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notes-feministe · 3 years ago
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Les théories en études de genre
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Introduction
Pendant longtemps, la recherche scientifique comme le grand public ne disposaient pas de concept pour discuter des différences et des inégalités sociales entre les F et les H. Elles étaient perçues comme naturelles, et la biologie permettait de saisir tant leurs origines que leurs effets. Le concept de genre va rompre avec la pensée naturaliste qui assigne les F et les H à des rôles sociaux spécifiques en raison de leur prétendues caractéristiques biologique et reproductives.
Le concept de genre permet de décrire la réalité empirique d'une organisation binaire et hiérarchisée du monde: on peut observer des pratiques sociales qui ont un genre, des métiers féminins ou masculins, des normes de genre, de féminité, de masculinité, de sexualité, qui organisent le monde et façonnent nos identités sexuées et sexuelles.
La partition binaire H/F donne lieu à des hiérarchies sociales complexes qui déterminent des positions différenciées, généralement présentées comme étant naturelle ou la conséquence de différences biologiques. En mettant au jour les processus sociaux permettant la naturalisation de ces différences et les investissement psychique dont ces identités font l'objet, le genre offre donc un formidable levier de description de la réalité et de la transformation de celle-ci.
Le concept de genre désigne les processus sociaux, culturels, historiques et psychique par lesquels les identités sexuées et sexuelles sont produites, le processus pas lesquels les frontières entre ces identités sont tracés et/ou subverties, et les dynamiques par lesquelles les rapports de pouvoir qui sou tendent ces identités et ces frontières sont perpétués ou négociés.
Outil de dénaturalisation (révéler comme social ce qui était pensé comme le produit de différences biologiques) permet de rendre visible et de nommer des réalités sociales jusque-là non interrogées: travail domestique, écart salarial, violences faites au femmes, harcèlement sexuel, travail de "care"...
Le genre: un concept, des théories
Plusieurs théories. Les théories en études de genre ont en partage de le concevoir comme une production du social et non de la nature. Elles se nourrissent des grands courants théoriques qui on marqué les sciences sociales et humaines tout comme elles y contribuent: constructionniste social, matérialisme et nouveau matérialisme, interactionnisme, post=structuralisme, études des sciences, post humanisme
Les théoriciennes féministes ont ainsi critiqué et développé le matérialisme marxiste (pionnières des "science studies" et de l'épistémologie du point de vue.
Ces théories en études de genre ne sont pas a confondre avec "la" théorie du genre qui agitent l'espace public de plusieurs pays européens depuis le début des années 2010 et qui constituent une tentative de nier les résultats scientifiques produits par les études de genre depuis près de 50 ans. Par opposition à "la" théorie du genre, qui n'est qu'une mauvaise caricature à visée réactionnaire, cet ouvrage montre la diversité des théorisations qui prennent pour objet la description et l'analyse des rapports sociaux entre F et H.
1) Du sexe au genre: l'invention d'un concept
Tempéraments et création culturelles: la dénaturalisation des stéréotypes sexués
Le deuxième Sexe 1949 Simone de Beauvoir
Le genre: d'un état psychologique à une critique des normes sexuées
Margaret Mead & John Money (considéré le premier à avoir utilisé le concept de genre 1955). Robert Stroller (intersexe et transsexuels)
Ann Oakley, critique de la naturalisation des différences entre les sexes.
Sexe biologique et genre social ?
Christine Delphy <3 (Penser le genre: quels problèmes) réfléchir se qui lie sexe et genre. Le sexe est un marqueur social dont le rôle est de signifier le genre.
Critique féministe des sciences 'Fausto-Sterling). Distinguer sexe et genre ne remet pas fondamentalement en cause le socle biologique de la distinction, puisque le sexe biologique reste le contenant binaire invariant et le fondement de la bi catégorisation.
Processus de réception du concept de genre en France
Certaines chercheuses françaises se sont inquiétées du fait que, en remplaçant le terme "sexe" par celui de "genre" on risquait d'invisibiliser les rapports hiérarchiques entre masculin et féminin.
Le concept de genre a été considéré comme une modalité d'euphémisation des rapports de domination entre les H et les F.
2) Ruptures épistémologiques et nouveaux savoirs
Epistémologies du point de vue : partir de l'expérience vécues des groupes subalternes
Dorothy Smith utilise le terme "point de vue des femmes" ("women's standpoint" dès 1974 pour dcrire une conception du monde ancrée dans une expérience vécue et qui sert de base a une critique de la sociologie. Partant de sa propre expérience, elle affirme qu'elle vit une double conscience, une double réalité: a l'université et a la maison, deux mondes qui impliquent deux types de connaissanvces et qui ne sont pas dans une relation d'égalité, car le monde des H fait autorité sur le monde des F. Le fait que la sociologie ignore toute une partie du monde vécu dans ses analyses traditionnelles amène Smith à affirmer que les groupes marginalisés doivent sans cesse passer d'une conscience à une autre, leurs propres conscience et l'experience du monde d'une part, et celles des privilégiés d'autres part, consciences et expériences qui leur son imposées. Devant penser leur londe vécu à partir de concepts prescrits par un autre monde, les femmes dévelioppent une conscience aliénée, et les sociologues féministes sont marginalisées par la hierarchie qui structure leur discipline.
Epistemologie feministe materialiste (Nancy Hartsock 1983) (Inpiration Marxiste)
Epistemologie du point de vue feministe noir (Patricia Hill Collins)
Savoirs situés et objectivité scientifique
Haraway critique l"épistemologie objectiviste".
