#Anuk Arudprasam
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mmepastel · 2 years ago
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Cette chronique va sûrement être confuse.
Et pourtant ce roman est limpide, d’une beauté grave et intemporelle.
Mais le fait est que je ne connaissais quasiment rien du Sri Lanka dont il est question puisque le jeune romancier est originaire de ce pays complexe, récemment ravagé par une guerre civile meurtrière.
En fait, c’est le style qui m’a happée et envoûtée. J’ai lu les premières pages et j’étais cuite. C’est étrange car j’ai ressenti de l’admiration mais aussi une forme de surprise bête : quoi ? Dans l’Asie profonde on peut écrire comme Proust ? Terrible constat de ma naïveté occidentale, de mon autocentrisme suffisant. On est si ignorant du lointain. J’ai en effet, à ma plus grande honte, été surprise de la qualité de pensée et d’écriture de ce jeune homme sri lankais, uniquement par ignorance.
Son livre est somptueux. Ne vous fiez pas au résumé rébarbatif de l’éditeur. Le roman a une beauté spirituelle et sensible qui transcendent toute narration. Oui, il s’agit d’une histoire de deuils. Deuil de la jeunesse, deuil de milliers de sri lankais lors de la guerre civile (dont les motifs profonds m’échappent), deuil de Rani, une vieille dame traumatisée par le deuil de ses deux fils et qui s’était occupée de la grand-mère quasi sénile de Krishan, le narrateur. Deuil d’un amour aussi, tumultueux et incandescent, de Krishan et de Anjum.
Krishan, au fond, souffre du symptôme du survivant. Il a survécu à la guerre civile, il en était même assez éloigné, parfois géographiquement. Faisant des études en Inde ou vivant ses débuts amoureux, il n’avait qu’internet pour connaître ce qui se passait au nord de l’île, des violences ignobles des cinghalais qui décimaient son peuple, les Tamouls. Il se sentait coupable d’être ainsi épargné. A travers la figure de Rani, vieille dame croisée dans un hôpital psychiatrique recrutée pour s’occuper de sa grand-mère vieillissante, il fait la rencontre réelle de la souffrance concrète. Or celle-ci meurt -étrangement- à son tour, le voilà en route pour ses obsèques, au nord du pays, là où les conflits ont été les plus sévères. En allant sur ces lieux, solitaire, il revoit son passé récent, sa passion interrompue pour Anjun, activiste, et ses rêves. Dans une prose mesurée et infiniment subtile, Anuk Arudpragasam fait le récit de sa pensée, complexe et tortueuse, qui revoit les événements du passé à l’aune de ce décès inattendu et de ces fins non souhaitées. Il revisite son rapport au mythe bouddhiste, et réfléchit avec philosophie à la formation de sa personnalité et de sa sensibilité. Il raconte son amour pour la belle et indépendante Anjum, son affection impuissante pour Rani, sa culpabilité permanente.
La faculté de l’auteur pour être sensible, subtil, profond, pour embrasser cas individuel et universalité m’a évoqué Proust. Il me semble qu’il y a quelque chose de commun dans la grandeur du livre, dans sa capacité à parler à n’importe quel humain doué du pouvoir d’introspection. Son voyage vers le nord (en train - je me souviens avec émotion des pages de Proust sur les voyages en train) est tout autant géographique (retour vers le coeur du conflit) qu’intérieur. Une maturation accélérée en somme ; et les funérailles de Rani, au bout du voyage, prennent l’allure d’expiation au regard d’un conflit auquel il lui semble avoir injustement échappé. Être là pour Rani, c’est être là pour toutes les victimes tamoules, c’est effectuer son devoir de mémoire, intimement et collectivement.
Un très grand livre.
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