Petites oiselles de mauvais augure ou l'amour et la violence de Procné et Philomèle
Atelier corps genre art – EFFiGiE
Réponse à l'appel à projets pour l'exposition « L'Amour et la Violence »
Proposition de performance
Caroline Dejoie
PROTOCOLE :
J'aimerais proposer une tentative de réappropriation du mythe de Procné et Philomèle, librement inspirée de la version issue des Métamorphoses d'Ovide. L'amour sororal et la récupération de la violence s'y font outils de sortie de la condition féminine riquiqui et étouffante, pour transitionner vers un devenir-autre chose : volatiles mutantes, ogresses queer hybrides et animalEs plurielles à mille têtes, misandres, perverses et plus que jamais, puissantes.
Le texte est enregistré et monté au préalable par moi. Il est diffusé dans l'espace d'exposition.
Nous sommes deux femmes sur scène. Nues et debout. Nous appliquons minutieusement du miel et des plumes sur le corps de l'une et l'autre pendant toute la durée de l'enregistrement (environ 15 minutes), afin de muter en oiselles hybrides / ogresses siamoises à plumes / sirènes volantes / harpies vengeresses, etc.
Ma partenaire sera mon amie Patrycja Toczec.
NB : Le texte est susceptible d'être légèrement modifié pendant la phase de travail.
Matériel : plumes, miel, dispositif de diffusion sonore, lumières (à définir).
TEXTE :
TW : Viol, violences mysogines, infanticide, cannibalisme.
« Je suis Procné. Ma soeur Philomèle, est une survivante. Elle a survécu au viol. C'est mon mari, Térée, qui l'a violée. Ça aurait pu être n'importe quel autre mari, n'importe quel autre mec, n'importe quel autre homme de n'importe quelle autre histoire. À la place de Philomèle, ça aurait pu être moi, ou toi, ou elle, ou n'importe laquelle d'entre nous. Car c'est nous contre eux, moi et ma sœur contre Térée, nous toustes contre nos violeurs.
J'ai été mariée à Térée sans le connaître, dans les mythes antiques ça se fait beaucoup. Il était roi de quelque chose mais ça n'a pas d'importance, ce n'est pas son histoire. C'est celle de Philomèle et la mienne. Je vivais avec Térée loin de ma famille. Mais Philomèle me manquait tant que j'ai demandé à mon mari d'aller la chercher pour qu'elle vienne vivre avec nous. Il a accepté, il ne la connaissait pas, ne l'avait jamais vue. Alors il est allé la chercher chez mon père. Et là, l'histoire raconte qu'elle était tellement belle qu'il n'a pas pu résister à ses charmes, et donc il l'a violée. Voilà ce que l'histoire raconte. Moi ce que je raconte c'est que ce genre d'histoires poussent les hommes cis hétéros à penser que le physique des femmes* justifie qu'ils les violent. Voire qu'ils les tuent. Et que ce sont eux les victimes dans l'histoire, piégés par les méchantes femmes fatales.
La suite de l'histoire est assez révélatrice de comment se passent les choses dans la mythologie comme dans la vraie vie, pour celles d'entre nous qui survivent au viol. On nous empêche de parler. Térée a coupé la langue de Philomèle. On peut difficilement faire plus littérale comme métaphore. Ensuite il l'a enfermée dans une putain de bergerie, il a ordonné à son garde de l'y garder pour toute la vie, et il est rentré à la maison où je l'attendais avec un
gigot d'agneau et ses pantoufles, et il m'a dit, tout peneau, qu'il était trop déso mais que ma sœur n'avait pas survécu au voyage.
J'ai beaucoup beaucoup beaucoup pleuré. J'ai continué à faire des gigots d'agneaux et à aligner les pantoufles près du canapé, j'ai laissé mon mari me faire un enfant : on l'a appelé Itys. Mais je n'étais plus complètement vivante. En réalité, j'étais à moitié morte. J'avais le cœur brisé. J'avais perdu ma sœur.
