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La résilience, un concept opportuniste
Première parution mars 2005, revue et augmentée août 2017
En juin 2012 s’est tenu à Paris le premier congrès mondial sur la résilience. Pour un concept né à la fin des années 60 on s’étonne d’un tel retard. Sous la présidence et à l’initiative de celui qui fait désormais figure d’expert en francophonie, présent sur tous les plateaux de télévision, Boris Cyrulnik. Le congrès était soutenu par le Ministère de la Santé, formidable consécration pour un sujet qui cherche encore une validation scientifique.
Depuis plusieurs années le terme occupe une place étonnante dans le paysage social, tant parmi les professionnels que dans le grand public. On ne sait pas très bien s’il s’agit d’un miracle de la science, d’un mythe social en pleine émergence ou d’une notion encore neuve qui manque à être approfondie. Plus étonnant encore, ce terme a envahi les médias écrits et télévisuels grâce à ce personnage qui tient lieu d’expert en psychiatrie, Boris Cyrulnik. En y regardant d’un peu plus près la faculté de récupération et de défense des systèmes vivants n’est pas une découverte nouvelle. Cela remonte à la nuit des temps et, probablement depuis ces temps ou Sapiens, voire Neandertal observait la nature afin de pouvoir y vivre en sécurité.
Que se passe-t-il actuellement autour de ce concept ? S’agit-il de dévoiler une faculté cachée de l’être humain ou bien de masquer de façon habile les désastres qu’une invasion du Mal opère jusqu’au sein de nos familles ?
Avis aux lecteurs
Le lecteur pourrait comprendre cet article comme une critique acerbe de Boris Cyrulnik. Dans mon esprit il s’agit, à travers Cyrulnik, d’apporter des éléments critiques du concept de résilience tel qu’il est abordé en France. Exclusivement en France ! Cyrulnik est ici l’emblème d’une manifestation étonnante de la diffusion des idées et des connaissances sur ce concept. En toute ignorance, des idées séduisantes et faciles se répandent sans aucun esprit critique de la part de ceux qui les diffusent. Se demande-t-on : « Ces idées s’inscrivent-elles dans une histoire ? Sur quoi peuvent-elles déboucher ? Comment s’inscrivent-elles dans un contexte territorial et temporel spécifique ? »
Définitions et présentation générale
Les défenseurs de la résilience nous disent ceci :
Le mot « résilience » vient du latin rescindere, c’est-à-dire l’action d’annuler ou de résilier une convention, un acte. Emprunté au terme resilire, il signifie aussi « ressauter » ou « sauter en arrière », « se retirer ». Le mot « résilier » a pris dans le vocabulaire juridique le sens de « renoncer, se dédire ». Selon B. Cyrulnick, « résilier un engagement signifie aussi ne plus être prisonnier d’un passé, se dégager. La résilience n’a rien à voir avec une prétendue invulnérabilité ou une qualité supérieure de certains mais avec la capacité de reprendre une vie humaine malgré la blessure, sans se fixer sur cette blessure. »
La résilience appartient d’abord au vocabulaire technique du traitement des métaux, elle désigne à l’origine, une qualité des matériaux qui tient à la fois de l’élasticité et de la fragilité, et qui se manifeste par leur capacité à retrouver leur état initial à la suite d’un choc ou d’une pression continue.
Retenons qu’il s’agit de revenir à un état initial ! Si l’on évoque cette capacité au plan psychologique, il s’agit vraiment de savoir si, après un trauma, la psyché humaine, notamment celle d’un enfant, revient à son état initial. Rien n’est moins sûr !
Dans le domaine de l’écologie, la résilience souligne, d’une part la capacité de récupération ou de régénération d’un organisme ou d’une population, et d’autre part, l’aptitude d’un écosystème à se remettre plus ou moins rapidement d’une catastrophe — inondation, sécheresse, etc. Les écosystèmes développent plusieurs mécanismes d’autorégulation et parviennent à surpasser les effets des désordres en rétablissant simplement et de manière progressive le stade initial de leur homéostasie écologique. Les écosystèmes subissent également de nombreux changements adaptatifs de nature créative qui transcendent les simples corrections apportées aux dommages subis.
Si l’on s’en tient aux nombreuses observations de l’écologie scientifique ce rétablissement progressif du stade initial de leur homéostasie écologique ne va pas sans dégâts, principalement du côté de la flore et de la faune qui voient des espèces indigènes disparaître au profit d’autres exogènes. La vie reprend certes ses droits mais rarement à son stade initial. Darwin nous l’a bien montré. S’il en était ainsi, ce dernier aurait inventé autre chose.
Les anthropologues évoquent la possibilité pour certaines ethnies, sociétés, langues ou systèmes de croyances de conserver des traces de leur patrimoine malgré les vicissitudes du colonialisme et les pressions des groupes dominants.
Force est de constater que, dans ce domaine également, le retour à un stade initial est impossible. Les groupes humains subissent l’impact d’influences extérieures qu’ils subissent de manière plus ou moins consentie. L’Histoire montre que les groupes ethniques manifestent une certaines souplesse qui leur permet de survivre au prix d’une assimilation des influences invasives. Parfois, quand cette assimilation est trop importante, ces groupes ethniques perdent le contact à leur tradition originelle. Ce fut le cas des aborigènes d’Australie, des Indiens Caraïbes, des Indiens d’Amérique du Nord... Jared Diamond a montré que l’adoption de technologies étrangères à une tradition, auparavant adaptée à un territoire et à un climat, conduisait à la disparition totale de la culture indigène. (Diamond Jared, Effondrement)
Dans les domaines de la psychologie, de la victimologie et de la criminologie, le terme s’est imposé dans le traitement des situations à risque et en particulier celui des enfants vulnérables dont on cherche à consolider les aptitudes à rétablir un équilibre émotionnel lorsqu’ils subissent des moments de stress ou des abus importants, par une meilleure compréhension du ressort psychologique.
