Tumgik
loeyff · 11 years
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L’enfermement matériel de la femme
a : L’enferment matériel de la femme recluse dans la demeure familiale
Nil Yalter, artiste d’origine turque installée à Paris, a beaucoup travaillé sur la condition féminine. Elle réalise en 1973 une tente de nomade démontable, La Yourte ou Topak-Ev, à l’ARC/Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, à l’occasion de sa première exposition en ce lieu. Cette pièce est le début d’une nouvelle phase du travail de Nil Yalter après son arrivée en France sept ans auparavant. Elle coïncide donc pour elle avec une réorientation de sa production artistique, comme ce fut le cas pour de nombreuses plasticiennes à cette époque. Son œuvre témoigne alors d’une recherche d’identité qui s’est cristallisée autour de la découverte des conditions de vie des populations nomades turques. 
Cette yourte représente la tente construite par les femmes pour la future mariée, qui devait en réaliser l’ornement intérieur et dans laquelle elle resterait enfermée jusqu’à sa mort. La tente est faite de matériaux que ces femmes connaissaient et utilisaient tels que la laine de brebis, pour son l’aspect doux et soyeux, des peaux de moutons blancs, des feutres, le tout supporté par une structure en bois. L’artiste a présenté et expliqué les liens qui se tissaient entre les Turques nomades et ces lieux de vie sur les panneaux extérieurs. La yourte est en effet une tente considérée comme la maison des femmes, celles vivant dans ces tentes ayant plus de liberté que celles des bidonvilles, qui étaient également plus pauvres. Cette œuvre est un moyen de conserver la mémoire d’un habitat crée par les femmes et véhiculant leur histoire, et elle permet à Nil Yalter d’identifier et de mettre en évidence une culture féminine spécifique, dotée de son propre système de fonctionnement.
La yourte mêle sédentarité et nomadisme. En effet, les nomades ne s’appropriaient pas les terres, et leur existence était niée par le gouvernement turc, ce qui les poussait à l’errance sans assurance de terres pour les accueillir au cours de leur transhumance. L’analogie avec la situation des femmes est sensible : elles cherchent à conquérir de nouveaux droits, à bâtir une nouvelle société plus égalitaire sans savoir ce qui leur sera réellement accordé et quelles pourront être les conséquences de leur révolte face à l’oppression dont elles sont victimes. 
Cette installation permet à Nil Yalter une réflexion sur les espaces et leurs fonctions dans les actes quotidiens de survie, réparties selon les sexes. L’artiste voit dans l’architecture un élément important de compréhension des sociétés et des rapports de forces qui y existent, comme l’attestent les propos qu’elle tient en 1978 dans la revue Sorcières : « les espaces des favorites sont au rez-de-chaussée… il y a un espace interdit entre les fenêtres de la chambre et les fenêtres qui s’ouvrent sur le monde extérieur…femme humiliée, ta vision du monde s’arrête sur un  vide noir avec une lointaine lumière d’une fenêtre miragée… l’architecture puise ses sources dans le mythe du mâle tout puissant. Les peintures murales des chambres des favorites… des images accumulées de fruits, de mets succulents, des plats ronds. Les cuisses de la femelle, boulettes de viande au riz, entassées sur un plat en or avec des incrustations de perles et d’émeraudes. Un oiseau de paradis s’immobilise dans ce qui paraît être l’air, tel une favorite enfermée. Il est suspendu dans un espace sans perspective de cette peinture orientale ».
 Cette Yourte est ambivalente : elle est tout autant le symbole de la liberté des nomades face à une société de capitalistes propriétaires que celui de l’enfermement des femmes dans ces deux sociétés. En effet, en France, la femme passait par son mariage de la tutelle de ses parents à celle de son mari et jusqu’en 1975, elle devait suivre son mari à son domicile. Le foyer de la femme française était donc aussi l’instrument de son enfermement, car elle ne pouvait le quitter librement. Cette yourte pourrait donc aussi bien être une maison française des années 1970, et elle est très éloignée des intérieurs réconfortants dans lesquels les femmes se réfugient pour panser leurs blessures décrits par Colette.
Dans cette œuvre, Nil Yalter propose une exploration ethnographique du vécu des femmes turques nomades et la reconstitution de leur maison a redéclenché le processus créatif de l’artiste, qui se situe désormais entre art et documentaire. Elle traitera à nouveau la question du lieu de vie des femmes et de leur enfermement dans ce lieu de manière encore plus radicale avec La Roquette, prison de femmes.
b : L’enferment porté à son paroxysme : les femmes dans l’univers carcéral
L’œuvre La Roquette, prison de femmes fut réalisée en 1974, alors que la « petite Roquette », prison parisienne dans laquelle étaient détenues des femmes était sur le point de fermer ses portes. Conformément aux pratiques féministes des années 1970, qui avaient tendance à faire prévaloir la création collective sur la création individuelle, elle fut portée au crédit anonyme du « Groupe des Cinq ». Les cinq artistes en question étaient Nil Yalter, Nicole Croiset, Judy Blum, Martine Aballéa et Mimi, l’œuvre trouvant son fondement et sa justification dans l’expérience carcérale de cette dernière. 