L'idée chère à l'epistemologie objectiviste qu'il est possible d'être nulle part et partout, en surplomb du monde pour l'observer est fausse. Elle masque une position spécifique, une vision particuli_re, celle des dominants, rendue possible par des institution sociales qui la soutiennent en organisant son apparente neutralité, son absence de localisation. Versus: Affirmer que tout savoir est situé c'est donc se donner les moyens de rendre des comptes sur ce savoir, sur la facon dont il a été produit.
Selon Sandra Harding (strong objectivity), penser que le chercheur peut s'émanciper de sa position sociale pour prendre un point de vue "objectif" de "nulle part" garantit seulement que ses préjugés et croyances seront directement importés dans les résultats de sa recherche. Quand ces préjugés sont partagés par toute une communauté scientifique, car ils font partie de la culture sociale dominante, ils en deviennent indélogeables.
De nouveaux concepts pour repenser le monde
- Ecofeminisme
- Care
- Exclusion historique des femmes des révolutions démocratiques de l'ère moderne, exclusion citoyenneté ' au moment des révolutions, elles n'obtinrent le suffrage ni aux USA ni en France malgré des declarations de droits "universelles" dans les deux contextes)
3) Théories matérialistes du genre
Le patriarcat comme système d'oppression
- Christine Delphy (Pour un feminisme materialiste)
Exploitation et appropriation du travail des femmes
- Christine Delphy (L'ennemi principal)
- Division sexuelles du travail
Corps, sexualités et hétéronormativité
- L'échange economico-sexuel. Paola Tabet - opression sexuelle."Fertilité naturelle, reproduuction forcé" controle social. Mariage
- Le rôle de la sexualité dans l'exploitation des F. Andrea Dworkin, Catharine MacKinnon. Sexualité forme érotisé de domination & instrument d'oppression.
- Monique Wittig "La pensée straight"
Nouvelles perspectives matérialistes
- corps des F et renouveau de la critique du capitalisme. Caliban et la sorciere, Silvia Federici.
- New materialisms, post-humanisme et théorie féministe
4) Interactions, institutions et régimes de genre
Interactionnisme et l'ethnomethodologie s'attachent à expliquer la constitution et la permanance de l'ordre social, auquel tout le monde participe. Les travaux qui s'inspirent de ces perspectives mettent ainsi l'accent sur le rôle des interactions sociales, des institutions et des organisations dans la construction, la reproduction et la négoiation des rapports de genre et d'un ordre social genré.
Ethnométhodologie et interactionnisme: passing, genderism et doing gender
Ethnométhodologie et interactionnisme
Deux courrant du constructivisme sociologique qui se sont dévoloppés dans les années 1950 aux USA. Ils s'interessent à la signification sociale donnée par les axteurs sociaux à leur pratiques quotidiennes. Harold Garfinkel et Erving Goffman s'interessent aux interactions quotidiennes dans l’idée que tous les objets sociaux, même les plus triviaux, méritaient d’être étudiés. Il est nécessaire de s’intéresser non seulement aux structures sociales, mais aux significations, aux attentes et aux formes de catégorisation (labelling) qui sont au cœur des interactions. Ces deux auteurs ont ainsi contribué à penser la façon dont masculinités et féminités constituent des éléments centraux de l’ordre social.
Passing : le genre comme accomplissement
La sociologie n’est pas là pour décrire des contraintes sociales extérieures, mais elle doit au contraire comprendre comment les acteurs interprètent et actualisent un ensemble de normes communes et reconstruisent constamment le social. Comprendre les règles et les normes qui n’ont pas besoin d’être dites comme telles, et auxquelles les individus souscrivent consciemment ou non, afin de saisir la façon dont l’ordre social émerge, se maintient et se reproduit, malgré les profondes divisions qui traversent la société.
Encadré 5. Harold Garfinkel : le « cas Agnès »
Dans la vingtaine, Agnès est suivie par des médecins car elle demande à être opérée pour « réparer » ce qu’elle considère comme des « erreurs de la nature ». En réalité, elle s’hormone en secret depuis l’âge de 13 ans avec des anti-abortifs dérobés à sa mère, puis avec des contraceptifs, ce que Garfinkel n’apprendra que plus tard, mais qui ne changera rien à l’analyse sociologique qu’il tirera de ses rencontres avec Agnès. Bien qu’on lui ait reproché à raison de n’avoir pas su rendre compte de la situation particulière dans laquelle se déroulaient les entretiens, puisqu’il était perçu par Agnès comme un des membres de l’équipe qui devait donner son accord pour son opération, ce qui représentait un biais certain [Rogers, 1992], Garfinkel va développer son analyse du passing à partir des entretiens qu’il effectue avec elle.
Garfinkel va décrire toutes les pratiques qu’elle doit mettre en scène pour être considérée, catégorisée, reconnue comme une femme par les personnes de son entourage. Il rend compte de la façon dont elle réussit à créer la réalité sociale de son être féminin en dépit de sa physiologie et malgré le fait qu’elle a été socialisée jusqu’à l’âge de 17 ans comme un garçon. Il décrit non seulement comment elle contrôle ses attitudes, ses manières d’être lorsqu’elle marche, parle, mange, va à la plage, mais également comment elle apprend les normes de la féminité dans les interactions qu’elle entretient au quotidien avec autrui, comme apprendre à ne pas interrompre les conversations entre hommes.
Pour Garfinkel, le cas d’Agnès n’est pas hors norme. Il est au contraire un miroir grossissant des règles d’interaction qui permettent à tout un chacun d’interagir, sans avoir à systématiquement expliciter chacun de ses gestes, tous les processus de catégorisation que l’on opère pour comprendre les interactions et pour que celles-ci puissent se dérouler sans entraîner de sanction sociale. Les femmes qui sont nées de sexe féminin et ont été éduquées comme telles, nous dit Garfinkel, ont une « maîtrise routinisée », acquise depuis l’enfance, et mobilisent les mêmes savoir-faire qu’Agnès.
