#c’était moins pire que mercredi largement
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clochardscelestes · 1 year ago
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Vendredi (Reprise).
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cequilaimait · 5 years ago
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PictureS[...] – 2. Photo n°2 – Les deux chocolats froids
« T’es vraiment trop con, Camille ! Oh, pardon, conne ! Pour ce que ça change ! Qu’est-ce que t’es conne, bordel ! Jamais vu une conne pareille ! Pire qu’une nana ! Là, franchement, bravo, si tu cherchais à faire ta transition, c’est réussi ! Quelle conne ! »
Margot n’aimait pas garder sa langue dans sa poche. Ménager les autres ? Très peu pour elle. Encore moins, d’ailleurs, quand il s’agissait de son meilleur ami qui venait lui faire une crise de nerfs injustifiée. Dans ce cas, l’adolescente savait recevoir, et elle ne se privait pas de le faire.
Camille n’avait toujours pas digéré l’incident du lundi. Après une bonne nuit de repos chez Cléo, le lycéen avait laissé passer une journée, pour voir si Margot allait venir lui parler. Il n’en avait rien été. Dès le mercredi, donc, il était arrivé, son sac à dos remplis de reproches et de critiques. « Pourquoi tu me caches des choses ? Deux jours et pas, un mot, tu te fous de moi ? C’est qui ce type ? Je suis sûr qu’il ne te respecte pas ! C’est un salaud ! Et toi, tu fais ça derrière mon dos, t’es vraiment pas mieux ! Tu me délaisses, c’est ça ? Et tu te dis ma meilleure amie ? J’suis triste et déçu, j’pensais pas ça de toi. »
Et cætera, et cætera.
Calmement, Margot avait inspiré un grand coup, en se tenant la main droite de la gauche. La gifle pouvait encore attendre, même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Après tout, c’était Camille, l’adolescente ne pouvait pas faire mine de ne pas connaître le côté possessif à fleur de peau d’un individu qu’elle avait souvent embrassé quand il s’habillait en garçon et souvent conseillé quand il se cherchait une robe ou souhaitait apprendre à se maquiller. Mais là, bordel… rarement il s’était montré aussi abruti ! Après un flot d’insultes non mesuré, les réponses fusèrent au même rythme que les questions. L’aigreur dans la voix de Margot était parfaitement palpable.
« Déjà, fous-toi dans le crâne que je ne suis ni ta sœur, ni ta meuf ! La liberté des femmes, c’est pas que pour celles qui ont des couilles. Ensuite, je n’étais pas censée être au courant que tu m’espionnais ! Et J’ALLAIS t’en parler ! Mais lundi soir, t’es partie comme une furie alors que je te cherchais, et hier, je n’ai pas eu une minute à moi dans la journée et j’avais rendez-vous avec Kenna ! Parce que oui, son prénom, c’est Kenna ! Il est en ES, t’as jamais fait attention à lui, j’suppose. Quand c’est pas ton petit monde à toi, les gens, tu t’en fous bien ! Et comment t’oses le juger alors que tu ne le connais pas ? Quel connard ! Pardon, conasse ! Et pourquoi je m’excuse d’abord ? C’est toi qui m’emmerde ! »
 Les larmes n’étaient pas loin. De la part de n’importe qui d’autres, les critiques et questions déplacées auraient coulé comme de l’eau sur une pierre lisse. Margot n’était pas du genre à accorder de l’attention à l’avis de tierces personnes aigres et méchantes. Mais venant de Camille, c’était insupportable. Le pire, c’était que l’adolescente disait exactement la vérité. Rien de tout cela n’avait été programmé ou préparé. Elle n’était pas vraiment amoureuse. Avant ce lundi où son quotidien calme et plat avait été traversé par une brise rayonnante imprévue, elle n’avait jamais réellement fait attention à Kenna. Enfin, bien sûr, elle le connaissait de vue et avait déjà retenu son prénom, mais elle ne lui avait jamais parlé. Enfin si, une fois, à une soirée en fin d’année précédente. Ils s’étaient croisés autour des chips. Il lui avait servi un verre, affichant son sourire rayonnant, avant de repartir draguer sur la piste de danse. De près, Margot l’avait trouvé plutôt mignon. Mais sa réputation de dragueurs préférant largement se prendre des baffes que de ne rien tenter n’inspirait pas confiance. Elle avait simplement soupiré et l’avait chassé de son esprit pour l’été.
