#Florence Bouchy
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L’écrivain japonais Haruki Murakami, en 2014. DOMINIK BUTZMANN / LAIF-REA Haruki Murakami, une touche de génie, par Florence Bouchy , le 19 octobre 2018, LE MONDE DES LIVRES Son nouveau roman, « Le Meurtre du Commandeur », histoire fantastique d’un peintre en mal d’inspiration, se double d’une belle réflexion sur les ressorts de la création artistique. Le Meurtre du commandeur. Livre 1, Une Idée apparaît et Livre 2, La Métaphore se déplace (Kishidancho Goroshi), d’Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita et Tomoko Oono, collection 10/18 ou chez Belfond. Gageons que les lecteurs français feront fi de la polémique suscitée, au Japon, par la parution, en 2017, du nouveau roman d’Haruki Murakami. Sous prétexte qu’il évoque brièvement un épisode controversé de la « guerre de la Grande Asie », le sac – ou massacre – de Nankin en décembre 1937, Le Meurtre du Commandeur a été accusé, sur les réseaux sociaux, de sympathies prochinoises. Ce qui n’a pas empêché l’auteur à succès, fréquemment cité comme favori pour le prix Nobel de littérature, de rencontrer une fois encore son public : en deux mois, son roman (près de 1 000 pages) s’était déjà écoulé à 1,5 million d’exemplaires. C’est justice, tant le romancier fait montre, encore une fois, de toutes les qualités lui valant d’être devenu l’écrivain japonais le plus lu dans le monde. L’auteur de Kafka sur le rivage (Belfond, 2006) et de l’impressionnante trilogie 1Q84 (Belfond, 2011 et 2012) ou, plus récemment, de Des hommes sans femmes(Belfond, 2017), explore cette fois-ci, dans une langue toujours aussi limpide que suggestive, les ressorts de la création artistique. Sans théorisation excessive, Murakami fait confiance au récit pour saisir les contours d’une faculté mystérieuse – la créativité du peintre qu’il met en scène, bien sûr, mais celle de l’écrivain lui-même, également, dont toutes les figures d’artistes dans le roman sont des métaphores ou des représentants. Disposition mentale En même temps que les deux volumes du Meurtre du Commandeur (Une Idée apparaît et La Métaphore se déplace) paraît d’ailleurs un passionnant échange sur cette même question entre le romancier et le chef d’orchestre Seiji Ozawa, De la musique (traduit par Renaud Temperini, Belfond, 328 p., 22 €). Dans cet art, comme dans les autres, remarque Murakami, « créer à partir de rien nécessite une attention totale et, la plupart du temps, un (…) état de concentration, qu’on pourrait qualifier de dämonisch [« démoniaque »] ». Et, en effet, c’est au moment où le narrateur du roman renonce aux portraits de commande pour se consacrer à sa propre peinture que Le Meurtre du Commandeur bascule dans le fantastique. Conséquence aussi bien que condition de sa capacité créatrice, l’abolition des frontières entre le rêve, le réel et le fantastique est le signe de l’entrée du peintre dans un état propice à la production artistique. Lire aussi ce portrait littéraire : Murakami origami C’est seulement dans cette disposition mentale – une disposition rendant possible le surgissement d’une « Idée » là où il n’y avait rien – que l’artiste peut atteindre ce qu’il désire. Sur la toile où il peint la jeune Marié Akikawa apparaît ainsi « une des facettes authentiques de cette fillette laconique de 13 ans. Ce portrait (…) représent[ait] non seulement son apparence mais aussi tout ce qui ne se voyait pas et qu’elle enfermait en son for intérieur ». Le peintre explique : « Rendre manifestes, autant que faire se peut, ces informations d’ordinaires cachées et transposer les messages qu’elles véhiculent sous une forme différente, c’est ce que je cherche dans mes propres œuvres. » Métamorphose de la réalité Si elle est au cœur du roman, cette réflexion n’étouffe ni ne surplombe pourtant jamais le récit. Le grand art de Murakami est au contraire de la subordonner tout entière à la narration, à laquelle elle ne semble jamais préexister. C’est bien une histoire, que nous raconte d’abord, pour notre plus grand plaisir, l’écrivain nippon. Celle d’un peintre