Garfinkel applique cette perspective aux identités sexuées. En collaborant avec Robert Stoller, psychiatre et psychanalyste américain qui travaillait avec les personnes intersexes et transgenres, et qui a été un des premiers à distinguer analytiquement sexe et genre, Garfinkel va effectuer de longs entretiens avec Agnès, une jeune personne élevée en garçon et qui a commencé à l’adolescence à développer des caractéristiques sexuelles secondaires de la féminité (seins, hanches, pilosité réduite, etc.). Il va analyser la façon dont Agnès se vit et se pense en femme, et est considérée comme telle par les autres, ce qu’il qualifie de passing.
Par passing, Garfinkel entend rendre compte de tout le travail accompli pour passer pour une femme « normale », la performance quotidienne, l’accomplissement de chaque instant qui fait que, dans chaque situation, Agnès va être amenée à donner à voir des manières d’être, de faire, des attitudes et des expressions qui seront reconnues et passeront pour des attitudes typiques de la féminité. Selon lui, l’expérience d’Agnès met en évidence les manières de rendre compte de l’appartenance sexuée que les femmes comme les hommes mettent en œuvre constamment, de façon « naturelle » ou évidente, pour être catégorisés comme tels. Elle révèle comment les caractères de la masculinité et de la féminité sont constamment « exhibés », montrés ; comment ils structurent l’interaction tout en étant constamment réaffirmés par elle.
Cette théorisation du genre comme performance quotidienne n’est pas sans rappeler celle qui sera développée quelques années plus tard par Judith Butler. Elle s’en distingue toutefois dans la mesure où l’accent est moins mis sur les discours que sur les pratiques, et que l’intérêt de Garfinkel porte davantage sur les normes de l’interaction que sur les modalités de résistance et de contournement de ces normes.
L’arrangement entre les sexes
Erving Goffman s’est lui aussi intéressé à la façon dont le genre structure les interactions sociales. intérêt constant pour l’« ordre de l’interaction » qu’il analyse tour à tour à travers la métaphore théâtrale, celle du rite ou celle des cadres. Son intérêt pour les significations sociales données par les individus, ainsi que pour les interprétations qu’ils font de symboles partagés, l’engage à développer une perspective en termes de catégorisation et d’étiquetage (label theory), autant de processus révélateurs des normes sociales d’une société donnée.
En 1976, il écrit un premier article fondé sur des photographies de publicité, « Gender advertisements », qui sera partiellement traduit et publié en français l’année suivante sous le titre « La ritualisation de la féminité » [Goffman, 1977]. Il y analyse la façon ritualisée dont les identités sexuées sont représentées, la manière dont les femmes sont toujours dépeintes comme des enfants qui chercheraient la protection de l’homme (toujours plus grand, toujours aux commandes). Il y parle de « classes de sexe », qui sont pour lui des constructions sociales entretenues par diverses manifestations ritualisées des différences entre les sexes.
L’année suivante, il publie l’article « The arrangement between the sexes » qui sera traduit en français par Hervé Maury et présenté vingt-trois ans plus tard par la sociologue Claude Zaidman [Goffman, 2000 (1977)], sous la forme d’un ouvrage qui rencontrera un accueil très favorable en France. Il explique, dans ce court essai, que le sexe est « à la base d’un code fondamental, code conformément auquel s’élaborent les interactions et structures sociales, code qui soutient également les conceptions que se font les individus de ce qui fonde leur nature humaine authentique »
Comme l’ont fait bon nombre de chercheuses féministes à la même période, Goffman s’attelle à repérer comment l’organisation sociale tout entière vise à exacerber les différences entre les sexes, au détriment des similitudes. La production sociale du genre comme duelle, bicatégorisation fondamentale et hiérarchisée, passe par la mise en scène d’une différence naturelle entre les sexes. Pour lui, les interactions s’inscrivent dans des structures sociales qui les influencent et les façonnent. Goffman qualifie ce phénomène de « réflexivité institutionnelle » et le distingue des « comportements de genre » (genderism). Si les personnes de sexes masculin et féminin contribuent à réaffirmer la prévalence sociale des différences de sexe en « mettant en scène » des « séquences d’autoconfirmation », ces comportements de genre sont eux-mêmes produits « par un environnement, en quelque sorte, conçu pour mettre [le genre] en évocation ».
L’intérêt de cette perspective est de favoriser une vision dénaturalisante des identités sexuées et de mettre l’accent sur ce qui favorise la légitimation des normes sexuées. Pour autant, certaines auteures ont critiqué le fait que Goffman ne percevait pas la dimension de pouvoir au cœur de ces arrangements [Gardner, 1989, p. 9]. De fait, l’important pour lui n’est pas le caractère pénible du désavantage que subit une catégorie défavorisée (ici les femmes), mais la façon dont les structures sociales participent de la création, de la légitimation et de la normalisation de ce désavantage.
Encadré 6. Erving Goffman : des différences garantes des arrangements entre les sexes
Partant du constat que les différences biologiques entre les hommes et les femmes sont relativement minimes en regard de leurs similitudes, Goffman s’étonne de l’importance de leurs conséquences sociales présentées comme le pur produit de différences naturelles. Le traitement différentiel des hommes et des femmes est souvent justifié par des croyances relatives aux différences entre les sexes : la différence de taille, le rôle différentiel dans la reproduction par exemple. Or, pour lui, ce sont au contraire des différences qui pourraient ne prendre aucun sens socialement. Il suffirait d’« un peu d’organisation » pour que « ces faits de la vie n’aient pas de conséquences sociales » [Goffman, 2000 (1977), p. 43]. Pourtant, il apparaît que les différences sexuées sont présentées comme devant impliquer une organisation sociale unique, naturelle et évidente. Au lieu d’expliquer les conséquences sociales des différences entre les sexes, Goffman propose au contraire de s’interroger sur « la manière dont ces différences ont été (et sont) mises en avant comme garantes de nos arrangements sociaux, et surtout la manière dont le fonctionnement de nos institutions sociales permet de rendre acceptable cette façon d’en rendre compte ».