La réciproque n’avait semble-t-il pas été vraie. Pendant toutes les vacances, de retour dans les montagnes de ses ancêtres en Algérie, l’adolescent kabyle avait pensé à cette étrange fille aux cheveux bouclés et lunettes sur le nez qu’il avait croisé ce soir-là. Elle lui avait semblé différente de ses conquêtes habituelles. Quelque chose de plus mature et adulte, comme si elle était habituée depuis toute petite à porter sur ses épaules le poids du monde, où tout d’une moins d’une partie proche d’elle.
Oui, Kenna était un dragueur, et il n’avait aucun problème à le reconnaître. Avec sa peau mate qui sentait bon la méditerranée, son sourire rieur qui creusait les facettes de son visage triangulaire d’une adorable manière et ses yeux marrons en formes d’amandes, il n’avait aucun mal à faire craquer les filles. Son seul défaut, à son goût, était un nez un poil marqué, mais seul lui semblait le remarquer. Malgré tout, s’il n’avait pu compter que sur son apparence, Kenna se serait pris bien des râteaux. Il détestait les filles superficielles, et pour chasser sur le terrain de celles qui avaient quelque chose dans le crâne, il se devait d’avoir du charme et de la personnalité. La sienne était éblouissante. Apprécié de tous ses camarades, il était rieur, diplomate et toujours de bonne humeur. Il assumait ses origines et son histoire, tout en parlant toujours de son futur, proche ou lointain. Car pour organiser des sorties, allant du road trip à Paris pour s’éclater à Disneyland au simple pique-nique dans son jardin, il était toujours d’attaque. Quand ses camarades le voyaient débarquer tout sourire avec ses bracelets de perles au poignet droit et son pull ras du corp blanc et bleu ou chaque grain semblait juxtaposé aléatoirement au suivant à la mode pointilliste, ils savaient que c’était pour les embarquer dans de folles aventures. C’était à lui que sa classe devait son surnom de « meilleure ES de Voltaire depuis dix générations », et elle était fier de ce sobriquet accordé par les professeurs.
Même ses cheveux noirs et brillants avaient un petit quelque chose que ceux des autres n’avaient pas. Sa manière de les coiffer influait sur son comportement du moment. Court et en brosse ? Il était prêt à rigoler et à passer un bon moment. Lisse et tombant en plusieurs mèches stylées sur le front ? Voilà que débarquait le bon ami, calme et posé, toujours à l’écoute. Rasés sur le côté et coiffés en l’air avec de la laque ? Si en plus il sortait sa chemise bleu ciel préférée et son écharpe en laine, alors le bourreau des cœurs qu’il était sonnait l’ouverture de la chasse. Mais comment lui résister ? Enfin, quand il ne prenait même pas le temps de les arranger et qu’ils pétardaient sur son crâne, ce qui allait bien avec ses t-shirts amples et colorés et ses lunettes de soleil, cela signifiait simplement qu’il était heureux et qu’il laissait son charme opérer naturellement. Là, de mignon, il devenait carrément beau. Mais il fallait pouvoir le fréquenter le week-end pour avoir la chance de l’observer ainsi.
