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Félix Himmel
À l‘instar d’une goutte de pluie qui tombe pendant une averse, je vis isolé, le cul sur le tabouret et les jambes décroisées dorénavant et non plus croisées au genou avec ostentation pour alors probablement dire ou cacher quelque chose, un jour je décidai de les décroiser une fois pour toutes mettant ainsi à mort une posture, un comportement qui n’était pas pour moi anodin, méconnaissable à présent à ce que j’étais lorsque assis les jambes croisées à cause peut-être de David Bowie dont j’entends aujourd’hui la musique au supermarché dans lequel je tue le temps aux heures de grande affluence, à sourire aux caissières obèses, visage arrondi et tête sans cou, ou bien à cause de mon frère qui n’a pas connu la trithérapie, je ne sais pas, tous 2 d’une autre époque, et à qui je ne voulais plus ressembler bien que je sois toujours sensible à la manière que mon pantalon a de se casser sur mes chaussures, élégance aujourd’hui mal à propos, je m’offrais en spectacle à qui voulait le voir, car au fond j’étais un composé incertain de 5-6 fragments de figures que j’admirais, en premier lieu le titre du livre de William Burroughs Le Ticket qui explosa que je n’ai jamais lu, le « seulement voilà » de Gilles Deleuze qui me faisait l’effet d’un spray vaporisant dans l’air ce qui aurait pu avoir été dit auparavant et la maladie de mon ainé qui la mort approchant mimait bien le souffle du saxophone de Coltrane à la toute fin de Sincerity, certainement pour faire penser quelque chose de moi aux autres car j’étais muet, je m’en souviens aussi bien que de mon premier séjour sur la lune, même si à la différence de David Bowie, j’étais déjà atteint d’une calvitie bien avancée et qu’un soir à Marseille j’avais trouvé le courage d’aborder dans une boîte de nuit une jeune femme de mon âge auprès de laquelle je m’assis en croisant les jambes, mais qui immédiatement mit un frein à mon timide élan, en me disant qu’elle n’aimait pas les chauves, j’étais naturellement embarrassé avec mes jambes croisées, qui étaient à cet instant non plus croisées, mais nouées comme une tresse, je visais la mer et glissai sur une flaque d’urine, ce qui ne m’empêcha pas une fois rentré de me pougner en pensant à elle, assise nue sur mon visage, me pissant dans la bouche pour m’étouffer, manquant de peu lui mordre le clitoris et l’avaler car je jouissais alors prématurément, j’étais encore jeune comme aujourd’hui, seulement voilà aujourd’hui j’ai ajusté mon bonheur de [mot effacé] à ma torpeur et me verrouille à la manière du document PDF qui contenait ce texte. (Novembre 2013)
© Félix Himmel
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Barbidur
Félix Himmel
La terre tourne sur elle-même et dévoile le soleil dans un ciel froissé par des filaments de nuages blancs, toit d’une vaste étendue plus ou moins verte sur laquelle il court mais moins vite encore, on l’encercle à nouveau, se prend une châtaigne qui l’allonge mais il se relève, court et s’affale, c’est crépusculaire pourtant le soleil culmine, sa respiration n’est plus la sienne, ses lèvres ressemblent à celles d’un chameau, ses paupières ont décuplé de volume, il n'y pense certainement pas, et disons que j’écris pour lui, il ne peut pas le savoir, je pense autre chose que lui, je pense à lui, il ne le ferait pas, à sa peur faite corps, le sien, qui l'enveloppe et à la fois le fourre, en partie boursouflé, dont le sang traverse la chair et se répand à la surface pour finalement lui donner un air de fraise ou de Barbapapa rouge, Barbidur plus exactement, car quand il est à terre et que l'on saute sur son visage à pieds joints, nécessairement la peau se déchire, le sang pisse et la chair cloque, ses os se brisent, pourtant la douleur est secondaire à l'effroi, le nombre d’ennemis qui le cognent crée l’épouvante, il paye pour quelque chose d’inconnu à ceux qui regardent en différé, il paye de sa vie ou plutôt il paye en encaissant la mort à coups de pieds, de bâtons et d’insultes, de coups de genoux, de coudes et de crachats, et plus le sang coule plus la mort prend la relève dans ses veines, dans le ventre, dans la boîte crânienne, dans la chair qui à la manière de ses paupières et de ses lèvres décuple de volume, car la mort est incommensurable et veut l’envahir, c’est son droit souverain, elle prospère et opportuniste se propage dans la violence jusqu’à ce que Barbidur ne soit qu’une masse inerte que l’épouvante ne peut plus déplacer, or les coups ne cessent pas et le traînent sur la terre en partie verte, l’un d’eux fortuitement lui ayant donné la bonne clé de la chambre d'hôtel sans lit dans laquelle il n’est plus de ceux qui se projettent dans l’avenir ni de ceux qui y pensent à rebours, fraise écrabouillée. (31 janvier 2017)
© Félix Himmel
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50 moins 3
Félix Himmel
50 moins 3 durant la rédaction de cette prose poids mouches afin de passer de la taille S à la taille M en soulevant des haltères de plus en plus lourds qui augmentent le volume musculaire de mon corps, ma libido et subséquemment le volume de ma verge pendant que j’effectue les exercices devant le miroir de la salle-de-bain en sollicitant les bi & triceps avec l’objectif, atteint assez vite, quoique temporairement, d’avoir le tricot fourré aux muscles, sauf que, comme un type l’a écrit sur un forum, perso quand je fais mé biceps j’ai pus de jue pour les triceps et vise ver sa, je dois arrêter l’entraînement et torse vêtu d’un débardeur malgré la végétation dense de poils noirs sur les épaules, j’applique le mascara sur mes cils, matant en même temps mon avant-bras droit plié dont les muscles sont fraîchement congestionnés, et finis ensuite de me vêtir pour rejoindre la gare d’un pas décidé, où