L’« arrangement des sexes » se crée et se recrée perpétuellement au travers des interactions. La simple coprésence d’un frère et d’une sœur, et le traitement différent dont ils peuvent faire l’objet, implique un apprentissage précoce de la place de chaque sexe et du « sens le plus profond de ce que l’on est — sa propre identité de genre » [p. 77]. Goffman décrit tout le jeu subtil qui permet aux hommes et aux femmes de confirmer leur appartenance de genre ou de sanctionner les transgressions. « Chaque sexe devient un dispositif de formation pour l’autre sexe », écrit-il. Avec différents exemples, il présente les hiérarchies entre les sexes et les désavantages qui touchent avant tout les femmes (comme la restriction d’accès à l’espace public ou l’exclusion des fonctions politiques) et tente de documenter comment ceux-ci sont maintenus et reproduits constamment.
L’auteur illustre également la réflexivité institutionnelle qui favorise la production de la différence en étudiant tour à tour cinq exemples de pratiques de la classe moyenne blanche américaine des années 1970, allant de la division sexuelle du travail aux pratiques relatives aux toilettes, autant d’exemples généralement présentés « comme une conséquence naturelle de la différence entre les classes sexuelles, alors qu’en fait c’est un moyen d’honorer sinon de produire cette différence ». Ainsi, l’agencement entre espace mixte et espace non mixte, les « séparations périodiques » tout comme ce qu’il appelle l’organisation parallèle (le fait de mettre les enfants en colonne selon le sexe dans la cour d’école) permettent de donner sens aux différences sexuées.
Doing gender : créer et fixer les différences
Doing Gender - Candace West & Don Zimmerman
Organisation et régimes de genre
- Joan Acker (1990,2009)
- Raewyn Connell (2006)
Raewyn estime que les régimes de genre sont constitués de 4 éléments:
1: la division sexuée du travail et des tâches et l'association de ceux ci a l'un ou l'autre sexe.
2: les relations de pouvoir et la facon de l'exercer
3: les emotions et la facon dont les affects permettent des formes de solidarité ou au contraire d'inimité en lien avec l'identité de genre
4: culture genrée, cad des croyances et des symboles liés au genre que tout un chacun mobilise pour comprendre le monde qui l'entoure et interpréter les interactions.
Masculinités et ordre de genre
Pluralité des masculinités et hiérarchies. Certaines valorisées (Masculinité hégémonique) et d'autres dépréciées.
5) Repenser le sujet et l'identité: théories poststructuralistes du genre
Tournants discursifs
Les théorisations post-structuralistes du genre s’intéressent à la façon dont les discours façonnent le genre et les identités que celui-ci soutient. Cette approche qui insiste sur le langage permet tout d’abord de penser la malléabilité du genre : la signification du langage n’est jamais fixée, toujours sujette à interprétation [Scott, 1988b]. Les significations sociales et culturelles attachées au genre sont donc elles aussi susceptibles de changement et d’interprétations différentes.
Cette approche permet également de penser le lien entre le genre et la subjectivité. En effet, influencées par la philosophie wittgensteinienne et par la psychanalyse, les théoriciennes post-structuralistes considèrent que le langage est ce qui permet aux individus d’être au monde et à soi, d’exister en tant que sujets. Considérer le genre comme une dimension du langage — puisque celui-ci est genré — et comme fonctionnant comme un langage ouvre la voie à des réflexions sur la façon dont le genre façonne les subjectivités, dont le sujet est, littéralement, en-gendré, ou « mis en genre » à travers le langage, qu’il soit paroles ou images.
l’influence de la théorie psychanalytique joue également un rôle. Scott rejette en partie les théories féministes psychanalytiques qui marquent le débat dans lequel elle s’inscrit, à savoir d’une part la théorie de la relation d’objet développée dès la fin des années 1970 par Nancy Chodorow [1978], et d’autre part la théorie du psychanalyste français Jacques Lacan, utilisée par des féministes françaises telles que Luce Irigaray [1974] et qui date de la même époque. Pour l’école de la théorie de la relation d’objet, focalisée sur la structuration de la personnalité lors de la petite enfance, le sexe de l’enfant génère une résolution différenciée pour les filles et les garçons du conflit œdipien, qui aboutit à des personnalités différentes en fonction de l’éloignement réalisé avec la figure maternelle — les filles seront portées à s’occuper d’autrui, les garçons à développer une forme de distance au monde et à valoriser l’abstraction —, et c’est cette expérience de la petite enfance qui expliquerait l’organisation sociale genrée de la société (chapitre II). Scott critique cette théorie en soulignant qu’elle se focalise trop sur la sphère familiale, et ne parvient pas à expliquer pourquoi la féminité est associée à des activités dévalorisées socialement, et la masculinité au contraire associée au pouvoir.
La théorie lacanienne semble plus prometteuse en ce qu’elle s’intéresse elle aussi avant tout au langage, à l’ordre symbolique. Elle suggère que c’est l’ordre symbolique qui donne sa signification à l’expérience vécue. Il n’y a pas d’expérience déjà là, sans interprétation préalable. Scott continuera d’ailleurs de défendre l’idée que l’expérience est toujours à interpréter, qu’elle ne saurait constituer une donnée brute pour l’historienne [Scott, 1992]. Toutefois, la théorie lacanienne pèche également par homogénéisation et universalisation. Scott conteste ainsi l’idée centrale que le rapport au phallus — entendu comme signifiant de l’autorité — et la peur de la castration puissent expliquer l’entièreté du processus de création de l’identité du sujet. En effet, elle note que cette théorisation nie toute possibilité de variation historique de ce que le féminin et le masculin peuvent représenter symboliquement.
