#Domaine Laurent Habrard
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33 milliards de capsules
Chez Laurent Habrard // Domaine Laurent Habrard // Crozes-Hermitage // Côte-du-Rhône // 16 hectares
Milan noir : quand il descend la vallée à cette altitude voit-il, comme moi, le Rhône en canyon large ? Entre contreforts de l’Ardèche, rive gauche, et contreforts de la Drôme rive droite, un défilé plus sinueux qu’on ne le perçoit au sol ? Cigogne blanche : quand elle remonte le cours du grand fleuve, voit-elle, comme moi, se dresser la colline de Tain-l’Hermitage puis, derrière, bordé par la Route Nationale 7, le nord de Crozes-Hermitage – où se trouve l’essentiel des 32 parcelles pourpres (syrah) et des 12 parcelles blondes (marsanne avec une fraction de roussanne) que compte le domaine Laurent Habrard dans cette appellation ? Les rouges plutôt dans la plaine argileuse, les blancs hissés sur les coteaux de lœss ? La cave et la maison de Laurent sur le bulbe de Gervans ? La veine granitique donnant le cap d’Ozon, sur l’autre rive, adresse de la plus petite des deux parcelles de Saint-Joseph appartenant à Laurent ? Milan noir à nouveau : il tourne au-dessus du triangle planté de syrah comme à l’affut d’une proie, saisit un courant chaud, dévale loin au sud, jusqu’à l’escarpement où niche la parcelle sœur. Quittant le Saint-Joseph, il vire sur l’aile gauche, traverse de nouveau le fleuve, survole le fleuron du domaine, un demi-hectare de marsanne en Hermitage, et atteint la platitude alluviale où s’est logée la plus récente et la plus méridionale parmi les pièces du puzzle Habrard. Je suis à Gervans dans le bureau attenant au chai. Avant de nous rendre chez lui, dans la maison ossature bois qu’il a fait construire entre deux parcelles de marsanne, Laurent a tenu à me montrer la cinématique aérienne qu’il est en train de finaliser avec les outils de Google Earth.
Nous venons de faire une longue visite du chai qui m’a réservé quelques surprises. Souvent, ce qui semble logique pour les vignerons engagés dans des pratiques bio ou nature, l’activité est présentée à travers ce prisme, les bémols et les interprétations personnelles n'intervenant, quand ils interviennent, qu’en second plan. Avec Laurent tout l’inverse : d’abord ses préventions à l’endroit des levures indigènes (« je dois vendre 80 000 bouteilles, je ne peux pas prendre le risque qu’il y ait un défaut. »), ensuite le protocole méticuleux mis en place pour s’en passer. Idem pour l’utilisation du soufre. D’abord le constat du plus grand confort et du coût moindre de travailler au tracteur sur les parcelles de plaine (« si je pouvais en avoir plus ! ») ensuite le cheval dans des raidillons étroits. De quoi me faire un peu douter. Puis, arrivant presque fortuitement dans la conversation, les engagements. Ancrés dans des convictions fortes. La décision de reprendre le domaine familial à la condition expresse de le passer au plus vite en bio (« le conventionnel, tous ces produits, je n’avais jamais trouvé ça net ») puis en biodynamie ; la plantation de haies et d’arbres dans les vignes ; la réduction de l’empreinte carbone par l’utilisation de bouteilles légères : (« avoir un contenant lourd, ça fait chic, on pense que le vin est meilleurs, mais c’est du pur marketing ») et surtout la mise en circulation d’une pétition visant à simplifier les démarches douanières pour les vignerons souhaitant se passer de Marianne (« la production annuelle mondiale de capsules, toute matières confondues, représente l’équivalent de 1100 Airbus ! J’ai travaillé la question, elle est simple à régler sur le plan juridique mais doit être portée sur le plan politique. Je suis allé voir mon sénateur qui m’a fait comprendre qu’il me soutiendrait s’il y avait du monde derrière moi. D’où la pétition ». Le compteur est aujourd’hui à 2486 signataires sur les 5000 nécessaires pour lancer l’action. On peut s’y joindre et relayer en cliquant ici.
Je suis dans la cuisine avec Laurent et son compagnon Benjamin, maraîcher et volailler bio. Je leur ai joué Rhapsode en version poche et nous buvons maintenant un Crozes-Hermitage rouge 2018 joliment structuré. (« dans cette appellation cela devient très intéressant à partir de 5 ans. ») Au cours de la discussion j’apprends que les parcelles sont vinifiées et élevées séparément avant d’être assemblées. Pour certains millésimes une tête de cuvée est constituée dès avant la fin des vendanges. Elle portera le prénom de l’un des employés, Marion, Sylvain ou Kevin – tous par ailleurs intéressés financièrement aux résultats de l’entreprise – ou de l’un de ses parents Marcel et Marie-Thérèse qui, à 81 et 79 ans continuent de l’aider. (« C’est pour eux, je crois le meilleur antidépresseur qui soit. Leur vie et leur rencontre se sont faites à la vigne. Mon père qui devait reprendre le domaine créé trois générations plus tôt ne s’intéressait qu’au végétal et c’est à ma mère venue d’Ardèche pour les vendanges que mon grand-père, après le mariage, a transmis la vinification. Enseigner cela à une femme, une pièce rapportée, « d’en face » qui plus est, nécessitait un certain caractère à l’époque. Mais sans doute n’avait-il pas d’autre choix. En tous cas, ils m’ont donné le goût du travail. Je ne suis quasiment jamais parti en vacances quand j’étais enfant et aujourd’hui encore, à quarante-neuf ans, j’ai du mal à prendre une semaine. Voire mon dimanche. Mais... j’y travaille. »).Je suis dans le bistrot de Talencieux, non loin de chez Nicolas Bladel chez qui je vais passer la soirée du 11 novembre. Je regarde la bouteille de Crozes-Hermitage 2019 "Sylvain" que m’a confiée Laurent pour lui. Sur la contre-étiquette un message est écrit à la main : « Salut Nicolas, bonne soirée avec notre troubadour colporteur ». Ce que je remarque, surtout, c’est le slogan du domaine : Laurent Habrard, un vigneron heureux.
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