'avais une peur bleue de l'orage.
Putain de Noël ! Pas d'Internet et de l'orage, il ne manquerait plus que le père Noël fasse son apparition et je faisais un infarctus, tandis que la foudre tombait sur l'hôtel, explosait mon ordinateur et me grillait les neurones.
On m'a toujours dit de faire comme ça et c’est ce que j'ai fait. J'ai refermé la porte et j'ai vite éteint mon ordinateur. Ça n'a d'ailleurs servi à rien car, moins de trente secondes plus tard, il y a eu une coupure généralisée d’électricité. J'étais dans le noir complet et je flippais encore plus. Les éclairs se multipliaient et je comptais l'écart avec le bruit du tonnerre. On était rendu à 4 secondes, puis à trois, deux et même une seconde. C’est une toute petite île que celle du Soleil, au milieu d'un lac qui fait plus de 100km de long. Quand l'orage éclate, le son se propage sur l'eau et sur  toute cette étendue d'air, sans aucun obstacle. J'avais l'impression que le son était la voix d'un ogre affamé et fou qui avalait l'espace, la terre et le lac, en éclatant de rire. Le ciel se couvrait d'éclairs. Parfois, on voyait plus loin qu'en plein jour par flash et, parfois, c'était des salves de trois ou quatre éclairs, suivies de  roulements de tambours infernaux et de coups de canons si proches qu'ils semblaient exploser sur votre peau.  En dehors des éclairs, tout était d'encre dans l'île et l'atmosphère était chargée à bloc de je sais trop quoi qui vibrait dangereusement comme une bête invisible et monstrueuse qui allait  bientôt apparaître en crachant du feu, monsieur, que Noël est une torture ! J'ai vite été me réfugier sous les couvertures du lit. J'aurais voulu que quelqu'un me prenne dans ses bras. L’orage augmentait. La pression se faisait sentir jusque dans la pièce. La lumière des éclairs jaillissait dans la chambre. Je comptais encore  deux secondes puis une, ça n’arrêtait pas, cette guerre du ciel et  de la terre. Je crois que les couvertures, les draps, les murs et surtout mes cheveux vibraient. J'aurais mis mes doigts dans une prise, je m'imagine avoir la même sensation, de n'être plus qu'à  un instant de brûler.
Puis, après, il n'y a même plus eu de tonnerre, ce n'était presque que le silence, mais je savais qu'on était au cœur de cet orage et qu'entre le bruit du tonnerre et l'éclair, il n'y avait plus rien d'autre que le toit. À ce moment-là, j'ai entendu des cracs. Trois  fois. Je savais ce que c'était. La foudre tombait aux alentours, à moins de 30 mètres, j'aurais pu la toucher de la main. Mais j’étais tétanisé, aucun doigt ne bougeait, mon cœur ne battait plus pendant que mes cheveux se dressaient et accusait le ciel. Je tremblais de toute mon âme, mon corps refusait tout mouvement. Il me demandait de le rendre invisible.
Puis, à nouveau, il y a eu un décalage entre le son de l'orage et la lumière. Une seconde puis deux secondes. L'orage s'éloignait, il quittait l’île. Il y avait encore toute la masse de nuages au dessus de l'hôtel, mais le cœur électrique de la bête nous avait dépassés. L'eau tombait encore à une incroyable vitesse et elle tambourinait sur le toit, comme si la pluie désirait me cabosser la tête. Mon Dieu, cela avait duré 15 minutes tout au plus, mais, parfois, il y a des minutes qui nous révulsent comme l'éternité de la mort.
Je n'ai jamais eu aussi peur de noël que ce soir-là. Je me suis dit, la bonne droite que je vais lui mettre au P'tit Père des cadeaux. Dans son intérêt, valait mieux pas qu'il vienne.
Et pourtant, en quelque sorte, c'est ce qu'il a fait.
Il ne s'est pas réellement pointé, vous vous en doutez. Mais néanmoins, il m'a fait un   cadeau.
Il a fait nuit noire encore vingt minutes. Je suis sorti de ma chambre. On aurait dit que l'orage n'était jamais passé par l'Île du Soleil. On sentait juste le froid et cette humidité lourde de la pluie qui s'était posée sur toute chose. J'ai mis mon bonnet, mes gants et ma veste. Il y avait quelques étoiles au-dessus de nous. Ici et là, la lumière des petits villages autour du lac aidait à en deviner les contours. Ça a fait ploc, un petit bruit, et la lumière est apparue dans ma chambre. Dans les maisons voisines aussi. Dans l’hôtel, j'étais seul. Les propriétaires et leurs deux enfants vivaient de l'autre côté. J'aurais aimé avoir un peu de présence, mais non. Dans l’hôtel où il y avait les deux Guatémaltèques, il n'y avait pas de lumière. La fille et la mère devaient dormir avec des boules Quiès ou alors elles avaient un sommeil de plomb. Il y a des personnes que rien ne dérange pendant leur sommeil. De toute évidence, c'était le cas de ces deux femmes. Même l'enfer ne les empêchait pas de dormir.  Je suis rentré à nouveau dans ma chambre, il y faisait froid mais j’étais habitué au froid de ces hôtels de montagne. C’était juste un peu dur pour les mains. Si vous vouliez écrire la nuit, ce qui était mon cas, j’étais obligé de les réchauffer toutes les cinq minutes.
Soudain, j'ai dressé l'oreille. J'entendis l'universel petit son de mon smartphone indiquant que j'avais un appel.
Miracle. Internet fonctionnait et on m'appelait.
J'ai sauté sur mon smartphone et ouvert Messenger, c'était Lou, mon fils. Il avait écrit Bon noël Papa et il envoyait une photo de lui et de sa maman. J'ai été surpris de trouver sa mère très belle, toujours. Elle avait des cheveux blonds et longs, aussi beaux qu'au moment où je l'avais connue. Ses yeux pétillaient. Je savais qu'elle avait bu ses deux verres de champagne. Lou, qui allait avoir 19 ans, portait une longue barbe rousse. Je le reconnaissais à peine. J'ai répondu aussitôt. Qui est cette jolie jeune femme un peu pompette a côte de ce très vieux père Noël ? Bon Noël à vous deux ! Bien qu'il fut six heures du matin en France, il a répondu dans la seconde, LOL !
Et puis encore une sonnerie? C'était qui ????
C'était mes amis Nico et Marianne. Ils étaient maintenant à Grenoble et Nico essayait de réparer les conneries faites par les chirurgiens de cette clinique de Popayan, en Colombie
Je leur avais envoyé un bon noël quelques heures plus tôt. Ils me répondaient.
Oui, moche et dégueulasse. Je ne sais pas si cela va te remonter le moral mais voilà ce qu en disait à raison le bon vieux Bukowski.
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On t'embrasse fort.
Ce poème était une vrai piqûre de rappel. Bukowski n'avait pas besoin de milliers de mots pour dire exactement ce que nombreux, nous pensions. Je me suis promis de le relire au moins un fois par an.
Je leur ai répondu aussitôt que j'avais justement envie de lire un poème de Bukowski une nuit de noël pour me sentir mieux, et c'est fait. Je me sens mieux ! Merci les amis. Et j'ai ajouté une dizaine de stickers de bisou.
Encore ! Quelle adorable sonnerie. C'était qui ? Qui ? Qui ? C'était elle !!!  J'ai vite ouvert.
Salut mon chou, va vite sur ton mél.
J'ai retenu ma respiration, j'ai fermé l’application Messenger, ouvert mon mél et j'ai vite trouvé le sien, elle l'avait intitulé, la fille du président. Bien sûr. Je ne l'ai pas lu tout de suite. Je me suis levé, j'ai remis ma veste, mes gants, un bonnet. Je suis retourné dehors, ai regardé le ciel. On y voyait un peu plus d'étoiles. L'orage avait disparu et j' étais encore vivant. La nuit était loin d'être finie, mais j'avais l'intime conviction que cette fois ci encore, je devrais survivre. J'avais plus du tout envie de boxer le père Noël. Mon fils, des ami-es et la fille du président dans le même soulier, il ne pouvait pas me faire un plus beau cadeau. J'ai regardé le ciel. J'étais connecté au monde, un être sacré. L'univers était sacré. Je me suis dit qu'est-ce que c'est que ce charabia New-age que j'ai dans la tête ? Ce n'est pas parce que tu es sur le lac Titicaca, à 4000 mètres d'altitude, un soir de noël, qu'il faut te prendre pour un gourou. Tu es juste excité comme une puce parce que tu viens de recevoir un mél de la fille du président et que tu penses, n'est-ce pas! En fait, une petite pipe, hein  Bornu? Une petite pipe, Pépé, un soir de noël, ça te dirait?  
Oui, je me suis dit, c'est certain. Cela m'intéresse plus que les étoiles et l'univers entier.
Je suis rentré dans ma chambre, j'ai balancé mes affaires sur le lit et j'ai sauté sur l'ordinateur.
"SALUT MON CHOU"
C’était d'un nul d'appeler tout le monde mon chou. En même temps, j'adorais quand elle disait mon chou, en avançant ses lèvres et qu'on dirait une trompette. J'ai rebu un verre de rhum et je me suis mis à dévorer ses mots.
"Quelle connerie ces bus ! On n'a pas pu s'embrasser avant de partir de Cusco. Bornu Bornu Bornu, mille excuses de ne pas t'avoir donné de nouvelles parce que, à Arequipa, je me suis faite tirer mon téléphone à la gare routière et, tu sais, je n'ai pas beaucoup d'argent. Mais hier, on m'en a donné un autre et tu es la première personne à qui j'écris. Chéri, bon noël !
Je vais rentrer tout de suite dans le gras du sujet.
Quelle nuit j'ai passé avec toi.  Et Lula ! Quel gros con cet asthmatique ! Et puis mon œil, asthmatique ! C'est juste un truc pour faire pleurer dans les chaumières et gagner du fric. Il n'est pas plus asthmatique que toi et moi. Je t'écris surtout pour te parler de l'après Lula, quand tu m'as enculée, mon chou."
C'est bien ce que je pensais, je n'allais pas lire une lettre de Chateaubriand. J'ai repris ma lecture, avec un enthousiasme hésitant.
"Tu me l'as vraiment bien mise tout au fond, ta jolie petite bite que n'avait pas dévorée le camarade Lula."
En effet, la fille du président ne faisait pas dans la dentelle. Elle avait vraiment pris une année sabbatique avec le parler correct de son école de prépa. J'ai continué à lire.
" Oh ne t'inquiète pas. Tu ne m'as pas violée. C'est bien moi qui ai écarté mes fesses au maximum et qui ai passé la tête à travers la fenêtre ouverte, moi qui t'ai guidé à l’intérieur et c'est encore moi qui ai crié dans la rue, je veux ta grosse queue.  Hum mon  chou, c'était ma première enculade. Tu m'as défoncé le trou duc et j'étais mouillée comme une petite fille qui  vient de faire pipi dans sa culotte. J'ai adoré, encore plus la deuxième fois. Tu sais que j'en rêve encore la nuit. Je ne savais pas que c'était si bon. J'ai joui,  jusqu'au fond de mon ventre et de mon cul à la fois. Quelle surprise pour moi qui n'avais fait que l'amour à la papa et taillé quelques  innocentes petites pipes par-ci par-là. Pas beaucoup mon chou. Pas à tous les garçons à trente kilomètres à la ronde, comme tu me l'a dit, quand tu étais furieux, à Cusco. Non, à quatre seulement, mon grand-père, mon père, toi, et aussi le directeur du lycée Henry IV pour qu'il augmente ma moyenne. Claro que no !  Es una broma, amor ! Bien sûr que non, c'est une plaisanterie amour ! C'est quand même ta queue que j'ai préférée, même si elle avait un petit goût de caca après son gentil passage dans mon petit cul de jeune fille en fleur de chou. MDR !
Promis, je n'ai rien bu et n'ai pris aucune drogue. Une question très philosophique maintenant.
À part baiser et se faire sodomiser, à quoi d'autre peut penser une jeune fille bien élevée, ce qui est mon cas ? Et bien à rien d'autre.  Et tout ça, c'est de ta faute si je deviens accro au sexe. C'est trop bon. Merci merci merci.
La plupart des garçons que j'ai connus n'aiment pas faire ça . Ils trouvent ça dégueulasse parce qu'il y a de la merde mais c'est des cons qui comprennent rien. Moi, je dis et je crois qu'il y en a beaucoup avant moi qui l'ont déjà dit.  Là où il y a de la merde, il y a de la vie. Voilà Bornu. Depuis cette nuit-là, je ne suis plus la même. Je ne sais pas comment le dire. Je suis comment ? Plus large, plus épaisse. J'ai pris du volume, du muscle, de la profondeur. C'est bête de dire que je me sens une autre femme parce que j'ai pas les mots pour le dire. Je me sens plus qu'avant, j'ai quelque chose non en moins mais en plus. Quoi ? Impossible à dire. Ce que je sais, c'est qu'en me défleurant par derrière, tu m'as aidée à grandir. Sérieusement.
Je me suis repris une rasade de rhum. J'avais vraiment peur d'avoir été trop loin avec la fille du président. À la lire, elle m'enlevait toute mauvaise conscience et je savais que quand j'aurai fini cette lettre, j'irai me coucher. Je dormirai beaucoup mieux et noël sera passé.
Cette fille était la plus belle chose qui m'était arrivée depuis longtemps. J'avais envie de prendre à bras le corps mon ordinateur, de l'embrasser. Il y avait quelque chose d'elle là-dedans. J'ai continué.
"Il faut que je sois honnête avec toi Bornu. Je t'aime énormément et dès que je t'ai vu la première fois à Cali, j'étais trempée. Oh la la, il aurait fallu que je change de petite culotte toutes les trente secondes (J'exagère toujours un peu, tu as remarqué ?). Surtout que j'étais en short et tu cherchais ma chatte avec tes yeux qui étaient déjà en moi. Je savais que tu avais envie de moi... et moi de toi . Et qu'on allait coucher.
J'ai un petit copain. Il s'appelle Mario et c'est un Argentin, mais c'est un Argentin sympa, pas un arrogant comme beaucoup d'autres. Tu le connais, tu l'as vu une fois à Cusco. Il voyage avec moi et mon ami chilienne. Mais, à Cusco, je n'étais pas encore avec lui. Depuis notre nuit, j'ai envie de faire l'amour tout le temps et Mario est beau et très cool avec moi, et puis, à 22 ans, les queues des garçons sont un peu plus rapides à l'allumage que celles des plus vieux. Elles ont juste un petit défaut, ça se met à cracher tout de suite. Tandis que toi mon chou, tu tiens bien les longues distances. Sauf pour ma première p'tite pipe ! Ce ne seraient pas des images toutes faites sur la sexualité des hommes jeunes et vieux ce que je viens d'écrire ?
SI!
J'avais dit si, à haute voix, de toute ma conviction. En fait, j'en savais rien. J'avais toujours entendu des plaisanteries douteuses sur les queues des jeunes et des vieux. Tout bien réfléchi, peut-être que la fille du président avait raison. On est plus lent en vieillissant et aussi, même si elle ne l'a pas dit, on a moins de capacité de répétition  qu''un jeune. Quand on a baisé une fois, au mieux deux, alors on est heureux. On sait qu'on ne pourra pas donner beaucoup plus. Tandis qu'à vingt ans, si je me rappelle bien... Fait chier les souvenirs ! J'ai ajusté  mes lunettes et j'ai collé mon nez sur l'écran. Elle avait écrit.
"Je suis bien avec Mario. Surtout que toi, de toute façon, tu ne serais pas resté avec moi. Tu me l'as dit je ne sais plus combien de fois cette nuit-là. Je n'avais pas  d'avenir avec toi, j'allais m'ennuyer, perdre mes meilleures années. Bornu, tu m'en as dit des conneries pour que je ne m'accroche pas à toi. Tu ne le sais pas, mais quand on s'est ratés à la gare routière, j'en ai pleuré.
Je ne crois pas du tout que je n'ai pas un avenir parce que j'aime me faire sauter par un pépé. Pardon Bornu, mais c'est bien cette question du pépé qui est importante. Ce n'est pas parce que j'ai dix huit ans que l'avenir est quelque chose qui se dessine sur dix ou vingt ou trente ans. Je peux aussi revendiquer un petit avenir de trois mois par exemple. Trois mois à faire l'amour avec toi et voyager avec toi. Cela aurait été très beau, fantastique peut-être. Tu n'en as pas voulu, alors j'ai pleuré dans le bus . J'ai pleuré, mais j'étais heureuse aussi. Tu m'avais bien défoncé le cul mon cochon, et puis je suis passée à autre chose, Mario. La vie est comme ça, Bornu chéri.
Tu sais d'où je t'écris, mon amour d'une nuit ? Non, bien sûr. On est sur l'île de chiloé dans la famille à Fausto, c'est dans le sud du Chili. Sa famille est comme Fausto, très chou. Je l'adore. Je suis bien avec Mario, mais toi, tu me manques. Mario est comme les autres garçons que j'ai connus avant, il n'aime pas faire ces choses-là. C'est peut-être la raison pour laquelle tu me manques tant.
Demain, on retourne sur le continent et on descend jusqu'à la Terre de Feu. J'ai hâte  d'aller si loin dans le sud, j'en trépigne d'impatience. J'ai trouvé le livre que tu m'as indiqué, de Francisco Coloanne. C'est génial son Tierra del Fuego. Je ne voyais pas du tout la Terre de Feu dans les années 30 comme ça, avec ces bandits de grands chemins, ces milliers d'aventuriers venant à la chasse à la baleine, les derniers Indiens et, l'été, les étudiants de Santiago du Chili qui traversaient le pays pour aller faire une saison dans des immenses fermes isolées de tout. J'ai adoré et je vais lire ses autres livres.
J'ai beaucoup réfléchi aussi concernant mon année de prépa. J'ai toujours été bonne en sciences et en maths. Je suis une fille très rationnelle, même si ce n'est pas ce côté de moi que tu as vu. Je ne crois pas pour autant que je serais heureuse en choisissant une voix scientifique. J'aimerais faire de la philosophie, du journalisme. J'écris bien non ? Et puis, même si je n'écris pas bien, c'est cela que je veux faire aujourd’hui, étudier les sciences politiques, la philo, écrire pour des journaux. Quand je rentrerai à Paris, tu pourras m'aider ? Dis, tu viendras me voir ? Je te promets, je ne te toucherai pas.
Voila chéri pour l'essentiel des nouvelles. Ah j'allais oublier ! J'ai perdu au moins trois kilos grâce ou à cause de Mario. Il n'aime pas le poil. Lui ne me voit pas comme une ligne de coke ou de la MD ou une ecstasy. Il trouve que le poil ça fait sale. Je sais que je suis stupide. Cela fait un peu femme soumise. Pour lui plaire, j'ai tout rasé partout, même mes cheveux. Je n'ai plus un poil sur le caillou. Plus rien à déclarer. Rien sous les bras, rien sur les pattes, rien sur la foufoune et rien sur la tête. Cela l'excite comme un fou, Mario.
En attendant, moi j'ai une drôle de tronche. Elle est toute ronde. Je ne sais pas si tu m'aimerais ainsi. Oui ?
Je pense très fort à toi, et je t'embrasse d'un million de bisous de noël.
On se reverra Bornu, n'est-ce pas ?
Et elle avait signé d'un prénom qui ne correspondait pas à celui de son adresses mél.
Éloïse
Comment j'avais pu oublier un tel prénom ? Il était magnifique. Aujourd'hui, je dirais un prénom inoubliable.
Le matin, quand j'ai ouvert la porte de ma chambre, la lumière éblouissante du lac et du ciel réunis me fit cligner des yeux. Il faisait encore frais, mais j'avais mis mon pull, je me suis étiré et j'ai respiré à fond. J'avais passé une nuit à dormir d'une traite et sans rêves. Je me sentais en pleine forme. Le bateau pour le continent partait dans deux heure. Il était temps de me laver et de plier bagages. Éloïse, son nom, je l'avais en bouche comme un bonbon, je l'ai répété plusieurs fois et il fondait sous ma langue. Il avait un goût sucré et doux et en même temps âpre et ambré, comme son joli minois. J'étais heureux que son voyage se déroule parfaitement bien et j'étais encore tout surpris qu'elle ait adoré notre unique nuit alors que j’étais certain d'avoir été  un goujat. La sodomie lui avait plu (Là aussi, elle exagérait, nous ne l'avions fait qu'une fois. J'avais juste pris une petite pause). N'empêche, c'était un beau cadeau qu'elle me faisait en m'écrivant qu'elle avait aimé. Je ne sais pas encore si de retour dans ma ville, j'irai la voir. Je me reposerai la question dans plusieurs mois, quand le temps aura décanté notre rencontre. Au fond de moi, je crois que oui, j'aurai envie de la voir. Éloïse m'avait offert une nuit incroyable de surprises et d'amour, mais elle ne pouvait être grande que si elle ne se répétait pas. On ne pouvait pas construire un avenir sur cette nuit de Cusco.
Elle me demandait un petit avenir de 3 mois. Je  lui avait dit non. J'avais bien fait. Cela aurait été une catastrophe. J'aurai fini le voyage en tirant la langue et elle, les mains sur les hanches en me disant  alors Pépé on assure plus ?... Peut-être pas ?
Personne n'est préparé à vivre avec une autre personne. On ne peut jamais rien en dire d’avance, cela aurait pu être  bien  ou catastrophique, un désastre ou une merveille. C'était un risque à prendre et pour être honnête, je me rappelai le visage de ces backpackers dans ce bar vénézuélien de Cusco quand  je la tenais d'une main par la taille et de l'autre je m’appuyais sur ma canne.  Ils avaient des têtes à vouloir nous écraser sous leurs réprobations et leurs préjugés.  Je n'avais donc pas   eu le courage de suivre la voie qu'elle m'avait proposée. C'est Eloïse qui ne manquait pas de courage, qui allait de l'avant, qui rejetait tout les préjugés Elle est forte, généreuse et elle se donne à fond. Je l'avait déçu en refusant de rester avec elle et parfois j'ai des regrets. Parfois seulement. A d'autres moments je me dit que j'avais eu mille fois raison de refuser. C'était important qu'elle fasse son voyage  et qu'elle aime une  personne de sa génération, pas de la mienne.
Éloïse est une femme petite, moins d'un mètre soixante, avec des yeux comme des billes, des seins ronds  et fermes, une peau blanche, légèrement laiteuse des dents blanches aussi et régulière, une bouche un peu boudeuse qui fait que les garçons  toute de suite pensent à plein de choses cochonnes, une jambe dont la cuisse est ferme et élastique, un cul comme un ballon bien gonflé, et son minois est adorable dont l'odeur est comme un tas de bonnes drogues  dont on ne se lasse pas.  Elle avait des cheveux châtains qui lui tombaient sur les épaulent et ondulaient quand elle faisait l'amour dans cette nuit de Cusco.
Quel con ce Mario !
Pas besoin de décanter longtemps cette rencontre avec la fille du président. J'étais maintenant certain. Je la reverrai.
                    fin
Depuis tout petit, le nom du lac Titicaca me fait rêver. Je voyais un océan sur le toit du monde, des Indiens philosophes, un ciel pur comme un diamant et je rêvais qu'un jour viendra où je pourrais vérifier si mes images correspondaient à la réalité. C'est fait !
La réalité est plus sublime encore que le rêve du lac Titicaca. Ce paysage dans lequel je m'étais fondu pendant six jours était devenu une partie de ma chair. Sans tomber  dans le spiritualisme de bac à sable, je suis un peu de cette terre, de ce lac et de ce ciel. Pour toujours, ce paysage sera en moi. J'avais le cœur serré en quittant l'Île du Soleil.
Ce voyage arrive bientôt à sa fin. Une fois le bateau accosté au port de Copacabana, je prends un bus qui, en trois heures, va m’amener au plus loin et le plus au sud de mon voyage, à La Paz.
En ce jour de Noël,  je vais arriver dans la capitale de la Bolivie, dont je ne connais rien, excepté le nom de son président, un Indien socialiste, Evo Morales. Ensuite, en repassant par le Mexique, j'aurai trois mois avant de rentrer chez moi, à Paris. Le compte à rebours commençait.
Et, pour finir, je vous envoie une chanson des Rolling Stones, de 1974. Je viens juste de la redécouvrir et il me semble qu'elle fait une bonne conclusion à cette histoire.
Time waits for no one
Bonne lecture et bonne musique j'espère. Si c'est possible,  bon noël et surtout, prenez soin de vous.
Merci mille fois à Sylvain et Sarah pour leur patience et leurs corrections de ce texte
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bornutyboisson · 6 years ago
Text
La fille du président   (un conte de noël érotique pour  backpackers* névrosés)
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Sur un mur de Mexico. Aimer est un acte révolutionnaire... En bas, pas de publicité, propriété privée
Sur et sous les bras, ainsi que sur les jambes, elle avait plus de poils que je n'en avais jamais eu. Je n'aimais pas. J'étais sous l'influence de la dictature de l'épilation intégrale. Même à l'ombre, il faisait une chaleur à crever sur la terrasse de l'hostel Casa Amarilla à Cali en Colombie. Je pouvais imaginer autour de sa chatte une forêt de poils qui s'étendait jusqu'en haut des cuisses, coagulée par la sueur. Elle était de Paris, elle était mignonne, je la trouvais belle et elle pleurait.
Je ne sais pas, les cours reprennent dans quinze jours. Qu'est-ce que je dois faire Bornu, disait elle en reniflant? Je n'ai pas envie de rentrer à Paris. Et pourtant il le faut. Dis moi, qu'est-ce-que tu ferais à ma place ?
Elle avait posé un pied sur une chaise en face de moi. Comme elle avait un short ras -le-bonbon, des poils pubiens se glissaient au-delà du tissu. Ses mollets étaient velus et dorés par le soleil. Ses avant-bras aussi étaient recouverts de poils tendres et un peu plus foncés que sur ses jambes. De sous son tee-shirt échancré, à chaque fois qu'elle soulevait un bras, je voyais, presque noire, une touffe de poils longs d'au moins 3 centimètres qui semblait vouloir s’échapper de leur cavité. Cette fille avait un peu plus de 18 ans. Elle était dans une classe de prépa à Henry IV, à Paris. C'était ce qu'on appelle une tête. Quand elle me parlait, on aurait dit qu'elle avait dix ans de plus. Elle était mature, elle avait de l'audace dans les mouvements et assurément elle avait un super QI.
Elle me faisait envie et en même temps, non, parce qu'elle avait trop de poil ! Je sais, je suis nul. Et puis surtout, j'ai quelques années de vol de plus qu'elle.
Tu sais, j'ai dit doucement, quelque soit la décision que tu prendras, elle sera la bonne. Tu as 18 ans et tous les choix te sont encore possibles. Soit tu fais ta deuxième année de prépa et tu retournes à Bogotá prendre ton avion pour Paris, soit tu prends une année sabbatique et tu voyages en Amérique du Sud.
La discussion s'était arrêtée là. Elle avait essuyé ses beaux  yeux et avait regardé la patronne de la casa Amarilla qui venait lui annoncer que son taxi l'attendait. Son père lui avait donné l’adresse de cousins éloignés qui l'invitaient le soir même dans leur villa. 3 jours plus tard,  elle rentrait à Paris faire sa deuxième année de prépa. Autant dire que j'avais peu de chance de la revoir.
Ce sont ces cousins éloignés qui  avaient commandé le taxi. Ils faisaient parti de l'oligarchie colombienne, cette petite minorité de riches qui ont un pouvoir absolu sur le pays. Elle avait ainsi appris qu'un de ses arrière-oncles avait été "élu" président de la Colombie au début du vingtième siècle. Vérifie, m'avait-elle dit, il a le même nom russe que moi.
Elle prit son sac à dos, m'embrassa avec une tendresse que je n'attendais pas. Je l'accompagnais jusque dans la rue, laquelle nous assomma d'un soleil assassin. Cette fille, vraiment, me plaisait. Elle était inhabituelle. Quand on s'était rencontrés - une heure plus tôt - elle m'avait raconté son histoire de famille et  m'avait demandé mon nom et moi le sien et, comme d'habitude, cinq minutes plus tard, je l'avais oublié. Au moment de monter dans le taxi, elle s'était retournée et elle m'avait dit, pour te rappeler de moi, tu n'as qu'à m'appeler la fille du président, et ses beaux yeux, cette-fois-ci, s'était fendus d'un sourire.
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La fille du président, non. F Kalho à 18 ans
Une nuit à Cusco, Pérou
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La cité magnifique, 4 mois plus tard.
J'arrivais directement de Lima après 18 heures de bus couchette et je me retrouvais du niveau de la mer à une ville située à 3 300 mètres d'altitude. De plus, j'avais réservé un hôtel sur les hauteurs, dans un quartier de Cusco qu'on dit bohème. Autant dire que je cherchais ma respiration quand je suis arrivé à destination.
Je me suis retrouvé dans un petit hôtel avec des Argentins, des artesanos, (des vendeurs de bijoux) qui n’arrêtaient pas de me taper de l'argent. Un Espagnol et une Belge qui étaient volontaires dans une association d'aide à des enfants de la banlieue de Cuzco. Une Française qui était bloquée dans les bras d'un Péruvien depuis 2 mois, et qui voulait surtout pas en sortir. Un jeune Versaillais de 19 ans, qui travaillait la nuit comme rabatteur sur la Plaza de Armas pour une boîte de nuit interdite aux Péruviens. Cool, le boulot. Il y avait un couple de Brésiliens qui vendaient eux aussi quelque chose qui ressemblait à des bijoux mais,  ils étaient si laids qu'on était prêt à les leur acheter à condition qu'ils referment aussitôt leur stand des horreurs. Il va de soi que c'était la dèche et ils dormaient donc gratis sur le canapé de la salle commune où, la nuit, il faisait un froid glacial. Il y avait encore un punk borgne avec son Pitbull, Lula. Il descendait tous les jours sur la petite place San Blas et il s’asseyait au soleil, avec son chien, sur une vieille couverture. Il posait sur le sol une soucoupe et un panneau expliquant qu'il avait besoin de Ventoline pour Lula. Son pitbull était devenu asthmatique à cause de l'altitude, expliquait-il, aidez-moi. Lula tirait la langue toute la journée et en fin d'après-midi, il avait bien du mal à retourner à l’hôtel sans que son maître le porte. Le punk borgne gagnait bien sa vie. Faut croire que les gens aimaient bien Lula. Il avait suffisamment d'argent pour faire la fête tous les soirs et payer son dortoir. Enfin, entre ces murs, nous possédions une armoire à glace chilienne, Fausto, dont le visage était passablement patibulaire. Il jouait de la guitare. Le problème, c'est qu'il en jouait mal et souvent. Personne n'osait lui dire quoi que ce soit. On avait tous peur de se prendre une baffe. J'avais atterri à  l'Hostel Lucky et j'y était bien. C'était le moins cher du quartier.
