Mon carnet de bord. Choses qui me touchent, vues et entendues ailleurs, choses que je fais parfois, de plus en plus souvent. Laboratoire du petit et du modeste plutôt que du sublime et du grandiose.
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Très beau roman de la jeune croate Magdalena Blazevic.
Elle s’attache à raconter la vie fauchée par la guerre qui déchira la Yougoslavie dans les années 90, celle d’Ivana, quatorze ans, qui vivait son dernier été sans le savoir.
Le livre est très poignant car il explore d’un côté la beauté de la vie rurale, la nature, les fleurs, les recettes, les petits gestes du quotidien mais aussi leur rugosité, les corps des uns et des autres, pas toujours pimpants, parfois usés, malades, mais les embrasse dans un regard joyeux, heureux, non pas insouciant mais souriant, à hauteur d’enfant ; de l’autre côté, le récit adopte une étrange narration, en se faisant tout à la fois surplombant, comme un caméra qui viendrait du ciel et zoomerait sur des scènes, des détails, et en même temps intérieur à la conscience d’Ivana qui perd la vie. La narration nous invite à visiter les lieux de bonheur, à observer les angéliques, les myrtilles, les bois usés et poussiéreux d’un rebord de fenêtre, et également, des bouts de scène, épars, des éclats de violence qui tuent la toute jeune fille, puis les conséquences de ce deuil insupportable pour sa famille.
Ce va-et-vient constant entre beauté, simplicité et horreur quasi muette crée un effet efficace dénonciation implicite de l’absurdité des conflits et suscite une émotion forte chez le lecteur.
Il énonce assez crûment que la guerre est aussi bête et radicale que la fin d’une vie imparfaite mais pleine de bonheurs simples. On peut trouver le message simpliste, mais ce serait oublier qu’il est aussi simple que crucial. Guerre aveugle qui supprime ces joies essentielles, et invalide toutes les promesses.
Une superbe réussite qui hante, avec pudeur et force.
#magdalena blazevic#littérature#litterature#roman#livre#livres#à la fin de l’été#éditions bleu et jaune#littérature croate
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On a adoré la série turque de 2020, Bir Baskadir.
Elle se déroule à Istanbul (qu’on ne voit pas beaucoup hélas), et sa large banlieue, à notre époque. On y croise une dizaine de personnages complexes et variés qui eux-mêmes se croisent, reliés, d’une certaine manière dont ils ne sont pas toujours conscients. La patiente de l’un, la sœur de l’autre, l’employeur de l’une, l’amant de l’autre. Ils évoluent tous dans des milieux différents, très différents parfois, voire même opposés. En gros, on pourrait dire les ruraux attachés à la religion conservatrice et les modernes urbains débarrassés du voile mais perdus à leurs manière, mais cette division binaire ne correspond pas vraiment à la palette des nuances de la série qui est bien plus subtile que cela. Car ils sont toujours surprenants, et changeants.
J’ai adoré Meryem, qui prête son beau visage et sa voix enfantine à un personnage extra, au début déconcertant puis qui révèle des trésors de bonté et d’émotions.
« Une maligne » diagnostique Péri, la psy au visage parfait et faussement impassible, qu’elle consulte pour des évanouissements inexpliqués . Oui, elle est maligne Meryem. Elle navigue à l’instinct d’un monde à l’autre, s’occupe de toute la maisonnée, son frère, sa belle-sœur dépressive et leurs deux enfants, cuisine, lave, range, chez elle, et chez un riche stambouliote séducteur, un homme qui n’est pas de son monde.
Tous ont des secrets et des blessures, tous essaient de trouver un sens à leurs vies, ils se heurtent, se parlent, se taisent, ne se comprennent pas toujours. Au cœur de la série, le profond schisme de la société turque, écartelée entre modernité et tentation occidentale et l’attachement à l’ancienne Turquie unie et pieuse. Peri, la psy, ne supporte pas le voile de Meryem, et ne supporte pas de ne pas le supporter. Manque de tolérance, envie d’émancipation forcée, condescendance sociale ? Le doute est permis.
Le hodja, très beau personnage dont j’ai appris l’existence en Turquie (un professeur, un guide, un sage religieux), est un homme bon, aux solutions un peu usées (le coup des tulipes, hilarant), se montre étonnamment compréhensif, et fait face à deux deuils différents, avec sa foi.
