#fleur du chemin - la petite bergère
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venustapolis · 2 years ago
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Roadside Flowers, The Little Shepherdess (Jules Bastien-Lepage, 1882)
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ludivinedesaintleger · 5 years ago
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Lundi 23 mars 2020
La journée a été magnifique, en ce deuxième lundi de confinement.
La plage était là, en contrebas, qui nous tendait les bras. Si pure, si belle. Comment refuser à nos enfants d’aller courir sur cette immense étendue de sable, d’aller tremper leurs bottes dans l’écume des vaguelettes, et d’aller chasser les mouettes en riant ?
Nous avons tenté de les raisonner, de leur expliquer posément pourquoi nous sommes contraints de rester sous les verrous, mais leurs grands yeux tristes ont eu raison de notre détermination.
Je n'ai aucun doute sur le fait que, dans quelques mois, lorsque – comme je l'espère, comme je le crois, comme je le sais – nous aurons franchi cette étape et nous aurons terrassé ce virus, certains diront “aller à la plage, c’était irresponsable”. Toutes ces polémiques, toutes ces contestations, je les connais, et je suis prête à en discuter. Mais Victor et moi sommes les chefs de famille, et nous assumons absolument toutes les décisions que nous prenons en famille.
Donc nous avons pris nos responsabilités et nos bottes, notre perche à selfie, nos enfants, leurs pelles et leurs seaux, et avons descendu la colline de Trouville jusqu’à la plage.
Déserte.
C’était de toute beauté. La plage de Trouville – tous les gens de bon goût le savent – est bien plus belle que celle de Deauville (sa prétentieuse voisine), où ne se rendent que les m’as-tu-vus. Aujourd’hui il n’y avait personne à part nous.
Cela m’a rendue un peu mélancolique. Me sont revenus à l’esprit tous mes compatriotes un peu trop dociles, qui n’osent pas sortir de chez eux à cause de la peur du gendarme, et j’ai eu de la peine pour eux. Mais il ne faut pas que je me laisse abattre par le malheur des autres : j’ai bien assez du mien.
C’est cela, d’être une empathe.
J’ai vite chassé cette triste pensée en me lançant dans une course folle vers l’océan, le vent indécis emportait mes cheveux dans une valse endiablée, et mes poumons se gonflaient, puissants, pleins de vie, de l’air pur du bord de mer. 
Mes enfants couraient derrière moi en poussant des cris de joie. Maman court ! Maman court, riaient-ils. Lorsque je me suis arrêtée, ils m’ont sauté dans les bras, et nos cheveux blonds se sont mêlés les uns aux autres. Victor est arrivé, essoufflé, pour immortaliser ce moment. Je crois que je ne l’aime jamais autant que lorsqu’il me prend en photo.
Comme c’était bon de se sentir en vie ! Comme c’était bon d’être seule avec ma famille sur cette plage immense et magnifique. Était-ce cette ambiance d’un calme étrange qui y régnait à la veille du débarquement de Normandie ? Ce devait être agréable, d’habiter sur cette côte, à l’époque. Sans doute le seul lieu tolérable dans cette France occupée.
Quoique.
Paris aussi, devait être de toute beauté.
Paris la belle.
Paris l’indomptable.
Fluctuat nec mergitur.
On le voit bien, d’ailleurs, dans les films de guerre. À Paris, sous l'Occupation, il y avait une forme de légèreté. On chantait la liberté, on dansait la liberté, on riait la liberté dans les robes à fleurs des jeunes femmes et sous les bérets bancals des titis, alors qu'on n'était en fait pas totalement libre ! Mais pour moi c'est ça, Paris. C'est là où tout est possible.
Paris est une fête.
Paris me manque. Paris.
Ville lumière.
Bergère, ô Tour Eiffel, le troupeau des ponts bêle ce matin, chantait le grand Guillaume, lui aussi emporté par une pandémie, en 1918, dans le VIIème arrondissement de Paris, lorsque la grippe espagnole a eu raison de son génie.
Je m’impose une minute de silence cérébral pour Apollinaire. Je m’assois sur le sable et je médite.
