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âC'est venu de trĂšs loin, ça il en Ă©tait sĂ»r. Ăa n'avait pas de portance, pas d'ampleur, comme un cri qui n'aurait eu que l'air mat pour se transmettre et que la moindre turbulence aurait dispersĂ©, aurait effacĂ© facilement. Mais c'Ă©tait audible. Et rythmĂ©. Ăa avait toutes les inflexions d'une voix, la mĂ©lodie en tout cas, la mĂ©lopĂ©e osons, sans qu'il pĂ»t discerner si c'Ă©tait tout Ă fait un chant ou juste une scansion, quelque chose d'enregistrĂ© ou pas, arabe, turc ou français, Ă la limite animal, voire mĂ©canique Ă cause de la sensation de rĂ©currence des frĂ©quences, surtout ça s'interrompait parfois de longues secondes avant de reprendre et il Ă©tait presque impossible de dire si son oreille ne prolongeait pas d'elle-mĂȘme le bruit, ne le redĂ©pliait pas pour en assurer le continuum, ni mĂȘme si le son ne provenait pas de plusieurs sources disjointes, qui, combinĂ©es par la distance, gĂ©nĂ©raient un effet phonique unique, lequel effet il avait la furieuse envie de supposer humain â une priĂšre peut-ĂȘtre, une plainte, un vocero, bien que ça se rapprochĂąt davantage de la litanie d'un muezzin ou d'un appel en plein vide comme le sien tout Ă l'heure, ou la rĂ©ponse, panique, Ă cet appel? Naturellement c'Ă©tait flou et distordu, exaspĂ©rĂ©ment flottant, suramplifiĂ© par l'attente, et foutrement loin, trop loin putain, mais il Ă©tait indiscutable que ça existait. [...]
[...] En six ans, j'avais dĂ©veloppĂ© une acuitĂ© extraordinaire pour les sons de la ville, en particulier autour de deux axes vitaux: l'air et l'eau. J'avais fini par comprendre, Ă force de l'Ă©couter nuit aprĂšs nuit, que le vent Ă©tait un langage, qui se servait d'absolument tout pour articuler ses phonĂšmes : volets, vantaux et portes, feuilles froissĂ©es, charniĂšres, drapeaux, arĂȘtes et angles, tuyaux, tintements du fer, du bois, arbres, ponts, tout! J'avais discriminĂ© de façon dĂ©sormais indiscutable une trentaine de voyelles et vingt-deux consonnes nettes, dont beaucoup de fricatives. C'Ă©tait bien au-delĂ de notre parole d'humain puisque l'air sortait pour ainsi dire non plus d'une simple trachĂ©e, rythmĂ©e par une glotte, une langue, des dents et des lĂšvres, mais de la gorge grande ouverte du monde, par la tranchĂ©e des rues, pour trouver, çà et lĂ , selon ses besoins, dans le volume trouĂ© des cuisines et des chambres, l'architecture d'une bouche capable de prononcer. C'Ă©tait peut-ĂȘtre aussi que le vent, comme l'eau, plus mĂ©lodique encore, n'avait pas voulu rompre avec la magie d'un langage qui fĂ»t aussi une musique, d'un syllabaire qui soit (Ă sa frange agile) un solfĂšge, et que la distinction entre un mot et une note, un phrasĂ© et une phrase, restait parfois indĂ©cidable â ou plutĂŽt tellement confondue, tellement fusion et noyĂ©e, que ce que me disait le vent portait dans l'air jusqu'Ă moi le double impact du sens vĂ©hiculĂ© et de l'Ă©motion vibratoire, slamĂ©e plein corps. L'Ă©motion d'une musique crue, issue de la matiĂšre mĂȘme et qui, Ă la perfection, l'exprimait - l'extrudait. [...] La vĂ©ritĂ©, c'est que les fenĂȘtres ne sont pas des lĂšvres ni les tapis des salons des langues qui onduleraient dans des palais dĂ©serts; la vĂ©ritĂ© c'est que la ville joue par son corps mĂȘme qui est flĂ»te et hautbois, et que c'est la symphonie