Scott retient toutefois de la psychanalyse cette capacité à penser un sujet tiraillé et non unifié, et l’importance de prendre en compte les dimensions érotiques et liées au fantasme, et donc la sexualité, dans l’analyse du genre. Alors que la sexualité était comprise chez les théoriciennes matérialistes avant tout comme un lieu d’appropriation et d’exploitation, elle sera, pour les théoriciennes post-structuralistes, un domaine à partir duquel explorer les tensions, contradictions, renversements et excès qui participent à la construction des identités de genre.
Empruntant à Foucault sa conception du pouvoir comme non unifié et non cohérent — loin donc des analyses marxistes — et à Derrida une approche par la déconstruction, Scott affirme que, plutôt que de présupposer la binarité de genre, il faut s’intéresser à la façon dont cette binarité opère contextuellement, pour mieux la déplacer ou la renverser [Scott, 1988b]. Il faut donc historiciser et déconstruire les termes de la différence sexuée (sexual difference, entendue ici au sens de la différence que le genre exprime et à laquelle il donne sens) plutôt que de les reproduire par des analyses qui les prennent pour objet sans jamais les remettre en question.
En découle une définition de ce qu’est le genre qui comprend deux dimensions : « Le genre est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir ». En affirmant que le genre est fondé sur des « différences perçues entre les sexes », elle introduit un écart radical entre sexe et genre qui laisse la place à une exploration des multiples façons dont, historiquement, le genre a pu être élaboré, à partir de et en tension avec ces différences perçues. Dans cet écart, se logent des représentations symboliques chargées de signifier le genre puisqu’il n’est pas identique au sexe, représentations dont les possibilités métaphoriques sont régulées par les rapports de pouvoir mais aussi illimitées : les qualités associées aux unes et aux autres selon les époques et les contextes varient et peuvent être réinterprétées.
Technologie du genre
Teresa de Lauretis: volonté de décentrer la théorisation du genre de la question de la différence sexuée pour éviter son universalisation intempestive. Cependant, elle accorde à la sexualité une place plus centrale dans son analyse que ne le fait Scott. La différence sexuée n’est pas le seul langage qui véhicule et produit du genre. Ce sujet qui se constitue toujours comme sujet genré l’est aussi « dans l’expérience de la race, de la classe et des relations sexuelles, un sujet par conséquent qui n’est pas unifié mais plutôt multiple, et non tant divisé que contradictoire ». Selon de Lauretis, il nous faut prêter attention aux intérêts qui motivent ces déconstructions : déconstruire le genre au nom de l’égalité amène ainsi certainement à réinscrire la centralité de la différence sexuée dans le discours hégémonique — un dilemme également noté par Joan W. Scott [1988a]. Les théoriciennes post-structuralistes entreprennent de ce fait un pas de côté important au regard aussi bien des tenantes du courant matérialiste que de ce qu’il est convenu d’appeler le féminisme libéral, à savoir un courant politique axé sur la revendication de droits et d’égalité pour les femmes (sans remise en cause des structures d’oppression ou de la binarité du genre).
Performativité du genre, Judith Butler
Encadré 7. Judith Butler : Trouble dans le genre
Gender Trouble paraît en 1990 et connaît rapidement un immense succès. Il s’impose comme un ouvrage majeur pour théoriser le genre. Il discute et critique de nombreuses théories allant de l’anthropologie à la psychanalyse : Lévi-Strauss, Freud, Lacan, Wittig, Rubin, Kristeva, Foucault. Il est impossible d’en résumer la richesse ou la complexité des arguments. On peut toutefois noter ce que le champ des études de genre a retenu en priorité de l’ouvrage. Tout d’abord, la proposition théorique de Butler de la performativité du genre implique non seulement que l’identité de genre n’est en rien naturelle, mais que le sexe biologique est lui aussi socialement construit, par l’identité de genre. Pour Butler, il n’y a pas de « fait » biologique qui existerait en dehors des significations dont le corps est investi. Ainsi, « le sexe est, par définition, du genre de part en part » [Butler, 2005, p. 71]. Butler critique donc la « métaphysique de la substance » — le fait de percevoir le genre et le sexe comme naturels et stables — et définit, dévoile le genre « comme un faire, mais non le fait d’un sujet qui précéderait le faire ».
Outre cette dénaturalisation radicale du sexe, Trouble dans le genre, comme d’autres approches post-structuralistes du genre, articule le genre, le sexe, la sexualité et le désir. En effet, Butler affirme que les individus ne sont « intelligibles », reconnus en tant que personnes, que dans la mesure où ils sont genrés et performent le « bon » genre, c’est-à-dire un genre aligné avec le sexe et avec une orientation sexuelle vers le « sexe » opposé. Il y a donc ainsi des « genres intelligibles » et des genres non intelligibles. Le travail social, psychique et émotionnel de la norme de genre consiste alors à maintenir l’apparence d’une cohérence entre ces trois dimensions, et à éloigner les éléments qui introduiraient des discontinuités et des incohérences.
