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Parti.e.s à al découverte du mouvement des travailleurs Sans Terre, nous avons passé une semaine à Maria da Conceição, une occupation de néo-paysan.ne.s dans le Minas Gerais, au Brésil.
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Kasa Invisível
En 2013, alors que les grands événements sportifs à venir font polémique sur l’utilisation de fonds publics, l’annonce de l’augmentation du prix des tickets de bus fait éclater un grand mouvement de protestation. Manifestations, émeutes, occupations de lieux publiques... un vent de révolte souffle sur le pays. A Belo Horizonte (« Beaga » pour les intimes), capitale de l’état du Minas Gerais, les esprits ingouvernables organisent de nombreuses occupations de lieux désaffectés, parmi lesquels la Kasa Invisível (Maison Invisible), ouverte par un collectif libertaire antifasciste.
Construite en 1930, elle est l’une des rares bâtisses Art Déco de Beaga et l’une des plus anciennes de cette ville planifiée à la fin du XIXème siècle. Le collectif, composé d’une quinzaine de personnes, y organise rencontres, débats, projections, crée une bibliothèque et un free shop. Ils piratent rapidement un branchement électrique avec l’aide de leurs voisins du centre culturel du 3ème âge et en font à leur tour bénéficier au morador de rua (SDF) qui s’est construit une petite cabane attenante à la maison. Combien de temps tiendra-t-il ici ? Des rafles de SDF ont déjà été organisées par la municipalité dans des conditions effroyables pour les éloigner du centre-ville. Certains n’ont plus donné signe de vie.
L’espace est encore trop petit pour y héberger qui que ce soit, mais les membres du collectif s’y relaient chaque nuit pour prévenir une tentative d’expulsion. C’est seulement aujourd’hui, après cinq ans d’occupation sans que le propriétaire se manifeste, que la procédure de titularisation du lieu est entamée. Ils en profitent pour tenter d’y inclure la maison attenante, occupée plus récemment, qui va leur permettre d’avoir quelques chambres, un espace de sérigraphie et autres joyeusetés. Un étonnant passage secret permet d’y accéder directement depuis la maison principale...
Après être allé.e.s leur rendre visite à l’improviste, on a été chaleureusement accueilli.e.s pendant deux nuits avec nos matelas de camping installés dans un coin de la salle de réunion. On a eu de belles discussions politiques, analysant entre autre les similitudes entre la mobilisation des gilets jaunes avec les événements brésiliens de 2013, on a profité de leurs contacts avec le mouvement des Sans Terre, on a dévoré les brochures de leur infokiosque très fourni. Parmi elles, on a trouvé une petite pépite issu d’une communication du mouvement zapatiste au Mexique : en deux mots, « la question n’est pas de savoir si vous faites le choix de voter ou pas, que nous ne jugerons ni positivement ni négativement, la question est de savoir si vous vous organisez. »
Cecosesola
On a participé à la Kasa Invisível à une rencontre avec les co-fondateurs de Cecosesola, un groupement de coopératives autogérées de la ville de Barquisimeto, au Venezuela, qui existe depuis 1967. Cecosesola a réussi avec le temps à fédérer 1200 sociétaires autour de trois activités principales : une production / distribution de produits agricoles de la région (et produits de première nécessité importés) via un marché hebdomadaire, un service de santé (ayant abouti à la construction d’un véritable hôpital), un service funéraire (leur plus ancienne activité). Ces services, rentables malgré des tarifs 50% inférieurs au prix du marché, bénéficient à près d’un quart de la population de Barquisimeto. Leur secret pour développer leurs activités avec peu de ressources : Les pots communs, auxquels chacun contribue régulièrement à la hauteur de ses moyens.
Ce qui nous a le plus marqué c’est la manière dont ils s’organisent :
Il n’y a pas d’élus, les responsabilités et les tâches tournent entre tou.te.s,
Des critères collectifs sont établis pour que chacun.e puisse prendre les décisions en toute souveraineté.
Tous les processus valorisent davantage la participation de chacun que l’efficacité de la prise de décision. Les choses avancent donc doucement mais solidement.
Tou.te.s les salarié.e.s gagnent le même salaire (sauf les médecins de l’hôpital qui gagnent un peu plus mais dont le salaire ne varie pas selon la spécialité).
Chose particulièrement étonnante, beaucoup de place est donnée à l’oralité et les réunions très fréquentes ne donnent lieu à aucun compte-rendu.
La confiance, le plaisir de faire ensemble et la solidarité sont présentés comme les piliers de leur organisation, d’autant plus en ces temps particulièrement troubles pour le pays.
Les membres de Cecosesola que nous avons rencontrés nous ont déclaré qu’ils ne se voulaient ni réformistes (faire des travaux intérieurs), ni révolutionnaires (détruire et reconstruire le même immeuble). Ils affirment vouloir transformer les fondamentaux culturels qui entravent l’émancipation collective : le culte de la compétence, le désir d’accumulation, le cloisonnement de l’esprit, l’individualisme, hiérchisation et les petites faveurs entre ami.e.s.
L’organisation n’est pas partisane et ne lutte pas pour une prise de pouvoir politique, mais elle en donne très concrètement à ses membres. Elle ne se revendique pas « anticapitaliste » ni « féministe », mais elle semble finalement l’être de fait à travers la mise en pratique de ses valeurs.
Cecosesola a réussi à résister aux attaques des différents gouvernements, y compris des chavistes qui regardent son autonomie politique avec beaucoup de suspicion, et avec lesquels leurs tentatives de dialogue se soldent d’échecs récurrents. Alors que les Vénézuéliens vivent une crise sans précédent (un million d’exilés par an), qui prend notamment le forme d’une hyperinflation et d’énormes pénuries, Cecosesola permet à ses membres de continuer à bénéficier de produits et services de base. Au-delà du bienfait de l’organisation pour ses sociétaires, la coopérative paie ses salariés 120 dollars par mois, ce qui les situe dans la tranche des 5% des revenus les plus élevés du pays.
Organisez-vous, qu’ils disaient !