Le choix par le Groupe des Cinq de la prison de la petite Roquette pour la réalisation de cette œuvre n’est pas anodin : cette prison fut construite entre 1826 et 1830 afin d’accueillir de jeunes détenus, au 143, rue de la Roquette.  En 1830, Louis-Philippe 1er, inquiet de l’accroissement constant du nombre de prisonniers à Paris, décida à son tour de faire construire une nouvelle prison et désigna l’architecte Gau pour en établir les plans. Cette nouvelle prison, dont le nom exact était « Dépôt de condamnés », occupait l’emplacement des 164-168, rue de la Roquette, faisant face à la prison pour jeunes délinquants et elle fut inaugurée en 1836. Au cours des années 1890, des intellectuels dénoncèrent avec force les conditions inadmissibles dans lesquels vivaient les détenus du dépôt de condamnés et le président Faure céda à l’opinion publique : en 1899, le Dépôt de condamnés fut désaffecté et les condamnés transférés à la prison de la Santé. L’année suivante, les bâtiments furent démolis et remplacés par des immeubles d’habitation. Mais la petite Roquette resta en activité et à la fin des années 1920, suite à la fermeture de la prison pour femmes de Saint-Lazare, les jeunes détenus furent transférés vers d’autres centres de détention et la Petite Roquette commença à accueillir des femmes. Cette politique d’incarcération ne changea pas jusqu’à sa fermeture en 1974. Une autre caractéristique distingue la petite Roquette des autres établissements pénitentiaires pour femmes : suite à la promulgation de la loi de 1939 qui interdisait les exécutions capitales en public et instituait une liste de prisons susceptibles d’accueillir une guillotine, la petite Roquette fut désignée pour l’exécution des femmes à Paris. La dernière femme à y être exécutée fut Marie-Louise Giraud, le 30 juillet 1943, pour avoir pratiqué des avortements clandestins. Utiliser cette prison comme cadre contextuel de cette œuvre est donc un symbole particulièrement fort en 1974, alors que le débat sur l’avortement n’a jamais été plus intense. 
La Roquette, prison de femmes montre la violence et la souffrance oppressante des conditions de vie des femmes incarcérées à la Roquette au moyen de dessins, de photographies retravaillées et d’une séquence vidéo de 23 minutes. Les dessins et les récits de femmes sont là pour témoigner de la cruauté de la vie carcérale, dont le spectateur prend conscience en voyant les gestes quotidiens des prisonnières : elles échangent des cigarettes, mangent de la viande à main nue et se nourrissent parfois même, quand la faim est trop violente, de pages de journaux. 
Au-delà d’une critique sans complaisance de la situation carcérale en France, cette œuvre permet de montrer des femmes dans un univers qui met en évidence ce qu’elles ont de moins féminin, de plus violent, de plus animal et de plus brutal. Les images montrant les femmes en train de s’alimenter portent ainsi atteinte à l’image idéalisée de la femme rapportée par Roland Barthes : « On sait que dans l’immense mythologie que les hommes ont élaborée autour de l’idéal féminin, la nourriture est systématiquement oubliée ; on voit communément la femme en état d’amour ou d’innocence ; on ne la voit jamais manger : c’est un corps glorieux, purifié de tout besoin. Mythologiquement, la nourriture est affaire d’hommes ; la femme n’y prend part qu’à titre de cuisinière ou servante, elle est celle qui prépare ou sert, mais ne mange pas. ».
Les conditions de détentions des femmes sont alors particulièrement dures, et cela bien que le tous les détenus soient en principe soumis au même régime répressif, car la répression subie par les femmes détenues est double : celle de la prison en tant que telle et celle attachée à leur condition de femme, dont le poids est encore plus lourd dans les prisons pour femmes, les gardiennes étant en plus de leur rôle de surveillance chargée d’assurer la pérennité du schéma féminin classique. Les femmes détenues n’ont pas seulement transgressé l’ordre de la société, elles ont également transgressé l’ordre familial en sortant du rôle qui leur était assigné, et elles doivent reprendre cette place, ce qui se traduit par le caractère beaucoup plus minutieux donné à leur surveillance. Le rôle domestique de la femme prend en milieu carcéral une importance capitale et les contraintes concernant l’état corporel et vestimentaire ainsi que la propreté de la cellule doivent être strictement appliquées, ce qui conduit les détenues à faire régulièrement l’objet de rapports  et donc à être convoquées au prétoire.
Concernant les relations entre les détenues, l’application bornée du règlement dans les prisons pour femmes a pour conséquences d’interdire toute forme de solidarité entre les détenues et d’empêcher le développement d’une vie collective, chose que les féministes tentent de mettre en place entre les femmes dans la société qu’elles souhaitent réformer. Ainsi, si dans les prisons d’hommes les gardiens servent eux-même d’intermédiaires entre les détenus pour les échanges quotidiens nécessaires, aucun échange et aucune relation ne sont tolérés dans les prisons de femmes. 
Cette œuvre est réalisée dans un contexte historique et politique particulier : une série de drames eurent lieu à partir de 1971, marquée par des prises d’otages et des morts d’hommes à Aix en Provence, Muret et Clairvaux et la mutinerie de Toul, suivis les années suivantes par d’autres mutineries à Nancy, Lyon, la Santé à Paris ou encore Nîmes. Face à cette situation, le garde des sceaux René Pleven mit en œuvre une série de réformes dont l’effet immédiat fut une réduction considérable du nombre de détenus, qui passa de 32 000 en 1971 à 26 000 en 1975. Mais cela ne suffit pas à rétablir la situation et les établissements carcéraux furent le théâtre d’événements dramatiques au cours de l’année 1974 : plus d’une centaine de mutineries eurent lieu au cours de l’été et les agents pénitentiaires entamèrent une grève de la faim, leur statut spécial leur interdisant le droit de grève. Et c’est une femme, Hélène Dorlhac, qui fut nommée secrétaire d’Etat à la condition pénitentiaire et qui dû prendre des mesures pour faire face à cette crise. Dans les prisons de femmes, une importance particulière était accordée à tout ce qui en troublait le calme presque monacal, cela étant interprété comme symptôme de révolte .