Parmi les pratiques régulatrices du genre figure de façon première et primordiale l’hétérosexualité, car elle nécessite la production d’une binarité et d’une hiérarchie entre féminin et masculin. En effet, l’hétérosexualité présuppose que du sexe découle un genre et de ce genre un désir orienté uniquement vers le « sexe » opposé. Dès lors le désir reflète le genre, et réciproquement le genre se traduit en désir. Ainsi, l’hétérosexualité participe à la « métaphysique de la substance » qui caractérise le genre car elle nécessite deux genres, binaires et opposés. Cette consolidation du genre comme univoque et binaire, et de la sexualité comme unidirectionnelle, participe et garantit selon Butler la domination masculine et l’hétérosexisme, à savoir la norme imposant l’hétérosexualité comme seule sexualité acceptable.
Pour illustrer l’idée centrale que la performance de l’identité de genre, éternelle répétition stylisée de la féminité ou de la masculinité, est une copie sans original, Butler utilise plusieurs exemples. Elle interprète ainsi les performances de drag queens comme des parodies du genre féminin soulignant que la parodie, dans son caractère outrancier, révèle justement que la féminité est artificielle. Elle utilise aussi l’exemple du modèle du couple lesbien butch/femme (lesbienne masculine/féminine) dont elle affirme qu’il reproduit, mais de façon ironique, la relation de genre hétérosexuelle au sein de l’homosexualité. Ainsi, même les sexualités subversives s’expriment dans les termes binaires et hiérarchisés du pouvoir, cependant sans le répliquer. En effet, elles déplacent et redistribuent les possibilités autour de la relation phallique féminin/masculin qui symbolise le pouvoir. Adopté dans le cadre lesbien, le couple « hétéro » butch/femme met en relief que la norme hétérosexuelle est elle aussi construite.
Ainsi, contre Wittig, Butler affirme qu’il n’y a pas d’en-dehors du genre et des normes hétérosexuelles. Alors que Wittig affirme que la lesbienne « n’est pas une femme » et se situe en dehors du genre et de l’hétérosexualité, pour Butler cette proposition reproduit, dans son rejet même de l’hétérosexualité, la binarité entre homosexualité et hétérosexualité. Butler rappelle qu’il y a dans les pratiques homosexuelles des structures psychiques hétérosexuelles et vice versa. Plutôt que de reproduire la dichotomie hétéro/homo, Butler propose donc de la troubler.
Trouble dans le genre s’ouvre et se clôt sur une réflexion politique sur le féminisme. Pour Butler, faire des « femmes » le sujet et la fondation du projet féministe constitue un danger. Reprendre la matrice culturelle binaire du genre, c’est forcément exclure celles et ceux qui ne sont pas « lus » ou identifiés comme possédant le « bon » genre. Le livre se clôt avec une invitation à utiliser la parodie comme mode d’action politique. Butler rappelle que les injonctions à être un « bon » sujet genré sont traversées de contradictions et sujettes à des échecs car sexe, genre et désir hétérosexuel ne sont pas toujours alignés. Dans ces écarts se loge la possibilité de reconfigurations complexes pour chaque individu.
Il est donc possible pour le sujet de « défaire le genre », pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages ultérieurs, en introduisant des discontinuités et des incohérences entre sexe, genre et désir sexuel. Ces discontinuités font apparaître le caractère fictif du genre et les régulations normatives qui le produisent comme artificielles. Plus qu’à une éradication, la théorisation butlérienne du genre invite à une déstabilisation, « par l’hyperbole, la dissonance, la confusion interne et la prolifération » [Butler, 2005].
Théorisations queer
La frontière qui sépare la théorisation féministe post-structuraliste de la théorie queer est remarquablement difficile à tracer ou à identifier. Non seulement le qualificatif queer a tout d’abord été forgé et utilisé par de Lauretis pour qualifier son approche théorique, mais Butler est également considérée comme une figure pionnière de la théorie queer, quand bien même Trouble dans le genre se présente avant tout comme un ouvrage de théorie féministe.
Encadré 8. Paul B. Preciado : technologies de genre et de sexe, et biopolitique queer
À travers plusieurs ouvrages [Preciado, 2000 ; 2008], le philosophe espagnol Paul B. Preciado propose une critique des systèmes de technologies de genre et de sexe, et invite à repenser le sexe et le genre non pas comme des identités, mais comme des technologies de pouvoir, pouvant donner lieu à des contre-pratiques permettant aux corps de retrouver leur souveraineté dans un monde capitaliste « pharmacopornographique ».
Théoricien queer et trans, Preciado s’inspire en particulier de Wittig, Foucault, Haraway, Derrida, et Butler, pour affirmer, dans une perspective de déconstruction épistémologique radicale, que le sexe et le genre sont des artefacts, les produits de technologies de pouvoir qui se prétendent naturelles. Cette perspective déconstructive est cependant articulée à une perspective politique productive, à savoir le désir — qui fait écho aux luttes LGBTQI et en particulier transgenres et intersexes — de libérer les corps des régimes technologiques qui les asservissent dans des systèmes de genre et d’hétérosexualité imposés. En ce sens, il propose également des contre-pratiques, contre-disciplines corporelles, sexuelles, technologiques pour s’émanciper de ces systèmes.
Dans son Manifeste contra-sexuel [2000], Preciado affirme que la sexualité est une technologie et non une identité : « En tant qu’organe et en tant que pratique, le sexe n’est ni un lieu biologique précis ni une pulsion naturelle. En fait le sexe est une technologie de domination hétérosociale qui réduit le corps à des zones érogènes en fonction d’une répartition asymétrique du pouvoir selon les genres (féminin/masculin), de manière à ce que coïncident certains affects avec certains organes, certaines sensations avec certaines réactions anatomiques » [p. 24]. Le système de genre hétérosexuel opère ainsi par réduction de la sexualité à la génitalité, et une réduction de l’impulsion sexuelle au pénis, alors que la sexualité pourrait concerner toutes les zones du corps.