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Aldeia Maracanã ou l’anarco-indigénisme
“Pisa ligeiro, pisa ligeiro, Quem não pode com formiga, não atiça o formigueiro!” (Marche à petits pas, marche petits pas, si tu ne comprends rien aux fourmis n’attise pas la fourmilière!)
Ce sont les soeurs jumelles, toujours fières de revendiquer leurs racines indigènes, qui nous ont parlé en premier de l’Aldeia Maracana, où elles passent à chacune de leurs venues à Rio. “Aldeia”, c’est le nom des nombreuses communautés indigènes, généralement rurales, qui tentent de se protéger des assauts du mercantilisme. “Maracana”, c’est le nom du mythique stade de Rio aux abords duquel se trouve ce lieu de résistance urbaine.
Dario, un vieux copain qui y habite, nous y convie pour une soirée de projection. En arrivant, de nuit, entouré-e-s d’une jungles d’artères et bifurcations, on ne voit qu’un monumental bâtiment en ruine plongé dans la pénombre, entouré de barrières de protection. Difficile de croire qu’il s’y passe quelque chose. On fait le tour, circonspects, et on trouve finalement un passage pour pénétrer sur le site. Nous voilà sur une grande friche aux allures de ZAD, parsemée de cabanes, tentes et tipis, avec en fond le mystérieux bâtiment.
Une cinquantaine de personnes se tiennent debout, en cercle, autour d’un grand feu de bois. La cérémonie est menée par des indigenas en habits traditionnels, les participant-e-s sont de couleurs et styles hétérogènes. Se succèdent danses et chants collectifs et incantations contre le danger imminent, qui répond au nom de Bolsonaro. Aux abords de la cérémonie des gens observent, des enfants jouent, des femmes ont étendu au sol leurs créations artisanales. On retrouve une tête connue lors de la foire du MST, un militant anarchiste noir qui fait vivre un squat dans une favela de la Zona Norte.
On est ensuite tous invité-e-s à rejoindre l’intérieur du bâtiment pour assister à une projection d’un documentaire sur la plateforme latinoaméricaine Bombozila
Malheureusement pressés par le temps --on a un bus de nuit pour Belo Horizonte une heure plus tard- notre curiosité nous invite à quitter la salle pour arpenter discrètement le lieu.
Le bâtiment, très haut de plafond, est densément habité par ses fresques et inscriptions murales. Hormis l’éclairage du groupe électrogène qui sert à la projection du film, l'intérieur du bâtiment décrépi est plongé dans l'obscurité. On le découvre à la lampe frontale. Au rez de chaussée cinq ou six très grandes pièces, sous une hauteur de plafond impressionnante. Elles sont quasiment vides, à l'exception de quelques tentes. Aux côtés de l'une d'elles trône fièrement une coiffe traditionnelle. L'identité du lieu se lit sur ses murs, où se côtoient de toute part fresques et textes de résistance indigène et anarchiste, sans que l'on puisse clairement les cataloguer. Quelques extraits:
"Pluriversité indigène autonome Aldeia Maracanã, soyez les bienvenu.e.s"
"Ne laissons pas la force brutale du capital conspirer contre notre vocation d'essence pure"
"Indigènes et punks en lutte. Si nous dérangeons, c'est qu'ils sentent notre présence. Si nous sommes une menace, c'est qu'ils craignent notre force et notre gentillesse."
"Le pouvoir est l'obsession des faibles."
"Tu veux tuer un peuple? Vole lui sa culture."
"Nous ne faisons qu'un avec la vie cosmique."
"Selva l'affection avec l'âme universelle."
Et celle-ci en guarani et portugais:"Iwak herero aw pe har, kwarahy. Mene, ipurageteary, aze huwiahy iwàkun xig ma'e pumè wà, wehakepatu tuwe kwarahy a'e no. Aze pyhaw, heta tetetue zahy tata a'e, pitài zahy ipuràgeteahy ma'e a'e kury no." /"Le ciel de mon aldeia, en été, est très beau. Quand le jour est bleu avec des nuages blancs, le soleil est très brillant. Quand il fait nuit, il y a beaucoup d'étoiles et un très beau clair de lune."
Plongé.e.s dans cette atmosphère mystique, on veut poursuivre vers l'étage. Pour y accéder, un grand et vieil escalier en bois, craquelé et brinquebalant, auquel il manque une marche sur quatre. On ne s'y risque pas et on rebrousse chemin pour se diriger vers la sortie. Tout juste le temps de croiser un habitant éphémère qui nous montre le coin de potager qu'il a travaillé, et il nous faut partir.
On reste sur notre faim. Ce lieu nous intrigue, extrêmement vivant, vibrant, et en même temps encore laissé pour compte, trace de la précarité de cette lutte urbaine pendant ces 5 dernières années de confusion politique et de répression des mouvements contestataires.
Quelques jours plus tard, Bolsonaro prend la présidence et ne tarde pas à décharger le ministère de l’environnement de la mission de démarcation des territoires indigènes et de la confier par la suite au ministère de l’agriculture, lançant un signal claire : “fini les territoires indigènes, ces terres serviront à l’agro-industrie.” La lutte pour les peuples natifs est rude, et la réponse ne saurait tarder.
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Premier acampamento: Pátria Livre
Alors qu’on déambule depuis deux semaines dans les foires de la réforme agraire pour rencontrer des membres du MST et expliquer le propos de notre voyage maintes et maintes fois, on attend avec impatience d’être invité.e.s sur une occupation. De fil en aiguille on parvient à rencontrer Jo, coordinateur de l’acampamento Pátria Livre. Après une bonne discussion où il nous rappelle leurs fondamentaux, il nous donne le feu vert pour passer quelques jours chez eux. Yeebaaa !
