maudie-pierre-de-grele
Glanages
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glanages féministes : récolte de micros coups de fouet et de petits shots de joie, sous les radars combinés des potes et des alliées
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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S’éteindre dans un monde d’hommes (Hélène Lenoir)
Dans la littérature, on trouve d’excellentes descriptions de vécus de femmes qui se débattent avec la culture patriarcale dominante. S’il est nécessaire de dénoncer ces structures dans des ouvrages théoriques, reste à comprendre et à dire comment et par quelles voies ces structures s’installent. La fixation des structures oppressantes dans les vies passe par des durées longues, des stratégies sourdes, des mécaniques perverses, des sensibilités propices, retournées contre elles-mêmes, des affaiblissements de puissances pourtant réelles, et des économies affectives précises. Pour le moment, je ne vois que le passage par la littérature (ou au moins le récit, qui peut être cinématographique) pour donner toute leur chair à ces mécaniques dominatrices qui éteignent certaines femmes. Dans Son nom d’avant (Hélène Lenoir), le personnage principal s’enlise dans des relations familiales contraignantes (me viennent - sans lien direct - des images de Beckett : Ô les beaux jours). Une lignée de notables où elle peine à trouver sa place (la place réservée aux femmes se limite au dévouement naturel qu’elles sont censées manifester), et où elle use finalement son âme. En relisant ces pages, on se remet bien sûr en tête le caractère fabriqué de la soumission, du sacrifice de soi et de la dévotion. Ou comment une femme s’éteint, marque systématiquement son accord, devient mutique, adapte ses gouts propres à ceux de l’autre, n’ose aucun désir contradictoire etc., non pas seulement qu’elle soit d’un naturel empathique et dévoué, mais sous l’effet et la pression d’attentes qui pèsent sur elle. Dans la somme infinie des trajectoires singulières, pour appuyer encore l’idée d’une non-naturalité de la soumission, il faudrait aussi épingler dans la littérature les histoires de femmes qui subissent des renversements complets de leurs dispositions comportementales (des louves changées en brebis), des femmes qui auraient d’habitude l’ascendant naturel sur les hommes de leur entourage, mais qui plieraient absolument - par amour ou par terreur - devant un autre, en dépit de leur “caractère”.   
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(peinture Ruth Mercier)
“c’est ça, ils sont tranquilles, ça les rassure en fait, même s’ils s’en plaignent pour la forme puisque au fond ça leur ferait cent fois plus peur que je me taise, que je devienne comme ma belle-mère, mais ce n’est même pas sûr, Justus est peut-être en train de songer que ce serait plus facile après tout s’il avait à ses côtés comme son père à l’époque une poupée articulée, un automate à l’éternel sourire peint sous ses yeux vides, je n’ai besoin de rien, tout me va, je veux bien si ça vous fait plaisir, rien ne me dérange, je suis contente si vous êtes contents, je suis bien, je suis d’accord, ne me demandez pas ce que j’aime, ce que je désire, ce que je pense, j’aime tout ce que vous aimez, je suis comblée, je suis de votre avis, rien ne me gêne, tout m’est agréable venant de vous, mes chers enfants, mon cher et tendre époux, mon pauvre beau-père, c’est un tel bonheur pour moi d’être parmi vous, ne bougez pas, j’y vais, je monte, je cours chercher ce qui vous manque, mais attendez-moi, j’ai si peur dehors, gardez-moi, je n’ai que vous, je mourrais loin de vous, privée de vous.. ces bêtes, ces bestioles qui maintenant s’acharnent, espérant bien qu’elles m’auront et m’asserviront comme elles, feront de moi cette potiche sans désir, sans mémoire, si ça continue, trente-neuf ans et en être là pour n’avoir jamais su, jamais eu l’idée de ce que je... sauf quand Victor... mais Victor... est-ce qu’on peut traverser la vie, toute l’existence dirait Justus, toute une existence comme ça, vingt-cinq ou trente ans encore sans savoir, poussée d’un jour dans le suivant, d’une année dans l’autre sans même s’en rendre compte, sans rien avoir qu’un enfant qui maintenant peut-être, ce matin... Il avait ce regard, ce regard... comme s’il avait tout vu, comme s’il savait, mais quoi ? Si au moins il y avait quelque chose à savoir !...”
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Se débiner ou esquiver ?
Stratégies de l’esquive, encore une fois (ses variations et ses faux amis). J’ai envie d’insister sur la dimension active de l’esquive, sa dimension décidée et butée, provocatrice et politique (y compris quand c’est la seule voie qu’il reste, sur le fil, sur la crête, et qu’on ne saurait de toute façon rien faire d’autre - mais tout de même, il faut tenir sur cette crête, et endurer les vents contraires). On pourrait distinguer plusieurs formes d’esquive en amour, ou en tout cas : mettre à distance l’esquive qui ne serait qu’un repli lâche, une “bassesse” orgueilleuse (fuite en arrière). On a déjà écrit sur le “ghosting”, dont parle Claire Marin dans son ouvrage sur les ruptures : le ghosting est une rupture-disparition, où l’on abandonne l’être aimé silencieusement, sans avertissement et sans explication, en s’effaçant progressivement. Et en réalité : on abandonne peut-être moins de cette manière l’être aimé, que l’être aimant, l’être qui aime trop, ou qui dérange parce qu’il a pris trop au sérieux la déclaration d’amour. Dans un article fascinant que m’a envoyé ma collègue Caroline G. (”Par l’amour”), Hannah Arendt raconte une histoire qui permet de dessiner les contours de ces formes différentes d’esquive. Une femme (Rahel) aime un homme (Finckenstein - laissons tomber tous ses prénoms) qui a “voulu qu’elle l’aime”. Mais Finckenstein prend assez vite la fuite, malgré sa déclaration d’amour romantique fabriquée de “clichés” forcés et de “situations imaginaires”, déclaration que Rahel a investie sans compter (”S'il se rapproche d'elle, s'il l'aime, ce n'est que par hasard, car il ne la connaît pas. Il ne fait que lentement sa connaissance, et à mesure que cette connaissance croît, son amour décline”) :  
“Difficile de dire s'il l'aime. Il est écrasé par les conséquences que son timide petit début d'amour a déclenchées en elle. Bien sûr, c'est lui qui a voulu qu'elle l'aime ; mais il n'a pas su ce qu'il voulait. Voilà qu'il se sent inexplicablement pris au filet. Il ne le prenait pas tellement au sérieux ; elle lui coupe n'importe quelle retraite, avec son amour. C'est ainsi qu'elle, la conquête, le conquiert lentement. « Je voulais l'aimer d'amour. » En présence de cette détermination, tout ce qu'il fait se change à l'improviste en dérobade ; aussi bien l'optimisme de son espoir que son sentiment d'être inférieur à elle. Son amour perd « son aiguillon » ; il ne peut se tenir à la hauteur de celui de Rahel, « il se détruit lui-même »”.