en mal d’inspiration, qui s’installe dans la demeure d’un artiste de génie quand sa femme le quitte. Lorsqu’il découvre, dans le grenier, une œuvre inconnue du célèbre peintre, sa vie bascule. La réalité se métamorphose subrepticement, et lui impose des épreuves qu’il lui faudra surmonter s’il veut devenir à son tour un véritable créateur. Murakami l’affirmait au Monde, lors de la parution de 1Q84 : il s’inscrit dans la filiation « des conteurs ou des romanciers [qui] racontent des histoires [ayant] pour but d’aider les gens à trouver un sens, à structurer leur esprit ». Il ajoutait : « Je crois au pouvoir des bonnes histoires. Une fiction peut aider à révéler une parcelle de vérité. » Et, dans toute bonne histoire, il faut de bons personnages. L’« Idée »,quand elle surgit, en est un magnifique : sortie du tableau qui donne son nom au roman, l’« Idée » mesure 60 cm de hauteur. Toute vêtue de blanc, elle porte une épée et s’exprime de manière inventive et savoureuse – on imagine le travail qu’il a fallu aux traductrices, Hélène Morita et Tomoko Oono, pour proposer un équivalent de cette langue chatoyante. Grâce à ce personnage loufoque, qui porte les enjeux métaphysiques du récit, La Mort du Commandeur est un roman lumineux. Et Murakami, un génie facétieux. EXTRAIT « En tant que peintre professionnel expérimenté, quoique imparfait, j’avais retranscrit sur la toile, le plus fidèlement possible, le paysage qui s’offrait à mes yeux, avec toute l’expertise technique dont je disposais. Davantage qu’une peinture, il s’agissait d’un enregistrement. Mais il y avait là comme le pressentiment d’une action. Au sein de ce paysage, quelque chose était sur le point de se mettre à bouger – je ressentais son arrivée imminente venant du cœur même de la peinture. Quelque chose s’apprêtait à commencer ici. Et enfin, une idée surgit en moi. Ce que j’avais voulu peindre là, ou ce que je ne sais quelle volonté avait voulu me faire peindre, c’était justement ce présage, ce signe annonciateur. Toujours assis par terre, je me redressai et, encore une fois, j’observai la toile. » (Page 186) Florence Bouchy (Collaboratrice du « Monde des livres ») Haruki Murakami, une touche de génie - Le Monde
#Haruki Murakami#Le Meurtre du Commandeur#Le Monde des Livres#Florence Bouchy#10/18#Une Idée apparaît#La Métaphore se déplace#Belfond#Kafka sur le rivage#1Q84#Des hommes sans femmes#Hélène Morita#Tomoko Oono#Seiji Ozawa#De la musique#Renaud Temperini
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Montpellier : "Donner un nouvel élan à la Comédie du livre pour les années à venir" confie Régis Pénalva
Montpellier : “Donner un nouvel élan à la Comédie du livre pour les années à venir” confie Régis Pénalva
Le réalisateur de la Comédie du livre a fait un commentaire remarquablement long sur l’événement – qui change de nom – avec des soirées spectaculaires et un grand week-end dédié aux enfants. Florence Bouchy a été remerciée. Vous êtes le nouveau directeur du Comedy Book après quatre ans d’absence. Qu’est-ce que tu fais? J’ai ravi de renouveler ce fils qui s’est fait brutalement cambrioler en…
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Le Monde, Histoire d’un livre (« Mes vacances à Morro Bay »), par Florence Bouchy
(C’est vrai que la Floride, c’est très intéressant aussi – d’autant que la région que je connais est très haut sur la liste des engloutissements à venir).
Vos réactions éventuelles, ci-dessus dans « Courrier des lecteurs », svp.
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france : « Par les routes », de Sylvain Prudhomme : avantages et inconvénients de l’auto-stop info247
france : « Par les routes », de Sylvain Prudhomme : avantages et inconvénients de l’auto-stop info247
Avec son nouveau roman, l’écrivain emprunte les chemins de traverse pour, à son habitude, aller vers l’autre.
Par Florence Bouchy Publié aujourd’hui à 12h00
Temps de Lecture 3 min.
Article réservé aux abonnés
Une photo de la série « Là où vous allez… » ANTOINE DUMONT / DIVERGENCE
« Par les routes », de Sylvain Prudhomme, Gallimard, « L’arbalète », 304 p., 19 €.