Cette répression extrême provenait de ce que la violence des femmes n’était pas acceptée la société, contrairement à celle de l’homme, parfaitement admise. La Roquette prison de femmes revêt ainsi une triple dimension : tout en dénonçant l’enfermement des femmes, elle s’inscrit dans une actualité brûlante et, en montrant la violence du milieu carcéral, elle affirme la difficulté de la tâche d’Hélène Dorlhac, alors très médiatisée, lui témoigne le soutien des artistes qui ont réalisé cette oeuvre tout en l’exhortant à prendre des mesures efficaces pour parvenir à une plus grande égalité dans les conditions de détentions des hommes et des femmes.
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loeyff · 11 years
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"L'intelligence des femmes, c'est dans les ovaires"
Voilà, Léo... je t'aime bien mais parfois... ta gueule!
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loeyff · 11 years
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L’enferment symbolique de la femme : L’encoconnage de Françoise Janicot (1972)
Envie de commencer par le quotidien et la vie privée des femmes, mais surtout par le refus de l'esclavage domestique. 
J'entends déjà les huées : "non, mais là, c'est carrément dépassé, les droits du corps ok, mais maintenant, les femmes travaillent, faut pas déconner non plus". Ah bon? Ah bon... Pourtant, j'ai des chiffres qui datent un peu (mais pas trop) et parmi les femmes en couple âgées de 20 à 49 ans, 8 sur 10 s'occupent toujours ou le plus souvent du repassage, 7 sur 10 de la préparation des repas, la moitié de l'aspirateur et des courses d'alimentation (Institut national d'études démographiques). Sauf qu'à mon avis, le civil et le politique ne cessent d'inter-agir l'un sur l'autre. La disjonction des deux espaces est en fait une des conditions de (dans le sens où cette disjonction est nécessaire à) l'exclusion des femmes de carrières professionnelles (même si, on est évidemment d'accord, ça n'est pas la seule raison. seulement l'une des multiples raisons).
Bon, allons-y Françoise...
a : Un sentiment d’invisibilité de plus en plus fort dans l’œuvre de l’artiste
  Françoise Janicot, née en 1929, a produit une œuvre abondante dans laquelle on peut distinguer trois phases : Elle réalisa d’abord, entre 1960 et 1968, des œuvres purement abstraites, ne peignant ou dessinant que des monochromes gris. Bien que n’ayant jamais fait parti d’un groupe de peintres, elle s’est toujours sentie très proche de la peinture informelle, estimant que c'était celle qui définissait le mieux sa peinture, ainsi que du mouvement Support/Surface, même si ce dernier n’est apparu qu'après qu’elle ait arrêté de peindre.
  Puis, en 1969, elle entra dans une phase de réaction en recherchant  tout ce qui était caché dans et par la peinture. Cette phase dura jusqu’en 1970 et elle réalisa alors des. Cette phase, caractérisée par la réalisation de peintures et de dessins cachés à partir de ses anciens travaux, commença alors qu’elle participait à des expositions intitulées Les cas limites ou Du vide à l'immatériel et dura jusqu’en 1970. La peur de ne pas être bien comprise l’avait conduite à penser que le point d'aboutissement logique de son travail ne pouvait qu'être, non pas l'effacement de ses toiles, qu’elle pratiquait déjà, mais leur disparition radicale derrière un treillis métallique. Afin de marquer son invisibilité sur la scène artistique, ainsi que l'incompréhension suscitée par ses toiles, elle décida de les réutiliser, et de les dissimuler. Elle reprit ainsi des peintures grises de tous formats et de toutes périodes qu'elle dissimula derrière des bandes de gaze, des grillages plastiques ou métalliques. Françoise Janicot, dans un premier temps, ne recouvrit pas intégralement la toile, faisant de l'étoffe un « cache-misère », qui désignait plus qu'elle ne recouvrait. Elle avait alors l'impression d'être aller au bout des capacités expressives de la peinture, et de ce fait, elle n'arrivait plus à s'exprimer sur ce mode : sa peinture était devenue muette, la perte de la capacité d'expression étant soulignée par les morceaux de tissu semblables à des baillons, entraves à la peinture comme à l’expression.
            Elle franchit un pas de plus lorsqu'elle commença à recouvrir presque totalement ses toiles, ne laissant plus visibles que les bords du tableau. C'est d'ailleurs ces petits morceaux de toiles qui invitent le spectateur à toutes les spéculations sur ce qui est caché, s’interrogeant sur ce qu’était la véritable peinture, celle du dessus ou celle du dessous, et sur ce qui existait réellement.
Ce travail annonce une troisième phase, celle des actions, à laquelle appartient l’œuvre l’Encoconnage (voir illustration 1) qui constitue un élément central dans le propos de Françoise Janicot.
  La performance l’Encoconnage tire en grande partie sa substance d’une impression de claustrophobie ressentie par les femmes et par les artistes, qui réalisaient alors de nombreuses performances à l'intérieur de l'espace physique et émotionnel confiné de la maison et de la cuisine. Au cours d’une conversation rapportée par les Cahiers du GRIF[1], la dessinatrice Katherine Schaillée s’interrogeait ainsi sur les liens entre créativité et aliénation de la femme : « La créativité est liée à l’aliénation et je me demande si les filles qui sont artistes ne jouissent pas d’une certaine désaliénation », ce à quoi la peintre Anne Thyrion répondait : « elles se désaliènent de leur condition de femme ». Dans l’Encoconnage, Françoise Janicot superpose l’idée de l’enfermement à celle de l’invisibilité de la femme artiste: Cette œuvre est révélatrice de sa prise de conscience de son aliénation, à la fois en tant que femme éloignée des préoccupations culturellement attribuées aux autres femmes, et en tant qu’artiste. C’est cet évènement, brutal, qui l’a conduite à arrêter immédiatement son travail de peinture pour commencer une série d’actions dont cette prise de conscience fut le thème central. Elle éprouva en effet « la nécessité d’une image forte pour sortir de la situation difficile d’être artiste, mère et épouse à cette époque »[2].