Plutôt que d’être à la hauteur de ce qu’il a déclenché et qui le dépasse, ou d’oser casser cet attachement trop intense, Finckenstein préfère attendre que les choses passent, qu’elles passent d’elles-mêmes (sans effort de sa part). Il prend la voie d’un abandon “lent et passif”. La réponse passionnée de Rahel consiste alors à forcer/déclencher une “rupture franche et nette” (elle cherche le “refus direct” en se refusant à lui). Autrement dit, elle cherche à endosser la responsabilité de la décision dont il est incapable. Mais elle n’obtient de lui, “ni la rupture, ni le lien définitif”. Elle provoque pourtant, cherche le réel, la blessure qui lui rendra sa pleine puissance d’agir. Mais il ne lui donne rien. 
“Impossible de soutirer quelque action à Finckenstein. Elle s'éloigne de lui, le rejetant ainsi dans une solitude, telle qu'il n'est plus en mesure de rien décider, puisqu'il n'est plus rien. Elle-même lui retire l'asile sûr de son amour, après l'avoir arraché à celui de sa famille. Elle lui barre impitoyablement toutes les possibilités d'une fuite, fût-ce d'une fuite vers elle, et même la fuite imaginaire, avec elle, loin des hommes, puis finalement aussi la fuite dans l'instant présent, loin des « voix de l'avenir ». Elle se hâte d'évoquer ce qui ne fait encore que s'ébaucher, non par goût des chimères, mais parce qu'elle sait bien que tout cela se réalisera un jour, et qu'elle est avide de n'importe quelle réalité, fût-ce la plus cruelle”.
L’homme se retire sur la pointe des pieds. Il renonce plutôt qu’il ne rompt. Il dit ne pas comprendre le sens de la rupture. Cesse de lui écrire. La femme qui s’est livrée et exposée réclame la décision franche (”il aurait pu attirer à lui, une fois encore, ma vie entière, s'il l'avait voulu !”). Elle le repousse pour chercher sa vérité. Elle cherche à tenir parole (tout se passe essentiellement dans l’écriture, l’échange épistolaire).
« Tu m'as dit que mademoiselle von Berg t'aime. Il y faut de l'espoir... Je n'ai à y opposer rien qu'on puisse définir ; donc, je me tais. Si tu ressens, si tu distingues dans quelque profondeur de ton âme le désir, le dessein, la pensée de vouloir t'unir à elle, montre-le ; et fais-le tout de suite. C'est tout ce qu'il te reste à faire pour moi. Je t'en somme pour la dernière fois. Dans un an, ou deux, ou trois, ce serait bas et vil. Alors je me considérerais comme une femme sur laquelle aurait craché le destin ; et je ne me garantis plus moi-même ; ce qu'un homme devrait toujours pouvoir. Alors je ne serai plus personne. Sonde-toi, aie du courage ! Ne reste pas avec un pied sur une rive et un pied sur l'autre. Passe le gué. Je ne puis plus agir à ta place. Je ne l'ai pu qu'une seule fois... Ne prends pas tout cela pour une menace. Si tu connaissais mon âme ! Le calice que me tend mon Dieu, je veux seulement le boire jusqu'à la lie ; mais le prendre de moi-même, plus jamais ».
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(Sarah Siltala)
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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“Consentir revient à évaluer un rapport entre des personnes de puissances inégales”
Plus que jamais, la question du consentement hante les prises de conscience (et - sans doute pas assez encore - les comportements). Si le patriarcat charrie sa propre culture du viol, on comprend pourquoi le problème est épineux. Les théories semblent devoir naviguer entre deux modèles. Celui d’un consentement franc, nécessaire, réciproque, et dont la positivité ne ferait pas de doute. Dire oui joyeusement à ce qui arrive. Il faut y tenir à tout prix. Mais pour décrire les vécus sans naïveté, on ne peut pas évacuer l’autre modèle (sinon la résistance s’étrique) : celui du consentement forcé, apeuré, intimidé, stratégique, politique. Soumise à une agression sexuelle, une femme peut ne pas dire non - ou ne pas assez dire non - pour mille raisons : par peur, par fierté, par affection sincère, par souci de l’autre, par honte, par crainte de déranger, et même par politesse. Ces raisons peuvent aussi être politiques. Dans son ouvrage sur le consentement - lu sur conseil de Clizia C. - Geneviève Fraisse rejoue une histoire complexe des formes de consentement, en décrivant les différentes manières de dire oui, ou de ne pas dire non (ou de dire oui au non - comme dans le cas du divorce). Dans l’extrait ci-dessous, Fraisse s’appuie sur Choderlos de Laclos pour faire voir l’hypothèse selon laquelle, collectivement et politiquement, “consentir” est pire que “céder”. Car céder ne va pas sans une dénonciation (au moins implicite, interne, ou même sourde) des rapports de domination qui innervent tout consentement. Céder est un geste qui rend visible la violence à laquelle on ne consentirait pas positivement. Céder est une manière de laisser entrevoir qu’on plie. Une fenêtre pour une volonté meurtrie. Une façon de se laisser prendre sans donner. En ce sens, comme geste, “céder” (mais aussi j’imagine dire que quelque chose a cédé plutôt que consenti) devient une stratégie de résistance. Mais si on prend les choses sous cet angle, le consentement lui-même ne perd-il pas de sa positivité simple ? 
Geneviève Fraisse, Du consentement, Seuil, 2007, 2017 pour L’épilogue “Et le refus de consentir ?”. Extrait. 
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Peinture : Lynette Yiadom-Boakye. 
“Jadis, les femmes ont cédé, et non consenti au contrat social, par conséquent au pouvoir masculin installant sa domination. Que nous dit la distinction entre ‘céder’ et ‘consentir’ ? Elle souligne la pensée d’un rapport de force, et celle d’une stratégie. Les femmes ont accepté la défaite, et ainsi la suprématie masculine. Mais la défaite ne fut pas guerrière, elle fut stratégique : mieux valait céder, voire sembler consentir, plutôt que résister sans succès. Elles ont cédé à la force ou à la persuasion (...). ‘Céder’ est un aveu de faiblesse, mais pourrait être plus honorable que ‘consentir’. La reconnaissance du rapport de force, la nécessité de la stratégie induisent l’armistice, et non l’adhésion. Consentir est un geste féminin, certains dictionnaires l’attestent ; mais utiliser ce verbe pour tout geste féminin serait une erreur. Céder n’est pas consentir. Par cette distinction, on restitue aux femmes l’intériorité de leur détermination, on leur reconnait une distance critique. Reste alors l’image d’un événement, d’une décision qui peut faire rupture ; et celle d’une stratégie de résistance et, pourquoi pas, de subversion. (...)