Quel…
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Le Monde, Histoire d’un livre (« Mes vacances à Morro Bay »), par Florence Bouchy
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Être assigné, c’est con et chiant...
“Je préfère les formes de « devenir », au sens où l’emploient Gilles Deleuze et Félix Guattari (dans Mille Plateaux, Minuit, 1980). Je mets en œuvre, dans ce roman (Une vielle histoire. Nouvelle version, 2018), un « devenir-homme », un « devenir-enfant » et il aurait pu y avoir un « devenir-animal », si j’avais gardé les chapitres écrits du point de vue du chaton. Être assigné, c’est con et chiant. Je suis de ceux qui « ont » quelque chose, qui « font » des choses. Ce qui m’intéresse, ce sont les possibilités. Je comprends bien que certaines personnes aient besoin de chercher qui elles sont. Mais c’est un réflexe de peur, qui ne voit que la fragilité des identités au lieu d’explorer leur fluidité. Aujourd’hui, on passe son temps à se bricoler des identités avec son smartphone, plutôt que de profiter des possibilités que nous donne cette liberté nouvelle.
Jonathan Littell, propos recueillis par Florence Bouchy, Le Monde du 29/03/2018
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Haruki Murakami - RICHARD DUMAS / AGENCE VU POUR LE MONDE Haruki Murakami : « Mon travail consiste à proposer des textes, pas à trouver leur sens », par Florence Bouchy , Publié le 18 juillet 2019 - Mis à jour le 26 juillet 2019 ENTRETIEN Le plus lu des romanciers japonais s’exprime peu dans les médias. Dans cette interview donnée en exclusivité au « Monde », et qui ouvre une série de conversations avec des figures de la littérature mondiale, il évoque son parcours et son art d’écrire. Grands écrivains, grands entretiens (1|5). Haruki Murakami n’est pas de ces écrivains qui assurent volontiers la promotion de leurs livres. Sans doute les siens n’en ont-ils d’ailleurs pas besoin, tant chacune de ses publications constitue en elle-même un événement et se hisse immédiatement en tête des meilleures ventes. Qu’il s’agisse de la trilogie 1Q84 (Belfond, 2011-2012) ou du récent Meurtre du Commandeur (Belfond, 2018), qui met en scène un peintre en manque d’inspiration, tous ses romans s’écoulent à des millions d’exemplaires. L’écrivain japonais le plus lu au monde, fréquemment cité comme favori pour le prix Nobel de littérature, distille sa parole au compte-gouttes et préfère se tenir à l’écart de la vie littéraire comme des médias. Il préserve ainsi, dit-il, la « concentration » nécessaire à l’élaboration de son œuvre. Fin février, dans le cadre de Japonismes 2018, l’année culturelle du Japon, le Théâtre de la Colline donnait l’adaptation du roman le plus célèbre d’Haruki Murakami, Kafka sur le rivage (2002 ; Belfond 2006), dans une mise en scène de Yukio Ninagawa. De passage à Paris pour la dernière de la pièce, c’est au Monde que le romancier, à l’emploi du temps millimétré, a choisi d’accorder une interview exclusive. Il nous consacre une heure de discussion dans le bureau de Wajdi Mouawad, le directeur du Théâtre national de la Colline, à Paris. Et s’il ne s’attarde pas outre mesure sur le sens de ses romans, souvent oniriques, tendant au fantastique, où se déploie une imagination féconde, il évoque volontiers son parcours et son travail. Un avant-goût des réflexions que l’on pourra lire dans un recueil d’essais, Profession écrivain, à paraître le 3 octobre chez Belfond. Savez-vous à quelle époque remonte votre désir d’écriture ? Quand j’étais enfant, ce qui avait le plus d’importance pour moi, c’était les chats, la musique et les livres. Dans cet ordre-là. Mais je n’avais pas de goût particulier pour l’écriture, même si j’avais de bonnes notes en rédaction à l’école. Comme j’étais fils unique, la lecture me permettait de m’occuper, elle tenait une place importante dans ma vie. Mais pas aussi grande que la musique, passion vers laquelle je me suis d’abord tourné à l’âge adulte, puisque j’ai ouvert un club