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Romance de genoux
Cédric est dans le métro. Il est assis dans la ligne 6 en direction de Nation pour se rendre à son travail. Il est huit heures trente-six du matin et il fait déjà vingt-sept degrés. C’est canicule aujourd’hui, toutes les stations de métro somment les usagers de boire beaucoup d’eau et de mouiller leur peau. Il est en jean. Sur son tee-shirt il y a marqué « / Gordon » avec un logo de super héros. C’est un jeu de mot de développeur informatique parce que « / » est un « slash » ce qui fait « Slash Gordon » comme « Flash Gordon ». À Sèvre-Lecourbe, une fille s’est assise en face de lui dans le carré. Dans les nouvelles rames de la RATP, les designers ont laissé plus de place pour les jambes dans les carrés. La distance entre les sièges est suffisante pour ne pas faire de touche-genoux avec l’inconnu d’en face. La rame dans laquelle est Cédric n’est pas une nouvelle rame alors quand la fille s’assoit, elle insère ses genoux entre les siens. En fait, elle s’est d’abord excusée mille fois en essayant de se glisser côté fenêtre et a rabattu sa jupe sous ses fesses pour que la peau de ses cuisses ne touchent pas directement le siège en vieux velours usé. Cédric la regarde sans la regarder. Il a « la tête dans le cul » comme tous les matins, parce qu’il n’est pas du matin et que chaque matin il se confirme à lui-même qu’il n’est pas du matin. Il a chaud et le contacte des genoux de la-fille-qui-s’excuse n’arrange rien. Elle est jolie. Cette pensée l’a traversé sans qu’il ne s’en rende compte. Il a l’impression de trouver toutes les filles jolies. Ses deux ans de célibat suite à sa douloureuse rupture avec Émeline doivent y être pour quelque chose. Il se demande si elle a conscience qu’ils sont en train de se faire un câlin de genoux. Elle semble absorbée par son roman « Le bizarre incident du chien pendant la nuit » de Mark Haddon alors que lui relit pour la cinquième fois cette phrase  « La musique qu’elle écoutait à bord du train et ce dernier la transportait ».
Il ne saura jamais si c’était une pure invention de son imagination mais il a cru sentir une pression de la part de la fille, comme si elle relâchait la tension de ses jambes et se laissait aller à s’appuyer sur les genoux de Cédric. Pourtant, l’instant d’après, elle se levait et sortait du métro sans lui accorder un regard.
Cédric ne recroisera jamais cette fille, il ne l’invitera pas à prendre un café qu’elle aurait accepté, ils ne vivront pas de romance ensemble, il n’y aura pas de crise où il lui courra après en caleçon dans le rue sous la pluie pour lui crier « PARDON » et à quel point il l’aime. Non, non, non. C’était juste une fille qui lui a fait un câlin de genoux dans le métro à huit heure trente-six et c’est déjà beaucoup pour un homme qui n’est pas du matin.
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Ce ne sont que des cheveux blancs - 21/03/2018
Un jour plus calme que les autres, je me regarde. Prise d’ennui, j’ai pris le temps de me contempler de près.
Non, de loin d’abord, de loin d’abord, en face d’un moi-même sur un plan incliné. 
J’ai pris la bonne habitude de perdre cette mauvaise habitude de compartimenter les zones à haut potentiel de complexe. Hanches et fesses, de profil et de face, cuisses et hauts de cuisse, ventre, seins, bras. Je me retourne et tente de me voir de dos comme il n’a jamais été possible, n’est pas possible, et ne sera jamais possible de bien faire. On se tord le cou à vouloir voir son derrière, toujours le même pourtant. Mais on ne sait jamais, il a peut-être changer. Alors on oublie que c’est impossible et on tente la posture du hibou. On ne change ni les gens ni son derrière. Ce sont les gens et notre derrière qui se changent de leur plein gré.

Aujourd’hui est un jour mâture. Je me vois en un, d’un coup, un être composé de.. mais d’abord un être d’abord. composé de… mais d’abord un tout… un tout… un… tout et non… et non pas des parties collées les unes aux autres qui auraient mieux fait d’être plus comme ça, moins comme ci, pourquoi moi pourquoi moi, trop gras trop petit trop mou, d’après les photos des autres corps des autres femmes sur la planète.


La fierté d’être sans couture mentale. 


Aujourd’hui, ce même aujourd’hui que tous ceux des dernières années, je me regarde en être unique comme on regarde l’esprit de quelqu’un en l’écoutant dire ce qu’il pense de quelque chose de sensible. Une sensibilité matérialisée par des bras, des jambes et des fesses et des cuisses et des hanches. Mes hanches pensent comme personne. Elles ont une sacrée personnalité. Elles ont leur propre point de vue sur ce qui se passent à ma droite et ma gauche et ça personne ne pourra leur enlever. 
Je suis un tout et ça fait du bien.
Aujourd’hui, Un jour plus calme que les autres, je me regarde. Prise d’ennui, j’ai pris le temps de me contempler de près. Je me suis approchée pour zoomer sur moi-même et j’ai arrangé mes cheveux pour déplacer la raie sur le côté. Des chemins blancs nombreux partent de la raie et traverse ma chevelure. 
L’âge tisse sa toile sur mon crane et m’inscrit dans une temporalité foudroyante. Quelque chose a disparu, quelque chose est parti à jamais. Plus de retour en arrière possible. J’aurais beau tenter de surveiller mon derrière, je n’empêcherai pas l’araignée de tricoter tricoter tricoter sur le sommet de mon corps. 
Prendre de l’âge. Mais le prendre à qui ? À soi-même peut-être. J’ai pris l’âge que j’avais. Je l’ai bouloté. L’araignée chronophage a mangé mes âges et les a digérés pour en faire des fils. Et chaque fil est un moment. Les chauves n’ont plus de souvenir. Ce sont des anorexiques de la mémoire. J’analyse d’encore plus près un des cheveux pour savoir de quel souvenir il s’agit. Je souris et mes dents sont encore là, une chance. Je détourne et ne me sens pas plus vielle qu’avant d’avoir vu cette prolifération de fils blancs dans mes cheveux.
Ce ne sont que des cheveux blancs.
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L’asphalte de la place d’Estienne d’Orves - 14/02/2018
     Une écriture à la craie et en espagnol sur l’asphalte de la place d’Estienne d’Orves devant l’Eglise de la Trinité. C’est très… très dur à dire rapidement comme phrase.
Mi Querida Mi amor …
     Et après je ne me rappelle plus. Pourtant c’était long. Au moins trente lignes. Aussi grand qu’une place de bus.      Et l’asphalte, ce mot que les auteurs utilisent si souvent et que j’ai voulu m’approprier. Mais ils n’est pas encore mien. j’ai parlé dans une autre langue qui est la mienne. Qui ne s’approprie pas qui veut. Qui ne parle pas espagnol qui peut sauf qui peut. Sauve qu’il pleut, et la craie s’en va.      On ne s’approprie pas non plus les démarches des autres. Et pourtant, c’est si amusant d’adopter le temps d’une rue un déhanchement qui n’est pas le sien. Imiter par amour, amusement et par ennui, de toute façon quand elle se retourne j’arrête pour de pas être prise en flagrant délit.      Les commerçants nous déclarent leurs flammes à nous les passants aux démarches uniques. Ils nous aiment d’un amour intéressé et non réciproque… comme tout-le-monde, le-tout-beau-monde du tout-paris, tout partout à marcher sur l’asphalte mouillé recouvert de craie. L’amour apparaît en tweets sur les panneaux d’affichage public et je m’arrête et les lis, non pas pour en attendre un qui me serait adressé, malgré ce que pensent les passant pressés, mais bien par amour des gens qui s’aiment avec des fautes d’orthographe et en moins de 140 caractères.      Et je me laisse contaminée par cette effusion d’offres pour deux; chez le coiffeuradeux, manger des cookiesadeux, boire un caféadeux, et puis ça sent la fleur quand je bifurque sur la droite pour rejoindre le métro sans état d’âme ni d’âme soeur ni de soeurs d’armes ni d’arme fatale … si … combien d’hommes armés de fleurs au fusil sans fusil mais avec des fleurs. Je compare, espiègle, les bouquets à bout de bras de ces hommes chargés à blanc, comme leur chemises. Plus gros, plus petits, plus garnis, plus flétris, et je me dis que eux aussi se comparent parce qu’il en est ainsi. Et ça, c’est un argument de poids que les gens utilisent souvent.      Dans la vie il y a deux catégories de personnes, ceux qui achètent un bouquet à leurs femmes et les autres. Oui, ce n’est pas équilibré, parce qu’il faut mettre les enfants et les femmes et les gens qui n’ont pas de femmes dans l’autre catégorie. En même temps on fait souvent ça, on mets souvent les femmes et les enfants et les gens qui n’ont pas de femmes d’abord-après. Plus tard le féminisme, aujourd’hui c’est la Saint Valentin, il faut faire du chiffre. On est pas là pour enfiler des perles. Enfin je m’égare jusqu’à trouver la boutique qui, après quatre tentatives, vend des cartes postales parce que moi aussi j’ai envie de consommer mon amour pour 3€50. C’est pas cher mais c’est cher pour une carte postale. Elle est jolie. Je vais l’envoyer. Ou pas… Parce que les correspondances c’est toujours délicat, je voudrais pas prendre le risque qu’on me réponde tu vois…
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Opéra bolduc
La partition commence par une introduction du lave-vaisselle. Son vrombissement continu aux accents aquatiques brise le silence épais de la maison parentale. Toutes les portes sont fermées, parfois même à clé. Si l’on tend bien l’oreille on peut entendre au loin un bruit confus de papier agité. La première porte s’ouvre et le chanteur lance « Je n’ai plus de scoooootch - Je n’ai plus de scoooooootch ». Depuis une autre pièce, sans pour autant ouvrir la porte, un ténor répond « Mooooooooi, j’en aiiiiii ». Après un temps, une porte s’ouvre dynamiquement. Le chanteur sort en pyjama de noël. La rythmique des chaussons qui se déplacent sur le carrelage signe l’ouverture du premier mouvement. « NON NON NON - TU NE RENTRES PAS » répond le ténor. De derrières toutes les portes, tous reprennent en chœur « NON NON NON - TU NE RENTRES PAS ».
Mais j’ai besoin de scooootch.
Attends, je n’ai pas fiiiniiiii.
Mais j’ai besoin de scoooootch.
Attends, je n’ai pas finiiiiii.