Le consentement serait une soumission, abandon de toute résistance, acceptation. Tel est bien le deuxième sens du terme de consentement : non pas l’acte volontaire, l’expression d’un oui d’adhésion à une proposition, mais un geste de compromis, où il faut démêler l’écheveau du oui et du tant pis, de l’accord et de l’asservissement. Le consentement a alors une valeur négative. Voici l’entrée en scène de la domination masculine. Non pas le décalage, la dissymétrie dans la mutualité de la rencontre amoureuse ou de la déliaison du mariage, non pas le renforcement du consentement comme expression d’une volonté ou d’un désir individuel ; mais le consentement comme reconnaissance d’un rapport de force, d’une inégalité des libertés et des pouvoirs. Alors, toute la question sera de qualifier ce consentement, d’en dire la valeur, bonne ou mauvaise, et surtout la réalité. Est-ce vrai, auraient-elles consenti ? Consentir à la domination ou subir la domination ? Servitude volontaire, ou résistance passive ? Dans les deux cas, c’est une affaire de nuances. Mais l’enthousiasme n’est plus au rendez-vous. Consentir à une situation imposée n’est pas une fin en soi”. 
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Le réflexe de servir. Même quand elles disposent des moyens d'embrasser une profession prestigieuse ou un métier créatif, un obstacle psychologique, ou le manque d'encouragements de l'entourage, peut les retenir de se lancer. Elles préfèreront alors vivre leur vocation par procuration, en jouant les conseillères, les "petites mains" ou les faire-valoir pour un homme admiré, ami, employeur ou compagnon, toujours sur le modèle médecin/infirmière. C'est l'inhibition que vise à faire sauter ce slogan féministe vu sur un tee-shirt : "Sois le médecin que tes parents voulaient que tu épouses". Certes, l'histoire de la science et l'histoire de l'art sont remplies d'hommes qui se sont approprié les travaux d'une compagne - Scott Fitzgerald, par exemple, qui insérait dans ses livres des écrits de sa femme, Zelda, et qui, lorsqu'il fut question qu'elle publie un recueil de textes, suggéra comme titre : "Epouse d'auteur". Mais il s'y ajoute une intériorisation par les femmes elles-mêmes de cette position de seconde ou d'assistante. (...) Pour ma part, je me souviens du déclic qui s'est produit in extremis dans ma tête quand, il y a une quinzaine d'années, un philosophe que j'admirais m'a proposé de publier un livre d'entretiens avec lui - une bonne affaire pour lui, dans la mesure où je me taperais le boulot d'écriture. Il tenait des propos féministes : je ne pouvais pas me méfier n'est-ce pas ? Je n'avais pas encore compris que c'était le meilleur moyen de renforcer mon adhésion, et donc ma disponibilité. (...) Il avait misé sur la probabilité que mon enthousiasme pour son oeuvre, combiné à ma serviabilité féminine et à mon sentiment d'infériorité, me transforme en secrétaire bénévole corvéable à merci - et il avait failli avoir raison. (...) Mais refuser de vous sacrifier, ou vouloir poursuivre vos propres buts, vous attire une réprobation immédiate. (...) Il est difficile de disputer aux hommes cette aura impalpable, mais décisive, de légitimité et de prestige qui les entoure quand ils se mettent à écrire, à créer ou à filmer, ou quand ils se lancent dans n'importe quelle entreprise ambitieuse
Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, La découverte, 2018, 77-78.
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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L’amitié-antidote
Je feuillette La naissance du jour (1928) de Colette, que j’avais lu avec ma pote Clizia, au moment où prenaient consistance nos recherches communes (j’ose dire “communes”, puisque je me suis glissée dans les siennes, et qu’elle est très présente dans les miennes). Je relis les segments surlignés, presque avec surprise (ma mémoire déficiente - qui conserve si peu - me réserve parfois des émotions en boucle, redoublées). La naissance du jour raconte le renoncement à l’amour - joyeusement amer et plus ou moins assuré - d’une vieille femme abimée par les secousses de la passion amoureuse : “Faire peau neuve, reconstruire, renaître, ça n’a jamais été au-dessus de mes forces. Mais aujourd’hui il ne s’agit plus de faire peau neuve, il s’agit de commencer quelque chose que je n’ai jamais fait. Comprends donc, Vial, c’est la première fois, depuis que j’ai passé ma seizième année, qu’il va falloir vivre - ou même mourir - sans que ma vie ou ma mort dépendent d’un amour. C’est si extraordinaire... Tu ne peux pas le savoir... Tu as le temps (...). Tu comprends, il faut désormais que ma tristesse si je suis triste, ma gaieté si je suis gaie, se passent d’un motif qui leur a suffit pendant trente années : l’amour. J’y arrive. C’est prodigieux. C’est tellement prodigieux... Quelques fois des accouchées, après leur premier sommeil de délivrance, s’éveillent en recommençant le réflexe du cri... J’ai encore, figure-toi, le réflexe de l’amour, j’oublie que j’ai rejeté mon fruit. Je ne m’en défends pas, Vial”. Ces passages sont bouleversants ; on y sent de la mélancolie et du soulagement, des fissures et de la puissance. Une cicatrisation en cours, décidée. Mais ce récit désormais me parait moins s’écarter de l’“amour” que de la passion hétéronormée (les emportements qui cherchent le couple). Il rencontre pour une part l’idée, pour moi de plus en plus insistante, de l’“amour sans passion” - non pas au sens d’un amour sans intensités, mais d’un amour sans souffrance recherchée. Sans perversité. En vrai, La naissance du jour déborde d’amour, pour les bêtes (hirondelles  et chats), la lumière, la mère, le jardin (algues et mandariniers), les repas partagés (le vin à l’arrière-goût de cèdre), le sel de la mer, et pour les amis. Et l’amitié tout de même, qui reste souvent dans l’ombre des grands emportements amoureux, protège nos vies des chutes qui les guettent (amitié-filet). C’est banal. C’est comme ça. Une puissance d’attachement plus dégagée qui nous sauve la peau. Pouvoir accueillir aussi des ami·es les souffrances parfois délirantes de la passion. Extrait.  