Elle est arrivée un jour après moi, Marina, la colombienne de Medellín. Elle était magnifique, très classe, une trentaine d'année et elle venait de Philadelphie. Elle avait quitté Medellín à 6 ans. C'était donc une Américaine d'origine colombienne. Elle accepta de parler en castillan avec moi car je lui avais dit que je voulais parler le moins possible en anglais en Amérique du Sud.
Elle détonnait dans cet hôtel. Elle était toujours pouponnée avec grand soin. Les yeux, la bouche, les ongles, les cheveux étaient passés au crible avant chaque sortie. Ses vêtements étaient choisis avec goût. Elle aurait pu passer pour une bourgeoise américaine. Les apparences sont trompeuses. Elle était passionnée par les voyages et elle faisait un tas de petits boulots à Philadelphie, pour les financer. Elle me plaisait, bien qu'elle paraissait un peu coincée.. Coincée et ouverte, c'est ce qui semblait la définir. Pour autant, elle était cool avec Lula et avec les autres, sauf les Argentins. Elle disait, j'en ai ras-le-bol des Argentins. En voyage, c'est toujours les plus magouilleurs. Je n’étais pas très loin de penser la même chose, surtout quand ils venaient me pleurer pour de l'argent.
On partageait le même dortoir. On a visité la même ville. Le pays des Gringos. Cusco était colonisée par les Yankees et pourtant elle était toujours la cité des Incas. La ville était superbe avec sa Plaza de Armas au milieu de laquelle trônait une statut d'un roi inca. Tout autour, il y avait une promenade sous les arches de bâtiments de type colonial espagnol. Des Indiens vendaient des bijoux, des vêtements, des écharpes et des bonnets, tandis que des rabatteurs vous alpaguaient en anglais pour vous vendre des treks au Machu Pichu ou sur la montagne aux 7 couleurs.
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Plus loin, en sortant du centre, on alla manger un ceviche de poisson et de poulpe à l'intérieur de l'immense marché couvert de la ville, où les touristes se mélangeaient à la population locale. Il y avait les stands de vêtements traditionnels incas dans la première partie et sur les côtés du marché. Au centre, on trouvait les étals de viandes, de légumes et de fruits. Un peu plus loin, des femmes en blouses et casquettes blanches, juchées sur leurs estrades, vendaient des jus de fruits exotiques ou des yaourts et elles nous faisaient des grands signes pour que nous venions à leur stand. Marina leur faisait non avec un grand sourie, comme pour s'excuser. Dans la dernière partie, nous avons trouvé des petits restaurants qui nous proposaient des soupes, caldo de pollo ou caldo de gallina, ou des menus economicos et des ceviches (poissons ou fruits de mer marinés dans du citron). Il y régnait une ambiance décontractée, joyeuse, malgré la pauvreté toujours présente de certains Indiens qui faisaient la manche. Ils avaient des  visages creusés, coupés au couteau et les yeux jaunes fiévreux de ceux qui n'ont pas toujours le ventre plein.
Marina, très aristocratique, détonnait. Elle mangeait en levant le petit doigt et en se tamponnant la bouche  avec une serviette blanche si souvent qu'on pouvait se demander quand elle trouvait le temps d'avaler quelque chose.
J'adore cet endroit disait-elle. J'ai des images de Medellín quand j'avais 5 ans. On mangeait souvent dans les restaurants de rue avec mes parents. Toutes les odeurs et tous les bruits de ce marché me rappellent Medellín, mon enfance et la Colombie. Je répondais que je la comprenais et elle me souriait en s'essuyant pour la énième fois une bouche que j'aurais bien aimé embrasser, si je n'avais pas eu peur de me ramasser un râteau.
Nous sommes sortis du marché sous le soleil qui inondait les flans des montagnes environnant la ville. Malgré ces hordes d'Américains et d'Occidentaux, Cusco reste une des plus belles cités d’Amérique du Sud. Mais à mes yeux, rien, pas même cette cité, n'arrivait à la cheville de Marina. J'étais comme un vieux coq, et, fier, je bombais la poitrine. Elle me passait une main sous le bras et nous déambulions au hasard des rues. Parfois, j'avais une érection. Je pensais à mes doigts dans sa culotte. Très vite, je censurais ces images, j'étais persuadé que mes doigts dans sa culotte n'avaient pas beaucoup d'avenir. À un moment donné, elle me dit, regarde là-haut et me montra  deux petites statuts de taureaux accrochées au toit d'une maison. Bornu dit-elle pourquoi des taureaux sur un toit ? Je lui expliquais que les taureaux au Pérou sont le symbole de l'abondance et de la prospérité. En les mettant sur un toit, on garantit confort et santé à ceux qui habitent cette maison. Elle me répondit alors, très solennelle, ha oui, je comprends mieux maintenant. Merci Bornu- je ne savais pas ce qu'il y a de mieux à comprendre, mais elle avait l'air d'être ainsi - évanescente et curieuse. Puis elle allongea le pas, comme si elle avait peur de manquer quelque chose d'extraordinaire au prochain croisement de rue. Curieusement, Marina ne prenait pas de photos. En contrepartie, elle avait des yeux qui savaient regarder ce qu'il y avait d'étrange et le remarquable dans une ville. C'était rare depuis l'arrivé des smartphones. Toute personne qui ne prenait pas de photos ou ne faisait pas de films semblait être un handicapé mental, un affreux retardé, comme si elle avait mille ans de retard, alors que - rappelons-nous - il y a 15 ans, personne ne savait ce qu'était un smartphone. Drôle d'époque. Est-ce qu'on était en train de devenir aveugle, à force de   cliquer ou de pianoter sur nos adorables petits objets connectés ? Il faudrait le demander à un docteur ou mieux encore, au Ministère de l'Aveuglement. La police ?
Marina eut envie d'une glace sur la Plaza de Armas.
Marina avec une glace, suçant, sur la Plaza de Armas, les yeux pétillants, pour moi, il n'y avait rien de plus sensuel.
Marina à mon bras et le toucher de ses vêtements sur ma peau, c'était au moins autant sensuel.
Marina, un doigt à l'ongle parfaitement manucuré et vernis montrant les statues de taureaux sur un toit de Cuzco, oui, c'était toujours sensuel.
Marina se tamponnant les lèvres d'une serviette blanche en souriant comme une madone, oui et oui et oui, une bouche à embrasser. Une bouche divine !
Et le soir, dans le dortoir avant de se coucher, je la vis avec un survêtement rose bonbon. Elle portait un bonnet de laine, rose aussi. Aux pieds, elle était chaussée de chaussons où étaient accrochés des pompons oranges. Sur le bout de son nez pendaient des  lunettes de lecture de grand-mère. D'un coup, mes ardeurs de la journée descendirent de plusieurs dizaines de degrés Celsius.
Bonne nuit Marina, je lui disais. Et je me glissais sous mes draps glacés.
Bonne nuit Bornu. Demain, j'aimerais bien sortir, cela te dirait de m'accompagner ?
Bien sûr je lui répondais, mais à une  condition, c'est que tu ne sortes pas avec tes extraordinaires chaussons à pompons. T'es con Bornu disait-elle en enlevant ses lunettes de lecture. Bon allez, j'éteins, good night Amigo.
Buenas noches, Mamita.
Mais tu es vraiment con Bornu, m’appeler mamita ! Je ne suis pas ta petite maman. Sweet dream stupid Frenchie.
Cette nuit-là, sous mes draps, une fois réchauffé, je ne fis pas de doux rêve, pas même érotique, je dormis comme un bébé.
Marina était très belle et de santé fragile, elle fait partie de ces personnes dont on dit qu'elles ont toujours un pet de travers. En permanence, elle avait autour du cou un foulard en soie et il lui arrivait souvent de toussoter. Il ne fallait pas non plus qu'elle fasse trop d'efforts. Une marche de cinq minutes sans arrêt l'épuisait, surtout à 3300 mètres d'altitude. Comme beaucoup de touristes, elle était atteint du mal des montagnes, le soroche, et elle prenait des pastilles que vendaient chaque jour par milliers les heureux pharmaciens de la ville. Je me sens parfaitement bien m'a-t-elle dit dans la soirée. Bornu, tu connais des lieux pour sortir ?
Si Marina, t'inquiète, je connais quatre ou cinq lieux pour boire et danser.
Super. Je suis prête dans une heure, tu m’attends le Frenchie ?
Que pouvais-je faire d'autre ? Pendant qu'elle se pomponnait, une heure quand-même! j'ai été me jeter des bières au Km 0, situé en contrebas de l'Hostel Lucky, derrière l'église et la place San Blas, là où Lula le pitbull asthmatique sur une vieille couverture tirait la langue et faisait un tabac !
L'heure, pour Marina, ne se mesure pas de la même manière que l'heure pour n'importe quel quidam. En début de soirée, je bois à peu près une bière par demi-heure. J'en étais à ma troisième et elle était presque vide. Vous voyez, ça faisait une bonne heure que j'attendais quand elle ouvrit la porte du Km 0. Je crois qu'au moment où elle fit le premier pas dans le bar, même la musique s'arrêta un instant.
Bornu, dit-elle, en me voyant accoudé au comptoir, comment tu me trouves ? Ça va ?ajouta-t-elle en écartant les bras ?
Si ça va Marina ? Pas du tout. Retourne te changer. Je ne suis plus à une heure près.
Un instant, son visage s'assombrit et ses bras lui tombèrent le long du corps.
Mais non je plaisante Marina. Tu es superbe comme un soleil. Tiens, je vais t'appeler Petit Soleil. Cela ne t'ennuie pas ?
Elle ne répondit pas mais elle avait un sourire resplendissant. Elle s'assit à côté de moi, sur un tabouret de bar, et elle croisa haut les jambes en fusillant la salle du regard. Il y a des personnes, comme ça, qui par leur simple présence, mettent le monde en suspension, l'arrêtent, le figent un temps très court comme si elles étaient un morceau sublime d'éternité qui daignait faire son apparition parmi nous. C'était tout à fait Marina dans ce bar.
Il y avait cinq clients, trois hommes et deux femmes, dans la salle. Quand elle les regarda, les garçons sourirent béatement comme si, subitement, ils voyaient apparaître la Sainte-Vierge en sous-vêtements sexy fluo et en porte-jarretelles de feu. Quant aux deux femmes, elles détournèrent le regard et l'ignorèrent superbement. Sans doute qu'elles ne devaient pas croire aux apparitions.
Qu'est-ce-que tu as pris Frenchie dit-elle ?
Comme tu vois, une bière.
Ah oui. Je crois que je vais me prendre un jus d'ananas. Je ne te l'ai pas dit. Je ne bois jamais d'alcool. Je déteste ça. Parfois ça gêne les garçons que je ne boive pas. Et toi, ça te gène ?
À vrai dire Marina, un peu. J'adore être ivre et j'aime bien être entouré de gens comme moi, un peu saouls aussi.
Marina resta de marbre.
Tu ne seras pas trop ivre avec moi Bornu ? J'ai peur des alcooliques, ils peuvent être violents.
Ne t'inquiète pas Marina. J'aime bien boire mais je n'aime pas rouler dans le caniveau.
Elle décroisa et recroisa ses longues jambes et me passa un doigt sur ma boucle d'oreille. Elle avait mis un pantalon de cuir noir, très moulant et on devinait un cul magnifique, un monde à lui tout seul. Je n'arrivais pas à voir sa poitrine. Il fait froid, le soir, à Cusco, trois ou quatre degrés, on est tous habillés avec des gros pulls, des écharpes, des vestes épaisses, qui  cachent l'essentiel des  anatomies. Dans la journée, par deux fois, je l'avais vue en tee-shirt et mon Dieu, elle avait une paire à damner le plus saint des  hommes, moi ! Rien que d'y penser, houa !! Et je me disais, heureux celui qui a fait un long voyage, et qui au bout se voit révéler le corps de Petit Soleil. Celui-là ne repartira plus. Et il n'aura aucuns regrets. Marina, pour s'excuser de son retard, paya mes trois bières et son jus d'ananas avant d'aller nous faufiler dans les rues et les ruelles froides et lumineuses de cette ville construite par les Incas. Le premier soir de mon arrivée, j'étais sorti une nuit pour faire la connaissance des bars et des boîtes. Nico, le copain qui s'était cassé le talon à Popayan en Colombie avant de retourner en France, m'avait expliqué comment fonctionnent Google et Facebook pour repérer les événements rocks et punks dans les bars d'une ville où j'arrivais. Depuis les explications de Nico, chaque jour, je savais où avait lieu tel ou tel type de concert. On a d'abord été à côté de l’école des Beaux-Arts. Un bar de nuit organisait une soirée spéciale Bob Marley et, défoncé, j’ai toujours adoré Bob. Allons voir, a dit Marina.
Dès qu'on est rentrés dans la boîte, j'ai été presque malade devant tant d'obséquiosité. C'est tout juste si on ne nous faisait pas des courbettes. Messieurs-dames, une table. Le patron se précipita, me salua comme s'il me connaissait depuis mon enfance, et ça va bien, heureux de vous avoir dans mon établissement, et Madame, c'est un plaisir de vous avoir parmi nous. Je scrutais la salle, trois tables seulement étaient occupées. Le son n'était pas trop fort. On entendait Donna Summer. Au plafond, une boule lumineuse tournait sur elle-même et projetait des étoiles d’argent qui dansaient en rond sur les murs et la piste de danse. On était tout à fait dans une ambiance de la fin des années 70, mais pas reggae. Disco. Avant que je dise quoique ce soit, je me retrouvais avec la carte des alcools entre les mains.
Marina, d'un calme olympien, refusa d'enlever son manteau. Je fis signe au patron, ainsi qu'à un serveur qui avait quasiment son nez entre les seins de Marina, de nous laisser un peu d'air et je posais la carte sur une table vide. Le morceau Hot stuff se finit et le DJ mit I feel love. Dès la première mesure, la voix de Donna Summer  m’électrisa de la tête au pied, Oh I feel love, I feel love, I feel love. Le patron me regarda en souriant. Le son augmenta et aussitôt une fusée nous emporta tous dans le passé. On était en 1979, et oui, la musique a ce pouvoir fabuleux de madeleine de Proust, j'avais un corps de vingt ans. La vie était belle. Il n'y avait pas encore le sida et nos amours étaient multiples. Ah, I feel love. I feel...
Bornu, dit Marina, cet endroit est horrible. Je ne veux pas y rester et puis je n'aime pas cette musique.
Je mentis, moi non plus.
Je saluai le patron de la tête et mentis une fois de plus.
Il est trop tôt, on reviendra plus tard dans la nuit.
Le serveur semblait déçu, il avait toujours le regard fixé sur la poitrine de Marina même s'il ne devait rien voir. Peut-être qu'il portait des lentilles pour voir à travers les vêtements ? Quel est le garçon qui n'a pas rêvé d'avoir une paire de lunettes magiques qui déshabille les filles dans la rue ? Je tapai dans mes mains et le serveur se réveilla.
Vous partez déjà ? dit-il en levant les yeux car il était plus petit que Marina. C'est dommage.
N'est-ce pas, répondit-elle. Au revoir et elle me tendit son bras.
Elle sortit de la boîte de nuit. Elle était une reine, et moi, je tenais le bras d'une reine.
I feel love, I feel love, I feel love. Une fois dans la rue, la voix de Donna Sumer me hantait encore, comme mes vingt ans qui me revenaient en pleine figure, et je vibrais de tout mon corps en me souvenant de ces amours passés. Elle se blottit plus fort contre mon bras et je chassais de toutes mes forces ces images de mes vingt ans de ma tête, car ce temps-là ne reviendra pas.
J'ai froid dit-elle et puis je commence à être fatiguée. Tu m’emmènes dans un endroit pas trop loin d'ici Bornu. Mes jambes me portent plus.
On retourna sur la Plaza de Arma, chaudement collés l'un à l'autre, jusqu'au moment où je vis le jeune Versaillais de l'Hostel Lucky.
Salut dit-il, vous voulez des invitations pour un verre ?
Merci, je lui dis, pourquoi pas. Il y a du monde ce soir  ?
Comme un jeudi. Pas  trop à cette heure-là, mais après minuit, oui, on est toujours plein, du jeudi au dimanche.
D'après l'info que j'avais eu sur Facebook, dans le bar le plus connu de la ville, il y avait un concert de cumbia. Le groupe venait de Colombie.
On va au concert au Lukuku, c'est de la cumbia*
Alors je vous vois plus tard me dit le Versaillais. Oui possible. C'est Vincent ton nom, non ?
Oui, tout à fait.
Vincent le Versaillais. Son nom m'était revenu d'un coup. Il venait d'avoir son bac chez les bourges et les réacs de toute éternité de cette fichue ville. Depuis le massacre de la Commune de Paris, Versailles toujours ville traître, toujours ville à mépriser le peuple. Et c'est ici que Vincent avait grandi, dans une famille de cadres sup très à droite comme il convient dans ce lieu maudit. Heureusement, tout ne se  passe pas toujours comme le désirent les géniteurs bourgeois et néanmoins aimants de cette ville. Le fiston ne voulait pas suivre le droit chemin. Il avait des idées bien à lui. Il avait refusé que ses parents lui payent une année sabbatique avant de commencer la fac, comme ils lui avaient libéralement proposé, obsédés qu'ils étaient par le modèle de l'élite américaine, d'une banalité à mort, et qui consiste à payer une année sabbatique à voyager à travers le monde avant de rentrer à la maison et de retourner sur les pas de papa et de maman. Une année de voyages et de turpitudes pour que jeunesse se fasse et que surtout tout reste et rentre dans l'ordre. Vincent avait refusé cette proposition qu'on pourrait croire alléchante  - ses parents dirent par la suite, dans un mélange d'orgueil et d'incompréhension, vous savez, Vincent, depuis tout petit, il a toujours été un non-conventionnel. C'est ce mot dont il fut giflé mille fois après son départ. Il était un non-conventionnel. Ce qui voulait surtout dire que ce n'était pas désespéré. Il lui fallait du temps certes, mais ce garçon allait rentrer dans le rang.
Ils ne se rendaient pas compte, et lui non plus d'ailleurs au début, que la coupure était irrémédiable. Vincent abandonna Versailles et donc quitta ses parents. Il avait  décidé d’être volontaire dans une association d'aide à des enfants, la même assoce dans laquelle se trouvaient la Belge et l’Espagnol de l'Hostel Lucky. Ses parents lui avaient seulement payé le billet aller jusqu'à Lima. Pour se faire un peu d'argent, il avait trouvé ce  boulot de nuit en plus de son travail volontaire le jour, dans la banlieue de Cusco. De 10h du soir jusqu'à 4 h du matin, il faisait le rabatteur sur la Plaza de Armas pour un bar de nuit tenu par des Vénézuéliens. Vincent avait grandi en un temps record. Quand, à 18 ans, vous passez toutes les nuits dehors dans un quartier à bars et à boîtes de nuit, vous êtes obligé d'apprendre vite pour éviter les dangers de la rue, les types bourrés, les bagarres aux couteaux, le cinglé qui joue avec un pistolet, les aguicheuses qui en veulent à ton fric, le pleurnichard qui cherche encore une invitation pour ton bar, les voleurs à la tire que tu connais par cœur, le groupe de touristes prétentieux qui la jouent faussement cool avec toi, l'Indienne qui te fait la manche pour la dixième fois, les fous aux regards assassins, l'amour en pleurs et le ricil qui fond sur la joue d'une fille trop faible pour la nuit, et les enfants qui ne dorment pas et qui te disent qu'ils ont faim. Il avait vu de tout Vincent. Six mois de ce rythme nocturne valait 10 ans d'un cursus universitaire, payé par des parents friqués, non ?
J'aimais bien ce jeune homme. À son âge et d'où il venait, il fallait une bonne dose de courage pour faire ce qu'il faisait.
Garde-nous des invitations j'ai dit, à tout à l'heure.
À tout à l'heure et bon concert.
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Un tableau dans le bar du Lukuku
Lukuku est un bar incroyable.
Vous rentrez d'abord par une cour aux murs graffités puis vous arrivez à un étage et vous ne savez pas si vous rentrez dans un musée ou dans une salle de concert. En fait, vous êtes un peu dans les deux, mais comme les touristes, en général, sont bourrés, ils ne voient que le bar. J'étais toujours au bras de Marina et les portes s'ouvraient. On aurait pu aller loin si sa beauté un peu froide ne m'était pas intimidante, et surtout si ma condition de dinosaure n'était pas un fait irréductible au rêve d'une nuit d'amour.
J'étais persuadé qu'au point où j'en étais, il ne me restait plus qu'à vivre l'instant dans sa plus grande intensité possible, ce qui était aussi un grand plaisir. Mais plutôt solitaire. Je savais, depuis longtemps déjà, que "El futuro no existe" pour les jeunes comme pour les vieux. J'étais un punk, pas d'autres solutions. À mon âge, plus de futur, adorable Marina, et je ne pouvais même pas te le dire avec des mots. Ils auraient été futiles et je serais passé pour un misérable. C'est pourquoi il ne restait  que le silence.
On dit que, parfois, le silence est une bombe. On dit aussi un silence de tombe. Des fois, je me voyais comme un squelette mexicain et je dansais en dessous de la terre des douleurs (latinoamericas), au milieu d'autres squelettes, le jour de la fête des morts. Était-ce donc aussi cela voyager au bras de Marina, dans la nuit inca de Cusco ? Se rappeler que, dans tout voyage digne de ce nom, on ne revient pas. C'était le seul avenir possible.
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sur un mur de Oaxaca
Toutes celles et tous ceux qui vous diront le contraire sont des salauds de menteurs ou alors ils travaillent dans des agences de voyages !
Si vous voulez revenir, il n'y a rien de plus simple. Ne partez pas ! Pour moi, c'était trop tard. Je savais que je ne rentrerai pas. Impossible. Rentrer, c'était mourir, alors que la vie en moi n'avait jamais été aussi revendicative, puissante, ambitieuse, la vie voulait continuer le voyage, même si tôt ou tard, il fallait rentrer quand-même et donc mourir! Je tremblais rien que de penser que dans 3 mois, je serai de retour dans mon pays, et le plus dur à accepter, c'est que je savais que ce soir, comme de toute éternité, je n'allais pas baiser avec toi. Quoiqu'il arrive, Punk, tu n'as pas de futur. Et je t'ai souri avec désir. Malgré tout, j'avais envie de  toi.
Allons danser Marina, tu veux?
Ho oui Bornu, volontiers.
Marina fit une révérence. Ajouta, mi-rieuse, mi-sérieuse, Mon prince.
Mon vieux prince je précisais.
Je crois qu'elle fit en sorte de ne pas m'entendre et elle me tendit sa main que je m'empressai de saisir.
Le groupe colombien alternait cumbia et salsa. Nous étions sur une série de morceaux de salsa. Le groupe était excellent, il venait de Cali, la capitale mondiale de la salsa, avec La Havane et New-York. La salsa de Cali est très swing et très jazzy. Certains lui reprochent son côté trop moderne et technique. J'avais pris des cours à Cali. Mais, en quelques heures, je n'avais pas appris plus que le pas de base. Dès que nous fûmes sur la piste, Marina l'Américaine redevint Marina la Colombienne. Une merveilleuse danseuse, et, dans son pantalon de cuir noir et moulant, elle avait un cul qui bougeait comme s'il était possédé de sa propre âme de danseur et, heureusement qu'elle n'enleva pas son pull, car sinon nous aurions assisté à une émeute. Elle dansait autour de moi avec une grâce et une élégance naturelle. Elle était d'une autre planète et tout son corps était un hymne à la danse. J'avais envie d'arrêter de danser pour la contempler. Vraiment un corps sublime de danseuse comme on en voit quelques unes en Colombie. On dansa un puis deux et enfin trois morceaux. Elle était tellement faite pour la danse qu'elle avait réussi l'exploit de me faire danser sans que je n'aie à compter les temps et les contretemps. Il suffisait que je la suive et j'étais toujours dans le bon tempo. Pas une seule fois je lui marchai sur les pieds. Puis ce fut la fin de la série de salsa. Le groupe rejoua de la cumbia et Marina me fit signe qu'elle était fatiguée. Nous sommes allés nous asseoir sur deux chaises qui venaient de se libérer à côté de la piste. Nous étions en nage.
De la salsa à 3300 mètres d'altitude, c'est trop, je n'en peux plus Bornu.
Tu veux quelque chose à boire, Marina.
Juste un verre d'eau. Je crois que j'ai surestimé mes forces.
Attends, je vais te chercher quelque chose.
Je lui ramenai du bar une bouteille d'eau et dès qu'elle l’eut bu, elle me dit qu'elle voulait partir et me demanda si cela ne me gênait pas de l'accompagner jusqu'à l’hôtel. Je lui répondis, bien sûr Marina, je  t'accompagne.
Une fois dehors, tout bascula. Quelqu'un hurla dans mon dos, Bornu !!
Je me retournai vers cette voix. Qui était cette fille qui hurlait mon nom dans la nuit et qui ouvrait grand ses bras. Sa tête ne m'était pas inconnue, j'avais son nom sur le bout de la langue, mais j'étais incapable de le retrouver.
Je suis sûr qu'une seconde de plus et le nom me serait revenu ainsi que le lieu de notre dernière rencontre.
C'est moi, dit-elle, avant de se jeter dans mes bras, la fille du président.
Bien sûr ,Cali, début septembre, la fille du président.  
Elle resta longtemps suspendue à mon cou à me faire une bise. Enfin, elle se décrocha.
Je croyais que tu étais rentrée pour faire ta deuxième année de prépa à Henry IV.
En effet, je suis rentrée à Paris, mais j'ai juste réuni mes petites économies et j'ai repris un vol pour Lima. J'ai pris une année sabbatique.
J'ai présenté Marina à la fille du président qui se sont saluées dans une parfaite neutralité. Il y avait aussi une jeune Chilienne et un Argentin avec qui elle faisait la route depuis une quinzaine de jour.
Je n'ai pas discuté longtemps, Marina me tirait la manche.
Vous partez déjà demanda la fille du président ? On allait au Lukuku, vous ne voulez pas venir avec nous ?
On en vient, dit Marina, moi, je rentre mais Bornu, si tu veux rester avec tes amis,  je peux rentrer seule.
Je te raccompagne Marina, mais il est encore tôt. Oui, je vous retrouve au Lukuku dans une demi-heure, ça vous va ?
Parfait, je t'attends. Incroyable. Jamais j'aurais cru te revoir en Amérique du Sud.
Tu as raison, moi non plus. À plus alors.
Tu reviens, c'est sûr ?
Oui oui.
Pendant tout le trajet jusqu'au quartier de San Blas, Marina ne desserra pas les dents. C'est comme ça quand je suis fatiguée, me donna-t-elle comme seule raison. J'avais du mal à la croire. Une fois à l’hôtel, elle ne me remercia pas de l'avoir accompagnée, ne dit pas un mot, ne se retourna pas et s'enferma dans notre dortoir. Aussitôt, je ne savais trop pourquoi - ou le savais trop bien- sans perdre une seconde, je me précipitais au Lukuku.
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… Je lui demandai, en indiquant les murs, de qui c'était tout ça, et la serveuse me répondit de tous les grands plasticiens et peintres péruviens. Il y avaient des œuvres partout dans ce bar. C'était un plaisir de boire une bière et un whisky en écoutant ce groupe colombien tout en regardant des tableaux, des mobiles et des statues d'artistes tous plus fous les uns que les autres. J'ai pris pleins de photos que je ne pourrai hélas envoyer sur mon blog. Une fois de plus, le bouton d'ouverture de mon appareil s'est cassé. Les photos de ces œuvres sont restées dedans et je ne compte pas le réparer. Je vais faire comme tout le monde. Je vais m'acheter un smartphone neuf, mon premier.   Je suis allé aux toilettes et je n'ai pas arrêté de regarder un graffiti pendant que je pissais. Il était écrit Existence is resistance. Ça m'allait comme un gant cette phrase, je m'en suis pissé sur les pieds. C'était sans doute une phrase contre le génocide des Mapuches au Chili, des Tzotzils au Mexique, ou des Aymaras au Pérou et en Bolivie. Les massacres d'Indiens avaient été systématiques depuis des siècles et, d'une manière ou d'une autre, ils continuaient. Exister, c'était déjà résister face à ces empires occidentaux qui prenaient possession autant des terres que des âmes des hommes et des femmes  respectueux de la pachamama, la terre-mère. Et en même temps, résister au vol de la terre, au vol des âmes, c'était l'unique façon qu'il nous restait, Indiens ou pas, pour rendre nos existences soutenables. J'ai même pissé sur mon pantalon. J'avais pensé exactement de cette façon, dès le premier jour où j'étais allé travailler dans une usine pendant des vacances. J'avais alors à peine 17 ans et depuis - même si trop souvent je l'avais oublié - c'était la philosophie qui s'appliquait à ma vie. Résister à ce qui détruit, à ce qui exploite, à ce qui manipule. Je boutonnais les boutons de ma braguette, j'avais la bouche grande ouverte, je manquais d'air. Qu'est-ce-que je foutais ici, à Cusco, alors que ça pétait de partout en France ?