En psychologie clinique, la résilience devient un concept plus complexe. La résilience est « l’aptitude des individus et des systèmes (les familles, les groupes et les collectivités) à vaincre l’adversité ou une situation de risque. Cette aptitude évolue avec le temps; elle est renforcée par les facteurs de protection chez l’individu ou dans le système et le milieu; elle contribue au maintien d’une bonne santé ou à l’amélioration de celle-ci. » (Mangham et al., 1995)[1]
En psychologie clinique, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. D’un point de vue psychique, il s’agit de la possibilité pour un individu de développer des mécanismes de résistance et de survie malgré les vicissitudes de l’existence, des circonstances difficiles, des malheurs, un choc traumatique ou un environnement défavorable, voire hostile. Sorte d’endurance face au stress post-traumatique, la résilience offre au sujet un sentiment de compétence, une ouverture différente sur lui-même et d’autres perspectives qu’un stress continu ou répétitif. Ce mécanisme psychologique restaure ainsi une certaine confiance en soi impliquant plus de sécurité intérieure et apporte de nouvelles possibilités d’épanouissement malgré les difficultés rencontrées, les traumatismes subis ou les risques d’abréactions désagréables.
Il est intéressant de noter que ce terme désigne la capacité intrinsèque des systèmes vivants à retrouver un état d’équilibre, soit leur état initial – très rarement –, soit un nouvel équilibre, qui leur permette de fonctionner après un désastre ou en présence d’une pression persistante. (Dans la médecine traditionnelle chinoise on connaissait déjà ce processus...)
De manière plus transcendantale et convergente, certains prosélytes pensent la résilience comme « un processus diachronique et synchronique », c’est-à-dire « l’articulation des forces biologiques développementales avec le contexte social, pour créer une représentation de soi qui permet l’historisation du sujet ».[2]
A partir de son expérience traumatisante, le sujet résilient parvient à maintenir et dynamiser son économie psychique afin d’en conserver l’efficacité représentative. Ce processus est d’autant plus complexe qu’il dépend des données objectives du traumatisme réel (guerre, génocide, torture, viol, attentat, etc.) et des données subjectives du trauma psychique (effet d’après-coup, décompensation réactionnelle, effet et état de stress post-traumatique, etc.).[3]
Quelle que soit la nature du traumatisme, la résilience mobilise l’ensemble des processus psychiques et exige une dépense d’énergie considérable. Dans le traumatisme, dès lors qu’il existe une atteinte corporelle, une rupture entre somatique et psychique (état de sidération post-traumatique de quasi dissociation où la victime est absente de la scène), une effraction de la sensorialité (la stupeur, l’anesthésie de certaines zones agressées), en relation avec la qualité des processus d’attachement primaires (de type maternel), la résilience dépend aussi de la représentation du corps et de sa construction. Ainsi, dans les cas d’agression sexuelle, l’identité sexuelle et les mouvements identificatoires sont gravement altérés et les processus originaires d’émergence de la psyché et d’inscription au corps endommagés.
Enfants victimes de maltraitance et résilience
Les enfants ne sont pas épargnés par la dictature de la vie et la férocité de certains adultes. Comment s’en sortent-ils et suivant quels mécanismes ? Et comment fonctionne cette capacité psychique qui permet aux enfants, écorchés vifs de la vie, victimes de violence, de cruauté mentale et d’agressions sexuelles, de rebondir, d’évoluer et de donner un sens à leur existence ? Mais surmonter ses blessures traumatiques ne suffit pas, encore faut-il se réconcilier avec ses émotions et son corps, avoir un bagage affectif suffisant et bénéficier d’un soutien bienveillant et empathique.
Selon Cyrulnik, dans certaines situations de maltraitance, des enfants développent des stratégies de survie significatives ou au prorata de l’intensité du traumatisme qu’ils ont subi. Malgré cette charge traumatique, ces enfants semblent tenir le coup et montrent ensuite des signes encourageants de guérison et d’adaptation souvent surprenants. Cette perspective offre aux cliniciens et aux thérapeutes de nouvelles ouvertures en termes de diagnostic, de pronostic et de prise en charge.
Le rôle principal des professionnels qui soutiennent les enfants dans une démarche de soins, est de les aider à chercher du sens et à élaborer une signification à la fois parlante et libératrice de leur propre histoire. Le passage du traumatisme à la mise en place du processus résilient se façonne à partir des différents appuis que l’enfant aura réussi à tisser autour de lui, et surtout de sa capacité à se faire accepter et comprendre.
Parce qu’elle perturbe son potentiel et son énergie intrapsychique, et épuise ses ressources psychologiques, la maltraitance met l'enfant à rude épreuve. Ces situations de violence — psychique, physique ou sexuelle — peuvent avoir un effet sidérant sur les pulsions de vie de l'enfant. Afin de survivre, la victime mobilise des mécanismes de défense qui encombrent l'expression de sa personnalité ou enrayent son développement. Cette utilisation de moyens défensifs exige une dépense d'énergie psychique aux dépends d'autres fonctions psychologiques, telles que la verbalisation, la mentalisation, l'imagination, la fantasmatisation, la créativité, la sublimation et la symbolisation, éléments de défense du moi fondamentaux à la structuration de la pensée, et prémices des processus mentaux de résilience.
Par ailleurs, les répétitions traumatiques, angoisses, inhibitions et cauchemars se retrouvent chez des sujets très névrosés qui ont été maltraités au cours de leur enfance. C'est également parce qu'il est dénué de sens, que le trauma engendre tout un cortège de symptômes — somatisations, perte de l’estime de soi, troubles relationnels, manque de confiance, marginalisation sociale, idéations suicidaires, passages à l’actes, autodestruction, addiction, dépression, etc. Ajoutons que le tourment psychique dure tant que le sujet ne parvient pas à reconnaître et à faire reconnaître sa souffrance. Dans ces contextes, tant le langage — comme expression de l’authenticité de la personne — que les émotions ont été verrouillés par l’effet du traumatisme. Or, la résilience peut être un moment d’élaboration permettant au sujet de libérer un discours sur son histoire et/ou de tenter de déverrouiller cette double fermeture. Sous l’effet de la résilience, le traumatisme peut ainsi devenir un moteur. Toutefois, la résilience ne suffit pas toujours ou n’apparaît pas de manière aussi spontanée. Les facteurs favorisant le processus résilient peuvent être enrayés ou inhibés. Cette capacité est souvent enfouie, voire empêchée par l’état de stress post traumatique, les divers symptômes associés et les réactions du corps social.