La méditation est devenue une composante vitale de ma vie. Je suis une personne à fleur de peau. Je me laisse souvent trop déborder par les divers sentiments de révolte, de colère et de consternation que fait naître en moi la médiocrité du monde.
Et je le sais bien. Je le sais bien, que ma colère est toujours saine et légitime. Mais ma colère, c’est moi, qu’elle empoisonne. Bien plus que les autres. Hier, par exemple, avec mes innombrables obligations, j’ai oublié de méditer, et je me rends compte a posteriori que j’aurais dû faire abstraction de la visite de cette “voisine”.
De toute façon, je ne pouvais pas l’empêcher d’avoir lieu, alors à quoi bon laisser la colère me ronger de l’intérieur ?
La méditation, c’est cela, aussi. C’est savoir prendre du recul par rapport à soi, et tirer les leçons de ses erreurs. Faire un petit pas de côté. Respirer. Et grandir, grandir sans cesse, devenir chaque jour une meilleure personne. Dans la certitude sereine d’être sur le bon chemin.
Il m’arrive plus souvent qu’à mon tour de voir des personnes se quereller. Je souris en écrivant ces mots. Bien souvent, j’ai très envie de m’approcher d’eux et de leur dire, apaisée, de prendre un moment pour respirer et regarder le ciel. Un moment pour méditer. Tous les jours. Et ils me regarderaient et à mon regard ils comprendraient, comme touchés par l’Esprit Saint.
J’aimerais pouvoir leur enseigner tout ce que je sais.
Mais là n’est pas mon rôle, et il est important aussi de savoir lâcher prise. Si je m’écoutais, je passerais ma vie à aider les gens. Je serais en permanence dans le don, jusqu’à l’oubli de soi. Mais j’ai deux enfants, et ce sont eux, ma priorité. Alors je laisse ces gens à leurs situations et je trace ma route, en les regardant de loin, comme un père bienveillant contemple sans intervenir ses enfants qui se chamaillent en pensant “cela aussi, passera”.
En remontant de la plage, nous avons fait un détour par la pharmacie du port pour prendre des antihistaminiques. J’ai été étonnée du nombre de promeneurs sur les trottoirs, et du nombre de joggeurs. Ce n’était pas la cohue, mais tout de même, nous avons bien croisé trente personnes !
J’angoisse à l’idée que ces gens n’aient pas pris conscience de la situation grave dans laquelle nous nous trouvons. En éternuant dans mon coude à cause de mes allergies, je suis passée à moins d’un mètre d’une vieille dame avec un sac de provisions. Elle ne portait même pas de masque ! Elle aurait tout à fait pu me contaminer avec ce virus qui, paraît-il, touche principalement les personnes âgées. Les gens sont si égoïstes ! Si inconscients !
J’ai beau tout faire, tout ce qu’il est humainement possible de faire pour être dans le non-jugement et dans le pardon, j’ai un mal fou à ne pas en vouloir à cette personne âgée inconsciente.
De retour à la maison, j’ai reçu un coup de fil d’Esther, ma belle-mère que j’adore. Quand j’ai vu son nom s’afficher sur le téléphone, j’ai demandé à Dolores de décrocher pour moi parce que j’étais en train de lire un article dans le Huffington Post et que je voulais le finir.
J’y apprends que des cliniques privées demandent à être réquisitionnées pour la crise du Covid-19.
Il y a tellement de choses à dire sur cette information, tellement !
Cela montre bien que l’État est incapable de gérer ses hôpitaux, que ces fonctionnaires sont des incapables, et qu’il faudrait tout privatiser.
Et puis surtout : non. Même si j’apprécie à sa juste valeur la générosité et l’abnégation qu’il faut pour proposer un tel don de soi, les cliniques privées tiennent grâce à l’argent d’investisseurs, et comment feraient-ils, pour vivre, avec ce manque à gagner ? Où serait la justice ?