la plus concrĂšte, la plus inhumaine qui soit. Et c'est pareil pour l'eau, apprenez: qu'elle coule, cascade ou glougloute, qu'elle tombe goutte Ă goutte d'un plafond dans une flaque ou gicle sur l'acier pour chercher son i, elle a sa gamme dissociĂ©e de sons purs et sa syntaxe liquide, qui dĂ©pend de la forme des canaux et des avenues, de l'Ă©troitesse des rives, de la hauteur des chutes et de la profondeur des bassins, qui dĂ©pend bien sĂ»r aussi, pour l'incroyable variĂ©tĂ© des consonnes de goutte, du matĂ©riau percutĂ©, effleurĂ©, tintant. Le T mat des tapis secs qui vire au D quand le tapis mouille, le P des parquets lorsque la larme qui tombe est lourde, et les salves de petits K qui crĂ©pitent sur la vitre â plus tous les timbres de voyelles quand l'eau frappe l'eau: plic, pluic, souic, flac, floc, pic, poc, ting, tiiinng...â
.aucun souvenir assez solide / sam va mieux - AD
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Antéros
âTu demandes pourquoi jâai tant de range au cĆur Et sur un col flexible une tĂȘte indomptĂ©e ; Câest que je suis issu de la race dâAntĂ©e, Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.Â
Oui, je suis de ceux-lĂ quâinspire le Vengeur, Il mâa marquĂ© le front de sa lĂšvre irritĂ©e, Sous la pĂąleur dâAbel, hĂ©las! ensanglantĂ©e, Jâai souvent de CaĂŻn lâimplacable rougeur !
JĂ©hovah! le dernier, vaincu par ton gĂ©nie, Qui, du fond des enfers, criait : âĂ tyrannie !â Câest mon aĂŻeul BĂ©lus ou mon pĂšre Dagon...
Ils mâont plongĂ© trois fois dans les eaux du Cocyte, Et protĂ©geant tout seul ma mĂšre AmalĂ©cyte, Je ressĂšme Ă ses pieds les dents du vieux dragon.â
- Les ChimĂšres, GdNÂ
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Far-Niente
Samstag : cinq doigts Ă©mĂšchent, A lâombre dâun cabas, Un crin pĂąle quâassĂšche Lâoeil des cieux de Sabbat ;Â
Quelques brins dâherbe fraĂźche Verdissent du tabac Quâallonge une main rĂȘche Au papetier grabat :Â
Lâotium est coutumiĂšre. On guette par lâajour La rieuse lumiĂšre.Â
On chĂŽme le saint jour. On singe, Ă la chaumiĂšre, Quelque amoureux bonjour.Â
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Artémis
âLa TreiziĂšme revient⊠Câest encor la premiĂšre ; Et câest toujours la seule, ou câest le seul moment ; Car es-tu reine, ĂŽ toi ! la premiĂšre ou derniĂšre ? Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?âŠ
Aimez qui vous aima du berceau dans la biĂšre ; Celle que jâaimai seul mâaime encor tendrement : Câest la mort, ou la morte⊠O dĂ©lice ! ĂŽ tourment ! La rose quâelle tient, câest la Rose trĂ©miĂšre.
Sainte Napolitaine aux mains pleines de feux, Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule : As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ?
Roses blanches, tombez ! vous insultez nos dieux, Tombez, fantĂŽmes blancs, de votre ciel qui brĂ»le : â La sainte de lâabĂźme est plus sainte Ă mes yeux !"
- Les ChimĂšres, GdN
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El Desdichado
âJe suis le TĂ©nĂ©breux, â le Veuf, â lâInconsolĂ©, Le Prince dâAquitaine Ă la Tour abolie : Ma seule Ătoile est morte, â et mon luth constellĂ© Porte le Soleil noir de la MĂ©lancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui mâas consolĂ©, Rends-moi le Pausilippe et la mer dâItalie, La fleur qui plaisait tant Ă mon cĆur dĂ©solĂ©, Et la treille oĂč le Pampre Ă la Rose sâallie.
