Tumgik
#baiserdebout
abridurif · 6 years
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Baiser debout
Baiser debout, je ne sais plus que baiser debout, je ne sais plus baiser dans un lit, je ne fais plus l’amour depuis longtemps, je ne fais que baiser, chercher un trou, une queue, un corps contre lequel me cogner, je baise dans des cagibis, des conduits, des lieux faits pour ça, tellement faits pour ça que parfois ça détourne de son désir, je paye ma taxe à l’entrée, me désape, et entre dans le manège, jusqu’à ce que le désir soit bu, ne sors pas de ma solitude, c’est devenu un rituel, je m’y rends comme un automate, je ne suis plus qu’un corps parmi d’autres corps, je sue, je fume, je bois, je consomme sur place et m’en retourne chez moi, ça ne laisse guère de trace, j’emporte avec moi l’odeur des corps contre lesquels je me suis cogné, je prends congé, je suis congédié, je rends mon bracelet à la sortie, dis bonsoir, bonne nuit, à celui posté derrière la caisse enregistreuse, d’autres gars prennent le relais, un algorithme pourrait prévoir la fréquence de mes ébats, je suis devenu prévisible jusque dans l’intime ou ce qui est supposé tel, parfois j’ai peur que le désir ne meurt, s’étiole, comme le reste, c’est pour ça que j’y retourne, pour vérifier, je bande encore, dans le vide, des images s’agglutinent dans ma tête, jusqu’à effacer les visages de ceux avec lesquels il s’est passé quelque chose, sans un mot, essuie-tout, le désir éconduit, le mot et la chose, coquilles vides, ce n’est pas nouveau, c’est déjà passé, et puis ça revient, trajets tour à tour appris, désappris, ça ne prend pas toujours, le désir, ici, creuse plus qu’il ne comble, la corde au cou, il faut bien que quelqu’un la coupe, évacue le corps, pas de place pour l’émotion, si je me laisse émouvoir, je tombe, quand je rêve de cul, c’est cliché, c’est aussi pauvre que dans la réalité, je vérifie mes circuits, choisis le plus court chemin, dans ma tête, un rond-point, une impasse, un sens unique, la réciproque, c’est son affaire, je n’ai pas vu les années passer, quand j’avais vingt ans, j’allais sur les quais, dans les squares, je baisais dehors, dans l’espace public, dans le noir, avec le ciel au-dessus de ma tête, aujourd’hui, je baise dans des établissements où je paye une taxe à l’entrée, avec un plafond bas au-dessus de ma tête, l’espace s’est rétréci, le désir aussi, « Rester vertical », dirait Alain Guiraudie, il a le chic pour trouver des titres qui claquent, et faire des films qui n’appartiennent qu’à lui, me regardent, viennent me hisser à la hauteur de l’appui de la fenêtre sur rue, « Ce vieux rêve qui bouge », et selon lui, il n’y a pas de communauté homosexuelle, nous sommes des singletons, nous sommes devenus indifférents au sort de nos congénères, et cependant, dans ses films, il met en scène des communautés d’hommes, des huis-clos à ciel ouvert, fait sauter les verrous, pas de tabous, pas de jugements, la chair n’est pas triste, il accueille toutes sortes de corps, et il y a aussi des mots, des gestes, des regards qui ouvrent des brèches, nous font voir le monde autrement, de l’espace entre les hommes, une aire de jeu qui s’ouvre à eux, de la place pour l’amour, des yeux qui se ferment pour voir au-dedans de soi ce qui tournoie, se fendille, des hommes devenus doux comme des agneaux, des agneaux dans des corps de loups, des victimes qui aiment leur bourreau, des moches qui deviennent beaux, des beaux qui deviennent monstres, la puissance de métamorphose qui réside en chacun de nous, les peurs qui, une fois nommées, se dissolvent, les sillons que nous avons tracés sur le sol qui s’effacent, les paroles de ceux que nous aimons qui font leur trajet en nous, nous avons toujours la possibilité de varier les figures, de sortir du sillon qui se présente à nous, ouvrir les yeux pendant l’amour, les fermer, parcourir le corps de l’amant et n’en faire jamais le tour, dehors, tout le monde dehors, debout, tout le monde debout, le cul, ça fait les comptes ronds, quand je dors, je peux entrer dehors, tout le dehors entre en moi quand je baise debout, tout ce qui me rappelle que le désir n’est pas mort.
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