Je prends le combiné des mains de Dolores – elle n’avait pas fini sa phrase, mais de toute façon ma belle-mère ne comprend rien à son accent sud-américain – et je raconte cela, scandalisée, à ma belle-mère, qui s’inquiète, à raison :
– Comment ferai-je, me demande-t-elle, si j’ai besoin d’aller à l’Hôpital Américain, dont je suis une généreuse donatrice, s’ils n’ont plus le moindre lit de disponible pour m’accueillir ? Pourquoi croient-ils que je leur envoie un chèque chaque année ?
Je comprends sa révolte, et renchéris :
– Et puis je pense à Victor et à sa clinique de chirurgie. Et s’ils venaient à la réquisitionner ? Et s’ils allaient lui voler ses appareils à stériliser, et les respirateurs qu’il conserve en cas d’urgence ? Ce pays vire au rouge, Esther. Il vire au rouge.
– On marche sur des œufs.
– Oui. Ou bientôt sur des faucilles et des marteaux.
Puis Esther m’a demandé des nouvelles des enfants, alors j'ai rendu mon téléphone à Dolores – comme elle avait passé la matinée avec eux, elle était plus à même de lui répondre. Et je ne sais pas pourquoi, pour la deuxième fois, Dolores a esquissé un mouvement de recul lorsque je lui ai passé mon téléphone. Elle l’a repris du bout des doigts, l’a gardé en permanence à cinq centimètres de son visage, et après avoir raccroché, elle est allée se laver les mains avec application.
Assise dans le grand Chesterfield du salon, j’ai pris mon visage dans mes mains. Fatiguée.
Fatiguée des frasques du petit personnel que je dois gérer en permanence.
Fatiguée rien qu’à l’idée de tout ce qu’il me restait à faire dans la journée.
Si fatiguée !
J’ai passé l’après-midi à dormir, sans doute aussi fatiguée que déprimée par le triste déjeuner que Dolores nous avait préparé – du poulet rôti avec une purée aux trois légumes. Le dénuement, c’est bien, ça a son charme, mais à force, non, c’est trop. Je n’en peux plus de cette simplicité. L’omelette norvégienne qu’elle avait préparée pour le dessert ne fut qu’une menue consolation...
Pourtant, avec un prénom pareil, “Dolores”, elle devrait cuisiner mille-et-une saveurs ! Quoi de plus exotique qu’une jeune femme colombienne ? Je rêverais de la voir de temps en temps dans un costume traditionnel colombien, plein de couleurs et de plumes, de clochettes et de tissus à froufrous, et surtout, je rêverais que sa cuisine soit l’équivalent gustatif de cette vision épicée !
Ah, Dolores.
Dolores. La douleur de mes papilles, La douleur de mes pupilles. Jeune fille, Face à ta paresse, En bas, mes pauvres papilles En haut, mes pauvres pupilles Se languissent, jeune fille, De ta culturelle adresse.
—Ludivine de Saint Léger
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drjacquescoulardeau · 8 years ago
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MEL BONIS – LAURENT MARTIN – L’ANGE GARDIEN – 2007
 Une femme compositrice c’est si rare que cela doit se fêter et j’ai l’impression que Laurent Martin fait justement cela avec ce CD qui reprend vingt-deux petites œuvres pour piano dont la caractéristique principale, dès le premier abord est la légèreté, le caractère dansant, le joie et même l’espièglerie comme si cette dame nous taquinait et nous incitait ou même provoquait pour qu’on la suive dans sa course un peu folle dans une sorte de forêt sauvage et imprévue.
 C’est justement ce caractère qui correspond on ne peut mieux avec le style du pianiste qui se fait un plaisir de laisser fuser les petits jeux de notes, les virevoltements de la mélodie, les traquenards de phrases qui commencent et se retournent soudainement, quand ce n’est pas une main qui joue des tours à l’autre comme si ces deux créatures voulaient créer à leur propre initiative une sorte de musique polyrythmique qui n’est pas dans la tradition européenne mais beaucoup plus d’outre Atlantique. Certaines pièces tout en restant classiquement européennes ont des échos qui tiennent presque du jazz, mise à part l’absence de la syncope.