Il y a un parfum de nostalgie puissant dans cette série qui lorgne vers le passé, celui des années 70, dont la musique habite étrangement les images plus difficiles à dater selon qu’on est en ville ou à la campagne. Tout le monde semble un peu égaré, avec cette satanée mélancolie que j’associe si spontanément à Istanbul, aux rives du Bosphore, aux romans d’Orhan Pamuk…
Ici aussi l’amour est beau, fort, follement puissant et souvent silencieux. Il sait écraser la colère de Siyan, le frère de Meryem, déboussolé face à sa femme mutique et souffrante, d’un mal qu’elle ne parvient pas à dire.
C’est une belle série, passionnante sur la Turquie d aujourd’hui ; signe qu’elle est réussie : elle a suscité des discussions passionnées dans son pays, chacun se sentant vaguement raillé, ou choqué. Il n’y a pas de morale ni de bons points distribués mais beaucoup d’espoir, d’émotions et de beauté.
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Je me faisais une joie de retrouver Natalia Garcia Freire dont j’avais tant aimé Mortepeau…
J’ai retrouvé son univers, sombre et torturé, une façon de voir la nature, singulière, et surtout une voix forte, étrange, magnétique. Décidément, cette jeune autrice équatorienne a vraiment une sacrée personnalité.
Je n’ai pas lâché ma lecture, mais j’ai lu le récit dans une sorte d’état étrange, où j’étais happée par les mots, les images hallucinées, frappée par des visions atroces ou superbes, mais je n’ai RIEN compris.
C’est très étonnant comme expérience, et je vois à ma ferveur de poursuivre, que quelque chose en moi était captivé malgré l’absence de sens ! J’étais incapable de clairement identifier les personnages, l’intrigue, la logique. J’étais comme dans un rêve aux accents cauchemardesques.
Finalement, c’est comme si j’avais lu un long poème en prose un peu obscur.
Pourquoi pas. De l’Aloysus Bertrand des Andes ?
(Si quelqu’un a saisi le roman, je veux bien un message, un coup de pouce !)
PS : regardez cette couverture sublime 🤩
#littérature#livres#litterature#roman#livre#natalia Garcia Freire#tu as amené avec toi le vent#éditions Bourgois
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Je ne sais pas quelle est l’édition ci-dessus mais ce n’est pas l’édition française, mais la couverture m’a plu, et peut faire comprendre à ceux et celles qui me connaissent pourquoi j’ai eu envie de le lire… une maison hantée…
C’est un premier roman astucieux et dérangeant, dans lequel une jeune femme et sa grand-mère, vivantes, cohabitent avec les morts pour le dire simplement. Le style employé détonne globalement avec le genre gothique auquel on penserait ; il est largement ironique et plutôt grossier. C’est assez drôle d’ailleurs.
Le propos est hautement métaphorique, car ces deux femmes blessées ainsi que les autres femmes du récit se débattent avec la maison comme on se débattrait avec le déterminisme social. Leur maison est leur prison. On y confond familiarité et haine, attachement et répulsion. Femmes pauvres, elles sont, femmes pauvres elles subissent. Violences ou humiliations, au cœur même du village, plein de ragots et de moqueries, avec leurs propres voisins notamment, qui sont riches.
Les fantômes dans le placard sont les traces des souffrances passées, et du fruit de certaines vengeances plus ou moins réussies.
Je n’ai pas adoré, pas été vraiment happée, mais je trouve que l’idée de départ est assez forte, et que certains passages sont vraiment drôles car terriblement désespérés et exaspérés. On sent la colère qui habite les deux femmes qui font tour à tour entendre leurs voix.
Une vraie personnalité, une vraie voix originale en tous cas que celle de cette jeune autrice espagnole.
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Superbe roman que le dernier de Lauren Groff, deuxième volume d’une trilogie historique entamée avec Matrix.