  Françoise Janicot explorera ainsi à son tour les possibilités offertes par cet art nouveau qu'est la performance à partir de son ressenti sur l'enfermement et sur sa transparence en tant que femme et en tant qu'artiste.
  Comme ses autres performances, qu’elle accomplit la plupart du temps accompagnée d'une lecture de texte écrit soit par elle-même, soit par des poètes l’Encoconnage suit un scénario préétabli. Fidèle à son goût pour le recouvrement, qui paradoxalement montre ce qui n'est pas visible, Françoise Janicot va exploiter cette idée dans l’Encoconnage, performance réalisée le 19 mars 1972 au cours de laquelle elle entreprend de se ficeler des pieds à la tête à l'aide d'une corde. Elle s'est inspirée pour cette performance d’abord appelée Pelotage et Cache-Bibi, de l'image de sa tête enveloppée de pansements dans Hide and Seek, ainsi que du poème Encoconnage, passe-partout  n°9 de son compagnon Bernard Heidsieck. Vêtue de noir, debout devant un mur blanc, elle commence par le ficelage de son pied droit, ensuite de ses chevilles, de ses genoux, de ses cuisses... Le poème sonore écrit par Bernard Heidsieck enregistré sur bande magnétique et composé de voix superposées décrit le déroulement de la performance et crée un rythme musical qui correspond aux gestes de l’artiste. Au moment où elle arrive au ficelage de la bouche et du nez, sa respiration devient difficile et se confond avec les voix enregistrées. À la fin de l’action, l’artiste est à peine capable de respirer et le fil doit être sectionné afin de la libérer de son « cocon ».
  La performance, tout comme le texte, dure vingt minutes, ce qui est assez long pour l'artiste qui tenait à ce que ses performances soient brèves. Ce temps est le temps minimum nécessaire dont elle avait besoin pour se ficeler des pieds à la tête tout en étant synchrone avec le poème.
  Lorsque l’encoconnage touche à sa fin, Françoise Janicot étouffe sous les yeux du public, la corde serrée lui enserre intégralement la tête, il n'est plus question pour elle de faire quoique ce soit, et il lui faut attendre qu'on vienne cisailler la ficelle pour la libérer. Elle dira plus tard avoir eu réellement peur pendant un moment, craignant que l’on tarde trop à couper les cordes. La renaissance au sortir du cocon n'est donc pas sans risque, l’artiste doit se faire violence afin de se transcender et d'exister enfin.
    b : Des parties cachées hautement symboliques
  Une série de photographie, dont l’une fit la couverture du numéro 8 de la revue d’art Canal en octobre 1977, met en évidence l’aspect symbolique de certaines parties cachées du corps de la femme :
  -       les pieds, que les Chinoises avaient bandés pour en minimiser la taille dès la plus tendre enfance,
  -       le sexe, que les femmes devaient garder vierge pour leur futur époux, sorte de « bien matériel » monnayable et négociable par les familles, et symbole de l’interdiction faite aux femmes de la jouissance, dont l’excision est la manifestation la plus terrible,
  -       le cou et la nuque, lieu d’expression de la sensualité comme l’atteste le fameux Madame Moitessier (voir illustration 2) réalisé par Ingres en 1856,
  -       les yeux, qui sont presque universellement symbole de la perception intellectuelle, capacité pour partie niée à la femme. En se bandant les yeux, Françoise Janicot se représente en objet du regard de l’autre privé de ce regard réciproque. Elle met ainsi en évidence une distinction séculaire relevée par Laura Mulvey[3] entre l’homme doté de la capacité à regarder avec laquelle se confond le pouvoir et la femme objet de la contemplation de l’homme.
  -       Le visage dans sa globalité, « substitut de l’individu tout entier »[4] qui « symbolise l’évolution du vivant à partir des ténèbres vers la lumière »[5], évolution désormais interdite à la femme. Sans visage, la femme n’est plus qu’un corps, consommable et interchangeable. Cependant, en se privant volontairement de visage, Françoise Janicot renonce pour partie à son identité, et avant tout à son identité de femme : elle n’est plus qu’un individu en train de réaliser une action artistique, une artiste à l’œuvre, comparable et égale en cela  à tout autre artiste homme ou femme. Par ailleurs, le visage est aussi le lieu où la beauté s’exprime de la manière la plus manifeste. Elle renonce ainsi à cette qualité essentielle à la femme et propose déjà une nouvelle définition de la féminité : la femme devra comme l’homme être jugée sur ce qui ne se voit pas (c’est-à-dire de ce qui ne relève pas de ses caractéristiques extérieures), ses qualités morales et intellectuelles.