de jazz à Tokyo, le Peter Cat, en 1974. Je ressentais bien l’envie de créer, mais je pensais que je n’en étais pas capable, que je n’avais aucun talent particulier. Et plutôt que de créer moi-même, je préférais soit écouter de la bonne musique, soit lire de bons livres. Me nourrir des œuvres des grands créateurs, m’en imprégner. Ce n’est qu’à 29 ans que je me suis dit, subitement, que j’allais peut-être être capable d’écrire. Une véritable épiphanie ! Et depuis ce jour, je n’ai pas arrêté. �� La légende assurant que cette « épiphanie » a eu lieu durant un match de base-ball dit-elle vrai ? C’est la vérité. Je suis allé assister à un match de base-ball, au stade près de chez moi. Et tout à coup, je me suis dit : « Je suis capable d’écrire. » C’était le premier match de la saison, il y a eu un hit du batteur. Quand j’ai entendu le bruit de la balle contre la batte, je me suis dit que je pouvais peut-être écrire. Selon vous, cette révélation a-t-elle tenu à la beauté du son ou à la perfection du geste du batteur ? C’est certainement un tout. Nous étions au printemps, il faisait beau, l’ambiance générale, dans ce grand stade, était propice au bonheur. Et puis, à l’intérieur de cela, il y a eu le coup, le bruit. Il se trouve que j’étais en train de boire une bière. Peut-être que cela aussi a eu son importance ! Vous mentionniez votre passion de la musique. N’avez-vous jamais eu envie de devenir musicien ? J’aurais bien aimé, mais je chante faux et je ne suis pas doué pour les instruments. Je tenais ce club de jazz et j’avais donc la chance d’écouter en permanence de la bonne musique. Dans les années 1960, nous baignions dans la musique des plus grands, comme John Coltrane ou Miles Davis. Tous ces musiciens qui vivaient à la même époque, c’était extrêmement stimulant. Artistiquement, il y avait beaucoup d’énergie, que ce soit dans le jazz ou dans le rock. D’ailleurs, dans le quartier où nous sommes aujourd’hui, pas loin du Théâtre de la Colline, se trouve le cimetière du Père-Lachaise, où repose Jim Morrison, le chanteur des Doors, dont je suis un très grand fan. Je ne suis pas encore allé voir sa tombe, mais j’aimerais en avoir le temps. Quand j’avais 19 ans, au moment où je suis entré à l’université [Haruki Murakami y a étudié le théâtre et le cinéma], on entendait beaucoup une chanson des Doors, Light My Fire [1967]. Elle avait un côté magique. Aujourd’hui encore, quand je l’écoute, les sentiments que j’avais à cet âge-là me reviennent. L’envie de créer est donc certainement montée en moi petit à petit, dans ce climat de stimulation artistique, jusqu’à ce que, à 29 ans, ait lieu cette explosion, cette illumination lors d’un match de base-ball. Comment cette évidence s’est-elle concrétisée ? Je me suis d’abord dit qu’il fallait que j’achète un stylo, parce que, dans mon travail au Peter Cat, je n’avais pas l’habitude d’écrire. Je me suis procuré un stylo à encre et me suis mis au travail à l’aube, sur la table de la cuisine. Ces moments restent pour moi de très beaux souvenirs. Je ne savais absolument pas écrire, je partais de zéro. J’ai quand même écrit des pages, tant bien que mal, mais, à la lecture, je me suis aperçu que ce n’était pas intéressant. M’est alors venue l’idée d’écrire en anglais. Pourquoi en anglais ? Parce que mon vocabulaire est plus restreint. Il fallait que je m’exprime avec une langue moins riche, plus directe, une syntaxe moins complexe. En réalité, je n’ai écrit qu’un chapitre en anglais, que j’ai ensuite traduit moi-même en japonais. Mais cela m’a permis de trouver mon style. Voilà comment est né Ecoute le chant du vent [1979 ; Belfond, 2016]. Ecrire dans une langue étrangère, c’est un très bon entraînement. Quand je lis des textes d’Agota Kristof [1935-2011], qui était d’origine hongroise mais écrivait ses romans en français, j’ai l’impression de me voir moi écrire en anglais. Il y a une similitude entre ce que je produisais, à ce moment-là, et ce qu’elle faisait. Les phrases sont