En éveillant le psychisme, une thérapie peut tenter de faire émerger un processus résilient. L’objectif du travail thérapeutique est de transformer le traumatisme en moteur, en pulsion de vie : exploiter, éduquer, ou soigner le traumatisme, le conduire "hors de", pour mieux le travailler. C'est le trauma qui sécrète de l'inconscient, qui donne un sens profond à nos désirs et à nos vérités, mais également à nos angoisses. Une forme de psychothérapie repose sur un travail verbal qui essaie d'apprivoiser les émotions que le trauma soulève. La bienveillance de l’écoute et l’empathie essayent de libérer le sujet de sa “commotion psychique“. La parole circule et prend alors le pas sur le trauma.
Dans la plupart des cas, l'enfant traumatisé n'a plus accès au secret de son être, principalement parce que la situation de maltraitance a fracturé son identité et altéré sa personnalité. Cependant, le vécu corporel, même s'il est associé à un véritable massacre, peut s'intégrer à son histoire à condition de la reconstruire. Bien que le corps n'oublie pas[4], c'est-à-dire là où le trauma réel s'est inscrit, parler peut aider à représenter le trauma. Le travail sur soi permet donc de reconstituer les liaisons conscient/inconscient, le temps que le trauma regagne sa place et que le jeune patient retrouve le goût de désirer vivre une seconde naissance, celle de la résilience.
En victimologie clinique, la recherche démontre que ceux qui s’en sortent le mieux parmi les enfants traumatisés, sont ceux qui ont réussi à tisser autour d’eux des réseaux de solidarité et à se lier affectivement, ceux qui sont parvenus à effectuer des démarches efficaces, à orienter leurs demandes et à trouver les bons interlocuteurs pour se faire aider. Ces liens soutenants (les « tuteurs de développement ») ont un effet structurant sur l’individu. La résistance psychique intérieure est donc également une question de force relationnelle, de capacités d’attachement et de confiance en soi.
Résilience et thérapie
« Il me semble que, lorsqu’on a été blessé dans sa vie, on est contraint de mettre en place, de tricoter un processus de résilience jusqu’à sa mort. La blessure est enfouie, maîtrisée, transformée, mais elle ne guérit jamais complètement. »[5]
Loin d’être une cicatrisation miraculeuse ou magique, cette capacité de résilience n’est pas une vaccination contre la victimisation ou une anesthésie de la souffrance. Elle paraît cependant offrir un immense espoir à ceux qui veulent s’en sortir et à ceux qui soutiennent les premiers. Les victimes de drames humains, et il en existe une pléthore, doivent continuer le chemin qu’elles se sont tracé et espérer.
Les développements psychologiques d’adaptation des sujets résilients incluent tout à la fois l’humour, l’imagination, la créativité, l’investissement affectif, l’idéalisme, l’engagement, l’altruisme, l’éthique relationnelle, la spiritualité, etc. Par ces différents mécanismes psychiques, il est ainsi possible de s’échapper, de transcender ou de sublimer ses propres blessures. Toutefois, ces processus mentaux ne traitent pas en profondeur toutes les blessures existentielles et peuvent même engendrer d’autres types de souffrances, comme la marginalisation, l’isolement, le sentiment d’étrangeté, etc. La résilience fonctionne à certaines conditions — individuelles, familiales, environnementales. Il faut donc entrer dans le vif d’une blessure traumatique, la cicatriser par les mots et le sens pour lui échapper. Il faut encore se réconcilier avec l’humain et envisager l’autre — thérapeute, confident, partenaire, etc. — comme soutien privilégié, guide ou passeur.
Lorsqu’un sujet est blessé gravement par l’existence, il est donc contraint de tisser un processus psychique de résilience jusqu’à sa mort. Parce que le traumatisme est gravé dans la mémoire individuelle, l’oubli ne peut l’emporter sur la guérison. Enfouie dans les tréfonds de l’inconscient, maîtrisée, transformée ou sublimée, la blessure reste toujours vivace et ne guérit jamais. La résilience est cependant à l’œuvre dans la vie de tous les êtres humains, voire dans tout ce qui appartient au domaine du vivant.
Nous l’aurons compris, les lignes ci-dessus qui résument de nombreux articles dithyrambiques sur la résilience[6] nous laissent croire que le miracle existe. Il est alors d’autant plus gênant de passer à la critique de ces éloges. N’est-il pas question, le plus souvent, d’enfants en danger ? On a la vague sensation de briser un arbre de Noël, la veille de la fête… ou d’être un pissefroid.
Recadrage du concept
Ancienneté de la résilience
La capacité de l’organisme humain à régénérer, réparer des fonctions lésées est largement connu depuis l’antiquité, notamment en Médecine Traditionnelle Chinoise dont on connaît un corpus de textes qui en retrace l’historique et les contenus. Les Chinois connaissaient la capacité des systèmes vivants à se régénérer après une blessure grave. Nous dirions même qu’il s’agit d’un des aspects fondamentaux de nombreuses médecines traditionnelles. Les circuits énergétiques se reconstituent très rapidement après une lésion afin de re-créer rapidement la charpente énergétique de l’entité humaine. Cette médecine nous apprend aussi que la reconstitution ne se fait jamais sans dommage. Le vide béant créé par la blessure appelle une énergie fournie par l’ensemble, celle-ci provient d’autres circuits. La cautérisation d’une lésion implique la mise en relation de nombreux systèmes complexes. Cela crée un déséquilibre, une sorte de marque calleuse sur l’arbre de vie. La désorganisation induit une rééquilibration de tous les systèmes de l’organisme. Si un vide d’énergie apparaît, un plein pourvoit au remplacement de l’énergie perdue, mais la réserve – le potentiel initial – est la même depuis la conception. Le concept d’entropie — la masse d’énergie disponible dans un système vivant est une dès l’origine — s’applique à l’espèce humaine.
Si les tenants de la résilience — qui s’appuient sur un modèle issu de la physique des matériaux — allaient jusqu’au bout de leur modèle, physique notamment, ils modèreraient leur enthousiasme. À moins de changer de système de représentation du monde ! Tout est possible. Nous aurions affaire alors à une sorte de mutation de l’espèce humaine. Pourquoi pas ? En effet, si résilience il y a, où l’organisme puise-t-il ses ressources pour y pourvoir ? Cela n’est jamais dit.
