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BOOKHOUSE BOYS #49 | LES FRÈRES LAMBERT | VIDÉASTES & AUTEURS
Steven & Warren Lambert, deux personnages aussi paradoxalement discrets qu’ils sont immenses. Dans la même pièce on les mélange, séparés on les confond. Mais dans l’un ou l‘autre cas, les deux Lambert, vrais frères pas jumeaux pour un sou, ont cette faculté d’agrandir les hommes qu’ils croisent au lieu de faire peser leur ombre de garçons courbés sur plus petit qu’eux. On a vu Steven L. au menu de Vies et morts des super-héros et l’on se souvient de Warren L. au programme du Livre des trahisons. Ensemble ils font des films. Isolément, Steven, l’aîné, est hanté par le motif de la boucherie (son poignant documentaire Sans colère et sans haine ou son commissariat à l’exposition Boucherie féerique). Plus jeune et un rien plus haut - à moins que ce ne soit l’inverse -, Warren sort aujourd’hui TROPIQUE DU SPLENDID, un essai salutaire sur la France telle qu’elle est perçue depuis plus de quarante ans par les Bronzés et telle qu’on veut nous la faire gober - ce livre est un médicament de l’âme.
Les Frères Lambert sont nos premiers Bookhouse Boys de l’année 2019.
Welcome.
| Que trouve-t-on comme nouvelles acquisitions dans vos bibliothèques ?
STEVEN : Je n’ai pas de bibliothèque chez moi, du coup j’empile et en plus je lis lentement mais je vois : le catalogue de l’exposition que Thomas Hirschhorn a consacrée au poète Manuel Joseph, la monographie de Delphine Wibaux, Sur la forme de Jean-Christophe Bailly, Les Années 10 de Nathalie Quintane, Nuits étroitement surveillées de Pierre Pachet, Insomniac Dreams le recueil des petites fiches que tenait Nabokov sur ses rêves, L’Ecriture des pierres de Roger Caillois, Jerusalem d’Alan Moore, La Philosophie floue de Miller Levy et bien sûr Tropique du Splendid.
WARREN : Hormis les livres que j’ai reçus pour Noël (les lettres de Lou à Guillaume Apollinaire et Éloge de l’ombre de Jun'ichirō Tanizaki), il y a Autoportrait de l’auteur en coureur de fond de Haruki Murakami. De lui, j’ai d’abord lu ses nouvelles puis je suis tombé sur ce livre qui semblait avoir beaucoup de lien avec, d'une part, un regain depuis un an de mon activité physique et littéraire, et d’autre part avec le livre que je finis en ce moment sur la saga Rocky. Je l’ai d’ailleurs délibérément acheté dans l’édition 2009 parue chez Belfond pour sa couverture, sur laquelle on voit une petite photo en pied de l’écrivain, dos à nous, le corps luisant seulement revêtu d’un short et d’une paire de baskets, et qui me rappela immédiatement l’affiche belge du premier Rocky que j’ai chez moi, où Adrian habillée avec une élégance folle se tient main dans la main avec Stallone en tenue de boxeur, prêts à partir au loin comme le couple à la fin des Temps modernes de Chaplin.
| Quels livres marquants avez-vous l’un et l’autre découverts à l'adolescence, et que vous possédez toujours ?
STEVEN : Je suis un spectateur avant d’être un lecteur mais je me soigne. Je ne lisais pas beaucoup au lycée sinon ce que tout groupuscule « littéraire » lit à un moment, comme le Werther de Goethe. Pour ne rien arranger je donne depuis plusieurs années partie de mes livres à la bibliothèque d’un squat. Le seul livre auquel je pense c’est le recueil La Rose de Robert Walser.
WARREN : Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes ; Un roi sans divertissement de Jean Giono ; Nadja d’André Breton ; Fin de Partie de Samuel Beckett. En gros, tous les livres du programme à l'époque au lycée ! Comme quoi… En même temps quand j'y pense : l’amour courtois, une parabole sur la Nature anthropophage, le surréalisme et le théâtre de l’absurde, ça ressemble aussi quelque part au programme d’une vie.
| Sans égard pour sa qualité, lequel de vos livres possède la plus grande valeur sentimentale, et pourquoi ?
STEVEN : Je suis un fétichiste de l’objet livre. Tous les livres ont pour moi une valeur sentimentale, encore plus ceux qu’on me donne à lire.
WARREN : Tous les livres que l’on m’a offerts et ceux que j’ai acquis au Regard Moderne, l’antre de feu Jacques Noël, l’archange des libraires parti dans l’autre monde il y a deux ans. Et puis mes premières bandes dessinées achetées par mon père – que j’ai d’ailleurs refilées depuis à mon petit frère – sur lesquelles se trouvent encore au dos l’étiquette avec le prix en francs quasi effacée.
| Lequel de vos livres offririez-vous à quelqu'un qui vous plaît ?
STEVEN : Je lui offrirais des fleurs.
WARREN : J’ai hélas arrêté ces ruses-là à la fac. Du reste, je crois bien n’avoir jamais offert à quelqu’un de livre qui ait un sens à percer, une sorte de message secret. J’ai arrêté parce que c’était plutôt moi qui me perdait chaque fois qu’une femme que j’aimais m’offrait quelque chose. Je l’ai en revanche beaucoup fait avec les films, et aujourd’hui peut-être un peu encore avec la musique, les chansons. Avec une chanson, c'est ce qui me plait, plus c’est gros, plus ça passe. Et je me suis rendu compte, paradoxalement, que plus c’est gros, plus c’est insoupçonnable.
| Que trouve-t-on comme livres honteux dans vos rayonnages ?