La rythmique des chaussons reprennent en 3 temps jusqu’au salon, seule pièce accessible par tous les personnages. Le vrombissement du lave-vaisselle reprend. Fin du premier mouvement. Une porte s’ouvre énergiquement « Je n’ai toujours pas de ciseaux - eaux - eaux, qui a finiiii avec les ciseaux, Pauline est-ce toi ? Emilie est-ce toi ? Martine est-ce toi ? Clothilde est-ce tooooiiiii ? ». Et de derrière toutes les portes encore « NON NON NON, CE N’EST PAS MOI ». Le bruit sourd du papier agité s’intensifie, le vrombissement du lave-vaisselle aussi. Tous les chanteurs entament un majestueux ballet de portes qui s’ouvrent et qui se ferment. Chacun chante « Surtout personne ne rentre ! » en canon. Pour que le titre de l’opéra ait du sens, un chien ou un chat traverse l’espace scénique avec du bolduc dans la bouche comme un gymnaste qui fait du ruban. Dans le deuxième mouvement, tout le monde fait pareil en plus rapide et plus rythmé. Le volume monte jusqu’à son paroxysme. Et là, dans une synchronisation remarquable, au moment précis où le lave-vaisselle termine son cycle, tous les chanteurs sortent et chantent dans un accord de fin « J’AI PAS FINI MAIS J’EN AI MAAAAAAAAAARRRE » courent dans le salon, avec leur chaussons, et s’affalent dans le canapé.
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360 degrés - 17:55 - 15/09/2017
    Les briques s’imbriquent ici et là, autour des fenêtres, des portes et sur les angles de la maison. Leurs couleurs roses, violettes et bordeaux contrastent avec le crépit blanc des murs extérieurs de la maison normande. Un parterre aménagé de petits cailloux longe son pourtour. Au delà, ce n’est qu’herbe bien verte et bien humide. Mon transfert de poids d’une jambe à l’autre provoque le bruit caractéristique de la friction des cailloux entre eux. Je me déplace de quelques pas pour entendre le frottement délicat de mes semelles sur ce tapis végétal dans lequel je ferais bien une roulade. Mes chaussures ne sont pas étanches. De fait, mes chaussettes sont mouillées. Deux, peut-être trois espèces d’oiseaux différentes y vont de leurs chansonnettes. La partition est assez monocorde, je te l’accorde, mais elle a le mérite de laisser de la place au silence. Derrière moi, un rayon de soleil perce le nuage gris qui va et vient depuis ce matin et fait apparaître mon ombre allongée. Il est presque six heures du soir. Je pivote de quelques degrés vers la droite. La deuxième maison du domaine ressemble beaucoup à la première au détail près que celle-ci dort à poing fermés. Toutes ses paupières de bois blanc sont closes.  En face de la belle endormie, une grange se laisse câliner par des massifs de roses. Les trois bâtisses forment un U . Je m’aventure aux abords de la grange pour admirer les roses de plus près. Rouges d’abord, rose plus loin. Elles voudraient dire quelque chose mais ce ne sont que des fleurs alors je passe mon chemin. Je débouche sur le haut-vent qui abrite le bois. Les bûches sont mieux rangées que l’espèce de grenier ouvert qui abrite une grande quantité de planches de tailles diverses et variées. On pourrait y monter et s’assoir pour y fumer un pétard un soir. Bien décidée à continuer mon expérience immersive, je prends de l’assurance et pousse ma balade pour arriver à la clôture en quelques enjambées. Mon pas décidé fait fuir un oiseau du châtaignier qui ne demande qu’à faire exploser ses mille et unes boules de poils à gratter pas encore tout à fait mures. Je pivote à nouveau pour m’offrir à moi-même une nouvelle perspective sur ce U de bâtiments bucoliques. À droite, ça dort toujours profondément, en face la cheminée fume. J’ai le souvenir de mon grand-père tirant sur sa pipe en faisant une grille de mots-croisées puissance 7/8 qui me revient et je souris. Derrière moi, un champs labouré laisse apparaître à sa surface des jeunes pousses de quelque chose que je n’arrive pas à identifier. Un légume ou une céréale sûrement. Les mains dans les poches, je scanne l’orée de la forêt de l’autre côté du champs et aperçois quelque chose en forme de V dans les tons beige. J’ai la confirmation que je suis en face d’une biche ou d’un chevreuil quand ce V se met à bouger. Chacun sait que croiser une biche lors d’une promenade est une victoire. Il peut rentrer, fier comme un coq, et dire : « J’ai vu une biche ! ». Alors tout le monde s’étonne, pendant une seconde, de la chance qu’il a eu de voir un animal sauvage de la forêt puis la vie reprend son cours. L’animal et moi nous observons pacifiquement à cent mètres l’un de l’autre. J’attends qu’il s’en aille en sautillant comme ont l’habitude de faire ces bêtes là, à la vue d’un humain. Lui ne semble pas effrayé le moins du monde par la petite tâche couleur fraise que représente, à ses yeux, ma veste polaire. Difficile de trancher si c’est un chevreuil ou une biche. Il est petit mais il est loin. L’attraction animalière dure jusqu’à ce que le manque d’action me lasse. Il me regarde, broute, me regarde, broute, me regarde, broute, se déplace, me regarde, broute, se déplace. Ça manque de rebondissements dramaturgiques. Je me détourne de la scène pour retrouver mes trois copines de crépi et de briques. Trois respirations plus tard, je réalise qu’il est temps de rentrer pour ne pas faire grand chose de plus que ça. Je recroise sur le chemin du retour le frottement de mes pas sur l’herbe, la grange, le bois, les planches et les roses mais pas mon ombre. Il arrive parfois qu’elle disparaisse en plein jour, comme à cet instant.  Empiriquement je ne m’inquiète pas car je ne connais personne qui s’en soit déjà alarmé. Elle reviendra sûrement demain.
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Boucherie, tu me fends le cœur en brochettes - 29/07/2017
J’ai… je crois… c’est à dire que… les files d’attentes génèrent trop d’empathie.
Enfin… je veux dire que… la boucherie… ce n’est pas une … enfin… quand même. D’abord, en tout premier lieu, avant les autres, il y avait ceux qui étaient en train de se faire servir. Un couple avec une caddie à pousser et une poussette à caddier. Je n’ai rien contre les couples. Non, je connais des couples très bien. Moi même, j’ai, je, ça m’arrive, c’est agréable quand ça dure même. Ils ont pris des tranches, je n’ai pas bien suivi. J’observais les cochons en coupe de profil dont il ne reste que le… la… c’est… rouge… les cochons n’ont pas de compte Facebook. J’ai essayé de garder mes distances, j’ai fait un pas de côte d’agneau, non de côté vers les agneaux, pour laisser la dame regarder de plus près les… ah… les animaux ! des animaux ! Des animaux en petits bouts et en gros bouts. Des bouts d’épaules d’animaux, des agneaux mignons. Ce soir je fais un tajine… aux petits agneaux mignons qui ont été arrachés à leur maman. Non, mauvaise idée, distance ma grande, distance. Au fond, derrière le boucher, des moitiés de cages thoraciques — c’est gros — de bœufs sont à l’affinage depuis 31 mois dans des frigos transparents, alignés comme des prostituées d’Amsterdam qui attendent d’être choisies. Je dis « Ce sont des animaux tout ça ». Ma sœur me dit « N’y pense pas, retourne-toi, regarde c’est le rayon cosmétique ». Un bref silence nous fait réaliser toutes les deux que des animaux sont aussi morts dans des conditions obscures pour des cosmétiques. Il suffit juste de ne pas y penser. Si je n’y pense pas, ça n’existe pas. Ce ne sont pas des animaux, c’est de la viande. Et voilà c’est facile, en temps de guerre quand on fait des choses atroces les gens n’y pensent pas et ça n’existe plus. Sur le thème des surgelés findus : « Prédateurs empathiques, c’est pas pratique, pas praaatique ». C’est comme les vampires qui aiment leurs victimes. Je me vois bien avec des grandes canines crier, les deux genoux à terre : « Mais je n’y peux riiiiien, j’ai besoin de sang rhaaaaaaaa ! » et chlic, chlac, chlouc, je mords et je tue mon petit agneau et je le mets dans ma marmite avec des aubergines, des courgettes, des pruneaux, des pois chiches, des tomates et des citrons. Le couple-sûrement-sympa est parti et c’est au tour de la dame avec de l’embonpoint sous le cou et sous les bras et sur le ventre et dans les seins. Elle prend beaucoup de morceaux d’animaux que le boucher découpe, pèse et emballe, BIP, c’est scanné avec son scan-achat du futur qui facilite le passage en caisse. Fast and Furious, des courses toujours plus rapides avec en guest star la dame en embonpoint et Vin Diesel. Ça va être à moi de répondre à la question : « Bonjour, qu’est-ce qu’il vous fallait ? Réponse A : De la viande, Réponse B : De la bonne conscience, Réponse C : Du fer car vous êtes anémié, Réponse D : Le petit pot d’épice là haut et c’est tout. » Je vais faire un ulcère parce que j’ai envie de revenir en arrière, kidnapper le petit agneau et courir pieds nus à travers champs avec lui et en même temps j’ai envie de le manger et qu’il soit bien tendre. BONJOUR JE VOUDRAIS DE L’AGNEAU POUR FAIRE DU TAJINE POUR CINQ. Il prend de l’épaule, de l’épaule mignonnette d’agneau mignon, il prend son gros couteau pas mignon du tout et il fait des morceaux pas trop petits parce que quand ça cuit ça réduit. Le silence des petits agneaux règne pendant la découpe. Ma sœur et moi ne nous regardons pas dans les yeux. La culpabilité trop lourde fait pencher nos têtes vers le sol.  Je suis un monstre. Il faut m’enfermer et me donner du tofu pendant deux mois.
Je te livre le secret du boucher : Le secret, c’est de faire revenir les morceaux dans une poêle avec un filet d’huile d’olive puis de les faire déglacer avec du bouillon avant de les mettre dans la marmite avec les légumes.
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Une souris verte - 21/07/2017
     Une souris verte, qui courait dans l’herbe, voulait sauver sa peau et ne pas être transformée en escargot. Je l’attrape par la queue et la montre à ces messieurs en costume et en cravate, à la calvitie naissante et au ventre proéminent. À l’unanimité, ces messieurs me disent « Trempez-la dans l’huile ! » puis « Trempez-la dans l’eau ! ». Je les regarde en silence tandis que la souris, verte de peur, s’agite au bout de sa propre queue que je tiens entre mon index et mon pouce. Ils ajoutent « Ça fera un escargot tout chaud ! ». Je m’exécute et exécute sur le champs cette souris verte, blanche comme un linge.
     Une souris verte, qui courait dans l’herbe au mauvais moment au mauvais endroit, a bien croustillé, frite et ébouillantée, comme une coquille d’escargot sous les dents couronnées de ces messieurs affamés.