Vu des médias du Pérou, les gilets jaunes mettaient le pays à feu et à sang. C'était une nouvelle révolution. N'avais-je pas, depuis mes 17 ans, vécu pour cela, enfin voir et participer à la Révolution ?  Et pendant ce temps-là, où est-ce que j'étais ? Dans les  toilettes d'un bar, à 3300 mètres d'altitude, à philosopher sur la résistance des peuples. Philosophie de pissotière, Bornu, ne vois-tu pas que tu n'es qu'un simple touriste perdu dans le grand manège désenchanté du voyage ? Je me suis lavé les mains tout en jetant toujours des coups d’œil vers la pissotière et ce graffiti. Et la fille du président? Ça faisait une demi heure que je buvais et elle n'était pas au Lukuku. Je suis retourné au comptoir. J'aurais pu y passer des heures, je crois que je pourrais boire pendant un siècle dans ce type de bar, sans m'ennuyer une seule seconde. Je commençais à être ivre car j'avais bu deux whisky et deux bières en l'attendant. Je planais. L'altitude me faisait aussi de l'effet, j'étais saoul plus rapidement. Enfin, j'ai vu sa tête à l'entrée, on aurait dit une chouette, elle la tournait dans tous les sens avec des mouvements saccadés. Elle avaient les yeux ronds comme des billes. Ses dents étaient éclatantes de blancheur, je crois qu'elle riait quand elle m'a vu. Elle s'est mise à courir jusqu'au bar et elle s'est jetée dans mes bras.
Pardon, pardon, pardon, répétait-elle, j'ai raccompagné mes amis à notre hôtel. Je suis revenue aussi vite que possible, mais je me suis perdue. Tu ne m'en veux pas?
Non. J'avais  juste peur de ne plus te revoir.
Moi aussi, très peur.
Puis, soudain, elle s'est écartée de moi, reprenant une distance plus respectable. On s'était vus une heure dans toute notre vie et,  la sentir si près de moi me mettait mal à l'aise. Je me rendais compte que j'étais sous son emprise. En restant trop très de moi, elle me supprimait toute volonté. J'ai rien trouvé de mieux à dire que, qu'est-ce-que tu veux ?
Comme toi .
Bière et whisky alors.
D'accord.
Pour avoir plus de contenance, j'ai sorti mon téléphone et je lui ai dit excuse-moi je vais prendre quelques photos. C'est super ces œuvres sur les murs. Elles ont été faites par des artistes péruviens. Ça te plaît ?
Oui, elle a dit, sans même jeter un regard sur ces murs.
C'est à ce moment-là que j'ai fait plein de photos pendant un bon quart d'heure. Je sais que c'était stupide mais cela m'évitait d'être trop proche d'elle et je pouvais ainsi réfléchir. Je l'ai déjà dit que je n'aimais pas les filles poilues. En plus, je ne comptais même plus les décennies qui nous séparaient, c'était trop vertigineux. Je m'interdisais toute pensée érotique, ce n'était tout simplement pas possible, alors je cliquais. J'enchaînais les photos. Pendant ce temps, la fille du président était au bar avec son whisky et sa bière et elle me suivait des yeux. Je crois que pas un instant elle ne me quitta. Cela me donnait le vertige. Il a bien fallu que je revienne et que tout près d'elle, je sente sa peau, ses poils. J'avais l'impression d'être un dieu. Je ne me rappelais pas une fille me regarder avec tant d'admiration, je n'en revenais pas, je ne savais pas quoi faire. Alors j'ai souri bêtement et j'ai applaudi aussi fort que possible.  C'était le dernier morceau du groupe colombien. Il avait mis une ambiance d'enfer et j'ai repensé au cul superbe de Marina. Ce n'était pas mieux. Marina ou la fille du président, bonnet blanc, blanc bonnet. Des filles faites pour aimer et pour être aimées par des hommes de leur âge. Moi je n'étais plus dans le coup !
À quoi tu penses elle m'a demandé ? Tu as l'air loin.
Je pensais à toi. Non ! Je pensais à rien je veux dire.
Tu veux dire que je suis rien, elle a rit. J'espère que ce n'est pas ça que tu veux dire.
Non. Excuse moi. Je dis n'importe quoi. Je pensais que c'est incroyable qu'on se retrouve. Pourtant le monde est grand, tu ne trouves pas ?
Qui était cet imbécile qui parlait à ma place ? J'avais l'air bête, cela ne devait pas être moi, mais un autre, celui que je connais que trop bien, ce type qui avait juste un cœur d’artichaut sous lequel était placé une bite. Si c'était lui qui prenait ma place, j'étais fichu.
Oui, le monde est grand mais on s'est retrouvés Bornu, c'est le plus important, non ?
Non.  Bien sûr, oui, c'est le plus important ! J'aime beaucoup ce tableau-là. Et toi ? Je le lui montrais du doigt.
Elle ne se donna même pas la peine de bouger la tête.
Oui, superbe. Tu sais pourquoi je suis revenue en Amérique du Sud.
Je suppose pour heu... moi. Non ! Je ne sais pas. Pourquoi ?
J'étais pas fier de moi. J'avais quand-même suffisamment d'expérience pour assurer devant une gamine. Je n'en revenais pas à quel point j'étais faible. J'avais donc rien appris des filles pendant toute ma vie ? Quel nul j'étais.
Elle devint très sérieuse et elle dit, non, je ne suis pas venu QUE pour toi, et elle insista sur le que. Je suis revenue parce que tu m'as dit à Cali... Tu te rappelles de notre conversation ?
Oui, je crois. Je t'ai dit que tu avais le choix.
Pas exactement, Bornu. Tu m'as dit que tous les choix m'étaient encore possible. Tous, Bornu. Tu comprends ce que cela veut dire?
Oui et non. Mais elle n'a pas écouté ma réponse et elle a dit, je suis revenue parce  que ...
Quoi, j'ai demandé ?
J'avais mal entendu car, à ce moment-là, le deuxième groupe de la soirée montait sur scène et les gens applaudissaient à tout rompre. Je n'aurais jamais dû lui poser cette question car je savais ce qu'elle m'avait dit. Je crois que je le savais depuis qu'elle m'avait lancé, à Cali, dans le taxi, pour te rappeler de moi, tu n'as qu'à m'appeler la fille du président.
Elle a hurlé J'AI ENVIE DE TOI, T'AS COMPRIS.
La honte !
Au bar, cinq ou six personnes nous regardaient. J'espérais qu'aucun ne parle français. J'avais envie de leur dire, non, ce n'est pas de moi qu'elle parle cette fille. Vous m'avez vu ? Ce n'est pas possible. Je pourrais être son...
Merde, elle m'avait sauté au cou et elle m'embrassait à pleine bouche.
J'ai pensé, ce n'est pas comme ça qu'on embrasse son grand-père. Et bien si, c'est comme ça à notre époque, mais je n'étais pas son grand-père. Ça va pas ! J'étais au pire l'autre, le cœur d’artichaut avec en dessous  ce que vous savez. D'ailleurs, il n'allait pas résister longtemps celui-là ! Vous pouvez me croire. J'ai ouvert grand ma bouche et sa langue s'est enroulée autour de ma langue. Quel goût  délicieux, pensait le cœur d’artichaut. Je n'étais pas loin de penser comme lui. Il fallait que je reprenne le dessus. Heureusement, je me suis ressaisis et, très doucement, mais avec toutes mes forces, je l'ai repoussée aussi tendrement et fermement que je le pouvais.
Elle m'a regardé et elle a juste dit, on dirait un curé. Puis elle s'est détachée de moi, a avalé cul-sec son verre de whisky et s'est précipitée sur la piste de danse.
Je n'étais même pas un curé défroqué de la Révolution Française ou un de ces justes théologiens de la Libération qui avait combattu au côté des pauvres dans les années 70 dans toute l’Amérique Latine. Je n'étais qu'un curé. Un vieux moraliste qui blessait une jeune fille en fleur. Quel con je faisais. Mais, tout bien réfléchi, est-ce-que j'avais vraiment le choix, moi ??? C'était soit le pervers, soit le curé. Qu'est-ce-que je pouvais choisir d'autre ? Dans ce jeu-là, il n'y a pas de joker. Et une petite voix a ajouté, il n'y a peut-être pas non plus de pervers. Il ne reste donc, dans ton jeu, que curé ou pas curé, à toi de choisir ?
Je me suis demandé si cette petite voix, ce n'était pas encore  le cœur d’artichaut ?
La fille du président se déhanchait, faisait des mouvements du bassin très lascifs. Elle n'avait pas la prestance de Marina et elle était loin d'être aussi belle et aussi bonne danseuse. Elle était une tête de gamine avec un corps plein de poil, beurk. Je me répétais, pas question que je couche avec une poilue. Ça marchait pas. Loin de là, je bandais. Je peux même dire que je bandais à mort. J'avais fait un effort titanesque pour la repousser. C'était un exploit que personne n'avait perçu, mais c'était un exploit quand-même, curé ou pas curé, bravo Bornu ! Il fallait que je me remonte le moral. Il n'y avait personne pour m'aider. C'était la première fois que je me retrouvais dans cette situation. Qu'est-ce que vous auriez fait, vous, à ma place ?
Bien sûr, il n'y a eu de réponse. Il a bien fallu que je me débrouille tout seul. Et tout compte fait, je crois que je m'en suis pas si mal sorti.
Bien qu'un peu spéciale, ce fut une très belle nuit de pattes en l'air.
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Plaza de Armas, Cusco
On s'était réconciliés autour d'un autre whisky. Je m'étais excusé. Je lui avais dit que je n'étais pas un curé. Il me fallait simplement un peu de temps, tu comprends. Et je lui avais fait un petit bisou sur la bouche. Jusque là, elle avait le visage fermé mais dès que je l'avais embrassée, elle s'était illuminée. Ses yeux de billes devinrent comme les plus belles des agates et j'avais envie de jouer avec ses agates. J'adorais les billes quand j'étais gamin. Les siennes me faisaient craquer. "Je te donne  mon paquet contre tes deux billes. Tu veux?"
"Oui".
Je suis sûr qu'elle aurait dit oui. Mais je ne lui ai pas demandé.
Après l'avoir embrassée, elle m'a pris la main et elle m'a dit, allez viens Bornu, on s'en va.
Je n'étais certes pas un curé, mais je n' étais pas non plus un être dépourvu de moralité. Est-ce qu'on pouvait en dire autant de la fille du président ? Parfois j'en ai douté.
Nous marchions à nouveau dans la direction de la Plaza de Armas. Ce n'était plus Marina à mon bras mais une autre femme. Je devrais dire une autre fille, une fille pleine d'énergie, de désirs, d'espérance. Elle était un phénomène nerveux complexe tourné vers le sexe et cette ville est un paradis pour les êtres sexués, les amoureux ou les violeurs. Il y a des passages un peu partout. Ceux-ci donnent sur des cours dans lesquelles vous avez des magasins de souvenirs, des restaurants populaires, des hôtels bon marché et surtout des stands de vêtements incas. La nuit, tout est fermé, sauf l'entrée des passages. À peine avions-nous fait une centaine de mètres à l'extérieur du Lukuku qu'elle me poussa sous une porte cochère. Elle était suspendue à mon cou et, en même temps, elle me dirigeait au plus profond d'un passage. Nous sommes arrivés dans une cour et, comme il n'y avait pas de coin discret, nous avons fait demi-tour pour rester dans l'ombre de ce passage. Elle m'embrassa avec fureur. J'ai envie de toi disait-elle, et je répétais moi aussi. Puis je l'ai vue regarder entre mes jambes et elle a commencé à se baisser. Je lui ai pris les deux mains et j'ai dit, ce n'est pas la peine que tu fasses ça. Elle m'a regardé. Elle était furieuse, et elle a répondu, si, en dégageant d'un coup ses mains, puis elle tapa sur les miennes.
Si et si, répéta-t-elle avant de plonger sur ma braguette. Elle avait fait ce geste si rapidement que je m'en suis rendu compte qu'une fois avoir ressenti le froid sur mes fesses. J'avais mon jeans tombé sur mes genoux et elle me mordillait mon machin.  Vous pouvez imaginer. Le cœur d’artichaut était en fête et ma bite en feu.  Elle ne m'a pas sucé très longtemps. Dès qu'elle a commencé à me caresser les couilles, j'avais perdu toute forme de contrôle. J'ai juste cru voir une silhouette à l'autre bout du passage, mais je ne m en suis pas préoccupé plus que ça. Ça montait en moi. Je me suis abandonné. J'ai entendu un bruit mat de quelque chose qui tombait sur le sol et c'est arrivé en même temps.
J'ai tout lâché, mon dieu, la fille du présidEEEEENNNNT. Une explosion de sperme en moins de 3 minutes chrono, AAAaaah, je faisais. Mais déjà elle était debout, elle m'avait remonté le pantalon et boutonner ma braguette.
T'as aimé, elle a demandé presque aussitôt?
J'ai répondu en imitant mon râle Aaaah.
Tu as bien dégorgé le poireau, elle a dit en riant, j'en ai partout sur le visage.
Tu ne peux pas être un peu plus romantique, je lui ai demandé ?
Surtout pas, elle a fait, en me mettant la main entre mes jambes. J'ai aussi pris une année sabbatique avec le parler correct de mon école de prépa.
Nous avons commencé à marcher dans la rue quand je me suis rendu compte que le bruit mat que j'avais entendu était celui de ma canne tombant sur le sol au moment de jouir.
Mince, j'ai oublié ma canne, j'ai dit en me retournant et en me précipitant vers le passage.
J'en ai pas encore parlé parce que je n'ai pas encore eu le temps de m'y habituer. J'avais des douleurs dans le dos depuis plusieurs mois. J'avais été voir des médecins, des ostéos et des chiropraticiens, rien n'y avait fait. À Cusco, j'avais été faire des massages. C'était très bon mais, 5 minutes après être sorti de la séance, je boitais à nouveau. La masseuse m'avait dit qu'elle ne pouvait rien faire de mieux pour moi. La solution était d'acheter une canne. Cela atténuerait beaucoup les douleurs. J'avais jamais imaginé marcher un jour avec une canne, mais, en effet, depuis 3 jours que je marchais avec, j'avais quasiment plus de douleurs et je retrouvais la liberté de me balader dans la ville. Le problème, c'est qu'on ne me regardait plus du tout de la même façon. Par exemple, hier, dans la queue d'un cinéma, un gardien est venu me chercher et m'a conduit directement au guichet. J'étais devenu prioritaire et j'avais pris vingt ans supplémentaires du jour au lendemain.
Elle était posée à l'endroit où la fille du président m'avait fait une gâterie. Je l'ai prise et je m'en suis retourné sans me presser, pour mieux apprécier le moment présent et le plaisir qu'elle m'avait donné.
Quand je suis arrivé à son niveau, elle a dit, alors Pépé on se fait tailler une p'tite pipe par une jeune femme et on en perd sa canne.
Je l'ai regardée avec des yeux de fou. Je crois que je l'aurais tuée.
Elle a mis sa main devant sa bouche, excuse-moi, pardon Bornu, j'aurai pas dû.
Jamais, j'ai dit furieux, jamais plus tu m'appelles Pépé.
D'accord d'accord.
Et puis d'abord, essuie-toi la bouche, tu as encore du sperme séché sur le coin des lèvres.
Elle passa sa langue à la commissure des lèvres, Hum, c'est bon.  De ses yeux de billes, elle a sourit. Je fais des réserves de sperme pour les périodes de vaches maigres.
Je devais avoir le regard toujours aussi sévère.
Je ne suis pas inquiet pour toi. Avant que tu sois en pénurie de sperme, il faudra couper les couilles à tous les mecs à au moins 30 km autour de toi.
C'est pas gentil ça, Bornu.
Non, j'ai répondu, je ne suis pas gentil et tu l'as bien cherché.
Je t'adore quand-même, tu sais. Ça m'a donné soif tout ça. On va se boire une autre bière ?
Je l'ai embrassée.
D'accord, après on ira à mon hôtel, si tu veux?
Si je veux ? Claro que si, je veux, dit-elle en enroulant ses bras autour de mon cou.
Vincent était toujours sur la Plaza de Armas.
Je lui présentais la fille du président.
Tiens, me dit-il, ton amie a beaucoup changé depuis la dernière fois que je l'ai vue.
Ce n'est pas drôle Vincent. Marina était fatiguée. Elle est rentrée se coucher. Tu as toujours des invits pour ton bar de nuit ?
Oui, bien sûr. Je vous accompagne si vous voulez, c'est dans une petite rue derrière la place. Pas facile à trouver.
OK, emmène-nous.
Vincent et la fille du président avait le même âge et tous les deux étaient sympas. Ils avaient beaucoup de points en commun, le goût du voyage, l'indépendance et la curiosité d'esprit. Une sensibilité à l’empathie. Normalement, le courant aurait dû passer et pourtant, ils étaient indifférents l'un envers l'autre. L'amitié ne se décrète pas parce que nous avons des idées en commun, ou des passions identiques. Il faut parfois plus ou parfois moins. L'amitié est ce qu'on appelle un feeling, une alchimie des sentiments. Et ce feeling est quelque chose qui ne peut se donner que par de la chimie, de l'énergie, du mouvement et donc du mystère qui circule entre deux personnes. C'est quelque chose qui passe ou qui passe pas, impossible à définir. La seule chose dont j'étais sûr, c'est qu'entre la fille du président et Vincent, cela ne passait pas. Et pourtant, avec tous les deux, je m'entendais bien.
Vincent nous laissa à l'entrée du bar avec deux cartons d'invitations pour deux cocktails.
Merci Vincent. Dis-moi, avant que tu retournes au boulot, derrière le dortoir où tu crèches, il y a bien une chambre ?
Oui, bien sûr. Je vois où tu veux en venir, dit-il en faisant un clin d’œil à la fille du président, qui resta de marbre. La chambre est libre, si c'est ça que tu veux savoir. Le type qui était dedans est parti faire le treck de 4 jours au Machu Pichu. Il ne rentre que demain soir. Cela ne devrait pas poser de problème.  De toute façon, il n'y a pas de gardien de nuit à l’hôtel. Alors tu fais comme tu veux.
Super, j'ai dit.
N'est-ce pas, j'ai fait en me tournant vers la fille du président.
Ouais, elle a dit, le visage fermé.
Mais dès que Vincent fut parti, elle me sauta dans les bras, super ! On a une chambre pour nous deux. Tu es génial Bornu.
Faut pas exagérer.
Elle était encore à mon cou dans ce bar. D'une main, je lui enlaçais la taille et de l'autre je tenais ma canne. Malgré toutes les lumières tamisées d'un bar de nuit, je devais faire un peu plus que son âge. Bien sûr, je n'étais pas son grand-père.
J'avais envie de dire à tous ces regards de répréhension qui, d'un coup, se sont tournés vers nous quand nous sommes rentrés dans ce bar, et oui, la fille du président vient de me tailler une petite pipe. On se boit un cocktail gratis et ensuite on va se faire une grosse partie de pattes en l'air, bande de bouffons et de backpackers névrosés ! Il y a quelqu'un que ça dérange ????
On m'a tapé sur l'épaule, une bonne pression, je me suis retourné et j'ai levé la tête la-haut. C'était Fausto, l'armoire à glace chilienne. J'espérais qu'il n'avait pas lu dans mes pensées.
Salut, dit-il. C'est ta fiancée, demanda-t-il en espagnol
Oui,
C'est pas moi qui ai répondu mais la fille du président.
Tu me trouves peut-être trop vieille pour Bornu ?
Fausto rigola.
En effet, peut-être un peu trop vieille. Mais comme tu es mignonne, ça le fait bien vous deux. Vous prenez un verre avec moi ?
Je les ai présentés et elle a dit, tu es trop chou Fausto. Dis-moi, tu viens d'où au Chili ?
Fausto le lui dit et elle fit, j'y serai dans une semaine. Génial, t'aurais pas des adresses pour moi et mes amis ?
Si ma mignonne.
En quelques instants, elle s'était mise Fausto dans la poche. En fait, comme c'est souvent le cas pour des types comme Fausto à la tête que la nature n'a pas trop gâtée  et au corps de géant, il n’était en réalité qu'un gros nounours très doux et infiniment gentil, avec une voix de timide.
Le bar était plein et, normalement, d'après ce qu'avait dit Vincent, les proprios vénézuéliens refusaient les jeunes Péruviens dans leur bar sous prétexte qu'ils ne dépensaient pas d'argent. Il n'y avait donc quasiment que des occidentaux et, peut-être parce qu'il n'était plus très jeune, il y avait un Péruvien dans le fond de la salle. Il était assis dans une alcôve avec la Française de notre hôtel, celle qui n'avait pas quitté ses bras depuis 2 mois. Ce type avait à peu près trente ans et était magnifique. Il avait un corps d'athlète, cela se voyait, car il était en débardeur. Son  visage était sans ride et,  dans ses yeux d'un noir sans limite, on aurait pu s'y voir comme dans un miroir, dit-on habituellement. Il portait un anneau d'or à chacune de ses oreilles et sa longue chevelure noire qui lui tombait sur les épaules lui donnait un air de seigneur. De loin, c'était le plus beau mec de la soirée. En plus, il avait l'air cool. On s'était dit bonjour plusieurs fois à l’Hostel Lucky. Je leur fis un signe et ils me répondirent tous les deux en levant haut la main et en souriant. Ils avaient l'air heureux. La porte d'entrée s'est ouverte et un type pénétra dans le bar, il ne voyait que d'un œil. On s'était donné le mot ou pas ? Ou plutôt, merci Vincent pour les invitations. Il devait les distribuer à l’hôtel. C'était notre punk borgne. Il vint directement à notre table.  Son chien n'était pas avec lui. La fille du président resta lové dans le creux de mon épaule et je n'étais plus un vieux mais un jeune coq qui vient d'avoir sa première poussée d'hormones. Fallait pas qu'on s'approche trop près d'elle sinon j'allais jouer de la canne.
Le punk était saoul et voulut nous payer une tournée mais nous avions déjà deux verres d'avance. Quand elle le vit, elle se redressa. Cool ton hôtel, dit-elle, et cool les gens qui habitent dedans, et toi, tu es le plus cool de l’hôtel, et elle avala la moitié de son gin tonic. Mon Dieu, dans quel état nous allions finir. J'ai bu mon propre gin tonic et, sur notre table, j'en avais un autre offert par Fausto. Le punk borgne sortit un joint et l'alluma. Personne ne dit rien. Le punk, j'appris le lendemain par Vincent, était un anglais de 45 ans qui vivait au Pérou depuis une dizaine d’années. Il parlait parfaitement l'espagnol et avait le teint mat. Jamais on aurait pensé à un anglais. Il était de père diplomate anglais et de mère équatorienne. Sa famille avait beaucoup d'argent, disait-on à l'hôtel, mais il mettait un point d'honneur à vivre uniquement de petits boulots de traducteur et, comme on le sait déjà, il vivait aussi de la manche avec son chien. Le couple franco-péruvien arriva à notre table et le joint tourna. J'ai embrassé la fille du président dans le cou et je lui ai dit, il faut qu'on y aille mollo sur les drogues et les alcools. À l’hôtel, je voudrais pas m'endormir sur toi.
Elle s'est instantanément tournée vers moi.
Il n'en est pas question Bornu, sinon, demain tu n'as plus rien entre les jambes.
Non, dit-elle sèchement quand le joint arriva à son niveau. On va rentrer tous les deux. Et sans me demander mon avis, elle se leva et prit sa veste. Allez Bornu, prends ta canne, on y va.
Je me suis mis à rire, là aussi pour me donner une contenance. Mais, en fait, ce petit bout de femme tout juste sorti de l'enfance aurait pu me mener par le bout du nez. Je crois que le cœur d’artichaut n'y aurait vu que du feu.
Fausto, le punk et le couple franco péruvien nous saluèrent avec des sourires pleins de sous-entendus. À tout à l'heure, dirent-ils, et là, ils se sont carrément marrés.
Nous avons retrouvé la rue et, encore une fois, la Plaza de Armas et la statut du grand chef inca qui semblait défier la montagne, les étoiles, la nuit et même l’éternité, comme nous, et comme Vincent, qui continuait son boulot de rabatteur.
À plus les amis, je rentre dans une heure, dit-il quand il nous vit traverser la place.
Salut le Versaillais, j'ai fait, et encore merci.
La fille du président, au lieu de son joli sourire, lui fit une grimace.
Je ne sais pas ce que tu lui trouves, Bornu? Il est d'une grande banalité ce type. Et puis c'est un fils de bourges, ça se voit.
Oui, tu as raison, c'est un fils de bourges. Il est en train de larguer les amarres avec sa famille. Ce n'est pas rien, tu sais.  Et puis moi, je l'aime bien.
Ouais, fit-elle, boudeuse. Moi, je le sens pas ce Vincent. C'est pas comme toi.
On se tenait la main en passant devant la cathédrale et elle me la lâcha et partit en sautillant, puis elle revint tourner autour de moi.
Je peux, demanda-t-elle, en avançant sa main grande ouverte ?
Oui, j'ai dit, et j'ouvris grand ma main qu'elle s'empressa de saisir, tout en me tendant ses lèvres. Nous sommes remontés jusqu'à l'église San Blas, puis nous avons pris la ruelle qui grimpait jusqu'à notre hôtel. Je tirais un peu la patte, mais la canne me faisait du bien. L'alcool aidant, je ne sentais qu'une petite gêne dans le dos et bien sûr la fille du président occupait toutes mes pensées, il n'y avait plus de place pour les petits bobos. Elle a mis sa main dans mon slip juste au moment où on arrivait devant l'église.
Mais tu bandes mon salaud, dit-elle.
Je vois, en effet, tu as pris aussi une année sabbatique avec le romantisme, je répondis moqueur. Enlève-moi ta main de ma culotte, petite fille mal élevée.
Pas question, fit l'ingénue, je l'ai en main, je ne la lâche plus.
Si je me rappelle bien, elle a tenu parole. Quand nous sommes rentrés dans l’hôtel, elle avait toujours sa main dans ma culotte et personne n'aurait pu la lui retirer. Surtout pas moi. Si dehors il faisait deux ou trois degrés, à l’intérieur, dans la pièce principale ouverte à tout vent, il ne faisait pas plus de 5 degrés. Le couple brésilien dont on se souvient qu'il faisait d'horribles bijoux que personne n'achetait, dormait sur une des banquettes de cette pièce. L'homme chuintait plus qu'il ne ronflait. Sur lui enlacée, sa femme dormait en silence et, au dessus encore, il y avait un tas de couvertures. Quand nous sommes rentrés, malgré la lumière, ils ne se réveillèrent pas. Mon dortoir et celui de Marina donnait sur cette pièce, mais à l'opposé de l'entrée. Les artesanos argentins dormaient à l'étage. Quant au Belge, l'Espagnol et Vincent, qui travaillaient dans la même association, ils partageaient le dortoir à gauche de l'entrée. Il fallait passer par ce dortoir pour atteindre la chambre.
J'ai envie de faire pipi elle a dit, prime. Où c'est ?
Je lui montrais du doigt.
Elle enleva la main de mon slip et se précipita aux toilettes. J'entendis le sifflement aigu de son pipi pendant longtemps. J'ai eu envie d'aller voir dans mon dortoir comment allait Marina. Mais je me suis dit que c'était pas une bonne idée. Elle ne devait pas être tout à fait d'accord avec ce que je faisais. Et puis j'avais ma queue qui commençait à me faire mal. Je bandais et j'avais envie de pisser en même temps. Ça me piquait. Il était temps d'aller vidanger tout ça. Elle est sortie des toilettes.
Puta tu madre,  chevere. (Putain de ta mère, c'est super bon)
C'est pas plus romantique en espagnol qu'en français, je lui ai fait remarqué, et je suis allé pisser à mon tour.
Sans faire de bruit, nous avons traversé le dortoir avec une lampe de poche et nous avons enfin atterri sur le lit de notre chambre. Il faisait sans doute un peu plus chaud que dans la pièce principale entre 8 et 10 degrés maxi. Comme des affamés, nous nous nous sommes déshabillés en jetant nos affaires au sol. Le froid n'existait plus.
Elle avait du poil partout la fille du président. Sa chatte en était recouverte jusqu'à en dessous du nombril. Elle ne devait pas s'être rasée sur les pattes depuis la première fois où je l'avais vue à Cali, en septembre, car ses mollets étaient recouverts d'un duvet noir et épais et je ne voyais même plus sa peau. Quant à ses aisselles, dessous, cela était dense, épais, humide, avec une impression de grouillement, et, pour couronner le tout, il s'en dégageait une odeur très forte. Théoriquement, comme je l'ai déjà dit au début de cette histoire, j'étais sous l'emprise de la dictature de l'épilation  intégrale. Je n'aimais donc pas les filles poilues. Pour couper court à ce dictat de la beauté féminine, j'ai plongé directement sous ses aisselles. Je me suis mis à les respirer à fond et, à ma grande surprise, ce fut un grand shoot. Déjà je bandais, mais mon érection, maintenant, n'était plus seulement dans mon sexe, elle venait du corps entier et mon cœur s'est mis à boxer comme un fou dans ma poitrine. Cette subite montée d’adrénaline m'a rappelé l'effet d'un sniff de poppers. Chavirant. Incontrôlable. On pouvait devenir accro de ce truc-là !
Arrête Bornu, tu me chatouilles, elle a dit.
J'ai alors plongé entre ses jambes. J'avais soif, j'avais faim d'elle. En bas, elle sentait pareil que sous les bras. Mon Dieu, il devait battre à deux cents à la minute, le vieux !  Je me suis demandé comment mon cœur faisait pour résister à toute cette pression. Je crois que j'avais jamais vu une fille avec autant de poils sur la chatte et je la bouffais. Carrément. J'en avais partout. Dans le nez, dans la bouche, dans les oreilles et dans les yeux. À force de bouffer de la chatte je devenais à mon tour une chatte et du poil aussi et, autre surprise, liée à la première, maintenant j'aimais le poil. Le sien.