  Que Camille ose traiter Kenna de salaud sans même le connaître était une réaction suffisamment puérile pour que Margot sorte de ses gongs. Elle connaissait sa réputation. Elle était au courant des risques, à savoir qu’il la délaisserait sans doute pour une autre quand il se serait lassé, incapable de chasser son naturel. Et alors ? En quoi était-ce un problème ? Elle n’était pas amoureuse et n’était certainement pas une fille crétine et décérébrée qui se faisait des illusions. Elle avait simplement été charmée, quand, la semaine précédente, il l’avait abordé de manière un peu gauche avec son roman préféré à la main. Un vieux livre de poche écorné qu’il avait lu et relu – encore une fois pendant les vacances –, signé d’un italien et publié au tout début des années quatre-vingt. Un policier médiéval qui nous faisait suivre les aventures d’un certain Guillaume de Baskerville. Rien à voir avec le chien, ici, il était plutôt question de fleurs. Kenna pensait que l’ouvrage lui plairait et voulait le lui prêter, car il s’était souvenu, lors de la fameuse soirée où ils s’étaient rencontrés, que l’adolescente s’était glissé une rose dans les cheveux. Quand bien même la rose en question n’était présente que dans le titre et n’avait aucune incidence sur l’histoire. Étonnée par cette méthode de drague bien peu classique, Margot avait dévoré l’ouvrage pendant le week-end, afin de pouvoir le rendre à Kenna le lundi, et en parler avec lui. À l’abris du bruit et des autres, après les mots, ce fut autre chose que leurs lèvres s’étaient échangé. Kenna n’avait pas hésité. Margot s’était laissé faire. Elle avait adoré se faire draguer de manière aussi poétique et intellectuelle. Et merde, il lui plaisait. Donc oui, ils s’étaient embrassés et avaient commencé à flirter sagement. Et c’était tout. Pour le moment. Elle insista d’ailleurs fortement sur ce point. Si elle avait le temps de profiter d’un bon coup de tonnerre avant que l’ondée ne passe, elle ne s’en priverait pas. Elle était une femme, et ne détestait pas ça. Euphémisme.
Finalement, Camille ne reçut pas sa gifle promise. Le flot de paroles de sa meilleure amie l’avait laissé muet. Il n’avait même plus de raison de se plaindre : s’il lui reprochait de ne rien lui avoir dit, le tort était réparé, et il se sentait con. Ou conne. Pour ce que ça changeait…
Piteux, il s’en alla comme il était venu et s’installa sur les marches de la cour pour bouder. Depuis qu’un certain blond qui avait réservé le spot pour cette activité s’en était allé poursuivre ses études ailleurs, la place était libre. Pour justifier son mauvais tempérament, le lycéen argua à ses camarades qui passaient pas là qu’il ne pouvait pas laisser l’endroit se rafraîchir. Mais qu’il fallait le laisser tranquille, maintenant. Il ne voulait pas forcément que d’autres voient son rimmel couler. Quelle idée de merde aussi, il avait eu de s’en foutre une grosse couche pour contrebalancer son t-shirt et son jean unisexe, comme pour marquer quelque chose que tout le monde avait déjà bien compris. Une jupe aurait été moins vulgaire, pensa-t-il à haute voix en observant son visage défiguré dans son miroir de poche. Par manque de chance, ses paroles furent captées par un garçon qui trainait là avec sa bande, ce qui provoqua une moquerie particulièrement lourde et déplacée, au moins autant que les rires qui l’accompagnèrent :
« La prochaine fois, plutôt que sur ta tronche, tu te le foutras dans le cul ton maquillage ! »
Depuis la dernière échauffourée, particulièrement aigre d’avoir été sermonné par le CPE à cause de la « folle » du lycée, Alec se sentait nerveux. Il grimaçait, râlait et ne tenait pas en place. Il avait le sentiment d’avoir été traité injustement, ce qui lui déplaisait. Et la seule manière de corriger cet état de fait intolérable était de rééquilibrer un peu la balance. S’il s’était fait allumer à cause de Camille, alors Camille devait en chier encore plus en conséquence. Logique implacable. Et pour ce faire, les insultes pouvaient bien fuser, surtout les plus gratuites. Tant qu’il n’y avait pas de témoin, cela ne gênait personne ! Et vu que la victime désignée de cet acharnement avait fait le vide autour d’elle...
Seule la cloche qui sonnait la reprise des cours évita à Camille de se casser un ongle en égorgeant directement avec ses doigts l’abruti de service. Mais le problème n’était pas tant de se faire emmerder – le lycéen aux yeux bleu de minuit avait l’habitude de cela depuis bien longtemps – que de subir ces brimades immatures au quotidien. L’effet de répétition avait un petit quelque chose d’usant. Et cela, Alec l’avait bien compris. Plutôt que d’aller au clash, il cherchait à provoquer la faute. Toute la semaine et la suivante, dès qu’il le put, il en rajouta une couche, toujours pour « faire rire » ses potes. Des blagues, des critiques, le tout en présence du concerné, sans forcément s’adresser directement à lui.