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“Il m’en reste bien peu, deux, trois amis, de ceux qui pensèrent autrefois me voir périr à mon premier naufrage ; car de bonne fois je le croyais aussi, et je leur annonçais. Ceux-là, un à un, la mort pourvoit à leur repos. J’ai des amis plus jeunes, surtout plus jeunes que moi. D’instinct, j’aime acquérir et engranger ce qui promet de durer au-delà de mon terme. A ceux-ci, je n’ai pas causé de si grands tourments, tout au plus des ennuis : “Allons bon, Il va encore nous l’abîmer... Jusque quand va-t-Il tenir tant de place ?” Il conjecturèrent le dénouement, ses drames, ses courbes de fièvre : “Typhoïde grave, ou bénigne éruption ? Le ciel confonde notre amie, elle s’arrange toujours pour attraper des affections si sérieuses !” Mes amis véritables m’ont toujours donné cette preuve suprême d’attachement : une aversion spontanée pour l’homme que j’aimais. “Et s’il disparait encore, celui-là, que de soins pour nous, quel travail pour l’aider, elle, à reprendre son aplomb..” Au fond, ils ne se sont jamais tellement plaints - bien au contraire - ceux qui m’ont vue leur revenir toute échauffée de lutte, léchant mes plaies, comptant mes fautes de tactique, partiale que c’en est un plaisir, chargeant de crimes l’ennemi qui me défit, puis le blanchissant sans mesure, puis serrant en secret ses lettres et ses portraits : “Il était charmant... J’aurais dû... Je n’aurais pas dû...” Puis la raison venait, et l’apaisement que je n’aime pas, et mon silence, trop tard courtois, trop tard réservé, qui est, je crois bien, le pire moment... Ainsi va la routine de souffrir, comme va l’habitude de la maladresse amoureuse, comme va le devoir d’empoisonner, innocemment, toute vie à deux...”
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Politique du retrait (théorie de l’esquive - suite)
Je continue mon enquête sur les stratégies d’esquive - manifestement anti-héroïques - de celles et ceux qui s’opposent au modèle politique dominant de l’action politique triomphante. Je repense aux discussions soutenues avec Laura A. sur Elsa Dorlin, Se défendre. Plutôt que l’offensive, l’arrogance et le prestige spectaculaire de l’agression (qui vise souvent à augmenter son propre pouvoir ou capital symbolique grâce à l’action violente), tout autre chose : défaire les structures de domination, rompre avec les dispositions à la fascination, refuser la complicité avec les maîtres, tourner le dos, ne plus bouger, faire le poisson plat sur sa pierre plate. Il n’y a pas que des femmes qui cherchent à construire des modèles alternatifs pour l’action politique, des modèles qui ne manquent pas de puissance, tout en étant plus discrets, plus soigneux, moins narcissiques et moins tape-à-l’oeil. Je trouve dans mes lectures de ce matin un allié avec : Enzensberger “Les héros du retrait. Brouillon pour une morale politique de la destitution” (dans le recueil Feuilletage). La littérature a abandonné depuis longtemps la figure virile du héros. La politique est à la traîne. Extrait.
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(photographie : A. Kinuko)
“La prétendue grande politique s’en tient jusqu’à ce jour, avec autant d’acharnement que de désarroi, au schéma classique du héros. Elle persiste à faire figurer des triomphateurs sur ses affiches et à rêver de victoires inégalées. Pourtant elle a atteint son étiage, comme le montrent non seulement son impuissance symbolique, mais la modeste portée de ses actions. Les normes démocratiques imposent à l’ambition et à la gloriole des entraves dont souffre manifestement le personnel dirigeant. Il n’est plus question de conquérir des empires, mais tout au plus une circonscription, et le génie stratégique se voit relégué dans des îles comme la Grenade ou les Malouines, qu’on ne trouve qu’à la loupe sur un globe terrestre. Ceux que réjouit le rapetissement quasi magique de la stature des héros n’ont qu’à comparer Churchill à Thatcher, de Gaulle à Mitterand, Adenauer à Kohl. Il y eut de toute éternité un côté théâtral et cabotin chez les héros incarnant les Etats ; mais aujourd’hui, les élites gouvernantes d’Europe occidentale ont franchi le pas qui sépare le modèle effrayant de son imitation ridicule. Le comique involontaire de ce clan dirigeant, obstinément persuadé de hanter toutes sortes de ‘sommets’, montre bien qu’il n’est resté du héros classique qu’une caricature.
Au cours de dernières décennies, la place a été prise par des protagonistes différents, dont je soupçonne qu’ils sont plus importants : par des héros d’un genre nouveau, incarnant non point la victoire, la conquête ou le triomphe, mais le retrait, la dissolution, le démembrement. Il y a tout lieu de se pencher sur ces spécialistes de la négation, car c’est sur eux que notre continent doit compter, s’il entend survivre.
C’est Clausewitz, le grand penseur classique de la stratégie, qui a montré que, de toutes les opérations, la retraite était la plus délicate. Cela vaut également en politique. Le nec plus ultra de cet art du possible consiste à abandonner une position intenable. Or, si la grandeur d’un héros se mesure à la difficulté de la tâche qu’il assume, il s’ensuit que le schéma héroïque doit être non seulement révisé, mais inversé. N’importe quel crétin peut lancer une bombe. La désamorcer est mille fois plus difficile”.
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Artemisia - le “viol qui rend puissante” (ou le sacrifice de la force �� l’agresseur)
Après son viol par Agostino Tassi, Artemisia Gentileschi peindra des scènes bibliques directement connectées à l’épisode d’agression qu’elle a subi. On sent la rage qui l’enflamme : ces scènes sont plus que paraboliques, elles sont habitées par de vraies présences incarnées. D’autant que dans certains tableaux, elle donne ses propres traits à Judith, et ceux de son agresseur à Holopherne (on notera que ce sujet n’était pas destiné à symboliser le courage des femmes : comme Salomé ou Dalila, Judith est dans la culture biblique une traitresse, une sorcière manipulatrice). Elle peindra aussi à quatre reprises l’épisode du suicide de Lucrèce à la suite de son viol par Sextus Tarquin. Ces tableaux sont très forts visuellement. Comment lire ce destin d’artiste ? L’explication semble toute trouvée, non ? A portée de mains : les tableaux d’Artemisia sont traversés par un feu de vengeance créative. La création qui soulage, l’art qui répare, les thèmes qui exorcisent la mésaventure. On répétera cette histoire inlassablement : une femme violée peint des oeuvres sanglantes pour s’en tirer. De belle manière, avec génie, et par le haut. En se projetant dans des situations fictives très réelles. Mais comme le défend Nathalie Ferlut dans les notes de sa bande dessinée Artemisia (Delcourt/Mirages, 2017), cette logique arrache à Artemisia sa force de femme peintre, pour l’offrir à son agresseur. Car dans les prolongements multiples de la violence faite sur les femmes, on peut compter celui qui consiste à considérer le mal comme désinhibant, libérateur, et pourquoi pas salvateur. Extrait.
