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Rêve du Mercredi 6 décembre 2006 (4 h 31)
À Sébastien Joseph
Tout commence par la promesse d’une soirée agréable en compagnie de K., un ami de longue date. Nous ne nous sommes pas vu depuis très longtemps. Il me rejoint à Paris. Je suis assis au volant de ma voiture tandis que K est affalé dans mon coffre garni de vieux coussins. Nous sommes stationnés devant chez moi, au 151 avenue Ledru-Rollin. On fume des joints comme à la grande époque où, l’œil devinant le jugement de l’autre, nous composions des chansons. Au bout d’un moment, on se décide à sortir pour régler une affaire chacun de notre côté. On convient de se rejoindre à un endroit précis... à l’angle de deux rues inconnues où je vais attendre K. durant des heures.
M’y voilà, j’attends... il ne viens pas. Je commence à m’inquiéter et pars faire une tour dans le quartier pour vérifier qu’il n’est pas en train d’errer, perdu dans cette mégapole qui lui rappelle de mauvais souvenirs. [À l’instant je me dis qu’il faut continuer d’écrire dans mon lit car le sable risque de me glisser des mains sans me laisser le temps d’en extraire l’essence. Allez, je me lève pour poursuivre la transmission du fugace] Je commence à désespérer de retrouver un jour mon ami et sous la menace de cette pensée un sentiment de culpabilité m’envahit. Finalement, je retourne à ma voiture. La nuit tombe. Quand je claque la porte, K. surgit de derrière moi et me lance : « Bah alors ? ». Je l’engueule pour n’avoir pas respecté notre plan bancal. Dans le coffre où il se meut comme dans un appartement confortable trônent deux guitares. Après être sortis de la R 5, on se dirige vers le hall de ma résidence. Alors que K. passe la porte, j’entends le bruit lointain et croissant d’un moteur en surrégime. Le tonnerre approche à grande vitesse. Je me poste sur la chaussée afin de voir de quoi il s’agit. Une grosse berline dévale l’avenue qui, par ailleurs, ne ressemble plus du tout à l’avenue Ledru-Rollin. Elle fait une violente embardée et enfonce plusieurs maisons et boutiques avec l’aisance d’une jeune fille qui passe des perles autour d’un fil. Le conducteur du véhicule est invisible et l’avenue est déserte. Suis-je le seul témoin ?... Non, K. a également vu l’accident. Nous crions notre stupéfaction sans nous entendre, séparés par la vitre épaisse de la porte d’entrée. Je laisse mon ami dans le hall, peut-être de peur qu’il ne disparaisse de nouveau dans la nature, et je m’élance à la poursuite du bolide. Mais une deuxième berline exécute, juste sous mes yeux, la même prouesse que la première. Cette fois les murs et les charpentes craquent sans bruit. « La première voiture a fait le gros du travail » me dis-je. Pas du tout : je réalise qu’une rue étroite passe au travers du pâté de maisons qui vient de se faire emboutir deux fois. À mon grand étonnement cette rue existe en surimpression. L’accident perd un peu de sa superbe. Je reste tout de même persuadé que l’évènement n’est pas sans importance. En m’élançant je n’arrive pas à comprendre les raisons de mon acte. Dois-je secourir les survivants ? Où ne veux-je pas simplement garer ma voiture sur une place non payante, de sorte que demain matin je puisse dormir tout mon saoul. Je suis mentalement disposé à jouer le rôle du pompier, moi qui n’aie ni brevet, ni certificat de secourisme. Or, je réalise assez vite que le courage me manque et je dévie progressivement de la trajectoire héroïque. Abandonnant de manière définitive mon projet altruiste, il ne me vient même pas à l’esprit de composer le 18. Je m’installe au volant de mon pot de yaourt pour la troisième fois et commence à faire des tours dans le quartier. Au loin, les façades annoncent l’ouverture d’un concert de sirènes. Je m’affole car je me sens dans un état proche du coma éthylique. Pourvu que les flics ne m’arrêtent pas. Aucune envie d’entendre un médecin me dire sur un ton rassurant : « Monsieur, vous êtes apte pour une garde à vue ». Je passe sous une halle marchande et, trop effrayé par la perspective de la procédure judiciaire, je troque mon tacot contre un vélo. À l’évidence, l’esprit du moment me conduit à voir dans l’illusion de l’alcoolémie au volant un délit autrement plus grave que le vol réel d’une bicyclette. Chose étrange, ma voiture a rétrécit et s’encastre parfaitement autour de ce vélo. Les deux engins s’accordent à merveille. J’ai là un drôle de véhicule et la fuite reste à prendre.