  -       la poitrine, notamment les seins, symboles de maternité, de fertilité et objet de désir sexuel. En masquant sa poitrine, Françoise Janicot se libère de ces deux contraintes de la féminité et s’affirme en être libre dégagé du fardeau de la maternité et du regard masculin, sexuel et réducteur. Mais les seins sont également des zones érogènes de la femme et leur disparition sous les bandelettes rappellent un plaisir sexuel dont la femme est privée, sa sexualité étant uniquement pensée en fonction des besoins de l’homme
  -       le ventre, symbole de la mère, dans lequel est logé l’utérus auquel la femme est trop souvent réduite, et qui est également chargé de connotations négatives en relation avec le mythe du vagin denté que la psychanalyse tenait pour universel dans les années soixante-dix.
    c : Se libérer de la parole de l’homme
Le texte écrit par Bernard Heidsieck insuffle un rythme à la performance de Françoise Janicot qui obéit à ses ordres, enrobe ses chairs d’un lacis de ficelles en se conformant aux instructions données par les voix qui se superposent dans l’enregistrement : 
Superposition des voix dans le poème de Bernard Heidsieck
« 1. Les pieds. [2’30’’] 2. Les chevilles. et… [3’] 3. Les mollets
et… [3’]
  Ficelles sur ficelles sur… Ficelles sur ficelles sur… [2’30’’] et de se tisser des… surficelé, surficelé, sur…[2’] t’se tisser des… »
  En offrant la parole à un homme de manière exclusive, Françoise Janicot semble affirmer que le discours des femmes ne peut être que second, voire secondaire. L’Encoconnage, qui est avant tout un geste féministe, revêt une nouvelle dimension en dénonçant ce « rapt » de la parole féminine. La voie empruntée par l’artiste reste cependant très ambiguë :  La voix d’un homme, celui qui est autorisé à parler, projette les mots loin de lui, et si la femme parvient à prendre la place au premier plan, à s’exhiber en tant que performeur, c’est par un jeu d’esquive. Son expression, réduite à un muet renvoyant au « non-dit », s’énonce en négatif, ne s’exprimant que dans le langage symbolique du geste, tandis que son corps entreprend l’envers d’un strip-tease. La charge de provocation politique se situe aux antipodes de la violence qui caractérise de nombreux happenings et performances des années 1970[6]. Alors que la performance fait du corps un de ses matériaux premiers, Françoise Janicot l’occulte progressivement, méthodiquement, pour ne plus exhiber qu’un masque de ficelle.
  En se conformant à l’extrême au discours masculin, Françoise Janicot en dénonce l’absurdité : elle ne revendique pas explicitement un droit à la parole ou plus généralement au statut d’artiste, mais montre simplement au spectateur quelle est la force du silence et de l’enferment auxquels les femmes sont réduites. Rien n’est imposé au public, il est libre de tirer de cette performance les conclusions qu’il voudra. Là est la force de l’argumentation de Françoise Janicot : en offrant au public la liberté dont elle est privée, elle ne peut que le gagner à sa cause et lui faire entendre son message.
  Cette œuvre est plus toutefois plus complexe qu’il n’y paraît et le « de-encoconnage » n’en est pas le seul moment libératoire : cette performance ambivalente, par un jeu subtil de montré-caché, contribue qui à forger une identité féminine complexe dont certains aspects, bien que soumis à la nature, sont capables de s’en approprier les symboles pour revendiquer une place sociale qui ne serait pas uniquement déterminée par le sexe. En s’« encoconnant » puis en se libérant, Françoise Janicot explore les limites de sa résistance physique : Ses difficultés respiratoires sont réelles, elle halète et mais pousse l’expérience à son paroxysme avant la libération brutale qui lui permet de respirer. Elle s’offre ainsi une seconde naissance dont elle recrée publiquement les conditions, mais c’est une femme adulte et en pleine possession de ses moyens qui vient au monde et non un nouveau-né fragile, à l’instar du papillon qui sort de la chrysalide qu’avait fabriqué la larve.
  L’Encoconnage devient ainsi un acte à valeur initiatique : Françoise Janicot abandonne sa condition de femme en tant qu’être défini par l’homme et soumis à lui pour s’affirmer en tant que femme autonome et artiste. Par son expérience personnelle d'invisibilité en tant qu'artiste femme, elle a su créer une image où d'autres femmes ont pu se retrouver. L'image de sa tête ficelée est devenue le symbole du bâillonnement des femmes et de leur invisibilité culturelle, de l'enfermement contre lequel il est toutefois possible d'agir en coupant la corde. 