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(ce deuxième tableau est attribué à son père Orazio Gentileschi - mais on sait que certains tableaux n’ont jamais été attribués à Artemisia)
“Quelle injustice lui fait l’histoire ! Ne devrait-on pas remercier Agostino Tassi d’avoir ainsi, de manière involontaire mais enthousiaste, contribué à la naissance de cette belle étoile dans le ciel de l’histoire de l’art ? Comme s’il n’était pas imaginable que ses peintures aient été fortes et violentes parce que Artemisia Gentileschi était, de naissance, une femme pleine de force et de violence ! Que c’est même, sans doute, ce qui lui a permis d’être cette artiste si acharnée au travail, de surmonter l’épisode Tassi, le procès, les bizarreries de son éducation..
Surtout, c’est oublier ce que c’était qu’être une femme en 1612 : un être faible, avec peu de droits, beaucoup de devoirs, l’obligation d’être pieuse, soumise, vierge, modeste, féconde. Inférieure, surtout : voilà ce qu’elle ne doit jamais perdre de vue. N’importe quel mari, frère ou père, fût-il le plus incapable, le plus jeune, le plus gâteux, vaut mieux que la femme dont il est légalement responsable. Même si cette femme est Artemisia et que son talent vaut de l’or. S’il faut à tout prix rechercher dans ses oeuvres une raison à toute cette violence, et y voir la réponse de la jeune femme au crime de Tassi, peut-être devrait-on étendre un peu ce raisonnement. Le vrai problème d’Artemisia Gentileschi, celui qui vous harcèle, et auquel on aimerait trancher la gorge, ce n’est pas vraiment Tassi, mais plutôt tout un univers où, selon que vous naissez homme ou femme, vous aurez tous les droits ou, malgré tous vos efforts, vous n’en aurez aucun.
Peut-être faut-il apprécier ses oeuvres pour ce qu’elles sont et oublier un peu le sexe de l’artiste : elles sont fortes, singulières, colorées, et, plus de quatre siècles après, ont encore des histoires et de grands émotions à nous transmettre” (Nathalie Ferlut)
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Artemisia Gentileschi (1593-1652)
Artemisia, artiste concentrée et obstinée. Dans le sillage de son père déjà peintre, elle apprend à se servir des couleurs et des ombres pour faire (littéralement) éclater le réel. Des ombres surtout, dans le style de Caravage. Elle grandit au milieu des châssis, à une époque où les femmes n’ont pas le droit d’acheter des pigments pour leurs tableaux (ni celui de signer leurs toiles). Son talent dépasse de loin celui de ses jeunes frères, moins appliqués, inconsistants malgré leur légitimité plus grande - attendue et naturelle - à hériter du talent de leur père. Sous prétexte d’une relation pédagogique nécessaire, un intriguant de 15 ans son ainé (Agostino Tassi), fait mine de la prendre sous son aile pour lui apprendre la perspective, et abuse d’elle. Elle est vierge, se refuse, il la contraint. En échange de son silence, pour “réparer”, il promet de l’épouser, dès qu’il sera “libéré” (d’une autre promesse, probablement). Elle continue à peindre malgré la présence de l’oppresseur dans son environnement direct, il abuse d’elle à de nombreuses reprises. Après un an, Artemisia profite d’un autre délit de Tassi (il vole des tableaux) pour tout dire à son père - le soupçonnant explicitement d’être volontairement resté aveugle à ce qui se tramait dans la maison. La famille Gentileschi porte plainte contre Tassi. Un procès a lieu, au cours duquel Tassi oppose aux accusations de virulentes dénégations. La torture fait partie des procédures judiciaires de l’époque (épreuve des Sibilli). Artemisia est donc torturée : le bourreau lui enserre les doigts dans une corde jusqu’au sang, risquant par là de briser les doigts voués à manier les pinceaux. Sous la douleur, la jeune peintre doit confirmer sa plainte. Elle tient bon, ne récuse rien. Tassi est accusé de violence sexuelle (un an plus tard il sortira de prison). Mais l’artiste n’est pas détruite - son art sera l’occasion d’une vraie puissance expressive. Grâce au soutien de quelques amis, Artemisia sera la première femme admise à l’Accademia delle Arti del Disegno en 1616. Son oeuvre picturale met en scène des scènes bibliques d’une grande violence (viols, harcèlement par des hommes plus agés, décapitations).   
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(Autoportrait, Allégorie de la peinture)
Voir la bande dessinée de Nathalie Frelut & Tamia Baudouin, Artemisia, Delcourt/Mirages, 2017. 
Et ce blog pour prolonger. 
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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"Etre immune, c'est vivre à l'abri des chocs, des ennuis, des souffrances, c'est être hors de portée des flèches, avoir assez de bien pour vivre sans rechercher flatterie ni réussite, ne pas être obligée d'accepter les invitations et ne pas se soucier des éloges que reçoivent les autres. Etre forte, satisfaite, sentir que personne ne pense à moi et que je peux me reposer. L'immunité est un état paisible et exalté, désirable, que je pourrais atteindre bien plus souvent que je ne le fais. N'être rien n'est pas l'état le plus satisfaisant du monde ?" (Virginia Woolf)
citée par Rebecca Amsellem, Newsletter “Les glorieuses” 
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Pourtant je m’élève - Maya Angelou
Un poème que m’envoie Laura A. - ma pote-papillon. Un poème pour laisser les lourds au sol. 
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Vous pouvez me rabaisser pour l’Histoire Avec vos mensonges amers et tordus, Vous pouvez me traîner dans la boue Mais comme la poussière, je m’élève encore,
Mon insolence vous met-elle en colère? Pourquoi vous drapez-vous de tristesse De me voir marcher comme si j’avais des puits De pétrole pompant dans mon salon?
Comme de simples lunes et de simples soleils, Avec la certitude des marées Comme de simples espoirs jaillissants, Je m’élève encore.
