Tumgik
#klaartje schrijvers
stroebe2 · 14 days
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[...] Klaartje Schrijvers préparait à l’époque son doctorat en histoire à l’Université de Gand, occupée à rédiger une thèse intitulée : «L’Europe sera de droite ou ne sera pas!» Le réseautage d’une élite néo-aristocratique dans le court du 20ième siècle. Il s’agissait en fait, selon son autrice, du résultat d’une enquête dont elle n’avait pas anticipé les résultats. Ce qu’elle a alors dépeint dans sa thèse n’avait, de fait, encore jamais été décrit auparavant: une élite industrielle, financière, anticommuniste, chrétienne, conservatrice et extrêmement positionnée à droite qui joue de son influence au sein de divers cercles et organisations pour œuvrer conjointement, dans les coulisses de la politique officielle, en faveur d’une Europe rangée à droite, et opposée à toute influence de gauche. Il s’agissait d’une élite de l’esprit, un concept emprunté au comte Coudenhove-Kalergi, qui voyait aussi bien dans le communisme que dans le suffrage universel une menace pour sa survie. [...]
KLAARTJE SCHRIJVERS :
"Pourtant, l’anticommunisme en Belgique est responsable de certaines des pages les plus importantes et les plus captivantes de l’histoire belge. Aussi, l’absence de toute trace à ce sujet est pour le moins remarquable. Pour vous donner un exemple, nous ne savons toujours pas avec certitude qui a commandité l’assassinat du leader communiste Julien Lahaut, en 1950. [...] Le meurtre de Patrice Lumumba en 1961 reste encore aujourd’hui en partie enveloppé de mystère. L’enquête belge sur Gladio (le réseau secret qui, à partir de 1952, a opéré dans l’ombre sous l’égide de la CIA et de l’OTAN dans divers pays européens) n’a jamais été menée de manière aussi approfondie et exhaustive qu’en Italie. [...]
On ne voulait plus jamais de guerre et il fallait donc pour cela bâtir une Europe forte, unifiée et pacifique. C’est dans cette perspective que des représentants de la classe politique, du monde des affaires et de la communauté intellectuelle ont mis sur pied le Mouvement européen. L’objectif était de dépasser les frontières idéologiques de la gauche et de la droite pour aboutir à une Europe unie. [...] Toutes ces organisations ont leurs propres membres, bien que nombre de leurs protagonistes se retrouvent dans plusieurs organisations. Ils étaient tous extrêmement conservateurs et de droite et obéissaient à une aspiration commune, celle de restaurer une Europe chrétienne. Pour eux, l’ennemi numéro 1 était le communisme, et par extension tout ce qui se trouvait à gauche. [...]
J’ai choisi, à l’époque, le libellé «néo-aristocratie» comme terme générique pour désigner les protagonistes du réseau. [...] Ils se considéraient comme une nouvelle noblesse, ce qui était d’ailleurs parfois le cas. Ainsi, pour des raisons de mérite professionnel notamment, une personne pouvait être élevée au rang de noblesse par le roi. Le réseau aimait aussi à s’entourer de membres de la noblesse ancienne ou «noblesse de sang», comme Otto de Habsbourg-Lorraine, que j’ai évoqué plus haut. La grande majorité, cependant, était composée de figures éminentes du monde des affaires: de riches patrons de grandes entreprises. À côté de cela on trouvait aussi des politiciens ayant des sympathies prononcées pour la droite, tels que Paul Vanden Boeynants. En somme, une classe fortunée et autoritaire s’est organisée dans les coulisses de la politique officielle pour aiguiller l’Europe dans la direction qu’elle souhaitait. Une classe qui, avec l’avancée du néolibéralisme, a du reste vu se concrétiser la plupart de ses objectifs. [...]
[...] Ce qu’il ne pouvait pas encore concevoir à l’époque, c’est qu’ils n’étaient pas seulement organisés au sein de structures européennes, mais aussi sous forme de cercles privés tels que le Cercle des Nations. [...] En réalité, le cercle privé en question remplissait une fonction charnière au sein du réseau. Fondé en 1969 par un certain Richard Van Wijck (descendant d’une famille richissime qui comptait parmi les principaux actionnaires d’Unilever), le cercle s’est, dès le départ, réuni dans un ancien hôtel sis au n°25 de l’avenue Franklin Roosevelt, à Bruxelles. Officiellement, le cercle avait pour mission de promouvoir la vocation internationale de Bruxelles. Bruxelles devait devenir le centre le plus dynamique d’Europe et, même, du monde. Il faut toutefois lire entre les lignes pour découvrir sa motivation plus profonde. [...] Il s’agissait d’une constellation remarquable qui regroupait, au sein d’un même cercle, un vaste éventail de sociétés parmi les plus puissantes du monde: la Société Générale, Solvay, Gécamines, le secteur des énergies fossiles, des entreprises qui ont amassé leur fortune au Congo, des constructeurs automobiles, la haute finance. [...]
Le rôle central joué par le Cercle lui a valu une place privilégiée dans les accords financiers lucratifs qui pouvaient être conclus sous couvert d’un objectif idéologique commun. Soyons clairs, on peut difficilement se lier avec les membres d’une élite financière industrielle – qu’elle soit ou non néo-aristocratique ou qu’il s’agisse ou non d’une élite de l’esprit – uniquement sur la base d’une lutte politique et idéologique. Avec eux, c’est toujours, et presque toujours exclusivement, une question d’argent. Ce qui ne les rend pas moins «coupables» pour autant. Les liens qu’entretenaient les différentes organisations, chapeautées par le Cercle des Nations, avec des régimes dictatoriaux comme le Chili de Pinochet, ou, plus près de chez nous, l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar, en disent long. Ceux-ci ont révélé une fois de plus leur profond mépris pour la démocratie parlementaire et la démocratie tout court."
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