 Avec l’Eglogue op.12 on touche à un style, plus lent de la main gauche et plus volage de la main droite, mais avec un peu de tristesse, de lenteur de langueur du moins dans la main gauche, comme une chanson de Barbara que Mel Bonis n’a jamais connue. Une sorte de prophétie que la deuxième guerre mondiale et ses horreurs produiraient des femmes qui allaient en musique explorer toute la profondeur abyssale de la douleur humaine.
 Mais on en revient à nouveau à un style sauteur et gambadeur, peut-être plus retenu mais on laisse les enfants se libérer de tout frein bien que, plus âgés, ils semblent vouloir se retenir ou bien des idées nouvelles leur traversent l’esprit qui les font se retenir en un style plus intérieur, ce en quoi ils ont raison : la chasse mentale sous les voûtes d’un crâne sont bien plus distrayantes et prenantes que les courses de gamins dans un pré fleuri de mille pâquerettes sauvages.
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Mais la berceuse de la plage 7 est mystérieuse et se veut plus hypnotisante que soporifique. Laissez-vous mesmériser par la musique, enfants sauvages, et la pendule de la nuit vous entrainera jusqu’au matin, ce matin où quelques papillons précoces volettent dans le soleil levant comme tous ceux que j’ai vu au Sri Lanka et qui une heure plus tard étaient tous à terre ne survivant pas au soleil.
 Laissons-nous prendre par une romance sans parole. Les deux mains se font des courbettes et des gentillesses, se courtisent l’une l’autre et ainsi défraient la chronique, romance sans paroles de deux mains sur un clavier mais ne cherchez pas à savoir laquelle va conquérir l’autre ; elles sont tombées toutes les deux l’une pour l’autre mêlant leurs styles différents en un dialogue sans paroles, un conte pour muets.
 Bienvenue sur une mazurka qu’on dira bien pointée qui veut même parfois se faire valse mais jamais pour bien longtemps, un tour ou deux et on reprend le style pointé, même un peu capricieux comme si c’était le but du jeu de s’écarter d’un côté pour ensuite revenir et s’écarter de l’autre et revenir, un tour sur soi et on repart  Une pause bouddhiste de méditation transcendantale vous attend cependant, mais pas une méditation de simple élévation vers un nirvana jamais atteint, mais plutôt une méditation qui a ses moments de doute, et ses moments de sérénité très vite bousculée par une peur, une envie, une frayeur, qui sait.
 Le scherzo valse qui suit est vraiment une valse d’un type spécial. Ce scherzo est à la danse ce qu’une églantine est à une rose, une fleur sauvage qui cependant ne saurait pas ne pas attirer les volages papillons, le laborieuses abeilles, les insouciants auditeurs qui se laissent aller à cette chansonnette. Et comme Brel, d’une valse à une autre nous n’en finissons pas de compter les temps et cette seconde valse se trouve être lente comme pour nous faire oublier le drame du monde qui nous entoure. Laissons-nous aller au calme de cette pensée intérieure qui tourne sur elle-même s’enivrant du suc de quelque fleur exotique.
 Et nous voilà repartis dans une seconde romance sans paroles comme ces enfants terribles que rien ne peut empêcher de pêcher et nos deux mains se comptent fleurette comme si elles étaient seules sur la scène ; Qu’importe la foule pourvu qu’on ait notre romance bien à nous. Et cela ouvre sur une sarabande si langoureuse qu’on croirait être dans un refuge en haute montagne quand il manque de l’oxygène et que l’on n’a qu’une ressource limitée en eau qu’il faut économiser. Langueur et relâchement de l’esprit, saint ou pas, peu importe, et du cœur, sacré ou non, cela est égal.
 Et cela mène naturellement à cette pauvre Desdémone qui ne survivra pas à la jalousie manipulée de son époux si plein de complexes qu’il se laissera tourmenter par un juif indigne d’être le conseiller de qui que ce soit, même et surtout d’un honnête homme. Il enfermera Desdémone à double tour de serrure dans la cellule de la jalousie et il n’a aucune timidité à être le bourreau puisqu’il a si souvent subi les tourments de la haine. Qui a jamais prétendu qu’une serrure pouvait être timide ?