à la table mange-debout en terrasse du restaurant, je commande un jus et me montre à qui veut me regarder, fais l’objet dans la vitrine, une fausse rumeur ou l’homme au tapin dans l’attente d’un client qui ne viendra pas puisque l’offre est frauduleuse, je ne sais pas, j’accumule avec joie les clichés, presque tremblant à cause de cette inutilité omniprésente, portant compulsivement la cigarette à la bouche pour sentir se gonfler mes biceps, je me nourris du regard des autres qui me multiplie et dissémine de moi une image qui, selon les dires d’un poète pleurnichard du 19ème né au 20ème et dont j’ai troqué les livres contre des haltères, distrait ledit regard, bien que j’aurais plutôt voulu, comme d’autres que je vois dans les transports en commun, m’asseoir le dos bien droit, prendre une main dans l’autre, les poser sur mes cuisses, rentrer un tantinet la tête dans les épaules légèrement soulevées et regarder nulle part à travers la fenêtre en bâillant la bouche généreusement ouverte, oubliant brièvement qui je suis brièvement censé être après avoir été forcément quelqu’un ou forcément plusieurs autres venus adhérer à moi car au fond je suis une porte de réfrigérateur recouverte d’autocollants, c’est tout. (Septembre 2013)
© Félix Himmel
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vivement l’été
Félix Himmel
À force d'essayer de m'en souvenir, de le démembrer et de le recomposer afin de le formuler correctement, le fragment-clé m'a échappé, j'en confonds maintenant deux presque homonymes dont le sens diverge et admets que ça complique le mot de la fin parce que j'ai égaré la photo au dos de laquelle elle l'a inscrit en rédigeant ce texte qui est un échantillonnage de tout ce qu’elle m’a dit durant une brève et rudimentaire chorégraphie improvisée de banc en banc sous une chaleur outrageante dans le petit parc zurichois dépourvu de nonchalance et 5 Campari-orange en terrasse d’un troquet à l’amorce du soir, sirotés pendant qu’elle me racontait ses courtes liaisons, ses romances musicales, ses ruptures voulues ou contraintes, ses amants métis ou noirs ou blancs, dealers ou universitaires ou danseurs ou tout à la fois, français, allemands, tunisiens, américains, italiens, tessinois, inuits peut-être aussi, des hommes exceptionnels de toute évidence, que brièvement et au pas de course je cite sans respecter la chronologie en commençant par le footballeur stéphanois, marteau burineur au lit qui de ses agiles contorsions la faisait saigner du nez d’épuisement, sa rupture verticale, perchée au 17ème étage d’une tour à New York avec son amant polyglotte et inimitable danseur, le professeur assistant marié de l’université de Yale qui d’une seule remarque admirable la conquit et l’entraîna dans une liaison à ricochets qui s’étira sur une dizaine d’années je crois, dont 7 muettes, jusqu’à ce qu’enfin divorcé il la rejoigne mais harassés par un amour trop longtemps sublimé, ils se quittent définitivement, je ne me souviens plus de tous les détails mais c’était bien après le philosophe aixois qui la conduisait souvent sur sa moto pour aller danser jusqu’à un accident qui presque la défigura, hiatus dans la biographie qu’elle intégrera cahin-caha à son devenir, lui lisant à haute voix L'Être et le Néant sur son lit d’hôpital, écoutant au casque du Walkman « Avec le temps » de Léo Ferré, ce temps dont je ne respecte pas le calendrier car il n’est pas question de raconter une histoire mais plutôt d’articuler mon soulagement moulé dans la déception, quand pour terminer elle ajouta à son inventaire l’allégresse du Dean Martin de Lugano qui la rendit à tel point heureuse que ses parents reçurent un fax bref de sa part leur annonçant son nouveau bonheur, l’Apollon guadeloupéen d’Aix-en-Provence qui montait chez elle de temps à autre pour quelques galipettes, et ne m’étendrai pas sur le marseillais de la rue Vian, parce que le panorama incomplet qui précède suffit amplement pour mener à bien ce texte dans lequel ces hommes deviennent pour moi des super-héros, des types aux talents innombrables devant lesquels mon infériorité est flagrante, ne sachant pas si elle me raconta tout ceci sciemment, en tout cas ce fut brillant, plus vrai que la réalité et encore plus vrai qu'un conte, c'est dire comment je me suis pris un râteau à la manière d'une violente rafale de vent au sud de la France qui décoifferait même un chauve, et qui engendra une démiurge, debout au sommet de ce monticule d’hommes, qui griffonne au verso d’une ancienne photo floue où elle prend la pose de la statue de David à Marseille qui se trouve dans son dos, ce fragment-clé «��vivement l’été » ou « vivement le Léthé » me la tendant de sa hauteur comme une offrande et que j’ai égarée depuis, ce qui pardonne le bide susmentionné. (29 juillet 2017)
© 2017 Félix Himmel
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le gobe-ombre I
R.K.F. Connolly
Je suis ici depuis des mois. Mes paumes sont vertes parce que j’ai passé la matinée à arracher de l’herbe dans le jardin. Dessous, lovés, j’ai découvert de lourds morceaux de chairs pareils à des bras tatoués. Des bras amputés, morts. Ce sont probablement les tuyaux d’arrosage qui les ont attirés là, m’a dit ma sœur, mais elle est folle. Mon pied est venu buter. J’arrachais l’herbe. Panique un instant, et puis tout le travail pour m’en débarrasser. Il y en a chaque jour de nouveaux. Même mouvement de panique chaque fois. Même soupir ensuite avant de commencer le travail jusqu’à l’aube levante. Après j’arrache l’herbe jusqu’à midi mais elle repousse incroyablement vite. Il suffit que j’aille dormir pour que ça foisonne à nouveau. Si ça continue mes bras seront verts eux aussi. Alors je les couperai et les jetterai dans l’herbe et ils pourriront parmi les ophidiens et le caoutchouc.