La Médecine Traditionnelle Chinoise ne raisonne pas en termes de pathologie mais de déséquilibre ou de rupture de synchronisation entre l’être humain et le milieu naturel.
Beaucoup de médecines dites ethniques évoquent également cette perte de communication ou d’alliance avec la Nature ou avec le « génie tutélaire de l’individu ». Ces rappels nous montrent combien l’être humain a pu, ailleurs et en d’autres temps, demeuré soucieux de la qualité et de la permanence de cette alliance entre Nature — la nature en nous — et Conscience. Nous sommes bien loin de ce que la résilience décrit, elle qui se cantonne à une sorte de brillance extérieure et purement adaptative.
Ce souci de préserver l’équilibre entre soi et l’alentour s’accompagne du respect de soi, des autres et de l’alentour – outside. Ce souci de soi dont parle Michel Foucault, apparenté au care de Joan Tronto, implique un engagement éthique envers la nature mais aussi envers la Cité.
On ne discerne pas un tel souci dans les écrits francophones du concept de résilience. Plutôt la réémergence du mythe du héros.
Résilience et Inconscient
La résilience est, certes, un concept qui paraît dépasser les anciens clivages d’école. Comme beaucoup d’autres qui meublent la volonté des théoriciens de la psychologie de sortir des dogmes archaïques, il demeure dans une perspective descriptive — ce qui n’est pas si mal — sans rien dire du pourquoi ?
On décrit les facteurs qui favorisent la résilience, on les a étudiés de l’extérieur mais on ne sait rien des composants intrinsèques qui la permettent. Si ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui peuvent et savent s’inscrire dans un réseau affectif soutenant, pourquoi ceux qui demeurent introvertis seraient-ils exclus de la capacité de résilience ? Il s’agit bien de systèmes vivants, non ? Et la Nature ne se trompe pas !
La résilience décrit partiellement les effets de la Fonction Transcendante, dont Jung[7] parle, chez les extravertis — et plutôt ceux de type sensation.[8]
Accordons néanmoins à Boris Cyrulnik et à ses maîtres qu’ils reconnaissent que les facteurs favorisant le processus résilient puissent être bloqués ou inhibés. Cette capacité est souvent enfouie, voire empêchée par l’état de stress post traumatique, les divers symptômes associés et les réactions du corps social. Lequel inflige souvent une deuxième peine en ne reconnaissant pas leur statut de victime ou en banalisant leur souffrance.
La résilience ne nous présente pas de véritable voie thérapeutique. La résilience ne suffit pas pour « guérir » — et, pour la circonstance, il faudrait redéfinir ce mot. À travers cette notion on comprend que l’on peut dépasser certains moments dramatiques de l’existence ou tout ce qui peut altérer gravement le cours normal de l’évolution d’un individu. On soupçonne, en élargissant la portée de ce concept, qu’il existe en l’être humain une formidable potentialité, non de guérison mais de retrouvaille avec les sources de la vie. Mais on ne connaît pas toujours le prix à payer... Cyrulnik s’exprime comme un entraîneur sportif et il ignore les effets en profondeur d’un traumatisme. Comme un coach avant le match, il semble exhorter sa troupe... On verra après !
Les propagandistes de la résilience se limitent à constater que, chez certains individus, les capacités de cautérisation des blessures sont optima. Or on découvre également qu’il s’agit de personnalités de type Extraverti/Pensée/extraverti,[9] ceux-là même dont notre société favorise l’épanouissement dès les premiers temps de la scolarisation. Les autres, de manière plus ou moins voilée, sont considérés comme des ... Je préfère éviter les mots qui me viennent ! À coup sûr ce ne sont pas des héros !
L’enfant Introverti/Sentiment/Intuition est mal considéré dès ses débuts dans le système scolaire, parfois avant si ses parents espéraient un winner.
Jung nous mettait en garde, il y a bien longtemps sur les effets d’un travail sur soi qui ne reposerait pas sur des bases solides. « Le développement de la personnalité qui sort de ses dispositions germinatives pour arriver à sa conscience totale est charisme en même temps que malédiction. La première conséquence en est la conscience d'un inévitable isolement de l'individu qui se sépare du troupeau indistinct et inconscient. C'est la solitude; il n'est point pour cela de désignation plus consolante. Même l'adaptation la plus réussie n'en délivre pas, ni l'ajustement sans la moindre friction, au milieu, nulle famille, nulle société et nulle situation. Le développement de la personnalité est un bonheur tel qu'on ne peut le payer que très cher. »[10]
Certes, on peut acquérir la capacité de transcender les effets de blessures cuisantes et terribles mais la question reste posée de la complexité des réseaux réparateurs qui doivent mis en jeu. On ne peut pas négliger les facteurs de contamination psychique : si l’effet d’un traumatisme puissant bloque l’écoulement de l’énergie psychique, la stase ainsi provoquée peut fort bien passer inaperçue mais cela ne l’empêche ni d’exister, ni d’agir en sourdine. Bien souvent, par un mécanisme bien connu de transmission psychique, il peut se faire qu’un membre du groupe, auquel appartient la personne ‘ résiliente ‘, « diffuse » les effets de ce traumatisme. Et dans le groupe restreint qu’est la famille il y a toujours un être qui ‘épongera’ ce que le résilient croit ou pense avoir transcender.
La résilience, telle qu’elle est conçue en psychologie par Cyrulnik, pose un problème d’éthique et une question : « qu’est-ce que la bonne santé psychique ? »
Je n’ai pas trouvé beaucoup de textes sur la résilience qui évoquent l’existence de l’Inconscient et bien moins encore de l’existence possible d’une dynamique de communication entre l’Inconscient et le Conscient.
Une critique de la notion de résilience nous met, par ailleurs, en garde sur certains effets pervers.