[1] Les Cahiers du GRIF, n°7, juin 1975 p.55
[2] Lapiz, n°63, cité par Fabienne Dumont lors de la conférence réalisée à l’école d’art de La Cambre en mars 2006, non publiée
[3] DUBREUIL-BLONDIN, POLLOCK, TICKNER et TUCKNER 1990 
[4] CHEVALIER et GHEERBRANT, 1982 p1023
[5] CHEVALIER et GHEERBRANT, 1982 p.1023
[6] Par exemple, Gina Pane, en réponse à  l’escalade de la violence au Viet-nam, entreprend en 1971 l’Escalade non anesthésiée, pieds et mains nus, d’un bâti métallique aux échelons tranchants
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loeyff · 11 years
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En préambule... pourquoi j'ai envie de vous parler d'art dans les années 70
La bande à Frigide, les hystéro-liberticides de Manif pour tous (mais pas pour moi, merci), le recul du droit à l'avortement en Europe (et mes copines qui me disent "ben non, Lolo, t'es parano), tout ça me donne envie de revenir sur une période fondatrice pour "les droits des femmes à disposer de leur corps", et de le faire par la question de l'art. pourquoi? «L’artiste sait très bien qu’il ne va pas changer l’état du monde avec l’art […] la seule grande évolution est le changement de la condition féminine. Les femmes avancent très vite, elles sont libres, curieuses, impudiques, elles n’ont pas les certitudes masculines, tant mieux. Elles savent tout se permettre avec anxiété et curiosité, parfois avec une ironie vacillante, une fantaisie très imaginative, sans l’autorité. »[1] affirmait Annette Messager lors d’un entretien avec Robert Storr en 1995. Les mouvements féministes apparus au début des années soixante-dix dans les grands centres urbains de la majorité des pays occidentaux furent en effet un des éléments majeurs du vingtième siècle. Appelés collectivement « féminisme de la deuxième vague » en hommage au mouvement précurseur du 19ème siècle dont la réalisation la plus tangible avait été d’obtenir la participation légale des femmes au suffrage, ils furent  particulièrement intenses en France entre 1968 et 1975. En 1968, des mouvements de femmes dont les hommes étaient parfois exclus commencèrent à faire leur apparition, les femmes estimant qu’il leur appartenait d’organiser leur libération. Les événements de mai 1968 furent pour Aline Dallier la cause directe du regain du mouvement féministe, qui s’était essouflé après que les Françaises aient obtenu par l’ordonnance du 21 avril 1944 du Gouvernement provisoire le droit de vote et d’éligibilité: « la révolte de 1968 aura favorisé la résurgence du féminisme en France dans la mesure ou toutes les femmes engagées à ce moment dans les groupes de gauche ont, comme après chaque révolution, semble-t-il eu à souffrir d’être vite renvoyées par les hommes à leurs tâches traditionnelles. C’est cette déception profonde […] qui va conduire les militantes de 1968 à se décentrer par rapport à la scène politique générale et qui achèvera de faire d’elles, déjà exclues en tant que femmes des structures néo-économiques et culturelles, des féministes, ou, si l’on préfère, des dissidentes »[2]. En effet, après 1968, seuls deux choix se présentaient aux femmes, celui d’être femmes au foyer et au service de l’homme ou celui de devenir un pseudo-homme, c’est-à-dire d’adopter les codes comportementaux et les valeurs définis par les hommes. C’est de cette contradiction qu’a résulté la résurgence de la deuxième vague féministe. Ce féminisme correspond à une énonciation nouvelle de la féminité comme particularité, stipulant le refus d’être femme par simple affirmation d’une différence avec les hommes ou par identité aux hommes, ce qui composerait « une humanité au singulier, à l’image de l’homme »[3]. Le 26 août, des féministes se réunirent pour déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu. Cette gerbe portait une banderole sur laquelle elles avaient écrit: « il y a plus inconnu que le soldat inconnu : Sa femme ». Cet évènement marqua la naissance officielle du Mouvement de Libération des Femmes, qui était entré en activité dès 1968. Le mouvement des femmes était alors amorcé et leurs revendications se cristallisèrent autour du droit à disposer de leurs corps. Dans toute la France, des groupes de femmes d’appartenances politiques, sexuelles, sociales différentes firent leur apparition dans le but de promouvoir la libération des femmes. Ce mouvement s’essouffla peu à peu après l’adoption par l’Assemblée nationale le 20 décembre 1974 du projet de loi prévoyant le recours légal à l’avortement pour toute femme en situation de détresse, pendant les dix premières semaines de grossesse.
  Si comme l’ affirmait en 1975 la peintre Anne Thyrion dans la revue féministe Les Cahiers du G.R.IF « L’art naît de l’homme dans la société. Il vient de la société et il a une fonction sociale. »[4], les liens entre art et féminisme au cours de cette période méritent une attention particulière, et avec un peu de chance, ils pourront même nous éclairer sur notre société actuelle, qui n'a finalement pas tellement changé.
  Le féminisme peut être définit comme « la théorie selon laquelle les femmes devraient avoir des droits politiques, économiques et sociaux égaux à ceux des hommes », ce qui se traduit, sur le plan de l’organisation, par « la mobilisation correspondante pour obtenir de tels droits »[5].
  Le lien entre histoire de l’art et féminisme s’est d’abord traduit dans l’historiographie par ce qui est communément appelé « histoire de l’art féministe ». Toutefois, dans la mesure où le féminisme est un mouvement politique et non une méthodologie, il n’existe pas à proprement parler d’histoire de l’art féministe mais des problématiques féministes au cœur même de l’histoire de l’art ; c’est donc ce que nous entendrons par « histoire de l’art féministe ». L’histoire de l’art féministe est donc une intervention féministe dans la discipline de l’histoire de l’art afin de révéler le sexisme structurel de ce discours fondé sur l’ordre patriarcal de la différence sexuelle. L’analyse de la place des femmes dans la culture et dans ces récits a conduit les historiennes de l’art féministes à mener une  déconstruction du discours de l’histoire de l’art pour produire un nouveau discours qui dépasserait ce sexisme sans le remplacer par son contraire. Ne pas envisager la différence sexuelle comme simple une opposition binaire a offert la possibilité d’analyser les rapports de sexualité, de subjectivité et de mettre en évidence la manière dont ces rapports conditionnent la production et la consommation culturelle. Cette analyse permet d’aller plus avant et de montrer comment la production et la consommation culturelle conditionnent les formes de pouvoir social et sexuel. Le lien entre féminisme et histoire de l'art est ainsi établit de manière irrévocable. L’histoire de l’art féministe, qui s’est surtout développée aux Etats-Unis, a connu trois grandes périodes, chacune centrée autour d’une problématique particulière qui fut résolue par une méthodologie spécifique.
