#laurine lesaint
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PRINTEMPS- ANICK ARSENAULT
21 mars premier jour du printemps
7h15 le matin
je mets mes Ă©couteurs et pèse sur PlayÂ
en ouvrant la porte de chez nous
 la neige commence à fondre
je marche sur la rue Saint-Jean
en m’attardant devant les vitrines
direction l’hôpital
gagner du temps
avant de m’entasser dans l’ascenseur
oĂą je tombe par hasard sur une chaise roulante
où git le regard fuyant le visage bleuté
une femme de mon quartier
qui ne me reconnaît pas
je monte le son
en me dirigeant vers la chambre indiquée
***
déjà une infirmière me distribue
papiers Ă signer pilules et injection
je me déshabille en tentant de garder mes écouteurs
les brancardiers arrivent
je déteste être promenée dans les couloirs d’hôpital
couchée sur une civière silencieuse
dans la salle d’opération aux murs de carrelage vert
tout n’est que bips et perfusions
j’égrène les visages de mes amis
en récitant leurs noms en chapelet
on me pousse m’encourage me place
sous une immense lumièreÂ
je remets mon corps au ventre grugé
entre les mains d’inconnus masquĂ©sÂ
qui me découperont 2 heures durant
pour extraire ce fruit noirciÂ
fertilité cancéreuse et finie
5 heures après
je lutte pour ouvrir les yeuxÂ
et aligner deux mots cohĂ©rentsÂ
13 heures après
je réussis
***
ligotée aux machines dans une chambre sombre
une pompe à morphine d’un côté
un soluté un antibiotique des comprimés de l’autre
divers tubes encombrent mes orifices
je suis clouée au lit dans une chambre commune
entre les dĂ©jections bruyantes de mon voisinÂ
et ma tĂŞte qui se bat pour comprendre
la plus longue nuit de ma vie
effrayante Ă souhait
rien Ă voir avec les accouchements
les guerrilleros colombiens armés
les morsures du berger allemandÂ
les chauffards complètements saouls
le boa de 2 mètres rampant sur mes épaules
les scorpions noirs dans mes souliers
rien Ă voir non plus avec la paniqueÂ
(mon fils égaré dans un marché équatorien
ou mon autre fils avec la tĂŞte ouverte hurlant)
***
la plus longue nuit de ma vie
impuissante mais consciente
immobile suintant de partout
des liquides entrent d’autres sortent
dans le noir
entourée de gémissements de pas feutrés
complètement droguée mais LUCIDE
rĂ©veillĂ©eÂ
seule
et muette
***
au matinÂ
stagnante je suis nue
avec un préposé qui me demande en souriant
“Est-ce que tu t’es déjà faite laver par un homme?”
en me passant un savon sur les seins
puis partout
s’attardant avec sa débarbouillette
à mes lèvres
enragée mais sans aucune force
intubée pansée
j’endure
puis
je remets péniblement mes écouteurs et pèse sur Play
en tâchant de ne pas vomir
***
22 mars
alors que je ne fais mĂŞme pasÂ
deux pas seuleÂ
sans m’appuyer sur un mur
on me renvoie chez moi
***
depuis
blindée d’antidouleurs de bouillon de poulet et de musique
je me vautre dans le jello et les bandes dessinées
les organes reprennent leur place dans mon ventre
mes points de suture fondent au rythme de la neige
j’écris une lettre à l’hôpital concernant le préposé
je retrouve mes forces
le printemps arrange bien les choses
Texte: Anick Arsenault
Illustration: Laurine LesaintÂ
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"le bal des nez", une collaboration avec l'Ă©tonnante RAULINE
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