Je ne m’attendais pas à ça en lisant la 4e de couverture, ce qui m’a conduite, après l’éblouissement premier des retrouvailles du style de l’autrice, à être un peu décontenancée. J’attendais que l’héroïne, une jeune fille échappée d’un camp de colons en Amérique (au début du XVIIe siècle), au cours de sa fuite en plein hiver dans ces terres dangereuses, rencontrât quelqu’un. La narration s’attache à décrire chaque geste de la jeune fille qui doit se débrouiller pour survivre, seule, dans une nature sublime mais sans pitié, ayant davantage peur des hommes que des ours. On la suit de très près, dans les aventures que vit son corps pour s’adapter, garder un température viable, l’estomac souvent vide, on voit ses astuces déployées pour manger, chasser, pêcher, et c’est terrible. On a mal partout, à commencer par les pieds et le clou de cette botte qui s’enfonce…
Puis j’ai compris que nous ne croiserions personne, presque personne, et j’ai replongé dans la beauté de l’écriture, à la fois très crue, lyrique et pleine de vieilles tournures (bravo à Carine Chichereau pour la traduction qui a dû être coton). Le récit, au lieu d’être répétitif, est saisissant, plein de suspense, de beauté, et d’horreur. Lauren Groff adore révulser son lecteur. Il y a des scènes très dures. J’en suis sortie secouée.
Mais l’histoire de cette jeune fille a les accents d’un conte dans lequel tout devient à la fois description minutieuse d’un monde qui mérite d’être regardé avec admiration et respect, et métaphore d’autres combats ; le passé de l’héroïne nous éclaire sur l’horreur qu’elle fuit, sur la réalité de sa condition de servante en Europe, avant d’être embarquée pour le Nouveau Monde, sur les mentalités de domination qui président ces conquêtes sanglantes. Ses réflexions sur la beauté de la nature dénoncent les désastres écologiques à venir, que le lecteur, contrairement à l’héroïne, connaît. Ses réflexions sur la foi font trembler les piliers de la nation puritaine qui va bientôt s’ériger…
En bref, l’existence et la trajectoire de cette jeune fille est comme l’allégorie du parcours d’une libre conscience, et, hélas, le négatif de ce que le futur réserve… de quoi penser que le progrès s’est fait à rebours d’un tas de notions humanistes, ou même philosophiques, qui déplaceraient l’homme du centre du monde, ce qu’il n’est pas, et ce dont elle fait cruellement l’expérience in vivo.
Un livre puissant, au souffle épique, au style ciselé, solennel et sage, plein de réflexions qui bousculent, et de scènes qui fascinent et nous remplissent d’effroi.
#littérature#livres#litterature#roman#livre#lauren groff#les terres indomptées#éditions de l’Olivier#amerique
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Sinon j’ai fait ça ce dernier mois : un Nook Book complet avec trucs achetés et trucs faits maison.
J’ai fait le meuble noir imitation fer forgé, les petits bouquins et magazines, la tasse de thé, le croissant, la clémentine, les minis coussins, les plantes de grande taille dans leurs pots, j’ai peint la chaise en rotin (une merveille de 3D arrivée grise comme les deux petites tables et le chat), le globe à papillons, le mini vase avec une perle et des apprêts de bijoux, la pendule, les bidules dans le meuble mural. Les plantes extraordinaires minuscules ont été achetées dans une boutique Etsy anglaise. J’ai collé du masking tape William Morris au mur, et un papier imitation parquet. J’ai peint le cadre devant. La boîte a été trouvée sur Etsy et elle propose une lumière par au-dessus mais c’est une lumière froide, donc j’ai rajouté une applique murale à pile.
Je me suis éclatée.
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Et voici ma première lecture de 2025, que je commence donc par où je l’ai laissée, avec JCO.
C’est cette fois un roman monstre, énorme, fou, malade, incroyable.
Un livre gigantesque donc, qui défie toutes les normes. On sent que JCO s’est vraiment amusée à l’écrire, à mêler personnages inventés fantasques et personnalités réelles (Mark Twain, Jack London -qui en prend plein la poire-, Roosevelt, le POTUS Wilson… , et à agrémenter sa chronique d’une époque (début XXe) et d’un monde assez clos (Princeton et son université) de grosses louches de fantastique. Car voyez vous, le diable en personne (et sa sœur) s’invite pour ravir une fiancée, fine fleur de ce petit monde raffiné. Il y a des pages insensées sur le domaine des Marécages (château du diable). C’est parfois si répugnant qu’on touche au grotesque.