Suis-je Amour ou PhĂ©bus ?⊠Lusignan ou Biron ? Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; Jâai rĂȘvĂ© dans la Grotte oĂč nage la sirĂšneâŠ
Et jâai deux fois vainqueur traversĂ© lâAchĂ©ron : Modulant tour Ă tour sur la lyre dâOrphĂ©e Les soupirs de la Sainte et les cris de la FĂ©e.â
- Les ChimĂšres, GdNÂ
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NUIT DU NACRE
Jâai vu de ton satin se consteller lâalbĂątre Sous la nĂ©bule osseuse oĂč sâirradiait - dâargent -, Tout Ă©toilĂ© dâun grain de limaille blanchĂątre, Un astre de mĂ©tal au zĂ©nith Ă©mergent.
Dans quel éclat lacté de vierge marbre blanc, Dans quel carrare exact, dans quel paros diaphane Ou dans quel pentélique a-t-on taillé ton flanc Dont la voûte est sculptée d'un calcaire épiphane ?
Quel ivoire obsesseur laquait ta griffe aigĂŒe ! Et quel frimas dâaragne, au givre de sa dent, Glaçait ta main dâombelle et lâhyaline cigĂŒe PerlĂ©e par ces nivĂ©es grevĂ©es dâun froid mordant !
Combien de gemmes, dis, ou combien de diamants, Tout dĂ©diant leur carat Ă des Ă©cluses closes, Ont noyĂ© leur cristal au fil de larmoiements ? Et combien dâancolies en sont dessous Ă©closes ?
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Ă LâIXE
Un astre honteux refait â ontal â Au ton cuivreux comme un carnyx, Luire un bronze monumental ParĂ© au front de deux onyx ;
Sous la ramure ornementale Des lourds lauriers de toi, Ă Nyx, Sâirise aprĂšs lâorbe orientale Un Ćil de feu comme un phĆnix :
Câest â rĂ©flĂ©chi â comme dâun ptyx LivrĂ© Ă lâonde du cours pĂąle Dâun flot dâenfers passant deux Styx, Tout un ErĂšbe en ces opales
Qui se rabĂźme et se ceint dâixes, Filtrant, instruit des tetrapals, Dans des remous teints de sandix, Vers un abysse archĂ©typal. Â
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Le duc de Pouille A des morpions ; Comme un lampion, BrĂ»le sa couille.Â
Torché de houille, Son vieux croupion - Que nous grimpions - Jamais ne mouille.
Tiens! un graillon, Dont nous souillons Ta noire faille ;
Tais lâaiguillon, Quand nous fouillons Dans ton entraille !
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Voix de la Chair
Des corolles comme dâun ciste Pour la draper lâont dĂ©raidi. Toute Nymphesque Ă lâarrondi, Câest celle un peu dâun uraniste.Â
Elle a des airs de violiste Et - comme lâOrage affadi Odore des champs refroidis - Mordore lâaire de chants tristes.Â
Elle est cosaque et trismĂ©giste. Sur des longueurs dâaprĂšs-midi, Elle est frileuse et sâattiĂ©dit Ă la façon des Alchimistes.Â
Serait-ce celle dâun artiste ? AprĂšs des brumes d'interdits, Presque un morceau de paradis Lampadophore et Havaniste ?
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Précis de grammaire latine
J'ai désarticulé les bourses du pantin Et ouvert grand la porte aux autres personnages. J'ai essoufflé l'ardeur mauvaise de son ùge, Dont on vit mille fois le délire enfantin,
Et asséché ses pluies, ses verticaux matins, Et ses bouts de viande transpirant de fromage. Et puis, dans le spectre d'un mirifique mage, J'ai gagné les nombreux attributs palatins.
J'ai défait les chaines au sucré sirop d'or Du souverain malade au bois flottant qui dort, Asservi les verres sombres de l'archipel,
Et finalement j'ai trouvé, aprÚs la chasse, Perché secrÚtement sur de vagues échasses, Le bonheur du trou, de la terre, et de la pelle.