 De ce drame vous pouvez sauter sur le dos l’Ange Gardien qui veille au grain nonchalamment et sans se presser. Tout est dans l’œil qui parcourt à grands traits et par petits sauts le paysage humain qu’il doit garder dans le droit chemin, hors du danger. C’est bien ce dont Desdémone aurait eu besoin, mais hélas il n’y a pas d’ange gardien chez Shakespeare. Et cet ange gardien, ce « seraph » donc, nous enveloppe de son attention et de ses soins sans même que nous la sachions. Mais n’oublions jamais qu’au plus profond du « seraph » salvateur il y a un « saraph » punisseur. Voyez Moïse il vous dira tout sur le serpent d’airain et ce serpent d’airain, ce « saraph », punition de Dieu est le maître de la Cathédrale blessée qui suit.
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Comment avec deux mains et un clavier peut-on construire une atmosphère dramatique, une tension tragique et une profondeur angoissante. Demandez à Mel Bonis et Laurent Martin qui détachent chaque note sur un fond sombre qui même ici et là prend le dessus. Cette cathédrale n’est certainement pas celle de Clermont qui a été assassinée par Viollet-le-Duc mais c’est celle du Puy en Velay et la blessure est dans la vierge disparue, la vierge mutilée, la vierge assassinée par une Révolution tête en l’air et fleur au fusil et c’est justement dans une deuxième partie la renaissance de cette cathédrale qui a mis en avant la pierre noire des fièvres celtique et qui a rendu à la vierge noire visage et enfant Jésus pour réparer les dégâts de quelques sauvages, bien que cette cathédrale n’ait pas subi le sort de celle de Mende démolie par le capitaine Merle comme l’église d’Ambert qui devait faire ombrage à la bande de Huguenots qui finiront massacrés un peu en dessous du Brugeron au Brun Batailler par les paysans de la baronnie d’Olliergues après avoir reçu l’autorisation du Baron lui-même. Ils n’en firent qu’une seule bouchée de pâté de tête, une seule fauchaison d’ortie et de ronces.
 Retrouvons le dynamisme du début tout près d’un moulin ancien, un moulin à eau bien sûr, sur un bief capricieux et un peu révolté, insoumis, cabrant ses eaux que la roue doit dompter pour en faire de l’énergie et du travail. Et près d’un moulin il y a toujours un berger et un berger a une flûte ou un flutiau dans son sarrau. Et ce flutiau essaie au clavier de Laurent Martin de soupirer ses désirs amoureux toujours insatisfaits car Marion préfère hélas toujours les rubans du chevalier de passage aux chansons tristes de son Robin.
 Et les rubans du chevalier de passage nous mènent directement à une berceuse triste de l’enfant que Robin adoptera pour sauver un peu l’honneur de sa bergère préférée. Car le désir pour le beau ruban qui fera une jolie coiffe au bébé n’est rien à côté de l’amour de Marion pour son Robin et de toute façon que pouvait-elle faire dans ce monde médiéval où le chevalier a tous les droits dans le village qu’il traverse.
 Nous pouvons alors finir avec un rythme plus fort, plus riche, celui de quelques gitanes qui dansent au tambourin de leurs musiques, des danses à chat perchés, des danses en sarabandes un peu dévergondées car ces gitanes ne font pas que réparer des paniers et autres petits travaux mais elles savent aussi servir pour deux petits sous un peu d’amour qui n’aura jamais de lendemain puisque demain ces gitanes seront parties Bon voyage.
 Dr. Jacques COULARDEAU
 LAURENT MARTIN – MEL BONIS – LE DIAMANT NOIR – 2016
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Mel Bonis est une compositrice qui fait l’objet d’une importante campagne de renaissance et régénérescence car elle bénéficie d’une Association Mel Bonis extrêmement active avec une biographie publiée à compte d’auteur chez L’Harmattan, et un travail important au niveau de la production de ses œuvres. Laurent Martin est apparemment un de ces musiciens qui ont fait un effort conséquent pour amener cette renaissance. Ce disque est typique de son approche à la fois pointilleuse et fidèle tout en étant personnelle et expressive.