« Il y a donc lieu de craindre que le discours optimiste sur la résilience et le succès qu'il rencontre dans les médias ne soient qu'un nouvel avatar de la tendance à justifier les parents, tendance universellement acquise sous leurs coups (cf. le syndrome de Stockholm). Une nouvelle manière, après bien d'autres, de dire, sans vérifier de près la rigueur du raisonnement « Mais non ! les gifles et les fessées, ce n'est pas si terrible ! La plupart des gens s'en sortent très bien ! D'ailleurs, la transmission intergénérationnelle, ça n'existe pas; c'est un mythe ! Et puis, les épreuves de la vie, ça rend les gens plus fort ! » (Cf. Cyrulnik : « Le traumatisé est biologiquement mieux préparé au stress comme un champion entraîné à répondre aux épreuves. » (Un Merveilleux malheur, p. 179) « Le blessé a acquis désormais une manière de sentir le monde et d'y répondre. Meurtri lors de son enfance, il acquiert, comme un champion, un mode de réaction. » (id.) !). »[11] Champion, héros...
Quelle idéologie se dévoile ainsi ?
C’est pour cette raison que nous pouvons nous étonner de voir combien d’associations de défense des droits de l’enfant, entre autre, réservent une place royale à ce concept directement issu des milieux américains du management. Un tel aveuglement est étonnant. Il repose bien sûr sur un malentendu. Mais il privilégie aussi un mythe destructeur, celui du héros conquérant, du champion qui peut vaincre s’il met sa volonté au service de sa guérison et son ego.
Une dépendance pour une autre
Partant d’un constat fait sur certains individus particuliers la résilience apparaît d’abord comme un état. L’analyse du milieu et de l’histoire des sujets spontanément « résilients » permet à Cyrulnik d’en déduire qu’il suffit de créer, en quelque sorte, ces conditions pour que l’effet du traumatisme s’estompe ou disparaisse chez les autres, en général. La généralisation est hâtive. Il ne s’agit que de comportementalisme.
Re-conditionné, l’individu peut fort bien déverrouiller son discours et aborder sa souffrance, mais ce sera sur du vide si l’énergie endiguée ne s’écoule toujours pas. Cela peut s’avérer « efficace » durant quelques années de vie mais l’individu se trouvera fatalement fragilisé et inquiété par la menace d’une rupture de cette merveilleuse dorure. Il sera à la merci de la moindre fracture dans sa vie : divorce, maladie, déménagement, licenciement, etc. Ce qui ne manquera pas de le placer dans une dépendance à l’égard de son thérapeute, des circuits de soutien ou d’un système de pensée rigide. On troque une dépendance funeste pour une autre bienveillante en apparence mais l’authenticité de l’être ne peut émerger. L’individu épuisera ses forces à colmater les moindres brèches, à moins qu’il ne délègue cette tâche à des proches qui, à leur tour, dépendront de lui. Le cycle de la transmission réactionnelle au traumatisme peut ainsi se perpétuer durant deux ou trois générations. Ces faits ne sont pas rares en psychologie clinique. À travers les circuits d’aide, de conseil et de soutien, on crée ainsi des rites et des dogmes qui prennent un caractère mystique en protégeant les individus « résilients » des expériences intérieures qui pourraient être fatales. Il ne faut cependant pas oublier que ces dogmes n’ont qu’un caractère provisoire et territorial. Ils sont faits pour être transgressés quand le moment est venu, que l’attitude consciente doit changer.
Tout ce que développent les défenseurs de la résilience ne peut être que provisoire, c’est un premier pas qui permet au Moi de se solidifier, de reprendre confiance. Mais, l’individu, plus tard, doit être averti des dangers qu’il court s’il ne décide pas, à un moment ou à un autre, quand les angoisses reviennent, d’amorcer un travail sur soi, en profondeur.
Tout processus réparateur commence d’abord par une consolidation du Moi – la conscience. Les thérapies comportementales auxquelles on fait référence quand Cyrulnik et d’autres évoquent la résilience sont pertinentes. Elles ne sont pas exclusives. Nous avons vu que les solutions doivent d’abord être individualisées, tenant compte du passé de l’individu, de son territoire de vie, de sa personnalité et de son patrimoine génétique. D’autres thérapies peuvent s’avérer plus pertinentes, l’art-thérapie notamment qui repose sur un médian autre que la parole.
Une fois cette consolidation acquise, le processus de réparation s’ouvre sur la nécessité d’un travail sur soi. Il s’agit de permettre une meilleure porosité entre les instances conscientes et celles plus profondes et inconscientes. Les sources vives gisent dans ces forces longtemps retenues et bloquées par le trauma. Sans ce travail sur soi en profondeur, la cautérisation reste menacée. Tout nouveau choc émotionnel, même anodin pour quiconque d’autre, constitue une menace pour le rescapé d’un trauma, résilient ou non.[12]
La question de la parole
Si le concept de résilience semble se démarquer nettement de la théorie psychanalytique, en ce qui concerne la parole, nous retombons dans un mythe caractéristique de celle-ci, la prééminence de la conscience. Si la psychothérapie de type analytique repose sur un travail verbal qui essaie d'apprivoiser les émotions que le trauma soulève, elle ne trouve une certaine efficience qu’avec certaine personnes, et encore. Nous vivons dans un bain de parole et d’images. Nos conceptions sont bien souvent d’une pauvreté puérile : un problème, une solution ! Manifestation arrogantes d’une conscience qui croit pouvoir tout dominer. Nous ne comprenons pas pourquoi cela ne marche pas toujours. Que la parole circule afin de transformer le traumatisme en moteur de la vie psychique relève de l’imposture. Ce ne peut être qu’un vernis provisoire, dangereux de surcroît car il masque la gigantesque excavation créée par le trauma. Il est étrange que Cyrulnik qui, pourtant, évoque souvent la réconciliation du corps et de la psyché, tombe si facilement dans ce dogme d’une consolidation rigide et forcée de l’ego. À l’abri des flux provenant de l’inconscient.
Parler son trouble, dire ses souffrances ne devient libérateur que quand se produit un besoin intérieur de synchronisation entre le dedans — l’Inconscient — et le dehors — la Conscience. Cela, seuls les rêves et les images intérieures peuvent nous le dire.