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Carnaval - 14 juillet 2017
         J’ai cherché mon ami, plus épais qu’une aiguille, parmi toutes ces bottes de foin qui roulaient au pas sur les champs Élysées. Les épis à képi grandissaient à vue d’œil grâce à l’engrais de la Marseillaise qui arrosaient le paysage de notre France à nous, et un peu aux américains aussi, mais quand même à nous, sauf au début, et un peu au milieu mais globalement notre France à nous. J’ai cherché mon ami comme on cherche Charlie, les yeux collés sur mon écran, pour trouver, parmi ces céréales, un son d’avoine familier. J’ai cherché mon ami avec qui, il y a quinze ans, je paradais costumée en arlequin à fanfreluches pour célébrer l’été. On sortait des rangs qui n’existaient pas, on tapait sur les contre-temps, on chantait en onomatopées, on avait les yeux, les joues et les oreilles trop maquillés.          Et puis, soudain — je n’étais pas bien réveillée, ou alors j’étais trop près ou alors j’ai louché, en tout cas — j’ai cru voir des artisans boulangers, une baguette tradition sur l’épaule, sortir d’un nuage de farine. Je n’avais pas encore pris mon café, j’ai vu tous les conducteurs de la RATP klaxonner depuis le bus 14 en jetant des cartes NAVIGO par les fenêtres.  Les uns après les autres, tous les corps de métiers de mon pays foulaient les champs de notre campagne capitale. Un tapis roulant de consultants en solutions informatiques jonglaient avec des smartphones, un convoi de techniciens de surfaces surfaient sur des serpillières, un char de commerçants distribuaient des canettes de boissons à bulles au public, des infirmiers dansaient sur des brancards portés par des médecins, l’administration française a même fait une chorégraphie entre les taxis et les pizzaiolos ! Des métiers dont je n’avais même pas idée se succédaient avec fierté. J’hallucinais de voir tout mon pays représenté sur un pied d’égalité de bio-diversité.          Je suis partie me doucher pour arrêter de débloquer. Une fois hydro-choquée, je me suis rendue compte que j’avais raté mon ami défiler. « Rien ne ressemble plus à épi de blé qu’un autre militaire », c’est ce qu’il m’a dit après, dans le pré, près des champs.         Ce soir, on ramassera du maïs qu’on jettera dans le feu d’artifice pour avoir du pop-corn à volonté. Ce soir, les corps de métier s’inviteront à danser au bal des pompiers. On se souviendra du temps où rien n’était décidé, où l’on était juste des enfants; ce temps où l’on ne nous demandait pas ce qu’on faisait dans la vie parce que tout le monde savait qu’on ne faisait qu’exister.
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“Motrastination” - 11/07/2017
           Je suis partie avec ma valise et quelques soucis. Quarante-huit heures plus tard je suis revenue avec le sourire dans le cœur, une bouteille de rouge ouverte mais pas entamée et un sac en papier qui a contenu, à un moment, un chausson au pomme que j’ai mangé à un autre moment. Sur mon balcon le verre était complètement plein et l’appartement à moitié vide. J’ose pas vider le verre plein. Où le viderais-je de toute façon ? Sur le balcon de mon voisin de dessous ? Ça serait la goutte de trop, lui qui a déjà subi un dégât des eaux.           C’est la deuxième fois depuis la dernière fois que j’essaye d’expliquer l’eau de roche avec clarté. En arrière plan du verre plein, un chat anonyme se lèche l’anus sans sous-entendu, silencieusement.          J’ai arrêté de chercher une cohérence au tableau, parce qu’elle est évidente, claire comme un caillou. C’est soit très clair et dans ce cas là je peux boire mes paroles qui désaltèrent et désespèrent cul-sec, soit ça ne l’est pas du tout au quel cas il vaut mieux boire pour oublier. Parfois on veut prendre une photo à l’intérieur de sa tête mais ça bouge dans tous les sens et la photo est floue. Ça doit être pour ça…         Ou alors … C’est juste que je suis le courant, et le courant fait des tourbillons. Les tourbillons qu’on voit depuis le pont de pierre. Beaucoup de ponts sont en pierre mais celui là, c’est son nom. C’est comme si je disais « cet humain de matière organique » et ça serait son vrai nom officiel. 
« Bonjour, je m’appelle Pauline En-chair-et-en-os-notamment-parce-que-ça-serait-trop-long-à-énumérer ». Je procrastine parce que je ne sais pas ce que je vais faire du mon diabolo, la tasse que j’ai gardée du mariage de Steph, mon collier hawaïen qui ne vient pas de Hawaï, mon costume de bébé, ma fiole vide, mon cazou, j’ai beaucoup de livres, mon écran que je n’utilise plus, ma boite d’urgence… J’ai mis tous les vêtements par terre pour enlever l’écho du silence, ça m’empêche de savoir si je garde ma crème solaire presque vide. Et ce verre complètement plein. Comment je fais pour voir le verre à moitié plein s’il est complètement rempli ? Oh, je sais ce qu’on va me dire « Si le verre est plein alors de quoi tu te plains ? ». De rien, je me plains de rien, je m’organise, merci. En fait, Je ne procrastine pas, je motrastine. C’est à dire que je range les mots les uns derrières les autres pour ne pas m’occuper des vraies choses à ranger dans des cartons. Ça serait carton plein ! héhé, haha, hoho, ouais, toutes les vérités ne sont pas des bonnes blagues.          C’est agréable de pouvoir dire ce qu’il nous passe par la tête sous couvert de poésie.  On pourrait aussi pleurer sous couvert de poésie, ça passerait crème. D’ailleurs les gens mangent de la glace couramment quand il font de la poésie diluvienne. La poésie diluvienne, c’est quand ça pleut tout d’un coup sur ton cœur et que personne t’as dit de sortir remettre le couvert. Alors, insouciant, tu passes les portiques en tongues et tu te retrouves dans le pédiluve du métro pour éliminer tes pensées contagieuses avant de plonger dans la marée humaine de la station de ton choix.          Au final, je pense qu’il n’y a aucun lien entre les femmes qui portent le voile et le femmes qui se voilent la face, cependant, certaines rentrent dans les deux catégories. Moi je vais juste fermer mes rideaux parce que c’est trop politique et que c’est gênant vis-à-vis de mon voisin d’en face, même si lui se fout pas mal du vis-à-vis, à en croire la matière poilue de son tee-shirt couleur chair.       Aller hop ! On s’y met !
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Morceaux de vie  - 12/03/2017
Voiture 10 - place 66 intercité 100% éco Paris-Toulouse départ 10h29 Desservira les gares des Aubrais, de Chateauroux, de Limoge, De Brive la Gaillarde, de Cahors et de Toulouse son terminus.
J’ai toujours était fascinée par les gens dans les trains. J’ai l’impression d’être dans un magasin qui vend des idées de personnages : « Mon nom est personne » - magasin de personnages, groupes sociaux, clichés, répliques cultes, situation cocasse… - Malentendus et conflits à l’étage.
J’ai à disposition une large palette de morceaux de vie de gens tous plus authentiques les uns que les autres. C’est inépuisable et nouveau à chaque fois. Et pourtant, chose d’autant plus fascinante, j’ai souvent une impression de déjà-vu. Tiens par exemple là, dans ma cabine inter-cité où nous tenons à trois par banquette — ce ne sont même pas des sièges — il y a le jeune étudiant du Nord qui part faire son stage de fin d’étude à Toulouse, la dame qui se plaint de tout et de rien avec entrain, la parisienne qui s’est installée à Brive et qui tente de ne pas regretter parce que dans la vie il faut faire des choix et la jeune fille aux écouteurs qui ne dira pas un mot de tout le voyage et feindra de dormir. J’ai déjà croisé tous ces types de personnages mais j’aime à les retrouver sous des enveloppes plastiques différentes. Il reste une place de libre sur la banquette qui me fait face entre le jeune étudiant et l’ancienne parisienne. Ce vide nous sauve tous d’une proximité insoutenable. Dans les autres cabines, ils sont six et ça a l’air dur-dur. Je suis côté fenêtre, je m’estime heureuse malgré cette réduction d’espace vitale dont j’aurais du me douter d’après le bas prix de mon billet. J’ai sept heures de train devant moi. Sept heures dont je pourrais ô combien  me plaindre. J’ai du le faire, je suis comme tout le monde. Je m’en suis plainte c’est sûr. Je souhaitais que le monde sache que j’étais contrainte de passer sept dans dans trois mètres carrés avec des inconnus qui ont autant envie d’être avec moi que moi j’ai d’être avec eux. Passer cette période incompressible où j’ai transmis mes plaintes par textos à mes amis les plus proches, je m’attèle à ma seconde activité favorite : regarder le spectacle avec à l’affiche mes voisins de banquette. Je vais être obligée de conjecturer sur les prénoms car nous n’avons pas eu l’audace de nous les échanger malgré la discussion cordiale que nous avons partagée, moi et mes compères et consoeurs de wagon. À mon avis elle s’appelle Sylvie, la parisienne devenue à grand regret Brivoise, on dit Brivoise ? Le jeune étudiant lui, il doit s’appeler Julien, ou Antoine, ou Aurelien. Peut-être Aurélien, je vais prendre Aurélien. Madame je-me-plains-mais-au-fond-ça-va-franchement-ça-va, elle doit surement s’appelle Marie-Christine, qu’on me coupe les pointes des cheveux s’il en est autrement. La jeune fille aux écouteurs, c’est Léa … hum … non Laetitia. Tout commence juste avant l’arrêt Limoges. Jusque là, seule Marie-Christine avait ouvert la bouche par bribes courtes pour exprimer sa satisfaction à se faire contrôler. Oui, parce que ça la rend folle d’acheter son billet, de ne pas se faire contrôler et de rendre compte qu’elle aurait pu voyager gratuitement. Rhalala elle n’aime pas du tout du tout. Ce qui est sûr, c’est qu’elle fera une sieste en arrivant parce que rhalala, on est pas confortable. Je dois lui accorder qu’on est moins confortable que dans une voiture. Elle m’a dit « Ce qui est différent du covoiturage, c’est qu’ici on est pas obligé de se parler alors on s’endort plus vite ». Elle n’a pas dit ça dans un contexte. J’ai commencé une interprétation du sous-texte de cette réplique. Sous-entendait-elle que je m’étais endormie et que j’aurais pu avoir l’amabilité de discuter avec elle ou bien appréciait-elle ce silence partagé et consenti entre notre club des cinq ? Quand je suis dans une proximité semblable à celle-ci avec des inconnus je me pose systématiquement la question suivante : « Est-ce qu’on pourrait survivre