Latet anguis in herba, ma sœur s’est tatouée cette phrase sur le corps, et elle l’a inscrite sur le fronton de la maison que nous occupons depuis notre retour. Elle dit souvent : le présent aussi se dissimule, et : on le reconnaît à ses nœuds. Elle n’explique pas. Elle n’explique rien. C’est pour ça que je dis qu’elle est folle. J’ai dit : je suis ici depuis des mois. La plupart du temps je reste dans ma chambre qui est dans la cave. Le temps est là. Parfois il est comme retiré en lui-même, télescopé. Parfois il fait l’horloge, glissant son corps d’ennui sur la surface des choses. Parfois il bondit. Un jour, j’ai peint les lames du plancher en faisant alterner le noir et le blanc. Au début j’avais fait le choix du tout-blanc, habité encore que j’étais par mon habitat antérieur : la neige recouvrait tout, m’aurait recouvert moi-même si je n’avais finalement trouvé refuge ici, dans cet intérieur, ce dedans. J’aurais pu ne pas fuir, c’est-à-dire me laisser mourir, mais je ne fus pas maître de cela. En souvenir de cette fuite, de mes asiles provisoires – trous de la roche, arbres morts, abris abandonnés, sommeils proches de l’hypothermie – j’ai ajouté le noir au blanc. Ce jour-là cependant j’avais mal calculé mon coup : une fois la chambre peinte entièrement je me suis retrouvé sur mon lit au milieu d’une mer collante et impraticable, dans les émanations toxiques. La cave n’est pourvue d’aucun jour, d’aucune voie d’aération. Alors la brume n’a pas tardé à tomber et le paysage à devenir incompréhensible. Parfois mon regard s’arrêtait sur un objet et je m’apercevais qu’il n’était pas ce qu’il me paraissait une seconde plus tôt, mais surtout je regardais le plancher dont les lames me plongeaient dans une perplexité plus profonde encore. Avant cela je pouvais me dire, en les regardant, par exemple : lame blanche (ou noire), l’homme est heureux, et puis, aussitôt: lame noire (ou blanche), l’homme est malheureux, et m’en tenir là. Pour faire tenir la double proposition j’inventai par la suite un mot nouveau ; ainsi ma pensée semblait baigner dans un espace hors du temps. Or avec cette brève intoxication le temps affirmait sa présence. Tu n’as jamais quitté le jardin, dit ma sœur. Je me trouvais devant mes lames incapable de dire si, égales à elles-mêmes, elles continuaient de s’opposer, ou si le noir, séparé de son nom, ne flottait pas plutôt dans une indétermination permanente au côté du blanc lui aussi devenu innommable. Et penchant naturellement plutôt vers l’incertitude ma quiétude fut de courte durée. Fini les néologismes salvateurs. Je rentrais tout juste d’une aventure pas possible et m’apercevais que rien n’avait en réalité pris fin. Fatigué j’avais fait le mort comme un enfant qui joue, rien de plus, mais sans savoir le jeu. Entre ce moment et celui où tout ne fut plus que ruines bruyantes il n’y a eu qu’un pas, celui-ci : je n’avais pas nettoyé avant de peindre, et à la peinture étaient venus se mêler de petits objets – allumettes, mégots – en plus de la saleté, poils et cheveux et poussière, et cela compromettait gravement l’éventuelle maîtrise de mon milieu, je veux dire du dedans et du dehors immédiats de ma tête, condition de mon retour au calme. Car si le simple devient complexe qu’advient-il du complexe ? demandai-je. Le néant se met à pulluler, répondit ma sœur. En l’occurrence je lui criai depuis mon lit, désemparé. En même temps comme ça ne cessait plus le monde me parut d’une richesse inouïe. Le possible enflait. Y toucher aurait été l’amoindrir : presque, s’abolir. Frayeur à cette pensée, et c’est une image de décapitation qui me vint. Je ne bougeais plus. Je ne bouge plus. Je fais mieux le mort. Les fonctions vitales seulement, respirer. Parfois je sors et je déplace une brouettée de serpents mais la plupart du temps je ne quitte jamais ma chambre – mon lit – où l’on doit me donner à manger car je ne meurs pas. Lorsque le drap est mouillé j’attends aussi longtemps que possible pour le retourner et généralement il est sec quand je n’en peux presque plus. L’été cela ne pose pas de problème, au contraire.