« La bienveillance de l’écoute et l’empathie » ne suffisent pas même si elles sont essentielles. Il faut dire, à la décharge des propagandistes de la résilience, qu’il est étrange d’avoir à rappeler ces conditions essentielles à l’accueil de toute personne : « bienveillance de l’écoute et empathie ». C’est un signe que la psychologie a perdu un élément essentiel à son exercice clinique. Carl Rogers est bien loin, dans des contrées oubliées ! Là réside un réel problème éthique et social qui dépasse le cadre de ce court article !
Le théorème de la résilience, tel qu’il est exposé par ses défenseurs est incohérent, superficiel et surtout opportuniste. Il relève fort bien d’une théorie du management, sur mode de la recherche de performance : efficacité, positivation... Il ne peut en aucun cas restituer à l’être humain blessé cette mobilité de la curiosité qui le pousserait vers la vie en inventant chaque fois de nouvelles formes d’évolution. Il peut s’avérer opérationnel dans un contexte stable, dans une société sécurisée mais ce n’est pas un concept psychologique opérant pour des enfants qui vont connaître de multiples changements durant leur vie, des exilés, des rescapés de conflits militaire, pour des personnes qui devront, outre leur trauma, développer de gros efforts pour vivre dans un milieu qu’ils ne connaissent pas ou bien auquel ils ne peuvent s’abandonner en toute confiance.
La résilience telle qu’elle est pensée dans l’Hexagone passe outre deux grandes thématiques incontournables : l’éthique politique, l’existence au sein de l’organisme humain de sources d’énergie qui ne se domptent pas à coup de volonté.
Les effets d’un trauma de caractère sexuel dans l’enfance sont connus et bien documentés. Les effets de catastrophe, d’attentats, de guerre sont également bien documentés. (Evelyne Josse, Deidre Barett,...)
Ils touchent la constitution même de la personne et surtout la sphère émotionnelle. Celle-ci dépend du système sensoriel et des centres qui au sein du cerveau réagissent pour impulser une action, fuite, attaque, sidération. Le trauma altère la capacité de l’organisme à réagir de manière pertinente aux stimuli de l’environnement ou aux événements émotionnels. La dysrégulation est globale et atteint l’ensemble de l’organisme.
Ce n’est pas la conscience et la volonté qui sont donc touchées, c’est l’ensemble de la communication entre les couches conscientes et celles qui sont plus inconscientes. La personne est coupée d’une part importante de ses capacités de vie, d’action et de création.
C’est pourquoi la réhabilitation de la relation entre les sphères de la conscience et celles de l’inconscient est nécessaire et incontournable. J’ai abordé ce sujet dans de nombreux articles, notamment en rappelant la notion de Fonction Transcendante que Jung a évoquée dès 1916. [13]
« La fonction transcendante psychologique naît de l'union des contenus conscients et inconscients. »[14] Pour y parvenir l’Imagination active est un outil extrêmement intéressant. Actuellement de nombreux thérapeutes s’appuient sur la méditation qui vise le même but : réactiver les fonctions vitales de l’organisme et sa capacité homéostasique.
L'imagination active permet le rapprochement des fonctions consciente set inconscientes pour l’activation de la fonction transcendante.
Les thérapies cognitives et comportementales que semblent parfois évoquer les propagandistes de la résilience sont utiles, mais uniquement pour permettre au préalable une consolidation des fonctions conscientes. Préalable nécessaire à la rencontre avec les profondeurs de l’être. La guérison – encore faudrait-il s’entendre sur ce terme – est à ce prix.
Ce n’est donc pas par un effet de levier ou d’incitation sur la volonté que la blessure se cautérisera.
Négliger cet aspect est dangereux pour les victimes et pour l’entourage qui pourrait croire qu’il « suffit d’un peu de volonté » ... Et si l’on manque de cette volonté c’est que l’on se complaît dans une position de victime.
J’ai souvent entendu cela, de la part de professionnels de santé, de la part d’hommes et de femmes politiques. (Aurélie Filipetti, par ex. lors du premier débat pour l’inscription de l’inceste dans le code pénal, sur le projet de loi de Marie-Louise Fort) Même les avocats des victimes doutent parfois de la profondeur des séquelles dont leur client/es leur font part.
C’est en cela que la compréhension actuelle de la résilience pose un grave problème d’éthique sociale. L’absence de considération épistémologique, d’abord, rend cette notion suspecte.
Les implications sociales et politiques d’une telle carence s’inscrivent dans un contexte de déni global des crimes sexuels. Une compréhension limitée des capacités de l’organisme à se régénérer conforte également un état d’esprit général qui tend à privilégier ceux qui ont la capacité de dominer leurs émotions et d’être ainsi plus efficaces.
Que ce soit délibéré ou l’effet d’une forme d’optimisme béat, la loi contemporaine dominant/dominé trouve dans la résilience une justification psychologique précieuse même s’il s’agit en fait dune imposture.
Enfin le coût social dont la société doit s’acquitter quand il s’agit de prendre en charge les troubles psychologiques et organiques dont souffrent tous les rescapés de traumas précoces passe inaperçu. Il est probablement colossal. Et on se garde bien de l’évaluer.