ensemble s’ils nous arrivaient une catastrophe nous isolant du reste du monde ? »  Je n’ai jamais eu à éprouver la réponse jusqu’à présent, ouf. En tout cas Marie-Christine a envie de parler. Je dois lui céder qu’elle n’est pas dans la catégorie des gens qui ne se rendent pas compte qu’ils parlent tout seul et qu’on aimerait mieux qu’ils se taisent. Marie-Christine a toute sa tête, n’a pas envie d’étaler son blabla sur nos valises. Elle veut juste briser en douceur ce silence qui lui pèse. L’occasion se présentera juste avant son départ. Avec les adieux viennent les confidences. Aurélien et Sylvie vont sortir du train à Limoges pour fumer une cigarette. Marie-Christine, elle, a arrêté il y a maintenant quatorze mois. Marie-Christine est assise au centre de la banquette avec à sa droite Laetitia et moi à sa gauche. Elle a en face la banquette des fumeurs. Bien droite sur son siège, elle leur explique comment sa vie a changé depuis qu’elle a arrêté de fumer. Sa peau n’est plus grise, ses dents sont plus blanches, elle dort mieux, elle a retrouvé sa liberté. J’avais l’impression de voir une ex-tolarde expliquer à deux prisonniers en quoi c’est formidable de sortir de prison. Ils acquiesçaient — que pouvaient-ils faire d’autre ? — Limoges approche, l’envie de fumer et la culpabilité aussi. Sylvie, qui nous expliquera après le départ de Marie-Christine les raisons de son départ en province, se résigne à accepter le fait que par déduction, elle a la peau grise, elle n’a plus des dents blanches, elle dort mal et elle n’est pas libre. Aïe. Elle ne dit rien bien sûr, il n’y aura pas d’esclandre dans cette histoire. J’en parle parce que ce n’est pas la première femme que je croise dans un transport en commun dont les yeux disent « je regrette mais j’assume ». Pour être honnête, cela m’inquiète un petit peu. Serais-je aussi alerte à ces cris silencieux si je n’étais pas moi même une femme qui a peur de se tromper dans ses choix ? La réponse est dans la question mesdames et messieurs. Quoi qu’il en soit, les faits sont là, Sylvie regrette. Sylvie regrette Paris, qu’elle a mis tant de temps à quitter. Il lui aura fallu cinq ans à faire des aller-retours entre Paris et Brive La Gaillarde pour entretenir sa relation de couple sans renoncer à sa vie parisienne. Mais voilà, au bout de cinq ans, il fallait faire un choix, Paris ou l’amour. Qui disait que Paris était la ville de l’amour ? Et bien, pour Sylvie, la ville de l’amour c’est Brive La Gaillarde et pour ça elle a du renoncer à son amour pour Paris. On dirait pas comme ça, mais Sylvie est une héroïne. C’est notre héroïne de tragédie cornélienne du wagon 10, cabine 60-66 et personne ne le sait. Elle a des beaux yeux bleus électriques et des cheveux noirs corbeau. Je me demande combien de temps elle va tenir. Ou plutôt, combien de temps la Corrèze va la retenir ? Je n’aurai jamais la fin de cette histoire. Moi je pense qu’elle partira un jour pour retourner sur Paris. C’est une histoire de balance. Quand son amoureux n’en vaudra plus la peine, elle pourra partir. Je l’aime bien Sylvie, c’est une guerrière qui a quand même besoin qu’un homme l’aime. On ne se refait pas, on a besoin d’amour.
Les transports en commun sont une mine de pépites de morceaux d’humanité. Et moi je suis un mineur … on dit une mineuse ? Oui, on dit une mineuse, au pire si on le dit pas, on dira que c’est une licence poétique féministe. Je suis une mineuse à la recherche de diamants aux milles facettes, tantôt touchantes, déconcertante, consternante, drôle, révoltante ou encore rayonnante. Ou, peut-être tout simplement que je m’ennuie dans le train et qu’il faut bien passer le temps.
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Cherche idées perdues - 04/07/2017
    J’ai les idées qui s’égarent dans des lieux communs où il n’y a pas de bancs pour s’asseoir sur ses principes alors je monte sur un vélo et je pédale dans la semoule cyclable autour d’un rond-point qui n’a pas de sortie. Je regarde le plan sur la comète qui m’indique que j’ai la tête dans les étoiles alors je mets un pied à terre, par terre, avec gravité pour ne pas dévier de mon orbite. j’ai le vague souvenir qu’il faut passer par un terrain vague souvenir qu’il faut passer par un terrain vague souvenir qu’il faut passer par ce même chemin ça fait trois fois que je passe par ici. Le plan pense que je suis encore ici j’imagine, moi je pense au plan qui était prévu et j’aurai besoin d’un pansement car je me suis coupée les herbes hautes sous les pieds en escaladant le mur des idées reçues pour trouver mon chemin.  J’ai raté toute la scène parce que j’évitais soigneusement le regard des autres au pied du mur. J’ai entendu dire que… mais j’ai du mal à y croire parce que la religion… Tout ça pour dire qu’à la base j’étais en trois dimensions et je me suis dispersée dans le temps à faire des tâches sans importance et sur ma chemise. J’aurai du me douter que pour un oui ou pour un non on change d’avis comme de tâche. À trop laisser ses idées en liberté on passe ses soirées à courir après. J’ai mis des affiches sur les troncs « idées perdues » avec une imagination en photo pour que le regard des autres puissent les reconnaitre. C’est pas tant qu’elles sont importantes, c’est plus qu’elles sont utiles et nécessaires au bon fonctionnement des transports amoureux sinon ça fait des embouteillages et j’ai déjà recyclé toutes mes bouteilles à la mer alors…
Enfin bon, c’est pas si grave comme les notes à gauche d’un piano droit.
Je vous laisse mon numéro de téléphone : c’est un numéro où j’entre seule sur scène avec un téléphone et quand je décroche je ris comme l’on fait souvent quand on décroche. Ça dure le temps que ça dure jusqu’à ce que je trouve le temps long. N’hésitez pas à me contacter si jamais vous les retrouvez.
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Nouvelles en Gaspésie - 22:12 - 22/08/2016
Je ne vais pas te raconter mes vacances ça n’aurait que peu d’intérêt. En revanche, voici trois nouvelles qui se passent là où j’ai passé mes vacances.
La fille qui faisait monter le niveau de la mer
Je m’appelle Denis. J’ai soixante et onze ans. J’voulais vous raconter un truc qui m’est arrivé.
Je me suis assis sur le quai pour manger mon sandwich. J’aime les ports pour la simple et bonne raison que c’est beau. Je pourrais y passer des heures. Même les p’tits ports de rien du tout. Sentir le béton du quai sous mes fesses et mes jambes qui pendouillent librement au dessus des clapotis de l’eau. J’aime voir les coques tanguer. On dirait que la mer essaye d’endormir les bateaux en les berçant sur la discrète musique des tintements des mâts. Je me suis assis pas loin de l’endroit où le traversier accoste aux Trois Pistoles. Mais même quand il n’y a pas de voilier, le port a ce charme éternel du départ vers la mer, vers la liberté, vers un espace qu’on aura jamais fini de découvrir. J’aime bien regarder toutes ces voitures et ces camping-cars qui sortent du bateau pour laisser la place à d’autres voitures et d’autres camping-cars qui embarquent dans l’autre sens. Le traversier passe sa journée à faire Les Escoumins - Trois Pistoles puis Trois Pistoles -  Les Escoumins. Ils emmènent et ramènent les amoureux de la Gaspésie de mi-mai à mi-octobre après quoi le fleuve Saint-Laurent est gelé. Aujourd’hui c’est le premier jour de traversée de la saison, je voulais pas rater ça. Moi je travaille à Rimouski dans un dépanneur. L’été, pour mes jours de repos, j’aime bien rouler sur la 132 et m’arrêter dans les villes côtières. Y’a bien longtemps j’allais souvent en mer. Maintenant je suis trop vieux, mon oreille interne fait des siennes et quand je monte sur un bateau je m’évanouis.  Aujourd’hui j’ai choisi Trois Pistoles pour voir les touristes débarquer. Je pensais que ma journée se résumerait juste à traîner dans le port des Trois Pistoles, à parler à deux ou trois touristes pour leur donner des bons plans et rentrer chez moi, à Rimouski. J’habite dans la 9ème rue Est, près du complexe sportif. Une fois mon sandwich fini, Je me suis levé, j’ai tapoté mes fesses et j’ai marché pour rejoindre ma voiture. C’est là que je suis tombé sur elle. Elle entourait ses genoux avec ses bras. Tantôt elle regardait au loin comme pour se donner du courage, les yeux rouges et les joues mouillées, tantôt elle enfouissait son visage dans ses genoux quand un gros sanglot arrivait. Elle formait alors une boule qui tressautait et couinait. On aurait dit qu’elle était triste pour la première fois de sa vie. J’avais l’impression d’avoir un petit animal blessé devant moi. Ça avait l’air de faire très mal de l’intérieur. Moi j’suis plus tout jeune et consoler les jeunes demoiselles c’est pas tellement mon fort. J’ai hésité un bout avant de lui lancer un truc que j’ai estimé très maladroit la seconde d’après :
Hey voyons tu-veux-tu faire monter l’niveau d’la mer avec tes larmes ? Parce que si c’est ton projet tu m’as l’air dont ben bien partie jeune fille.
Elle a sursauté, j’ai du parlé trop fort, et m’a regardé avec ses yeux rouges et elle m’a dit « Pardon ».
Ayeuy à qui est-ce que tu d’mandes pardon là j’suis pas Dieu ! T’excuses dont pas d’être triste, ça arrive à tout l’monde de capoter.
Elle a esquissé un sourire et j’ai pris ça comme une grande victoire. Après je me suis assis à côté d’elle, pas trop près pour pas qu’il y ait d’ambiguité sur mes intentions. Je voulais juste qu’elle comprenne que j’étais là et pas pressé si elle avait besoin.
Après un bon trente minutes de silence, elle s’est mise à parler.
Je suis tombée amoureuse du Québec en la personne de l’officier de navigation du traversier l’an dernier.
Elle a replongé dans un silence, peut-être qu’elle attendait que je réagisse mais j’ai rien dit alors elle a continué.
J’étais venue ici pour une conférence pour mon travail. C’est pas tous les jours qu’on va au Québec alors j’en ai profité pour passer mes vacances ici. La première semaine c’était pour ma conférence et ensuite j’avais trois semaines pour moi. J’ai loué une voiture et j’ai commencé mon tour. Assez rapidement on m’a conseillé d’aller en Gaspésie et c’est ce que j’ai fait. Avec mon travail — je travaille dans la biologie — j’ai beaucoup de contacts québécois. J’avais le pressentiment que ça me plairait beaucoup, qu’il y avait quelque chose ici que je cherche depuis longtemps chez moi en France.