Est-ce qu’on entre, traverse jusqu’à mon lit ?
Parmi les fonctions découlant des vitales il y a la production de rêves, la remontée de souvenirs, la production de souvenirs aussi. Comme ce jour où je traversais la grande allée du parc à vélo et qu’un jeune garçon m’a jeté une bouteille en plastique à la tête. Il faisait gris dehors et dedans. Je pédalais contre le vent en soufflant. J’avais envie de m’enfoncer dans le sol, de disparaître. Le garçon a vu ça, et lorsqu’il fut derrière moi il a ramassé une bouteille en plastique qui traînait là et me l’a jetée à la tête. Avec le vent et moi qui filais à vive allure et serpentant ça n’avait pas dû être facile d’atteindre la cible. Peut-être qu’il visait autre chose et qu’il fut désolé. Ou sachant que le vent altèrerait la trajectoire de la bouteille il avait mal visé exprès. J’étais rentré chez moi, c’est-à-dire dans cette chambre dont j’ai peint les lames du plancher et dont je ne bouge plus à présent. Ou cette autre fois : je partais à la montagne, j’avais trop bu la veille, la veille avait duré dix ou quinze ans. Psalmodie des douleurs minuscules qui me parcouraient sans répit. Dans les couloirs souterrains d’une station de métro, apparitions des visages dans la foule comme des pétales mangés aux vers sur une branche noire et mouillée. Imperméables tachetés comme autant de fauves grinçants. Dehors la pluie par intermittence. Ne sachant mon chemin j’avais demandé à une jeune fille glaciale de m’indiquer la gare routière. Elle portait une fleur sur la poitrine, un vilain pissenlit flétri épinglé à son cœur. La jeune fille ne savait pas ou ne voulait pas répondre. A la gare routière l’angoisse vint, et dans un tabac je fis acquisition d’une petite bouteille de vodka qui éloigna l’armée que j’entendais charger sur la plaine de mes sensations. Une grande lampée de vodka comme on gémit dans le sommeil en entendant dans la distance les rires tourbillonnants fendre la ténèbre des rêves. Le bus partit, moi dedans. Maintenant je ne vais plus nulle part. Je me demande même parfois si ces pensées n’effarouchent pas le grand et bel avenir, comme me lever de mon lit le ferait, sortir de ma chambre, de la maison, trouver un travail ou une femme. A l’étage il y a ma sœur, c’est-à-dire au rez-de-chaussée. C’est peut-être ma mère. Elles sont peut-être toutes deux mortes depuis longtemps. Ou en allées. Il s’agit peut-être d’une autre famille qui ne sait pas que je suis là. Ou qui sait. Une autre mère et une autre sœur, la mère et la sœur de quelqu’un d’autre, qui font comme si elles étaient ma mère et ma sœur, et moi qui n’y vois que du feu. Mais l’autre alors ? Le fils et frère vrai ? Elles me nourrissent.
Mon ancêtre. Comme moi c’est un homme qui sut se tenir en retrait. Puis il mourut. L’énervement entre temps avait fait germer, mûrir et pourrir en lui tout un jardin. Il vécut tel un sauvage dans une grotte dans le jardin. Il ne parla pas. Il avait un tuyau dans lequel parfois il soufflait et alors c’était effrayant ou somptueux. Cela faisait fuir et s’entretuer des soldats nuitamment ou se multiplier des troupeaux de chèvres. Quelque chose d’approchant. Avec mes amis, autrefois, nous nous occupions de menus projets dans l’égorgement permanent des nourrissons. Comme cette fois où fut constituée une équipe de course de relais qui remporta un grand nombre d’épreuves, mais sans moi qui au dernier moment m’étais rétracté, un peu involontairement. J’étais parti à la montagne sans crier gare, et peu à peu on s’était désintéressé de ma personne. J’avais alors changé d’aspect. A défaut de pouvoir me métamorphoser j’avais rasé mes cheveux qui étaient longs et bouclés et noirs et mes sourcils aussi, et tous les poils de mon corps. Je m’étais exclusivement nourri de glands dans la forêt ne sachant ni la chasse ni la culture. Entre la ville et la montagne proprement dite il faut savoir que je fis halte dans la fondation d’un dénommé Bukov, mais à vrai dire en partant j’ignorais que cette ancienne ferme, aménagée en institution pour la culture, la science, l’éducation et la protection de la nature, ne serait qu’une escale pour moi. Je croyais que c’était la destination définitive de celui que j’étais alors – que j’étais alors impatient d’enterrer, voyant un défaut de concordance entre ce que j’étais et ce que je croyais devoir être. Il y avait toujours un hiatus. J’étais le témoin quatre fois essoufflé et la course ne finirait jamais.
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© 2017 R.K.F. Connolly
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le gobe-ombre II
R.K.F. Connolly
Sans le silence qui est hors de portée pas de soleil, dit ma sœur. Elle dit : pas de soleil. Tu ne peux que suivre un rayon fortuit jusqu'à sa pointe, puis tracer le cercle qu'il indique. Et tu auras beau multiplier l'opération, tu n'auras que des aspects, de pauvres calculs, des ressemblances, des œuvres bonnes ou mauvaises, cela est égal: des œuvres, des déchets, dont la somme n'est jamais A.C. Pourtant tu es le silence et l'oubli, tu es le soleil: pupille incendie.