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Vocalises
Trois coups d'archet, Ă belle allure, Sont lâeffilure De mille archers ;
Les violes mĂ»res Qu'on Ă©corchait S'en sont fĂąchĂ© Ă l'ensellure :Â
Craquent les cordes Et les ouĂŻes. C'est la discorde ;
MisĂ©ricorde! Et lâharmonie Quâon dĂ©saccorde.Â
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Les CaractĂšres
Ludwig
Un grand corps qui gesticule, Des bras, des pieds longs et fins, Deux arachnides de mains Qui bĂȘtement s'articulent,
Un esprit tout ridicule, Un inintĂ©rĂȘt certain, Quelques faux airs de putain, Des hormones qui pullulent,
Un fondement mou qui brûle, Une langue aux airs canins, Un amour des duels de reins, Et un goût pour la Bascule !
Maximus
Deux laides vitres dâyeux flous OĂč lâamour (grand A) sâagrippe, Une molle et morne lippe Quâomet un menton filou,
Un fuyant et maigre cou Quâun torse tĂ©nu dissipe, Une ventre bruyant de tripes DâoĂč sâĂ©coule un fluide fou,
Un rictus grave et jaloux Qui, sans la fumer (la pipe), La taille, joyeux galipe, Quand on lui en tend le bout.
Absalom
Des cheveux noir-abyssal Comme lâĂąme quâils abritent, Deux amples lĂšvres quâexcite Une fureur animale,
Un fort penchant pour le mal Physique, une trĂšs petite Lueur dâesprit qui sâeffrite En poĂ©sie plus banale,
Deux rasoirs de jambes pĂąles, Et, malade de colite, Un vil bas-lieu qui sâagite Mendiant pour lâorgane mĂąle.
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In-Manus au vent de Mai
On voit deux bien belles ailes de mains - D'une espĂšce Ă soumettre Ă lâexamen - S'Ă©battre en l'air, et voltiger au vent, Dans leur fine course aux Ă©bats savants, Pianoter en faux sur un vain clavier, Et sâenorgueillir de beautĂ©s enviĂ©es.
On les voit sans cesse, on les voit toujours, Danser leur valse, un cĆur Ă contre-jour, Et, aux pieds, baller - bras ballants - souvent, Sans souci des traits de l'Astre Levant ; On les voit sans cesse, on les voit toujours, Danser leur valse, un cĆur Ă contre-jour.
C'est qu'on les convoite, ces sveltes pattes Blanches, celles-lĂ qui - sans peine - appĂątent La proie, de leurs maints leurres Ă©prouvants, Et puis font le jeu du Terrible Ivan, Griffant, dâaquilines serres d'acier, Ă lâĆil - et balafrant - le disgraciĂ©.
On les voit sans cesse, on les voit toujours, Danser leur valse, un cĆur Ă contre-jour, Et, aux pieds, baller - bras ballants - souvent, Sans souci des traits de l'Astre Levant ; On les voit sans cesse, on les voit toujours, Danser leur valse, un cĆur Ă contre-jour.
On peut y voir le luthier jongler Et tailler au violon ses deux onglets, Dans l'atelier des accords captivants. Mais, d'un probe Ćil  - et louangeur fervent - On y perçoit la larme qui Ondoie Sur l'eau plane, cillĂ©e du bout des doigts.
On les voit sans cesse, on les voit toujours, Danser leur valse, un cĆur Ă contre-jour, Et, aux pieds, baller - bras ballants - souvent, Sans souci des traits de l'Astre Levant ; On les voit sans cesse, on les voit toujours, Danser leur valse, un cĆur Ă contre-jour.
21/05/18, sur le chemin du retour
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Le Ciste IV
Dissonant Sonnet
Ă quels ruisseaux Boit l'Arbrisseau ? Ă plus aucun.
Ă quels soleils Prend-il sommeil ? Ă plus aucun.Â
Quand l'ouche flambe Aux quatre coins, Au rabicoin, Lui, tombe Ă l'iambe ;Â
Il perd la jambe, Et, mal-en-point, De feu est oint, Au viol des gambes.
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