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road-romans · 8 years ago
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s01e06 - Enquête littéraire du côté du Lac Taï (Wuxi, Chine)
“Seriez-vous un incorrigible touriste romantique ?”
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Parce qu’un écrivain amène son lecteur dans des paysages et des villes ignorés des guides touristiques, je me suis dis que la littérature étrangère serait de bon conseil dans mon périple. Cette fois-ci, Qiu Xialong exauce mon vœu en m’invitant à prendre des vacances avec son célèbre inspecteur Chen à Wuxi, ville ignorée du Lonely Planet, la pesante bible des backpackers.
“Une présentation non-touristique du Lac Taï”
L’inspecteur est envoyé en vacances par son supérieur dans le luxueux Centre de détente pour cadres du Parti à Wuxi, une « petite Shanghai » qui a fleuri sur les bords du lac Taï. Il lui plaît de pouvoir oublier un instant ses préoccupations habituelles et de trouver le temps de réfléchir à celui qu’il est :
“Après tout, réfléchir sur l’identité pouvait s’apparenter à un certain “luxe”, que seul pourrait se permettre un touriste oisif tel que lui.”
“Il était tout à fait satisfait de n’être qu’un touriste anonyme, devant une bouteille de bière et un roman policier.”
A la lecture de ces lignes, j’ai l’étrange impression d’être suivie… Mais j’ai tôt fait de renverser la vapeur et de poursuivre l’inspecteur. Comme lui, je tournique donc dans la ville le long du Grand canal. Je goûte aussi au « rare privilège d’être le seul client quelque part », le dortoir de mon auberge se transformant en chambre à part. Mais les touristes sont rares et parmi eux, je suis la seule Occidentale, aussi je ne me sens peut-être pas aussi anonyme que l’inspecteur Chen…
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Bien heureusement, cette tranquillité sera bientôt troublée par la jeune Shanshan qui prend d’abord l’inspecteur pour « un vacancier amateur de littérature », ce qu’il ne démentira pas :
“Pourquoi pas ? Ce rôle avait au moins un avantage, il lui permettait de faire beaucoup de citations en laissant la poésie dire ce qui lui serait trop difficile d’exprimer autrement.”
Et si j’use au moins autant de citations que l’inspecteur Chen, j’ai les mêmes excuses ! Et j’ai une enquête littéraire à mener.
Une enquête contre l’ennui du touriste
Shanshan expose à l’inspecteur l’envers du décor du fort développement industriel de la région : les usines déversent leurs déchets dans les eaux du lac Taï, pourtant réputées assez pures pour la boire. Si l’inspecteur Chen pense, en gourmet qu’il est, se régaler bientôt des « Trois Blancs », spécialité culinaire de la région, les récits de la jeune femme lui couperont l’appétit. Ce sera plutôt à la découverte des courants fourbes du lac que la jeune femme va entraîner le policier.
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Peu après l’arrivée de l’inspecteur, Liu, directeur de la première usine de produits chimiques du pays et représentant du Congrès du peuple de la province du Zheijiang, est assassiné. Et Shanshan qui travaille dans cette usine et multiplie les actions pour dénoncer les agissements des hommes de pouvoir contre l’environnement, fait une coupable idéale. Heureusement, l’inspecteur Chen ne résiste ni aux charmes de la jeune femme ni à la tentation de redevenir celui qu’il est au fond de lui : un policier.
“Personne ne peut plus faire la différence entre socialisme et capitalisme”
Comme à son habitude, Qiu Xiaolong profite des aventures de son inspecteur pour dresser un tableau sévère de la Chine ; lui-même vit aux Etats-Unis depuis les événements de la place Tiananmen. Dans cet opus, bien sûr, les habitudes et les fastes des cadres du Parti sont écornés et les contradictions d’un pays communiste démontrées. Mais il s’agit surtout d’écologie : comment un pays qui s’est lancé dans une course capitaliste des plus sauvages pourrait-il faire une place à un développement durable ? La Chine croît, les immeubles qui poussent dans toutes ces villes qui comptent toujours plusieurs millions d’habitants en sont une manifestation époustouflante. Et l’auteur montre comment les hommes politiques sont les auteurs-interprètes des dégâts irrémédiables de cette croissance. Car, ceux-là se désintéressent des conséquences de leurs actions tant que cela leur permet d’avancer dans leur carrière. Ça me rappelle quelque chose. Pas que j’en ai vraiment douté un jour, je constate que les différences culturelles entre l’Occident et la Chine ne se nichent pas là…
L’enquête littéraire tourne court
Après ma visite de la ville, je décide donc de gagner le parc Yuantouzhu où se trouve le Centre de détente pour cadre du Parti où l’inspecteur Chen loge durant son séjour. Mon guide-roman annonce 30 yuans pour l’entrée du parc. Mais depuis 2009, date à laquelle Qiu Xiaolong écrit cette aventure de l’inspecteur Chen, le capitalisme n’a pas remédié à l’inflation et ce n’est pas moins de 115 yuans dont je dois m’acquitter pour entrer dans ce parc ! A l’inverse de l’inspecteur, je n’avais aucun laissez-passer à montrer. A l’inverse de nos écrivains voyageurs qui partent en voyage organisé, je ne pouvais envoyer aucune note de frais. Je décidai donc d’admirer le lac depuis ses rives populaires et vérifier l’existence de ce centre pour cadres sur un plan. La littérature est moins coûteuse et je me contentai de mon roman pour imaginer le parc, et ses collines, ses énormes rochers, la maison de thé, l’Îlot de l’Epervier Couvert de Givre…
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La voiture de l’inspecteur Chen patiente devant le parc Yuantouzhu
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Le Centre de détente pour cadres du Parti n’est pas une invention romanesque
A la fin de ses vacances, l’inspecteur repart sans Shanshan qu’il avait commencé à aimer et avec une« terrible migraine » qui lui rappelle qu’« il n’avait pas exactement réussi ». Comme lui, je prends le train vers Shanghai, achète des brioches à la soupe, l’inspecteur Chen m’a dit que je pouvais « même en trouver à la gare. Il m’a aussi glissé : “Pour le billet, ne vous tracassez pas. Vous pouvez l’acheter sans difficulté, jusqu’à 5 minutes avant le départ du train.”
En terme de guide, c’est maintenant certain : la littérature étrangère pallie largement les manques du Lonely planet.
Les courants fourbes du lac Taï, Qiu Xiaolong, Liana Levi, 2010
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