#pasuneminceaffairecettehistoire
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eiffel21 · 1 year ago
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Sieste
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Tom s’endormit rapidement aprĂšs le repas. Ce n’était pas son habitude, mais il avait senti une grosse fatigue le terrasser et s’était allongĂ© pour une petite sieste. A peine les yeux clos, les questions Ă  propos de Joe lui revinrent en tĂȘte, tournant en boucle : comment le crocodile pouvait-il savoir, sentir Ă  qui il avait affaire ? Comment avait-il Ă©chappĂ© Ă  toutes les traques ? Vivait-il seul ou avec d’autres ? Il le voyait glisser silencieusement dans l’eau ou la vĂ©gĂ©tation, apparaissant et disparaissant comme par magie. Il sentait le souffle de son grognement puissant, Ă  en faire trembler l’eau du marĂ©cage
 Un long silence, puis une voix un peu rauque se fit entendre :
« Tom, tu es un jeune homme bien intelligent... »
L’esprit embrumĂ©, il se retourna dans son lit. Avait-il bien entendu ? Joe lui parlait-il vraiment ?
« Ca fait longtemps que j’attends quelqu’un comme toi
 quelqu’un qui puisse entendre mon histoire, avant que je ne parte pour de bon  »
Tom n’en croyait pas ses oreilles : Joe l’avait choisi, lui, pour raconter son histoire ! Il se retourna sur son lit et resta concentrĂ©, les yeux fermĂ©s. Il ne voulait en aucun cas que la voix se taise.
« Je suis nĂ© il y a fort longtemps dans une ferme, bien loin d’ici
 Moi et les miens y Ă©tions parquĂ©s, sĂ©parĂ©s les uns des autres, bien mal traitĂ©s. L’une des tiens est venue un jour et m’a montrĂ© du doigt. Son regard Ă©tait diffĂ©rent, ses gestes moins durs que ce que je connaissais. Ensuite, je me suis retrouvĂ© dans le noir, secouĂ© pendant un bon moment, sauf quand celle qui est des tiens me donnait de la viande et de l’eau. Finalement, le sol a eu fini de trembler et je suis sorti dans la lumiĂšre. Tout ce temps dans le noir avait transformĂ© mes petites Ă©cailles brunes en belles Ă©cailles brillantes. Et j’étais ici, dans ces marĂ©cages, libre.  Celle qui est des tiens m’a laissĂ© m’éloigner en paix. »
Tom n’en revenait pas. Joe, un crocodile d’élevage ! Il connaissait les hommes et leurs comportements, il avait eu le temps de les observer. Il avait aussi repĂ©rĂ© ceux qui le maltraitaient et les autres
 Tout cela Ă©tait restĂ© gravĂ© dans sa mĂ©moire. VoilĂ  qui expliquait beaucoup de choses

Joe poursuivit.
« Aujourd’hui, je suis fatiguĂ©. Ceux qui sont des tiens viennent souvent ici. Ils cherchent les miens, me cherchent
 ils ne sont pas bons pour nous, ils tuent la nature et nous, peu Ă  peu. Et je suis Ă©puisĂ©. »
La voix faiblit avant de reprendre.
« Demain matin, je m’endormirai pour de bon. Tu me trouveras prĂšs du long marĂ©cage, lĂ  oĂč les grues font leur nid au printemps. Viens me retrouver. »
Tom s’éveilla en sursaut, le front trempĂ© de sueur. Il ne pouvait pas croire qu’il s’agissait d’un rĂȘve, tout avait l’air si rĂ©el. La voix rauque de Joe rĂ©sonnait encore dans son esprit. Dehors il faisait nuit noire, sa sieste avait durĂ© des heures. Il lui restait un peu de temps avant le lever du jour.
Il saisit son portable et lança une recherche, bien dĂ©cidĂ© Ă  vĂ©rifier les informations que Joe lui avait donnĂ©es. Il trouva rapidement trace d’une ferme Ă  crocodiles sur la cĂŽte ouest du pays, oĂč les plus grands maroquiniers venaient choisir les peaux qu’ils pourraient transformer. 18 heures de route. Cela semblait coller. Les journaux locaux faisaient Ă©tat, cinquante ans plus tĂŽt, d’une visite dans la dite ferme d’une starlette amĂ©ricaine, venue pour choisir le cuir de son futur sac Ă  main. Elle avait finalement achetĂ© un crocodile et Ă©tait partie avec. Tous deux Ă©taient ensuite tombĂ©s dans l’oubli.
Le petit matin Ă©tait enfin venu. Tom enfila des bottes et partit pour le marĂ©cage. Comme guidĂ© par son instinct, il retrouva le lieu mentionnĂ© dans son rĂȘve par le vieux crocodile. En s’approchant, il entendit un souffle rauque, Ă  peine audible. C’était lui, aucun doute n’était possible. Le soleil levant reflĂ©tait sa lumiĂšre sur les Ă©cailles du reptile, qui referma ses yeux jaunes pour la derniĂšre fois. Tom Ă©tait touchĂ© par la grandeur et la beautĂ© de l’animal. Il essuya ses larmes avant de faire rouler, avec beaucoup de respect, le corps de Joe au fond de l’eau, son ultime demeure.
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