Pátria Livre est un jeune acampamento d'un an et demi, installé sur la commune de São Joaquim de Bicas, dans la région métropolitaine de Belo Horizonte (BH). Il s’est établi sur des terres en friche appartenant à Eike Batista, multi-milliardaire Brésilien qui a fait sa fortune dans l’industrie minière. Au moment de l’occupation, après une longue préparation secrète de l’opération sur les questions de sécurité, d’équipements et de vivres, une centaine de personnes traverse à pied la rivière qui borde le site pour y installer leurs premières barracas de lona (tentes en bâches plastiques). Très vite l’occupation se massifie, comme ils disent. Le « travail de base » réalisé par les militants du MST dans les quartiers populaires de BH draine de nouveaux occupants. Des lots de 100m2, agencés les uns à côté des autres comme dans un village, sont répartis auprès de 2000 familles. La vie s’organise, une vigie permanente est montée aux différents points d’accès, des maisons de bois et de taules sont montées avec l’aide du bambou du coin, les plantations d’arbres et de cultures vivrières sont lancées. Des noyaux communautaires se forment pour organiser la vie et la production collectives, le noyau central se dote d’une épicerie, d’un centre de santé, d’un freeshop. L'électricité, qui n’approvisionne que le noyau central, et l'eau sont piratées sur les réseaux à proximité. Après une occupation massive de la SEMIG (entreprise publique gestionnaire de l’électricité dans le Minas Gerais) par des femmes du MST, l’état donne son aval pour la création d'une école au sein de l’acampamento. Les profs y sont même choisi.e.s par le mouvement en fonction de leur conscience politique et de leur approche pédagogique… le portrait de Paulo Freire orne l’entrée de l’école, accompagné de cette citation : « L’éducation ne change pas le monde. L’éducation change les gens. Les gens changent le monde. »
L’activité de l’acampamento est organisée en différents pôles, dont chacun a au moins un.e coordinateur.rice attitré.e : sécurité, infrastructure, éducation, santé, production, culture, communication. Les coordinateur.rice.s des noyaux communautaires (30 à 50 familles), élu.e.s pour deux ans au consensus par les habitant.e.s des noyaux, nomment à leur tour les coordinateurs de l’acampamento. C’est à peu près comme ça, par représentation successive au consensus, qu’est organisée la coordination du MST jusqu’au niveau national… sans parler des nombreuses rencontres thématiques, formations et assemblées populaires qui brassent un paquet de militant.e.s. Il nous semble pour l’instant que ça fonctionne pas trop mal, avec un bon niveau de légitimité et surtout peu de luttes de pouvoir. Ce qui n’empêche pas que le MST et ses lieux de vie restent des organisations grandes et complexes, avec en plus une planification assez souple à la brésilienne, et que du coup c’est souvent le bordel… mais quel beau bordel !
Pátria Livre a la particularité d’accueillir beaucoup de citadins qui fuient la misère et cherchent de nouvelles opportunités via le mouvement : un espace pour construire une maison, un terrain à cultiver et avoir de quoi subsister, une communauté de vie et de lutte, et le vif espoir de se voir attribuer à terme par l’Etat une terre cultivable de plusieurs hectares. Au sein de cette masse hétérogène qui vient s’installer, la consolidation de la communauté n’est pas une mince affaire. Entre celles et ceux qui ne se construisent qu’une cabane du dimanche et rechignent à s’impliquer, ceux qui ont des problèmes d’alcool et battent leurs compagnes, ou encore celles et ceux qui entretiennent le trafic de drogue… Les militant.e.s à la coordination doivent régulièrement gérer ce genre de problèmes, et parfois expulser des personnes de l’acampamento lorsque les règles, écrites noires sur blanc à l’entrée du lieu, ne sont pas respectées. L’atmosphère est dense, les tensions sont vives.
Jo
« En tant que gay, de couleur, pratiquant du Candomblé (religion afro-brésilienne) et coordinateur du MST… l’année va être compliquée!» C’est lors de la fête bien arrosée du mouvement des chiffonniers de Mario Campos, à laquelle Jo nous a convié.e.s, qu’il nous livre ça dans l’hilarité générale. Mieux vaut en rire… Jo a grandi à Maria Campos, élevé par sa grand-mère. Formé au travail social, il milite depuis longtemps et a été récemment candidat sur la liste municipale du PT, dont il n’hésite pas à pointer les fautes et les contradictions. Depuis quelques années, et désormais du haut de ses 35 ans, il a rejoint le MST, ce mouvement de masse et intrinsèquement rebelle qui correspond bien à son tempérament. Jo a été choisi pour coordonner l’acampamento peu après sa création. Comme tout dirigeant du MST, il n’a d’autre choix que d’être militant avant tout : aucun salaire, seulement une indemnisation de l’ordre de 350 euros par mois. Sur l’acampamento Jo semble à la fois partout et nul part. Il est souvent en vadrouille pour rencontrer des gens à droite à gauche mais, dès qu’il est là, il ne s’arrête plus. Il vogue au gré des problèmes à résoudre, des réunions qui s’organisent au pied levé, des personnes qui l’interpellent. Il connaît tout le monde et ne peut pas marcher 10 mètres sans s’arrêter pour tchatcher avec Fulano (le « Pierre, Paul ou Jacques » brésilien). Quand il nous prend sous son aile attentionnée, le programme semble changer chaque minute. Sa personnalité est fascinante. Bien qu’il ne puisse dissimuler une certaine agitation, il dégage une légèreté et une douceur déconcertantes. Son âme subversive est pleine de malice, d’enthousiasme et de détermination. Le rêve et la réalité de la révolution sociale coulent dans ses veines et brillent dans ses yeux. Ayant reçu des menaces de mort, il change constamment de lieu pour dormir et de « chauffeur » (le Fulano disponible du moment) pour se déplacer. Lorsqu’il est au bord de la crise de nerf, il se fait une petite balade en forêt et relit « L’art de la guerre » de Sun Tzu. Malgré son emploi du temps hyper chargé, il a tenu à nous emmener sur un autre jeune acampamento à 45 minutes de là : Maria da Conceição, la « grande sœur » de Pátria Livre. Il nous avait promis « um lugar maravilhooooso, gente ! ». On n’a pas été déçu.e.s et on y retourne prochainement… à découvrir dans nos prochains textes !