Qu’est-ce que Camille détestait ce mec à l’air pataud. Tout chez lui l’insupportait. Depuis toujours, déjà quand gamin il leur tournait autour, à lui et sa sœur. Son visage commun mal proportionné ; ses cheveux châtains mi-longs mal lavés qui frisaient quand il ne les coiffait pas et dont une mèche lui tombait sur le front et l’œil droit ; ses lèvres proéminentes ; sa manie de porter des débardeurs noirs et blancs même au début de l’automne ; ses pantalons troués au niveau des genoux à l’aide d’une paire de ciseaux ; et surtout cette atroce boucle d’oreille ronde qui lui faisait un trou dans le lobe, à la manière des petites frappes à la mords-moi-le-nœuds qui pensaient encore que cela avait du style et faisait rebelle que d’adopter les codes d’une mode stylisées qu’ils ne comprenaient même pas.
Alec, dans son genre, était atrocement commun. Sans sa nervosité qui le rendait physiquement dangereux et parfois violent, et sans sa méchanceté gratuite et naturelle, il l’aurait été. Le pire, c’était de voir qu’il était autant apprécié de ses potes, dont tous n’étaient pas forcément cons ou stupides. Cela semblait entendre qu’il avait aussi des côtés positifs, chose que Camille se sentait bien incapable de percevoir. Ce qu’il expliqua en boucle au téléphone à Cléo les mercredi, jeudi et vendredi soir.
Forcément, avec ses études, son amoureux ne pouvait pas lui accorder autant de temps que nécessaire, ce qui tranchait avec l’année précédente, où ils étaient inséparables. Le contact manquait atrocement. Là, il n’y avait qu’une poignée de kilomètre entre eux, mais un monde de différence entre leurs quotidiens. L’un était un étudiant concentré sur son avenir et son travail, qui vivait de manière indépendante comme un adulte dans un appartement avec des semblables, le tout en bénéficiant du soutien d’une bourse d’études non négligeable et de celui d’un oncle qui souhaitait la réussite de son neveu, même s’il n’en avait jamais été affectivement proche. L’autre était un simple lycéen qui, s’enfermant chez lui en jupette le soir, passait son temps à se faire chier à se lamenter dans sa solitude. Ils n’appartenaient pas au même univers. Camille se sentait inférieur et infantilisé par la force des choses. Cléo n’était pas responsable de cette situation. Il faisait au mieux. Mais quand le mieux se résumer à quinze minutes au téléphone, c’était insuffisant pour combler le vide et soigner les fêlures.
Cette tristesse environnante eut vite fait de pourrir l’ambiance à la maison, au désarroi de Jean-Marc. L’adulte avait déjà le sentiment d’avoir échoué en tant qu’époux et père. Les départs de sa femme et de sa fille en étaient la preuve absolue. Ne lui restait plus que Camille comme trésor. Un trésor sensible et compliqué à gérer au quotidien. Il leur avait fallu du temps à tous les deux. Puis finalement, les choses s’étaient arrangées pour le mieux, grâce aux bonnes fréquentations de l’adolescent. Pour cela, Jean-Marc avait de l’estime pour la fameuse bande, à commencer pour ce fameux Cléo qu’il n’avait pas beaucoup vu et dont il avait beaucoup entendu parler « en mal » au début avant qu’il ne devienne comme par magie le garçon le plus merveilleux sur terre. Avant de redevenir un sombre connard quand il raccrochait trop tôt.
Ne supportant plus cette ambiance lourde qui n’avait que trop pesé ces dix derniers jours, Jean-Marc imposa à Camille une sortie en famille le samedi. L’automne était déjà-là, il fallait profiter des derniers beaux jours de l’année avant le retour de la grisaille pour une petite promenade « père-fille » à la campagne. Une marche de plusieurs kilomètres à travers champs et bois qui ferait le plus grand bien à tout le monde. L’adolescent n’eut pas le choix, et ne protesta même pas. De une, cela lui permettrait de porter son mini-short en jean une dernière fois avant la toussaint. Il ne s’était tout de même pas épilé les jambes à la cire, hurlant de douleur à chaque bande arrachée, pour rien. De deux, Cléo n’était de toute manière pas disponible avant le dimanche après-midi, faisant passer ses trop nombreux devoirs en priorité avant son couple.
