#écuyer tranchant
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Il y a une petite quinzaine, je suis allé avec Julien et Katie, au Louvre-Lens pour une expo temporaire : "Animaux Fantastiques". Une très belle expo !
Ici des dragons et une tarasque.
boucle de ceinture mérovingienne en or et argent - Basilique de St-Denis, 600
couteau d'écuyer tranchant (celui chargé de trancher la viande de son seigneur), en ivoire et argent, Tarasque dévorant un enfant - Toscane, 1300-1500
tympan, Saint Michel terrassant le Dragon - Notre-Dame de Nevers, 1150
Saint Georges contre le Dragon - Italie, 1520
Maître I.A.M. de Zwolle - "Saint Georges combattant le Dragon" - 1480 (après recherche, l'artiste ne semble pas avoir de lien avec IAM, le célèbre groupe de rap marseillais...)
#expo#louvre-lens#animaux fantastiques#monstre#créature#tarasque#dragon#mérovingien#ceinture#basilique de saint-denis#saint-denis#écuyer tranchant#couteau#toscane#renaissance#tympan#saint michel#saint georges#ange#notre-dame de nevers#nevers#maître I.A.M.#zwolle#maître I.A.M. de zwolle#flandres
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Le Chevalier de Malbrisé
"Oyez ! cria en un sursaut Jeanne, surprenant toute la salle. Oyez ! Oyez la geste du Chevalier de Malbrisé."
Et ce disant, la barde rouge ouvrait large son bras invitant, redressait le torse et repoussait d'une main l'assiette contenant les reliefs de son repas. Aussi subitement que tous les jours précédents, l'histoire du soir commençait.
Oh, elles avaient mangé, comme toujours d'ailleurs, comme des reines. La visite, la rencontre d'un des sept bardes de l'Humanité était après tout un don du Onzième, un don trop rare, unique, bien souvent, à toute une existence. Avec un peu de cynisme, Charité songea, plantant ses coudes sur la table et se rentrant dans l'ombre juste derrière la conteuse, que la pauvre assemblée devait être bien malchanceuse que le sien se présentât sous les traits de Jeanne.
Elle ne l'avait encore jamais entendue, en plusieurs semaines de voyage, raconter une histoire plaisante ou de morale acceptable. Elle mettait dans ses récits des fioritures et des détours plus malins qu'intelligents, qui finissaient, invariablement, par embarrasser son assistance. Et elle sentait, sourdement, la jouissance mauvaise à troubler la paysannerie de la musicienne racée.
Charité n'aurait pourtant su la quitter, sans s'expliquer pourquoi, et elle tendait distraitement l'oreille. Elle n'avait pas encore entendu ce conte ci. Les curieux se rapprochaient, et, de dehors, des voix piaillantes appelaient au rassemblement. Un conte du barde rouge !
"Or donc, toussa Jeanne une fois satisfaite de la taille de son auditoire. Il était un Chevalier d'Argent, comme, peut-être, vous en avez vu ou verrez, que l'on nomma Chevalier de Malbrisé. C'était un homme de mince carrure, un être de foi, porté par sa croyance plus qu'un talent naturel pour le combat. Et sa pureté compensait, vous le verrez, amplement la banalité de son physique. Comme tous les membres des ordres, son nom était humble - Malbrisé vint plus tard. Non, on le nommait, à l'époque dont je vous parle, qui est fort reculé, Frère Pure Conscience. Comme de l'eau de roche, elle l'était, et sans menterie !"
Charité roula des yeux. La barde rouge prenait le plus malin des plaisirs à dénigrer tous ceux qui auraient dû se nommer ses collègues du culte, quoique d'ordres différents. Plus encore que le plus jaloux des impairs, elle semblait jubiler à l'idée d'enfoncer sa propre église sous un gras humus d'ironie moqueuse ininterrompue.