David
On est hébergés chez David, 24 ans, d’origine indigène Pataxô, joyeux photographe et coordinateur de la communication et des activités culturelles du campement. Il nous apprend qu’il a pour mission de nous faire découvrir la vie du lieu. Aussi modestes soient-ils, David et tous les acampados que nous rencontrons manifestent leur sens de l’accueil par une disponibilité et une générosité débordante qui nous met souvent mal à l’aise. On s’y fait petit à petit… David ne se lasse pas de nous raconter les histoires qu’il a vécues depuis son arrivée. Autour d’un feu de camp, en barbotant dans la rivière, en cuisinant au feu de bois dans sa hutte en tôle d’amiante alors qu’on fuit la fournaise, en buvant un café du soir à la lueur de la lampe à pétrole… on voit bien qu’il enjolive un peu les choses quand on touche du doigt les « vrais » problèmes, mais on se régale de son enthousiasme et de son amour pour celles et ceux qui l’entourent. C’est d’abord à ses côtés, puis en prenant doucement notre autonomie, qu’on fait un paquet de belles rencontres.
Maria
Inséparable amie de David, du haut de ses 16 ans, elle fait partie de l’équipe de coordination culturelle du campement, dont l’emblème est un pinceau croisé avec une machette, symbole fort de la lutte pour la terre. Maria a été abandonnée à l’âge de 12 ans par ses parents et a survécu deux ans dans la rue. Après avoir été « adoptée » par une femme qui a croisé son chemin, elle a rejoint l’acampamento avec elle afin de quitter un environnement urbain impossible. Aujourd’hui cette adolescente respire la joie et la légèreté. Elle donne de sa voix magnifique en nous chantant des histoires d’héroïnes sacrifiées. Mauri, le copain de Maria qui lui aussi semble avoir eu plusieurs vies dans la banlieue de BH, nous dira autour du feu : « Le MST vient au secours des frustrés pour qu’ils commencent une nouvelle vie. »
Domingos
C’est avec Domingos qu’on a réussi à commencer à bosser un peu. La mission : abreuver les centaines de poussins qui viennent d’arriver pour approvisionner les poulaillers collectifs. En faisant le tour des noyaux communautaires, ce coordinateur technique passionné de politique nous témoigne sa frustration de ne pas voir la production se développer au rythme qu’il souhaiterait. Pour lui comme pour de nombreux autres, « le problème » c’est tous ces urbains qui viennent s’installer : ils manqueraient de volonté, auraient des difficultés à se former, abandonneraient trop vite la dure vie de la brousse… La plupart de ces « néo-ruraux » n’ont aucune connaissance du travail de la terre ou encore d’expérience de militance. Pour accompagner l’installation et la formation politique des nouveaux arrivants, la coordination met en place dans chaque noyau un « travail de base » qui se traduit par des réunions d’échange de parole et d’expériences, des formations, un accompagnement technique, de la pratique de la militance… mais à la différence des arbres qui poussent ici aussi vite que les cheveux, on ne devient pas paysan activiste en un jour, et encore moins quand on mène une vie de galère permanente. Cette situation n’affecte cependant pas l’optimisme de Domingos qui, chaque jour, prend soin de 2000 poussins, forme les responsables des poulaillers, s’occupe des quelques hectares de plantations de son noyau, participe aux réunions de coordination… et qui pour rien au monde ne retournerait à sa vie d’employé d’entreprise agricole.
Dona Ana et le jardin merveilleux
Une merveille de grand-mère, une douce sorcière, une femme généreuse, une sage comme on aimerait en avoir dans chaque village. Elle nous ouvre les portes de son jardin où elle cultive une ribambelle de plantes médicinales et aromatiques, de fruits et de comestibles en toutes sortes. On se perd parmi ces noms aborigènes, ces tons de vert, de jaune, de rouge, ces feuilles rondes, dentelées, en biseau, ces arômes camphrés, citronnés, sucrés des fruits pulpeux. Saisissant l’opportunité d’un petit lopin de terre, Dona Ana a découvert le MST et a rejoint Pátria Livre à 70 ans. Le parcours qu’elle a derrière elle lui en fait paraître 80, mais son regard pétillant et son sourire espiègle sont remplis de vie. Son mari, très discret, la suit partout à la trace. Tous deux sont très impliqués dans la vie communautaire, volontaires pour tous les chantiers collectifs. Un sens du devoir qui force le respect… vivent les anciens! C’est avec Dona Ana et quelques autres femmes que le collectif féminin de Pátria Livre se concentre sur l’art des plantes médicinales pour approvisionner le centre de santé. Et son imagination l’amène à penser à d’autres projets pour l’indépendance économique des femmes de l’acampamento, par exemple la fabrication et la vente de balais à partir de bouteilles en plastique. Ici, il n’y a pas de revenus superflus. On repart de chez elle avec des dizaines de sachets de semences à répandre sur notre chemin !
Angela
La maison d’Angela est l’un des repères préférés de Jo dans l’acampamento. C’est chez elle qu’on se cache avec lui pour boire de la cachaça et de la liqueur de jabuticaba. Du fait des problèmes d’alcoolisme récurrents, la consommation d’alcool est ici seulement tolérée si elle est très discrète. Angela nous régale de sa joie débordante à nous accueillir et de ses histoires trépidantes de jeune militante de 50 ans. Elle a rejoint le mouvement il y a peu de temps et a réussi à reprendre de l’élan après une dépression. Dans la foultitude de parcelles et de cabanons plus ou moins soignés de Pátria Livre, le petit foyer d’Angela détonne. Vu de l’extérieur rien de spécial à signaler : des montants en bambou, des parois en vieilles plaques de bois et un toit de taule. Mais à l’intérieur c’est le « tout confort » : deux chambres, une cuisine tout équipée, une jolie salle de bain, des rideaux et tissus d’ornement, le tout parfaitement organisé et… l’électricité ! Elle nous montre avec fierté l’appareil qui, relié à un tout petit panneau solaire, lui sert de radio, de chargeur de téléphone, et alimente les trois ampoules de la maison. Pour le dîner, qu’elle nous laisse préparer avec beaucoup de curiosité pour la « cozinha francesa », y’a qu’à se servir dans le jardin. Angela exulte en nous racontant l’occupation massive du siège de Nestlé par des femmes du MST, le 8 mars dernier, pour dénoncer la privatisation de réserves d’eau en cours de négociation avec le gouvernement. Une destination inconnue jusqu’à la dernière minute, 600 militantes réparties dans une dizaine de cars, une marée de t-shirts et casquettes rouges, des visages couverts, une journée d’occupation qui a permis de réaliser une belle communication sur le sujet, d’obliger Nestlé à réagir et de laisser quelques traces de leur passage.