Voulez-vous me voir brisée? La tête et les yeux baissés? Les épaules tombantes comme des larmes. Affaiblie par mes sanglots émus.
Es-ce mon dédain qui vous blesse? Ne prenez-vous pas affreusement mal De me voir rire comme si j’avais des mines d’or creusant dans mon jardin?
Vous pouvez m’abattre de vos paroles, Me découper avec vos yeux, Me tuer de toute votre haine, Mais comme l’air, je m’élève encore.
Ma sensualité vous met-elle en colère? Cela vous surprend-il vraiment De me voir danser comme si j’avais des Diamants, à la jointure de mes cuisses?
Hors des baraques des hontes de l’histoire Je m’élève Surgissant d’un passé enraciné de douleur Je m’élève Je suis un océan noir, bondissant et large, Jaillissant et gonflant je porte la marée. En laissant derrière moi des nuits de terreur et de peur Je m’élève Vers une aube merveilleusement claire Je m’élève Apportant les présents que mes ancêtres m’ont donnés, Je suis le rêve et l’espérance de l’esclave. Je m’élève Je m’élève Je m’élève
Traduit par Olivier Favier. Extrait du recueil And still I rise, 1978.
http://dormirajamais.org
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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La révolution de l'amour (par Rebecca Amsellem - Les Glorieuses)
(Extraits - voir la newsletter en ligne “Les glorieuses”. Je ne suis pas en adhésion avec tous les points de contenu, mais bien avec l’urgence de penser à fond la question des rapports amoureux, comme terrain d’une expression profonde des structures de domination). 
“J’ai toujours été une amoureuse de l’amour, dévorant les lettres échangées entre Maria Casares et Albert Camus, pleurant toutes les larmes de mon corps en relisant Heartburn (Nora Ephron) et fantasmant chaque jour depuis mon enfance la rencontre avec l’âme sœur. C’est avec cet imaginaire que je suis tombée amoureuse, que j’ai eu mon cœur brisé et que je me suis relevée. C’est avec cet imaginaire aussi que je me bats pour tenter de trouver un équilibre entre mon amour de l’amour et mon engagement féministe.
L’amour n’est pas le premier thème auquel on pense lorsqu’on parle de révolution féministe. Ou de révolution tout court d’ailleurs. Devant le visage sombre de la grande révoltée – la révolution, le tendre Éros (« dieu de l’amour ») dut disparaître précipitamment. On n’avait ni le temps, ni l’excédent nécessaire de forces psychiques pour s’adonner aux « joies » et aux « tortures » de l’amour. Pour la socialiste russe Alexandra Kollontaï (« Place à l'Eros ailé ! Lettre à la jeunesse laborieuse »,  1923), l’amour vient en second. Il est le hasard heureux qui vient s’ajouter aux actions plus utiles. Son caractère frivole en fait d’ailleurs – presque – tout son intérêt. Cela ne sert à rien et pourtant, c’est tout. Et pourtant lorsqu’on réfléchit aux rapports de domination dans notre société, on ne peut s’empêcher d’imaginer les conséquences qu’une révolution féministe aurait sur le sentiment qui semble être au premier abord le plus pur qui soit.
Dans une société patriarcale, hétéronormée, l’amour est un sentiment qui entre en contradiction avec des normes dans lesquelles les femmes sont complètement désavantagées. Aussi, ma définition de l’amour correspond-elle à un idéal passé ? À quoi ressemble l’amour dans une société féministe ? La remise en cause du schéma binaire de nos pensées va-t-elle remettre en cause nos modes de vie ? Pourquoi l’amitié est-elle à prendre autant au sérieux que l’amour ? La révolution de l’amour est féministe. Elle est même fondamentale pour la révolution féministe. Les rapports de domination ont dessiné un monde politique, une sphère économique et nos relations sociales. Ils ont également compromis nos relations les plus intimes qui soient, les liaisons amoureuses. C’est pourquoi la révolution féministe, la révolution qui nous permettra d’atteindre une société égalitaire, ne pourra advenir sans une révolution de l’intime. Je m’explique.
Je suis une romantique, je l’ai dit. Une « amoureuse de l’amour ». Les femmes sont – très généralement – des romantiques. Et la raison est politique. Cette adoration est une manière de se garantir un peu de pouvoir. Là où le système actuel donne un pouvoir sociétal, économique et politique aux hommes dans la sphère publique, l’intime fait moins l’objet de luttes.
Dans l’univers genré de Mars et Vénus, les hommes veulent du pouvoir et les femmes veulent un attachement émotionnel et une connexion. Sur cette planète, personne n’a vraiment l’opportunité de connaître l’amour puisque c’est le pouvoir et non l’amour qui est à l’ordre du jour. Le privilège du pouvoir est au cœur de la pensée patriarcale. Les filles et les garçons, les femmes et les hommes à qui on a appris à penser de cette façon croient presque toujours que l’amour n’est pas important, ou si c’est le cas, il n’est jamais aussi important que d’être puissant, dominant, en contrôle, en haut – avoir raison. Les femmes qui donnent une adoration et des soins apparemment désintéressés aux hommes de leur vie semblent être obsédées par « l’amour », mais en réalité, leurs actions sont souvent un moyen secret de détenir le pouvoir (bell hooks, Visions of Love).
L’intellectuelle afro-féministe américaine bell hooks semble vouloir ressusciter les mots de Simone de Beauvoir. Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir décrit, pour la première fois, que l’absence d’équilibre entre le droit et les pratiques sociales a toujours induit que les femmes n’étaient jamais complètement libres. Ainsi, à Rome, les femmes régnaient en maîtresses à l’intérieur de leurs foyers mais n’avaient pas de position sociale (elles étaient considérées comme mineures, des enfants donc). Pendant la Renaissance, les femmes mariées avaient leur place tandis que les célibataires n’avaient « aucun droit ». La sphère privée, émotionnelle, faisait si peu l’objet d’intérêt par les dominants qu’elle fut laissée à titre de maigre lot de consolation. « Par cet ingénieux système la grande masse des femmes est étroitement tenue en lisière : il faut des circonstances exceptionnelles pour que, entre ces deux séries de contraintes, ou abstraites ou concrètes, une personnalité féminine réussisse à s’affirmer. »
(...)
Et cela se poursuit avec notre vision de l’amour. Elle est le fruit d’un conditionnement patriarcal. Nos attentes aussi. Et… les attentes des femmes sont assez basses. Les miennes en premier. Il suffit qu’un homme me regarde pour me sentir exister, il suffit qu’un homme m’adresse la parole pour que je me croie importante, il suffit… non tout cela, c’est fini, c’était avant”.