Le narrateur de ce récit présenté comme travail d’historien, est un personnage douteux, dont on comprend l’identité très tardivement. Ce qui est très drôle, c’est qu’à travers toutes ces histoires de malédictions, il y a l’ironie de l’autrice ; en 1906, l’université américaine de Princeton se prend pour le royaume du savoir et du progrès. Or, tout le monde, même l’intelligentsia, est encore terriblement raciste, misogyne et puritain. On rit et frémit à lire les considérations hypocrites des intellectuels aux différents sujets du droit de vote des femmes, des personnes noires, de la sexualité.
Certes, le socialisme commence à émerger, mais les belles idées n’intéressent pas grand monde, et le personnage d’Upton Sinclar (vrai écrivain socialiste qui eut son heure de gloire en dénonçant la maltraitance dans une usine de viande) incarne l’idéalisme maladif, un peu christique, terriblement ascétique.
Qu’expient les maudits du roman qui se voient punis de façons sévères et rocambolesques sinon ce statut social, cette incapacité à faire ce qu’ils prônent ? Un monde où on se cache pour lire Emily Dickinson, où la sexualité est INDICIBLE -le narrateur refuse de nommer les choses, tous comme les hommes refusent de parler à leurs femmes-, où l’on est mesquin, jaloux et inquiet, où l’on renvoie un enseignant car on découvre ses origines métissées… un monde rongé par la culpabilité (celle par exemple du pasteur Slade, presque comme si son crime était le crime originel), un monde qui refuse de changer, qui se crispe sur ses positions, et que le diable, protéiforme, vient secouer et malmener de manière inventive et sadique. Comme si c’était la seule façon de secouer le cocotier, ou que les pires fantasmes des protagonistes étaient finalement pris au sérieux. C’est horrible et burlesque à la fois. Comme si ce monde-là s’inventait des peurs qui venaient précisément se réaliser.
J’ai bien ri en tous cas, et j’ai trouvé le tout brillant d’imagination, et assez captivant (il y a quelques longueurs, mais ça fait partie du tout, du projet du narrateur -de rajouter des notes, de se montrer exhaustif et faussement méthodique). Bref, je pense que c’est (sauf pour les passages fantastiques) assez fidèle à la mentalité de l’époque, aux façons de vivre prétendument entre gens civilisés.
Un grand JCO, dans la lignée gothique de Bellefleur, mon préféré d’elle, à tout jamais (je pense).
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J’ai entendu cette chanson par hasard dans ma voiture, et ce fut le coup de foudre.
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Ce soir, je réécoute Warpaint, et j’aime toujours autant. Qu’est-ce qu’elles trafiquent ? Elles veulent pas sortir un nouveau disque ?
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Mais voici la dernière lecture de 2024 : celle grâce à laquelle je renoue avec JCO.
J’ai beaucoup aimé celui-là.
Inquiétant, étrange, vénéneux… avec une narratrice ambiguë, soit très lucide, soit très dérangée… mal aimée en tous cas… finalement attachante voire même touchante…
JCO excelle dans ce domaine, créer un univers un peu gothico-thriller, et broder des indices et fausses pistes en plongeant dans la psyché troublée d’une jeune femme malade de jalousie. Ça a parfaitement fonctionné. Le style était soyeux, les détails scabreux, parfois complètement délirants ! L’ironie de la narratrice fait mouche.
Un excellent moment de lecture qui traite l’air de rien de l’ambiguïté des rapports familiaux.
#littérature#livres#litterature#roman#livre#joyce carol oates#48 indices sur la disparition de ma sœur#éditions Philippe Rey
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Bon j’ai pris du retard sur les chroniques de livres, et parfois même j’ai un peu la flemme 😱😱😱!
Bref, voici une des dernières lectures de 2024. C’était très bien. Une histoire personnelle, autobiographique, puis transformée en fable.
Encore les mêmes motifs que dans l’autre « roman » que j’ai lu de lui (Monastère) : l’identité hybride, juive et guatémaltèque, l’enfance parfois malmenée, l’héritage insupportable de la Shoah, l’envie de fuir.
Un style et une personnalité attachants.
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Superbe roman. Andrés Barba a décidément un regard bien singulier sur notre monde, et sur les enfants… comme dans les deux autres précédents que j’ai lus de lui.
