#je rejoins le défi en cours de route
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luma-az · 4 years ago
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La Source
L’eau pure peut laver l’âme de la corruption, c’est connu. Et plus grande est la souillure, plus la pureté de l’eau doit être grande. Jusqu’au point où cette eau devient invisible à l’œil des profanes, qui ne la distinguent que par l’éclat des rayons de lumière miroitant à sa surface et qui semblent danser dans le vide. Pour la trouver, il faut remonter la rivière jusqu’à la Source. Ainsi se gagne le salut.
La rivière était profonde, au début de ton voyage. Large et pleine de courants traitres, de monstres aquatiques, de dangers sur la rive. Tu as commencé ton périple en bateau, comme tous les pèlerins. Les plus dévots tentent de nager, les plus pragmatiques se contentent d’ablutions régulières. La rivière a été trop souillée par tous que le sacré y soit encore présent, mais ça ne fait pas de mal de tenter, n’est-ce pas ?
Ramer vers l’amont est épuisant et ta voile ne t’a pas beaucoup servi. Tu as abandonné ton embarcation à la première cascade. Escalader sous l’eau était une entreprise folle, mais pour rien au monde tu n’aurais contourné l’obstacle. Cent fois tu es tombé, survivant par miracle, accueilli par l’eau tumultueuse plutôt que par les rochers acérés. Cent une fois tu es monté. Tu as fini par rejoindre le sommet.
Tu dors encore sur la rive, trempé, grignotant tes quelques provisions gâtées par l’eau et frissonnant de fièvre, déjà. Mais il n’est plus question de quitter le rivage pour chasser ou même cueillir quelques baies qui pourtant n’attendent que toi. La rivière est bien moins profonde à présent. Par moment, tu nages, mais souvent tu peux marcher. Le courant est violent, l’eau court le long de la pente raide de la montagne et danse joyeusement au-dessus des rochers traitres. Je te dirais bien de faire attention, mais écouteras-tu ? Tu n’arrives même pas à écouter le gémissement de tes pieds en sang, pauvres choses laissant des filets rouges derrière toi.
Tu n’es pas le seul pèlerin. Certains sont mieux préparés que toi et t’offrent de quoi manger, de quoi te soigner. D’autres sont morts. Leurs corps sont laissés à la rivière. On suppose que leurs âmes achèvent leur périple. C’est presque une solution de facilité. Ils doivent flotter, enfin libérés de l’eau glacée et des pierres tranchantes, ils dansent avec l’eau et volent librement jusqu’à la Source.
Tu n’es pas si libre. Pas encore. Ton esprit est de plus en plus embrouillé. Mais toujours pas assez pour m’entendre. Il n’y a qu’une idée dans ta tête, qu’une obsession : atteindre la Source. Être purifié. Lavé de tes souillures. Celles qu’on t’a infligées. Celles qu’on t’a dit d’infliger. Pour le plus grand bien. Pour l’honneur. Pour la terre qui t’a fait naitre et la gratitude envers les ancêtres. Toutes ces conneries. Au final, ce que tu veux laver, c’est la honte de n’avoir jamais dit non.
Tu t’imagines que ce petit mot était si facile, maintenant que tu ne l’as pas dit.
Enfin te voilà arrivé jusqu’à moi. Tu pleures. Comme tant d’autres. Et tu bois mon eau. Tu te laves avec. Honnêtement, tu en avais bien besoin. Tu ris. Tu chantes mes louanges. Tu sens le poids qui disparait de tes épaules, ta honte qui s’évapore, tes souvenirs avec. Tu te sens si heureux. Tu bois encore, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de toi. Rien qu’une coquille vide hébétée, qui attendra la fin là, avec les autres, au milieu des cadavres.
Quelle pitié. Être la Source, l’eau si pure qu’elle en est invisible, et souillée dès mes premières gouttes dans ce monde. Je pourrais être une si belle rivière si on me laissait tranquille. Je crie, je hurle et je tempête, je fais gronder mes courants et aiguiser mes pierres, sans qu’aucun d’entre vous ne m’entende jamais. Même toi qui m’aimais si fort. Qui m’espérait tant.
Et toi, petit pèlerin qui monte en bateau pour commencer ton périple, entendras-tu ma voix ?
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