  La première période, dont l’apogée fut atteint dans les années soixante-dix, est marquée par des renversements féministes de perspectives dans les études en histoire de l'art. Ce renversement s’effectua de deux manières. La première consiste en une extension du champ de l’histoire de l'art marquée par la redécouverte et la réévaluation de l’apport des femmes. L’histoire de l’art moderne et professionnelle aurait en effet fait disparaître les femmes du discours dominant, cet effacement systématique et politique ayant vocation à affirmer la domination masculine dans le domaine de l’art et de la culture par la  création d’une identité absolue entre créativité, culture, beauté, vérité et masculinité. Les efforts des féministes des années soixante-dix avaient vocation à retrouver l’  « héritage caché »[6] des femmes. Mais cela n’a eu qu’un effet limité du fait de la méconnaissance par les femmes de l’effacement systématique dont elles avaient été l’objet. Le deuxième renversement de perspective s’est traduit par un ébranlement des certitudes de la tradition académique et un redressement de perspectives en matière historique.
  Au cours de la deuxième période, qui succéda immédiatement à la première, s’est développée une approche moins directement iconoclaste mais plus déconstructrive nourrie du féminisme européen, conceptuellement plus structurée et politiquement plus modérée, concentrée sur la notion de regard (gaze) comme facteur de structuration de l’espace. Au cours de cette période, la féminité abordée en termes de structuration sociale et les grandes catégories de l’art telles que l’esthétique pure ou la notion de valeurs universelles furent remises en causes.
  Enfin, la relecture féministe de l’histoire de l’art s’est associée au débat sur la post-modernité au cours de la troisième période. Cela s’est traduit par un usage plus généralisé de la notion de déconstruction et par des études de la différence sexuelle et de son impact sur une approche en termes de minorité.
  La question des liens entre féminisme et production artistique des femmes n’a encore que très peu attiré l’attention des historiens de l’art. « Toute femme artiste est féministe, indépendamment des motifs qui l’inspirent ou des formes d’expression qu’elle adopte »[7] écrivait Françoise Collin en 1997, en ce sens que toute femme artiste rend la parole aux femmes. Bien que peu de liens se soient noués entre le mouvement féministe et les femmes artistes dans la deuxième moitié du 20ème siècle, la question de la participation des plasticiennes françaises, par leur production artistique, au mouvement féministe français entre 1968 et 1975 mérite d’être précisée. Rosi Huhn[8] pose la question de la légitimité qu’il y a de distinguer la femme artiste et artiste en général : En effet si le terme d’artiste est encore largement entendu au masculin, préciser le sexe ne risque-t-il pas de créer une nouvelle catégorie qui ne se suffit pas à elle-même ? Une femme artiste est-elle un artiste à part entière ou avant tout une femme ? Dans le cadre de l’étude de la participation des plasticiennes françaises au mouvement féministe français entre 1968 et 1975, la distinction entre femme artiste et artiste ne sera pas faite pas en opposition à la production artistique des hommes mais en en lien aux revendications et actions des féministes. Etre un artiste engagé signifie pour l’artiste de faire de sa pratique artistique une pratique idéologique mettant en évidence certains disfonctionnement de la société et proposant éventuellement une solution à ces dysfonctionnements. L’art féministe est donc une forme de production artistique qui met en évidence la place faite aux femmes dans la société, place à la fois moins valorisée et moins valorisante que celle faite aux hommes, et qui peut proposer, par l’introduction de nouvelles valeurs et d’un nouveau système de pensée, un projet de société plus égalitaire. Plus qu’un art féministe, c’est un art nourri des luttes féministes qui sera étudié afin de montrer quel a été l’apport du féminisme dans l’art, ou, plus précisément, comment les plasticiennes ont repris les théories féministes pour interroger dans leurs productions artistiques les codes féminins et la place faite aux femmes dans la société. Les femmes apparaissaient alors comme des intruses dans le milieu traditionnellement masculin de l’art et ne recevaient que  dédain et mépris de la part des hommes qui qualifiaient de mineurs leurs travaux.
  Cette étude soulève plusieurs difficultés d’ordre matériel : la production  des femmes artistes engagées dans le mouvement féministe était généralement diffusée hors du circuit marchand et du réseau international des musées qui reliaient les artistes européens et américains depuis les années cinquante. Elles mirent en place un réseau parallèle, dont notamment la première galerie coopérative de femmes A.I.R Gallery créée en 1972 à New York, qui était à son apogée entre 1974 et 1975 l’un des lieux de rencontre les plus actifs de Manhattan. En 1976, l’A.I.R a parrainé une exposition de groupe présentant des artistes parisiennes sous la direction d’Aline Dallier. La critique d’art parisienne écrivit dans son essai pour le catalogue : « Nous sommes conscientes de la présence physique de femmes qui cherchent  transformer leurs désirs en formes esthétiques où l’artiste peut se référer à son propre vécu sans laisser de côté la condition féminine en général ni l’importance des questions sociales »[9]. Si ce réseau a assuré une diffusion efficace des œuvres et des artistes entre les différents pays, les œuvres n’ont que faiblement circulé sur le circuit traditionnel. Elles sont rarement répertoriées, parfois perdues, et il est souvent difficile d’en trouver une illustration ou une description satisfaisante. De plus, les artistes ont manifesté un goût très prononcé pour la performance ou l’installation, par nature éphémères, ou pour la réalisation de créations collectives et non signées. Cependant, les revues féministes, notamment la revue Sorcières se sont intéressées à la question de la création féminine et se sont fait l’écho du travail de ces femmes.   
  Le but de ce blog n’est pas de réduire l’œuvre à sa dimension politique qui l’instrumentaliserait au service d’une cause collective et nierait toute sa complexité. Toutefois, il semble nécessaire de reconnaître la dimension politique de l’œuvre quand elle existe, sous peine de priver l’œuvre d’une partie de sa vérité. Certaines œuvres apparaissent comme de véritable argumentaires, et reçoivent une diffusion plus large, plus immédiate que n’importe quel débat d’idées ou revendication sociale. L’analyse qui sera menée de ces œuvres sera donc construite entre deux refus, celui d’une compréhension et analyse de l’œuvre qui ne serait fondée que sur le sexe de l’artiste et son engagement politique, et celui d’une compréhension et analyse de l’œuvre ne tenant pas compte du sexe de l’artiste et de son engagement politique comme éléments capables de déterminer sa production.