Pour contrer cette technologie de sexe et de genre, Preciado propose de nouvelles technologies contra-productives comme les pratiques de pénétration anale ou la « godotectonique », à savoir l’utilisation de godes (pénis artificiels) et l’utilisation de parties corporelles, telles que les bras ou les jambes, comme des godes. En effet, il affirme que ces pratiques ne sont pas associées à un genre, elles ne sont pas « naturelles », et mettent tous les corps en équivalence, capables d’occuper de multiples positions (féminine, masculine, perverse).
Sa focalisation sur la corporéité du genre, et sur la façon dont les systèmes technologiques de genre et de sexe transforment et altèrent les corps, amène Preciado à une critique du capitalisme qu’il nomme « pharmacopornographique », fondé sur l’injection massive d’hormones de synthèse (pilule, Viagra, testostérone, antidépresseurs, etc.). Il s’agit selon Preciado, reprenant l’analyse foucaldienne de différents régimes historiques de la sexualité, d’un nouveau régime de vérité du genre et du sexe, fondé sur des pratiques biomédicales (la pharmacologie) et médiatiques (la pornographie) permettant de contrôler la subjectivité et le corps des individus.
Prenant l’exemple de l’invention de la pilule au début des années 1950, de son expérimentation sur des femmes racisées à Porto Rico et de sa prescription massive malgré ses effets secondaires dramatiques sur la santé des femmes, Preciado rappelle que la pilule, par un artifice hormonal, recrée des femmes « naturelles » en simulant le cycle menstruel artificiellement. Ce nouveau régime biopolitique a pour objectif de « contrôler la sexualité des corps codifiés comme femmes et faire éjaculer les corps codifiés comme hommes » [Preciado, 2010, p. 247]. Pour « pirater » cette technologie de genre et de sexe oppressive, Preciado utilise un gel à base de testostérone pendant l’écriture de son livre Testo Junkie [2008] et documente les effets de cette contre-pratique sur son corps et sa subjectivité de genre.
Utiliser son corps pour s’extraire des normes, réclamer une souveraineté en tant qu’être vivant, ce programme politique peut s’appliquer non seulement aux catégories de sexe et de genre mais à toutes les catégories définies par des rapports politiques tels que la race, la migration ou le capacitisme.
6) Vers une théorie intersectionnelle du genre
Des concepts pour penser l'articulation des rapports sociaux et la formation des identités
Davis / Collins / Crenshaw
Encadré 9. Kimberlé W. Crenshaw : intersectionnalité structurelle et politique
Dans un second article, Crenshaw [2005 (1991)] développe son analyse en lien avec les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes et les discours féministes et antiracistes qui les soutiennent. Crenshaw distingue tout d’abord trois formes d’intersectionnalité :
1) l’intersectionnalité structurelle, qui place les femmes de couleur à l’intersection de plusieurs rapports sociaux qui les rendent vulnérables et les invisibilisent dans les politiques publiques ;
2) l’intersectionnalité politique, qui concerne la façon dont les mouvements sociaux et les acteurs collectifs qui luttent contre les violences faites aux femmes ou contre le racisme omettent la plupart du temps de prendre en compte l’expérience des femmes de couleur dans l’élaboration de leurs revendications et de leurs actions ;
3) l’intersectionnalité représentationnelle, qui concerne la façon dont les femmes de couleur sont (mal) représentées dans la culture populaire et les médias américains.
S’intéressant aux politiques californiennes de lutte contre les violences faites aux femmes, Crenshaw note comment les politiques publiques tendent à ignorer les besoins des femmes de couleur ou à renforcer leur vulnérabilité. Elle prend l’exemple des démarches que doivent effectuer les femmes immigrées victimes de violences conjugales, qui sont protégées par des mesures légales, mais dont la précarité économique et linguistique les empêche souvent de réunir les preuves nécessaires à la reconnaissance de leur préjudice. Ainsi, si formellement la loi s’adresse à toutes les femmes, en pratique, seules certaines femmes privilégiées pourront être reconnues victimes. Cet effet différentiel des politiques censées améliorer la situation des femmes constitue ce que Crenshaw désigne par intersectionnalité structurelle.
En parlant d’intersectionnalité politique, Crenshaw cherche à désigner un autre effet, celui qui veut que les femmes racisées soient situées dans deux groupes, les personnes racisées défendues par les groupes antiracistes d’une part, et les femmes défendues par les féministes d’autre part, dont les priorités politiques peuvent parfois être en contradiction. Crenshaw donne pour exemple l’impossibilité à laquelle elle fut confrontée d’obtenir et de rendre publiques des statistiques sur la violence conjugale par quartier à Los Angeles. En effet, vu l’intensité de la ségrégation ethnique spatiale dans la ville, les acteurs locaux défendant les minorités ethniques dans les quartiers s’opposaient à rendre ces statistiques publiques. L’ampleur de la violence conjugale dans les quartiers défavorisés, dans lesquels les habitants sont majoritairement issus des minorités ethniques serait en effet de nature à renforcer les stéréotypes négatifs selon lesquels les hommes de ces communautés sont plus violents. La question de documenter et de mettre en place des mesures pour protéger les femmes noires et latinas se trouve donc stratégiquement exclue de l’agenda politique prioritaire de ces mouvements.
Parallèlement, Crenshaw analyse les efforts des coalitions luttant contre les violences faites aux femmes pour présenter celles-ci comme transversales à toute la société et note leur caractère problématique : en effet, si ce discours a pour but avoué de ne pas reproduire les stéréotypes concernant la violence supposée plus grande des communautés noires et immigrées, il a aussi pour effet direct de focaliser l’attention sur l’expérience des femmes privilégiées — blanches, de classe moyenne —, invisibilisant par là même celle des femmes marginalisées de façons multiples, pour lesquelles la violence conjugale est liée à la pauvreté, la vulnérabilité économique, le harcèlement policier, le racisme systémique, le statut légal, etc. Cette stratégie aboutit alors à proposer des programmes de lutte contre les violences conjugales qui ne sont pas adaptés aux besoins des femmes racisées.