Je sais bien qu'elle n'approuve pas le choix de mon inactivité. Pendant ce temps elle broie le grain, pétrit la pâte. Quelqu'un le fait. Va-t-elle comme moi d'état de conscience en état de conscience, brumeuse, étrangère à elle-même, et folle quelquefois d'entrevoir qu'elle n'a pas même effleuré ce monde ? C'est pour cela que dans ma montagne j'avais refusé d'écouter Bukov. La transhumance est trop douloureuse, lui avais-je dit dans le téléphone qu’il m’avait remis à mon départ, et je l’avais jeté. J'avais décidé d'habiter une seule de mes folies au lieu de devenir fou en cherchant à me rejoindre. Ça n'a pas été possible bien entendu. Une glissade et tombant sur le cul j'étais soudain un autre dans la douleur. Ça ne l'est pas plus aujourd'hui dans cette cave. Tout ce que je peux faire c'est me tenir en équilibre sur le seuil entre deux folies, sur un point entre cent. Triste soleil. Ne rien accepter comme vrai, ni comme faux. Je me raconte peut-être encore des histoires, je le saurai peut-être un jour. Quel serait ce seuil? Non pas une stase, une station dans le même, non pas un état de conscience moins confus et absorbé que les autres, mais ceci même ; ceci. L'envers de la vie. L'endroit de quoi? D'une étendue balayée par des vents contraires ou chaque chose est le signe provisoire d'une autre chose. Enfin, cela n'engage à rien. Pour la course de relais on me remplaça tout simplement. J’ai appris cela par les journaux que ma sœur utilise pour le feu, bien qu’il soit plus juste de dire qu’elle utilise le feu pour les journaux. En fait je n’en sais rien. Venant du rez-de-chaussée j’entends parfois des pas, parfois une sonnerie. Son plafond vibratile comme une question chaque fois, ou un ordre. Je ne sais qu’en faire. C’est trop facile de dire que de petites piqûres parcourent l’intérieur de mes bras, le dos de mes mains. Je n’ai aucune preuve que ceci, mes conditions matérielles et morales, soit le fait de petits tuyaux de verre nommés seringues. Et bien que cela caractérise parfaitement ma situation : Le pulvérisateur-seringue est spécialement conçu pour le petit jardin d’agrément. Car moi aussi je possède mon jardin, et mon jardin me possède. Si quelqu’un me nourrit pourquoi ne pas nettoyer dans la foulée ? Petit con, me disait ma mère au paléolithique inférieur. Elle croit peut-être qu’elle réussira ainsi à me chasser. Partir de moi-même ? Je ne cesse de le faire. Tantôt à la mer, tantôt à la montagne, tantôt à la campagne, tantôt à la ville, tantôt à la neige, tantôt à l’étranger, tantôt chez mamie et papy avec le chien et Gigi la grosse voisine à la voix si haute. Mais quelle mer, quelle montagne, quelle neige ? Telles sont les dents antérieures de l'anarrhique. Les dents à couronne plate, tantôt absolument comme celles du pharynx de la carpe, ou tantôt simplement arrondie, comme les postérieures du spare dorade, et de beaucoup d'autres spares. A propos de loups, il fallait faire attention, à la montagne. Je m’étais muni d’une sorte de houlette. Il s’agissait en fait d’un long et fin cylindre de métal que j’avais trouvé en chemin, mais je m’étais dit que ça ferait l’affaire. Ça avait commencé tout simplement comme une randonnée mais on s’excentre vite quand on ne prend pas garde, et puis il fallait suivre le désir des chèvres qui ont la douceur des vagues. Et très vite ce furent les étendues neigeuse, les frontières, les territoires au-delà des routes, ravins, rochers. Tout cela à cause d’une partie de dominos qui avait mal tourné.
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© 2017 R.K.F. Connolly
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le gobe-ombre III
R.K.F. Connolly
Ma fiancée avait de jolis cheveux mais il ne fut jamais question de sexe entre nous. Quelque chose la tenait à l’écart. Mais ça ne l’empêchait pas d’être douce par moment. J’aurais voulu boire à grands traits la sainte sobriété de son eau afin d’être enfin rassasié d’elle. Plus tard, c’est-à-dire après que son loup de père m’eut porté la mortelle estocade, je fis mine de mordre, mais le cœur n’y était pas. Je l’appelai avarie, et son père cadavre. Mais ayant tiré mon épée trop tard, ou ayant tiré le fourreau avec l’épée, ou à la place de l’épée, c’est moi qui fut cadavre. On verra par la suite que tout cela se tient.