Les Pataxôs
Peu après la création de l’acampamento le mouvement invite une communauté native de Pataxôs à occuper une partie de la zone. Ces derniers se sont vus prendre leurs terres de l’état de Bahia par des cumulards de l’agro-industrie. A 200 mètres du campement, treize familles de Pataxôs se sont donc ainsi installées aux abords de la rivière, au milieu des arbres, profitant ainsi de la fraîcheur et de la discrétion de la forêt. Ils créént l’aldeia Naô Xohã, qui signifie esprit guerrier. S’ils préservent un mode de vie isolé et de fortes traditions, pour l’essentiel ils s’habillent à l’occidentale et parlent portugais. Leurs habitations mêlent des sortes de yourtes en bois à des cabanes de type mobile-home construites avec la contribution d’une ONG du coin. Menés par Angorrô, leur cheffe détonante de fougue et de présence, ils sont à peine installés qu’ils s’apprêtent à attaquer en justice l’entreprise minière voisine qui déverse ses effluents pollués dans la rivière. Après un accueil chaleureux et une visite des lieux, on se réfugie de la pluie sous le toit de la grande cuisine collective. On échange quelques graines, on se fait tatouer avec du jenipapo -une teinture noire à base de graines-, David se fait soigner sa fièvre par une puissante application à base d’ail, on contemple les superbes poteries tout juste reçues de la part d’une aldeia du nord du pays. On a même le droit à quelques chants traditionnels. Au cours de la discussion on apprend qu’ils nous ont laissé entrer dans l’aldeia car ils sentaient en nous des esprits amis. La classe.
Ce n’est qu’à quelques kilomètres de là que, le 5 novembre 2015, le barrage de Fundão a cédé en déversant ses millions de mètre cube de boue toxique dans le Rio Doce. Cette catastrophe environnementale est considérée comme la plus grave dans l’histoire du Brésil. Elle a enseveli trois villages, faisant 19 morts et laissant 1200 personnes sans logement. La boue s’est propagée sur les 663 km de fleuve avant d’atteindre la mer, détruisant l’écosystème du fleuve et ravageant l’économie locale des villages qui dépendaient de la pêche. Au total 500 000 personnes ont été affectées. Samarco, l’entreprise responsable, n’a pour l’instant payé que 1,5% des amendes auxquelles elle a été condamnée.
Comme dit l’un des slogans les plus fameux du MST :
Pátria livre ! Venceremos !
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Foires annuelles de la réforme agraire de Rio et de Belo Horizonte - décembre 2018
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Nos premiers pas : les foires du MST
Passa lá na Feira da Reforma Agrária do MST, vai dar pra encontrar com a galera dos acampamentos" -Venez à la foire de la Réforme Agraire, vous pourrez y rencontrer des gens des acampamentos (terres occupées). C'est ce que nous a répondu Raoní, coordinateur de la production du MST dans l'état de Rio, quand on lui a expliqué avec notre belle naïveté que nous étions au Brésil pour nous immerger dans leur lutte et que nous avions hâte d'aller sur un acampamento. On espérait qu'il nous filerait un contact... Raoní est la première personne du MST que nous avons croisée, le lendemain de notre arrivée, lors de notre visite à l'Armazém do Campo (l'Entrepôt des Champs), un magasin paysan récemment ouvert par le mouvement dans le centre de Rio. On a compris son approche prudente, mais on n'imaginait pas qu'il nous faudrait si patiemment tisser des liens pendant trois jours de foire à Rio et remettre ça dans la foulée à Belo Horizonte pour enfin être formellement invités sur un acampamento. Nos interlocuteurs successifs, rencontrés au gré des présentations, sont chaleureux et enthousiastes. Ils semblent néanmoins s'assurer tranquillement que l'on rencontre quelques personnes clés et que l'on soit clair sur nos intentions avant de nous ouvrir les portes de leur utopie subversive. As Feiras Estaduais da Reforma Agrária Les Foires de la Réforme Agraire, ce sont les grands événements publics organisés chaque année, au coeur des capitales régionales, par les coordinations du MST de chaque état du pays. On y trouve trois jours durant des dizaines d'étales d'acampamentos et assentamentos (terres conquises) qui y valorisent leurs productions agroécologiques brut ou transformées, des stands d'artisans amis du mouvement, de la bonne comida da roça (cuisine campagnarde) -y compris une grande cuisine gratuite, un peu en retrait, pour les gens du mouvement et les démuni.e.s de passage-, des espaces de sensibilisation aux questions de santé et d'éducation et une grande scène ou se succèdent prises de paroles militantes et artistes engagé.e.s aux côtés du mouvement. La mise en place est soigneusement travaillée avec des banderoles arborant représentations de militant.e.s sans terre disparu.e.s ou assassiné.e.s, idoles de la lutte des opprimé.e.s (Frida Kalo, Che Guevara, Simon Bolivar...) et slogans du mouvement:
"Nous semons et alimentons la résistance", "Nous sommes tous des Sans Terre","Nous sommes comme les gouttes d'eau, c'est ensemble que nous avons de la force", "Sans féminisme il n'y a pas d'agroécologie", "A chaque assassinat dans les campagnes germent de nouvelles graines de lutte", "Le patriarcat détruit, le capitalisme est en guerre, les LGBT sont aussi des Sans Terre", "Quand la campagne et la ville s'unissent, les bourgeois faiblissent"... [..."Lula libre": et oui, bien que la réforme agraire n'ait pas plus avancé via les institutions sous Lula ("ça créerait une guerre civile", avons-nous entendu), et que le capitalisme ait continué de progresser à une vitesse efreinée, le travail réalisé par le PT pour renforcer les droits des minorités est largement salué au sein du MST, dont le PT constitue par ailleurs un allié historique. Et quand on voit ce qui attend le mouvement, on peut comprendre qu'il ait mis beaucoup d'énergie à soutenir une nouvelle candidature de Lula.]