J'étais excité, à fleur de peau. Cette fille était à la fois une ecstasy, une super ligne de coke et une amphète d'une autre planète. J'étais en train de me défoncer à la fille du président et j'aurais continué encore longtemps ainsi, si je n'étais pas entre ses jambes   et qu'elle m'avait dit non, par derrière. Baise-moi par derrière. Je l'ai embrassée très fort et en même temps avec délicatesse, en tout cas c'est ce que je pensais, je l'ai retournée et j'ai relevé son cul le plus haut possible  pour qu'elle cambre bien son dos.  J'ai pénétré en elle comme si nous avions déjà fait l'amour ainsi mille fois. C'était une baise tout ce qu il y a de plus simple et pourtant de très intense.  
J'avais à peine donné quelques coups de boutoir quand j'ai ressenti quelque chose d'un peu frais et de furtif dans les environs de mon anus.
Elle disait, allez, vas-y Bornu, prends-moi plus fort. Mais cette fraîcheur s'est transformée en un frisson déraisonnablement inconnu. J'ai alors tordu au maximum mon cou sur ma droite et j'ai vu, à un bout de mon champ de vision, une queue qui frétillait. À l'autre bout, il y avait une paire de fesses, les miennes, et au milieu, une gueule de pitbull qui les reniflait.
Lula, j'ai hurlé en lui balançant ma main dans le museau.
Je lui ai fait peur. Il a fait un bon en arrière et a sauté du lit. Je me suis vite retiré de la fille du président.
Quoi, elle a fait. Viens en moi Bornu et laisse l'ancien président en prison, même s'il le mérite pas*.
Mais non, pas ce Lula-là, l'autre, j'ai crié. Le pitbull du punk. Le con,  pour picoler tranquille, il a enfermé son chien dans cette chambre.
Enfin elle comprit et se retourna d'un coup.
L'asthmatique qui avait confondu mon très cher et tendre trou du cul avec un flacon de Ventoline s'est mis à aboyer. S'il y a bien une bête que je déteste entre toutes, c'est le pitbull en colère. Surtout quand vous êtes à poil et que sa mâchoire super puissante est à quelques centimètres de votre paire de couilles. Vous ne faites plus votre fier à bras, je peux vous l'assurer.
Ah le joli chien, elle a dit.
Mais Lula, qui s'était positionné sur nos vêtements jetés au sol, aboya à la mort, et je ne le trouvais vraiment pas joli.
Je me suis mis debout sur le lit. La fille du président s'est mise à côté de moi.
Impossible de calmer la bête.
La porte s'est ouverte et la belge et l'espagnol sont rentrés les premiers, les bras ballants, bouche bée, sans même prêter attention à Lula. Deux statuts de sel devant Sodome et Gomorrhe. Rien à en tirer.
Dans tout l’hôtel, j'ai entendu  des bruits de pas précipités.
Marina est arrivée juste après. Elle a regardé le pitbull puis lentement avec une froideur chirurgicale et sans aucune gène, elle a examiné mon entrejambe et celui  de la fille du président. J'avais envie de lui demander, alors docteur, c'est grave ou pas ? Mais vu la grimace qu'elle a faite ensuite, ce n'était pas la peine de faire des examens supplémentaires. Marina a relevé le menton, elle a fait  un demi tour réglementaire et d'un pas décidé, elle est sortie de la chambre. J'ai juste eu le temps de remarquer quelle portait ses jolis chaussons avec des pompons oranges.
Puis ce fut le tour de deux argentins de venir aux nouvelles.  les imbéciles, ils se sont marrés, Ils ont même pas tenter de calmer Lula, puis ils sont partis dans la cuisine, se boire une bière en se tapant sur les cuisses. Tout l’hôtel y est passé. Lula était  toujours aussi furieux  et nous deux, nous étions toujours à poil debout sur le lit. Heureusement le punk est arrivé  en même temps que  Vincent le couple franco péruvien et Fausto. Le seul qui fut attentif à la fille du président fut Fausto. Dès qu'il rentra dans la chambre avec les autres, il enleva sa grosse veste de bûcheron et la lui jeta. Vincent, lui, se tenait le menton dans la main. On avait l'impression qu'il s'interrogeait. Tient une situation que je ne connais pas encore. Un pitbull de punk en colère et un couple nu debout sur un lit. L'une à mon age et quel poil ! et l'autre c'est quand-même un vieux avec ses couilles qui pendent mollement. Je ne crois pas je verrais cela souvent dans ma vie. Géniale ! Le couple franco-péruvien était très sérieux mais je les sentais solidaires . Cela aurait pu leur arriver. le punk gueulait sur son chien mais  sans parvenir à le calmer. Il a fallut que Fausto l'attrape par la peau du cou et qu'il lui écrase le horrible gueule sur le sol, ou plus exactement sur mon pantalon et le soutien-gorge de la fille du président, emmêlés ! Enfin avec l'aide de Vincent ils réussirent à calmer le fauve.
Le punk borgne s'est confondu d'excuses. Mais être le maître d'un pitbull qui me renifle l'anus alors que nous faisions l'amour, est inexcusable.
J'espère que vous  qui me lisez et qui êtes intelligent et ouvert d'esprit, vous aurez de l'indulgence envers moi car depuis ce jour, j'ai une certaine aversion pour les punks à chien . Il suffit que vous prononciez punk à chien pour qu'un frisson se répande sur toute mon l'échine jusqu'au sacrum. Très déplaisant.
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Enfin le calme est revenu. Nous avons viré tout le monde de la chambre, même les deux statuts de sel qui n'avaient pas bouger pendant toute cette scène.
Enfin, nous avons fait l'amour. A notre tour, nous avons été bruyants, bien que, beaucoup moins que Lula. Nous n'avons pas aboyé. Ce fut en effet une belle partie de patte en l'air. Elle était charmante,  intelligente, poilue mais elle n'était pas une princesse,  J'étais très très loin d'être un beau et jeune prince charmant et même si c'est un conte de noël et donc comme tout conte de noël qui se termine bien, à ma connaissance actuelle, nous n'avons pas eu beaucoup d'enfants, à vrai dire aucun !
C'est ainsi que, dans cette magnifique ville inca de Cusco, au Pérou, s'est finie cette première et unique nuit d'amour avec la fille du président.
Encore une chose.
Le matin, j'ai demandé à Vincent, tu ne saurais pas où est ma canne ? Impossible de la trouver.
Il ne l'avait pas vue. Pourtant, j'étais sûr d'être rentré avec ma canne.
Je me demande si c'est pas Marina qui l'a cachée pour me montrer son mépris, ou peut-être Lula qui, pour se venger d'avoir pris une claque, l'aurait broyée de ses horribles dents, ou ce couple de Brésiliens qui ne s'était même pas réveillé de toute la nuit, ou les Argentins qui voulaient toujours me taxer du fric ou... Pas les statuts de sel. Sûrement pas. Je ne le saurai donc jamais. J'étais bon pour aller acheter une autre canne avant de prendre un bus pour le lac Titicaca.
fin de la première partie
24 décembre 2018, 10 mars 2019 : Isla del Sol et La Paz en Bolivie, Cusco,Arequipa, Lima au Pérou, Mexico, Oaxaca, Puerto Escondido au Méxique
Épilogue
Île du Soleil,  lac Titicaca, 24 décembre au soir, Bolivie.
La fin d'un  conte de noël érotique.
(cette deuxième partie  sera sur mon blog la semaine prochaine)
*les Backpackers : terme anglais que l'on peut traduire par les  routards. Personne qui voyage avec un sac à dos et avec un petit budget. Va à la rencontre des autres personnes et  cultures... A l'origine !
Dans ce texte le packpacker névrosé. Est plutôt un bon petit bourge,voire un gros bourge, américain, canadien essentiellement, mais il pourrait être français, allemand ou italien, plutôt jeune qui feint de vivre en marge tandis que  la carte bleue de papa et maman chauffe à mort!En générale, il n'a jamais travaillé pour gagner sa vie.Partage son temps avec des gens comme lui, ne parle que l'anglais et ne fait aucun effort pour aller vers les jeunes des pays dans lesquels il crache son fric à gogo. Il peut passer un an  en Amérique Latin  sans jamais avoir appris un seul mot d'espagnol. Un exploit très répandu chez les  lourdauds de canadiens et les yankees.  A éviter au maximum.
  *Théologie de la libération : C'est une théorie et une pratique religieuse proche du marxiste, en défense des pauvres. Elle apparaît  surtout en Amérique Latine dans les années   70, à l'époque des dictatures. En France un mouvement comme la JOC, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, peut être considérée comme une théologie de la libération. Voici ce que disait l’évêque brésilien Helder Camara: "Quand j'aide les pauvres, on dit que je suis un saint. Lorsque je demande pourquoi ils sont pauvres, on me traite de communiste"
*Cumbia : musique d'origine colombienne, jouée par des esclaves noirs pour raconter l'histoire de leurs ethnies. Elle s'est ensuite étendue à l'ensemble de l'Amérique du sud et Centrale. Avec la salsa et le raggaeton, elle est la musique la plus jouée en Amérique Latine.
*Caldo de pollo, caldo de gallina : Ce sont des soupes complètes avec des oeufs durs et un morceau de poule ou de poulet
*menu économico : Comme son nom l'indique ce sont des menus bon marché, composés d'une soupe, sopa (souvent un bol de bouillon) puis d'un plat de viande accompagné de riz et haricots rouges et d'un désert au Pérou. En Colombie il y a pas de dessert. En gastronomie les colombiens, sont très très proche des anglais. La viande est dure, bouillie et le riz collant. Quand à la sauce, cela n'existe pas !... Les anglais n'ont même pas de nom pour dire Bon appétit ! Les colombiens si ! Buen provecho comme dans tous les pays où l'on parle le castillan. La gastronomie péruvienne et mexicaine sont toutes les deux inscrites au patrimoine immatériel de l'humanité de l'UNESCO.
*Ceviche: poisson ou fruits de mer crus marinés dans du citron. Il y a des centaines de recettes différentes. On dit que le Pérou est à l'origine du ceviche. Mais les mexicains ne sont pas d'accord !Le ceviche est mexicain. Les colombiens ne sont pas d'accord !... On peut au moins s'entendre sur une chose. Le ceviche du Pérou est un délice.
*Lula :
Ouvrier métallurgiste, il fond le parti du travail au Brésil et  arrive au pouvoir en 2002. ll ferra deux mandats de président de la république, il réduira les inégalités en essayant de ne pas se mettre à dos les élites du pays. Raté ! Pour des faits de corruption, sans preuves réelles. Lula est poursuivi par la justice et condamné à 12 ans de prison alors qu'il était candidat du PT aux dernières élections. IL était crédité au premier tour à 40% ( malgré une dizaine de candidats) et l'aurait donc emporté haut-la-main. C'est Jair Bolsonaro  qui remporte les élections.  Raciste, machiste, homophobe, anti-pauvre et autoritaire, sous sa présidence, le Brésil  est en passe de devenir  une nouvelle dictature fasciste.
Il n'en reste pas moins qu'en Amérique Latine, la corruption atteint une grande partie des organisations de gauche au pouvoir. C'est une des raisons de l'échec des gauches dans cette partie du monde et du retour en force des américains sous le gouvernement de Trump.
Notre punk a chien à connu Lula quand son père, ambassadeur anglais, le lui présenta lors d'une réception.  Il en fut impressionné.  Lula le nom de son chien n'est pas une provocation mais un hommage à l'ancien président Brésilien. Il n'empêche, que son pitbull est laid à faire peur !
Bonne lecture j'espère, et surtout,  prenez soin de vous.
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bornutyboisson · 6 years ago
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SANTÉ !
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1)Une belle, horrible ville
La soirée était excellente. Trois  groupes de rock locaux  jouaient à l'extérieur de Popayan, dans une clairière en pleine campagne à vingt minutes de notre hôtel. Pour éviter tout traquenard, nous étions partis au concert à pied en bande, une douzaine de personnes. Vers la fin de la soirée, nous rentrions  chacun de notre côté comme on le pouvait, derrière une moto, en taxi, ou à pied. Il était trois heures du matin quand Miguel le gardien de nuit m'ouvrit la porte de l’hôtel en me disant, va voir ton copain. Il n'est pas bien.
Mais qu’est-qu'il t'es arrivé j'ai demandé à Nico quand je l'ai vu pleurant de douleur, allongé sur son lit.
Marianne à ses côté, tentait de lui enlever une chaussure avec beaucoup de prudence. Il hurlait à chaque  tentative.
Je me suis cassé quelques chose, le pied, la cheville je ne sais pas grimaça-t-il. J'ai voulu rejoindre Marianne. Elle était partie cinq minutes avant moi. Il regarda Marianne avec des yeux plein de larmes.
Et ?
J'ai pris un raccourci. J'ai cru que c'était un petit muret. J'ai mal vu les distances, je suis tombé en glissant sur 3 mètres et j'ai atterri sur mon pied.  Je me suis évanoui.
ha oui quand-même!
Je ne pouvais plus marcher. En me réveillant, j'ai rampé dans le noir jusqu'à la route et heureusement une bagnole de flic passait. Ils m'ont ramené à l’hôtel.
Je crois que c'est grave Nico fit  Marianne, inquiète. J'appelle un taxi. On va aux urgences tout de suite, mon chéri.
Nico acquieca et Miguel   nous indiqua la meilleure clinique de la ville.
N'allez pas à l’hôpital publique dit-il. Ils n'ont que des médicaments de base et les meilleurs médecins et chirurgiens de la ville travaillent dans cette clinique.
Dix minutes plus tard un vendredi à 3h du matin, Nico et Marianne,   partaient aux  urgences de la meilleur clinique de la ville...
Si j'avais un mot pour parler de cette clinique je dirais l' horreur, dit Nico tout en buvant une gorgée de son café que le serveur venait d'apporter.
Tout à fait d'accord mon chéri, une l'horreur cette clinique, continua Marianne  en reprenant les mots de Nico. Ils n'ont aucun respect pour les droits humains les plus élémentaires. On peut même dire que c'est pire que la prison cette clinique.
Cela faisait 8 jours que Nico était  de retour à l'hôtel et il commençait  juste à souffler. Marianne aussi. Nous étions tous les trois assis à cette table  de café  de la seule terrasse de la ville de Popayan, département du Cauca.
Un petit moment avant qu'ils arrivent, j'étais assis seul, en les attendant et j'étais en train de penser au poète Dylan Thomas. Quand il parlait de sa ville de naissance Swansea, au Pays de Galles, il disait,  c'est une "beautefull, hugly city" , une belle, horrible ville. Ca collait parfaitement avec Popayan. Ville  de bâtiments religieux anciens et  de demeures de type  coloniale espagnol, d'un blanc parfait. En effet, on pouvait dire  que cette ville  était belle, d'autant plus que la journée, elle était égayée  par  de nombreux étudiants qui déambulaient joyeusement  en couple ou par petits groupes au milieu de ses rues blanches.
Je ne peux m'empêcher de faire une  digression. Je suis très étonné. Je me demande encore comment peut-on étudier dans cette ville  de 250 000 habitants dont 50 000 étudiants?  En faisant le tour de  Popayan pendant plusieurs heures je n'avais découvert aucune librairie digne de ce nom.  Il y avait juste quelques magasins assez minables qui prétendaient être des librairies religieuses dont une qui, bizarrement,  ne vendait strictement aucun livre. On y trouvait des tee-shirts  I love Jésus et à love  Maria, des chapelets, des croix,  des crucifies, d'horribles statuettes de saint en plastique made china, bref des tas de bondieuseries comme dirait mon père et , il aurait ajouté, ce n'est pas un bon signe  dans le coin, ça pue le curé.
La ville était donc belle même sans librairie, jusqu'au moment où la nuit tombait et alors on se rendait compte qu'elle était aussi horrible. Non parce que cela sentait  le curé. Ca ne sentait simplement rien, il n'y avait plus aucune vie.  A partir de 21 heures, Popayan n'est plus qu'un fantôme,  les seuls maîtres des lieux étant  le silence et l'ennui. Pour trouver un bar un peu animé , j'avais passé au tamis toutes les  rues du centre avant de trouver un bar rock dans lequel il y avait 2 autres clients. J'étais rentré une heure plus tard en baillant, et bien décidé à continuer ma route le plus tôt possible.  Le lendemain arrivaient Nico et Maryame. Un ,voire deux jours de plus, c'était largement suffisant pour que nous visitions Popayan et sa région. Or ce  matin j'en suis au quatorzième jour. Et mes amis aussi, hélas.
"Beautefull ugly city", J'ai donc écrit ces mots de Dylan Thomas dans mon carnet de notes quand, en reposant mon crayon à côté de mon café, j'ai vu Nico et Marianne sur le trottoir. Enfin il me rejoignait. Nico leva le bras.
Salut Bornu dit-il tandis que Marianne poussait le fauteuil roulant à côté de la table .Elle contourna le fauteuil pour m'embrasser.
Comment vas-tu ?
Bien. Mais c'est plutôt à vous de demander ça.
On a pris nos billets dit-elle, on rentre  en France dans quinze jours, après les derniers examens. On en a marre d'être ici, et elle joint les mains, merci, merci Bornu.
Pour être honnête je n'étais pas resté 14 jours à Popayan comme Nico et Marianne. Une fois Nico sorti de l’hôpital j''avais encore attendu un jour que son état s’améliore , puis j'étais parti voir les sites archéologiques d'une des plus vieilles civilisations d’Amérique du Sud, à  San Augustin,   tout près de l’Amazonie, à 5 heures de chemin de terre de Popayan, au milieu du paramo,  cette incroyable plateau situé autour de 3000mètres d'altitude au milieu de la Cordillère des Andes. Ca m'avait fait du bien d'aller loin. J''étais rentré la veille au soir et je passais 2 jours avec mes amis avant de continuer mon voyage vers l’équateur.
J'ai haussé les épaules et j'ai répondu, s'il m'était arrivé la même chose qu'à Nico, j'aurai aimé que quelqu'un soit à côté de moi pour me soutenir.
Merci quand-même a fait Nico en se grattant les doigts de pieds qui dépassaient de la bande recouvrant pied et cheville.
Il avait une multiple fracture du talon. On lui avait ouvert tout le dessous et le côté du pied, mis des plaques en métal et recousu . Nico était passé par tous les états de la douleur.
Avec Marianne ajouta-t-il ça nous empêchait de péter les plombs quand tu venais nous voir à la clinique. Bon le plus dur est fait  maintenant il n'y a plus qu'à prendre notre mal en patience.
Dites tous les deux j'ai fait, je ne sais pas comment écrire ce qui vous aient arrivé. Pour mon blog, ça vous dirait de vous lâcher et de dire tous ce qui vous passe par la tête ?
Je les ai vus se regarder l'un et l'autre, en faisant une drôle de mou.  Heureusement  un serveur est venu prendre commande.
J'avais vraiment  besoin de leur aide. Je ne savais pas comment écrire cette histoire et pourtant à mes yeux  il n'y avait rien de plus important que de l'écrire. A trois, j'étais certain qu'on aurait plus de chance de réussir.
Une fois pris la commande, ils se sont tourné vers moi.
D'accord à dit Marianne mais tu sais bien, je ne suis pas une littéraire.
Aucune importance et toi Nico ?
Si mi amor est d'accord alors... Il se mit à sourire et il lança à Marianne un baisé a la volée.
2) de la douleur lâchée
Oui exacte reprit Nico pour confirmer ce que Sarah avait dit, que cette clinique était pire qu'une prison. Interdit de sortir de cette taule même pour voir le jour, ils ont sans doute  trop peur qu'on quitte cette clinique de malheur sans payer . Tu as des gardiens partout. je n'ai pas vu le soleil pendant 90 heures, quatre jours entier, tout le temps assis sur une chaise aux urgences. j'ai réussi à fumer 2 cigarettes en tout et pour tout.
Tu oublies Nico, un des gardiens était sympa. Un soir il nous a conduit dans une petite cour, il a soulevé le fauteuil pour qu'on passe et il nous a laissé 10 minutes pour fumer.  
Oui c'est vrai, sympa ce gardien et c'est la première cigarette que je fumais en 48 heures.
Bon commençons par le premier jour j'ai dit. Comment ça c'est passé quand vous êtes arrivé ?
D'abord dit  Marianne ils nous ont demandé combien j'avais d'argent en liquide. Je leur ai donner tout ce que j'avais.  Un million de pesos colombien (300 euros).
On  nous a expliqué que c'était normal pour des étranger en Colombie. Normalement on aurait dû donner deux millions avant même de rentrer aux urgences. Je leur ai dit que j'irai chercher de l'argent demain. Sympa la clinique. Ils nous ont quand-même autorisé à rentrer
Quand je suis arrivé aux urgences fit Nico, L'infirmier était heu... On va dire qu'il était compatissant avec moi. Il m'a enlevé la chaussure, j'ai hurlé, il m'a mis une bande et donner des antidouleurs. Un point c’est tout. Merde ce n'était pas assez fort. Je n'ai vu le traumatologue que  7 heures plus tard, à 11heures du matin. Je suis resté tout ce temps aux urgences éveillé sur ma chaise car j'avais trop mal. Marianne, sur le sol, était allongée à coté de la chaise et elle tentait de prendre un peu de repos.
Je n'ai pas fermé l’œil de la nuit précisa-t-elle. J'ai été dans ce fauteuil inclinable 4 satanés  jours dit Nico sans avoir écouté Marianne.  Je le connais par cœur ce putain de fauteuil.
Mais tu n'as pas passé de radio tout de suite j'ai demandé ?
Si, je crois que si.
Oui a dit Marianne quand même il lui on fait une radio dès qu'on est arrivé avec notre million de pesos.
Mais ça n'a rien changé s'est énervé Nico en buvant une gorgée de son café. Ils m’ont mis dans ce fauteuil dans la nuit de vendredi à samedi. Après la radio, l'infirmier m'a bandé le pied en serrant la bande comme un malade et ils m'ont opéré le  mardi matin 4 jours plus tard. Tu imagines la douleur. Et moi qui suis douillet, je m’évanouie tout le temps. Le pire c'est l'attente, l'attente et la douleur. On te dit que tu vas être opéré le samedi soir puis le traumatologue te dit que le chirurgien à besoin de plaques de métal pour mon talon et qu'il faut les commander. Ca prendra 2 jours. En attendant on nous a fait savoir que si on donnait 4 millions  tout de suite peut-être que je pourrais me faire opérer plus rapidement.
Oui oui je me rappelle c'est le  samedi après midi quand je suis venir vous voir,
j'ai dit. Et ensuite. Vous vous n’êtes pas senti trop seul ?
Je me suis senti déprimée a dit Marianne . Tu attends pendant des heures et les médecins, le personnel en général n'a aucune considération pour toi. Ici le seul maître c'est le chirurgien. C'est lui qui décide de tout. S'il est fatigué ou s'il lui prend l’envie d’aller voir sa maîtresse ou d'aller à la pêche alors que tu dois être  opéré une heure plus tard, on te ramène aussitôt aux urgences et tu attends à nouveau. Et il va de soi que si tu as beaucoup d'argent tu passes avant les autres. Personne ne dit rien . La question politique n'est pas pourquoi il y des  guérilleros a L'ELN et aux FARCS. Mais pourquoi, n'y a-t il pas plus de guérilleros  dans ce pays avec ce qu'y s'y passe comme injustice. La réponse est que tout le monde est soumis et a peur en Colombie. Il suffit d'aller dans une clinique pour s'en rendre compte.
Tu exagères ma chérie  a fait Nico. dans l'ensemble les infirmières et infirmiers faisaient des efforts pour  nous aider.
N'empêche a dit Marianne quand je t'ai emmené aux toilettes le troisième jour pour fumer une cigarette, c'est un connard d'infirmier qui est venu en trombe  et nous a menacé d'appeler la police  car ça sentait la fumée. Tu n'avais même pas tiré trois taffes. Le con.
C'est vrai, il en tenait une couche celui là. Quand je lui ai dit que j'avais pas fumé depuis un jour et demi. Il répondit. Si vous  n'avez pas fumé depuis  un jour c'est que vous pouvez encore tenir un jour de plus. Je l'aurais giflé cette tête à claque. tu attends une opération assis en permanence depuis plusieurs jours, tu ne peux en aucun cas sortir en plein jour, et n'as même pas le droit le plus élémentaire de fumer. Cerise sur le gâteau tu ne sais pas quand tu seras opéré.
Oui je me rappelle, j'ai dit. Au bout de la salle d'urgence, il y avait un homme qui souffrait du dos. J'ai vu sa femme dans les couloirs . Son mari était aux urgences depuis le lundi précédent m'a t-elle dit. Il était rentré dans la clinique pour être opéré des vertèbres le jour même. L’opération a été remise. Il ne lui ont même pas donné d'explications. Dans ce siège inclinable, cela faisait 8 jours qu'il attendait en souffrant en silence, le bon vouloir du chirurgien avec son compte-goutte anti-douleur au bras, assis en permanence. Tu n'as même pas un lit pour toi quand tu restes dans cette clinique 8 jours. Rester 8 jours en permanence sur une chaise, surtout avec une hernie discale, je ne peux même pas imaginer la souffrance, j'ai dit. Vous savez s'il est toujours aux urgences  ou si enfin il s'est fait opéré ?
Il s’est fait opéré le même jour que Nico  a dit Marianne.
Soit 9 jours plus tard, j'ai calculé !Enfin j'ai repris, lui et sa femme  doivent être soulagés au jour d'aujourd'hui.  Bon et vous qu'est-ce que vous diriez encore ?
La liste était longue. Il y en avait des choses à dire. Nico et Marianne ne pouvaient plus s'arrêter de parler.  Cette clinique était un lieu de torture, un moyen policier  comme un autre , peut-être plus qu'un autre, de signifier  à ceux qui n'avaient pas d'argent ou peu d'argent, qu'ils n'avaient qu'à s'écraser et attendre le bon vouloir de leurs maître. C'est tout à fait dans la nature de la classe dirigeante et de l'oligarchie Colombienne. Ils ont une volonté absolue de maintenir ceux qui sont en dessous d'eux dans un état de peur, de dépendance, de douleur et d'esclavage. La Colombie est un état moderne de la domination humaine associant torture et dépendance moyenâgeuse à des méthodes modernes de contrôle et de peur. A TOUT MOMENT, TU PEUX ÊTRE TORTURE ou ASSASSINE PAR UN PARAMILITAIRE OU PAR UN DIRECTEUR DE CLINIQUE ET SES ASSOCIES. De toute façon, ni les uns ni les autres n'auront de compte à rendre à personne puisque ce sont les mêmes qui rendent  justice.
Nico et Marianne  ne pouvait plus s’empêcher de lâcher des flots de mots  les leurs et par la même occasion, les mots de  ceux et celles qui étaient dans l'obligation de baisser la tête en silence et en permanence . C'était significatif ce qu'un moment donné  a dit Marianne. Tu sais Bornu, il y avait aussi de la solidarité dans cette clinique, en tout cas envers nous. Certains essayaient de nous remonter le moral. Dès qu'il n'y avait plus de personnel hospitalier, ils venaient nous voir. Vous avez raison de vous plaindre. Il faut le faire disaient-ils, n'hésitez pas. Ne vous laissez pas faire. C'était assez bizarre car c'est vrai nous étions les seuls à  ne pas nous taire. Et il nous faisaient des clins d’œil de sympathie. Ils nous souriaient et dès qu'un médecin, un administratif passait. Silence, ils redevaient des êtres sans paroles a dit Marianne.
J’adore ce pays  a-t-elle repris. Malgré tout ce qu'on te dit, j'adore la  Colombie et sois sûr, on y reviendra. N'est-ce pas  chéri ?
Oui oui amor dit Nico dès que mon pied ira mieux, on prend un billet et on revient.
Tu vois Bornu on adore ce pays repris Marianne. Raison de plus pour hurler sur cette politique de la santé de pourris et de corrompus. Ces actionnaires, ces chefs de clinique s'en mettent plein les poches et pendant ce temps, les colombiens s'entassent dans les couloirs de leurs cliniques dans des conditions d'hygiène indigne du XXIème siècle. Je déteste les cliniques colombiennes. Caca dit-elle en faisant des grimaces. Et ils se sont mis tout les deux à rire.
Ha ça fait du bien de rire dit Nico. et de nouveau il rit tandis que Marianne se pencha sur son pied et l'embrassa avec délicatesse.
Chéri tu as le plus beau pied de la Colombie.
3) De la douleur  lâchée à la revendication de la santé
Marianne avait payé nos verres et on s’apprêtait à partir. Il était temps. Les nuages, comme chaque jour, commençaient à s'amonceler au dessus des montagnes et autour de la ville. Nous n'avions pas besoin de demander  l'heure. Il devait être aux environs de 4 heures. Il pleuvait chaque jour depuis qu'on était à Popayan. La pluie arrivait entre 4 et 5.  Il pleuvait deux heures parfois plus. On est donc rentré à l’hôtel, lire, boire des bières et discuter avec Miguel et les patrons . Tout le monde était sympa et aux petits soins avec Nico et Marianne. On se sentait bien dans cet hôtel tenu par deux écossais dont le personnel était une infirmière qui avait arrêté son boulot car en Colombie après 4 ans d'études une infirmière gagne à peine plus que le salaire minimum, c'est  à dire l'équivalent de 250 euros par mois et dans cette hôtel elle gagnait le double. Il y avait aussi Miguel qui avait fait les beaux-arts et était peintre, et une autre jeune femme très timide et très polie, elle souriait en permanence, et,  un sourire comme le sien, me semblait-il,  valait bien les quelques mots qu'elle ne  nous disait pas.  Je suis allé dans mon dortoir ou j'étais seul car on était en basse saison. J'avais beaucoup trop de tension dans le dos. J'ai fait une petite sieste. Ensuite  j'ai été écrire quelques mots sur mon ordinateur  car je commençais à avoir une petite idée de l'histoire que je voulais envoyer à  mes amis  et parents en Europe. Bien sûr je voulais aussi rendre un hommage à mes  amis Nico et Marianne. Pour eux je voulais écrire une histoire qui soit classe, qui soit à leur hauteur. Un beau texte, une grande revendication. La santé.