  J'examinerai dans ce blog plusieurs aspects des liens entre art et revendication politique. Une  partie de ce blog sera ainsi consacrée au quotidien et à la vie privée des femmes. L’enfermement et la libération de la femme, l’économie domestique comme élément d’exploitation de la femme et enfin le refus de la distinction entre espace intérieur féminin et espace extérieur masculin y seront traités. Une autre partie abordera a question de la socialisation faite au corps de la femme selon deux axes, le premier consacré au refus de la réification du corps de la femme et le second à la réfutation du mythe de l’ éternel féminin. Et j'ai bein envie aussi de vous causer de la création d’une identité féminine valorisée par l’appropriation et la subversion par les femmes des valeurs masculines. La création de cette identité féminine valorisée a été rendue possible par la réfutation dénonciation des préjugés misogynes qui justifiaient implicitement le sort de la femme, par la conquête de la scène artistique et par le refus de la distinction traditionnelle entre les savoir-faire masculins et les savoir-faire féminins.
  Ces différents thèmes peuvent laisser apparaître quelques recoupement, tant les multiples revendications des féministes étaient intimement liées entre elles, à l’instar de la principale idée développée par la deuxième vague féministe : « le privé est politique ». Les expériences et revendications véhiculées par les œuvres des plasticiennes dont les travaux seront analysés relèvent à la fois des sphères personnelles, politiques et artistiques de leur vie et sont parfois indissociables les unes des autres.
  Le corpus d’œuvres que je vous présenterai n’est pas représentatif des grands courants artistiques qui se développent dans les années soixante-dix ni même de la production des femmes artistes à cette même période : il s’agit d’œuvres pouvant être mises en relation avec les revendications et les débats alors développés par les féministes.
  La parole des artistes revêt une importance capitale pour justifier l’interprétation de leurs œuvres. Elle permet de mieux comprendre leur relation au mouvement féministe et la volonté – ou l’absence de volonté – quelles avaient d’offrir un écho à ce mouvement dans leur production artistique. Il sera également nécessaire de mettre en relation les œuvres produites avec les mouvements politiques et sociaux qui leurs sont contemporains afin de valider l’existence d’un lien entre pratique artistique et mouvements sociaux-politiques. Par ailleurs, le féminisme se présentant comme un mouvement spontané et protéiforme, la culture populaire (musique, cinéma, publicité) joue un rôle non négligeable dans la diffusion des idées défendues par ce mouvement. Celles-ci s’expriment en toute liberté dans de nombreuses revues féministes telles que Le torchon brûle (1971-1973), Les Cahiers du GRIF (Groupe de recherche d’information féministe, Bruxelles, 1973-1978 puis republié dans les années 90), Sorcières (1976-1979) Sorcières, dirigée par Xavière Gauthier, qui a permis de faire connaître les travaux des plasticiennes à un plus large public, comblant ainsi dans la mesure de ses moyens le manque de diffusion et de publicité fait à ces travaux dans la presse féministe et dans les revues d’art, Les cahiers du féminisme (depuis 1976), Questions féministes (1976-1980) suivi de Nouvelles questions féministes, Pénélope (1979-1985). Cette culture populaire pourra donc être utilisée dans l’interprétation des œuvres étudiées.
Enfin, Le deuxième Sexe, écrit par Simone de Beauvoir en 1949, a donné une nouvelle impulsion au féminisme français en renouvelant de fond en comble l’analyse féministe et en proposant des solutions radicales au problème de la lutte des sexes. Cet ouvrage fondamental du féminisme développe en près de mille pages une thèse qui pourrait être résumée ainsi : la majorité des femmes a toujours été écartée de la marche du monde par les hommes qui s’en posèrent d’emblée comme les seuls responsables et leur refusèrent la possibilité d’une existence autonome. Simone de Beauvoir a ainsi mené ainsi une analyse complète et cohérente de la condition féminine à travers les âges le procès du patriarcat. Elle a nié les théories naturalistes et a permis de repenser le supposé déterminisme naturel des femmes comme étant en réalité le produit d’une construction sociale qui maintenait et confortait le pouvoir patriarcal. Cette thèse est synthétisée dans la formule aujourd’hui célèbre  « on ne naît pas femme, on le devient »[10]. L’influence du Deuxième Sexe a largement dépassé les frontières de la France et fût l’un des éléments détonateurs des changements qui sont intervenus à partir de 1968.
voilà pour ce dont je vais parler ici. 
et certainement, aussi, d'autres choses...
[1] GRENIER 2000, p. 415
[2] Aline Dallier, citée par LETURCQ 1997 p.40
[3] POLLOCK 1990 p. 66
[4] Les Cahiers du G.R.I.F, n°7, juin 1975, p54
[5] DUBY et PERROT 20025 p.672 
[6] pour reprendre le tire de l’ouvrage d’Eleanor Tufts Our Holden Heritage,(1974), cité par Pollock 1990 p. 66
[7] COLLIN 1997 p.32
[8] ENSBA, 1997 p. 92
[9] Aline Dallier, introduction,  Combative Acts, Profiles and Voices : An exhibition of Women from Paris, 1976, A.I.R Gallery, New York, citée dans: COTTINGHAM 1997 p.61
[10] DE BEAUVOIR 1958, tome 1, p 285
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