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Humanités digitales - Zélia Zanone - Décembre 2023
L'avènement de la technologie numérique a radicalement transformé le monde artistique contemporain, élargissant les horizons de la créativité et redéfinissant la manière dont nous créons et consommons l'art. La démocratisation du processus créatif grâce aux outils numériques, auparavant accessible à une élite restreinte, a ouvert la voie à une diversité de voix et de perspectives.
Dans ce travail, je vais présenter trois projets artistiques en lien avec les technologies contemporaines, qui me semblent donner un aperçu représentatif.
REFIK ANADOL
Machine Hallucinations - Rêves de nature sculpture/peinture numérique - 2021
Artiste fasciné par la mémoire et le potentiel créatif des machines, Refik Anadol utilise la data comme matériau de prédilection et collabore étroitement avec l'intelligence artificielle. Ses installations, telles que celle-ci, résultent de recherches approfondies à l'intersection de l'architecture, des données environnementales, de l'esthétique de la probabilité, et des avancées de Google et de la NASA en intelligence artificielle. Cette œuvre, créée avec un logiciel développé par le studio Refik Anadol en collaboration avec des chercheurs de Google AI, est une sculpture de données qui exploite plus de deux cents millions d'images liées à la nature, projetées sur une toile numérique de 10m x 10m.
L'œuvre en 3D s'accompagne d'une expérience sonore basée sur des données générées par des bruits quantiques.
Je trouve cette œuvre particulièrement captivante et réussie, comme tout le travail de Refik Anadol en général. C’est une expérience multisensorielle qui invite le public réfléchir au potentiel des nouvelles technologies. Cette manière de représenter les souvenirs des hommes et de la nature de façon numérisée et esthétique est très remarquble. Toutefois, il est indéniable que la création de telles œuvres ne provient pas uniquement du simple hasard des machines. En effet, Refik Anadol est entouré dans son studio par une équipe composée de designers, d'architectes, des spécialistes de data et de chercheurs. Je pense que c’est de cette collaboration que provient la richesse de la création.
PHILIPPE CRAMER
Apotropaic Amulets, 2022
Philippe Cramer, designer suisse, dont le studio Cramer + Cramer est basé à Genève, est un artiste qui crée des pièces uniques ou en édition limitée. Tout en continuant à concevoir des objets tangibles en bois, marbre, métal, céramique, broderies, etc., il a récemment exploré l'art numérique.
Les "Amulettes Apotropaïques" représentent les premières œuvres d'art numériques de Philippe Cramer. À l'origine, ces amulettes ont été développées en 2020 sous forme de sculptures murales. En 2021, Philippe Cramer les a déclinées en or martelé à la main, puis en 2022 en œuvres d'art numériques, en NFT (Non-Fungible Token) ou jetons non fongibles. Il s'agit d'objets numériques authentifiables grâce à un identifiant numérique qui les rend uniques et non fongibles. À noter que les acquéreurs avaient la possibilité d'échanger leur NFT contre une version tangible pendant un an.
Les "Amulettes Apotropaïques" forment une série de 6 œuvres au format .gif, chacune émise sur le réseau Polygon en édition limitée à 28 exemplaires et numérotée. L'idée sous-jacente est d'offrir une présence protectrice, détourner le mauvais œil et diffuser des ondes positives sur leur propriétaire qui les conserve sur un ordinateur, un téléphone, ou les projette sur un mur de sa maison réelle ou dans le métavers.
La démarche du designer est intéressante, car elle marque le premier pas vers une expérience métaverse qu’il est en train de créer dans son « cramerverse », un méta-espace dans lequel il espère proposer des expériences artistiques et des œuvres d'art à vendre. Ces NFT sont conçus comme des clés digitales, permettant d’entrer dans certains espaces ou dans une pièce secrète.
J’apprécie beaucoup l’aspect ludique et coloré dans son travail de designer. J’ai trouvé sa démarche intéressante pour un designer dont la mission est de réaliser des objets tangibles et souvent fonctionnels tels que des luminaires, tables, bancs, etc. Basculer dans l’art numérique est un choix audacieux, mais il exprime avant tout le désir d'explorer de nouveaux horizons. Plus besoin de sélectionner des matériaux et des artisans !
Utiliser ces œuvres numériques comme porte d’entrée dans un metaverse est une démarche intéressante. Cependant cette forme d’art impose d’autres contraintes. En effet, Philippe Cramer a bien vendu ses NFT, mais la chute des crypto-monnaies a nettement ralenti la cadence. Depuis l’effondrement des NFT et la baisse de leur valeur sur le marché, les amateurs du designer Cramer préfèrent investir dans des valeurs tangibles.
RYOJI IKEDA
Data-verse 1/2/3 (2019-20)
L'œuvre "Data-verse" de l'artiste japonais Ryoji Ikeda est une installation audiovisuelle sous forme de trilogie monumentale qui explore les multiples dimensions de notre monde à travers des données scientifiques. En transcrivant et transformant des données provenant du CERN, la NASA et le Human Genom Project, Ikeda crée une expérience audiovisuelle immersive.
Les projections vidéo et la bande son électronique minimaliste et synchronisée, dépeignent trois mondes en mouvement : le microscopique (atomes, molécules, ADN), le monde humain (terre, cerveaux, villes, internet) et le macroscopique (système solaire, galaxies, univers observable).
Le titre "Data-verse" évoque le "métavers" et explore les frontières floues entre les espaces numériques et non numériques. Ikeda, en tant que compositeur électronique, considère le son comme une composante essentielle de son œuvre. La bande son électronique minimaliste accompagne harmonieusement les projections vidéo, créant une expérience sensorielle complète. Cette trilogie, illustre la synergie entre l'art visuel, la musique et la science, mettant en lumière la complexité de notre.
Ryoji Ikeda, data-verse 1/2/3 (2019-20). Commissioned by Audemars Piguet Contemporary. Installation view Yet, It Moves!, Copenhagen Contemporary (2023). Photo: David Stjernholm
vimeo
Dans cette œuvre, je trouve particulièrement intéressant l’apport du compositeur/musicien, comme il le dit lui-même : "Lorsque j'ai entrepris de réaliser cette œuvre, mon approche a toujours été, d'abord et avant tout, celle d'un compositeur. Plutôt que de créer une composition musicale traditionnelle, j'ai utilisé des données comme matériau de base, en appliquant un système et une structure comme pour n'importe quelle partition."
Cette trilogie, projetée dans une salle obscure est très hypnotisante et en observant ces écrans, un à un ou en vision d’ensemble, on se met à réfléchir au flux massif des données du monde dans lequel nous vivons. Cette œuvre permet de voir le monde différemment et de comprendre les nombreuses couches qui composent l'univers, jusqu’aux intersections entre les arts et les sciences.
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