Nous vivions dans un hôtel où nous avions des privilèges. L’hôtel devait appartenir à son père. Il s’agissait d’une large construction blanche et lumineuse, avec des fenêtres munies de persiennes métalliques, une baie en bandeau, une tourelle engagée et de vastes balcons rectangulaires aux angles arrondies, et tout entourée de grands cèdres. Des poires jaunes et des rosiers sauvages se reflétaient dans l’eau des douves. Il faisait beau, c’était l’été. Nous venions d’arriver et devions nous installer dans des chambres séparées. Elle trouva rapidement la sienne. Moi je tournais, longtemps, difficilement, dans une pesanteur accrue. Le hall de l’hôtel était spacieux et tout de marbre bleu, sol, plafond et murs, et tant de monde s’y pressait qu’on avait dû installer des tourniquets, comme dans le métro. Des employés mâles et femelles en livrée visiblement dépassés s’affairaient çà et là, mais en réalité ils ne faisaient qu’ajouter leur propre désordre à la cohue. Je finis par trouver ma chambre. Elle était toute pareille aux autres. Je m’aperçus bientôt cependant qu’il n’en était rien, car derrière le plus léger des battants, en vérité une simple plaque de carton munie d’un crochet ridicule, je découvris une autre chambre, une seconde salle de bain, et à cette nouvelle demeure aucune porte d’entrée. D’où les incessantes allées et venues de trois hommes – mes voisins, ou colocataires –, barbus, sérieux, que la situation, impossible pour moi, semblait laisser absolument indifférents. Ils me saluèrent sans surprise et passèrent leur chemin, et dans leur chambre ils rirent bruyamment en jouant aux cartes ou en regardant la télévision. Les trois hommes finirent par partir et je vécus avec la jeune fille dans la double chambre, avant finalement que nous-mêmes dussions partir, ou moi seulement, pour une raison qui à présent m’échappe. Toujours est-il que je lui dis que tout était fini entre nous, que j’en avais assez d’elle et de l’hôtel et que je m’en allais. Mais que faire de l’enfant qu’elle venait d’avoir, et qu’elle me menaçait de réintroduire dans son ventre ? Je la vis positionner la tête de l’enfant contre l’entrée de son vagin, et elle me demanda de lui injecter un liquide dans l’oreille, à l’aide d’une poire qu’elle me tendait. C’était pour faciliter le passage et distraire de la douleur. Mais l’enfant alors ? Pourra-t-il même respirer ? Je décidai de m’en occuper moi-même, je le lui dis, et cela s’avéra d’une facilité extraordinaire. La petite fille était toujours très calme, elle rampait ici et là, se lovait sur mes genoux, et je la vis même devenir minuscule et se coucher sur le bord de mon assiette pendant que je mangeais. Ce n’était pas ma fille, la jeune fille n’était pas ma femme, pas encore ma femme, et déjà nous nous quittions. En rassemblant mes affaires, un jour, je trouvai nos serviettes de bain : elles étaient trempées. C’en était trop. Plus tard, quelque temps plus tard, j’aperçus dans la vitrine d’un horloger un petit revolver or et gris sombre que je démontai après l’avoir acquis. Son mécanisme était fragile : c’était comme, dis-je dans la lettre que j’envoyai à ma fiancée, de fouiller du bout des doigts dans le squelette d’un petit animal. Pris de regret, et ayant oublié la négligence ménagère de l’intéressée, ou la raison qui m’avait décidé à partir, ou simplement par un calcul lâche, je revins à l’hôtel où eut lieu le fameux duel dans lequel je n’eus pas la main assez preste, ou heureuse. Vous croyez revenir en héros et c’est la tapette à mouche qui vous attend. La jeune louve eut un petit cri effaré et je fus distrait. Il faisait chaud, on entendait crépiter des feux d’artifices. On ne s’embarrassa pas de mon cadavre.
Je partis à la montagne avec le funeste fourreau, désormais mon unique possession. Derrière moi la fête était finie. Elle avait culminé dans mon meurtre, et tout l’or jeté au ciel était retombé une dernière fois et les trompettes des fanfares s’éloignaient vers le matin. C’est dans son éloignement qui l’altéra que cette musique me conduisit finalement là où je suis à présent, dans ce lit. Au travers de ses notes incertaines j’entends ma sœur parler. La plupart du temps ce qu’elle dit n’est pas audible. Je sais qu’elle parle mais je ne l’entends pas. Souvent quand c’est audible alors c’est indistinct, inarticulé. Elle met des mots dans sa bouche, les mâche puis les recrache. Quand c’est distinct alors c’est insaisissable. Une ménagerie de petits animaux agiles, capricieux. Elle dit : c’est moi qui parle dans ta bouche. Puis elle s’en va. Elle travaille ses effets. Je crois qu’elle cherche à me maintenir à un certain degré de confusion. Ici nous sommes à la surface. Non que la surface soit de tout repos. Qu’on imagine une patinoire par exemple, l’effort que ça demande.