Le timbre de sa voix était clair et puissant malgré son nez pris du fait d’avoir trop pleuré. C’était un petit bout de femme. Un mètre cinquante-cinq à tout casser. Toute mince avec des grands yeux bleus. Je crois qu’elle avait abandonné depuis longtemps l’idée de dompter ses cheveux. Ils étaient longs et châtain, pas frisés mais pas raides non plus. Ils semblaient revendiquer leur indépendance au moins autant que le Québec. Pendant qu’elle me livrait sa romance à l’eau de rose elle tripotait des cailloux par terre. Elle commençait à former un barrage tel un petit castor qui aurait troqué le bois contre de la pierre.
Vous savez je me suis rendue compte que le climat y est pour beaucoup. Ici le climat il est franc. Quand il fait froid il fait vraiment froid et quand il fait chaud il fait vraiment chaud. Les généralités nous emmènent jamais bien loin mais ça se sent dans les rapports entre les gens qu’on va pas y aller par quatre chemins et ça je l’ai vu dans ses yeux.
En effet les généralités ça emmène pas loin, je connais des gens qui y vont par quatre chemins et qui sont des québécois purs souches. Passons. Le petit castor commence à parler de son cheum. Quand je suis de près ou de loin impliqué dans le gestion d’un chagrin d’amour je suis aussi compétent qu’une huitre dans une salle de musculation. J’aurai pu me sentir mal à l’aise comme à chaque fois mais là pour une raison qui m’échappe j’aimais bien écouter sa confidence. Peut-être parce que j’ai senti qu’elle attendait pas de moi que je l’aide à résoudre quoi que ce soit dans sa vie. Et pis je parle pas à tant de gens que ça alors…
Vous savez à chaque voyage l’équipage emmène quelques personnes visiter la cabine de bord. Parfois c’est des enfants, parfois des photographes, c’est l’équipage qui choisit. La première fois que je suis montée avec ma voiture, j’étais complètement stressée à l’idée de devoir faire un manoeuvre pour la ranger avec les autres voitures. Ça a du se voir, il m’a sourit et il m’a dit de suivre les signes d’un autre de l’équipage et que tout se passerait bien.
Elle m’a regardé. Son regardait disait « est-ce que vous voulez savoir si ça s’est bien passé ? ». En réponse, j’ai ajouté un caillou à son barrage.  
Ca s’est bien passé. En sortant de la voiture j’ai dit merci à tout le monde avec un peu trop d’enthousiasme. Je suis montée sur le pont en essayant de trouver une place qui me permettrait d’être à l'affût des baleines si l’occasion se présentait. Une fois en mer, un matelot est venu me voir en me demandant si je m’étais remise de mes émotions. J’ai dit que oui et que j’espérais voir des baleines. C’est là qu’il m’a proposé de venir dans la cabine de navigation, qu’on voit mieux les baleines de là. Je croyais que c’était un accès comme les autres. C’est en arrivant dans la cabine que je me suis rendue compte que j’étais privilégiée sur ce trajet, c’était tombé sur moi et il était là. Avec ses yeux et son sourire. Je me sentais maladroite comme un porc-épic coincé dans un buisson. J’étais la bienvenue à bord, la baleine allait pas tarder à montrer sa queue. « Montre la queue ! montre la queue ! »  Et on a vu la queue !
J’étais plus un prétexte pour qu’elle puisse revivre ce moment que la personne à qui elle racontait son histoire. En l’entendant scander « Montre la queue » j’ai ri et ça l’a fait sursauté. Elle avait oublié que j’étais là visiblement.
Il était pas seul dans la cabine, il y avait un autre officier et le timonier. Il me posait des questions sur moi, sur mon travail, sur ma vie en France. J’avais envie de lui rendre la pareil, de lui montrer que je portais de l’intérêt à tout ça mais rien ne sortait. Je ne pouvais que répondre mes phrases bateaux que je réponds tout le temps.
J’ai failli souligné son jeu de mots sur « les phrases bateaux » et pis j’me suis ravisé, il y a un temps pour les blagues et il y a un temps pour l’écoute.
J’ai demandé si je pouvais rester dans la cabine jusqu’à la fin de la traversée et prendre des photos. C’est passé tellement vite, une heure trente ensemble et je ne connaissais rien de lui. Je suis remontée dans ma voiture, j’ai dit au revoir à l’équipage et je suis partie. J’ai pas pu me le sortir de la tête. J’ai continué mon voyage en occupant mon esprit à autre choses, aux randonnées, aux baleines, aux porc épics, aux kayak… Je suis rentrée chez moi, et j’ai lentement plongé dans une dépression sans m’en rendre compte. Je l’ai pas vu venir, je n’avais plus goût à rien. J’avais l’impression de vivre la vie de quelqu’un d’autre dans une ville qui n’était pas la mienne. J’étais obsédé par l’idée de retourner dans ce foutu traversier pour le revoir.
Elle a hoqueté pour ravaler son sanglot.
J’ai pris un billet pour arriver mi-mai de l’année suivante — cette année — et prendre le premier traversier de la saison. Vous n’imaginez pas l’état d’angoisse dans lequel j’étais en arrivant à l’embarquement. Ça faisait un an ! J’avais réservé ma place même si en début de saison ce n’est pas complet. Je l’ai vu faire des signes aux voitures pour leur dire d’avancer et quand c’était mon tour j’ai cru que j’allais tomber dans les pommes. Il m’a regardé et j’ai tout de suite compris qu’il ne m’avait pas reconnue.
iiii, c’est roffe ton histoire par exemple ! Voyons, tu t’es monté toute ton histoire dans tête ! Pis t’es-tu sûre qu’il t’as pas reconnue ?
Oui je suis sûre. De toute façon je savais que c’était pas lui — lui — c’est juste que j’étais prisonnière de cette pensée et que j’ai rien trouvé d’autre comme solution que de revenir me prendre une claque.
Et maintenant qu’est-ce que tu vas faire ?
Je sais pas. En tout cas je suis soulagée. J’ai l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait. Merci, ça m’a fait du bien de parler avec vous, je vais pouvoir rentrer chez moi maintenant.
Ça fait plaisir.
Cette fille est folle, j’ai pensé. Elle s’est levé, d’un coup, comme ça, après m’avoir achalandé son histoire. Elle a tapoté ses fesses et elle est partie. Les françaises sont-elles toutes aussi radicales ?
La véritable histoire de la grande Ourse et de la petite Ourse.
Quelques heures plus tard, une nuit où l’on voit bien les étoiles, sur la plage de Cap-au-Rivière dans le Parc Forillon.
D’abord tu cherches la Grande Ourse. Tu prends les deux étoiles du côté de la casserole, pas du manche, tu comptes cinq fois la distance et tu tombes sur l’étoile polaire.
La vois-tu ?
Euh…
Là.
Euh… Ah oui, oui ! là !
Oui, on la voit pas bien, elle brille pas tant. Ben l’étoile Polaire elle est au bout du manche de la p’tite casserole qui fait la petite Ourse par exemple, la vois-tu ?
Hum… Attends donc un peu papa.
J’attends mon fils.
hum … Ah ça y est !
C’est bien. Et ben vois-tu, La grande Ourse et la petite Ourse on peut les voir toute l’année.
Ça ressemble pas du tout à des ours. Nous on a vu la maman ours et son bébé au bord de la route la dernière fois et ça ressemble pas à des casseroles les ours.
Ha ha, non tu as raison mon fils, ça ne ressemble pas du tout à des ours. Sais-tu pourquoi on les appelle ainsi ?
Me dis donc pas, je vais deviner.
D’accord.
Hum … Ben tu vois papa dans le parc y’a des ours par exemple.
Oui.
Attends tais-toi donc et laisse moi terminer.
Ok ok, je t’écoute.
Même que tout le monde veut les voir mais y’ veulent pas se faire attaquer en même temps. Alors on a dit aux gens qu’ils étaient dans le ciel comme ça ils ont juste à attendre la nuit pour les voir. Comme y’ voulait les voir toute l’année, y’ sont choisi des étoiles qu’on peut voir toute l’année.
J’aime bien ta version.
C’est ça ?
C’est pas la version officielle, mais la tienne est mieux.
On rentre ? j’ai froid.
D’accord.
Papa ?
Oui ?
Moi je suis ta petite casserole !
Et moi je suis ta grande casserole, a pensé Gilles. Son fils Théo et lui brisent le silence de la nuit en marchant sur le sentier qui relie la plage au parking. Deux pas de Théo pour un pas de Gilles font un rythme en trois pour deux sur lequel on pourrait jouer une valse mexicaine. Gilles repense à ce moment où il avait croisé cette maman ours avec son petit au bord de la route. Toutes les alarmes internes s’étaient mises à sonner. Un « Alerte général » physiologique. Son cœur battait la chamade, ses muscles s’étaient tendues comme des arcs, son visage affichait un faux air serein pour ne pas faire paniquer son fils. Théo lui n’avait pas tout de suite remarqué leurs alter-égos au pelage noir ébène. C’est quand il a senti son père lui presser la main trop fort qu’il a compris que quelque chose ne tournait pas rond. Il a d’abord cru qu’il avait fait une bêtise et par réflexe a sorti un «  AÏEU PAPA C’EST PAS MOI J’AI RIEN FAIT » bien sonore. En voyant le regard figé de son père, il s’est immobilisé à son tour et a tourné lentement la tête pour comprendre qu’est-ce qui lui donnait un air si grave.
Au moment où Théo avait crié, la grande Ourse s’était mise sur ses pattes arrières pour comprendre d’où venait ce son. Elle reniflait avec application pour définir si d’une part elle était face à une menace et si d’autre part elle pouvait gagner ou non le combat. « Les animaux savent qu’il n’y a pas d’hôpital » a dit un jour Hugues, mais c’est une autre histoire. La petite Ourse était très occupée à attraper un caillou qui ressemblait à une baie sous un caillou qui lui ressemblait juste à un caillou. Elle ne se souciait guère que sa maman et Gilles se jaugeaient comme deux gladiateurs avant un combat. L’enjeu pour chacun était maximum car ils étaient prêts à donner leur vie pour sauver leur progéniture. Heureusement, quand personne ne demande à se battre personne ne se bat, ça ce n’est pas de Hugues. Gilles a fait un pas en arrière, Théo a fait de même. La grande Ourse a reposé ses pattes avant, la petite Ourse s’est remise en marche. Gilles a fait demi tour et a pris son fils dans ses bras. La grande Ourse s’est éloignée doucement sans complètement lui tourner le dos, au cas où. Une retraite des deux camps pour la paix. Si ça pouvait être toujours comme ça…
Le lendemain Gilles croisera deux touristes déçus de ne pas avoir vu d’ours pendant leur voyage. « C’est correct, leur répondra-t-il, vous pouvez admirer ceux qui sont dans le ciel, ils sont moins dangereux ».