La foule est dense, l'énergie des concerts est transportante. Les nombreuses prises de parole, en majorité par des femmes, également par des représentants LGBT, sont impressionnantes par leur diversité et leur détermination. Dans un contexte de choc politique et de peur généralisée, les leaders du mouvement donnent du coeur pour préparer une nouvelle phase de résistance. Dans leurs mots, on comprend que le MST représente quasiment à lui tout seul notre fameuse "convergence des luttes": réforme agraire populaire, agroécologie, féminisme, défense des droits des LGBT, synergie avec les luttes des noirs et des indígenas -les quilombos, communautés de descendants d'esclaves fugitifs et les aldeias, communautés indigènes, sont souvent liées au MST. Le mouvement tisse également un lien étroit entre opprimé.e.s des villes et des campagnes: les luttes urbaines sont soutenues logistiquement, les citadins précaires sont appelés à rejoindre (et rejoignent effectivement) les occupations, et le MST est ouvertement soutenu par de grands syndicats ouvriers. Enfin, les orateurs nous rappellent souvent que la transformation radicale de la société qu'ils opèrent depuis plus de 30 ans ne pourra continuer à avancer qu'en poursuivant les efforts d'éducation populaire et politique via le "travail de base" du mouvement (alfabétisation, écoles, universités...). Bref, le MST s'inscrit fondamentalement en faux avec le capitalisme et tous ses corollaires de domination.
Difficile de transcrire avec des mots la force politique qui se dégage de ces foires, en particulier celle de Belo Horizonte (plus grande, plus ancienne, plus organiséee). C'est ce souffle, toujours aussi rebelle et populaire après trois décennies d'existence, qu'est venu chercher un copain de Terre de Liens croisé sur place pour tenter d'en insuffler à cette organisation emblématique qui a tendance, comme beaucoup d'autres, à s'institutionnaliser. Bref on est sous le charme et épatés par la vitalité et la capacité d'organisation que dégage le MST à travers ces événements publics. A quand le revers de la médaille? Une réforme agraire populaire en France? On a recroisé Raoní à la foire de Rio et on a réussi, au milieu de la grande agitation du lieu, à lui arracher quelques minutes pour bavarder tranquillement. Au cours de la discussion il nous lance: "Je suis passé en France il y a peu: vous avez aussi beaucoup de Sans Terre." Malgré des différences colossales entre nos pays, il dit vrai, et on est heureux de l'entendre de sa part. En France, combien de personnes sont contraintes depuis des décennies à abandonner leurs terres par l'industrialisation de l'agriculture et l'agrandissement des exploitations? Et combien de personnes sont en difficulté d'accès au foncier pour des projets salutaires de retour à la terre? Contrairement aux immenses friches du Brésil jalousement gardées par les latifundiários à des fins spéculatives, les terres françaises sont quasiment toutes exploitées. Mais une nouvelle réforme agraire, paysanne et écologique, n'est-elle pas néanmoins nécessaire? Indiscutablement. Peut-on espérer provoquer une évolution de ce type via les institutions? Rien n'est moins sûr.
Des copains et copines nous montrent déjà des voies à suivre en Europe.
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Les soeurs jumelles de la Terre Promise
Les yeux pétillants, Mirian nous raconte avec espièglerie comment elles ont occupé le siège de Globo, le TF1 brésilien, pendant 3 jours avec des centaines d’autres femmes sans terre pour protester contre la manipulation médiatique du procès de Lula, jugé et condamné à 10 ans de prison pour supposés faits de corruption.
“On étaient là pour protester, on a rien cassé!...sauf le dernier jour (rires)!”
Miria et Mirian ont quitté leur travail, leur mari, et leur vie toute tracée pour s’installer début 2018 dans l’acampamento Terre Promise dans la région Baixada Fluminense, l’immense banlieue de Rio de Janeiro, qui devient prairie lorsqu’on se rapproche de la région Serrana. Ces femmes, d’une énergie et d’un optimisme surnaturel, rejoignent le Mouvement des Petits Agriculteurs (MPA) et le militantisme en 2015, en plein dans le mouvement de contestation au Brésil. Elles obtiennent un “lopin de terre” de 6 ha tout de même, où elles construisent leur “barraca”, un patchwork de planches de bois, tiges de bambous, briques de terre, bâches plastiques et amiante. Fières de retrouver leurs origines paysannes (la roça) et de pouvoir reconnecter avec leur héritage Puri, pour la première fois elles mènent leur vie comme bon leur semble.
Tout en préparant des coxinhas de manioc dans leur cuisine au feu de bois, “comida da roça criança!”, Miria nous explique l’objet de notre mission : la construction d’une cabane en torchis à multiple fonctions - stockage et conservation de semences, accueil de groupes de parole de sans terre, des formations, cabane pour les copains et copines en visite...oui, elles ont plein d’idées nos amies et parfois ça part un peu dans tous les sens.
Esti, une basque qui s’y connait en bio-construction, mène le chantier et rappelle à l’ordre nos héroïnes qui saisissent toutes les opportunités pour conter, chanter et danser, mais le chantier doit avancer! On passe ainsi 3 jours à couper et fixer du bambou, à se raconter des histoires, enduits dans un mélange de paille, de terre et d’eau.
Sem o feminismo não ha réforma agraria!
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Petite intro au Mouvement des Sans Terre (MST)
Le Brésil est le pays qui présente le taux de concentration foncière le plus important au monde.
- 1% des latifundistes dont les propriétés détenues dépassent les 1000 hectares se partagent 45% de la surface agricole disponible (en France 17% des exploitations sont supérieures à 100 hectares et représentent 36% de la surface agricole, elles sont considérées comme des très grandes exploitations). Dans l’état de Mato Grosso certaines de ces propriétés dépassent les 10 000 hectares (un petit département de l’île de France quoi).
Seul 15% de ces terres sont mises en culture, la majorité sous la forme de céréales destinées à l’export pour l’alimentation animale. Le reste, en friche, est laissé à la spéculation foncière. En effet sur les 353 millions d’hectares de surface agricole au Brésil, seul 52 millions sont exploitées (par l’agriculture conventionnelle).