 Les qualités premières sont la légèreté, parfois même plus que léger, presque vaporeux, aérien, mais avec des échos que nous reconnaissons tous comme d’un temps ancien et donc une forte nostalgie monte de ces musiques qui sonnent comme venant d’un temps d’outre-tombe, comme portant le ton mesuré, posé, calme et assis d’un homme comme Chateaubriand et ses Mémoires d’Outre-Tombe justement, mais aussi de toute une musique que certains ont qualifiée de mondaine, de musique de salon en son temps, mais Mel Bonis composait dans la tranche temporelle largement postérieure à ce temps des salons et du mondain, au temps où Proust allait triompher et c’est cette nostalgie de la course effrénée après le temps passé et donc perdu qui réverbère en écho dans cette musique.
 On ne sera pas étonné d’une certaine limpidité harmonique et rythmique et pourtant Laurent Martin exploite les deux mains de cette musique pour construire une polyrythmie impensable avant le choc de la Première Guerre Mondiale et l’explosion de la radio et du disque 78 tours qui va amener dans nos oreilles la polyrythmie nord-américaine qui n’est qu’une descendante directe de la polyrythmie noire africaine. Nous savons tous l’impact de l’exposition d’art africain d’avant la Première Guerre Mondiale sur Picasso ‘Exposition au Musée Quai Branly Jacques Chirac), Apollinaire (qui finira en prison), Cendrars (et ses poèmes nègres) et d’autres, et apparemment on retrouve dans la musique de Mel Bonis des échos, des bribes, des semblances d’art d’outre atlantique issu d’un art d’outre Afrique noire. C’est ce caractère d’une polyrythmie des deux mains au clavier du piano qui me semble suffisamment moderne pour retenir notre intérêt et ne pas se laisser bercer par une nostalgie qui comme toute nostalgie est de mauvais aloi et d’augure bien pire.
 Comparez par exemple la Scherzo-Valse et les valses rapides de Chopin et vous pourrez suivre la main gauche qui joue avec la rythmique comme si la main droite était en fuite exaspérée et désespérée. La main gauche posée et calme rythme à contre tempo ou presque les florilèges de la main droite. Calmons-nous donc, main droite excitée. La fin a besoin d’un peu de retenue. Les Mazurkas qui suivent sont presque l’illustration de ce que je viens de dire. Et si vous dansiez cette musique, ou bien la chorégraphieriez, suivriez-vous le rythme posé en arrière ou bien le rythme parfois corsé et endiablé en avant, en façade ? Mais cela montre qu’elle avance cachée, sous le nom d’un de ses fils ici et là comme si cette musique était trop moderniste pour son temps et donc pour être d’une femme. Nous pensons à une sculptrice qui subira le même enfermement dans la même période et dans le préjugé sexiste porté par son frère Paul Claudel. Ah les femmes artistes de cette période si sexiste que le dire n’est rien à côté du calvaire de Camille Claudel et quelques autres.
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Si bien que le Diamant Noir ne surprend personne qui sait que cette musique n’est pas d’Edouard Domange mais de sa mère. L’orientale par contre se fait menaçante et représente que trop cette idéologie absurde du danger asiatique, d’une espèce de moulin à prière qui vous écrase, vous enlève, vous entraîne, vous époustoufle de brutalité pesante. Ne croyez pas que certains moments d’hésitation pourraient être un sursis, une fuite. Certainement pas la musique en formes de tantras et autres mantras qui reprend le dessus et vous emporte.