"Or, comme tous les Argentés, Pure Conscience appartenait à une compagnie. Le savez-vous, mes chers ? Ce que vous appelez ici compagnie, ce gai foyer, vos doux enfants, cette auberge bondée, tout ce village, même, n'est rien, oui, rien face aux compagnies des guerriers du Onzième... voyons ! Cent onze hommes et autant de destriers ! Nous ne compterons bien entendu pas leurs suites, car elles nuisent à la belle symbolique des nombres que mes impairs adorent, voyons: comptez bien quatre valets, un sergent et deux écuyers par beau-né, ainsi que des chevaux de remplacement, et juste, peut-être, un misérable petit écuyer par moins-né, ce qui nous ramène, tout de même, à bien plus que le bel et rond chiffre de cent onze. Néanmoins, notre héros, Frère Pure Conscience, allait seul, et sur la pire rosse que l'Humanité vit jamais naître. Il était un fils pauvre, oui, fils, comme vous, de la terre qui est la mère et l'épouse de Dieu. A onze ans - toujours, toujours ! Il avait été frappé de singulières visions de l'Infante - et comme l'on ne mangeait point de seigle encore en cette période, qui aurait pu causer une quelconque folie, il fut légitimé, et envoyé à la capitale par un impair qui espérait voir son village briller autant que l'armure rutilante dont il serait un jour vêtu. Ainsi il avait grandi, d'abord dans les dortoirs miteux, avec les plus pauvres valets, avec eux, mais déjà au dessus d'eux, puis en tant qu'écuyer d'une cavalière tout à fait irremarquable, qui eut la bonne grâce de mourir jeune, et de lui céder lame, titre et haridelle. Ainsi, Frère Pure Conscience était le plus modeste des Chevaliers d'Argent de sa compagnie, et ne s'en vantait même pas ! Et il avait choisi, naïvement, un nom qui reflétait ce qu'il pensait savoir de lui - et non point ses ambitions, comme le faisaient tant de ses camarades. Ah, c'était un brave homme que le Frère Pure Conscience !"
Le moment horrible où les gens commençaient à sourire, et à se réconforter. Ils ne demandent pas grand-chose, foutue barde, crissèrent les pensées de Charité. Ils veulent juste de quoi se dire que le monde est meilleur que ce qu'ils croient, et ils veulent que leurs enfants rêvent de ce qu'ils pourraient devenir un jour. Et toi, tu vas leur donner ce qu'ils veulent, pour le leur retirer immédiatement des mains.
Jeanne se redressa, et mit carrément, mais gracieusement, les jambes sur la table. Elle prit son beau temps pour plier l'une sur l'autre, rajuster derrière son oreille une mèche échappée de sa queue de cheval, et se pencha vers l'audience attentive avec une moue sucrée.
"Un brave chevalier en belle armure, un peu bosselée et un peu rouillée car les valets, les sergents et les écuyers ont tout de même leur rôle à jouer, mais aussi un fils du pays, souvenez-vous. Un fils d'une belle région qu'il connaissait fort bien. Et comme beaucoup de sa compagnie la connaissait également, car on tend, chez les hommes d'arme, à regrouper ceux qui peuvent parler le même patois, ce furent eux que l'on envoya le jour où l'Impossible s'assécha dans cette région... oui ! Mauvais été, dont vos parents, leurs parents, et leurs parents avant eux, ne se souviennent pas, car des siècles ont passé. Mais sous ce terrible soleil, il y eut, croyez-moi ! Pis que des hérétiques et des malades mentaux à chasser, pour nos braves frères et soeurs surentraînés et suréquipés. Car, croyez-moi ou ne me croyez pas, la Féérie avait fait sa brêche !"
Il y eut des souffles retenus. Charité ne put, elle, contenir une pensée agacée à l'idée que ces braves gens tombaient, toujours, toujours, exactement dans le même panneau, tout les soirs. L'idée qu'ils fussent toujours une audience fraîche était difficile à assimiler. Ils se ressemblaient toujours, et leurs visages se mêlaient tant. C'était voir, soir après soir, la même personne tomber dans le même panneau: quelle différence que son nom ou la couleur de ses cheveux ?