Toulouse, août 2017
Mots clés : Cyrulnik, résilience, traumatisme, fonction transcendante, positivation, énergie psychique, inceste, trauma, stress post-traumatique
Notes
[1] — Cité par Yves-Hiram Haesevoets « La résilience, un concept métaphorique contemporain », sur le site de Psychorelief, <http://www.psy.be /articles.php?article=75> [2] — Cyrulnik B. (1991). La naissance du sens. Hachette littérature, 1991, Le vilain petit canard, Odile Jacob, 2001 et Parler d’amour au bord du gouffre, Odile Jacob, 2004. [3] — Brissiaud P. Y. Surmonter ses blessures. De la maltraitance à la résilience, Retz, Paris, 2002. [4] – Voir mon article : L’intelligence du corps, < http://cavacs-france.tumblr.com/post/160487007101/lintelligence-du-corps> [5] — Cyrulnik, 2003. [6] — Je n’ai cité en référence que les articles les plus importants. Pour plus de détails, lire la présentation du concept faite sur ce site par Claudia Samson. < http://hommes-et-faits.com/Dial/spip.php?article293> Lire également l’article de Marc André Cotton, Les pièges de la résilience, < http://hommes-et-faits.com/Dial/spip.php?article254> [7] — Depuis 1916. [8] – Les types psychologiques. [9] – Ibid. [10] – Jung, L'âme et la vie, Éd. Buchet Chastel, page.403. [11] — Olivier Maurel, sur le site <http://www.alicemiller.com>. La résilience, une notion réconfortante, pas de date d’édition. Olivier Maurel fait référence au titre suivant : Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999. [12] – Lire ma communication au premier congrès international sur les maltraitances de l’enfance, Québec, Canada, 2011 : Nouvelles perspectives cliniques pour la thérapie des rescapés de traumatismes sexuels précoces ; < http://hommes-et-faits.com/Dial/spip.php?article248> [13] – De la fonction transcendante à l’imagination active, Hommes & faits, < http://hommes-et-faits.com/Dial/spip.php?article332> [14] – Cité par Remo F. Roth dans The Archetype of the Holy Wedding in Alchemy and in the Unconscious of Modern Man. < http://paulijungunusmundus.eu/hknw/holy_wedding_alchemy_modern_man_p1b_e.htm#_ftnref9>
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Article rédigé par Marie PEZE , Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles. Responsable de l’ouverture de la première consultation hospitalière « Souffrance et Travail » en 1997, responsable du réseau des 130 consultations créées depuis, responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail du CNAM, avec Christophe Dejours. Auteure de plusieurs ouvrages, dont le dernier publié en 2017, “Le burn-out pour les nuls” aux Editions First.
N°10, Mai 2018
Relire la 1ère Partie de cet article
Vous avez dit “psychosomatique” ? De quoi parle-t-on exactement ?
Le psychisme n’est pas un facteur déclenchant parmi tant d’autres (et si possible en dernier dans la liste, dans la plupart des études psychosociales ou épidémiologiques). Le psychisme est un étage d’intégration, de symbolisation, de modulation des comportements humains.
Parce que nos structures hospitalières n’accueillent qu’une seule plainte, celle du corps organique malade, nous centrons notre approche clinique sur la douleur. Les praticiens de la douleur ont depuis longtemps dépassé le dilemme du subjectif et de l’objectif et ont donné de la douleur une magnifique définition psychosomatique.
«La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage ».
La même définition inclut le stimulus périphérique, l’étage central d’interprétation de la douleur et le vécu imaginaire du patient. Cesser de vouloir départager ce qui revient au corps organique de ce qui revient au corps imaginaire, avec l’arrière pensée de séparer le vrai du faux, le tangible de l’improuvable, permet une prise en charge clinique efficace.
Psychosomatique n’est donc pas pour moi ce qualificatif-poubelle que l’on donne à des affections médicales à l’organicité douteuse auxquelles s’ajoutent d’évidents troubles de l’affectivité et du comportement.
J’ai rencontré beaucoup de patients étiquetés « psy » dont la maladie était organique et mal diagnostiquée.
Psychosomatique n’est donc pas pour moi ce lien de cause à effet direct, ce raccourci que beaucoup cherchent à établir entre un conflit psychique et une maladie particulière, car en cherchant bien, on peut trouver un problème non résolu chez tout le monde et tout le monde n’est pas malade.
Entre un état de Stress & un traumatisme psychique : comment savoir ?
L’étude systématique de l’histoire des patients fait toujours émerger des événements de vie difficiles. Je ne dis pas stressants. Car on a étendu la définition du stress à toutes les situations impliquant de près ou de loin le psychisme.
Il est vrai que dire « je suis stressé » fait moins peur que dire « je suis angoissé, énervé, inquiet »..
La notion de stress persiste dans les explications des mécanismes générateurs des maladies. Les émotions soumettent effectivement l’être humain à des états de stress avec ses corollaires physiologiques. Mais le stress se superpose ainsi au concept de traumatisme sans poser la question du sens de l’événement tout en mesurant de manière efficace la réponse organique.
Si la notion de traumatisme est si souvent invoquée, c’est qu’elle joue un rôle certain. Sans oublier, que c’est la résonance inconsciente d’un événement qui lui donne une force traumatique, pas sa gravité réelle apparente. Le trauma déclaré n’est jamais le bon, il voile le trauma du passé.
Et le traumatisme n’aboutit à l’apparition d’une maladie que si les défenses mentales n’ont pas joué leur rôle pour des raisons conjoncturelles ou structurelles.
La question fondamentale est alors celle-ci : “devant une situation conflictuelle analogue, pourquoi l’un réagira-t-il par une névrose, un autre par une conversion hystérique, un troisième par une maladie organique, le quatrième conservant santé mentale et physique ” ?
Les psychosomaticiens s’interrogent donc sur les relations entre la qualité et la richesse de l’activité psychique d’un être humain, la qualité et la vigueur de ses défenses immunitaires. Sur l’éventail des somatisations, qu’elles intéressent les systèmes biologiques et donc le corps organique ou les systèmes symboliques et donc le corps imaginaire.
Quelles sont les 3 voies du fonctionnement de l’être humain ?
L’être humain fonctionne avec des règles économiques précises, plus précises que sur certains marchés financiers. On peut découper artificiellement trois secteurs dans l’économie psychique humaine.
Celui de la Pensée.
Celui de l’Action.
Celui de la Vie somatique.
Ces trois secteurs d’expression sont inégalement représentés en chacun de nous suivant les aléas de l’équipement génétique, du milieu affectif, de l’éducation, dans une société donnée.
Ces trois secteurs sont parties prenantes dans la tentative que fait chaque être humain pour maintenir un équilibre somatique et psychologique face aux événements de la vie. Souvent conjuguées entre elles, deux voies et deux voies seulement s’offrent à nous pour maintenir cet équilibre : la voie de l’activité mentale et la voie de l’activité sensori-motrice. Les anglo-saxons évoquent plus simplement l’adage « to fight or to flight ».