 Les quatre pièces dans le style ancien sont donc comme une épiphanie libératrice. Pavanons-nous donc de menuet en bourrée à cette sarabande. Le menuet est un pied de nez à ces menuets classiques comme si c’était un quelconque carnaval des animaux de salon. Regardez-les se pavaner dans la vision voyeuriste des autres qui bien sûr le déshabille d’un regard et ils jouissent de ce déshabillé et c’est le même à contre-genre quand le voyeur devient une voyeuse et que la voyeuse se fait voyeur, ou encore plus jouissif mais inavoué pour la plupart à genre non alterné. Ce n’est pas le chapeau ou le châle que l’on voit, ni le gilet ou la cravate, mais le jeté de la jambe saisi et arrondi à la peau de la cuisse que l’on imagine, et bien d’autres choses, dans ce défilé carnavalesque. Ils entrent en piste et Mel Bonis en maîtresse de jeu les fouette pour qu’ils rebondissent leurs dos et leurs épaules d’autant de charme nonchalant et sulfureux dans une sarabande qui n’en finit pas de croupir, de tourner en petits tourbillons lents, si lents qu’on s’en endormirait pour un rien. Mais regardez-les ces danseurs et ces danseuses qui se laissent aller à la langoureuse jouissance des mouvements charnels à peine dissimulés par des habits superflus : tout est dans l’imagination et je puis vous assurer que ces danseurs et ces danseuses n’en manquent pas. S’ils osaient ils y mettraient les mains.
 C’est donc avec soulagement que nous passons à une autre effronterie de notre compositrice qui veut encore nous faire rougir des soirs d’antan où le soir on ne pensait qu’à une seule chose : la nuit qui vient, la nuit que l’on va partager avec les créatures de la nuit de nos rêves, de nos fantasmes, de nos cauchemars et de nos évasions entre deux draps. Cette musique est lubrique, franchement perverse, une musique qui vous chatouille, vous gratouille, vous bidouille sans fin de la plante des pieds à la croupe de la tête que vous avez au niveau du nombril. Et bien dormez maintenant. Le matin viendra avec . . .
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. . . avec une viennoiserie de la meilleure pâtisserie de la ville. Elle incite probablement à danser, mais d’abord sur les pieds pour voler et dérober la maîtresse de maison, la bonne te la cuisinière pour quelque danse du drap et de la couverture où de toute façon on finit allongé sur le dos ou le côté à contempler docilement le plan d’attaque et les assauts de la citadelle surtout quand on a trois villes à séduire en, un seul mouvement. C’est ce que l’on appelle s’y mettre à trois.
 Et du diamant noir de tout à l’heure on passe à une black pearl qui n’a de noir que le nom mais qui n’est certainement pas asiatique ou orientale et ne contient aucune chinoiserie. Droit au but sur pas pointés et sur le bout des doigts car c’est bien à doigts dépliés qu’il faut prendre cette perle noire que nous avons chassée toute la vie et qu’enfin le destin nous offre. Bon appétit.
 Les Gitanos, sombres de peau et diaboliques de musique et de rythmique vont nous conter amourette et nous compter les écus nécessaires pour atteindre d’un doigt ou deux le plaisir que l’on pourrait imaginer au son des tambourins. Mais ce fut un thème fort d’une période ancienne de peindre, dépeindre et même repeindre parfois des Carmen et autres Esméralda, de Victor Hugo à bien d’autres productions qui finissent toujours en queue de poisson et à plate couture. . .
 . . . pour se laisser trainer dans le jardin pour jouir du printemps qui est gai, et je ne sais pas si on devrait dire gay tellement ce printemps est sensuel et que l’on ne peut que fermer les yeux et laisser le plaisir nous prendre, nous envelopper, nous emporter au plus haut de tous les cieux et au plus profonds de tous les plaisirs, paradis et enfer mêlés et justement alors le gai printemps risque fort de devenir gay comme dirait Louis Aragon à Salvador Dali dans les années 1920, avant Elsa Triolet semble-t-il : « Une orgie, c’est quand on ne sait plus qui vous prend ou qui est pris et qu’on ne considère plus le genre, ni l’orientation, de l’autre ou des autres. »
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Musique perverse diront certains mais le pervers qui verse quelques larmes ou qui perce quelques secrets, le pervers qui est dans le fruit et qui prospère Yop la boum Place Pigalle au fantasme des touristes et des clients. C’est toute une période ou la Butte Montmartre bien sûr était la norme éthique tout autant que la force de la trique pour tenir ces dames dans le rang. Non, mais, enfin, comment donc, ainsi, bien !
 Dr. Jacques COULARDEAU
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