#Herein Novaciéries
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HYPERCONNEXION
Stéphanie Pichon / © Laurent Philippe
Le festival de danse À Corps du TAP, à Poitiers, prend le pouls d’une époque dès son ouverture laissée au jeune collectif (LA)HORDE et sa pièce sous très haute tension To Da Bone. Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel y propulsent sur scène une communauté de danseurs de jumpstyle plus habitués à se filmer pour les réseaux sociaux qu’à se présenter groupés au plateau. Rencontre avec un collectif touche-à-tout et connecté, dont l’oeuvre aussi foisonnante que protéiforme (danse, cinéma, installations) fait éclater le potentiel des danses post-internet.
Une des définitions du terme « horde », c’est « troupe nombreuse et indisciplinée ». Une autre y ajoute l’idée de sauvagerie et de violence. Que revendiquez-vous avec cette appellation ?
On aimait bien l’énergie du mot et sa capacité à porter notre envie d’être inclusifs. Même si nous ne sommes que trois, nous voulions que ce nom soit représentatif quand on est au plateau avec 15 danseurs ou quand on fait des performances à 100 participants. Quant au caractère violent, c’est plus une manière de jouer sur des ambivalences, de ne pas tomber dans une appellation lisse, manichéenne.
Qu’est-ce qu’une danse post-internet, matériau sur lequel s’appuie une grande partie de votre travail ?
C’est un terme emprunté aux arts contemporains et visuels, un néologisme un peu daté, qui indique l’hyperconnexion des artistes dans un réseau mondial, avec comme atelier leur Mac Book Pro. La danse post-internet est un clin d’oeil à cela, c’est une danse qui se développe sur les réseaux sociaux et crée des communautés. Le cas pratique du jumpstyle, c’est une danse qui est apparue dans les clubs entre la Belgique et la Hollande dans les années 1990. Devenu moins à la mode, le mouvement s’est réfugié sur internet au début des années 2000. Une communauté est née, dont les membres ne s’étaient jamais rencontrés physiquement. Nous faisons une différence entre ces danses post-internet et les danses virales qu’on rapproche plus d’une ola, d’un geste repris par tout le monde, qui n’a pas le même engagement.
Votre pièce To Da Bone, en ouverture du festival À Corps de Poitiers, réunit des danseurs de jumpstyle de toute l’Europe. Comment avez-vous rencontré cette pratique ?
C’est ce qu’on appelle la sérendipité. On cherche sans but sur internet et on voit ce qui attire l’oeil. Au départ on a utilisé le jumpstyle pour un projet pédagogique initié dans une école de danse contemporaine à Montréal qui nous avait commandé une pièce. Ce projet a eu un succès dingue. Quand il a été présenté à Paris, on est entrés en contact avec une communauté de jumpers, avec qui nous avons fait un film à Saint-Étienne [qui sera présenté pendant le festival À Corps, NDLR]. Ce film nous a ouverts un peu plus à cette culture. Nous avons aussi réalisé que les gens que nous avions réunis étaient tous hétéros cis blancs, contrairement aux jumpers américains, brésiliens, plus mélangés. On a trouvé que cela révélait quelque chose de l’Europe, de la question de l’identité et de la manière dont elle est abordée ici. Ces jumpers étaient un symptôme.
Le jumpstyle est une danse solitaire, filmée, très puissante – on parle de hard dance —, fulgurante. Comment ces danseurs ont-ils vécu la rencontre « en chair et en os » et le travail collectif de création ?
Ces jumpers venus d’Ukraine, de Pologne, de France ou d’Italie se connaissaient, certains depuis 10 ans, mais ne s’étaient jamais rencontrés. Cela a créé un côté très particulier. Pour le travail collectif, cela n’a pas toujours été simple. Pour prendre l’exemple des dix premières minutes de la pièce, qui sont construites sur le pas de base du jumpstyle, repris à l’unisson. Edgar, reconnu comme le meilleur à cet exercice, se retrouvait toujours le seul en décalage avec les autres, incapable d’entendre le pas des autres. On a dû lui dire que l’important n’était pas le meilleur pas, mais l’écoute du groupe dans son ensemble. Nous avons beaucoup travaillé là-dessus, sur le placement du groupe, les explosions, la synchronisation extrême, le côté martial de cette danse. La pièce oscille tout le temps entre cette forme de beauté d’une communauté partagée, et son côté plus dark, les exclusions des unités et une martialité presque militaire. Ce point a d’ailleurs gêné les danseurs, qui considéraient qu’on leur avait déjà trop dit qu’ils avaient « une danse de facho ». Mais on avait envie qu’ils prennent leurs responsabilités, qu’ils se confrontent à cette question. Cela a généré des discussions très fortes qu’on a décidé de porter sur scène en leur donnant la parole. Cela provoque un basculement dans la pièce et vient perturber cette structure très « facile » d’un spectacle physique « qui envoie » pour laisser place à du discours et une réflexion.
D’autres chorégraphes vont puiser dans les cultures alternatives, urbaines, populaires pour leurs créations – comme François Chaignaut et Cecilia Bengoléa dont la pièce DFS est présentée ici à Poitiers. Se pose alors la question de la légitimité à s’emparer d’une culture, de sa possible dénaturation dans un passage au plateau. Comment répondez-vous à ces questions ?
On a bien sûr en tête toutes les ambivalences générées par les questions de l’auteur et des artistes. On a d’ailleurs créé une plateforme de sites internet, proposé un cycle de conférences à la Gaîté lyrique dont une portait sur cette question. Comment fait-on pour que le net ne devienne pas un self-service où l’on pille la création de personnes peu représentées, pas très connues, n’ayant pas la possibilité de se défendre ? Nous on règle le problème en travaillant avec les acteurs de la communauté, en créant avec eux. Ce que nous proposons dans To Da Bone est imprégné de jumpstyle, mais ce n’est pas du jumpstyle.
Est-ce que (LA)HORDE a été surprise par ce que ces jumpers ont pu proposer ?
Le mot surpris ne nous paraît pas le bon. Nous sommes habitués à travailler avec des communautés formées. On s’y lance sans aucune attente mais on sait qu’on en sortira grandis. Au final, on est contents qu’ils aient lâché sur leur style et accédé à des choses de l’ordre de l’expérimentation d’une écriture contemporaine. Certains se sont autorisés à des gestuelles douces et délicates, par exemple. Et puis généralement le jumpstyle ça dure 20 à 30 secondes. Les faire tenir pendant une heure, c’était déjà en soi une belle surprise !
To Da Bone, (LA)HORDE, vendredi 23 mars, 20 h, Herein #Novaciéries, mardi 27 mars, 21 h et 22 h, Cloud Chasers et Bondy, du vendredi 23 au vendredi 30 mars, rencontre avec (LA)HORDE, lundi 26 mars, 12 h 30, TAP, Poitiers (86000). festivalacorps.com
#Scènes#To Da Bone (LA)HORDE#Herein Novaciéries#Cloud Chasers et Bondy#rencontre avec (LA)HORDE#TAP#Poitiers#Mars 2018
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