Celui-ci m’a vraiment fascinée et éblouie. Par le propos d’une part, qui modernise et transfigure le gothique fantastique : une maison, des fantômes…, mais aussi par la langue, qui est très belle, concise, ciselée, étonnante.
Quelle est l’histoire de cette maison ? De ce petit garçon ? Pourquoi semble-t-il coincé dans un espace temps qui se répète, mais qui semble poreux puisque quelqu’un du présent peut entrer en contact avec lui ?
Des répétitions et de subtiles variations qui semblent dépendre de l’état d’ouverture de l’agente immobilière, de se capacité à écouter et percevoir les émotions de l’enfant, de l’Autre. Une situation angoissante qui amorce pourtant progressivement une résolution grâce à ce lien qui se noue entre les deux personnages, lien illogique, irrationnel et pourtant hautement sensible et en deçà du langage.
Franchement, il faut le lire, c’est inexplicable. Il faut le ressentir, entrer dans le jeu, se laisser faire. C’est une belle expérience, mystérieuse, qui prend l’allure d’un conte célébrant l’altruisme, l’empathie poussée à son paroxysme.
J’aime ce genre de récit, profondément original quoique conscient de son héritage, toujours surprenant, envoûtant.
#littérature#livres#litterature#roman#livre#Andrés Barba#le dernier jour de la vie antérieure#éditions bourgois
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J’ai beaucoup aimé ce roman, aux forts accents autobiographiques semble-t-il.
Le voyage à Tel-Aviv, une vraie corvée au départ, est l’occasion pour Eduardo de se remémorer des personnes de son passé, de s’interroger sur son identité de celui qui ne considère être juif que « parfois ».
Il a un rapport complexe avec cette judéité qui est principalement subie. D’autant qu’il vit au Guatemala, loin de ce bazar là, mais au cœur d’un autre. Sa sœur va épouser un juif orthodoxe très strict, et ça ennuie Eduardo au plus haut point, car tout le décorum et les interdits l’indiffèrent. Il n’a fait en sorte que de fuir cette religion. J’ai l’impression que beaucoup de ses livres parlent de ce désir de fuite, d’éloignement. Comme si c’était impossible de grandir pour de bon et de s’affranchir une bonne fois de cet encombrant héritage. Il erre mollement dans Jérusalem, pour faire plaisir à sa sœur ou à sa mère… puis il prend la tangente, du moins c’est ce qu’il croit. Auprès de la charmante Tamara, au bord de la mer Morte, il se sent plus près que jamais de son grand-père, de ses racines. Il sait qu’il ne peux pas les repousser totalement, que c’est trop lourd à déplacer, il lui faut trouver une façon de s’en accommoder, d’exister avec, à la bonne distance.
Après l’ironie mordante (et désopilante) dont il fait preuve à l’aéroport et dans les taxis, il se laisse toucher par quelque chose d’indicible, et comprend le casse-tête que constitue son arbre généalogique, avec pas moins de trois ascendants juifs-arabes.
J’ai aimé la distance du narrateur face à un passé et des mythologies plus grandes que lui, vertigineuses. Son humour, son regard fin, son élégance aussi. Je me suis empressée de commencer son dernier, qui a remporté le Médicis étranger cette année.
#Eduardo Halfon#éditions quai voltaire#littérature#livres#litterature#roman#livre#autobiographie#judéité
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A l’occasion de Lettres d’Automne, je suis allé écouter Jakuta Alikavazovic, encore.
Je me suis délectée de ses conseils littéraires qu’elle a prodigués avec beaucoup d’amour et de passion.
Elle a retraduit Beloved de Toni Morrison, et il s’avère que je ne l’avais pas lu. Je connaissais le sujet et j’avais un peu peur. J’avais raison.
N’empêche qu’après son discours au sujet du roman et du défi qu’avait été sa traduction, je me suis empressée de l’acheter et elle a eu la gentillesse de me le dédicacer. Elle l’avait brièvement désigné comme roman gothique… et en effet, quoi de plus gothique que l’omniprésence d’un fantôme dans la maison maternelle ?
Je ne vais pas m’aventurer à faire la chronique de ce livre, tant c’est une œuvre connue et difficile, subtile et profonde. Ça nécessiterait une réflexion et des tâtonnements… du temps, des efforts que je ne suis pas, aujourd’hui, capable de faire.