Le lendemain on s'est retrouvé à la même terrasse de bar. Toute la matinée et donc jusqu'à 4 heures, le soleil resplendissait et les murs de la ville répandaient une lumière agréable et une chaleur douce. C'est moi qui poussait le fauteuil roulant de Nico. Ses deux cannes étaient posées sur ces genoux.Marianne étaient partie acheter des chocolats et des bonbons. Comme on avançait lentement, on est arrivé en même temps qu'elle a la terrasse de ce bar. Marianne avait parfois un sourire de Madone et dans ce cas là, Nico la regardait avec des yeux d'un chien fou amoureux et sans doute le savait-elle car elle lui caressa la joue doucement, quasi en cachette, du bout d'un doigt, et, même en les surprenant ainsi,  je me me sentais pas voyeur, je voyais bien que c'était une belle histoire d'amour. On a commandé  trois cafés et Marianne a posé les chocolats et les bonbons sur la table.
Tiens dit Nico regarde ça. Il poussa du doigt un papier qui m'avait tout l'air d'une facture.
J'ai regardé. Je ne comprends rien.  Quel charabia j'ai dit.
Je t'explique c'est assez simple.
Il prit un chocolat.
Je ne mange jamais de dessert ni de sucrerie, mais depuis que je suis passé par cette clinique je m'avale des quantités de glaces, de bonbons, de chocolats. J'ai même commandé un milk-shake à la fraise. Je ne mange jamais de fraise d'habitude. Je dois être en train d'accoucher de quelque chose, non ?
De cette facture j'ai dit pour revenir au sujet.
Oui exacte. Les salauds. Marianne a souligné une ligne au stabylo. Regarde bien.
J'ai essayé de traduire mais je ne voyais pas bien.
Qu'est-ce que c'est exactement cette ligne je vois lit : chambre 6 personnes. Vous étiez aux urgences  Qu'est-ce que ça vient faire sur cette facture?
Précisément. Demande à Marianne c'est elle qui s'est occupée de régler les factures. Et il ajouta. Elle est géniale ma chérie.
Marianne lui fit une légère grimace en tirant un petit bout de sa langue. Elle  me tendis un sac de bonbon. Merci j'ai dit en mettant ma main dans le sac et en en sortant quelque chose qui ressemblait à un bonbon Aribo, rose, au goût acidulé de  citron vert et de  banane et plus sucré que du sucre. C'est celui que je préférais. Ca veut dire quoi alors ?
C'est assez simple Bornu m'a-t-elle dit en souriant. C'est juste une arnaque. Chaque journée que Nico a passé sur ce satané siège aux urgences est facturée comme un lit dans une chambre de 6 personnes. C'est l'équivalent de 30 euros par jour. Tu peux imaginer 30 euros pour 2 petits repas et une chaise par jour. C'est énorme pour des Colombiens. Quand j'ai été pour payer cette facture, ils m'ont dit de ne pas m'inquiéter. C'était juste une démarche administrative. L'ordinateur, soi disant,  ne prend pas en compte les sièges des urgences.
En faite a repris Nico, ils surfacturent chaque journée passée aux urgences. D'ailleurs il est possible qu'une partie soit prise en charge par l'état. Jackpot !On peut donc se demander, n'est-ce pas chérie et il fit un geste de sa main disant que Marianne pouvait finir sa phrase.
On peut donc  se demander, s'ils nous gardent pas quasiment de force aux urgences afin de remplir leur jolie tire-lire. Bref dit Marianne devenu aussi sérieuse qu'un croque-mort. C'est juste du vol organisé par des escrocs ayant pignon sur rue. Ce qui est incroyable c'est qu'il n'y a pas un journaliste pour dénoncer cette escroquerie. Pas besoin d'investir dans le narco-trafic pour devenir riche. Une petite clinique et passez donc à la caisse mesdames messieurs.
Tu crois j'ai dit, l'air sceptique.
Sois pas naïf Bornu, la démocratie colombienne, tu sais aussi bien que moi que c'est une funeste pitrerie. La démocratie colombienne  est cliniquement morte  prophétisa Nico en levant le poing vers le ciel.
Et Nico est resté bouche bée, le poing toujours tendu vers le ciel. Un  homme au grand sourire était à côté de lui et lui tendait la main.
Vous vous rappelez de moi dit-il. Mais bien sur répondit Nico en baissant son bras et en saisissant cette main. Juan. Juan Carlos comme le  roi d'Espagne, n'est-ce pas  ? Et il secoua cette main avec enthousiasme.
Oui et vous c'est monsieur Nico et madame Marianne et il y  aussi votre ami.  monsieur Bornu je crois.
Oui c'est ça j'ai dit. Mais je ne voyais pas bien qui  il était. Aux urgences ils y avaient beaucoup de monde et nous parlions avec  tout ce monde. On interrogeait, on s'énervait, on se préoccupait d'eux, on rigolait, on faisait les pitres. S'en doute nous prenait-on pour des phénomènes de foire tout droit sortis d'un roman de Gabriel  Garcia Marquez. N'empêche, nous avions besoin de cette activité clownesque pour ne pas sentir en permanence toute cette douleur autour et avec nous.
Ca m'est revenu. C'était le premier jour ou je suis allé à la clinique, le samedi donc. Je me rappelle bien sa tête d'un seul coup. Il avait l'air tellement malheureux  et il était dans le fauteuil  juste à la gauche de Nico quand on  apporta le repas du midi. Tout le monde était servi sauf lui. Nico avait ouvert  le couvert de son plateau en polystyrène et humecta son repas. Une odeur agréable de coriandre et de viande en sauce se répandit jusqu'à moi. J'ai pas faim dit-il et il me tendit son repas pour que je le pose au sol. Je mangerais peut-être plus tard précisa-t-il en faisant des grimaces de douleur - ah oui, j'oubliais une chose importante à mes yeux dont je n'ai pas encore parlé. Il était interdit d'être deux personnes auprès des malades aux urgences. Quand j'étais avec Nico, Marianne était obligé de sortir au soleil . Si je voulais rentrer,  je montais donc  sur un petit muret  situé derrière les urgences et faisant des grands signes à travers la baie vitré qui était teinté que sur les deux premiers mètres et, je criais à Nico et Marianne que j'étais dehors.  Marianne sortait et je pouvais rentrer. Si Marianne ne m'entendait pas, le gardien/maton refusait que je rentre. Elle devait sortir d'abord. Bien sûr, pas question qu'il la prévienne. Je n'avais qu'à l'appeler au téléphone et le téléphone cela va de soi, ne passait pas. C'était Kafka aux pays des Escobars en blouses blanches. Comment les colombiens de bonne volonté pouvait-il accepter  une telle bureaucratie punitive et infantilisante ? Il est vrai que  de toute leur histoire, ils n'ont fait  aucune révolution sociale.  Ca se voit ! Le riche en Colombie est arrogant et roi . Les pauvres ? Ce sont des invisibles, et même si c'est la grande majorité, n'en parlons pas - Juan Carlos, en effet, quelle tête il avait fait en voyant le repas de Nico !
Je lui avait demandé, ça va Monsieur ? Et il m'avait lancé un laconique j'ai faim. Ces yeux étaient embués de larmes. Il tenta de me sourire quand je lui demandait pourquoi lui n'avait pas de repas.
Il m'expliqua qu'il devait se faire opérer la veille au matin. Il n'avait pas mangé comme on lui avait indiqué avant de rentrer dans la clinique. Une heure après son arrivée, on lui annonça  que son opération était reportée à l’après midi puis une nouvelle fois elle avait été reportée dans la soirée  et plus tard encore on lui confirma que ce ne serait que pour le lendemain . En fin de compte, il ne s'était fait opéré que le lendemain après midi. Cela faisait presque deux  jours qu'il n'avait rien dans le ventre. Il  regardait les autres manger avec des yeux qui lui sortaient de la tête et la langue pendante. Je ne sais plus de quoi il avait été opéré. Nico trouvait qu'il avait de la chance. Il était enfin passé sur le billard vers 18 heures.
Il est donc resté seulement 2 jours dans cette prison de la santé m'avait dit Nico en me  faisant un clin d’œil.
En tout cas, Juan Carlos était le ventre vide depuis 2 jours quand il est allé sur la table d’opération.
Juan Carlos demanda à Nico des nouvelles de sa santé et en donna de la sienne. Gracias a Dios, l'opération c’était bien déroulé dit-il, j'ai eu de la chance. et il fit un signe de croix et embrassa le dos de sa main.
On lui proposa de s’asseoir à notre table mais il m'avait pas le temps. Puis un moment il m'a regardé et il m'a dit vous vous rappelez cette dame et ce monsieur qui attendaient depuis des jours  son opération pour une hernie discale?
Oui oui on s'en rappelait bien tous les trois.  C'était le plus ancien aux urgences. 9 longues journées d'attente.
Et bien il s'est pendu  dans les toilettes en fin de matinée.
Non a dit Marianne , mon dieu. Et il est mort?
C'est assez confus. Mais je suis sûr que non. Ils l'ont détaché à temps. Ca a fait du bruit ce matin. Je directeur, le chirurgien qui l'avait opéré, la police et même un journaliste, peut-être deux étaient présent à la clinique. Quand je suis passé chercher des papiers pour des remboursements, ça courait dans tous les sens. En faite,ce monsieur en ce moment, il ne peut rien dire car ils l'ont endormi.
Comment ça ils l'ont endormi, a fait Nico ?
Pardon, je m'explique mal.Excusez moi messieurs-dame dit-il en baissant la tête. J'ai appris que la première opération de son hernie s'était mal passé. Il devait être opéré de nouveau. Il l'avait donc remis aux urgences  et le comble dans le même siège que la semaine précédente.Une fois de plus, sans lui dire quand il allait se faire opérer. Donc quelques heures après être retourné aux urgences, il est allé aux toilettes et il est passé à l'acte. Voilà. Conclusion dit-il, si je peux me permettre. Dans cette clinique il faut se pendre si on veut se faire opérer rapidement.
Hélas ça en a tout l'air, dit Nico, les salauds.  C'est un massacre cette clinique.
Juan Carlos n'a rien répondu aux dernières paroles de Nico.  Les colombiens  dit-on, n'aiment pas parler de politique. Il est parti en nous saluant poliment, sa tête rentré dans les épaules.
Tu crois qu'il va se passer quelque chose j'ai demandé ?
Non a  dit Marianne, tu paries. Et elle me  tendit  la main.
D'accord, j'ai fait, même si j'ai peu de chances de gagner, je parie que toute la ville va être au courant dans les 24 heures.Et j'avais tapé dans sa main.
Le lendemain,  ils étaient retournés à la clinique voir le chirurgien, pour faire le point de l'état du talon de Nico et ils en avaient profité pour glaner quelques infos.
Tout est rentré dans l'ordre me dit Marianne de retour à l'hôtel.  Ils ont réveillé le monsieur à l'hernie discale.  La direction les a convoqué, lui et sa gentille femme, avec qui tu avais parlé dans le couloir. Ils leur ont d’abord fait un sermon comme si c'était des gosses. Quand on est un bon citoyen colombien et un bon catholique on ne se suicide pas. La dame avait hurlé contre leur inhumanité. Elle avait fait un début de crise, il l'on calmé - on m'a même dit que c'était de force, mais je ne le crois pas - Je crois surtout qu'il lui on donné un puissant calmant et l'on gardé à l’hôpital 24 heures.Très généreux  ou plutôt par discrétion. Ils leur ont trouvé une chambre pour deux, leur promettant qu'ils n'auraient rien à payer. La deuxième opération et les  9 nuits précédents aux urgences étaient aussi pris en charge.  puis Marianne usa de la voix douce et calculée d'une parte-parole des ressources humaines.Vous voyez nous faisons  en permanence des efforts. Nous ne sommes pas inhumains, mesdames messieurs. D'ailleurs la deuxième opération s'est très bien déroulé. Une parfaite réussite.
Bien sûr !   Et Marianne changea de voix, ce n'est pas gratuit. En échange, interdiction de parler aux journalistes. Ils  auraient  aussi signé un papier comme quoi ils s'engageaient à ne pas  poursuivre l’établissement. Je ne sais pas si cela tiendrait devant un tribunal continua Marianne. de toute façon ce monsieur est maçon . J'imagine mal un maçon avec son salaire, qui doit être dérisoire, s'attaquer à une grosse clinique dont les actionnaires doivent être les puissants de la ville. Elle se tut un bon moment. Et puis son visage devint joyeux, les yeux pétillants.
Je prendrai  bien une bonne petite bière artisanale du pays dit-elle , hilare. Et toi mon chéri, ça te dirait ?
Volontiers amor ?
Tu as lu les journaux de la ville  ce matin Bornu ,me demanda  Marianne?
Oui.
Et alors  a fait Nico en rigolant
Alors rien. Vous vous en doutez, pas un mot.  On va au bar. Je vous  paye ma tournée.
Santé ! a dit Nico en levant sa canne.
Cette petite histoire clinique est théoriquement terminée. Nous devons passer à l'étape suivante, le voyage continuant.  Si vous avez lu le récit précédent envoyer sur mon blog, vous devez savoir que j'ai quitté, à contre-cœur mes amis de Popayan afin de prendre un bus vers l’Équateur ou je suis resté 15 jours. Ensuite j'ai continué vers le Pérou et c'est d'une petite station Balnéaire du nord du pays que je vous écris. Demain je prend un bus de nuit pour Lima. Je veux terminer ce texte avant d'arriver dans la capitale.
Je ne sais pas si je vous enverrai ce récit de la clinique de Popayan dans l'état actuel de sa réalisation. Je ne l'aime pas beaucoup. Il est trop bavard et bien souvent il s'éloigne de l'essentiel. Plus que tout j'ai peur que mes amis s'ennuient à le lire.  J'avais un parti pris dès le départ. Ne pas faire beau, ne pas jouer  littéraire. Je voulais dénoncer une situation sanitaire et  sociale colombienne et  au delà,  d'une grande partie de la population. La médecine Colombienne obéi au doigt et à l’œil  aux concepts économiques ultra libéraux de ce qu'on appelle "l’École de Chicago". Ce sont les experts de cette "École" américaine qui furent pendant des années sous toutes les dictatures sud-américaines aux commandes de ces économies.  Aujourd'hui ces maîtres penseurs ont gagnés. Des libéraux au centristes et socialistes européens, comme partout dans le monde, appliquent les méthodes libérales. Elles consistent pour aller très vite  à laisser faire le marché et à supprimer tous les services publiques des pays. Ce qui est le cas de la santé. Bien sur en échange, dans les pays ou il y a un peu de résistance, il propose aussi un filet minimal de protection. Petite retraite, petite sécurité sociale, petit chômage pourrait-on dire. Tout le reste doit être l’œuvre d'assurances, de fonds de pension et d'entreprises privées comme les cliniques. Bref, si vous n’êtes pas riche. On vous dit que vous pouvez quand-même être soigné mais comme cette histoire nous le montre, vous passerez après ceux qui ont des moyens. Et bien sûr vous n'aurez pas la même qualité de soin. J'ai vu à Popayan , ce que concrètement veux dire le libéralisme économique dans la santé. C'est une horreur pour la grande majorité des gens.  Une horreur  et de nombreuses douleurs.
C'est ce modèle qu'on met en place eu Europe, gouvernement après gouvernement. Je n'aimerais pas que cela arrive.  Malgré leurs imperfections, nos modèles étaient fondés sur des solidarités générationnelles et sociales, une partie de la richesse nationale produite revenant à l'ensemble des citoyennes et citoyens du pays quelques soit leurs revenus. Pendant des années avec beaucoup d'autres, je m'étais battu pour que ces droits sociaux élémentaires que nos aînées avait obtenus à travers leurs luttes , ne soient pas réduit à néant? Nous avons gagné peu de combats , hélas. Mais nous avons résisté et ces droits, même rognés, existent toujours. J'ai écrit ce texte comme si j'écrivais un tract syndicale ou politique d'appel à la résistance contre la casse de nos hôpitaux et sont remplacement par une santé libérale sources de très gros profits pour quelques uns et de beaucoup de désillusions pour les autres.
Je ne sais pas si j'ai eu raison. Si vous vous ennuyez à lire cette histoire, c'est que j'ai mal choisi mon optique.
Une histoire  courte, moins "politique" et  plus esthétique, peut  marquer les esprits avec efficacité. Certaines nouvelles émotions changent aussi notre perception du monde.  Et n'est-ce pas ce qu'il  faut au sujet de la santé comme du reste d'ailleurs, une perception différente de ce monde ?
Donc quand nos médias annoncent une  nouvelle grande et nécessaire réforme de la santé, "par une plus grand ouverture au marché privé"(même si ce n'est jamais dit aussi directement), ouvrez grand vos oreilles. Percevez ce qu'il y a derrière  cet appel à la réforme. Demandez-vous, si demain, vous aussi,   vous devrez attendre 9 jours sur un fauteuil d'urgence avant de vous faire soigner ?
Je vous fais une petit recommandation, n'hésitez jamais à descendre dans la rue et à levez le poing. Votre santé est souvent  à ce prix !
Tout comme la lutte, ce voyage continue.
Bonne lecture, j'espère !!!
Et plus que jamais, prenez soin de vous.
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bornutyboisson · 6 years ago
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Une nature morte/vivante
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                                        morte/
Je me suis posé sur l'océan et la vague m'a porté sur cette plage. Il y a combien de temps ? Je ne saurai le dire . Le temps n'a  plus d'importance pour moi. Ce temps est révolu, je le sais. Je l'ai toujours su que cela serait ainsi.
Je surveille les deux chiens. Ils sont à coté de leur maîtres. Deux pêcheurs de Mancora, je les connais bien, maîtres et chiens. Eux les maîtres ne me reconnaissent  pas. Les chiens se sont approchés et ils m'ont flairé. J'ai perçu du respect chez eux, du respect et  de la crainte. Ce sont deux jeunes chiens. Le temps n'a pas encore d'emprise sur eux. Ils ne m'ont pas flairé longtemps et sont repartis auprès de leur maître. Ceux-ci  sont en train de remailler leurs filets. J'en connais des centaines de filets. Pour chacun d'eux, je pourrais dire à quel bâteau ils appartiennent.
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Je frissonne. Une vague vient de  me lécher   et, en glissant sous moi,  me pousse et me tourne de telle façon qu je vois la mer, la plage et la dune à la fois. Plus loin au bout de cette plage il y a ma famille, mes amis. Tous mes amis. Nous vivons sur la lagune en compagnie des flamands roses, des frégates  et des cormorans. C'est une  réserve et le plus bel endroit du monde. Je ne le reverrais plus.
Je tente encore de me soulever. Mais  non, impossible. Mes pattes ne me portent pas. Je tente alors de prendre appui sur une aile et elle s'affaisse aussitôt. J'ai gâché  mes dernières force. J'ai vraiment peur. Ce n'est pas facile de partir. J'ai une pensée incongrue. Je vois des milliers de  poissons autour de moi. Ils ont des têtes terrifiantes et quand ils ouvrent leurs mâchoires, ce ne sont pas des dents mais des dizaines de couteaux qui brillent dont les lames sont les écailles d'argent de tous les poissons que j'ai mangé depuis que le monde est monde et je voudrais hurler car ils comptent un, deux, trois et en même temps me tombent dessus leur gueule grande ouverte et  mon dieu je frissonne encore un peu plus.
A' la prochaine marée je ne serais plus là. Le soleil , le vent, les vagues et surtout le vol au dessus du Pacifique, en escadrille, je ne le referai pas.
Qu'est ce que j'ai pu aimé notre stratégie !  Tout jeune, nous apprenions comment faire. Nous volions en rase-motte au-dessus de la vague. On repérait un banc puis on volait un peu plus haut, dans le sens opposé du banc. Ensuite, alors qu'ils ne s'y attendaient plus, croyant qu'on ne les voyait pas,  on faisait une demi voltige arrière puis on descendait en piqué sur notre cible. Bingo.  Ca marchait quasiment à tout les coups. Je ne sais pas si la nature est bien faite mais si je me fais dévorer par un banc de poissons, ce ne saurait  être que  le juste retour de la pièce. Le monde me manque déjà.
Un enfant   vient vers moi. C'est un enfant de touriste. Il est très blanc de peau et il a des cheveux  de la couleur que la lune a parfois.
Ne touche pas à la bête elle pourrait te faire du mal.  
Je ne comprends pas ce que disent les humains.J'imagine  qu'avec ma sale gueule et ce long bec, c'est ce que doit dire cette maman à sa progéniture. L'enfant me regarde et tend un doigt.
C'est quoi ça  maman ?
Et sa maman doit répondre quelque chose comme, c'est une pauvre bête qui  va mourir. Laisse la donc tranquille.
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Je vais bientôt partir et voir cet enfant aux cheveux couleur de  lune,  m’émerveille. Il y a tant d'énergie, tant d'avenir chez ce petit humain, tant de joie. Je me rappellerai toujours mon premier vol au dessus des vagues. Le vent caressant, les embruns salés, le regard affûté. Je regarde cet  enfant, et du fond de mes entrailles, je trésaille de tristesse. De douleur. Je ne peux l'imaginer. Ne plus jamais voler tandis que ce petit humain s'en va en courant derrière un crabe, m'oubliant déjà . Il a  tant de chose à découvrir. Bon vent mon petit.
Cette plage est  notre cimetière. Lors de mon dernier vol, j'ai compté  trois loups marins , cinq tortues, et un dauphin. A part deux vieilles tortues  qui, à  bout de force, ont choisi de venir mourir, là où pendant des années elles avaient pondus leurs milliers d’œufs, tous les autres sont morts à cause des hommes. Le dauphin et les trois autres tortues se sont noyés, accrochés aux mailles des filets. Quant aux magnifiques nageurs que sont les loup marin, hélas, les pêcheurs ne les aiment pas. Ils font fuir les poissons. Si vous regardez ces loups sur la plage vous y verrez des trous laissés par les balles .
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Que va devenir la terre de ce pays, la mer de ce pays, ma famille, mes enfants ?Quel sera notre avenir ? Est-ce que vraiment El Niño  va détruire tout cela ? Je pars, je le sens et j'ai peur. Une vague me secoue et me bascule  du coté de l'océan. Je ne vois plus la plage, je ne vois plus la dune, je ne sais plus où est la lagune. Le Pacifique est immense, le soleil vomit des feux, les vagues m'attendent. Elles sont hautes, de plus en plus hautes. Je rentre ma tête  dans mon cou et dans un dernier effort je replie mes  ailes au-dessus de ma tête. Leurs dents sont des couteaux aux écailles d'argent, mondieu, mondieu, pas les poissons.
                                        /vivante
Aujourd’hui je voulais tenter le coup  sur cette plage de Mancora, dans le nord du Pérou. Courir.  Mais au bout d'un moment, la douleur m'a cisaillé le bas du dos et donc,  je rentre  à l'hôtel en boitant.
Peut-être que je ne pourrais plus jamais courir ?Je sais, je n'ai plus vingt ans  et il faut donc ménager la vieille machine, ne pas forcer la nature.
Je m'arrête, m'allonge sur la plage et fais quelques exercices d'assouplissement sous le regard que j'imagine amusé des  sombres nettoyeurs qui surveillent cette plage depuis le haut des dunes. Ces bêtes sont patientes. Elles me regardent et  semblent  dire, fais donc tous les exercices que tu veux,  on a notre temps. Tu finiras bien par te lasser. Tout à une fin, et nous, nous finirons le boulot. Prends ton temps, nous,  on est pas pressé, amigo.
Comment voulez vous aimer les vautours ? La  façon dont ils vous regardent, c'est comme si vous étiez  déjà un gigot dans leurs assiettes.
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Ca va mieux, malgré une certaine gène, je remarche  presque normalement. Je suis tenté de faire un doigt d'honneur à ces funestes oiseaux. Ils doivent y être habitués, alors magistral, je préfère les ignorer.
Ce lieu se prête à merveille à l'introspection, au questionnement. Il y a cette immense plage, l'infini de la mer et juchés ça et là  mortes, des tas de bêtes, tortures, loups marins, poissons multiples. Enfin, ce vieux pélicans que la mer  vient d'échouer à mes pieds, tandis que , des dizaines de vautours sombres et lugubres à souhait,  sont perchés sur les hauteurs des dunes. Dans le ciel le vol des frégates des cormorans et des pélicans est incessant.
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C'est à ce  moment   que d'un coup,  je perçois que j'ai vieilli. Je peux même m'imaginer être à la place de ce vieux pélican. Je suis suffisamment proche de lui en âge pour  partager ses derniers instants sur cette terre.  Et témoigner.
La douleur est toujours là. Les chiens de l'enfer qui m'ont  mordu  le bas du dos entraînant grimaces et boitements  m'incitent à penser à ma mort , à tenter de l'affronter ce que, je l'avoue, d'habitude je ne fais pas.  Je sais que je vais mourir comme ces loups marins,  ces tortues, ce jeune dauphin et ce vieux pélican. Le temps continue son travail de démolition. Je me rends compte qu'il me faut plusieurs jours  pour récupérer après quelques excès de boisson nocturne avec des copains. J’entends de moins en moins bien, et,  moi qui est toujours eu une excellente vue, je porte mes lunettes  de plus en plus souvent. Tous mes amis ont connu la même expérience. Maintenant ce sont  mes muscles et mes os qui se lamentent dans les douleurs de la marche. Oui je vais de toute certitude mourir, et sur cette plage, je le dis à haute voix pour être certain que je ne rêve pas.
Bornu tu vas mourir.
La phrase est simple et nette. Sans aucune précision de dates, elle  est aussi tranchante qu'une faux.
Je répète, Bornu tu vas mourir et j'admire le  vol  des pélicans aux ras des vagues. J'entends la chanson du  ressac qui s'épuise sur le sable. Un enfant aux cheveux roux apparaît. Il  court après des crabes en  riant d'une voix claire et chantante sous le regard sans doute de  sa maman, qui amusée,  sourit.
Je me sens bien, malgré ce dos. Vivant. J'ai  encore une historiette à écrire, il me faut du temps et y penser, alors ce n'est pas la peine de faire trop d'introspection  au sujet de la mort. J'admire le magnifique paysage qui s'offre à moi et d'un revers de main, je la congédie cette mort. Qu'elle vienne converser avec moi, un autre jour, d'autant plus qu'arrivé à la porte de ma chambre d'hôtel, mon téléphone sonne.
Je me précipite à l'intérieur, le prend et sort sur la terrasse face à la mer  car c'est le seul endroit où l'application Messenger fonctionne correctement, et je décroche.
C'est Louann mon fils. Allô p'pa comment vas-tu ?
Plutôt bien Lou.  Bien oui bien. Et toi ?
J'ai trouvé du travail dans un théâtre à la Bonne Graine. Tu vois où c'est?
Oui oui je vois .Ta maman y a jouer plusieurs de ces spectacles. Quand tu étais petit je t'y est emmené plusieurs fois .
Oui c'est ça, dans le 11ème arrondissement.
Je suppose que tu es content ?
Tu sais c'est un service civique. Je gagne même pas la moitié du salaire minimum? Je fais le son et les lumières. Je jardine aussi. Ca je déteste.
Tu jardines je demande?
Oui devant le théâtre . Tu te rappelles, il y a un parterre avec des plantes.C'est moi qui m'en occupe. Sinon c'est sympa. Dis donc p'pa, on m’a dit que tu avais eu des problèmes au Mexique avec des narcos?
Oh tu sais ce n'est qu'une histoire. Elle s'appelle "Courir". Tu ne l'as pas lu, elle est sur mon blog ?
Non P'pa. Tu sais bien , je n'aime pas lire.
C'est vrai. Bon voila j'ai écrit une petite histoire où avec un copain, Miguel,on se prend un coup de poing dans un bar par des narcotrafiquants . C'était une erreur de  leur part. Ils se sont excusés et  ils nous ont même payé à boire. Ce n'était absolument pas grave. Ne t'inquiète pas.
N'empêche, je suis content que tu ne sois plus dans ce pays. Ca craint trop.
Mais non je réponds. Si tu fais attention ça va. Et puis le Mexique est un pays magnifique, c'est le pays de mon cœur. Je m'y sens bien. J'y retournerais . Par contre en France, ça m'a l'air dur. Dis-moi, ça se passe comment ?
Je suis sûr que tu ne dois rien comprendre  à la situation. Tu es parti depuis trop longtemps. Ce président est horrible. C'est la marionnette des banques. Il a passé des lois contre les retraités, les allocations logement on baissé. il y a des flics partout, ils répriment les free party comme jamais. C'est le pire. Pire que le petit gros d'avant.
C'est quand même le petit gros d'avant  comme tu l'appelles qui l'a sorti de sa manche.Un socialiste. Il a été élu pour lutter contre le pouvoir affolant des banquiers et qu'à-t-il fait? Il a donné les clés du pouvoir à un banquier. Quel salaud.
Oui Pp'a , ne t'énerve  pas. Tu as raison.  Mais celui-là c'est vraiment le  pire du pire. D'ailleurs samedi ils y une manif contre la vie chère. Ca va être le bordel. tout le monde en a ras le bol. Il faut le vider ce  banquier.
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Je suis surpris d'entendre mon fils parler politique.  Petit je l'emmenais à toutes les manifs. Il aimait bien. Surtout la musique.  Il adorait Antisocial de Trust  les Clash et Manu Tchao.
En grandissant il n'a plus jamais voulu revenir avec moi. Il s'ennuyait disait-il. La politique ne l'intéressait pas du tout. D'ailleurs à part ses jeux vidéos, j'étais bien incapable de savoir ce que mon fils aimait à 14 ans? Il a maintenant 18 ans et  il a évolué. Lou et toute la jeunesse sont les premiers touchés par toutes  les mesures antisociales appliquées par les différents gouvernements.