Les dominos: jamais su jouer. Je crois qu'elle non plus ne savait pas, n'avait jamais appris. Nous avions trouvé dans un des tiroirs de notre double chambre un sac de velours fermé par une cordelette et contenant un certain nombre de dominos. A la question de savoir si le jeu était complet je ne peux pas répondre. Nous ne nous la posâmes pas alors, ni plus tard. Par ennui probablement un dimanche nous décidâmes d'ouvrir le sac et de renverser le jeu sur une des deux tables de l'une de nos deux chambres en tous points identiques. Dans l'une comme dans l'autre nous n'eûmes aucun rapport sexuel. Elles étaient chacune comme l'image de l'autre, parfaitement symétriques, sauf pour la porte d'entrée - ou de sortie - qui n'existait que dans la première. Je dis première car c'est celle que j'occupais d'abord, qui en quelque sorte m'appartenais. Je disais: ma chambre et : la chambre des trois hommes. Plus tard nous dîmes: notre double chambre, mais il était en réalité impossible de dire cela, c'est à dire de les réunir. Nous passions de l'une à l'autre. Parfois elle s'asseyait à la table de l'une et moi, à la table de l'autre, je m'asseyais en face de son absence, tout en sachant qu'elle même était assise en face de la mienne – de mon absence, dans l'autre chambre. Nous restions silencieux afin de ne pas briser le charme. Je la regardais, et sachant ou imaginant que de l'autre côté elle me regardait aussi, c'est à dire feignait de me regarder comme moi-même je feignais de le faire, je ne sentais rien. Dans la seconde chambre nous avions trouvé un autre sac de velours fermé par une cordelette et contenant un second jeu de dominos tout aussi complet ou incomplet. Nous renversâmes donc un dimanche d'ennui chacun son jeu sur sa table, l'un en face de l'absence de l'autre, et après avoir distribué les pièces équitablement (pour le nombre) et arbitrairement (pour la valeur), nous jouâmes chacun de notre côté tous les coups de nos parties respectives, elle de la main droite jouant pour soi, de la main gauche pour moi, et moi de la main gauche pour moi et de la main droite pour elle. Nous ne connaissions pas les règles mais je doute que la manière dont nous jouâmes s'écartât beaucoup de la manière classique. À la fin, c'est-à-dire au moment où aucune des quatre mains n'avait plus à sa disposition aucune pièce, nous nous trouvions l’un et l’autre devant un petit labyrinthe différent et pourtant ils devaient se ressembler et peut-être arriva-t-il que nos labyrinthes soient en tous points similaires, sur le plan de l'enchaînement des valeurs comme sur celui de la forme. Mais c'est peu probable. Parfois, tandis que je posais une pièce, je l'entendais pousser un petit cri de joie ou de dépit. Mais il fallait le reste du temps des efforts d’imagination immenses pour ne pas hurler d’ennui ou défenestrer tous les meubles. Quand je parlais de symétrie c'était de manière toute relative. Il y a des failles, il faut s’y faire, il y en a toujours, c’est par elles que le monde advient.
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© 2017 R.K.F. Connolly
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le gobe-ombre IV
R.K.F. Connolly
L’inscription était un peu effacée quand je suis rentré de la montagne ce jour-là, le jour du garçon et de la bouteille jetée. Elle était devenue illisible. La tête angoisse et puis rien. Je parle de l’inscription sur le fronton de la maison et sur le corps de ma sœur. Effacée. Sur le fronton le bois avait cicatrisé d’une manière qui faisait se tordre les lettres, elles s’enfonçaient dans sa chair, c’était presque douloureux à voir. Ma vue avait souffert des intempéries, celles du dedans et du dehors, ma mémoire aussi. S’orienter et souffrir, dans le soi et le non-soi, et puis gentiment fermer boutique. Avec cela toute la végétation. Et la crasse. Dans la baignoire elle faisait de l’engrais pour le jardin. A l’époque ce n’était donc pas les serpents qui se cachaient, mais l’herbe, il n’y avait pas d’herbe, elle était sous la terre, dissimulée par le travail cicatriciel, le tissu conjonctif. Les serpents étaient cette suture du sol. Les serpents cachés en plein jour parcouraient la terre devant la maison. C’était à cause de moi, j’avais longtemps refusé de rentrer, de redescendre de la montagne vers la plaine, et j’avais conduit mes bondissantes jeunes filles dans la plus parfaite sauvagerie, à l’encontre des recommandations de Bukov. Les serpents sont le seuil, me dit ma sœur, le signe que l’herbe repoussera ; nous remangerons du blé moulu sous peu. Va te coucher. Tu ressembles à une tombe. J’allai me coucher. Je ne me relevai plus.
La fondation de Bukov. Elle ne lui appartenait pas. Le premier jour à la sortie du car je vomis. Je me réveillais, je n'avais rien vu des 400 kilomètres de routes et de paysages, du ciel crevant violet ou figé pisseux et bas comme il l'était trop souvent, du béton mangé par la verdure dans la banlieue, de la géométrie éboulée, des guêpes éclatant sur la vitre, des dorures soudaines dans la morne étendue avec les meules, les ruines marrons trouées dans l'ajonc, les ouvriers agricoles en bottes et les moissonneuses-batteuses, ni des premiers reliefs, des villages déserts dans l'après-midi, je n'avais rien vu. La vodka si bienfaisante pour les plaies de la peau et de l'âme, après m'avoir assommé, m'était restée sur l'estomac. À côté de moi, à l'étage supérieur devant la lunette concave où je m'étais installé pour profiter de la vue, un type avait retiré ses chaussures et parlait au téléphone dans un langage que je ne comprenais pas. Nous sommes loin, me dis-je, au-delà de la frontière ; puis le bus s'arrêta. Je vis Bukov. Il ressemblait à mon beau-père. Il n'était pas seul, une femme l'accompagnait. Elle ressemblait à ma belle négligente. Il posa une main qui se voulait bienveillante sur mon dos secoué, frottant ou caressant d'une manière écœurante mon omoplate en décrivant des approximations de cercles. Au travers de mes larmes, entre les spasmes, je voyais le liquide clair que j'expulsais laborieusement former une grande flaque à mes pieds sur l'asphalte, refléter le ciel et les arbres tremblants. J'étais calme, sage-femme et parturiente, absorbé dans l'acte. La femme se tenait un peu à l’écart. Une fois vidée je pus contempler son visage. Mademoiselle est en retraite ici, comme vous, me dit Bukov en guise d'introduction. Les passagers et le chauffeur nous regardaient derrière les vitres en faisant de la buée. J'étais malade selon Bukov. On fit le chemin à pied jusqu'à l'ancienne ferme sans croiser personne. On m'y donna une chambre.