Je me contenterai donc de dire ce que j’ai ressenti, brièvement. Effectivement, on sait, très vite quand on entame la lecture de Beloved qu’on entre dans un grand livre. Un livre unique, incroyable, étourdissant.
Je ne cacherai pas non plus le fait que j’ai peiné ; parfois, j’étais perdue, déboussolée. De quoi parle-t-on ? Quand est-on ? me demandais je souvent. Car Toni Morrison balade son lecteur au gré d’une logique qui n’appartient qu’à elle, ou à ses personnages. On glisse progressivement dans la psyché de personnages différents de nous, mais on y glisse profondément, par strates, comme une immersion (Jakuta parle de cette expérience de lecture comme celle de la plongée sous-marine). Comme si on avait accès à des pans reculés de l’inconscient de ces personnalités hors normes. La narration fait semblant de tâtonner, mais retombe toujours étrangement sur ses pieds. Tout a l’air spontané mais tout se révèle réfléchi, construit, comme dans un labyrinthe.
C’est un livre qui semble se moquer de la psychologie. L’autrice ne veut pas nous expliquer pourquoi Sethe a eu tort ou raison d’égorger son bébé (l’histoire raconte un fait réel du XIXe siècle esclavagiste), elle veut rendre compte de l’expérience physique et existentielle de cette mère, noire, esclave, et à travers elle, de toutes ces vies malmenées et niées, dans un passé renié que n’affrontent pas encore pleinement les Etats-Unis. Le style est tour à tour poétique, lyrique et terre à terre, parce que parfois, le réel de l’horreur est aussi simple que de dire : « la puanteur puait ». J’ai adoré ce genre d’évidences presque drôles si elles n’étaient aussi horrifiques, sans effet spéciaux. Dire les choses telles que les personnages les ressentaient. Englober les paradoxes, souligner les évidences, coudre ensemble des pans de vie irréconciliables. L’amour, le meurtre. L’asservissement et la liberté. La souffrance et la joie.
C’est une lecture tout à la fois réjouissante et éprouvante. On fait vraiment l’expérience de comprendre l’autre, sans passer par ses méandres psychologiques, mais par ses sensations, ses souvenirs, ses scènes primaires, qui se rejouent sans cesse on le sait. Beloved elle-même est une figure protéiforme, un fantôme aimant mais ambigu, un monstre impossible, un vampire gourmand, un miroir déformant.
En lui offrant une voix, une présence, un corps, Toni Morrison offre à cette victime le choix de se considérer à la fois sauvée, aimée, mais aussi sacrifiée, libre d’incarner la culpabilité de quiconque capable d’en ressentir. De Sethe évidemment, mais aussi celle de tous les blancs qui ont conduit à cet acte aberrant, révoltant, si profondément touchant.
Bouleversant, oui.
#littérature#livres#litterature#roman#livre#beloved#toni morrison#Jakuta Alikavazovic#traduction#prix nobel
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Très joli roman qui a attiré mon attention grâce au prix Femina des lycéens (je ne savais même pas que ce prix existait!).
Le point de départ (qui a l’air largement autobiographique), c’est Ilaria, petite fille de huit ans qui attend que sa sœur vienne la chercher après l’école. C’est son père qui déboule, inattendu, et qui l’emmène pour une escapade qui se transforme en cavale de deux ans. Ça se passe dans les années 80 en Italie, pendant les années de plomb.
Tout est vu à hauteur d’enfant, grâce à des phrases courtes, axées sur ce que comprend Ilaria des humeurs de son père. Car celui-ci a été rejeté par son épouse, il est malheureux, et terriblement égoïste : il arrache la petite fille à sa mère, sa sœur et son pays (elle vivait en Suisse au moment des faits). Il enlève sa fille pour des motivations obscures, sans doute pour mettre de la pression à Antonia, son ex femme. Il est tout à tour drôle, grandiloquent, éblouissant de charisme et sombre, taiseux, maltraitant, manipulateur. La petite fille est aux aguets, et prise dans un conflit de loyauté. C’est une équation complexe que j’ai connue, à ma façon, et c’est très bien rendu. On ne se rend compte que bien après de l’injustice de la chose. Pris dans les feux croisés, on souffre et on s’efforce d’être « bonne fille ». On apprend à mesurer ce que l’on peut dire et comment le dire. On marche sur des œufs. Ici, la situation est extrêmement et on peut craindre jusque pour la sécurité de l’enfant.
