Tumgik
#poubellepublique
abridurif · 3 months
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Comme je l’ai déjà dit, la perspective que mes affaires soient archivées m’effraie. Il vaudrait mieux les détruire avant. Mais elles me servent ; toutes ces pages, photos, tous ces documents accumulés, il me les faut parfois pour écrire. Car je ne me souviens pas de tout. L’écriture est une mémoire externe. On sort de soi des faits, des impressions, des réflexions pour les archiver. Nous disposons ainsi d’une base de souvenirs. Mais je ne peux m’empêcher d’y voir aussi une déchetterie. Je m’explique : l’écriture, la disposition à écrire des phrases, quelle qu’en soit la valeur, plutôt que les garder pour soi, la volonté de publier un écrit, c’est les jeter dans la poubelle publique. Dans mon cas, écrire n’a rien à voir avec le besoin de laisser une trace. Les papiers archivés dans des boîtes, classeurs, valise ne sont pas voués à me survivre ; ils me sont utiles au présent. Ils me servent à réfléchir à toutes sortes de choses. Le sens des situations subsiste mais souvent les détails des souvenirs s’estompent ou, au contraire, il ne me reste qu’un détail et ce détail fait écran à la totalité. Que faire de mes archives pour qu’elles ne passent pas en d’autres mains ? Les détruire ? Ou les garder en espérant pouvoir tout liquider avant ma mort ? Gaëlle Obiégly, Sans valeur, Bayard Éditions, 2023
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