courtes, le vocabulaire n’est pas très fourni, mais cette économie de moyens permet l’expression d’une émotion sincère. Souvent, le premier roman n’est pas le plus dur à écrire, et les écrivains disent que les ennuis arrivent avec le deuxième. Cela a-t-il été votre cas avec « Flipper, 1973 » (1980 ; Belfond, 2016) ? Non, l’écriture de Flipper, 1973 a été facile. En revanche, le troisième a été plus difficile. Le deuxième, en fait, je l’ai vécu un peu comme une suite au premier. Mais pour le suivant, je ne pouvais plus faire la même chose sans risquer de me répéter. Il fallait donc que j’invente une forme très différente. Et c’est ainsi que m’est venu La Course au mouton sauvage [1982 ; Seuil, 1990]. De plus, après Flipper, 1973, je m’étais décidé à vendre mon club de jazz. Et je pouvais donc me consacrer à temps plein à mon activité d’écrivain. Or, jusque-là, j’avais plutôt une vie nocturne et des horaires décalés. Après avoir vendu le Peter Cat, je me suis mis à me lever tôt, j’ai arrêté de fumer, commencé à faire du jogging… Cela a été une vraie révolution. Votre littérature en a-t-elle bénéficié, selon vous ? Les deux premiers romans m’avaient permis de prendre confiance en moi, mais j’avais le sentiment que je pouvais écrire encore mieux. C’est la raison pour laquelle je devais me concentrer sur ce travail. Mes amis étaient très opposés à la vente du club de jazz, parce qu’abandonner une affaire qui marchait bien pour tout miser sur la littérature représentait un risque. Mais j’avais envie de relever ce défi que je me lançais : j’étais persuadé de pouvoir progresser. J’avais l’impression que, quand je travaillais au club, je n’étais qu’à 20 % ou 30 % de mes possibilités. Depuis cette époque, je me couche à 21 heures ou 22 heures tous les soirs, et je me lève tous les matins à 5 heures. Je cours beaucoup, cela m’est devenu indispensable, et je participe à un marathon chaque année [Haruki Murakami a du reste consacré à cette activité Autoportrait de l’auteur en coureur de fond – 2007 ; Belfond, 2009]. Je viens d’ailleurs tout juste de courir le marathon de Kyoto. Cette hygiène de vie est-elle vraiment nécessaire à votre activité créatrice ? Le matin, j’écris très tôt, avant que la vie ne s’éveille autour de moi. Je pense que le travail d’un écrivain, c’est d’aller au fond de sa conscience. C’est donc un travail solitaire et qui demande beaucoup de concentration. S’il y a du bruit autour de moi, je n’y parviens pas. Certains auteurs, comme Hemingway, sont stimulés par les événements extérieurs – la guerre, une corrida, une partie de chasse… En ce qui me concerne, c’est le contraire. Dans votre dernier livre traduit, « Le Meurtre du Commandeur » (Belfond, 2018), ce parcours que l’on fait pour aller chercher l’inspiration au fond de soi est mis en scène et métaphorisé. Ce roman constitue-t-il une réflexion sur la création artistique ? Lorsqu’on descend au fond de sa conscience, il y a des choses que l’on voit, des bruits que l’on entend, et c’est tout ce matériel qu’on rassemble pour le remonter à la surface. Une fois que l’on dispose de ces éléments, il suffit de les agencer. Moi-même je ne sais pas comment se fait ce travail, c’est mystérieux. Si on écrit dans la logique, ce n’est plus une histoire qu’on raconte, mais une suite d’affirmations. Une histoire est belle parce qu’elle n’est pas explicable. Dans la littérature japonaise, il existe, de longue date, une veine personnelle, qui exprime des sentiments très intimes. Mon œuvre, au contraire, s’inscrit vraiment du côté de l’imagination, elle n’en est que le développement. D’ailleurs, au début, mes romans n’étaient pas très appréciés, car ils paraissaient trop différents de ce qu’on avait connu jusque-là au Japon. Lorsque je vais au fond de ma conscience, que je rassemble les éléments que j’y ai trouvés pour raconter une histoire, et que, en lisant mon livre, vous vous sentez en empathie, il y a fort à parier qu’il y a des émotions communes entre nous