Toutes ces photos qu’elle n’a pas prises
Marie-Hélène a quatre-vingt-deux ans. Elle a vécu toute sa vie à Sainte-Anne-des-Monts. Elle est veuve depuis dix ans, mère de trois fils et deux filles, grand-mère de cinq petites-filles et trois petits-fils. Elle est seule dans sa maison au bord de la mer. Il est dix-neuf heure dix-huit minutes et nous sommes au mois d’août. Elle regarde le soleil se coucher. Il a encore de la marge.
Marie-Hélène a passé sa vie en qualité de mère au foyer. Elle s’est occupée de ses enfants jusqu’à leur départ et de son mari jusqu’à sa mort. Elle l’a fait avec amour et combativité. Elle n’a jamais remis en cause sa fonction sociale et est fière de l’héritage familiale qu’elle a créé, nourri et protégé. Elle s’est dévouée. Elle s’est mariée à dix-huit ans. Sa vie est une boucle de verbes d’action. Préparer le petit déjeuner, préparer le snack des enfants, faire les lits, laver le linge, faire le ménage, faire les courses, faire à manger pour son mari quand il rentrait le midi, préparer le repas du soir, aider les enfants à faire leur devoirs, s’apprêter parfois pour les soirées avec les collègues de son mari, aller chez le coiffeur pour rester belle tout de même.
Puis le temps a passé et les verbes ont changé.
Préparer les médicaments pour son mari, appeler ses enfants, leur laisser des messages, prendre rendez-vous avec les médecins pour son mari, amener son mari chez le médecin, aller chercher les résultats d’analyses, faire les lits, faire le ménage, faire les courses.
Puis le temps a passé et certains verbes ont disparu.
Faire son lit. Préparer son petit déjeuner. Appeler ses enfants. Faire ses courses. Aller chez le coiffeur. Sortir marcher un peu. Appeler ses enfants. Faire le diner. Se coucher.
Quand ses petits enfants lui demandent ce qu’elle aurait voulu faire si elle avait pu faire ce qu’elle veut, Marie-Hélène répond qu’elle est très fière de ce qu’elle a fait et n’aurait troqué sa vie pour rien d’autre au monde. Ce qu’elle ne répond pas mais qu’elle dit quand même dans sa tête, c’est qu’elle aurait voulu être photographe. Elle n’en a jamais parlé à personne. Si elle l’avait avoué à son mari, il lui aurait sûrement offert avec plaisir un appareil photo à son anniversaire ou à Noël. Si elle en avait parlé à ses enfants, ils se seraient fait une joie de lui en acheter un dernier cri. Mais Marie-Hélène voulait garder son secret pour elle. Quand elle veut prendre une photo, elle cligne très fort des yeux et décrit mentalement sa photo dans sa tête. Elle a un album photo virtuel, qu’elle peut le consulter en regardant la mer, en écoutant le coiffeur parler ou encore en faisant ses courses.
Alors que le soleil commence à rosir, elle regarde ses clichés du jour.
Trois bus jaunes garés les uns à côté des autres. Une place vide et un quatrième à l’écart. Ils ont tous marqués « Écoliers » au dessus du pare-brise. Ce qu’on ne verrait même pas sur la photo, ce sont les deux maisons de part et d’autre de l’espace dédié au stockage de ces bus. Deux maisons avec une terrasse sur��levée et un petit escalier pour accéder à la terrasse et à la porte d’entrée typiques des maisons d’Amérique du Nord. L’une est rouge bordeaux et l’autre grise. Avec un étage, du lambris en plastique semblerait-il, quelques pots de fleurs entretenus, un jardin, pas de clôture, une grosse voiture garée sur le côté.
Un chien-loup blanc avec des oreilles dressées et un sourire qui tire la langue, comme seuls les chiens peuvent avoir, assis sur la banquette arrière d’un pick-up rouge garée à une station service. La vitre est baissée mais lui ne bouge pas. Il bombe son torse de chien. Ça ne lui est surement pas passé par la tête de passer sa tête par la vitre. Il attend son maître qu’il aime plus que tout et me regarde sans cligner des yeux en espérant que je me transforme en son maître.
Un monsieur gros mais pas trop assis dans une chaise à côté d’une femme grosse mais pas trop assise aussi. Ils sont sur la terrasse de leur maison américaine au bord de la route. Une troisième personne plus grosse que les deux premières est debout. La vue donne sur la route et tout le monde regarde la route. Pourtant sur la route, il n’y a rien à regarder.
Un boulot brisé, il est fendu à 70 centimètres de sa racine environ. Il semble être tombé. Il est à vif comme ces gens qui se cassent des os que l’on voit apparaître au niveau du coude ou du tibia. Marie-Hélène fait une grimace, ça lui rappelle quand Joseph son petit fils s’était cassé le coude après avoir plongé depuis la fenêtre du premier étage pour faire « comme à la télé ».
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Secousse - 11:39 - 27/07/2016
Ça tangue. Ça va bientôt faire boum. Dans ma tête, dans ma vie. Ça l’a déjà fait dans mon estomac. J’ai tout vomi. Tout. Un prêtre s’est fait égorgé. Quand le camion a fait sa balade, mon père a dit « après on égorgera les gens dans les rues, comme ça se fait déjà là-bas ». Là-bas c’est ici. À un moment on se baignait, tranquillement, et d’un coup, la mer s’est retirée. Elle s’est retirée loin, loin, jusque là-bas. C’était pas chez nous sur la plage, c’était là-bas. C’était calme et puis on connaissait pas, nous, les tsunamis. Y’a pas de tsunamis en France, c’est pas possible, c’est que là-bas. Les chefs, ceux qui dirigent, eux on leur avait dit qu’il y aurait sûrement un tsunami mais ils nous l’ont pas dit à nous. Alors on a arrêté de se baigner et on a regardé au loin. Et puis on l’a vu arriver. C’est trop tard quand tu le vois arriver. Il est revenu de là-bas vers ici avec des bombes, des armes, des camions, des couteaux, et de la haine. Beaucoup de haine. Une poignée de fous sur-entraînés. J’arrive pas à penser à autre chose. Hier on a mangé une salade de riz et un prêtre s’est fait égorgé. J’arrive pas à penser à autre chose. Tiens bon. Ça secoue à l’intérieur mais j’ai déjà tout vomi. Elle est bonne cette salade. C’est du riz rouge. C’est bon le riz rouge, ça a du goût. Se mettre à pleurer alors qu’on mange une salade de riz entre amis ça serait vraiment idiot. Retiens tes larmes tu le connaissais pas ce prêtre. C’est pas lui que je pleure. Reprends de la salade, les autres ont déjà changé de sujet. « Ça va, t’as l’air pensive » « Oui, oui, juste un peu fatiguée ». Va trouver l’humour de ça. Je suis malade, j’ai une gastropolitique, je crois. Ça tangue. C’est pas les autres les ignorants, c’est nous. Il fait super beau, j’ai envie d’aller me baigner. Se baigner dans un lac, là où il n’y a pas de tsunami. J’irai mettre les morceaux  de miroirs que j’ai cassés au milieu du lac pour conjurer le sort. J’ai cassé un miroir, encore un, c’est le deuxième, peut-être que ça annule ? J’espère que ça annule. J’ai acheté un bracelet sans la pierre de la protection mais j’ai quand même décidé qu’il me protégera et j’ai aussi rajouté le courage, au passage, et la chance. Et la santé. Et l’amour. Quoi ? C’est moi qui décide.
J’ai senti sous mes pieds une secousse. Ça a bougé, j’ai perdu l’équilibre. C’est un tremblement de terre natale je crois. J’étais chez moi, et tout d’un coup j’ai eu un doute. J’étais chez les autres ou chez moi ? Je sais plus. C’était une secousse ou de la houle ? Je sais plus. C’est chez moi, mais chez moi c’est pas ici. Alors ça a tremblé, ça a tangué. J’ai eu un doute géographique. Non en fait, c’est la terre sous mes pieds qui a eu un doute, c’est la mer qui m’a fait douter. Je tangue, j’ai le mal de terre. Partir en mer, et avoir sa terre natale logée au milieu de sa poitrine pour ne plus qu’elle tangue. Respirer les embruns. Respirer. Calme-toi, ce n’est qu’une secousse. Ça va passer. Regarde, les gens rient. Allez, viens t’assoir dans le canapé, ça va aller. Ce n’est qu’une secousse, un peu de houle. T’es capitaine, non ? Oui.
Je suis capitaine.
Mon bateau tangue mais ne coule pas.
Mon bateau tangue mais de coule pas.
Mon bateau tangue mais ne coule pas.
Je suis capitaine.