Je prends tout droit et à droite ; j’estime être à 300 mètres de l’avenue Ledru-Rollin quand soudain je me retrouve dans une ville étrangère. Je viens de perdre Paris. Soleil, palmiers, petites routes, vallées, collines, fontaines et énormément d’enfants que j’ai du mal à esquiver avec mon vélo-auto. Du coup, je soustrais la partie auto. Le vélo ne supporte pas l’amputation et commence à tomber en ruine. Je laisse sur le chemin plusieurs pièces orphelines. Le guidon, la potence et le pédalier me font des misères et comme si la débâcle n’était pas complète, l’engin tout entier, ou du moins ce qu’il en reste, se met à rétrécir. Pour autant, cela ne suffit pas à enrayer ma course... je roule... et sous un ciel paradisiaque mon cœur est à la limite de l’implosion. Les enfants que je frôle sont beaux comme les bambins de Doisneau, mais à peine les ai-je dépassés que je sens la fureur de leur regard croître dans mon dos. N’en pouvant plus, j’opte pour les chemins de traverse. Ceux-ci me font flirter plusieurs fois avec l’accident. Je commence par manquer de me casser la gueule sur le toit d’un hôtel trois étoiles situé en contrebas. Je poursuis en échappant par miracle à une chute d’une trentaine de mètres dans un trou béant dissimulé par un chêne. La pente démesurément prononcée qui amène au cœur de ce trou me rappelle la vallée de la mort. C’était une épreuve pour cycliste tout terrain confirmé qui sommeillait aux confins du parc de L’Hermitage et qui intégrait mon imaginaire du surnaturel lorsque j’avais treize ans. À cette époque je ne l’avais pas encore domptée. Je me demande si ma découverte récente de l’épopée d’Harry Potter n’est pas à l’origine de ma course aux obstacles du côté de chez le Marchand de sable. Poursuivant à travers bois, je tombe trois fois sur des impasses. L’une d’elle m’oblige à rivaliser une seconde fois avec la vallée de la mort ; l’ivresse qui s’est subitement déclarée dans le onzième arrondissement de Paris continue de me tenir compagnie ici. Bientôt, j’aperçois des parents qui rejoignent leurs enfants et qui conspirent contre moi. La paranoïa dit son nom. Audacieux, j’entre dans une maison cerclée d’un jardin magnifique dans l’espoir qu’on me renseigne. Sous le porche, un juif m’interpelle et me demande de lui dire dans les yeux que j’ai du respect pour son peuple. Je m’exécute immédiatement et je m’enfuie, toujours en esquivant les bandes et toujours en me démenant avec ce satané guidon qui ne tient pas sur sa potence. Je me demande désormais si la mienne ne m’attend pas quelque part dans cet enfer aux allures de paradis vanté par les agences de voyage. J’arrive dans un palais qui, vous l’aurez deviné, est somptueux. Marbre, soie bleue d’araignée en rideau de dizaine de mètres, patios, musique et belles femmes. Je suis en plein mythe oriental. J’avale les kilomètres à l’intérieur de cet infini sur mon vélo rouge brinquebalant. Au bout d’une allée se cache une porte entrebâillée. Curieux, je regarde et découvre une salle gigantesque, vide et très haute de plafond. Il faut pour y rentrer descendre trois marches, mais au niveau de la dernière il y a de l’eau transparente et presque sans frisson. Quinze centimètres d’eau sur tout le sol dans cette vaste pièce. Est-ce à dire que vous nous parlez d’une piscine pour lilliputiens ? Oui, mais la plus grande piscine du monde des lilliputiens ! Dans ce rêve comme dans les autres, tout est affaire de proportions. Le carrelage miroite sous une lumière qui tombe d’un plafond menaçant comme un soleil.
Je reviens sur mes pas... à deux roues. Me glissant dans une autre salle où se tient une assemblée, je demande à une femme où se situe l’avenue Ledru-Rollin. Elle me regarde en souriant et me dit qu’il suffit d’aller tout droit en sortant du sanctuaire. Je trouve ses indications légères au regard du périple qui m’a amené dans ce drôle d’endroit. Mais elle a l’air bonne et je la crois. En me retournant, je me cogne à une jeune fille qui marche à reculons et pliée en deux, le dos parallèle au sol. Elle m’entraîne à l’opposé de ma destination. Non sans regret, je me défais d’elle et, en sortant, je salue un portier qui semble stupéfait par ma politesse. Il m’adresse un « au revoir ».
Au bout d’une centaine de mètres, je tombe sous le coup de l’étonnement et de l’effroi. Un pied à terre et abasourdi, je ne fais même plus attention au rythme inquiétant de mes pulsations cardiaques. Devant moi s’étend une mer hurlante. Des vagues énormes roulent bleues, vertes et rouges. Le son de leur déchirement me parvient soudainement aux oreilles et au même moment l’air marin conquiert mes narines. Pas de doute, je suis sur le rivage. Comment aller tout droit ? Impossible ! Je prends à droite par un chemin qui doit être celui des peureux. Longeant la mer en furie, j’arrive sur un rocher que je ne parviens pas à passer. L’écume m’emporte comme un vent capricieux ballade une feuille morte. Je sens la chaleur d’un geyser se répandre dans mon corps. Je suis en vie, les yeux ouverts.
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