La discussion eut bien du mal à se lancer. Jean-Marc ne savait pas comment crever l’abcès et demander à son fils pourtant si chaleureux et dynamique quand tout allait bien ce qui, justement, n’allait pas. L’adolescent, lui, n’avait pas particulièrement envie de parler. Il n’avait même pas conscience que cette promenade n’était qu’un prétexte. Pourtant, ce fut bien lui qui amena un sujet qui lui tenait à cœur et qui avait tout à voir avec son état du moment, juste après le pique-nique, alors que leur petit périple les avait menés au bord d’un lac. Les fesses dans l’herbes et les orteils dans l’eau, une larme coula sur sa joue et accompagna ses parôles.
« Tu penses que Max me conseillerait quoi ?  J’veux dire, je vais bientôt avoir dix-sept ans. Je ne peux pas rester un garçon toute ma vie… Enfin, pas comme ça. Est-ce que tu crois qu’elle penserait que je dois transitionner ? Prendre des médocs et tout ? J’en ai ma claque d’être considéré comme le travelo de service quand je m’habille ou me maquille. Et toi, aussi, t’en penserais quoi ? Que ton fils change comme ça, de manière définitive ? »
Rares avaient été les fois où Camille s’était autorisé à parler aussi librement avec son père de cette question qui, pourtant, le taraudait depuis longtemps. Avec les témoignages disponibles sur internet, il avait eu accès à plus d’informations que nécessaire à la vue de son jeune âge. Plus que de le rassurer, cela n’avait fait que l’angoisser encore plus. Il y avait quelque chose de tabou là-dedans. Il avait reçu la bénédiction paternelle pour habiller son corps androgyne comme il le souhaitait et pour se comporter de la manière qui lui semblait le plus agréable et naturelle. Même si pour cela, il devait multiplier les aller-retours entre deux sexes. Mais là, c’était différent. Comment faire la part des choses entre ce qui pouvait relever des simples tourments de l’adolescence et de douleurs plus profondes ? Jean-Marc resta sans voix. Bien sûr, il savait que Camille était tiraillé par ce genre de questions. Mais de là à trouver les mots… À vrai dire, lui-même ne savait pas. Une partie de lui avait envie de murmurer tendrement « Je te soutiendrais quoi que tu fasses », une autre avait envie de hurler « Non, tu es trop jeune, ne fais pas ça… ». Les deux étaient aussi aimantes, ce qui ne lui facilitait pas la tâche. Alors, plutôt que de répondre à la deuxième question, celle qui lui était directement adressées, l’adulte tenta de répondre à la première, avec le plus de sincérité possible.
« Je crois que Maxime t’aurait encouragée. C’était dans son tempérament. Quand vous étiez petits, elle ne supportait pas qu’on t’embête. Qu’elle soit la cible, cela ne lui posait aucun problème, mais toi, elle s’énervait tout de suite. Je crois qu’au primaire, dans une petite classe, elle avait parlé de toi dans un devoir. On doit encore l’avoir dans un carton. Je te montrerais en rentrant. Je ne pense pas qu’elle aurait changé d’avis avec le temps… »
Surpris, Camille écarquilla les yeux, avant de se les frotter et de sourire. Il pensait que son père, voulant faire table rase d’un passé qui le rendait fou, avait presque tout jeté. Son cœur, semblait-il, en avait été incapable. C’était rassurante. Même si, forcément, ouvrir cette boite aux souvenirs ne pouvait que déclencher une crise de larmes.