Je suis surpris et heureux de la tournure de cette conversation. Si Louann et cette jeunesse veulent se construire un avenir, il va de soi que ce ne seront pas les politiciens qui lèveront le moindre petit doigt pour les aider .Ils devront construire cet avenir eux-même, comme cela a toujours été le cas.
Je me mets à sourire mais je pense à tout autre chose qu'à la politique en écoutant mon fils . Nous avons tous père ou mère, une tendance  inconsciente ou consciente à vouloir que notre enfant   réalise les rêves que nous n'avons pas réaliser. Pour ma part, je voyais mon fils  joueur de football professionnel. Si je regrette une chose dans ma vie. C'est bien  celle-ci, ne pas être  devenu un pro, jouer à Barcelone ou à Madrid, gagner une coupe du monde, et être  ballon d'or du meilleur joueur de l'année plusieurs fois dans ma carrière, comme Messi, comme Ronaldo. C'est ce rêve gigantesque partagé par des millions de gosses qui me hante encore. Je crois que ce type de rêve reste intacte au fond de nous toute une vie durant. J'ai beau dire je ne regrette rien, au moindre ballon qui passe à côté de moi, je me redresse, mon souffle revient, mon pied se tend et tout mon corps réclame de jouer,  comme au temps béni de mes 14 ans et de mes rêves de champion. Le dernier jour de ma vie, je penserai encore au football.
Quand Louann avait  aux alentours de cinq ans, nous sommes allé sur une plage en Bretagne. On avait posé nos serviettes sur le sable  et j'avais amené un ballon. Je voulais commencer à lui montrer quelques dribbles, comment jongler et, expliquer les différentes manières de tirer dans la balle. Je me souviens d'une belle journée sur cette plage de Penthièvre. Au loin, on devinait la ville de Lanester et de Lorient, l'île de Croix semblait à portée de main. La mer était d'huile et j'ai commencé à jongler.
Tu viens jouer avec moi Louann, j'ai demandé ?
Debout, sur sa serviette de bain, je voyais son petit  ventre rebondi qui débordait de son maillot de bain trop haut monté. Alors que je m'attendais à ce qu'il me rejoigne,  il s'est allongé sur un coude, sa tête posée dans sa main et au milieu de son visage joufflu, ces yeux pétillaient de malice.
Papa a-t-il dit, tu ne peux pas savoir comme c'est ridicule tous  ces enfants qui courent après un ballon. Moi ça  ne m'intéresse pas du tout.  Et il s'était  mis à rigoler. Le football c'est nul, je déteste ça.
Ensuite il s'était redressé et avait fouillé dans le sac de plage pour récupérer une sucette. Il s'était  assis en tailleur et il avait commencé à la sucer. Un moment il l'a sortie de sa bouche et la pointa vers mon pied et le ballon.
Papa tu peux continuer à jongler autant que tu veux.  Ca ne me gène absolument pas.
Surpris j'avais seulement dit merci Louann.
Puis me rendant compte de mon ridicule avec ce ballon au pied alors que mon fils suçait une sucette dans une indifférence absolue au football, moi aussi,  je m'étais mis à rire.
Depuis ce jour j'ai su que mon fils, après moi, ne serait pas le meilleur joueur de football du monde, ni tout simplement un joueur de foot !
Ainsi le dernier jour  je penserai au football. J'entendrai  aussi une petite voix disant que le foot c'est nul. Et il ne fait aucun doute que  j'emporterai avant tout avec moi, le sourire malicieux de mon fils allongé  sur cette plage de Bretagne.
Allô P'pa tu m'entends. Ca passe bien avec Messenger ?
Oui oui Lou pas de problème. Dis moi tu vas aller à la manif ce samedi ?.
Non je peux pas. C 'est l'heure où je travaille au Théâtre de la Bonne Graine  et puis après il y a le festival. Ca fait des mois qu'on  le prépare avec les copains! De quoi tu parles Louann ? De quel  festival ?
Comme d'hab, Une free party p'pa. 5O kilo de son. Tu te rends compte le mur de son que ça va être, 50 kilo c'est énorme.
Il m'avait expliqué plusieurs fois ce que c'était qu'un kilo de son. Mais ça ne rentrait pas. Je ne comprenais toujours pas .
Oui oui j'ai dit parce que je ne voulais pas qu'il m'explique une énième fois. On est 8 sound système. Nous,  on passe à partir de 3 heures du mat. On va jouer devant des centaines et des centaines de teufeurs p'pa. Il n'est pas question que je loupe ça.
Génial j'ai répondu, je suis heureux pour toi. Mais dis-moi, tu n'as pas trop le trac de faire le D'J devant des centaines de personnes?
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Tu rigoles. J'y pense tous les jours.J'attends samedi prochain avec impatience .50 kilo de son. Le mur que ça va être ! Je vais tout donner et j'espère qu'on  va pas se faire repérer trop vite par les flics. Tu sais p'pa, les flics de Macron ont piqué le matos des teufeurs dans le centre de la France la semaine dernière. Il y en avait pour plusieurs  milliers d'euros. C'est dégueulasse. Tu sais on ne fait rien de mal, on repère les lieux à l'avance. On oriente les murs d' enceintes  dans le sens contraire des habitations.  On nettoie tout le matin, il reste rien. Après la teuf, c'est comme si on était jamais venu.Nous les teufeurs des free party on est responsable. On a pas envie de tout dégueulasser  et d'emmerder le voisinage. Ce sont les journaux,la télé qui disent ça. Mais c'est pas vrai. Bien sûr il y a toujours un con ou deux et des types qu'ont pris trop de dope, trop de merde. Mais dans l'ensemble ça se passe bien.
Et toi Lou tu fais attention j'espère.
Bien sur p'pa, je ne prends rien.  Moi je m’éclate avec ma musique. Mais les pouvoirs nous aiment pas nous les jeunes et les moins jeunes aussi. Tu sais  que dans nos teufs il y a parfois des vieux comme toi.
Ah ouais  je fais. Et avec eux il y a pas de problèmes ?
Non, bien sûr. Ils sont là pour s'éclater comme nous. Pas de problèmes .
Donc je pourrais venir à une de tes teufs Lou ?
Faut pas exagérer . Mon père dans la même teuf que moi. La tête que je ferais. Vous voyez ce vieux avec sa boucle d’oreille en argent .Et  bien les copains c'est mon père. Trop la honte p'pa.
Oui bien sûr. Pourtant, j''aimerai bien te voir jouer.
Oui moi aussi j'aimerai que tu me vois au moins une fois. On en reparlera quand tu sera rentré, d'accord. P'pa faut que je te laisse. Ma copine vient d'arriver.
D'accord chéri. Comment s'appelle t-elle déjà ton amoureuse ?
Marie p'pa
Ah oui c'est vrai. Tu lui feras un bisou de ma part.
D'accord.  Attend !C'est vraiment n'importe quoi de ma part . Je ne t'ai même pas demandé ou tu es ?
Je suis au Pérou fiston, dans une des seules stations balnéaires du pays , dans le nord, pas très loin de l’Équateur. Depuis plusieurs mois,  j'étais  dans des grandes villes de la cordillères des Andes. J'avais besoin de voir un peu la mer. Je pars pour la capital Lima dans quelques jours. Je t’appellerai de là-bas Lou. Oui dit-il appelle moi de Lima.
Puis après un bref silence il ajouta, fait bien attention à toi. Je t'embrasse papa.
Moi aussi chéri. Dans 8 jours je t'appelle, mon grand. Bisou.
Bisou.
J'ai mis mon téléphone dans ma poche et me suis accoudé à la rambarde de la terrasse de mon petit l’hôtel. Le ciel du Nord du Pérou est en permanence d'un bleu sans nuage et à l'horizon se dissout dans la mer.
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 Je suis  heureux de l'appel de Lou. Ce voyage commence à se faire long.  Les amis et ma famille ont tendance à s'évanouir, à ne plus être des  images intérieures. Il m'arrive d' oublier des visages  et des perceptions disparaissent. Par exemple, celle du goût du vin ne me manque plus du tout, comme celles des fromages. Comme si je n'avais jamais bu de vin ni mangé de fromage de ma vie. Paris et la Bretagne aussi -là où j'ai vécu et où je vis encore- se dissolvent dans un passé qui me semble  loin et qui  m'appartient de moins en moins.
Heureusement, il y a Lou, mon fils et ce lien téléphonique. Ils contribuent à accrochée cette vie de voyage   à cette vie  la-bas.
Parfois je me demande si cette cette vie en Europe est   réellement la mienne. Cela ne fait que dix mois que je suis parti. Je ne peux  pas être détaché de toutes ces année d'existence en moins d'un an. Cela me semble invraisemblable et pourtant, après ce coup de téléphone, l'arrachement à mon existence passé est un fait bien réel.
Je voyage pour quelle raison si je réfléchis  bien ? Pour connaître des peuples ? D'autres géographies ? Pour comprendre les évolutions modernes de ce monde ? Sans doute oui. Mais j'ai vraiment vieilli aujourd'hui , sur cette plage du Nord du Pérou. Je ne peux pas congédier la mort, d'un revers de la main, plutôt littéraire. Trop facile. Pour quelle raison je voyage vraiment ? Pour conserver ou rendre plus fort mon lien avec mon fils. Oui. Cela est une raison légitime et profonde. Pour écrire un petit livre ? Cela en est une autre. Est-ce suffisant ? Je sais que mes textes témoignent essentiellement   pour tous ces hommes et ces femmes blessés,  bafoués, violés, disparus et même morts sans laisser de trace. Ce continent est plein  de cimetières , de cris, de douleurs des fantômes de ce monde qu'on entend pas.  Je voyage parmi tous ces fantômes et parfois ils me rattrapent   et c'est trop puissant pour moi tous ces morts, toutes ces douleurs. Je dois fuir, courir à en perdre haleine. Je dois continuer ce voyage car si je m'arrête j'ai peur de tomber. Et pourtant il faudra bien un jour ou l'autre s'arrêter.
Je  voyage autant que possible,  pour un jour poser sereinement mon sac à dos et retrouver Lou, ma famille,mes amis, Paris, la Bretagne.
Les vautours  je les vois d’où je suis. lls sautillent sur la plage en direction du pélican qui a ses ailes déployées autour de sa tête et est couché sur le côté. Il doit être mort. La mer l'a rejeté sur la plage.  Je festin va pouvoir commencer.
Pérou
Mancora,Trujillo, Lima, Cuzco, novembre2018
Changeons de registre.
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Quand j’ai quitté Mancora pour rejoindre Trujillo, je suis tombé sur cette affiche placardée sur la porte des toilettes de mon  bus. “Toilettes chimiques. Seulement urinoir. Interdiction de déféquer. Nous sommes en train de vous filmer. L’ENTREPRISE”.
Hélas ce n’est pas une plaisanterie.
Ca ne surprenait pas les 2 touristes à qui j’ai montré l’affiche. Quant aux péruviens.... Je ne crois pas que l’esprit de révolte soit l’un de leurs premiers traits de caractère.
Si un jour, vous allez dans un bus au Pérou. N’oubliez pas. Serrez les fesses et souriez. Vous êtes filmés !
Bonne lecture, j’espère. Et prenez soin de vous.
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bornutyboisson · 6 years ago
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“Passage à Quito 2” 
j’avais divisé les images “passage à Quito” en quatre chapitres dont un sur la religion, l’art sacré. Comme par hasard, j’ai oublié de le publier. Voilà, c’est fait.  Je répare mon erreur, ou mon acte manqué ! 
La dernière image n’est pas religieuse. Elle est due aux révolutionnaires vers 1820, quand l’armée de Simon Bolivar et du général Sucre libère le Panama, la Colombie, le Venezuela et l’Equateur, de la domination espagnole et crée la Grande Colombie. Il est dit: “il n’y a pas de roi, il n’y a pas de dieu, il n’y a pas de Christ, il n’y a pas de souveraineté religieuse, il n’y a pas d’autorité légitime (espagnole), il n’y a pas de d’héritage héréditaire.
Nous , naturellement, nous sommes  restés libres !”
200 ans plus tard, ce texte, ne serait-il pas encore d’actualité ?
Bonnes images et prenez soin de vous.
Jeudi 25 octobre, Mancora, Pérou
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bornutyboisson · 6 years ago
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                                            passage à Quito
                                          explications d'images
J'avais laissé -un peu à contrecœur - mes amis Marianne et Nico à Popayan dans le département du Cauca, Colombie. Nico  s'était cassé un talon et il attendait de reprendre des forces avant de retourner à Bogotá pour s'envoler en Europe. Ils étaient bloqués dans cette ville joliment ennuyeuse pendant encore 3 semaines. On avait bu un dernier verre. Sur 4 mois en Colombie, nous avions au moins voyagé ensemble pendant 6 semaines. A 23 heures je prenais un bus de nuit pour la frontière avec l'Equateur.  J'avais donc un petit pincement au cœur quand je les ai quitté tandis que Nico levait sa canne en guise d'adieu et que Marianne souriait tristement.
Pour éviter tous risque d'attaque, comme à l'époque du Grand Ouest, les bus des différentes compagnies  s'attendaient à la sortie de la ville et partaient en convoi de 6 ou 7 véhicules. Nous sommes arrivés tôt le matin à Ipiales, la dernière ville avant la frontière de L'Equateur, sans s'être fait dépouillés par des bandits de grands chemins.
On m'avait dit qu'avec la masse de vénézuéliens qui tentaient de rentrer dans ce pays, j'aurai plusieurs heures d'attentes à la douane. Ce ne fut pas le cas. En moins d'une heure je remplissais les formulaires, passais la douane avec des dollars car la monnaie du pays, le sucre ( du général Sucre, libérateur de l’Équateur) avait été remplacée dès les années deux miles, pour éviter des taux d’inflations vertigineux). Un taxi m'emmena au terminal de Tulcan ou à peine descendu du véhicule je sautais dans un bus pour Quito. 4 heures de routes plus tard, à travers de magnifiques paysages de la Cordillère des Andes, j'arrivais enfin dans la capitale de L'Equateur.
J'y restais 8 jours dans un hôtel vieillot dont la patronne bien en chère avait un sourire énorme et le cœur généreux. J'avais comme voisin de chambre un colombien de Bogotá qui cherchait du boulot et une famille nicaraguayenne qui fuyaient les émeutes de Managua et la répression par le président Daniel Nortega,
Quito
Je ne sais pas encore quoi en dire.
Pour que vous fassiez vous même une idée de cette capitale, je vous envoie donc des photos que j'ai divisées en 4 groupes.
1) la ville, les marchés, un peu d'architecture. La ville est beaucoup plus belle que ce que j'en montre. N'hésitez surtout pas à la visiter. C'est une des plus belles villes d'Amérique du Sud, patrimoine mondiale de l'humanité.
2) Cette Amérique du Sud n'existe pas sans ferveur religieuse (que cela nous plaise ou pas). Il y a donc quelques images à ce sujet. Moi je les aime bien.
3)Sous Louis XV, en 1735  une expédition emmené par l'académicien des sciences, Charles Marie De la Condamine arrive à Quito pour mesurer et définir le milieu du monde, la mitad del mondo. A l'aide de la seule triangulation, ils mesurent le point où passe l'Equateur. A l'époque il n'y avait pas de calculatrice et encore moins de GPS et pourtant il ne se sont  trompés que d'une centaine de mètres. Un exploit. A dix km de Quito il y a donc le monument le plus célèbre de l'Equateur et un joli musée à ciel ouvert "la mitad del mondo".
4) j'ai redécouvert un peintre Guayasamin (je crois qu'on a tous déjà vu un de ses tableaux) dont j'ai visité la chapelle de l'homme située sur les hauteurs de Quito.
La phrase en espagnol de Guayasamin que je mets en exergue, de ses photos, peut se traduire ainsi :
"Peindre est une forme de prière en même temps qu'un cri.
Et la plus haute conséquence de l'amour
et de la solitude."
Un de ses tableaux s'intitule : "La edad de la ira" "l'ère de la rage"
Pour mieux comprendre Guyasamin(1919-1999) rappelons nous qu'il peint une grande partie de son œuvre  à une époque ou l'Amérique du Sud est sous le joug des dictatures militaires.
J'espère que vous ne  serez pas indifférents à quelques une de ses images. Bonne visite.
Et surtout n'oubliez pas, prenez soin de vous.
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Expédition française de 1735 emmené par Charles Marie de la Condamine. Il mesureront la moitié du monde, l’Equateur.
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Photo prise depuis le haut du monument de la “mitad del modo”
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le guitariste de flamenco, Paco de Lucia
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dimanche 21 octobre 2018
Cuenca, Equateur
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bornutyboisson · 6 years ago
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los volontaires
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  John est venu relevé les compteurs de son hôtel de Cali, département Valle de Cauca, Colombie.
Il avait un œil plus bas que l'autre et, sans doute par souci d'harmonie, la nature lui avait fait une lèvre qui se relevait en coin, dans un vilain rictus, sous l’œil le plus haut. Il bavait. Sa boucle d'oreille, sertie d'un diamant, devait valoir une petite fortune. Elsa recomptait la caisse de la journée. Il s'est levé d'un bon en projetant de la bave sur le bureau. Hep ma petite, tu es en train de m'arnaquer, dit-il en lui saisissant le poignet. Passe-moi ça.
Il lui arracha les billets des mains, les recompta puis les jeta plus qu'il ne les remit dans la caisse. C'est juste. Pourtant j'aurais bien cru. Continue ordonna-t-il.
John se rassis et attendit en tapotant un doigt sur la table.
Elsa était épuisée car elle avait dansé la salsa à la Topa, puis à la Mala Mania, toute la nuit précédente. Elle ne savait même pas si elle avait dormi 2 heures avant que le patron ne vienne dans son dortoir, à 6 heures du matin, lui demander de faire les 4 heures de service supplémentaire. L'autre volontaire était parti sans le prévenir. J'ai besoin de toi il avait dit, en joignant les deux mains. Elle s'était sentie obligée d'accepter.
 On était au mois d'août, Le festival du Pacifico de Cali était sur le point de commencer. Les bars à salsa et les hôtels dont les 2 appartenant à John étaient déjà plein à craquer. Son hôtel était à la mode auprès des jeunes étrangers car ils y avaient des cours gratuits de salsa et des cours de cuisine avec un cuisinier péruvien et, depuis qu'il avait fait connaissance du réseau workaway*, c’était tellement plus facile. Il pouvait employer des voyageurs volontaires 4 heures (normalement) par jour, en échange d'un lit et d'un petit déjeuner. Génial ! Les jeunes voyageaient en dépensant moins d'argent et, les propriétaires peu scrupuleux comme John, licenciaient les deux tiers de leur personnel permanent et les remplaçaient par "los volontaires", comme il les appelait dans un mélange cynique d'espagnol et d'anglais. John ne se faisait plus de cheveux blancs. Il payait presque plus personne (et surtout pas le danseur et le cuisinier). Le système était bien fait. D'un coup, ses bénéfices avaient prodigieusement bondit. Elsa n'était pas dupe. Workaway était souvent détourné par des types comme John.
Ce gros porc, pensa-t-elle, m'arrache les billets des mains comme si j'étais qu'une sale voleuse. Il me paye quoi ? Un lit crasseux dans une chambre exiguë et un petit déjeuner contre 4 voire 5 ou 6 heures de boulot par jour. Salaud d’américain, si tu crois que je vais me laisser faire.
 C'est ce que m'a dit Elsa quand on s'est rencontré après la scène qui va suivre, elle avait envie de le provoquer. C'était d'ailleurs assez drôle de voir la tête de John. J'étais juste à côté de lui. Mon sac à dos de 20kg encore sur les épaules. Je venais de faire 6 heures de bus depuis le très joli village de Filandia dans la Zona Cafetera pour arriver au festival del Pacifico de Cali et, j'avais réservé un lit dans un dortoir de cet hôtel sur booking.com. Je ne crois pas qu'il faisait attention à moi. Il était obnubilé par les billets qu'Elsa recomptait et il avait un filet de bave qui lui coulait sur le menton qu'il ne sentait même pas.
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 Donc Elsa, compta les billets puis elle laissa échapper tout ce fric de l'autre côté du bureau.
J'étais baissé car j'enlevais mon sac de sur mon dos. D'en dessous, j'ai tourné la tête et je me suis retrouvé dans l'axe du visage de John. Soudain j'ai vu sa lèvre se redresser avec ce vilain rictus sous son œil le plus haut. C'était une lèvre d'un furieux enragé. Il s'est précipité au sol et, à quatre pattes, a ramassé les billets.
Mais qu'est-ce qu'il t'arrive connasse ?
Elsa n'a rien répondu. John a reposé les billets sur le bureau mais d'une pichenette Elsa les a jetés sur le sol et l'américain s'est précipité à nouveau pour les ramasser et les remettre sur le bureau. Bien sûr aussitôt Elsa les rejetait. Je n'en suis pas tout à fait certain mais je crois que dès la deuxième collecte de billets tombés, John avait son vilain rictus élargi, au point que sa lèvre retroussée semblait avoir fait la jonction avec son oreille - celle qui était sertie d'un diamant qui valait sans doute une petite fortune. Il avait une tête affreuse de clown raté. Il était si furieux qu'il n'avait même pas l'idée de mettre les billets dans sa poche. Il les posait systématiquement sur le bureau, derrière lequel Elsa me regarda, en me faisant un sourire, au moment où je me suis relevé. Son sourire était magnifique.
 Ramasse-ça a-t'elle dit, en me faisant un clin d’œil.
Je ne savais pas trop quoi faire. De toute évidence ce type méritait des coups de pieds aux fesses.
Il les a ramassés deux, trois, quatre fois.
Voir un patron à quatre pattes en train de ramasser avec compulsion tous ces billets, c'était non seulement drôle mais jouissif. J'imaginais le plaisir que prenait Elsa, ce plaisir de voir les dominateurs souvent imbus de leurs personnes se comporter comme des bêtes.
Mais cela n'a pas duré. Il a dû avoir un déclic, la prise de conscience qu'Elsa le provoquait. Il s'est relevé d'un bon. Il avait les nerfs du cou saillants, les yeux sortis de la tête et, il a levé la main en essayant de contourner le bureau. J'étais prêt à lui sauter sur le dos. Je n'en ai pas eu le temps.
On m'a poussé sur le côté. Un type d’à peu près 25 ans, s'est mis à crier. John s'est retourné et s'est retrouvé le bras prisonnier, à nouveau à genou car ce jeune homme lui avait fait une clé dans le dos.
Roberto s'exclama John.
Il n'en dit pas plus. Une claque monumentale le cloua sur place.
Casse-toi d'ici dit-il au propriétaire.
John s'est levé dans un piteux état. Il a jeté un œil à tous ces billets qui traînaient pour une partie sur le bureau et pour l'autre, sur le sol, sans oser faire un geste pour les ramasser. Le moins que l'on puisse dire, c’est qu'il partit la queue entre les jambes.
Elsa se jeta au cou de Roberto et elle l'embrassa. Elle l'embrassa longtemps. Son baiser était torride. Je me sentais en trop, j'ai toussoté en me passant une main dans les cheveux. Ils se sont enfin décollés mais Roberto à tout juste eu le temps de respirer avant qu'elle se jette à nouveau dans ses bras. D'un coup dans la pièce, la chaleur à augmenter de plusieurs degrés et je n'avais rien d'autre à faire que d'attendre en continuant de me passer une main dans les cheveux. Le premier à s'occuper de moi fut Roberto.
Excuse-nous dit-il et il ne put se retenir de rire. A son tour, Elsa s'est franchement mise à rire.
C'est toi, le français, Bornu, n'est-ce pas ?
Elle me parlait en français. J'ai répondu en espagnol oui c'est moi et elle a continué en espagnol comme si de rien n'était.
Je m'appelle Elsa et mon compagnon s'appelle Roberto.
Mucho gusto Elsa j'ai dit, mucho gusto Roberto.
Mucho gusto, ils ont répondu.
Ils se sont mis une nouvelle fois à rire et à se jeter au cou l'un de l'autre et, j'ai été surpris car c'est sorti tout seul.
Oh non, j'ai dit, pas encore !
Ils ont été cool avec moi. Elsa a repoussé Roberto avec toute la délicatesse possible qu’une femme peut avoir quand elle sait qu'elle fait bander à mort l'homme qu'elle désire.
Je te montre ton dortoir me demanda-t-elle ?
Oui j'ai dit tandis que Roberto tirait la langue.
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 Ce fut mon premier contact avec cette ville. Roberto et Elsa sont un couple charmant. J'ai eu tout juste le temps de déposer mon sac à dos dans le dortoir de 6 lits et de mettre mes papiers dans un coffre sécurisé, avant de plonger en leur compagnie dans la nuit de Cali.
C'est en partie grâce à eux si je suis encore à Cali et que j'y ai loué un appartement pour 5 semaines. J'ai eu un coup de foudre pour cette ville et je le leur dois pour beaucoup.
J'avais envie de me poser mais je ne savais pas encore dans quelle ville et dans quel pays. Ma préférence revenait à Oaxaca, cette magnifique ville mexicaine, ce qui voulait dire reprendre un vol pour ce pays. D'un autre côté, j'étais tenté d'aller plus loin. Colombie et ensuite Équateur. Jusqu'ici je n'avais pas prévu d'aller au Pérou. Mais pourquoi pas? Ces dernier temps, j'avais pris conscience que je ne comprenais pas grand-chose à la Colombie et encore moins à l'Amérique du Sud. Il me fallait plus de temps, et moins bouger. Rester immobile en quelques sorte, afin de percevoir un peu de vérité de ce monde. Je sentais que c'était le bon moment de ne plus bouger et de vivre ici en Colombie. Quand j'ai eu l'opportunité, je n'ai pas hésiter, j'ai partagé un appartement avec Rudi, un suisse, dans le quartier de San Antonio à Cali, juste à côté des boites à salsa. J'ai une chambre avec fenêtre qui donne sur la montagne. C'est face à cette montagne que je m'assois devant mon ordinateur.
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Elsa est une allemande très jeune qui n'a pas plus de vingt ans. Elle avait travaillé après son bac, deux ans, dans un bar à Hambourg, pour économiser de l'argent et ainsi voyager. Depuis toute petite, elle rêvait d’Amérique Latine et enfin son rêve se réalisait. Cela faisait presque un an qu'elle était partie. Elle avait visité tous les pays d'Amérique du sud jusqu'à la Terre de Feu au Chili et elle faisait le chemin inverse vers l'Amérique Centrale qu'elle ne connaissait pas encore.
Depuis un mois à Cali, dans son voyage retour, elle était une volontaire dans l’hôtel de John, l'américain, où elle était tombé amoureuse de Roberto, lui aussi volontaire, colombien et punk.
Nous avons pris un taxi pour aller en boite de nuit sur la cinquième.
Cali est une ville chaude, très chaude, me dit Roberto dans la voiture. Sans tomber dans la paranoïa, la nuit, fais gaffe à toi, il y a plein de loups garous dans les rues. Et il m'a tapoté l'épaule. C'est pas plus dangereux que n'importe quelle ville de Colombie, tu risques juste de te faire dépouiller.
La file était longue devant l'entrée de la Topa composée d'une majorité de colombiens. Il y avait aussi des touristes amoureux ou curieux de la fameuse salsa de Cali.
En attendant dans la queue à côté de lui, j'ai eu le temps de remarquer ce trou dans sa bouche. Il lui manquait une incisive en haut et en bas. Il pouvait paraître entre 20 et 25 ans mais à le voir de plus près avec son visage émincé et ses yeux à la fois enfoncés dans leurs orbites et éclatés comme s'ils allaient exploser, il en paraissait beaucoup plus. En Colombie, un visage est vite marqué et l'on peut facilement deviner si une personne a connu la dureté de la rue ou pas. Roberto, de toute évidence, n'était pas né dans la haute société de son pays. Son visage était celui de toute une jeunesse à qui aucun cadeau n'avait été donné. Les élites de Colombie ne sont pas prêtes de partager ni leurs scandaleuses richesses ni leurs pouvoirs quasi absolus protégées par des assassins qu'on appelle les paramilitaires. Cette Colombie là a la haine de son peuple. Dans ce cadre, le "NO FUTUR" des punks de la fin des années soixante-dix conserve toute sa vigueur et a devant lui, sans aucun doute, un avenir très long. Roberto avait plusieurs boucles d'oreilles, des cheveux courts en désordre (mais pas de crête d'iroquois) un jeans retroussé et seul luxe, il portait des docteurs Martens noires et cirées mais usées jusqu'à la corde. C'était des godasses qui avaient vécu et pogoté dans des centaines de rues et de concerts de son pays.
J'étais en train de lui demander d'où il était et il m'avait répondu de Medellín, la comuna 13, le célèbre quartier pauvre de cette ville où des centaines de jeunes étaient morts dans la guerre entre les narcos d'Escobar et les flics dans les années quatre-vingt. Avec mes amis de Bogotá on avait été dans un concert loin du centre et on avait vu des groupes punks dont un de comuna 13. Quand J'ai demandé à Roberto s'il connaissait la scène punk de Medellín, d'un coup il s'est secoué.
Bordel de merde c'est ce soir !
Elsa se trouvait déjà devant l'énorme videur noir de la Topa à qui elle serrait la main.
Elsa, amor, ne rentre pas. Il y a un concert ce soir.
Quoi a-t-elle dit
Amor, un concert a fait Roberto en mimant un guitariste.
Elsa a fait un clin d’œil au videur et elle s'est jetée au cou de Roberto en mettant ses jambes autour de sa taille tandis que Roberto surpris, flagellant sur ses jambes, la soutenait par les fesses. Elle l'embrassa sur le nez et lui mordilla l'oreille. On ne pouvait que les regarder avec admiration et sans doute un peu de jalousie. Il y avait de l'amour sauvage et de la dynamite dans les gestes de ce jeune couple.
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J'étais venu à Cali pour assister au festival del Pacifico, immense festival de musique et de gastronomie de la côte pacifique de Colombie et à la place je me retrouvais à nouveau dans un taxi en direction d'une lointaine salle où devait jouer des groupes punks.