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a-room-of-my-own · 5 years ago
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« Question trans » : les colleuses contre les féminicides se divisent et toutes les femmes sont menacées
Le collectif de colleuses d’affiches contre les féminicides se divise autour de la « question trans ». Il s’agit bien plus que d’une querelle de chapelles : au-delà du groupe des colleuses, c’est l’avenir du féminisme et des politiques d’égalité qui est en jeu.
La polémique a débuté lorsque des activistes ont profité de la visibilité de la méthode des collages pour imposer leurs propres slogans.
Leur propos était de condamner – en l’occurrence au « bûcher » - les dénommées « TERFs », acronyme signifiant : Trans Exclusionary Radical Feminist. De nombreuses féministes en effet considèrent que les personnes trans ne devraient pas être incluses dans les espaces réservés aux femmes et ne devraient pas être au centre de l’agenda féministe.
Les « femmes trans » sont-elles des femmes ? Autrement dit, suffit-il de s’auto-proclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ?
Comment une société peut-elle défendre les droits des femmes et œuvrer à l’égalité si le mot « femme » change de définition ?
Selon les féministes radicales et matérialistes, les femmes sont tout d’abord des êtres humains femelles. Elles ont un double chromosome X et, sauf malformation ou anomalie, elles ont un appareil génital qui permet la gestation et l’accouchement d’un enfant.
Les caractéristiques physiques liés à la procréation correspondent au sexe biologique, notion distincte de celle de « genre », qui désigne une construction sociale, et plus exactement un système d’oppression qui organise l’humanité en deux groupes, l’un dominant et exploitant l’autre.
Cette exploitation des femmes est intrinsèquement liée à leur biologie. Dans nos sociétés, les petites filles sont éduquées différemment des petits garçons ; en raison de leur sexe de fille. Les femmes sont collectivement et individuellement dévalorisées et réduites à un statut d’objet sexuel et de pourvoyeuse de soins ; en raison de leur sexe de femme.
Or les transactivistes, ennemis des « TERFs », ont une toute autre définition de ces termes. Pour eux, le genre est certes une construction sociale, mais il n’est pas lié au sexe. Une personne peut avoir un corps ou un autre, elle sera homme ou femme (ou autre…) en fonction de son ressenti. Si une personne déclare se sentir femme, elle est une femme. Si elle déclare se sentir homme, c’est le même principe qui s’applique. Le genre est une identité qui ne repose sur aucune base matérielle.
Il est des contextes où, en effet, le ressenti ne peut pas être contesté. Si je ressens une douleur physique ou morale, je suis la seule à pouvoir l’affirmer, et personne ne devrait le nier.
Être une femme n’est pas un ressenti. Cela correspond à une réalité physiologique très spécifique et à un vécu social tout aussi spécifique. Tout cela est réel. Dans nos sociétés, être une femme, c’est souffrir et être épuisée tous les mois mais devoir travailler comme si de rien n’était. C’est être considérée comme une proie potentielle dans l’espace public et comme une travailleuse bénévole dans l’espace privée. Ce statut repose sur la réalité de notre corps. Si je suis, entre autres, discriminée à l’emploi et sous-payée, ce n’est pas parce que je « me sens une femme », ni parce que j’ai une « identité » de femme, mais bien parce que chacun saura, en me voyant, que j’ai un corps de femme. Aucun « ressenti » ne pourra être équivalent à cette réalité.
Les « femmes trans » quant à elles, sont des personnes nées garçons, qui ont le plus souvent conservé un corps d’homme (dans 75% à 80% des cas en France, elles n’ont subi aucune intervention chirurgicale), mais qui affirment avoir une « identité de genre » de femme, et ainsi être des femmes au même titre que les êtres humains femelles qui ont un utérus et qui depuis leur naissance subissent la misogynie de notre société.
Si les « femmes trans » sont considérées comme des femmes, quel que soit leur corps ou leur apparence physique, alors le mot « femme » s’applique à qui le souhaite, même à des personnes ayant un corps et une apparence d’homme.
Or, dans une société encore patriarcale, les mots « femme » et « homme » doivent garder leur signification. Nous avons besoin de pouvoir mesurer les inégalités entre les sexes pour les dénoncer et surtout les corriger. Il nous faut pouvoir mettre en œuvre des politiques publiques et des mesures correctives qui s’adressent spécifiquement aux femmes.
Quel sens auraient les listes paritaires en politique, les programmes ciblés pour créatrices d’entreprises et femmes scientifiques, les compétitions sportives féminines… si des hommes peuvent s’y imposer d’une simple déclaration d’identité ?
Considérer les « femmes trans » comme des femmes pose des problèmes encore plus concrets. Quel que soit le ressenti de ces personnes, quelle que soit leur sincérité, les femmes n’ont pas le loisir de prendre le risque d’accepter des hommes dans les espaces non-mixtes : vestiaires de sport, toilettes publiques ou dortoirs d’auberges de jeunesse, mais aussi prisons et centres d’hébergement d’urgence pour femmes victimes de violences masculines.
Aucune féministe ne met en cause la souffrance des personnes qui ne se sentent pas « nées dans le bon corps ». Cela dit, nous devons veiller à préserver nos espaces et à ce que nos stratégies restent centrées sur les filles et les femmes. C’est la survie de notre mouvement qui est en jeu, et donc la survie de nos droits et de notre intégrité.
Pauline Arrighi
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