- 50% des agriculteurs paysans disposent de moins de 10 hectares et se partagent 2% de la surface agricole du pays.
Ceci est le résultat d’une longue histoire coloniale qui dure toujours. Du temps des colonies, les terres étaient propriété de la couronne portugaise, l’usufruit des terres était réparti entre quelques sesmeiros, des capitaines héréditaires qui usaient de la force des indigenas e africanos esclaves pour une production unique et homogène…la canne à sucre ! Puis les européens se sont mis à fumer, et donc de la canne on est passés au tabac, puis du tabac au café, et de là au caoutchouc…pour arriver aujourd’hui à la première production de soja et deuxième production de viande dans le monde. Et tout cela en arrosage massif de produits bayer et monsanto, le glyphosate n’étant que l’enfant de cœur des pesticides utilisés au Brésil.
La crise de la fin du millénaire mit en évidence l’insécurité alimentaire dans laquelle vivait les Brésiliens. Après les réformes structurelles des années 90, 450 mille familles paysannes durent abandonner leur terre au profit des banques. Aujourd’hui le pays privilégie toujours l’exportation de produits agricoles à l’autosuffisance alimentaire. Ainsi avant la mise en place de programmes sociaux sous la mandature de Lula, 25% de Brésiliens vivaient sous le seuil de pauvreté. La réforme agraire au Brésil n’a cependant jamais pu aboutir dans les faits : manque de volonté politique ou encore pression des latifundistes… et encore moins sous la mandature du duo Lula-Dilma durant laquelle l’agro-industrie ne s’est jamais aussi bien portée.
Sur le terrain, ce contexte est féroce pour les pauvres et les minorités : éviction et massacre des autochtones, déforestation massive, pollution des sols et des cours d’eau par l’agro-industrie, esclavage à peine déguisé des ouvriers de l’agroalimentaire, mépris du bien-être animal, répression de la contestation et des militant.e.s (notamment via des assassinats réguliers, le plus emblématique de ces derniers temps étant celui de Marielle Franco, femme noire lesbienne, conseillère municipale de Rio de Janeiro et devenue un symbole de la lutte des minorités).
Dans ce contexte d’injustice sociale et de violence étatique le MST lutte sans relâche :
OCUPAR : Parce que la terre est un bien commun !
Vous l’avez compris, la réforme agraire au Brésil ne se fera pas par les institutions. Le MST considère que la lutte pour la réforme agraire passe nécessairement par l’occupation des terres pour l’installation de familles. Héritage des quilombos, les communautés formées par les esclaves noir.e.s échappé.e.s, les communautés du MST sont peuplées par les travailleur.e.s pauvres, les oublié.e.s, les opprimé.e.s, les discriminé.e.s…bref tout.e.s les renégats du capitalisme.
La stratégie du MST s’appuie cependant sur quelques lois, notamment la Loi n°4504 qui établit les conditions d’expropriation (avec indemnisation par l’état) de terres sous-utilisées et soumet la propriété de la terre à une fonction sociale obligeant ainsi l’état à cartographier ces terres improductives. Les occupations s’appuient sur ces cartes pour légitimer leur action. Elles donnent lieu à des acampamentos lesquelles, après expropriation éventuelle des latifundistes, deviennent des assentamentos.
Grâce aux actions du MST plus de 350 mille familles ont été installées depuis 1984.
PRODUZIR : Parce que la terre est nourricière et non spéculative
Le MST défend une agriculture saine et respectueuse de l’environnement, la très grande majorité des cultures est donc garantie sans toxiques – et absolument TOUT est produit : des légumes verts au tubercules de toutes sortes, de la cachaça au café, de la vannerie aux produits de soins naturels… Produire selon les principes de l’agro-écologie est aussi une manière de reconnecter avec les traditions des peuples natifs.
RESISTIR : Porque o MST ! A luta é pra valer !
Le MST avance sur plusieurs fronts : l’éducation, la santé, le bien-vivre, l’alimentation, la paysannerie, l’engagement politique, le féminisme…agir avec les communautés rurales comme urbaines pour faire corps, se former en tant que collectif uni et solidaire, et se préparer à résister à la répression pour renverser l’ordre établi.
Le MST s’attaque donc à la spéculation foncière mais aussi au racisme, au patriarcat, aux violences de genre, bref à toutes les formes de domination. Sur les sillons de Freire et de la théologie de la libération les théories du MST nous amènent à considérer tous les opprimés de ce monde comme des sans terre.
La vie au quotidien dans la brousse est rude, et la lutte est dangereuse : en moyenne depuis 1984 un.e militant.e du MST est tué.e chaque semaine, souvent en toute impunité.
Depuis quelques temps la vague répressive grossit, les perspectives pour 2019 sont sombres, mais les sans terre sont déter et ils ne lâchent rien.
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Bolsonaro : "mais pourquoi?! et maintenant?!"