deux, au fond de nos deux consciences. Et c’est l’émergence de ce lien-là, entre l’auteur et le lecteur, qui m’intéresse. Ne cherchez-vous pas à comprendre le mystère de la création ? Non, je n’ai pas le désir d’en savoir davantage sur le processus. C’est le récit qui doit me comprendre et pas moi qui dois comprendre le récit. Je n’ai d’intérêt particulier ni pour la psychologie ni pour la psychanalyse. Même s’il est vrai que les psychanalystes ont l’air de bien apprécier mon œuvre. Ils m’invitent souvent à des colloques… mais je n’y vais jamais ! Je n’aime pas expliquer les choses, je ne suis pas très doué pour cela, alors je m’arrange pour vivre sans devoir expliquer. Mon travail consiste à proposer des textes, pas à trouver leur sens. Ma théorie, c’est seulement qu’il y a de l’art lorsque, en allant au plus profond de sa conscience, on trouve un lien avec les lecteurs, et que se crée une relation plus fondamentale, plus vive aussi. Lorsque l’on parle de compassion ou d’empathie, mais que cela reste, disons, au-dessus de la terre, ce n’est pas de l’art : c’est superficiel. Vous aimez échanger avec d’autres artistes, comme vous l’avez fait pour « De la musique » (Belfond, 2018), où vous dialoguez avec le chef d’orchestre Seiji Ozawa. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce dialogue avec d’autres créateurs ? En fait, là, vous évoquez le cas précis de la musique. Je n’ai pas de plaisir à échanger avec tous les créateurs. Seiji Ozawa est un ami. Mais quand nous nous voyons, nous ne parlons pas de musique. C’est pourquoi je me suis dit que, pour connaître ses idées sur le sujet, il fallait que j’en fasse un travail. Il a fallu que j’écoute beaucoup de musique avant de commencer les entretiens avec lui. Je savais que si je n’avais pas des avis très tranchés, il n’y aurait pas tellement d’échanges. Je le répète, la musique est vraiment centrale pour moi – le jazz comme le rock ou le classique. D’ailleurs, depuis quelque temps, je fais le disc-jockey sur une radio FM, au Japon, et cela me plaît beaucoup. Comme je suis très occupé, ça n’est possible qu’une fois tous les deux mois environ, mais nous avons déjà fait quatre émissions. Passez-vous tout type de musique ? Surtout du rock, un peu de jazz également. J’apporte les CD que j’ai chez moi, ou mes disques vinyle. Je passe ce que je veux, et je dis ce que je veux. Jusqu’à une époque récente, je m’étais dit que je me consacrerais uniquement à l’écriture. Mais depuis peu, depuis que j’ai 70 ans [Haruki Murakami les a fêtés en janvier], je me rends compte que c’est peut-être un bel âge pour essayer de nouvelles choses. J’ai compris qu’il ne faut pas trop se formaliser, ni être trop rigide, et que je peux m’essayer à ce qui me fait envie sans que cela nuise à l’écriture. C’est mon épouse qui m’a dit que disc-jockey, ça m’irait très bien. Alors, j’y suis allé. Avez-vous d’autres envies comme celle-ci ? Je n’ai pas d’idées précises, mais si des occasions se présentent… Une chose m’embête un peu, c’est que, avant, c’était la jeunesse qui aimait mes livres, et j’avais l’impression de n’être un auteur « culte » que pour les jeunes. Je m’aperçois que, petit à petit, je deviens moi-même un auteur grand public, consensuel, et certains disent que je suis un personnage important. Cela me gêne parce que c’est compliqué pour moi et que, en réalité, j’aime les choses simples. C’est l’une des raisons pour lesquelles cela peut être intéressant de tenter de nouvelles aventures. Mais encore faut-il les trouver. J’aime par exemple cuisiner, mais il n’y a pas là de défi particulier pour moi. Et j’aime également beaucoup traduire. Quand je n’écris pas mes propres œuvres, je traduis celle des autres [Murakami a traduit en japonais Raymond Carver, Francis Scott Fitzgerald, John Irving, Ursula Le Guin, J. D. Salinger], et quand je ne traduis pas, j’écris. Et quelquefois je fais le disc-jockey. Et quelquefois fois je cours aussi ! Peut-être que je suis workaholic ! Continuez-vous