STEVEN : Là où il y a du plaisir, il n’y a pas de honte.
WARREN : Il n’y a pas de livres honteux, il n’y a que des livres que j’ai parfois honte de ne pas avoir encore lus. J’ai même découvert qu’au Japon, il existait un mot pour cette manie d’accumuler les livres et de ne pas les lire : tsundoku. Mais comme avec les rencontres, je me console en me disant que maintes fois certains se sont confirmés être de très bonnes intuitions, même s'ils auront mis du temps pour arriver jusqu’à moi ou moi à eux. Et d’autres qui, au fond, n’étaient dès le début absolument pas des histoires sérieuses.
| Quels livres avez-vous hérité de vos proches ?
STEVEN : Ceux qu’ils ont écrits et qui m’ont donné envie d’écrire et montré que c’était aussi possible d’écrire comme ça : le livre sur Lost de Pâcome Thiellement, Traum d’Aurélien Lemant, le Rocky de mon frère.
WARREN : Aucun, mais cela s'explique parce que, par exemple, mon père était et est encore davantage un lecteur de journaux que de livres. Je me souviens qu’il les conservait tous à une époque. Lorsqu’adolescent, mon père a déménagé, je revois encore au grenier chez ma grand-mère paternelle les dizaines de cartons d’exemplaires du « Monde », comme de grosses boites inédites d’On Kawara et qu’il mit à la poubelle comme on se débarrasserait d’une vie, mais qui en l’occurrence serait aussi celle des autres, de tout le monde. En ce qui concerne ma mère, son goût s'est toujours principalement porté sur les biographies, ce qui n’était pas mon truc, aussi je ne lui ai jamais piqué un seul bouquin. Elle avait également en évidence sur la bibliothèque le Quarto Gallimard de Marcel Proust, et je me revois me dire, gamin, que jamais je ne passerai mon temps à lire un livre aussi gros, qui plus est sur le Temps perdu.
| Le livre que chacun a le plus lu et relu ?
STEVEN : Je relis rarement sinon jamais un livre. Je retourne vers certains passages, je lis d’autres livres du même auteur ou j’explore la constellation qu’il tisse ou que je lui tisse avec d’autres. J’ai beaucoup relu les livres de Philippe Lacoue-Labarthe. J’ai envie de revenir vers Que faire des classes moyennes ? de Quintane.
WARREN : Il y a un livre chez mes grands-parents maternels qui nous a marqué mon frère et moi quand nous étions mômes, qui était un livre relié, ancien et de grand format, aux tranches dorées, sur Léonard de Vinci. Mon grand-père avait appris la reliure en autodidacte et je ne sais pas si ce livre épais en était un de sa fabrication. Je ne crois pas que nous ayons jamais lu ne serait-ce qu’une ligne de cet ouvrage qui, dans mon souvenir, semblait assez technique, mais je sais que nous l’avons beaucoup feuilleté, ouvert au hasard. Il devait, je pense, avoir simplement à nos yeux de gosses la magie du livre d'une Histoire sans fin, ou de ceux prenant vie dans Richard au pays des Livres magiques.
| Le livre qui suscite en vous des envies d'autodafé ?
STEVEN : Je suis incapable de faire du mal à un livre. Je préfère les livres qui brûlent d’eux-mêmes.
WARREN : Je prends soin de ne pas ouvrir les livres qui me dégoûtent d’avance. Question d’hygiène.
| On vous propose de vivre éternellement dans un roman de votre choix, oui, mais lequel ?
STEVEN : Ça n’a pas l’air d’avoir trop réussi au narrateur de l’Invention de Morel.
WARREN : Non de vivre mais, comme dans Fahrenheit 451 de Truffaut, plutôt d’en savoir un par cœur, je choisirais Novecento : pianiste d’Alessandro Baricco, un livre que j’ai découvert tout à fait récemment. Tiens, voilà un de ces livres qui a mis pile dix ans à arriver jusqu’à moi alors que c'est la femme avec qui pourtant je vivais qui me l’a offert et dédicacé en décembre 2008. Et puis celui-ci serait facile à apprendre puisqu’il s’agit d’un monologue.
| Quel est l'incunable que vous rêvez de posséder, votre saint Graal bibliophilique ?
STEVEN : Je suis bien trop paresseux pour courir après un livre.
WARREN : Je ne rêve pas de livre. Le livre rêvé est toujours celui que l’on me mettrait entre les mains et dont je ne soupçonnais pas qu'il était fait pour moi, qu'il était celui que j'attendais exactement au moment où j'en aurais besoin. Cela m'est arrivé de nombreuses fois, par hasard ou grâce à des amis, et chaque fois ce miracle est une façon tellement puissante de vous reconnecter avec le monde.
| Au bout d'une vie de lecture, et s'il n'en restait qu'un ?
STEVEN : Je suis nul en devinettes.
WARREN : Le dernier que je serai en train de lire avant de fermer les yeux, et si possible sans avoir pu en connaître la fin.
Crédit photos : Vladimir Vatsev
Le Feu Sacré sera présent au vernissage de TROPIQUE DU SPLENDID, le mardi 12 février 2019, à la librairie LE MONTE-EN-L’AIR (PARIS) dès 19h. La soirée sera présentée par notre ami Pacôme Thiellement, maître de cérémonie.
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