Le soir, le lycéen hésita un moment. Cela faisait des années qu’il n’avait pas observé l’écriture de sa sœur. Il avait peur. Après plusieurs minutes à tourner entre le jardin et sa chambre, il s’enferma enfin dans la cuisine et se mit à fouiller dans les affaires que son père venait de sortir du fond d’une armoire. Plusieurs choses l’émurent. D’autres lui piquèrent la gorge. Enfin, il tomba sur l’essai en question. Une interrogation sur l’impératif. Le devoir en question ne lui disait rien. Il l’avait depuis longtemps oublié. Outre des phrases à trou à compléter, la maitresse avait laissé un espace blanc de cinq lignes, avec une petite consigne assez simple. « Vous devez ordonner à un de vos proche quelque chose qui vous tient à cœur. Utilisez la forme impérative ». Prenant la consigne à la lettre, Maxime s’était adressée directement à son frère :
« Coucou Camille ! Mon frère adoré ! Voilà mon ordre : sois-toi-même ! Je t’aime ! Même quand tu es énervant et que tu te comportes comme une fille, pire que moi ! Si t’as envie de te comporter comme une fille, ne laisse personne t’embêter. Sinon… POING SUR LE PIF ! »
La double utilisation de l’impératif avait valu à l’écolière de récupérer tous les points. Alors que la feuille portait déjà des marques d’émotion – sans aucun doute celle de Jean-Marc –, Camille mouilla à son tour le papier jaunit de ses larmes. « Idiote » fut le premier mot qui sortit de sa gorge, avant plusieurs autres… « J’aimerais t’y voir, moi… C’est pas si simple de briser des nez, quand on est lycéen… »
Cette nuit, Camille dormit assez mal. Plutôt que de l’apaiser, cette réponse l’avait rendu anxieux. Déjà, il en voulait un peu à son père de lui avoir caché l’existence de ce petit mot. Il en aurait sans doute eu besoin plus tôt, mais il ne pouvait pas blâmer son géniteur qui avait sans doute eu ses raisons. Ensuite, cela ne l’aidait pas beaucoup. Pire, cela avait eu l’effet inverse à celui désiré, en créant le trouble dans sa tête d’adolescent. Difficile de savoir quoi faire…
Le lendemain, après une grasse matinée et un repas léger composée d’une salade « tomate-moza » agrémentée de basilic frais du jardin et de vinaigre balsamique puis d’un yaourt à la confiture, Camille s’envola pour rejoindre Cléo. Ils avaient rendez-vous dans le vieux Lyon, pour trainer un peu.
Les traits tirés mais le visage plutôt calme et souriant, le préparationnaire accueillit sa petite amie – de loin, la robe longue et la coiffure de Camille ne laissaient aucun doute à ce sujet – par une étreinte et un baiser. Il était claqué, n’avait dormi que quatre heures cette nuit-là, mais avait enfin réussi à rattraper son retard et boucler son taf ! S’il avait tenu, c’était en grande partie grâce à l’aide de ses deux adorables colocataires qui, outre le fait de bosser autant que lui – ce qui mettait dans l’ambiance – avaient conjugué leurs efforts pour lui servir un cocktail bien dynamique, conçu avec les fond de jus de fruit de l’un et bouteilles d’alcool de l’autre. Cléo en ressentait encore la brulure au fond du gosier, mais cela eut le mérite de le garder éveillé. Et du coup, il avait toute l’après-midi de libre devant lui, avant de devoir quand-même retourner bosser sur les coups de vingt-et-une heure afin de préparer la prochaine khôlle. À moitié satisfait – quelques heures, c’est bien, la nuit, c’eut été mieux –, Camille grogna, avant de se jeter tête la première dans les rues à la recherche d’un petit musée inconnu à visiter ou d’un coin sympa où se poser. Un peu éteint, Cléo le suivit avec son appareil photo, qui lui servit à mitrailler autant les lieux que son sujet préféré, qu’il adorait capturer sous toutes les coutures possibles. Un peu gêné, Camille lui demanda de ralentir la cadence. Cela faisait étrange, et même les touristes japonais paumés en plein milieu de la région du Rhône commençaient à se poser des questions. Ce dont Cléo, peut-être encore un peu sous l’influence du cocktail qui l’avait tenu éveillé, n’avait rien à faire. Au contraire, même, vu qu’il insista pour prendre une photo de Camille au milieu du groupe de visiteurs, qui posèrent de manière disciplinée, s’imaginant sans doute qu’il s’agissait là d’une coutume locale fort pittoresque. Du coup, ils laissèrent aussi leur e-mail, afin de recevoir sur leur téléphone le fameux cliché qu’ils s’empresseraient de montrer à leurs amis une fois de retour au pays.