Un jour, ma servante m'a amenée une tapisserie en secret. Je l'ai étendue au sol. Et là... toute l'histoire y était racontée. Philomèle, dans sa bergerie, avait brodé toute la vérité et me l'avait faite parvenir. Je comprenais. Je reprenais vie. Un feu s'était allumé en moi, m'avait sortie de ma torpeur : c'était de la colère, c'était de la rage, des sentiments que je ne m'étais jamais autorisée à ressentir auparavant.
Le lendemain c'était les fêtes de Dyonisos. J'ai semé Térée. J'ai retrouvé ma sœur. J'ai libéré Philomèle. Une fois réunies, nous étions enfin capables de voir la vérité : Térée ce chien de la casse ne méritait que le pire. Sur le chemin du retour vers lui, nous avons relu Valérie Solanas, écouté Virginie Despentes dans Les Couilles sur la Table nous dire que tant que les mecs n'auront pas peur de se faire taillader la bite à coups de cutter, ils continueront tout simplement de nous violer. On a acquiescé, calmement. Et puis on a fait un brainstorming pour mettre au point notre vengeance. Le problème n'était pas Térée, mais le système tout entier, cela dit on avait quand même vachement envie de le faire souffrir. J'ai repensé à Chloé Delaume qui parle dans ses livres de « la bonne mère de famille, blanche, bien assignée, qui d'un seul coup peut utiliser le mixeur à d'autres fins que de nourrir la famille ; voire même elle peut s'en nourrir. ». J'avais trop envie d'être ce genre de femme. En fait j'avais carrément envie de cesser d'être une femme parce que la définition qu'on m'en avait donné était trop étriquée pour contenir toute la rage, toute l'énergie et la violence que je sentais bouillir en moi. Je réévaluais mes modèles de féminité, et tout en haut de ma liste de femmes* inspirantes, je plaçais ma sœur Philomèle, que le mutisme, la colère et des années de séquestration avec des moutons, avaient transformée en une créature puissante et terrifiante. Un feu brûlait dans sa poitrine, dans ses bras ses jambes et son ventre, c'était électrique, elle avait soif du sang des agresseurs,
et c'était communicatif.
Je crois que c'est ça l'amour. Aimer quelqu'une si fort qu'elle fait surgir des contrés inexplorées de notre être. Se sentir transformée. La rage et la violence, je les ai probablement toujours eu en moi, et Philomèle aussi. On avait simplement été dressées pour l'oublier. Ça s'appelle l'hétérosexualité. L'amour de ma sœur m'a permis de gratter le vernis qu'on m'avait
appliqué, de découvrir tout ça et de me faire sortir de la case riquiqui de la féminité dans laquelle j'étouffais.
Alors nous n'étions plus qu'une, ogresse hybride à double tête partageant une parole unique. Nous étions plus que deux, les voix de celles qui inspiraient notre vengeance à venir se mêlaient à nos corps désormais pluriels. Monstrueuses et pailletées, nous avancions sûres de nous, en excès de vitesse sur la nationale qui nous ramenait à ce violeur de Térée.
Une fois à la maison, nous avons tué Itys, mon fils. Dans le système hétéro, n'oublions pas que les enfants sont aussi l'instrument de la domination des femmes, et ce gosse avait tout l'air d'être parti pour devenir la copie conforme de son père, un homme cis het blanc bourgeois qui me prenait pour sa bonniche et envisageait une école de commerce après le bac. On ne s’émouvra donc pas de sa mort.