Ilaria doit alors conquérir sa façon de désobéir, pour faire face. Elle est trimballée comme un paquet dans divers endroits, et apprend à s’adapter vite, à saisir l’affection de celles et ceux qui arrivent à lui en donner sans que ce soit une monnaie d’échange. C’est assez poignant.
Les phrases sont courtes, syncopées, impressionnistes. Sensibles.
C’est triste. Pour l’enfant, mais aussi pour le père évidemment, complètement borderline et alcoolique.
On a le récit de cette errance en voiture, à travers l’Italie violente, avec le réconfort modeste et mélancolique des Autogril, où le duo s’arrête pour manger et dormir. De nouvelles habitudes se créent, mais face à un père aussi changeant, obsédé par ses arrêts dans les cabines téléphoniques d’où il harcèle celle qui le rejette, c’est l’insécurité psychologique qui s’installe. Un affreux cadeau à faire à un enfant.
Bref, joli livre sensible et touchant, qui scrute la psyché d’une petite fille prisonnière d’un problème qui n’est pas le sien. Un livre qui contient aussi une dose d’espoir, une échappée intérieure salvatrice.
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Voilà, j’ai fini de lire ce qui est disponible en français du travail de Jan Carson, et j’ai tout fait dans le désordre car Les lanceurs de feu est son premier roman.
Il est impressionnant. Tout est déjà là, la violence inhérente à Belfast, l’acuité du regard, le style à la fois malicieux et désespéré de l’autrice, le surnaturel métaphorique, une certaine beauté dans la noirceur, et cette fameuse façon de vous mener par le bout du nez.
Deux histoires parallèles de pères inquiets pour leurs progénitures respectives, au cœur d’un été étouffant, où les incendies se multiplient et ravagent la ville.
La culpabilité est le centre du livre, tel que je l’ai reçu. La transmission aussi. Culpabilité héritée qui se perpétue, qui menace terriblement de se transmettre, précisément, comme un fardeau dû à cette guerre intestine et féroce que les habitants de Belfast se livrent depuis tant d’années. Si vous regardez une carte de la ville, vous percevrez l’aberration du conflit avec des quartiers découpés en fonction des camps religieux, les murs bâtis jadis et à moitié écroulés aujourd’hui, qui suturent ces blessures qui n’en finissent pas de suinter.
La violence passée se transmet-elle dans le sang ? Ou par la voix ? Quelle liberté reste-t-il aux enfants de parents meurtris ?
Oui, oui, ces trois questions se trouvent au cœur du roman. Une sirène, une enfant avec des ailes aussi. Et des vies bien tristes, des jeunes gens polis mais furieux, des flammes qui font peur, qui montent jusqu’au ciel, lequel reste silencieux.
Le destin du terne Jonathan, scellé par une histoire digne d’un conte vénéneux et abracadabrantesque, semble prouver que l’irrationnel l’emporte à Belfast, ville incandescente et douloureuse, mais sans doute ailleurs aussi, et les motivations profondes de nos actes sont probablement aussi timbrées que celles du Chapelier Fou.
De toutes façons, Jan Carson peut bien me raconter ce qu’elle veut, je la croirai, je la suivrai. Quand elle démarre son histoire avec son ton mutin et son œil qui voit tout, saupoudrant le récit inattendu de menaces affreuses, de paradoxes insolubles, je suis happée car elle s’adresse à la part enfantine de celui qui écoute un conte, certes macabre et sombre, mais qui, fasciné, frémit d’avoir peur, frémit d’une joie étrange d’avoir peur, puis voudrait supplier la narratrice de faire machine arrière, ému par tant de souffrances.
Ce n’est pas un livre léger. Le sujet ne l’est pas. Il y a beaucoup de noirceur. Mais le plaisir de lecture est incroyable, la surprise toujours au rendez-vous, un pied dans le réel, l’autre dans les flots qui charrient rêves et mythes subliminaux. J’admire ce mélange risqué.
#littérature#livres#litterature#roman#livre#Jan Carson#les lanceurs de feu#éditions sabine wespieser#littérature irlandaise#belfast
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