Finalement, l’après-midi se serait sans doute mieux passée si une averse non prévue par la météo n’avait pas pointé le bout de son nez. Forcés de se réfugier dans le premier café venu afin de rester au sec, les deux adolescents discutèrent autour d’un chocolat chaud. Suffisamment agréable et lacté pour que Camille se réchauffe, mais pas assez pour que Cléo émerge totalement. Foutu Fabien qui avait sans doute foutu de drôles de choses dans sa boisson merveilleuse. Cela ne faisait pas forcément rire Camille. Non heureux de ne pas voir son mec autant qu’il le voulait, il fallait en prime que celui-ci ait la tronche d’un zombi mal rasé. Ce qui, pour un Cléo toujours plus soigneux de son apparence était particulièrement rare, pour ne pas dire exceptionnel. Ce dernier ne moufta même pas devant la critique et ne se donna même pas la peine de signaler qu’avec sa peau, le tout ressemblait plus à du duvet de merde qu’à de la barbe. Prenant tendrement la main qui s’agitait devant lui, il préféra lui couper la parole.
« Bon alors, ça se passe comment au lycée ? Tu ne t’ennuies pas trop sans la bande ? »
S’il y avait bien une question stupide qu’il ne fallait pas poser, c’était bien celle-là. Déjà parce que Camille avait passé son temps à y répondre par téléphone. Son mec aurait pu se montrer plus attentif, ça aurait moins fait « j’en ai rien à foutre de ce que tu racontes, je bosse », qui semblait être sa nouvelle attitude habituelle. Ensuite parce que justement, cela se passait plutôt mal. Enfin, parce que lancer Camille sur le sujet n’était pas forcément l’idée du siècle. Toute la frustration accumulée ces derniers jours sortit d’un seul coup. Le pauvre Cléo, les yeux toujours dans le vide, la prit dans la figure au nom de tous les autres. Margot et son mec, Alec et sa bande, même Maxime et son petit mot qui n’avait fait que rajouter de la confusion à un bordel déjà assez profond. Bordel qui finit naturellement sur la table, en une toute petite question pas si innocente que ça, lâchée brusquement.
« Si je prenais des hormones, que je décidais de transitionner, tu m’aimerais toujours ? Je veux dire, si j’étais vraiment ta petite copine, tu n’aurais plus à te justifier devant tes colocs et les autres… »
Ce qui ressemblait à un reproche tenait bien plus d’une simple inquiétude d’une pauvre créature ayant besoin d’être rassurée. Dans son état second, Cléo eut pourtant bien du mal à l’interpréter de la sorte. Que Camille « change », cela ne lui posait pas vraiment de problème, même si, de son propre aveu, il y avait des choses qu’il aimait beaucoup telles quelles. En fait, c’était plutôt qu’il ne voyait pas forcément de raisons immédiates de se lancer dans ce type de démarche. Ou en tout cas, ni besoin, ni urgence. Du coup, que Camille imagine que la situation lui pesait et qu’il devait changer à cause de lui pour rendre son quotidien plus facile, il en était hors de question. Et ça, il devait le lui dire fermement, sans mâcher ses mots.
« Je t’aime comme tu es, moi… »
Ce n’était malheureusement pas la réponse que Camille attendait. Au contraire, même. L’adolescent aux yeux bleus ne désirait qu’un seul petit « oui » pour se sentir bien. « Oui, je t’aimerai toujours ». Simplement ça, un simple « oui » que son abruti de petit ami semblait incapable de prononcer, et pas cette réponse à la con qui laissait entendre que peut-être que non…
Sans voix devant deux tasses vidées de leur chocolat, Cléo mit plusieurs secondes avant de comprendre le sens de la gifle qu’il venait de recevoir. La fuite de Camille, en larmes, qui s’était levé et avait tourné le dos en criant « De toute manière, je le ferais avec ou sans ton assentiment, connard ! », l’avait aidé. Devant les autres tablées médusées, il se prit la tête entre les mains avant de gémir, dents serrées, un « putain, quel con ! » que lui seul semblait comprendre.