Térée avait passé une mauvaise journée aux fêtes de Dionysos. Et comme je n'étais pas là, il avait cherché ses pantoufles toute la soirée. Quand il me vit, il m'envoya fissa lui préparer un gigot d'agneau. Alors, seules dans la cuisine, Philomèle et moi avons cuisiné le fils pour le servir au père. Une fois qu'il eut fini de dîner, Térée demanda où était Itys, et je répondis, tandis que Philomèle surgit derrière mon épaule et fit rouler la tête du garçon jusqu'aux pieds de mon mari :
« Ton fils est avec toi »
Philomèle et moi aurions dû mourir ce soir là. Mon mari aurait dû nous tuer. Mais ce ne fut pas le cas. Pour une fois, le mari floué ne tua pas son épouse et sa belle sœur. Pas de double féminicide dans cette histoire. Car nous n'étions déjà plus des femmes. L'amour et la violence que nous avions trouvé en nous, nous avaient transformées en quelque chose d'autre. Quelque chose de bien supérieur à Térée, de bien supérieur aux hommes. Nous prîmes la forme d'oiseaux – moi rossignol, elle hirondelle. Petites oiselles mutantes de mauvais augure, sirènes siamoises d'un autre temps, hyènes infanticides et hystériques, sœurs perverses, violentes, et misandres, ensemble nous avions fait exploser la cage de la féminité dans laquelle nous avions été élevées.
Nous avions muté, abandonné la condition de femmes dorénavant incompatible avec nos ailes.
Redirige ton amour vers tes sœurs. Récupère la violence qu'on t'a confisqué.
Alors nous volerons. »
REFERENCES, CITATIONS ET INSPIRATIONS
Bibliographie indicative :
CAEYMAEX Florence, DESPRET Vinciane, PIERON Julien (textes réunis et rassemblés par), Habiter le trouble avec Donna Haraway, Dehors, 2019.
CREISSELS Anne, Prêter son corps au mythe. Le féminin et l'art contemporain, Félin, 2009.
DELAUME Chloé, Les Moufflettes d'Atropos, Seuil, 2000.
DELAUME Chloé, Mes bien chères sœurs, Seuil, 2019.
DESPENTES Virginie, King-Kong Théorie, Grasset, 2006.
DESPENTES Virginie, Baise moi, Florent Massot, 1994.
HARAWAY Donna, Manifeste cyborg et autres textes, anthologie établie par Laurence Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Exils Éditeur, 2007.
LARUE ïan, Libère-toi cyborg ! Le pouvoir transformateur de la science-fiction féministe, Cambourakis, 2018.
OVIDE, Métamorphoses, traduction de Georges Lafaye, Folio, 1992.
PRECIADO Paul B., Un appartement sur Uranus, Grasset et Fasquelle, 2019.
SOLANAS Valérie, SCUM Manifesto (1967), traduction d'Emmanuèle de Lesseps, Mille et une nuits, 2005.
Banque d'images inspirantes :
Rebecca Horn, Federfinger, 1973
(Page issue du catalogue d'exposition
« Rebecca Horn. Théâtre des métamorphoses »,
Centre Pompidou Metz, 2019)
Ana Mendieta, Bird Transformation, 1972
Blood and feathers, 1974
Maxime Colin Yves, Première pluie, 2018
@fifilariflette, Scylla, 2019
Illustration issue du fanzine réalisé par mon
COVEN (projet à l'initiative de l'artiste Nina
Santes) octobre 2019 – légende issue du
Manifeste de COVEN rédigé en juillet 2019
Images non sourcées :
Philomèle et Procné changées en oiseaux
Merveilleuses représentations de chimères non sourcées issues du compte instagram @medievalmarginalia
Je vous remercie de votre attention,
Caroline Dejoie
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En mai, j’aurais mal embrassé ?
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Du 27 au 29, j'ai embrassé chaque jour Carine, j'ai embrassé chaque jour Julie, j'ai embrassé chaque jour Françoise, j'ai embrassé chaque jour Raphaël, j'ai embrassé plusieurs fois Bérengère, j'ai embrassé plusieurs fois João, j'ai embrassé plusieurs fois Émilie, j'ai salué plusieurs fois Andréa, j'ai embrassé Pierre, j'ai embrassé Yann, j'ai embrassé Judith, j'ai salué Anthony, j'ai embrassé Corinne, j'ai embrassé Anne-Marie, j'ai embrassé Christine, j'ai embrassé Aline, j'ai embrassé Maud, j'ai embrassé Geneviève, j'ai adressé un dernier geste d'hommage à Paul, j'ai embrassé Nicole, j'ai salué André, j'ai salué Stéphane sur son vélo.
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