L’activité mentale occupe la majeure partie de nos journées et de nos nuits. Elle travaille à mettre en idées, en images, en représentations, en rêves, les événements externes ou internes et la montée de stress qu’ils déclenchent : sentiments, inhibitions, des émotions, angoisses, conflits internes, peut-être même des symptômes névrotiques. Deux fonctions normales attestent de cette activité mentale : les rêves et les fantasmes
Un exemple type d’élaboration mentale est celui qu’exige le travail de deuil après la disparition d’une personne aimée :
Pour compenser la perte et la douleur qu’inflige la disparition de quelqu’un qu’on aime, un travail psychique s’instaure. Il consiste en une sollicitation mnésique de toutes les situations vécues avec le disparu, de tous les affects éprouvés pour lui, sollicitation forcenée et épuisante constituant un véritable travail. Ce tri progressif des qualités et des défauts du disparu, des bonnes et des mauvaises choses vécues avec lui recompose la personnalité de l’endeuillé.
Les qualités sont intériorisées et deviennent des traits de ressemblance « je fais ca comme mon père, comme ma mère ». Les défauts sont mis à l’écart et permettent la réconciliation interne avec le disparu. L’incorporation des qualités du disparu représente à la fois un enrichissement pour le sujet et un témoignage de reconnaissance apporté au disparu, toujours présent dans l’Ics du sujet .
Une autre voie d’écoulement de l’énergie, la voie comportementale repose sur l’activité sensori-motrice. Le passage à l’acte est un bon moyen de libérer l’appareil psychique de sa tension interne, donc de le préserver du débordement. L’activité sensori-motrice est même supposée libérer la disponibilité à penser comme c’est le cas lorsque nous griffonnons pour réfléchir à un problème, lorsque nous déambulons pour apprendre un texte. Parler, se taire, rire, pleurer, s’agiter, fumer sont des comportements qui entrent dans le cadre des décharges rapides, partielles des sources de stress et qui soulagent la tension.
Il faut cependant distinguer deux niveaux de fonctionnement dans la motricité :
Les activités artistiques, artisanales, certaines activités sportives sont l’aboutissement d’une élaboration mentale préalable, d’un projet intérieur, d’une expression. Elles se rangent dans la catégorie des comportements sublimés.
D’autres activités provoquent une simple décharge musculaire directe de l’excitation en court-circuitant la mentalisation. Il s’agit de « faire quelque chose », de s’épuiser physiquement. Le prototype en est la crise de nerfs.
Trop user des décharges comportementales peut avoir pour effet d’éteindre les excitations et donner lieu à la surcharge de certaines fonctions somatiques ou à des pathologies additives.
La voie motrice, si elle ne s’accompagne pas forcement de somatisations, tant son système de décharge peut s’avérer économiquement efficace, pose problème à plus ou moins long terme. Car le débordement des pulsions sur la motricité peut provoquer des désordres musculosquelettiques.
Le devenir des défoncés est aussi l’usure ligamentaire, osseuse, avec ses conséquences mécaniques, ses échéances chirurgicales et les blessures narcissiques de l’atteinte corporelle. Sans parler des ravages qu’une telle voie d’expression désormais barrée entraîne dans l’économie psychosomatique du patient.
Le besoin d’accomplir un exploit masque souvent d’autres buts, plus discrets qui sont atteints par le moyen de la mise en tension répétitive du corps et des sens et leur retour au calme. Quand on pense à Gérard d’Aboville, « automatisme et répétition » sont des mots bien faibles pour parler d’une activité qui consiste à donner 7000 coups d’aviron par jour sur 10 000 km, soit 17 coups à la minute.
Le comportement, les gestes, l’activité musculaire et ses supports anatomiques sont donc partie prenante dans la gestion de l’excitation.
Lire la suite de cet article le mois prochain…
Nous remercions vivement notre spécialiste, Marie PEZE , psychanalyste et docteur en psychologie, ancien expert judiciaire (2002-2014), est l’initiatrice de la première consultation « Souffrance au travail » au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre en 1996. À la tête du réseau des consultations Souffrance et Travail, ouvert en 2009 le site internet Souffrance et Travail, pour partager son expertise en proposant sa Rubrique mensuelle, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’auteure :
Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles. Responsable de l’ouverture de la première consultation hospitalière « Souffrance et Travail » en 1997, responsable du réseau des 130 consultations créées depuis, responsable pédagogique du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail du CNAM, avec Christophe Dejours. En parallèle, anime un groupe de réflexion pluridisciplinaire autour des enjeux théorico-cliniques, médico-juridiques des pathologies du travail qui diffuse des connaissances sur le travail humain sur le site souffrance-et-travail.com Bibliographie : Le deuxième corps, Marie PEZE, La Dispute, Paris, 2002. Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, Pearson, Paris, 2008, Flammarion, collection champs en 2009 Travailler à armes égales, Pearson, 2010 Je suis debout bien que blessée, Josette Lyon, 2014
AGENDA 2018 :
Les prochaines Conférences à ne pas manquer
avec, notre experte-auteure, Marie PEZE :
1er Semestre 2018 : Cycle de Conférences dans le cadre des Cafés Citoyens Santé Travail
En 2018, ces rencontres continuent autour de sujets tout aussi percutants et proches des préoccupations des citoyennes et citoyens qui connaissent à leur travail des situations de souffrances.
Mercredi 23 mai 2018 : “La souffrance au travail dans la fonction publique : quelles particularités ? Avec Benoît Arvis, avocat spécialiste de la fonction publique.
Mardi 26 juin 2018 : “Devenir un salarié averti pour ne plus souffrir au travail.” Avec Marie Pezé, psychologue, fondatrice du réseau “Souffrance & Travail” (association Diffusion et Connaissance du Travail Humain-DCTH).
Informations pratiques et conditions d’entrée :
Lieu : café/restaurant Le Balbuzard, 54, rue rené Boulanger, 75010 Paris, métro République.
Heure : de 20h à 21h30.
Inscription obligatoire à l’adresse : [email protected]
Un cycle de conférences-débats organisé par l’association Cafés Théma
Et retrouvez à Paris, http://www.managersante.com,
partenaire média Officiel de Paris Healthcare Week
les 29>31 Mai 2018
Approche psychosomatique de la Douleur Chronique : quand le “stress” se décharge sur le corps… (Partie 2/4) Article rédigé par Marie PEZE , Docteur en Psychologie, psychanalyste, expert judiciaire près la Cour d’Appel de Versailles.
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