Sur le chemin du retour, Camille ne fit même pas attention aux gens qui le regardait. Tout juste insulta-t-il joyeusement une vieille bourgeoise qui grimaçait à son passage au lieu de ramasser les déjections de son chien. Le reste, le lycéen n’en avait plus grand-chose à battre. Sa colère chaude à destination de Cléo avait laissé sa place à une plus froide, contre lui-même. Sa réaction avait sans doute été un poil disproportionnée. Ce qu’il avait dit sur le coup de l’émotion aussi. Il s’en voulait, mais sa fierté l’empêchait de s’excuser autrement que par un simple SMS, dont le réel objet fut d’ailleurs de quémander un peu de tendresse, ce qui avait trop manqué ces derniers temps et ce que Cléo s’empressa de lui promettre en lui accordant une nuit entière lors de leur prochaine rencontre, même s’il croulait sous le boulot.
Cela suffit à Camille pour retrouver un semblant de sourire jusqu’au diner. Pourtant, lorsque vint l’heure du coucher, toutes ses mauvaises pensées lui revinrent à l’esprit. Comment ne pas douter, de lui, de Cléo et de ses propres choix ? Nu devant la glace de son armoire, il ressassa encore et encore les mêmes idées. Ceux qui l’emmerdaient au lycée, ses disputes avec Margot et Cléo, sa solitude depuis que ses meilleurs amis étaient partis, le devoir de Maxime qui lui avait retourné les entrailles, ces foutues questions dont il ne connaissait pas encore les réponses, et ce corps, qu’il ne pouvait s’empêcher d’observer et de caresser. Il se haïssait pour ça. Ses lèvres douces sur lesquelles il passa le bout de ses doigts aux ongles taillés en amande ; ses yeux qui coulaient encore, comme s’il s’agissait de leur état normal ; son cou qu’il serra avec poigne comme pour se punir d’exister ; cette poitrine qu’il détestait plus que tout et qu’il jugeait coupable d’une partie de son malheur ; son ventre féminin qui était digne d’une top-model et lui permettait de mettre des hauts courts et d’afficher à la vue de tous son nombril ovale et son absence totale de graisse ; ses fesses fermes et rebondies que son petit ami disait adorer ; ses cuisses, enfin, dépouillées de toutes pilosités, qui lui semblaient si accueillante quand il les fermait et si grossière lorsqu’il laissait s’échapper ce symbole honni de virilité, que pourtant il ne pouvait s’empêcher de toucher et de sentir se durcir dans sa paume au rythme des vas et vient de son poignet. Il haïssait tout, le meilleur comme le pire, caractérisé ce soir-là par un relâchement soudain et explosif qui vint tapisser le miroir, alors qu’il s’appuyait de sa main libre contre lui en gémissant et pleurant à s’en arracher les poumons. Observant cette viscosité blanchâtre qui émanait de lui et qui recouvrait le reflet de son image, il hurla et cogna de toutes ses forces sur la glace, suffisamment pour la fendre.
À genoux, les poings posés sur le sol, en larmes dans son plus simple appareil devant son armoire, Camille n’entendit même pas son père entrer en trombe dans sa chambre, alerté par le bruit et les cris. Il ne fit même pas attention à lui lorsque ce dernier s’approcha pour recouvrir son dos d’un linge en le serrant dans ses bras, lui murmurant à l’oreille les mêmes mots que ceux qu’il lui chuchotait enfant pour le rassurer après un cauchemar. L’adolescent était ailleurs. Dans un monde où il se sentait trop merdique pour exister.
Quand enfin il réalisa la présence de son père, il se jeta dans ses bras et pleura de plus belle, en gémissant la cause profonde de son malheur à cet homme dépassé qui ne savait pas quoi répondre.
« Mais pourquoi j’ai dit ça à Cléo ? Pourquoi ? »
*****
Extrait de l’album photo de Cléo
Emplacement n°2
Nom de la photo : « Les deux chocolats froids »
Effet : couleur – Filtre bleu
Lieu : dans un café du vieux Lyon
Date : un dimanche d’octobre
Composition : deux chocolats, que nous venions de boire, Camille et moi. Symbole d’un moment joyeux et agréable tout autant que d’une déchirure. Les tasses vides et froides ne doivent pas nous faire oublier leur chaleur et plénitude originelle. À l’image de notre couple et de mon amour pour lui. Pour elle.
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