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la-princesse-de-cleves · 7 years ago

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Moi c’est mon corps qui pense. Il est plus intelligent que mon cerveau. Toute ma peau est une âme. Colette

Ce qu’il y a de meilleur dans l’amour, c’est l’amitié.

Ce que l’on écrit, arrive. Oscar Wilde

Colette les a fait venir chez elle toutes les trois, Musi, Annie et Marguerite. Ses amies, ses presque-sœurs. Elles habitent à deux pas de chez elle, toutes dans le XVIe arrondissement, mais elles ont préféré se regrouper. C’est plus facile pour faire face aux soucis du moment et l’ennui si terrible d’être seule.

Ce sont trois beautés brunes - quatre avec Colette -, qui forment une tribu aux traits caractéristiques. Aucune blonde n’a trouvé place au chalet.

Du même âge, à quelques mois près (sauf pour l’une d’elles), elles sont romancières, journalistes, comédiennes et, dans le cas de Colette, tout cela à la fois. Elle appartiennent au monde marginal, sulfureux, de la littérature et du spectacle.

Mariées, demariées, remariées ou en compagnonnage, leur existence a de quoi étonner, voire choquer une époque encore très bourgeoise. Elles ont souvent enfreint l’ordre moral et défié les bonnes mœurs. Elles les défient toujours.

Elles ont le goût du vagabondage : quand leurs contemporaines ne quittent jamais le domicile conjugal, elles ont bougé, bourlingué, voyagé et comme des chats auxquels elles vouent une passion commune, elles eu chacune plusieurs vies.

[...] On ne se retient pas. On ne se surveille pas. Loin, très loin de la société proustienne et du faubourg Saint-Germain, les mondanités, la bonne éducation n’ont ici aucune place. On est “nature”, entre soi, sans façons.

[...] Les quatre amies ont les cheveux courts : une excentricité, en 1914, que très peu de femmes osent se permettre. Arborer les cheveux courts relève alors du défi et suppose du courage car l’ensemble de la société, tous milieux confondus, les désapprouve. L’époque les assimile à des mœurs émancipées, à un esprit de rébellion, voire de sédition. En coupant ses cheveux, la femme brise une image que de longs siècles ont forgée, elle s’affranchit du modèle ancestral. Ce faisant, elle passe outre aux lois de la séduction, puisque tous les hommes s’accordent à trouver de la sensualité à la chevelure.

[...] Elles commettent cependant un forfait plus grave que de danser demi_nue ou demi-habillée, sur une scène de cabaret. Il leur arrive assez souvent, à la maison, de porter des pantalons. Avec une cravate, une chemise à boutons de manchette et un veston, elles jouent à l’homme parfois et se promènent en habits de garçon, en s’appelant “mon vieux”. Le miracle, c’est qu’elles restent féminines dans cet accoutrement. Il leur manque, pour que l’illusion soit parfaite, le parfum unisexe : le couturier Jean Patou l’inventera, après la guerre. Ce sera Le Sien, destiné sans distinction aux hommes comme aux femmes. “For her, for him”, la publicité de Patou vantera un jour la confusion des genres. Mais, en 1914, le parfum des quatre amies est encore exclusivement féminin.

[...] A une époque où leurs concitoyennes n’ont ni le droit de vote ni celui de signer un chèque, et en sont à demander la permission à leur homme - père, époux, frère, fils ou tuteur - pour tous les actes de la vie, comme elles paraissent libres de leur destin, ces quatre femmes ! Et si sûres de la voie à suivre!

[...] Les liens entre les quatre femmes demeurent solides. Malgré l’éloignement physique, le dialogue se poursuit à travers un échange de lettres incessant. La vie commune au phalanstère a soudé entre elles quatre une complicité que ni le temps ni les multiples occupations de leurs vies ne peuvent altérer. Colette, “Macolette”, est celle vers laquelle convergent les nouvelles, celle qui rassemble et unit ses amies éparses. C’est par elle que le phalanstère se prolonge, au-delà du chalet accueillant, élargi maintenant aux souples frontières de leurs destins d’aventurières.

[...] En amour, Colette se montre paradoxale. D’un côté, elle tient à sa liberté et à conduire sa vie à sa guise. De l’autre, elle voudrait être la femme d’un seul homme, aimée de lui sans rivale, et le servir, dévouée à lui corps et âme jusqu’à la fin des temps. Elle rejette ses chaînes mais, au plus fort de l’entrave, les chérit. Son rêve, elle l’avoue, serait d’être enfin “amarrée” à un homme, retenue à lui comme un bateau à quai. Ce mot, “amarrée”, si important dans son univers de fantasmes, est le dernier de son roman L’Entrave, publié en 1913.

[...] Cette femme si peu conventionnelle qui tient tant à son autonomie et lutte pour se faire reconnaître comme écrivain, cette originale, cette intrépide, qui ne craint ni la rumeur ni la moquerie, se révèle une amoureuse docile. Semblable à la majorité des femmes, modelées par des siècles de tradition, elle est prête a se donner et consent à être dominée. Indomptable en tous domaines, Colette n’aspire en amour qu’à se laisser dominer.

[...] Tout est affaire de paysage. Tout s’écrit dans les maisons. En 1914, le chalet de la rue Cortambert rassemble quatre amies esseulées, dans un foyer sans hommes. Enfoui dans la verdure, à la lisière du bois de Boulogne, il évoque ces maisons en pain d’épices des contes de fées, surgies de la forêt hostile pour abriter des enfants perdus, des jeunes filles traquées, de pauvres hères persécutés. Cendrillon, Peau d’Ane ou le Petit Poucet. Il a été leur refuge, la première année de la guerre. Ensuite, leur port d’attache, un lieu où elles ont aimé se retrouver dans sa chaude atmosphère. Elles ont chanté, dansé, festoyé souvent de peu sous ce toit qui allait un jour s’écrouler. Leur amitié était un rempart contre la peur et la solitude. Jamais elles ne se sont laissé abattre par les circonstances. D’être réunies dans cette villa si particulière leur a permis de rassembler leurs énergies. Et de résister aux forces hostiles, venues frapper à la porte.

Ces femmes libres, ou luttant pour l’être, qui n’hésitent pas à voyager et mènent leur existence avec fougue, ont chacune le désir de se rattacher à un paysage solide, à une maison fidèle, dont la porte reste ouverte sur le monde extérieur. Lorsque le petit chalet s’est écroulé à la fin des années de guerre, ce fut un chagrin pour toutes. Leur thébaïde disparue, elles n’ont plus eu de maison commune. Plus de foyer ou se regrouper... Désunies géographiquement, elles ne sont plus ensemble que par le cœur. Mais un cœur qui bat les mêmes pulsions, et qui reste fidèle à l’affection qu’elle se portent.

Colette et les siennes Dominique Bona

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