Petite introduction au contexte actuel tel que nous le percevons avec les informations et discussions que nous avons eues depuis notre arrivée : Jair Bolsonaro prendra la présidence du Brésil au 1er janvier 2019. Son élection fait suite à un long processus de polarisation extrême de la société civile alimentée par les partis politiques et les médias dominants, sur fond de gigantesques affaires de corruption et de débat sécuritaire. Pendant 14 ans, Lula puis Dilma Rousseff, du Parti des Travailleurs (PT), avaient réussi à rester au pouvoir en associant 1) un soutien inédit aux classes populaires (accès aux droits et à l'université, allocations familiales, accès au crédit...), qui sortaient un peu la tête de l'eau et entraient à leur tour dans le grand marché de la consommation, 2) une intégration des leaders des syndicats et des mouvements sociaux dans l'appareil du pouvoir qui avait permis d'atténuer les revendications, et 3) une politique économique libérale qui permettait aux élites économiques de poursuivre leur enrichissement, notamment via un fort développement de l'extractivisme (minerais, pétrole...) et de la filière agroindustrielle. Le tout dans une alliance politique contrainte et permanente avec le PMDB, grand parti conservateur de centre-droite. La période de pouvoir du PT a également été marquée par une forte montée en gamme des moyens sécuritaires, justifiée par les grands événements sportifs (Coupe du Monde, Jeux Olympiques...), et caractérisée notamment par la création de nouvelles forces de police (ex: les unités de "pacification" des favelas) et la mise en place d'un dispositif législatif et de surveillance "anti-terroriste". Cela est à mettre dans le contexte de forces de police très fortement corrompues et impliquées dans les trafics d'armes et de drogues. Anecdote: en passant à Cantagalo, une favela de la zone sud de Rio, on a croisé une voiture de "police pacificatrice" et 50 mètres plus loin des traficants armés protégeant leur point de vente. Malgré des intérêts convergents et des alliances avec la politique du PT, les élites politiques historiques ont évidemment toujours cherché à reprendre le pouvoir. Après différentes tentatives avortées, c'est le gigantesque scandale de corruption "Lava Jato" qui leur a permis de rafler la mise. Cette affaire, qui implique à peu près tous les partis politiques du pays, a été finement utilisée pour monter une campagne de désinformation politico-médiatique attisant chez une partie de la population un sentiment de haine viscérale vis-à-vis du PT, de Lula et de Dilma. Cette campagne a conduit à légitimer publiquement en 2016 le "coup d'état institutionnel" (destitution par le parlement) contre Dilma Rousseff, pourtant épargnée personnellement par le scandale du "Lava Jato". Le Vice-président Michel Temer, du PMDB, prend alors la présidence du Brésil et entame un processus radical de détricotage du droit du travail et du système de protection sociale, ainsi que de coupes franches dans les allocations familiales (Bolsa Família) mises en place sous Lula. Sauf que ce dernier, malgré les accusations de corruption dont il fait l'objet, est toujours une icône forte chez les classes populaires et se trouve en tête des sondages pour les élections présidentielles de 2018. Aux côtés de nombreuses personnalités politiques jugées suite au "Lava Jato", Lula écope de 10 ans de prison et se voit dans l'impossibilité de se présenter aux élections malgré de vastes mobilisations réclamant sa libération en tant que "prisonnier politique". Le juge Moro, qui l'a condamné, a été annoncé comme futur ministre de la justice par Jair Bolsonaro. Pendant toute la campagne électorale le pays a continué son processus de polarisation extrême entre les pro-PT et les anti-PT, alimenté par les infos-spectacle des médias dominants et par de vastes opérations de désinformations/diffamation via les réseaux sociaux. Pendant que la droite historique et Michel Temer sombraient également dans l'opinion publique à cause des scandales de corruption, les anti-PT ont pu voir dans l'arriviste Jair Bolsonaro, appuyé par certains hauts dignitaires catholiques et surtout par les très puissantes églises évangélistes, quelqu'un à même de remettre le pays sur les rails de la morale chrétienne en luttant contre la corruption et l'insécurité... ou a minima un vote utile pour se débarasser du PT. Tous les gens avec qui nous avons évoqué le sujet à Rio nous ont dit que quelqu'un de leur famille s'était mis à soutenir Bolsonaro: il fallait se positionner, et le PT n'était plus une option pour bon nombre de Brésiliens. Malgré ses sorties ouvertement fascistes (jouant sur une nostalgie de la récente dictature), racistes, homophobes ou mysogines, Bolsonaro a obtenu le vote de 60 millions de brésiliens (54% des suffrages exprimés au deuxième tour, avec seulement 20% d'abstention), y compris au sein des minorités qu'il cible directement. Le phénomène électoral a été le même dans l'élection concomittante des députés fédéraux et gouverneurs d'etats. La campagne politico-médiatique anti-PT, appelant à une transformation radicale du pays, a fonctionné. Le fascisme, qui avait pris le contrôle de nombreux états d'Amérique Latine pendant les années 60-70 via des coups d'état militaires (soutenus par la CIA), arrive aujourd'hui au pouvoir par les urnes. Elle est pas belle la démocratie? Et maintenant? Les sympathisants de gauche, militants de mouvements sociaux et groupes autonomes que nous avons rencontrés sont désormais dans l'expectative. Quel sera le niveau de répression qui va s'abattre sur les dissidents? Si les exactions et assassinats par la police et les milices armées n'ont jamais cessé, en particulier dans les favelas et chez les paysans et indigènes luttant pour la terre, elles semblent s'accélérer depuis la destitution de Dilma Rousseff. Au-delà des actions "légales" agressives qui seront commanditées directement par l'état (expulsions, arrestations, interventions armées...), il faut s'attendre à ce que les juges conservateurs se sentent plus libres de condamner lourdement les opposants, et qu'un sentiment d'impunité encourage un recours croissant à des milices privées par les propriétaires terriens et les multinationales souhaitant se débarrasser de minorités gênantes (populations indigènes, paysans sans terre, jeunes favelados...). Il s'agit donc de renforcer, de manière inédite depuis la fin de la dictature il y a 30 ans, une capacité de résistance politique et physique. Si beaucoup de militants semblent encore paralysés et incrédules suite à ce choc électoral, on a senti une confiance dans la capacité de résistance et de solidarité collective. On a aussi entendu dire que Bolsonaro était si stupide et inculte qu'il ne serait pas aussi dangereux qu'on le penserait en écoutant ses discours. Mais quel que soit le niveau de la répression menaçant les dissidents, le Brésil s'apprête à vivre des réformes économiquement très libérales et socialement très conservatrices, qui vont tenter de venir à bout des progrès sociaux acquis sous Lula et permettre l'accélération de la destruction bien entamée des écosystèmes du pays. Etant donné le niveau de polarisation du pays, le climat d'agitation politique des dernières années et l'impopularité des réformes à venir, il semble inéluctable que le Brésil aille vers de vastes mouvements de contestation... qui seront très sévèrement réprimés. L'armée est déjà intervenue plusieurs fois ces dernières années, y compris sous Dilma, pour "maintenir l'ordre" suite à de grandes manifestations (qui ont par ailleurs obtenu de petites victoires). En 2017 à Brasília des balles réelles ont été tirées sur la foule, faisant plusieurs blessés graves. Avec ce nouveau gouvernement, les perspectives sont inquiétantes.
Restons attentifs et disponibles, les Brésiliens vont avoir besoin de beaucoup de soutien.
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