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Ici être punk c'est risquer de te faire descendre par un paramilitaire m'a dit Roberto. Dans cette ville ils ont assassiné des centaines de jeunes sous prétexte de nettoyer Cali de la racaille*. On a pas retrouvé un seul de ces assassins. Maintenant c'est un peu plus calme mais c'est toujours risqué, reprit-il, en me montrant a l'entrée de la salle, l'affiche du concert dont le titre était "nos estan matando", ils sont en train de nous tuer. Et puis en dessous, à droite de ce titre, j'ai lu, "punks contra el asesinato de lideres sociales", les punks contre l'assassinat des militants du mouvement social.
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Roberto me dit encore, tous les ans des dizaines de militants et leaders des mouvements sociaux et paysans sont assassinés sans qu'aucun coupable ne soit jugé. Être punk pour moi, ce n'est pas qu'une mode vestimentaire, c'est une manière de vivre et de me battre contre tous ces pourris qui dirigent mon pays".
Ils me disait cela d'un ton presque détaché mais je savais que ce n'était pas des mots vides de sens. Derrière, la musique et les tenues vestimentaires des deux pays latinos que je connaissais, le Mexique et la Colombie, je voyais bien qu'être punk est une façon concrète et très risqué de changer ce NO FUTUR de ces jeunes stigmatisés par les flics, les paramilitaires, les journalistes et les politiciens. N'oublions pas que la très grande majorité des milliers d'assassinés de ces deux pays ont entre 16 et 25 ans.
La guerre sociale menée contre les peuples en Amérique latine est donc avant tout une guerre de destruction de la jeunesse, et c'est le mouvement punk rock latino qui se trouve parmi d'autres, aux avant-postes de ces combats musicaux, culturels et politiques contre cette destruction.
Hélas, c'est un mouvement peu développé, presque confidentiel. La majorité des jeunes préfèrent écouter du raggeaton, une musique super machiste et anti-femme, absolument apolitique qui fait l'apologie d' un individualisme violent et narcissique. Rien à voir avec ce qui se passait dans cette salle.
Il y avait du monde tout de même , la salle était pleine et Elsa et votre blogueur étions les seuls non colombiens qu'on accueillit les bras ouverts, étant donné que ce n'était pas tous les jours, que de l'autre côté de l'océan, des européens assistaient à leurs concerts.
Et ce fut une
Soirée superbe.
Grâce à Roberto et Elsa
Grâce à tous ces punks.
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  Quand on est rentré à l'hôtel. Il fallait s’y attendre. John avait pris ses mesures.
Moi je pouvais rentrer.
Eux ils récupéraient leurs affaires et plus jamais, vous avez bien entendu, plus jamais je ne veux vous revoir. C'est à peu près la teneur du mot que John avait laissé au gardien de nuit.
J'étais mal pour eux. Galère que de reprendre son sac à cette heure de la nuit, mais ça leur glissait dessus. Ils avaient déjà décidé d'aller à Medellín où Roberto avait tous ses amis. J'ai appelé le numéro d'Uber - cette entreprise qui elle aussi bidouille pour quasiment rien payer - et presque aussitôt un chauffeur les a emmené à la gare routière ou il y avait des bus toutes les heures pour Medellín. On s'est séparé après de chaudes accolades. Quand ils ont disparu dans la nuit, tiens tiens, John le patron est apparu au même moment à la porte de l’hôtel.
Adieu los volontaires il a fait en anglais, bon débarras. Vous rentrez m'a-t-il demandé ? Vous, vous n’êtes pas viré, vous savez. Vous pouvez dormir dans mon hôtel. Et il avait son sourire en coin qui lui déforma le visage.
Malgré cet horrible américain, ce fut une belle nuit colombienne et le lendemain, pas question de voir à nouveau cette tête ! Je changeais d'hôtel.
 Mais cette nuit-là, au moment de me coucher, j'ai fait tomber deux papiers de la poche de mon pantalon, un d'un musicien qui m'avait donné les noms des morceaux de son groupe et l'autre de Roberto. J'avais oublié ! Roberto m'avait parler de lui pendant ce concert. Une vie banale m'avait-il dit.
 Les groupes s'appelaient Tolerance zero, ruidos malditos , Mentes pudritas et Alitossis. Du gros rock punk qui tache. Il y avait de la bière et un peu de celle qu'on se met dans le nez, inévitablement, on est en Colombie, ça fait partie de la culture, non ? Elsa était déchaînée et souvent elle était la seule à danser. Le bar était cool. Un musicos était venu me voir, on avait bu un verre et il m'avait laissé une feuille avec tous leurs morceaux de musique de son groupe que je pouvais trouver en ligne. Autour de nous, Il y avait une énergie, une joie de vivre, comme dit un chanteur, "laissez-moi rire pour ne pas pleurer" car, ne l'oublions pas, partout dans les villes de Colombie, ce même jour, des dizaines de milliers de personnes se réunissaient aussi, pour dire non aux assassinats des leaders du mouvement social, tout comme à Cali, dans cette salle remplie de punks, on le faisait dans la joie tandis que la mort programmée (par qui ???) de ceux qui luttent n'étaient jamais très loin dans la tête de tous.
Roberto tu veux quelque chose je lui ai demandé quand je me suis retrouvé seul au bar et très vite on nous a servi deux bières avec deux shots de rhum. Il avait dû se mettre quelques pointes. Il ressemblait à Zebulon monté sur des ressorts. Il me parlait quasiment en pogotant et moi en les levant, en les baissant, je pogotais aussi, mais avec les yeux !
Puis il s'est calmé. On a choqué nos bières au bonheur d'Elsa et moi au sien, et longue vie aussi - ça c'était plutôt pour moi - et on a choqué pour la lutte contre les paramilitaires, contre les fachos et, on a encore choqué nos verres pour un autre monde et puis à la fin, on ne savait plus pourquoi. Ce qui est sûr c'est que nos verres de shot et les bouteilles de bière commençaient à s'entasser grave dans ce coin du bar. Sur scène, les groupes se succédaient. La musique prenait les commandes. On dansaient, on buvaient et on parlait de plus en plus fort. Roberto m'a proposé de fumer un joint dehors. Je l'ai remercié. Je ne fumais plus. Bien sûr ça ne m'empêchait pas de l'accompagner sur le trottoir. Elsa nous a rejoint et très vite après deux taffes elle a eu envie de danser. J'adore cette soirée a-t-elle dit, en embrassant Roberto avec toute la furie amoureuse de ses 20 ans. Puis elle s'est précipitée à l'intérieur de la salle en faisant quelques pas de marelles.
Roberto a renversé sa tête en arrière tout en recrachant la fumée blanche du joint vers la lumière d'un lampadaire. Il s'est redressé et m'a regardé. Il n'y avait rien de particulier dans ses yeux. Si, en fait. Il y avait de la douceur.
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Mon frère dit-il était un siqueros ,comme beaucoup d'autres dans comuna 13.
Il avait été formé par un cartel pour tuer ceux qui les gênaient. Je ne crois pas qu'il ait tué une seule personne. Il s'est fait descendre avant, avec son meilleur pote qui conduisait la moto. Mon frangin était derrière, un pistolet à la main. Classique quoi ! trop confiant en eux. Le type qu'il devait assassiner avait un garde du corps assis à côté du chauffeur. Il a dû les voir dans le rétro. Au moment où mon frère et son pote se sont portés à leur hauteur, ce fut le premier à tirer et il n'a pas loupé sa cible. Du coup j'ai un frangin en moins et son pote est dans un fauteuil roulant. Je sais pas pourquoi je te dis ça. Escobar et sa clique ont détruit la vie de milliers de personnes surtout dans mon quartier de comuna 13. Comme celle de mon frère. Même s'il travaillait pour d'autres mafieux, une dizaine d'année plus tard. C'est à peu près les mêmes. Il y en a qui veulent faire passer Escobar pour un saint. Dans mon quartier beaucoup le déteste. Moi aussi je le déteste. Il y a des gens formidable dans mon quartier, dans Medellín, dans tout le pays et dans cette salle à Cali. On ne veut plus crever en se taisant, tu sais. Et, en me laissant voir ce trou noir de ses deux dents manquantes, il m'a souri tranquillement.
Voilà c'est tout, il a ajouté. J'avais juste ça à te dire. Et il m'a tendu Le joint.
Vraiment Roberto. Je n'en veux pas merci.
Il va de soi que pour un occidental comme moi, ce que racontait Roberto était tout sauf banal, j'étais en train de penser, allongé dans le lit du dortoir, avec ce bout de papier dans les mains. Même s'il m'avait peu parlé de sa vie, il était touchant car on le sentait profondément humain. Certes je ne savais pas grand-chose de lui, mais je n'avais pas besoin de tout savoir des gens que je rencontrais dans mon voyage. Une soirée en sa compagnie et en compagnie d'Elsa, me suffisait. J'étais un privilégié. J'avais la chance de rencontrer deux personnes qui te donnent tellement, rien que par leur présence que c'est un antidote à toute forme de dépression. Ils sont amoureux. Ils sont rebelles. Et ils aiment éperdument la vie. Ce ne sont pas  des mots en l'air. Pendant cette soirée, Elsa et Roberto, ces volontaires virés par John, m'avaient donné ce qu'il y a de très précieux. Il m'avait donné de la force. Oui. Celle qui consiste à rester bien vivant, à ne pas abandonner. Jamais, j'espère.
Sur le bout de papier il y avait aussi le nom d'un groupe de punk, celui dans lequel il jouait à Medellín, ce qu’Elsa ne savait pas encore. Il voulait lui faire la surprise une fois arrivé dans cette ville. Il y aura bientôt une première vidéo qu'on pourra visionner sur Youtube. Sur ce bout de papier Roberto avait uniquement écrit le nom de son groupe. "Calibre 38". Sans doute en hommage à son frère.
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  Cali, Popayan,  septembre 2018
Je dédie ce texte à deux volontaires et deux ami-es, Sarah et Sylvain, que j’ai connus dès le premier jour en Colombie, à Bogota. Nos chemins se sont souvent rencontrés et chaque fois ce fut une immense joie  d’être à nouveau à leurs côtés. 
Merci à Jean-Claude qui,une fois de plus, prit de son précieux temps pour corriger Los volontaires
Bisou les ami-es et prenez soin de vous.
*Workaway est un réseau mondial qui met en relation des voyageurs prêt à donner un coup de main  à des associations, des personnes qui ont des projets,contre  le gîte et le couvert.  On les appellent des volontaires. Pendant ce voyage, plus d’une fois j’ai vu des hôtels profiter de jeunes voyageurs . Il y a même des hôtels qui n’ont plus du tout de personnel. Nous avons à faire à une ubérisation à outrance. Le rêve réaliser du capitalisme contemporain. Des profits d’un côté, et de l’autre rien, pas de paye, pas de cotisations sociales , ni d’impôts. Aucun compte à rendre. Bien sûr, à l’origine,  Workaway a pour but à la fois d’aider les voyageurs et des personnes qui ont besoin d’un coup de main. Mais comme il n’y a pas dans ces pays d’inspecteurs du travail ou de réseau d’étique et de surveillance, les détournements des buts de ce réseau est facile à réaliser et rapporte gros. Des patrons d’hôtels comme Johny sont légions et ils se frottent les mains !!!
Et pour finir une vidéo d’un groupe mexicain que j’aime beaucoup. Pantéon Rococo
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bornutyboisson · 6 years ago
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Au dessus de nous , du côté de la frontière
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(Trilogie trouble
de l'économie politique du voyage
(3)Au-dessus de nous, du côté de la frontière
Quand je vois un arbre
j’ai envie de vomir
Graffiti punk sur un mur de Paris au début des années 80
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Il y a eu des orages ce matin et encore cet après-midi, un peu plus loin, au-dessus de nous, du côté de la frontière, ou alors le réseau est dans un état déplorable. Ou bien les deux. Pour la quatrième fois aujourd'hui, tout a sauté dans le village. 
Au moment de la coupure, comme il est 20 heures, Sylvain n'y voit pas plus loin que le bout de son nez et il fulmine.
Ces colombiens, incapables de rien. Je n'ai pas de temps à perdre avec ces interminables coupures. J'ai des auditeurs moi !
Il marche de long en large dans la cour de l’hôtel plongée dans la pénombre seulement éclairée par un portable. Nerveux, il marche, avec à la main, son ordinateur ouvert et ses écouteurs sur les oreilles. Avant la panne, il était en train de visualiser sa chronique quotidienne et de vérifier s'il n'y avait pas des erreurs, afin de la mettre en ligne sur  Youtube. Sylvain est un voyageur blogueur. 
J'ai plusieurs milliers de followers, m'avait-il dit en bombant la poitrine et avec un sourire qui se voulait complice parce qu'il connaissait mon blog.
Putain ces cons, s'ils croient que j'ai que ça à faire. Je n'ai même pas le temps d'aller à la plage, moi. Et voilà  qu'il coupe mon électricité !
Il parle à son propre visage figé sur l'écran depuis qu'internet a été brusquement coupé. Étant donné son regard fixé sur son image, il ne peut voir une chaise et butte dessus. Son ordinateur glisse de ses mains et s’apprête à tomber tandis que son casque s'échappe de ses oreilles, mais avec  vivacité, il saisit l'ordinateur dans sa chute, le referme et le colle sur sa poitrine.
Ouah putain, un mac à 2000 boules. Il l'embrasse puis pose le précieux ordinateur et les écouteurs sur notre table et souffle comme s'il venait d’échapper à la mort.
Il manquerait plus que ça, casser ce bijou qui m'a coûté les yeux de la tête. Qu'est-ce que t'en penses dit-il à Moshe assis en face de moi, et qui, avant la panne électricité, caressait les tétons de son petit ami Alberto assis sur ses genoux. Il est temps de quitter ce trou à rat. A Capurgana, je ne peux pas travailler dans de bonnes conditions moi.
On est bien ici dit Moshe tout en continuant à titiller  les tétons d'Alberto. Medellín est une grosse ville, pas trop mon trip en ce moment.
Même s'il ne parle pas français, Alberto à l'air de comprendre et, dans l'ombre, je le vois poser une main sur ses couilles. En tout cas, c'est ce que j'imagine assis de l'autre côté de la table en devinant plus qu'en voyant la main d'Alberto plongée entre les cuisses de Moshe.
Vous allez arrêter de vous tripoter tous les deux. Il y a pas que ça dans la vie, s’énerve le blogueur
Mais si, mon cher Sylvain, il n'y a que du cul dans la vie surtout pour les pédés AHAHA. J'adore le cul ! Les pédés juifs, tu trouveras pas mieux comme obsédé sexuel, dit-il avant de lécher le cou d'Alberto. Et en aparté, théâtralement, il dit, ma petite maman juive, ton chéri adoré de fils est un obsédé sexuel HAHAHA.
J'en ai marre fait Sylvain en reprenant son ordinateur. Je retourne me reposer dans la chambre. Je te laisse avec ta maman juive. C'est la meilleur des mamans pour emmerder un fils. Salut fait-il en disparaissant dans la chambre.
On s'en boit un ? dit Moshe en sortant la bouteille de whisky de sous la table. On boit à la santé de ma sainte mère qu'est toujours vivante et qui  espère encore  me marier.
Oui je fais, je ne savais pas que tu avais ça avec toi. Ici c'est hors de prix le whisky. Je ne bois que de l'aguardiente.
C'est ma dernière bouteille acheté à Carthagène les garçons, il n'y en aura pas d'autres, alors on y va mollo. Et pour mieux se contredire, il nous sert des triples doses.
Pour la quatrième fois dans la journée, on entend le démarrage d'un moteur  qui tousse puis celui-ci prend son rythme de croisière. Grâce à la mise en route du groupe électrogène de l’hôtel, la lumière revient.Sylvain et Moshe voyage ensemble en Amérique du Sud depuis un an et demi. Ils arrivent de Carthagène où Moshe a rencontré Alberto, un vénézuélien. Il a fui son pays où il était étudiant à Caracas. J'ai pas l'impression qu'il ait beaucoup d'argent et a 20 ans de moins que Moshe. Parfois il a l'air ailleurs, loin de nous,  mais c'est peut- être seulement l'âge qui veut ça ou bien le fait d'avoir quitté son pays.Au moment où Alberto et Moshe commencent à se bécoter, je me retourne car j'ai cru entendre du bruit. Et en effet c'est eux. Ils sont rentrés en silence dans l’hôtel, en longeant quasiment les murs, comme des ombres de la nuit. Ce sont un érythréen et des congolais de Kinshasa habillés de bric et de broc, portant des hautes bottes de plastique, excepté une petite fille d'à peu près trois ans qui, elle, porte des sandales. L'érythréen est très beau, 20ans tout au plus, avec des yeux bleus comme la mer des caraïbes. IL parle un peu en Anglais, les autres en français. Ils connaissent aussi quelques mots en anglais mais ils n'ont pas, eux, le temps d'apprendre l'Espagnol. John le mécano de Kinshasa me salue de loin. Il m'a raconté son histoire ce matin au moment de la deuxième coupure de courant et alors qu'il attendait de passer la frontière du Panama par la montagne, mais le guide n'est jamais venu les chercher alors ils restent une nuit de plus dans notre hôtel, la police colombienne leur ayant dit que c'était le moins cher du village et ils payent en dollar. Ça fait trois semaines qu'ils sont partis de Kinshasa via un avion pour Quito en Équateur et leurs réserves d'argent fondent comme neige au soleil. Le soleil ici, il y en a beaucoup. L’érythréen s'est joint à eux à Turbo, au moment de prendre une lancha pour traverser la mer, et, arrivé à Capurgana, un village colombien du bout du monde, à la frontière du Panama qui fait tant rêver les touristes, dont moi. Ici, il n'y a que la mer, des plages, une immense jungle, de la petite montagne et il n'y a pas une seule route sur une centaine de km, voire plus.
A Turbo, à 80 km d'ici, ils sont partis de nuit sur une lancha sans lumière, ils étaient une trentaine. Quatre heures de bateau à fond, en passant par un bras de mer envasé puis la haute mer pour éviter la police et l'armée à l'entrée de l'estuaire. La lancha est un bateau tout en longueur et sans tirant-d'eau. Sur une mer d'huile, c'est un plaisir de navigation, il glisse.  Mais dès qu'il y a un peu de houle, c'est l'enfer. Ils ont cogné des vagues pendant 4 heures. La petite en sandale était dans un triste état, pleurant d'effroi pendant tout le voyage. Quand ils ont débarqué, leurs muscles criaient de douleur. Les 4 policiers du villages les ont récupéré aussitôt.  Après vérification des papiers, la trentaine de migrants africains mais aussi indiens et pakistanais se sont répartis dans différents hôtels, les plus pauvres dormant sur la plage ou sous des cahutes, quand la nuit éclatent des orages.
J'ai un frère à Paris m'avait dit John pendant notre conversation du matin.
Dans quel arrondissement habite-t-il John j'avais demandé. Moi aussi je suis de Paris.
Je ne peux pas te le dire. Paris, banlieue, tout ça c'est la même chose pour moi. C'est la France. Au dernier moment je ne sais pas pourquoi, j'ai cédé à mes amis, Je suis parti avec eux en Amérique du Sud. Ils m'ont dit que c'était plus facile que l'Europe et la France pour rentrer aux Etats-Unis ou au Canada et trouver du travail. Maintenant, je regrette.
Il m'avait présenté sa femme qui tenait  son enfant dans ses bras.
Bonjours j'avais dit poliment, mais elle n'avait pas répondu. Je voyais bien qu'elle en voulait à son mari. Elle était sur un autre continent dont elle ne parlait pas la langue, dans un endroit totalement isolé, avec très peu d'argent, dans une précarité qui ferait trembler les plus courageux et leur fille était dans la même galère qu'eux. Enfin elle m'avait dit quelques mots dans la langue de son pays mais à aucun moment elle avait souri.  Comment pouvait-il en être autrement ?
C'est pour quand John ? j'ai demandé quand il est passé à côté de Moshe et D’Alberto.
Je ne sais pas.  On nous a dit qu'il y aura encore des orages cette nuit. Peut-être demain alors. On va se coucher, bonne nuit.
Bonne nuit aussi  John et bonne chance surtout si on ne se revoit pas.Alberto et Moshe étaient torse nu et ils étaient excités. J'ai bu la moitié de mon verre et, sous cape, j'admirais ces deux corps enlacés dont l'un était effrontément jeune et souple et l'autre, couvert de tatouages, était dans la plénitude d'une existence dont le corps n'avait pas trop subi de démolition. Je ne crois pas qu'ils avaient remarqué la présence de John et des autres migrants. Ils s'étaient levés et, Alberto, comme une liane, avait une jambe relevé et enlacé autour de la jambe de Moshe. Moshe le tenait à pleine fesse. 
Je suis sorti de l’hôtel pour aller chercher deux enpanadas  au poisson.
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Le lendemain matin, Sylvain m'attendait à la table du petit déjeuner dans la cour de l’hôtel.
Profitons de cette splendide journée sans pluie pour aller visiter la réserve del Cielo avait-il dit en verve. Mes auditeurs attendront ma chronique un jour de plus. Cela ne leur fera pas de mal. Et puis il faut bien que je prenne des notes pour mon prochain livre. Les enfants de Peter Pan.
j'avais pas beaucoup dormi mais j'étais plus en forme que les autres nuits. L’électricité avait été coupée deux fois dans la nuit et sur le coup de 3 heures, elle était enfin réapparue sans autre coupure jusqu'au petit matin. J'avais donc pu dormir  grâce au fonctionnement des ventilateurs.
Avant de dormir, avec Moshe et Roberto on avait été danser à la brujita, le petite sorcière, la boite de nuit construite sur pilotis au-dessus de la mer, un lieu sublime. Ils passait les musiques des Caraïbes. Musica crossover ils appellent ça ici, et Roberto dansait comme un dieu, beaucoup de garçons et de filles l'admiraient et cela rendait fou de jalousie Moshe qui ne lui avait  pas adressé une seule fois la parole, au lieu de quoi il était resté au bar, en ma compagnie, tous en suivant des yeux un Alberto dansant, prodigieux et absolument parti sur une autre planète. Ils ne s'étaient réconciliés qu'à la fermeture de la petite sorcière. Je les avais laissé sur la plage, dans les bras l'un de l'autre.
Moshe arriva à la table du petit déjeuner, torse nu, les cheveux en bataille et une cigarette à la main, sans nous saluer il alla la fumer sur le trottoir de l'hôtel.
Ça, c'est une belle nuit les amis dit-il de retour dans la cour
Vient prendre ton petit dèj ordonna Sylvain. On va visiter la réserve El Cielo, il parait que c'est superbe. Nous partons dans une heure. Dépêche-toi et vas réveiller ton Adonis. Moshe donne-moi une cigarette.
Quoi dans une heure, mais mon chéri ne sera jamais debout dans une heure. Et puis merde achète des clopes c'est toujours moi qui les paye. Normalement, c'est moi le juif pas toi HAHAHA.
D'accord. D'accord, c'est moi qui achète le prochain paquet. Mais bon soit pas chien. Offre moi une clope.
Grand cœur Moshe tendit son paquet puis il alla réveiller son amoureux.
Bornu tu es prêt me demanda-t-il en allumant sa cigarette à la table alors qu'il est absolument interdit de fumer dans l’hôtel, même dans la cour. J'ai rien dit. J'avais tellement fumé dans ma vie, je le comprenais.
Oui tout à fait je viens avec vous.
En fait tu ne m'as pas dit ce que t'en pensais de mes chroniques.
J'ai pas encore eu le temps de les écouter, j'ai menti. Mais promis, ce soir je prendrai le temps.
J'avais écouté une chronique la veille, avant d'aller à la petite sorcière. C'était celle sur la finale de la coupe du monde de football  entre la France et la Croatie. Je n'aimais pas beaucoup sont état d'esprit bien dans l'air du temps. Il avait une pensée que j'appelle le truquisme et le complotisme. Il disait que la finale était truquée et que ceux qui regardaient le foot étaient des moutons et des cons. Hélas il avait tort au moins sur le premier point. Les français avaient gagné à la régulière, en étant petit joueur, en refusant d'attaquer, c'était un jeu absolument laid, fondé uniquement sur les erreurs de l'adversaire, aucun panache, aucune prise de risque. La France et son entraîneur, le laborieux Deschamp était une honte pour le football, il ne faisait rêver personne. C'était le même cauchemar que la coupe du monde 98 que Deschamp avait déjà gagné comme joueur avec une équipe qui avait refusé le jeu. Par deux fois l'équipe de France avait montré qu'elle n'était pas présente pour enchanter le monde mais pour gagner à n'importe quel prix ! Il y avait en effet de quoi détester ce consensus qui s'effectuait au lendemain des victoires. Seulement Sylvain ne parlait pas tant de foot que des imbéciles et des cons. Il y avait quelques chose du donneur de leçon dans ce qu'il disait. Mais il le disait bien, il était à l'aise devant l'écran, sa cigarette à la main (ou la cigarette de Moshe), les mots lui venaient facilement et tout n'était pas faux dans ce qu'il disait, loin de là. Notre chroniqueur avait quand-même entre trente et cinquante milles followers, beaucoup plus que je pouvais rêver en avoir sur mon  propre blog.  
Une heure après, je ne sais par quel miracle, nous étions en route pour la réserve Del Cielo située dans la forêt à une heure de marche du village.
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Pour ceux qui pénètre pour la première fois dans  ce type de forêt, c'est un émerveillement. 
La forêt en elle-même est un mythe dont le cœur est l'arbre, grand seigneur végétal sans lequel aucun monde terrestre n'est possible. L'arbre parle, raconte des histoires, de nombreuses histoires. Il fait peur et il rassure à la fois. Si l'arbre est perte d'horizon, il est aussi celui qui accepte qu'entre ses racines un chemin conduise à un nouvel horizon. L'arbre devenu forêt est matière à rêver et on ne rentre jamais dans la foret sans une certaine appréhension.
Après avoir visité la réserve del Cielo, Sylvain marche en tête, fier comme un paon, avec une canne qu'il s'est fabriqué dans un solide morceau de bois. Il porte un sac à dos qui semble lourd tant le tissu est tendu à craquer. Il a mis  des chaussures de marche, Moshe et Alberto le suivent. Ils sont en tongue et débardeur. Ils se sont faits des cannes avec des bambous trouvés à côté de la cascade. Je suis derrière, moi aussi avec une canne en bambou et des sandales et, comme je ne vois pas souvent ce type de forêt, j'ouvre grand mes yeux. Sylvain s'est arrêté. Il nous fait face, en tenant sa canne comme un monarque, puis il la dirige vers une plante dont les feuilles ont des veinules rouges.
C'est quoi ça, hein c'est quoi ça mes compagnons demande-t-il. Vous ne savez pas ?
Et comme personne ne répond , il dit avec un accent français à couper au couteau.
El Corazon de Jesus. Je vous traduis ?
Non j'ai dit spontanément et j'ai été surpris. Moshe l'avait dit en-même temps que moi. Cela a produit une cascade de rire qui entraîna Alberto, même si je ne suis pas sûr qu'il nous ait compris. 
Sylvain resta droit comme un piquet, son morceau de bois planté dans le sol et le regard tourné vers les cimes des arbres, comme si nous n'existions pas.
Ignare dit-il vous êtes tous des ignares.
Il reprit sa marche sans se soucier de nous, levant sa canne et donnant des noms aux arbres et aux plantes, tandis que derrière lui, nous marchions en nous tordant de rire. Nous n'étions pas respectueux. Sylvain n'avait aucune autorité et je le pensais si imbu de lui-même que je le croyais près à un coup de folie. Mais non, il nous laissa rire jusqu'à ce que nous nous en lassions, puis il s'est arrêté de nouveau devant une rivière où, détendu, il nous a souri. Je crois que je n'avais jamais vu ce genre de transformation sur le visage d'une personne. Sylvain si sérieux d'habitude, avait un sourire profondément énigmatique et sincère. Depuis que j'avais fait sa connaissance, je ne trouvais pas ce type sympathique, mais sans hésiter, à ce moment-là, il aurait pu me demander n'importe quoi, je l'aurai accepté comme si c'était mon meilleur ami. El Cielo est une réserve aménagée à une heure de marche du village de Capurgana, un sentier puis un escalier en bois nous avaient mené jusqu'à une jolie cascade où nous nous étions baignés ensuite nous avions été jusqu'au sommet d'une colline d’où nous avions une vue  plongeante sur l'océan. La forêt était épaisse, les fougères avaient des feuilles de plusieurs mètres de long, les arbres étaient démesurés, il y avaient des quantités de papillons dont un bleu turquoise grand et rectangulaire comme une feuille d'un carnet de poche. Nous avions aussi rencontré une multitude de rivières que nous traversions sans problème car on avait de l'eau en dessous du genou. L'air vibrait intensément et même si nous étions tout le temps à l'ombre, après 5 minutes de marche nos vêtements dégoulinaient de sueur. Le taux d'humidité devait être à 90%. Parfois un rayon de soleil s'infiltrait sous la canopée et c'était un plaisir de sentir cette piqûre de chaleur sur sa peau.Sylvain, volontairement sans doute, vient de s’arrêter sous un de ses rayons de soleil qui lui éclaire une partie du visage. On dirait un clair obscure d'un maître flamand! Je me dis que notre chroniqueur a le génie de sa propre mise en scène, et, de nouveau, je le trouve tel que le voyais auparavant, un rien cynique et hautain.
C'est là qu'on se sépare mes compagnons, profera-t-il. Je continue l'aventure sans vous. Votre chroniqueur a décidé de passer à l'action.
Moshe s'approcha.
Tu es devenu fou ou quoi. Depuis le temps qu'on voyage ensemble, tu ne vas pas m'abandonner comme le Petit Poucet au milieu de cette forêt qu'on dirait sortie d'Avatar. J'ai besoin de toi mon joli compagnon.
Sylvain  lui passa une main autour du cou.
Roberto garda le silence, indifférent à cette scène, il regardait ailleurs, le vol d'un de ces papillons bleu turquoise.