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© 2017 R.K.F. Connolly
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les pautes
Thomas Ahne
J’ai été paute quarante-cinq jours et demi pour mon neveu Rémy Thomas mort le 8 juin 2014 à 9 heures du soir. J’ai été Rémy Thomas quarante-cinq jours et demi durant pour le pousser mieux chez les morts et qu’il y vive tranquille parmi les siens. On l’a posé dans le caveau de famille le 10 juin à 11 heures du matin et on m’a mis dans le lit du défunt dès le retour des funérailles. On m’a donné son pyjama. J’ai tremblé de sa fièvre dernière en m’appliquant. J’ai toussé et craché et pété en faisant de mon mieux dans le bol où lui-même avait craché tenu dans le dos par ses sœurs qui furent miennes. Quarante-cinq jours et demi j’ai tenu paute. Paute est le voyage souterrain des morts pour arriver chez eux. Après on m’a dit que certainement j’avais réussi. J’avais la tête ébouriffée surtout derrière à cause d’être couché et les jambes qui ne voulurent pas me tenir ni marcher et je suis rentré chez moi continuer les activités et fonctions de vivant que j’avais avant d’être le paute de Rémy.
Au début j’ai dit quoi paute, pourquoi tu prononçais comme ça ? Rémy Thomas était mon neveu tu le savais et maintenant il est mort nous allons l’enterrer demain. C’était au téléphone un oncle qui m’expliqua. Un oncle au-dessus de moi. Il m’a dit on te donne le pyjama et tu te couches dans le lit du défunt pendant des jours jusqu’à ce que tu puisses plus. Tu fais le mort avant qu’il meurt Rémy Thomas. Il a perdu ses cheveux tout jaune c’est pas grave. Il a pesé moins que debout c’est pas grave. 45 kilo et demi quand on l’a pesé avant de le mettre en bière. Si tu arrives à faire son poids en jours c’est réussi pour Rémy il arrive à destination. Pour moi c’était n’importe quoi mais j’ai dit d’accord quand même. Si tu comprends pas c’est normal et pas grave. Ça marche pareil. Le défunt fera le chemin quand même. Si tu y arrives pas c’est pas ta faute. J’ai dit d’accord mais j’avais pas vraiment le choix. La mère de Rémy qui fut mienne a préparé le bol et les draps et le pyjama pour faire mourir son fils un peu plus. Avec ses sœurs tout autour et père et mère et plus qu’un frère Thomas agenouillés mouillant les draps de pleurs et s’affairant comme le font les vivants tout autour du mourant que j’étais.
Quand à l’oncle j’ai demandé pourquoi j’étais pas au courant qu’on faisait passer les morts comme ça et si c’était notre religion il m’a dit de pas m’inquiéter, que lui l’avait en son temps fait pour son mort, que c’est quand on le faisait qu’on recevait le savoir que ça se faisait. A la question pourquoi moi il a dit qu’un mort si jeune ça déréglait les choses, Rémy Thomas n’a pas de neveu encore alors c’est toi qui le fait moribond. Et on le fera pour toi, avec un peu de chance le neveu du défunt quand il sera le fera pour toi, et l’ordre des choses rentrera dans l’ordre. Fallait pas qu’il meurt mais maintenant c’est comme ça. Et imagine a-t-il ajouté avec tes 80 kilo et quelques ce qu’il souffrira le petit qui te fera moribond. Après quand je me levai chancelant d’avoir été allongé 45 jours et demi ça m’a donné envie de maigrir. J’ai voulu maigrir jusqu’à disparaître et que s’étouffe en ma mort maigre cette religion de se mettre dans la peau des en-allés. Mais j’ai pas réussi. Les os avec le minimum dessus ça pèse quand même au moins une bonne trentaine de jours j’imagine et c’est assez pour que le mort vous survive à l’intérieur tout le reste de vos jours debout.
Et toi j’ai demandé à mon oncle, et toi qui c’est qui sera ton paute quand tu devras à ton tour faire ton chemin de mort ? Déjà on m’enfilait le pantalon de pyj puis la veste à boutons et carreaux avec des traces indélébiles de crachats ayant coulé de la bouche de R. Thomas. Il y avait tout le monde autour de ma honte nue. On a allumé l’encens et la musique en disant c’est pour les pets que tu vas lâcher en t’efforçant car Rémy T. est mort comme ça en crachant et bavant, en toussant et vessant. Y en a qui meurt moins mal mais c’est comme ça. Et l’oncle a répondu que pour lui on trouverait en temps voulu qui serait paute, qui le pousserait vers la demeure où sont les morts, on pouvait rien faire, c’était un dérèglement. Le 10 juin au soir après les festivités mortuaires et souper on a commencé.
© 2017 Thomas Ahne
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