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Yang Yanling(杨雁翎 Chinese, b.1974)
Ink and color on silk  绢本设色    
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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La culture du viol n’est pas si loin. Et les agresseurs ne sont pas seulement des hommes cagoulés qui sautent sur le dos d’une joggeuse dans une forêt obscure. 
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Désirer le désir plus que la personne aimée
À force de vouloir l’amour (comme une conquête, comme une idéologie, comme une urgence), est-ce qu’on ne finit pas par prendre le risque d’annuler l’aimé·e ? Comment expliquer ce point où les excès de croyance, de dévotion (les projections et les fantasmes) dépassent la personne aimée, nous rend sourd à ce qu’elle est. Manière de redire que l’amour rend aveugle - on ne voit plus qu’il y a là quelqu’un qui vit, qui palpite, à sa manière propre, et qui n’est pas responsable des projections fantasmatiques qu’on greffe sur elle. On ne peut pas sous-estimer la violence du fantasme (positif ou négatif). Ce n’est pas l’aimé·e qui rend aveugle. C’est l’amour qui rend aveugle à l’aimé·e. Extrait de Barthes, Fragments du discours amoureux.
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(Magritte)
“Charlotte est bien fade ; c’est le piètre personnage d’une mise en scène forte, tourmentée, flamboyante, montée par le sujet Werther ; par une décision gracieuse de ce sujet, un objet falot est placé au centre de la scène, et là adoré, encensé, pris à partie, couvert de discours, d’oraisons (et peut-être, en sous-main, d’invectives) ; on dirait une grosse pigeonne, immobile, tassée dans ses plumes, autour de laquelle tourne un mâle un peu fou. 
Il suffit que, dans un éclair, je voie l’autre sous les espèces d’un objet inerte, comme empaillé, pour que je reporte mon désir, de cet objet annulé à mon désir lui-même ; c’est mon désir que je désire, et l’être aimé n’est plus que son suppôt. Je m’exalte à la pensée d’une si grande cause, qui laisse loin derrière elle la personne dont j’en ai fait le prétexte (c’est du moins ce que je me dis, heureux de m’élever en rabaissant l’autre) : je sacrifie l’image à l’Imaginaire. Et, si un jour vient où il me faut bien décider de renoncer à l’autre, le deuil violent qui me saisit alors, c’est le deuil de l’Imaginaire lui-même : c’était une structure chérie, et je pleure la perte de l’amour, non de tel ou telle “ (39). 
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Amour / stratégies et mondanités
Dans cette enquête sur la manière dont les sentiments amoureux prêtent le flanc à la domination (prise de pouvoir), il faudra encore envisager la question du jeu. Sur quel échiquier se déploient les histoires d’amour ? Surtout : Faut-il toujours un gagnant et un perdant ? On “gagnerait” beaucoup à essayer d’échapper au modèle de la bataille. Penser les choses en termes de victoire ou d’échec suppose que les joueurs y engagent pleinement leur image - et on risque de perdre des plumes dans le grand spectacle de l’amour, auquel les regards sont suspendus. On peut mourir d’humiliation de ne pas être aux yeux du monde celui qui a gagné. Le plaisir (même amoureux) ne vient à certains qu’à gagner sur les autres / Il faudrait donc être tactique. Miser, prendre des risques, conquérir, plier l’autre à son jeu, bluffer, impressionner, élaborer des stratégies. Mais qui perd le plus au final ? Le mauvais perdant (celui qui prend l’amour comme une bataille dont il veut sortir plus fort). Celui qui n’est pas prêt à perdre. Car les choses se retournent. L’amour est même susceptible de quitter définitivement l’amoureux·reuse s’il·elle voit l’aimé se fourvoyer dans des mondanités impossibles, cherchant trop explicitement le triomphe. Qui aime - sur la longueur au moins - celui qui ne pense qu’à gagner ? / Oserait-on à partir de là élaborer une définition alternative de l’amour : l’amour n’est QUE ce qui échappe aux stratégies d’image, le hors-spectacle ; il survient au moment où l’on arrête de batailler (et quelle puissance, non ? sentir en soi que cède la volonté de gagner). Tout le reste ressemble à des histoires d’amour, sans pouvoir y prétendre tout-à-fait, par excès de prétention justement. Ci-dessous extraits de Barthes, Fragments du discours amoureux. 
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“(X... me disait que l’amour l’avait protégé de la mondanité : coterie, ambitions, promotions, manigances, alliances, sécessions, rôles, pouvoirs : l’amour avait fait de lui un déchet social, ce dont il se réjouissait” (23).
“Ce qui m’anime, sourdement et obstinément, n’est point tactique : j’accepte et j’affirme, hors du vrai et du faux, hors du réussi et du raté ; je suis retiré de toute finalité, je vis selon le hasard (à preuve que les figures de mon discours me viennent comme des coups de dés). Affronté à l’aventure (ce qui m’advient), je n’en sors ni vainqueur ni vaincu : je suis tragique” (30).  
“Je le vois tout d’un coup (question de vision) s’affairant, s’affolant, ou simplement s’entêtant à complaire, à respecter, à se plier à des rites mondains grâce à quoi il espère se faire reconnaître. Car la mauvaise Image n’est pas une image méchante ; c’est une image mesquine : elle me montre l’autre pris dans la platitude du monde social. (Ou encore : l’autre s’altère s’il se range lui-même aux banalités dont le monde fait profession pour déprécier l’amour : l’autre devient grégaire.)” (34).  
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Culture du viol dans les arts
Un post de Vénus s’épilait-elle la chatte ? 
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Cette sculpture représente l'enlèvement (le mot utilisé dans l’art pour dire viol) de Proserpine par son oncle Pluton. Cette histoire tirée des Métamorphoses d'Ovide a été très souvent représentée à travers les âges, comme avec cette merveille du Bernin, un des plus grands sculpteurs baroques. Elle est commandée en 1624 par Scipion Borghèse, mécène et membre de la famille du pape, à qui l'on doit la villa Borghèse, une magnifique villa-musée que je vous recommande chaudement de visiter entre deux Campari si vous passez à Rome. Cette œuvre est donc commandée à un homme puissant par un autre homme puissant pour sa propre délectation.