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Être heureux n’est que le début - 11:49 - 11/07/2016
Ah Le bonheur. Être heureux, ah la la. La grande quête humaine ! D’après de nombreuses études scientifiques et psycho-sociologiques, on est d’accord pour dire que le bonheur n’est pas un état que l’on atteint une bonne fois pour toute. Si la vie était un voyage, le bonheur serait une aire d’autoroute qui tombe pile poil quand t’as envie de faire pipi et que tu n’as plus d’essence. C’est un lieu de passage, pas la destination d’arrivée. Une fois reparti, le souvenir de cette aire d’autoroute fortuite restera gravée dans les mémoires des passagers. J’aime bien noter les moments de bonheur de ma vie. La dernière fois je crois que c’était sur le Pont Neuf un dimanche soir. Le plus récent c’était dans la rue François de Sourdis un dimanche soir aussi, hier pour être exacte. Les dimanches soirs sont propices au bonheur semblerait-il. Peut-être parce qu’ils ont accumulé toute la charge émotionnelle du week-end, et dieu sait (non Dieu il en sait rien, il en a rien à péter du slip) qu’il y en avait de la charge émotionnelle. Quand j’étais à l’école je détestais les dimanches soirs parce qu’ils sonnaient la fin du week-end et annonçaient la reprise des cours. Le seul moment de répit était « Ça cartoon ». On avait le droit de regarder l’émission avant d’aller au lit. Je suis passée de l’amertume de la fin d’un moment à la satisfaction de l’avoir vécu, en vingt ans. Avec toute la prétention du monde, je m’en félicite. Bref, dans la rue François de Sourdis en marchant avec mon ukulélé à la main, mon sac à dos un peu trop lourd, mes chaussures dont les semelles qui se décollent lèchent le sol goulûment, j’ai profité de mon moment de bonheur comme la première gorgée d’un bon café au réveil, comme quand tu voles un peu de ganache à macaron dans le saladier de ta mamie qui t’autorise à lécher le plat, comme quand tu enlèves tes chaussures après une journée de travail, comme quand tu t’affales dans un canapé pour regarder un film. Pardon, ma phrase était un peu trop longue. Je me demande s’il y a des gens qui passent à côté de leurs moments de bonheur, comme quand tu regardes ton téléphone au moment où une étoile filante passe dans le ciel. À mon avis on a tous des moments de bonheur mais certaines personnes, étant trop préoccupées par leurs malheurs, ne les captent pas. Ça doit être une histoire de disponibilité. Ou de positivisme. D’ailleurs j’aimerais dire un truc à propos de ça. J’ouvre une parenthèse. C’est pas facile d’être optimiste. C’est de l’entrainement. Ce qui est facile c’est de se laisser emporter au large par une baïne de négativité. Ce qui est facile c’est de se plaindre, de laisser la poubelle des tracas se remplir sans jamais décider de la vider. « Mais toi c’est facile t’es optimiste ». Non putain, c’est pas facile, ça demande une énergie de dingue. C’est comme si tu disais à un sportif « non mais pour toi c’est facile ». Non il s’entraîne tout le temps le mec. Moi mon sport c’est l’optimisme. Je ferme la parenthèse. J’en reviens à mon moment de bonheur dans la rue François de Sourdis. Je me suis dit que si je mourrais maintenant ça serait ok. Le fait est que je suis encore vivante, si on considère qu’on est vivant hein, parce si ça se trouve on est déjà mort mais on le sait pas. Se pose alors la question de savoir « qu’est-ce que je fais maintenant » parce que j’ai rien à accomplir de plus dans ma vie. Je me dis que je peux peut-être arrêter de m’occuper de ma trogne et commencer à changer le monde. Oui parce que être heureux ce n’est que le début. Plus vite on est heureux, plus on a de temps devant nous pour nous occuper de sauver le monde. Ça rejoint l’optimisme de tout à l’heure. Je fais pas ça par plaisir, c’est de la survie. Les gens ne sauvent pas le monde parce que d’abord il faut qu’ils se sauvent eux-même. Et ça c’est du boulot ! C’est pour ça qu’on galère. Essayer d’être heureux, c’est pas égoïste, c’est planètriote. Ce qui est égoïste ce de ne pas essayer de s’aimer soi-même parce que ça fait perdre du temps à tout le monde. Je dis pas que c’est facile, je dis juste que la moindre des choses c’est d’essayer, au même titre que d’essayer de limiter sa production de déchets. D’ailleurs c’est la même chose, penser positif, c’est recycler ses pensées négatives. Tu prends les problèmes de la planète, tu changes ton référentiel et tu deviens cette planète, tu verras que t’as les mêmes problèmes qu’elle. Ce qui prouve que si tu trouves des solutions aux problèmes de ta planète, tu trouves des solutions pour notre planète. C’est une histoire de référentiel tout ça. C’est logique. Tu te changes toi, tu changes le monde et basta.
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Braveheart de la serpillière - 14:26 - 01/07/2016
S’atteler à faire le ménage, c’est comme décider d’aller courir ou de se motiver à faire les courses ou encore de sortir poster le courrier administratif. C’est le moment où la procrastination se prend un crochet du droit par la volonté. C’est se sentir tout d’un coup animé d’un courage tel un chevalier qui part à la guerre après avoir fait l’amour une dernière fois à sa femme et embrassé ses enfants déjà endormis. C’est bien plus que faire le ménage. Nettoyer, faire le point, affronter la poussière qu’on a laissé s’accumuler. C’est faire une grosse assemblée générale avec soi-même pour rendre compte de l’état d’avancement de sa vie. Décider de passer la serpillière, c’est accepter qu’il va falloir préalablement ranger le bordel et passer l’aspirateur. Passer la serpillière c’est viser le haut de la montagne des choses à faire. Les livres empilés et inachevés, le courrier pas encore ouvert parce que nous savons très bien ce qu’il y a dedans et que ça ne va pas nous plaire, le volcan de vêtements, les valises pas encore défaites, la boîte à trucs qui est pleine. Un par un, chaque obstacle se dresse contre nous et nous les combattons avec pour seule arme notre indéfectible volonté de partir en vacances l’esprit libre. Notre motivation est sans faille, et bientôt nous arrivons à bout de chaque particule de chaos. Nous voilà maintenant prêts à pouvoir passer l’aspirateur en bougeant seulement quelques chaises, un jeu d’enfant. Puis viens la serpillière. Il faut être méthodique, sous peine de nous retrouver encerclés par une fine pellicule d’eau, tel Robinson sur son île. Toujours commencer par les extrémités et laisser un petit chemin sec, toujours.
Et là, quand les fenêtres sont grands ouvertes, que les chaises sont retournées sur les tables, que tout le sol est mouillé, le monde se suspend le temps que ça sèche. Hagards, nous sommes soudainement désoeuvrés et spectateurs de notre propre travail. Ça sèche. Le téléphone sonne, mais ça sèche, nous voudrions un verre d’eau mais ça sèche, une fenêtre claque à l’autre bord de la maison mais ça sèche. C’est juste que ça sèche. « Attententententend bouge pas c’est mouillé ! » Si c’était mouillé tout le temps, la règle implicite du « Ne pas marcher sur le sol parce que ça laisse des traces » serait enfreinte et puis ça ne serait pas bien grave. Mais là, il faut juste attendre que ça sèche. Ô Frustration ! la liberté c’est le mouvement et là nous sommes contraints ! Nous nous sommes emprisonnés nous-même dans l’idée que notre futur n’en sera que plus propre. Quand la liberté de mouvement est atteinte, c’est la liberté intérieur qu’il faut réveiller, n’est-ce pas ? Le cycle perpétuel du nettoyage n’est-il pas là pour nous obliger à nous arrêter pour regarder le paysage de notre vie ? Dans cette vie frénétique, une des choses qui peut nous arrêter dans notre élan, c’est « attendre que ça sèche ». C’est court, l’affaire de quelques minutes suivant la superficie de l’habitat. Ce n’est pas grand chose. Mais peut-être que dans cette minute de suspension, tout se loge, qu’elle est comme une bonne prise sur le mur d’escalade de notre existence. Dès la dernière goutte évaporée, nous reprendrons notre vie avec ce second souffle… jusqu’au prochain ménage.
ps : je me suis un peu imaginée comme Braveheart en écrivant ce discours de motivation.
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Slam Art & Dunk Contest - 15:07 - 22/06/2016
Une histoire inspirée d’un rêve.
Un dunk est une manière spectaculaire de marquer au Basketball. Le joueur atteint à une ou deux mains le haut du cercle du panier, y dépose la balle et marque.
Juan Alejandro est membre du jury et fondateur du Slam Art & Dunk Contest. Cette année est la 1ère édition du championnat. Slam Art & Dunk Contest a été créé suite à une performance exceptionnelle lors de la finale du Slam Dunk Contest en 2010 par Esteban Manwood. Il avait effectué une figure acrobatique inédite dans le domaine. Médiatisé, son style a inspiré de nombreux dunkeurs et dunkeuses en herbe qui ajoutèrent à leurs passages une part artistique digne d’acrobates de cirque. Devant l’engouement de cette nouvelle discipline, Juan Alejandro créa un championnat à part qu’il nomma le Slam Art & Dunk Contest. L’artiste-dunkeur est libre dans sa proposition car le championnat n’impose que très peu de règles :
Le championnat est mixte, aucune distinction de genre ne sera appliquée. La performance ne devra pas excéder trois minutes comme dans un slam de poésie. Pendant la performance, l’artiste devra réalisé au moins un dunk de son choix. Quelque soit la performance proposée, elle devra pouvoir se justifier d’une intention artistique de la part de son créateur.
Juan était à la fois excité et stressé. Laisser libre court à l’imagination des dunkeurs étaient un pari osé car cela pouvait potentiellement le dépasser. Il n’était pas stipulé que le dunkeur devait être seul, il n’était pas interdit non plus d’utiliser des machines, Juan ne savait pas à quoi d’attendre. Il s’attendait à tout et n’importe quoi.
Ce qu’il se passa fut au delà de tout ce qu’il avait pu imaginer. Un dunkeur était venu avec des ressorts sous les pieds, un autre avait fait faire le dunk par son chien, un autre encore était venu avec toute son équipe qui avait constitué une pyramide humaine, chaque passage était fou et inventif. Les jurys riaient beaucoup, le public étaient en délire, tout se passait merveilleusement bien, Juan se félicitait d’une telle réussite. Puis arriva la dernière concurrente, Maggy Oysprey. Une grande femme noire d’une trentaine d’année. Son visage était concentré et serein à la fois. Elle avait le regard profond, comme si elle jouait ici bien plus qu’un concours. Son ballon était calé entre son buste et son bras droite, son bras gauche tenait … un bébé. Un petit nourrisson avec une couleur encore incertaine — rougeâtre très foncé — comme tous les nourrissons. Il dormait, ses deux minuscules mains agrippées au tee-shirt de sa maman. Petits à petits, les rires et la folie des gradins s’atténuèrent au fur et à mesure que les supporters comprenaient ce qui allait se passer. Cette femme allait atteindre un cercle de fer à 3 mètres du sol avec un bébé dans un bras et un ballon dans l’autre. Juan était bouche bée. Il voulait parler, lui dire que ce n’était pas raisonnable, que c’était dangereux, mais elle avait l’air tellement déterminé qu’il ne trouvait pas les mots. Ses deux confrères jurys à côté de lui étaient dans le même état de stupeur que lui.