Qu'est-ce que tu veux nous dire j'ai demandé à Sylvain. On est au milieu de nulle part et le seul moyen de sortir du village c'est de prendre une lancha et de retourner à Turbo.
Il ne m'a pas donné de réponse car le coyote est arrivé à ce moment-là  et nous voyant il a aussitôt mis un foulard sur son visage. En Amérique du sud et central, le coyote est le nom des passeurs de migrants. derrière lui, ils le suivaient. Ils étaient plus d'une vingtaine. John le mécanicien de Kinshasa marchait en tête et il tenait sa fille dans ses bras, derrière sa femme portait un énorme sac sur sa tête. Il y avait au moins deux pakistanais ou afghans, plusieurs érythréen dont ce jeune homme aux yeux d'un bleu magnifique et fermant la marche 4 femmes en boubou  portaient, comme tout le monde, des bottes de caoutchouc et des gros sac de plastique noir sur leur tête. Moins d'une heure après avoir entrepris leur marche dans l'immense et très dangereuse forêt du Darien, eux aussi dégoulinaient de sueur.
Buenas dias cria gaiement Sylvain.
Buenas dias répondit le coyote.
J'ai fait un salut de la main à John et à sa femme. Toutes et tous se taisaient. John m'a fait un petit geste en retour.
Comme vous pouvez maintenant vous en rendre compte, notre petite balade dans la réserve del Cielo n'était qu'un prétexte dit-il. J'avais déjà négocié avec ce monsieur et il nous montra le passeur de migrants. Votre chroniqueur préféré a décidé de partir avec ce nouveau sel de la terre abandonné de tous. Oui je m'engage à mes risques et périls. Et rien ne me ferra revenir en arrière. Je pars avec eux. S'il m'arrive quelque chose Moshe, je t'ai laissé une clé USB à l’hôtel avec l'enregistrement de ma chronique d'outre-tombe. Je t'ai aussi laissé mon code dans une enveloppe pour que tu l'envoies sur Youtube. On ne sait jamais, ajouta-t-il bravache. Mais il n'y a aucune raison que je ne rentre pas. Je suis solide comme un roc moi.
Une partie des migrants souriaient, les congolais. Les autres ne parlant qu'anglais, restaient de marbre.
J'ai pris mon passeport, de l'argent ajouta-t-il, mon mac et 5 paquets de cigarettes. Ce monsieur m'a dit qu'après 3 jours de marche il y aura une route. Je rentrerais en avion ou avec une lancha. Je compte être de retour dans 5 ou 6 jours.
Aux anges, il souriait. Je vais leur montrer ce que c'est qu'un vrai chroniqueur. Je vais leur monter ce que c'est que d'en avoir. Je vais faire le buzz  sur Youtube moi et vous verrez, je doublerai ou même triplerai mon audience.
Et il leva le poing comme s'il venait de marquer un but.
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Six jours étaient passés et Moshe fumait comme un pompier depuis qu'Alberto était parti . La veille de son départ, il était allé danser seul  à la petite sorcière, et il avait rencontré un ingénieur de Medellin qui lui avait promis un bon job, la possibilité d'avoir un avenir et ainsi d'aider financièrement sa famille restée à Caracas. L'ingénieur avait un air vieux car voûté et portant une barbe. Je l'ai vu quand ils ont pris la lancha pour retourner à Turbo. Je voulais dire au revoir à Roberto. Il m'avait souvent regarder du coin de l’œil quand il embrassait Moshe et, dès qu'il m'a vu sur le port, il m'a entraîné dans un coin où son ingénieur ne pouvait pas nous voir, il m'avait embrassé à pleine bouche et je l'avais laissé faire. Il m'avait donné ses coordonnée Facebook et Messenger et je lui avais promis de l’appeler quand je passerai à Medellin. Mais nous n'étions pas dupe. L'un et l'autre savions que je ne l’appellerai pas.
Depuis Moshe fumait donc comme un pompier. Mais ce n'est pas seulement à cause d'Alberto. D'avance il savait qu'un jeune vénézuélien de 20 ans, avec le drame qui se passait dans son pays, avec aussi sa jeunesse et ses rêves que peuvent avoir les jeunes, surtout ceux qui fuient leur pays pour des mondes meilleurs, oui il savait, car Moshe n'était ni stupide ni suffisamment amoureux pour ne pas reconnaître dans sa rencontre avec Alberto qu'une amourette de passage, une rencontre certes superbe - car Alberto était superbe - mais qui ne se prolongerait pas au-delà d'une semaine ou deux.
C'est aussi ça, m'avait dit Moshe, les voyages. Des personnes qu'on aime et qui passent. Ce voyage, s'il m'apprend quelques chose de ce monde, c'est  que je n'ai pas d'autres choix que de me contenter de l'éphémère. AHAHA. Alors que l'on parle toujours d'amours éternels. Connerie que l'amour Bornu ! 
Il fumait donc comme un pompier aussi et avant tout parce qu'il n'avait eu aucune nouvelle de Sylvain depuis 6 jours. J'étais aussi inquiet.  Pour lui,  mais aussi pour Johnny, sa femme et sa fille. Ils étaient jours et nuits dans cette immense jungle sans route et sans aucune aide possible de l'extérieur. J'imaginais cette petite fille de trois ans les yeux ouverts dans la nuit. Elle devait être terrifiée. Entre deux coupures d’électricité j'avais été chercher quelques informations sur internet. Par Capurgana, l'année précédente, on estimait à 8000 les migrants à tenter la traversée de la forêt du Darien. On ne connaissait ni le nombre de ceux et celles qui avaient réussi à traverser le Panama et atteint le Costa Rica, ni le nombre de morts. Mais tout le monde sait qu'on ne traverse pas une des forêts les plus dangereuses du monde sans risques et périls. Il ne pouvait en être autrement, il y avait de nombreux morts. Des morts de toutes les guerres et de toutes les misères du monde. Ces migrants pensaient trouver à Capurgana, la petite porte qui ouvrait sur ce paradis des pays occidentaux et en particulier des États-Unis et du Canada et, devant eux, ils ne trouvaient qu'une forêt infernale dans laquelle aucun de leurs cris ne pouvait être entendu. Quel courage et quelle nécessité les poussaient jeunes, hommes, femmes, enfants à traverser la  Colombie et le Panama  en risquant leur vie dans des conditions aussi difficiles et avec si peu de chance d'y arriver ?
Sylvain était ce qu'il était, mais il n'avait pas manqué de cran en les accompagnant. Si son témoignage pouvait servir à quelque chose, on pouvait lui tirer notre chapeau. Mais encore fallait-il qu'il revienne. 
C'est ce qu'il fit.
8 jours.  8 jours il a mis à revenir. 
De retour de la plage, je l'avais retrouvé dans les bras de Moshe. il avait les dents serrés. Il tremblait. Il ne m'avait pas dit bonjour. D'ailleurs, il ne semblait pas me reconnaître. Creusés par les cernes, ses yeux étaient éteints. Sale des pieds à la tête, ses ongles étaient noirs de terre. Il puait. Même d'où j'étais, je sentais son odeur. Et ses vêtements étaient en loque. Il ne devait pas être de retour depuis longtemps. D'un geste Moshe m'a fait signe de le laisser seul. Je suis donc allé à une des tables sur le trottoir et je me suis assis à côté du patron de l'hôtel, un jeune et gros allemand charmant et très serviable. Sa mère était à côté de lui. C'est elle qui avait acheté l’hôtel quand les premiers touristes étrangers étaient venus dans la région, il y avait  seulement 5 ou 6 ans. Avant la région était aux mains des brigands,  des narcotrafiquants,  des Farcs (Force armées révolutionnaires de Colombie) et des paramilitaires* d’extrême droite. Aujourd'hui, on disait la région pacifiée. Si les Farcs avaient bien déposé les armes, les paramilitaires, les brigands, les narcos n'avaient pas disparu. Ça aussi tout le monde le savait. Le nouveau gouvernement comme l'ancien n'avait aucune volonté de changer la situation surtout chez les paramilitaires qui avaient nombre d'amis dans tous les gouvernements.
Je croyais n'avoir plus rien à faire à Carpugana et j'étais décidé à prendre une lancha pour le port de Turbo, dès le lendemain, d'où partaient des autobus pour Medellin.
J'attendais le soir pour faire mes adieux à Moshe et Sylvain. Ceci bien sûr n'était pas dénué de curiosité sur ce qui était arrivé à Sylvain ainsi  que de crainte pour la vingtaine de migrants.
Ce fut une surprise, excepté les profondes cernes sous les yeux, Sylvain avait retrouvé sa superbe. Il semblait encore plus sûr de lui qu'avant son voyage dans la forêt et son sourire, quasi permanent, ressemblait à celui d'un fou prêt à vous découper en morceau. Je me trompais peut-être, parce qu'au moment où il a pris sa tasse de café et l'a portée à sa bouche, il tremblait si fort qu'il en renversa la moitié. En face de lui Moshe buvait une bière. Il avait un regard sombre que je ne lui connaissais pas.
Salut l'écrivailleur m'a-t-il lancé. Alors tu viens aux nouvelles, comme Moshe et comme les autres. On aimerait bien savoir ce qu'il s’est passé. Mais vous n'êtes pas digne de savoir quelque chose.
Je viens vous dire au revoir. Je pars demain matin pour Turbo.  Bien sûr Sylvain, j'aimerais savoir ce qu'il vous est arrivé.
Ce qu’il m'est arrivé rectifia-t-il. Ici il n'y a que moi. Il n'y a donc que moi qui peut raconter les événements.
D'accord ce qui t'es arrivé.
Je raconterai rien. Vous le méritez pas dit-il .
Moshe souffla, tu commences à me les broyer menues, toi et ton ego de superstar. Tu es parti avec eux parce que tu devais faire le buzz avec ta chronique, rappelle-toi. Tu voulais raconter cette histoire de migrants au monde entier. Alors commence par nous.
Non j'ai changé d'idée, je ne raconterai rien. 
D'accord j'ai dit à Sylvain je pars demain matin à 7h30. Bonne route à vous deux, pour la suite de votre voyage.
Moshe s'est levé et m'a pris dans ses bras, un long moment
Prend soin de toi frère dit-il. Ça m'a fait plaisir de te connaître.
De même pour moi Moshe.
Sylvain nous regardait avec une tête d'assassin et de boudeur. Il se leva précipitamment et quitta l’hôtel.
Excuse-moi me dit Moshe, je vais le rejoindre.  Depuis qu'il est rentré, il est plus tout à fait le même.
J'ai préparé mon sac à dos et j'ai été faire un dernier petit tour de Capurgana. Je suis allé jusqu'à la petite sorcière qui était fermé parce que la boîte de nuit n'ouvrait qu'en fin de semaine et me suis assis sur la plage.  Il y avait quelques lanchas amarrées au large. Le long de la côte, on devinait la forêt d'où quelques lumières immergeaient. Derrière ces derniers feux, il y avait l'immensité de la jungle, un no mans land où aucune loi d'état ne s'appliquait et un trou noir de notre monde contemporain dans lequel bien des hommes disparaissaient. Un faisceau de lumière a traversé mon regard, s'est posé sur ma tête, mon corps puis s'est éteint.
Je te cherchais dit-il en s’essayant à côté de moi. Excuse-moi pour tout à l'heure.
Aucun problème Sylvain. Cela n'a pas dû être facile.
Non.
Puis un long silence s'est installé. J'entendais très distinctement le bruit du ressac. Un chien s'est approché de nous et nous a flairé. Sylvain devait être immobile, le regard perdu, le chien s'éloigna. Il prit du sable à pleine main et le laissa couler entre ses doigts puis il reprit la parole.
Tu sais que tu as un beau petit brin d'écriture dit-il, sans doute pour se concilier mes bonne grâces. Mais le ton était vraiment obséquieux
Merci j'ai dit, car peut-être que dans la bouche de Sylvain c'était un compliment.
J'ai besoin de toi Bornu dit-il dans un souffle presque éteint.
Comment ça Sylvain tu as écrit un livre tu en écris un autre et tu as ta chronique sur Youtube. Tu n'as pas besoin de  moi
En effet dit-il en regardant la mer, j'ai beaucoup de talent. J'ai toujours excellé dans tout ce que j'ai entrepris. 
Il affirmait cela avec tellement de tristesse dans la voix qu'on ne pouvait que le croire.
Peut-être trop continua-t-il sans me regarder. Je manque d'humilité n'est-ce pas ? Ego trop fort. Imbu de ma personne. C'est ça que tu penses. Comme tout le monde d'ailleurs. Je m'en fous de ce que tu penses. Quand on a du génie comme moi, on n'a pas beaucoup d'ami. Moi j'ai Moshe et puis entre trente et cinquante milles followers. Ce n'est pas à toi que ça arriverait, hein Bornu.
Tu es sûr que tu as besoin de moi, je me suis énervé, car oui  tu es un con imbu de ta personne et à l’ego surdimensionné. Tu as de la chance d'avoir un copain comme Moshe. il y a longtemps qu'à sa place je t'aurai laissé tomber. Si tu es venu pour me dire que tu as du talent et moi pas du tout, tu peux continuer ton chemin. Je suis certain qu'avec ton génie tu vas très bien te débrouiller sans moi.Non, non, je m'excuse Bornu, j'ai trop peur. Je ne peux ni en parler en publique ni l'écrire. Je suis un homme mort si je parle. Il n'y aura pas de chronique sur Youtube. Trop dangereux.
Si je comprends bien, tu veux que je parle à ta place.
Exactement. Toi aussi tu as un petit peu de talent. Tu y arriveras.
Merci de cet immense compliment mon cher Sylvain, mais j'arriverai à quoi ?
je vais te raconter tout ce que tu veux et toi tu l'écriras sur ton blog  "Un carnet (latinoamerica)".
Sylvain tu es conscient que j'écris pour vingt personne. C'est le gros maximum. Alors que toi, tu as entre entre 30 et 50 mille  followers sur Youtube. Je ne joue pas dans la même division que toi.
Ça me va, ça me va, ça me va. Il ponctua ces répétitions de coups de poing rageurs dans le sable.
Si je comprends, tu as eu des menaces. Et qu'est-ce qu'il m'arrivera si j'écris à ta place ?
Rien du tout. Ils ne connaîtront que ton nom de blogueur. J'en ai besoin Bornu. Il faut que tu écrives, même si c'est lu par une infinité de gens. Fais ça pour moi, s'il te plaît. Pour que je puisse continuer à me regarder dans la glace. Et puis pour eux aussi . Pour elle. Pour lui.
Sylvain m'avait dit s'il te plaît. S'il n'était déjà assis, il se serait peut-être mis à genoux.
D'accord j'ai dit. Je vais l'écrire ton histoire mais à ma manière, j'ai carte blanche.
Oui oui tout ce que tu veux. je dois te raconter. Tu as pas besoin d'un dictaphone ? j'en ai un dans mon sac tu sais, je te le donne si tu veux. J'ai toujours travaillé avec un dictaphone.  C'est un bon pense-bête, tu devrais. 
Non merci pas la peine, je t'écoute.
Voilà Bornu. Cette histoire je l'appelle le jeune l’érythréen aux yeux bleus.
Je verrai Sylvain, c'est moi qui déciderai du nom de l'histoire.
D'accord, pardon, voilà comment ça s'est passé. 
Il s'approcha, baissa la voix et me parla quasiment dans l'oreille. Il me parla longtemps.
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Comment raconter en quelques phrases l'histoire de Sylvain et des vingt-trois migrants qu'il accompagna ? Pendant ces quelques jours dans la jungle, il avait enregistré une foule de choses. Bien plus que l'on ne peut en enregistrer dans une journée sans importance. Il existent quelques heures ou quelques jours dans une vie qui valent en bonheur, mais le plus souvent en malheur et en souffrances des mois voire des années d'une existence normale. Je vais essayer de vous dire le principal depuis le moment ou le coyote les entraîna dans la forêt et qu'ils passèrent au Panama.
Très vite Sylvain s'est rendu-compte que ce serait l'horreur. Une fois qu'on a dépassé la réserve del Cielo, avec ces quelques chemins balisés pour nous les touristes, il n'y a plus rien. On prend des sentiers quasiment invisible pour un étranger. C'est vraiment l'enfer dès le début et ça dure et ça dure. On monte. On n’arrête pas de monter et il y a de la boue partout. Sans bâton tu tombes, tu te relèves tu mets tes mains n'importe où. Piqûres.  Il y a des araignées partout aussi. Elles sont affreuses. Pauvre John qui portait sa fille. Il est tombé dès le début. Il était recouvert de boue. J'avais envie de m'arrêter toute les 10 minutes. C'est infernal les côtes. On grimpe on a mal. Après c'est les descentes et c'est encore pire, ça glisse tout le temps, les jambes tremblent, on a soif, parfois on voit le soleil mais c'est pas mieux car dès le premier jours on craint la nuit. Je suis resté 6 jours dans la forêt du Darien et j'ai eu peur sans arrêt pendant six jours.
Et la petite ? Comment ça se passait avec la petite, j'ai osé lui demander dans son histoire qu'il disait de façon halluciné et quasiment sans respirer?
De bras en bras. Les plus forts la portait chacun leur tour, pas moi. Pouvais pas, par contre sa maman, oui. Si tu savais la force de ces gens. Sans jamais se plaindre. Ce sont des héros tu sais. Des fantômes dans nos sociétés et des héros de notre humanité. Le courage de ces gens. Une côte on montait, puis une descente, on s'arrêtait 15 minutes et puis on recommençait.  On avait l'impression de marcher sur place, de toujours revenir à notre point initial. Et puis il y a la nuit. On s'est assis ou allongé sur du gravier d'un lit de rivière, il y avait même un peu de sable. C'était mieux que l'humidité et la boue des chemins.  Et c'est là qu'on a entendu un rugissement puis le hurlement d'un congolais. il répétait terrifié, des lions, des lions. il y a des lions dans cette forêt. On s'est tous mis les uns contre les autres. Ce n'était pas un mais deux. Non des lions mais des jaguars. Tu ne peux rien faire contre un jaguar. C'est d'une puissance incroyable. La petite s'est mise à hurler. j'ai bien cru que j'allais en faire autant quand j'ai vu les yeux d'une des bêtes dans la nuit. Tu aurais vu notre terreur. Le coyote nous a calmé. Il nous l'a montré,  bien en évidence, et il s'est mis devant nous , pour nous protéger, on croyait. Entre ses mains, il avait un fusil ce salaud. Deux fois j'ai entendu le rugissement d'un jaguar. Jamais je ne l’oublierai, j'en ai encore les cheveux qui se dressent sur la tête. On avait faim aussi. La seule chose qui ne manquait pas c'est l'eau. J'ai jamais bu de l'eau aussi bonne.
Quoi qu'est-ce que tu me demandes ? 
Non on a perdu personne les deux premiers jours. C'est fou car si tu t'éloignes du coyote, pour aller aux toilettes par exemple, on doit t'attendre, sinon tu es mort, perdu à jamais. On a aussi évité l'armée du Panama. On s'est allongé dans la boue, ils nous cherchaient. Non. Ça c'est au début. l'armée, après il y a les brigands, les narco, les paramilitaires. Il y a du monde dans la jungle. A côté de moi, Il y avait un africain de Sierra Leone, qui avait déjà traversé la forêt. Il s'était fait reprendre avant le  Costa Rica. Il avait des faux papiers colombien car il ne voulait pas être reconduit en Sierra Leone où toute sa famille avait été assassinée. Il était l'unique survivant. Là-bas il était condamné à mort par ceux qui avaient assassiné sa famille. L'armée du Panama l'a donc reconduit en Colombie et trois mois plus tard il était avec nous, tentant encore une fois de passer. Il m'a dit, les animaux, les serpents, les araignées, les moustiques, la pluie les maladies, oui cette forêt est dangereuse. Mais mille fois plus dangereux sont les hommes qui se la sont appropriés. Qu’est-ce qu'il voulait me dire ?
Au matin du troisième jour, il n'était plus là, il avait disparu ce salaud, plus de coyote. Tu peux imaginer cela, 23 personnes souffrantes, affamées, épuisées et isolées dans une jungle sans qu'aucun et aucune d'entre nous ne connaisse un chemin pour s'en sortir. On a connu l'enfer de l'enfer. On s'est repéré à la boussole. Saloperie de forêt, tu n'as aucun point de repère là-dedans. Tu peux tourner en rond des jours et des jours. Il y a des gens tellement hallucinés et désespérés qu'ils ont essayé de traverser le tampon du Darien*,  seul. Le plus incroyable c'est qu'il y en a qui y sont arrivés. Un sur combien ?
On est tombé sur eux le quatrième jour. Ou est-ce qu'on était ? incapable de le dire. La seule chose que je sais. c'était  la dernière fois  que je me suis lavé dans un rivière avec les autres. C'était un vrai guet-apens. Je me demande s'il n'était pas de mèche avec eux le coyote ? Oui bien sûr. Tous de mèche, tu peux être sûr, la douane et l'armée du Panama et de Colombie, les brigands, les narcos et les paramilitaires, tout le monde se nourrit sur le dos des migrants. Ils gagnent à tous les coups. C'est tellement facile. Ils sont si faibles et sans défense. Eux ils étaient bien armés, il étaient 16, je suis sûr, je les ai compté. ils nous ont tout pris, tout. Même le lait concentré de la petite fille. Mon mac à deux mille boules que j'avais emmené avec moi pour faire ma chronique au Panama une fois arrivé. une fois arrivé où ? Et puis ils ont vu le jeune érythréen.
Un long silence s'installa, dans lequel 2 fois je l'entendis aspirer à fond la fumé de sa cigarette. 
Oui Sylvain le jeune érythréen.
Il aspira encore une grande taffe et jeta sa cigarette au loin.
Je ne peux pas. Vraiment. Ils n'aimaient pas les yeux bleus. ils ont joué avec lui. j'ai voulu l'aider, j'ai pris un coup de crosse. Une femme a crié et les a traité de chien. Ils ont sorti une machette. Un machette tu te rends compte ?
Oui.
La pauvre ils ne lui ont pas laisser une seule chance et lui c'est encore pire.
Qu'est-ce que tu veux dire Sylvain ?
Elle au moins elle ne souffre plus.
Sylvain qu'est-ce que tu veux dire ?
Non ils ne l'on pas tué les salauds, non. Simplement ses yeux. Ils ne les aimaient pas. Une peau noir, des yeux bleus, ça porte pas bonheur a dit un paramilitaire en riant. L’érythréen est parti en courant, il avait compris lui. Mon dieu. On est tous partis dans tous les sens mais ils n'ont pas tiré un coup de feu. De toute façon ils nous avait déjà tout pris.  Je sais plus . Si je sais. Ils l'ont rattrapé je m'en rappelle. Ce sont des bêtes les paramilitaires, ce ne sont plus des humains. Mon dieu, si jeune. Il faut l'écrire, les dénoncer. Un jeune qui rêvait d’une meilleure vie. Il n'est peut-être pas encore mort. Les salauds faire ça à cause de la couleur de ses yeux et en plus il jouait avec lui alors qu'il criait de douleur. Il faut l'écrire dit-il en fixant la mer et en serrant mon poignet de ses deux mains.
Foutu pays où les paramilitaires font toujours la loi. Ce jeune érythréen dans cette forêt monstrueuse a une espérance de combien de jours ou plutôt de combien d'heure dans l'état ou l'avait mis le paramilitaires ? J'espère qu'il est mort. On s'est retrouvé 10 personnes sur les 22. On est resté ensemble, affamés, on n’avait plus rien on ne savait pas quoi manger dans la forêt. Et puis au 6ème jour on est tombé sur une communauté d'indiens Kuna. Ils nous ont pris en pitié. Nous non plus, on n’était plus des êtres humains, mais des zombies titubants et marchant tête baissé. Non. John, sa femme et sa fille n'étaient pas avec nous. Ils nous ont conduit à la police on était plus qu'à deux heures du premier village panaméen. J'avais ma carte bleue, mon passeport. Je les avait laissé dans mon slip. Ce n'était même pas la peine de leur parler des paramilitaires colombiens, commettant des crimes au Panama. C'était le dernier de leurs soucis. Les migrants ont été mis dans un camp. Il y avait déjà une vingtaine de personne dans ce camp. Moi comme j'avais mes papiers, ma carte bleue j'ai loué une lancha pour renter aussitôt. 7 heures de route en lancha c'est 6 jours de marche. Je ne sais pas combien ça fait de km, mais c'est beaucoup. Les autres, dans quelques jours, les militaires les reconduiront à la frontière.  Ensuite l'armée colombienne les reconduiront à leur tour jusqu'à Turbo* Et ces nouveaux damnés de la terre devront  recommencer. Trouver de l'argent, puis une lancha à Turbo pour arriver à Capurgana,  payer un nouveau coyote et prier tous les saints du monde pour réussir à traverser cette forêt sans tomber sur des narcos, des paras ou des militaires. Je leur ai donné tout l'argent que je pouvais, mais c'était une goutte d'eau pour soulager toutes ces souffrances. Et j'ai tellement peur que je peux même pas en parler dans mes chroniques. Je ne peux m'empêcher de penser à lui tout seul dans la forêt et à cette pauvre africaine dont il ne reste sans doute plus rien que notre souvenir.
Tu pourras écrire tout ça Bornu ?
 A nouveau il prit une pleine poignée de sable qu'il laissa couler entre ses doigts. Et puis ses beaux yeux bleus. tu pourras vraiment ?
Oui.
XXXXX
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Je n'ai pas écrit cette histoire tout de suite. J'ai pris le lendemain matin la lancha pour rejoindre Turbo. Il y avait un peu de mer mais la houle et le vent nous portaient. Ça ne cognait pas. A peine arrivé à Turbo j'ai pu attraper un autobus en partance pour Medellín. C'est à Medellín que j'ai écrit cette histoire. J'ai trouvé un petit hôtel avec un  beau jardin ou je pouvais écrire en paix. Je devais faire vite car mes amis, rencontrés à Bogotá, arrivaient dans trois jours et nous avions l'intention de connaître la ville, ce qui voulait dire faire des bars, des concerts et peu dormir.
Sylvain, Moshe. Je leur ai envoyé mon carnet (latinoamérica) comme je le fais pour vous. Pour l'instant je n'ai pas eu de réponse de la part de Sylvain. Ce qui est une bonne chose. S'il avait détesté mon texte, je suppose qu'il me l'aurait déjà fait savoir. Tout ce que je peux vous dire à son sujet c'est qu'il a retrouvé tout son mordant. Sa dernière chronique, a dépassé les 55 000 followers. Quant à moi, je n'ai - et probablement - n'aurai pas de nouvelles de John, le mécano de Kinshasa, ni de sa femme et de sa fille. Je ne peux qu'espérer qu'ils s'en sortent et qu'enfin arrivés aux États-Unis ou au Canada, ils se construisent une vie digne et heureuse.
C'est la fin de la "trilogie trouble de l'économie politique du voyage". Mais celui-ci continue avec d'un côté eux, les invisibles du monde qui risquent si souvent leur vie pour passer les frontières et, de l'autre, moi, nous, les bien assis dans notre confort, qui voyageons les doigts dans le nez parce que nous sommes nés, là où tout est plus facile, de ce côté-ci de la frontière.*
Encore une fois, je vous promets (même si je ne tiens jamais cette promesse) que les prochains textes seront beaucoup plus courts.
Prenez soin de vous.
Capugana, Medellin, août 2018
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*La Forêt Du Darien est une forêt primaire  de 160 km de long sur 50 km de large. Elle est prolongée côté Colombie d'un marécage d'environ 80 km de long. Aucune route ne la traverse. La panaméricana qui traverse les Amériques de l'Alaska jusqu'à la Terre de Feu au Chili s'interrompt  donc dans cette région. La seule tentative réussi en voiture à été effectuée entre 1985 et 1987 en Jeep, par Loren Upton et Patty Mercier. Ils mirent 741 jours pour parcourir 201km  soit... 271mètres par jour !
La région du Darien abrite  les indiens Wounaans et kunas. Ils seraient à peu près 2000. Cette région étaient avant tout une zone d'activité des paramilitaires d'extrême droite, de l'ALN (armée de libération nationale ) et des Farcs aujourd'hui démilitarisées et intégré à la vie politique légale du pays. C'est cette région, où le droit n’existe pas,  et jugée infranchissable, que des milliers de migrants doivent parcourir à pied. Ceux qui survivent à cette forêt mettent entre 6 et 10 jours pour la traverser.
*Les paramilitaires constitue une force auxiliaire de  l'armée colombienne regroupés dans les AUC (autodefensas unitades de Colombia). La plupart des crimes de leaders syndicaux, des massacres de populations pauvres ainsi que des milliers de viol dans le but de punir ces populations soupçonnées d'être  sympathisantes des Farcs (force armée révolutionnaire colombienne, leurs sont attribués.En 2005, Leur grand ami et président de la Colombied’alors,( et aussi le  plus grand des voleurs, dépassant largement Escobar. Il se considère même comme le propriétaire du pays) Alvaro Uribe  désarme les paramilitaires contre une impunité quasi totale. Officiellement les AUC n'existent plus depuis cette date. Mais dans la réalité, ils sont toujours utilisés par les grands propriétaires terriens et des grosses entreprises comme Coca cola pour assassiner les leaders syndicaux et les militants paysans. Ils sont payés par l'oligarchie  et les grosses entreprises du pays ainsi que par le commerce de la cocaïne comme c'est le cas dans notre histoire, en la faisant passer de la Colombie au Panama. L'extorsion des biens des migrants est une de leurs sales activités annexes .
*Ce texte à été écrit d'après un long et excellent article du journaliste Colombien , Juan Amorocho Becerra dont voici le lien  internet.
http://www.elcolombiano.com/colombia/crisis-de-migrantes-ilegales-en-capurgana-choco-EL8287053.
Et pour finir, écoutez cette vidéo de Systema Solar à fond. C'est excellent
Plein de belles choses pour vous et à bientôt.ère
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