Pendant mes études d'histoire de l'art on a analysé cette œuvre plusieurs fois, dans plusieurs cours différents, sans jamais parler du fait qu'il s'agissait d'un viol. Je me me souviens en revanche que tous-tes les profs étaient extasié-e-s sur le fait que l’on voyait les doigts de Pluton s’enfoncer dans la chair de Prosepine et que c’était magnifique. C’est vrai, c’est virtuose d’arriver à représenter la douceur et la vulnérabilté d'un corps avec du marbre, je suis la première à être impressionnée et émue par cet aspect de la sculpture. Mais à aucun moment on se questionne sur le sujet et ce que ça véhicule - on s'émerveille sur la cuisse de cette pauvre femme exactement comme on le ferait face à une nature morte ou un drapé très bien exécutés.
Cette façon d'objectifier le corps des femmes et leur domination par celui des hommes est assez révélatrice de notre obsession à distinguer la forme du fond, tout comme l’homme de l’artiste. Cette attitude, la plus courante chez les professionnel-le-s de l'art, permet d'éviter de se rendre compte que l'essentiel de l'histoire de l'art occidentale repose sur des histoires d'hommes qui violent des femmes, écrites puis représentées par des hommes. Ça donne parfois lieu à des chefs-d'œuvre, comme ici, et il n'est pas question de les censurer, comme on entend souvent chez les personnes de mauvaise foi. Il est en revanche temps de commencer à les étudier avec un œil plus critique, en commençant par reconnaitre que, trop souvent, la culture du viol se fond avec la culture tout court. 
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maudie-pierre-de-grele · 4 years ago
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Complicités avec le maître
Toujours Annie Leclerc, Parole de femme (1974). On tombera aussi sur des idées qui ne nous “arrangent” pas. Mais ce sont celles qui permettent d’éviter l’écueil de la dénonciation plate et unilatérale. Ce sont des petites claques revigorantes. Ne pas s’auto-profiler en victime sans assumer la part de complicité qu’on entretient, qu’on a entretenu, qu’on risque toujours d’entretenir, avec la domination. Cette idée n’était pas encore arrivée (à ce point) à ma conscience - et toutes sortes de choses pourront se redimensionner à partir de là (relire par ex. les passages du travail de Clizia sur de Beauvoir et le consentement à la domination). Cette part de complicité est celle qui fout la honte. Encore plus quand il s’agit d’une complicité affective. Il y a bien un problème politique dans le fait d’aimer les dominants, de s’attacher affectivement aux maîtres. On peut essayer de valoriser autant qu’on veut chez les femmes la noble sincérité des attachements, leur générosité, etc. On peut même chercher l’impact politique positif des affects d’amour, d’empathie, de pitié, etc. C’est mon premier pli, ma première pente. Mais rien ne se passera de marquant ou de profond ou de transformateur tant qu’on n’osera pas affronter l’idée que pour une part l’attention, la gentillesse, le dévouement, le don, le sacrifice, le soin peuvent aussi se profiler comme des formes de complicité avec le maître. Car le maître a besoin d’aide, de soutien, de renfort, d’amour, de confiance pour se constituer comme tel. On ne peut pas ne pas le sentir. En répondant à ce besoin, y compris par amour (et peut-être surtout, car c’est un carburant essentiel/vital), on entretient les forces oppressantes. Il faut le penser. Le voir. Et plus tard (quand on aura d’abord osé regarder cette idée en face) on se demandera si cette complicité n’est pas dans certains cas forcée. Et comment. On se demandera si l’amour est pleinement un acte libre, ou s’il se tisse toujours déjà de stratégies de défense et d’ajustement à la violence du désir de l’autre (la réponse semble se glisser dans la question).
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Photographie Julia Hetta
“Non, c’est fini. Les mascarades du héros me font pitié. Et rire, ses mines d’importance, ses figures tragiques. Qu’il ne compte pas sur moi pour l’aider, comme il le demande, comme il l’exige, dans l’accomplissement de son règne. Le règne de la grandeur humaine. Parce que je m’en moque. (...)
L’homme ne peut se passer d’accorder de la valeur, aussi ambigüe soit-elle, à la femme. Et cela parce qu’il attend d’elle bien autre chose que ce qu’il prélève sur l’esclave, le nègre et le bougnoule. Ce qu’il veut d’elle c’est de la reconnaissance. (...) La soumission, qui chez l’exploité relève de la nécessité, doit donner chez elle l’apparence d’un acte libre, fruit du respect et de l’amour qu’elle éprouve pour le maître. Si ça marche, et ça n’a que trop bien marché jusqu’à présent, le maître a de quoi être content, totalement content.
- La femme est soumise ; une de plus.
- Il se sent dénué de responsabilité dans cette affaire puisque c’est elle qui s’est soumise.
- Elle devient, et c’est le plus important, sa complice fervente dans l’oppression du faible. Elle consacre enfin la valeur du maître qui jusqu’alors pouvait rester problématique.
Il est vrai que la femme a été aveuglée et corrompue par le pouvoir du maître. Il est vrai aussi qu’elle a été la complice la plus acharnée de l’homme fort dans toutes ses manoeuvres de pillard, d’oppresseur, de tyran et d’assassin. Sans son approbation silencieuse ou active, le maître n’aurait jamais été le maître qu’il est. (...)
Si la vertu de l’homme est la force, la vertu de la femme s’appelle dévouement. Et ce qui opprime la femme ce n’est pas tant directement la force de l’homme que sa propre vertu qui est toujours donnée comme sa plus haute valeur : le dévouement. (...)
Or le dévouement ne va pas de lui-même, ou n’est pas tangible, s’il ne s’exprime quelque part sous forme d’abnégation, de peine et de sacrifice. Les conséquences sont alors faciles à déchiffrer. Il a fallu que les travaux domestiques soient vécus comme bas, ingrats, que les soins des enfants soient portés comme peine et usure, que les règles soient indisposition et souillure, la grossesse fardeau, l’accouchement l’image même de la douleur : comme le Christ par sa passion témoigne de son amour des hommes, il a bien fallu que la femme souffre pour témoigner de sa reconnaissance.
Reconnaître le statut du maître c’est aussi et d’un même élan charger de valeur hautement positive le rôle qu’il joue dans la société et les fonctions qu’il y exerce. Rien de ce qui est grand ne saurait échapper à l’homme. L’homme et la grandeur vont de pair. (...)
Les hommes n’aiment pas les femmes, pas encore, ils les cherchent, ils les désirent, ils les vainquent, ils ne les aiment pas. Mais les femmes, elles, se haïssent. (...)
Nous sommes bien plus fâchées avec nous-mêmes que nous ne le sommes contre les hommes. Tant que nous ne serons pas réconciliées avec nous-mêmes, et d’abord avec notre corps, nous serons emportées et complices dans le triomphe oppresseur d’un monde viril désenchanté.”
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