Elle salua solennellement le public, se plaça dans la raquette, regarda le panier, pris une grande inspiration et s’élança. Un appui, deux appuis, trois appuis, et le grand saut. Elle tenait fermement son bébé d’un bras, l’autre était tendu vers en direction du panier. Elle était dans les airs comme un ange, le temps semblait suspendu. En arrivant à la fin de son saut, elle déposa le ballon dans le panier. Tout le monde souffla en pensant que c’était terminé, que c’était juste un dunk et c’est tout. Mais au moment ou le ballon traversa le filet, elle le rattrapa avec l’autre bras, laissant son bébé sans soutien. Le nourrisson ne se réveilla pas et glissa sur le corps de sa mère qui plia ses jambes pour accueillir cette petite chose. Tout était controlé. La main droite était accrochée au cercle, la main gauche tenait le ballon, les jambes tenaient le bébé, le tout à 3 mètres du sol. La chose rassurante pour les spectateurs étaient que le spectacle ne pouvait pas excéder trois minutes. Juan allait vivre les trois minutes les plus stressantes de sa vie. Si un bébé mourrait dans son championnat, il ne s’en remettrait jamais. Pendant la minute qui suivit, elle alterna avec une grâce divine ses prises. Elle effectua toutes les combinaisons possibles. Tenir le cercle avec une jambe, le bébé dans une main et le ballon dans l’autre; serrer le ballon entre ses jambes, le bébé dans une main et le ballon dans l’autre, etc. Quand elle passait d’une figure à l’autre, sa progéniture glissait sans jamais perdre le contact avec une partie du corps de sa mère. Parfois elle lançait le ballon et le rattrapait sans que ça ne lui pose le moindre soucis. Les trois minutes arrivaient à leur terme alors elle se suspendit de tout son long au cercle de sa main droite, son enfant glissa jusqu’à ses baskets, elle tenait le ballon dans sa main gauche puis lâcha le cercle en jetant le ballon en l’air. Dans sa chute, en s’enroula à une vitesse phénoménale, créant une cocon protecteur autour de son enfant et atterri sur le sol en amortissant avec une roulade. Une fois la roulade terminée, elle rattrapa le ballon qui retombait. Le silence qui suivit fut très long au point que la concurrente elle même commençait à s’impatienter, ne sachant si elle devait quitter le terrain ou attendre des applaudissements. Alors Juan se leva de son fauteuil de jury, contourna sa table de jury et s’avança jusqu’à Maggy. Il se pencha vers son petit et le contempla. Il leva la tête pour croiser le regard de cette femme. Ce qui venait de se passait était bien plus qu’une simple performance à sensation forte. Maggy avait transmis à tout le monde son cri silencieux. Elle était invincible comme un roc et fragile comme le cristal. Ses yeux criaient de douleur sans pour autant demander de l’aide. Elle avait condensé en trois minutes le sens de sa vie, le basket et son bébé. C’était son monde à elle et elle l’avait livré brut à tout le monde. Ce qui s’était passé était de l’ordre du mystique et tous les gens qui avaient assisté au championnat tentèrent dans les semaines qui suivirent d’expliquer à leur entourage le puissance de la chose mais personne ne comprenait vraiment. Elle avait fait bouger d’un demi-millimètre la plaque tectonique de la prise de conscience humaine.
Elle avait marqué un panier et les esprits.
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Chez les autres - 12:39 - 10/06/2016
Dans la vie il y a deux catégories de chez-les-autres : le chez-les-autres où tu ne rentreras jamais et celui chez qui tu rentreras à un moment dans ta vie. En marchant dans la rue un jour de chaud, tu pourras apercevoir le dedans d’un chez-les-autres qui habite au rez-de-chaussée et qui a laissé sa fenêtre ouverte pour aérer un peu. Avec un peu de chance, il n’aura pas de rideau semi-opaque ou de voile blanc en dentelles. Tu pourras regarder furtivement la couleur de son canapé, son goût pour la déco, s’il est organisé ou pas, si c’est une famille, un couple, une colocation ou une personne seule. Tu devineras facilement si c’est une vielle mamie. Les appartements de vieux papis et de vielles mamies, ça se reconnaît tout de suite. Tu ne jetteras qu’un coup d’oeil sans t’arrêter. Au pire, tu ralentiras ta marche pour voler quelques secondes de la vie des autres. On ne s’arrête pas à la fenêtre de chez-les-autres, c’est du voyeurisme. Jamais tu n’entreras dans ce chez-les-autres à moins d’y être invité, sans ça ce serait une effraction. Et puis, il y a le chez-les-autres que tu découvres parce qu’on t’a invité à rentrer.
Ça te dérange pas si on passe par chez moi le temps que je pose mes affaires ? C’est à deux pas.
Non pas de soucis.
Si tu savais à quel point ça ne me dérange pas. Si tu savais à quel point j’adore découvrir des nouveaux chez-les-autres. C’est excitant, c’est nouveau, c’est touchant, ça donne envie de savoir comment chaque bibelot a atterri là, de trouver la photo de toi avec quinze ans de moins, de regarder la bibliothèque ou de constater qu’il n’y en a pas. Les couleurs, la poussière, les meubles sont un recueil d’histoires visuelles sans que personne n’ait rien à dire. Certains hôtes sont fiers de leur chez-eux. À peine avons-nous passé le pas de la porte que la visite commence.
Alors là c’est l’entrée, là c’est le salon, là c’est la cuisine, bon j’ai pas fait la vaisselle hein désolée.
Pas de soucis c’est très joli chez toi.
Et puis là c’est la salle de bain, là c’est les toilettes, là c’est la chambre, là c’est le bureau…
En général, dans un chez-soi comme un chez-les-autres c’est assez facile de deviner quelle pièce est la cuisine, quelle pièce est le salon, etc. Pourtant, celui qui écoute la visite le fait religieusement et avec beaucoup de respect. « Oh, oui c’est beau ». C’est vrai que c’est beau, mais c’est évident. C’est un peu comme si j’arrivais un matin et que je disais à mes collègues :
Alors tu vois, ça c’est mes chaussures, ça c’est mon pantalon, ça c’est mon gilet, bon j’ai fait une tâche de café ce matin désolée.
Pas de soucis, c’est très joli comment tu es habillée.
Et puis ça c’est mon collier, ça c’est mon sac à main …
D’ailleurs, l’intonation de l’énumération des pièces de la maison est caractéristique. On allonge la fin du mot : bureauOOO, salle de baaiiiin, toileeeettes. Et la note descend d’un demi-ton et remonte d’un demi-ton. comme si le mot avait roulé sur un nid de poules. ChAAaaambre, salOOoon…
Après la découverte vient la comparaison. En quoi ce chez-les-autres est mieux que le chez-soi? Et si on jouait à trouver tous les petits trucs qui font que l’herbe est plus verte dans le salon d’en face ? Le canapé est plus confortable, c’est plus grand ou alors c’est pas plus grand mais ça parait plus grand, c’est ça qui est fou. C’est le même nombre de mètres carrés mais on a vraiment l’impression d’avoir plus de place. Ça doit être la configuration qui fait ça. Et puis c’est lumineux, c’est vrai qu’il y a un vis-à-vis mais ça reste lumineux. Après les voisins ils te voient à poil mais c’est pas si grave. Eux aussi tu les vois à poil c’est donnant-donnant. C’est rare d’arriver dans un chez-les-autres est de dire « Ouh, c’est pas top chez toi, je préfère chez moi », sauf si t’es quelqu’un de très désagréable ou avec un humour négatif. Même si objectivement ton chez-toi est mieux que ceux chez-les-autres, tu trouves toujours qu’il y a dans ce chez-les-autres quelque chose que tu n’as pas. C’est comme deux personnes qui sont grosses pareilles et qui se disent mutuellement « mais non t’es pas grosse ! »
Je suis grosse.
T’es pas grosse, moi je suis grosse.
T’es pas grosse !
Je suis pas moins grosse que toi.
Oui mais toi tu le portes bien.
Toi aussi tu le portes bien !
Non toi !
Non toi !
etc.
C’est exactement pareil dans la bataille de « c’est chez qui que c’est le mieux ? ».
Bon c’est pas fou hein, c’est petit.
Tu rigoles, c’est super chez toi.
Oui enfin bon, y’a que 40 mètres carrés c’est pas un palace.
Moi j’en ai 40 et je trouve ça plus grand chez toi.
Ah non, c’est plus grand chez toi.
Non toi !
Non toi !
etc.
Et en même temps, si, à la fin du débat, tu acceptes que ton chez-toi est mieux, l’autre peut mal le prendre. Il faut accepter que l’autre puisse dire que ton chez-toi est mieux mais toi t’as pas le droit de le dire sinon c’est le drame. Logique ! Ça doit avoir un nom ce principe parce que c’est appliqué un peu partout dans la communication cordiale. Ça pourrait s’appeler « la concession d’infériorité inter-personnelle unilatérale* ».
Après la comparaison vient la jouissance des lieux. Si ce n’est pas juste pour déposer les affaires mais bien pour résider temporairement dans les lieux, tu vas pouvoir tester le quotidien. Ce phénomène étrange du « c’est pareil mais c’est différent ». Oui, c’est pareil, la canapé c’est un canapé, la vaisselle à faire est à faire partout sauf si t’as un lave-vaisselle, la salle de bain c’est une salle de bain. Pourtant, l’éponge n’est pas posé au même endroit, le liquide vaisselle ne sent pas pareil, le frigo ne s’ouvre pas dans le même sens. Quand vient l’heure de la douche, tu te rends compte que la pression de la douche n’est pas la même. Le tiède n’est pas au même endroit sur le mitigeur et tu te brûles ou tu te glaces. Il faut lire ce qu’il y a écrit sur les tubes de savon parce que ce n’est pas ton shampoing et ton gel douche alors tu ne sais pas. Où est-ce que tu poses tes affaires ? C’est comme une avalanche de nouveau dans ton quotidien. Oui bien sûr que tu es habitué à prendre une douche, ça tu sais faire, mais là ce n’est qu’avec des trucs nouveaux ! Je suis sûr(e) que le cerveau est perturbé.
Attendez, mais on sait faire ça normalement pourquoi ça nous prend tant de temps ?
C’est pas la même couleur chef.
Et alors ?
Alors si ça se trouve on se trompe.
Non, on se trompe pas on est tout mouillé, on est dans une baignoire, c’est forcément du shampoing.
Je lance la commande alors ? Si jamais c’est du gel douche on fait quoi ?
C’est du shampoing.
Commando vous pouvez lancer l’action … Bien reçu. Chef c’est du gel douche.
Quoi ! Mais où on est là, c’est quoi ce bordel ? On est en mode quotidien ou découverte ?
C’est difficile à dire chef, quotidien dans les actions mais l’environnement est modifié.
Lancez l’analyse des tubes.
… attendez … ok alors : Shampoing anti-pelliculaire pour hommes - gel douche ushuaï fresh men.
On va sentir l’homme soldat c’est n’importe quoi.
Oui, on lance une panique ?
Non, non c’est pas si grave au fond.
Ça prend juste plus de temps.
Tout juste soldat.
Commando vous pouvez choisir ce que vous voulez.
Je crois que je me suis un peu égarée, je vais rentrer chez moi.
chez moi c’est mon chez-moi chez toi c’est ton chez-toi chez lui c’est son chez-lui chez elle c’est son chez-elle chez nous c’est notre chez-nous chez vous c’est votre chez-vous chez eux c’est leur chez-eux chez les autres c’est un chez-les-autres
* : placement de produit.
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