à beaucoup voyager ? Je voyage pas mal mais, aujourd’hui, je suis vraiment basé au Japon. J’ai vécu dans divers endroits, jeune, et, maintenant que je le suis moins, je souhaite vivre davantage dans mon pays. D’autant que ma mère est toujours là, j’en profite pour aller la voir. Et je ne veux pas trop m’éloigner de ma grande collection de disques ! Il se trouve que j’ai écrit plusieurs de mes livres à l’étranger. J’ai écrit La Ballade de l’impossible [1987 ; Belfond, 2007] en Grèce et en Italie, Chroniques de l’oiseau à ressort [1994-1995 ; Belfond, 2001] à Princeton, aux Etats-Unis. J’ai besoin de concentration pour écrire, et je suis davantage concentré quand je suis à l’étranger. En tant que romancier, ce qui est formidable, c’est qu’en me concentrant, j’arrive à être un autre, je deviens un autre. Pendant un an et demi, j’ai écrit Kafka sur le rivage, et pendant cette période, j’étais devenu un jeune garçon de 15 ans, comme le protagoniste. Je ressentais le vent comme un enfant de 15 ans peut le ressentir, et je voyais le monde comme un enfant de 15 ans peut le voir. Pourquoi vous exprimez-vous si peu, notamment sur les questions politiques ou de société ? Je suis romancier, mon travail est de proposer des histoires, pas de produire des commentaires. Mais il m’arrive de donner mon avis. Je m’exprime en tant que citoyen quand j’en ai l’occasion, comme je l’ai fait à Barcelone sur les enjeux écologiques, mais pas en tant que romancier.[En 2011, recevant le prix de Catalogne trois mois après l’accident de Fukushima, Haruki Murakami a dénoncé dans son discours le recours à l’énergie nucléaire.] Si je fais trop de déclarations, cela va nuire à mon travail de romancier. Il faut donc trouver un équilibre. L’un des problèmes les plus importants aujourd’hui, c’est celui du populisme, et de la montée de l’extrême droite. Je pense qu’il va falloir que je donne mon avis dessus. Mais si j’ai quelque chose à en dire, je veux le faire en prenant le temps de peser mes mots. Repères 1949 Naissance d’Haraki Murakami à Kyoto 1974 Ouverture du Peter Cat, un bar de jazz à Tokyo 1978 Murakami décide de devenir romancier, lors d’un match de base-ball 1979 Parution de son premier roman, Ecoute le chant du vent, prix Gunzo (Belfond, 2016)1986 Il s’expatrie en Europe, puis aux Etats-Unis où il enseigne la littérature japonaise 1987 La Ballade de l’impossible (Belfond, 2007), premier immense succès 1995 Après le séisme de Kobe et l’attaque au gaz sarin du métro de Tokyo, Murakami retourne au Japon, où il signe le recueil de nouvelles Après le tremblement de terre (10/18, 2011) 1996 Il court son premier ultramarathon (100 km) 1997 Underground (Belfond, 2013), reconstitution de l’attaque au gaz sarin du métro de Tokyo par la secte Aum. Murakami y retrouve certains terroristes et les interroge en essayant de comprendre les origines de la violence et les raisons pour lesquelles le Japon a été touché 2003 Kafka sur le rivage (Belfond, 2006), prix Franz Kafka 2006. Histoire fantastique d’un garçon de 15 ans qui quitte le foyer familial et accomplit son destin œdipien. Variation, au sens musical, sur la tragédie de Sophocle, le roman mêle réflexions sur la musique, sur la sexualité, sur la guerre… et sur les chats 2007 Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (Belfond, 2009) 2009-2010 Parution des trois tomes de 1Q84 (Belfond, 2011-2012). La trilogie fantastique dont le titre est une allusion au 1984, de George Orwell, a été écrite en trois ans et compte 1 500 pages. Son succès consacre l’œuvre de Murakami 2017 Dans Le Meurtre du Commandeur (Belfond, 2018), Murakami met en scène un peintre en mal d’inspiration, qui s’installe chez un artiste célèbre après s’être séparé de sa femme. Les expériences fantastiques qu’il y vit lui font traverser des épreuves initiatiques, et renouvellent ses capacités créatrices Lire aussi ce portrait littéraire de 2014 : Murakami origami
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