La pensée qu'elle en viendrait peut-être un jour, comme sa méprisante maîtresse, à les prendre pour de stupides bêtes de somme, la fit se haïr et se mordre la lèvre. Elle ne serait jamais ce genre de barde, et bon sang, ils n'étaient pas les mêmes. Elle se blâma et s'effraya de ce biais de conscience. Si pour elle, c'était la vingt-deuxième soirée des mauvais contes de Jeanne la barde rouge, pour eux, c'était assurément, la première et dernière. Ils ne pouvaient pas savoir.
Et elle, Charité, ne les aidait jamais. Pourquoi pas, d'ailleurs ? Pourquoi ne pas interrompre Jeanne, couper le doux flot de sa voix fluide et tranchante comme une lame de rasoir, de sa propre voix si grosse, si bégayante ? Pourquoi ne pas, pour eux, se réapproprier ces histoires étranges dont elle ne savait rien ?
Non, comment ? Comment pouvait-elle ne pas être complice du mépris de Jeanne ? Elle l'ignorait totalement, et le peu qu'elle savait du revers de la médaille brillante que Jeanne présentait à ses audiences ne l'aidait pas. Elle était une prisonnière, comme eux, mais une prisonnière consciente.
Eux, le temps d'une soirée. Elle, le temps de quoi ? Combien de jours encore, sur les routes ? Jusqu'à trouver le courage de fuir, et de se débrouiller seule dans le monde, à jamais ? Combien d'ans, si elle devenait sa successeuse, malgré elle ou à force d'épuisement ?
S'il y avait quelqu'un de méprisable dans l'assistance, conclut amèrement Charité, c'était bien elle-même. Trop lâche.
Jeanne aussi était méprisable, un peu, songea t-elle en se corrigeant après quelques secondes. Mais la musicienne était tellement loin de tout ce que la jeune femme savait des hommes, qu'elle la comptait presque plus comme une force naturelle que comme une personne. Elle était une violente grêle de printemps, avec une très belle voix et de très belles jambes. Rien de plus. Elle ne parlait ni ne songeait comme personne.
"Et les créatures du Mal et d'Ailleurs se répandaient en l'Humanité. Oh, contenues, contenues, brièvement ! Car l'Impossible ne saurait être tari entièrement. Mais les cent onze, et leurs suites innombrables, se lancèrent à l'assaut. Maintenant, mes chers, il faut réaliser que des groupes de fées affamées d'âmes humaines et d'amusement se comportent bien différemment des cultes hérétiques et des fous auxquels nos chevaliers étaient habitués. Ils frappaient de nuit, intentionnellement: ils ne fuyaient même pas ! Et ils capturèrent, une nuit, au campement même de la compagnie, plusieurs dizaine de valets, d'écuyers et d'écuyères très beaux et très frais, qui dormaient paisiblement dans une des tentes des petites-gens en lisière du camp et qu'ils enlevèrent en silence. Au matin, la compagnie entendit des cris, des râles et des pleurs: les fées avaient retiré les baillons de ceux qui avaient survécu à leurs tourments, et narguaient, depuis les bois, les maîtres assoupis. Sitôt provoqués, sitôt en charge ! Vous seriez surpris du peu de temps qu'un guerrier courroucé met à enfiler son armure et à monter sur son destrier, quand son honneur est en jeu et qu'il est moqué. Oh, bien entendu, ils étaient également furieux à propos de leurs écuyers, de bons garçons et de braves filles qui ne le seraient jamais plus.
Or ce jour là, Frère Pure Conscience était des premiers à s'être préparé. Sans écuyer ni valet, il avait l'habitude, plus que les autres, de se préparer seul à la hâte, et il ne manquait point de bravoure. Sa haridelle même, une arrière-petite-fille de sa première rosse, semblait possédée de l'esprit des meilleurs chevaux à avoir jamais vécu. Il fallait les voir filer sur la lande ! Et ce n'était pas un mince exploit. Car déjà âgé, à l'époque, de la quarantaine, Frère Pure Conscience n'était plus tout jeune, pour un guerrier, et, lui de tempérament si doux n'avait jamais été ni plus vigoureux ni le plus habile aux assauts d'entraînement. Cependant, son coeur avait bondi pour la juste cause qu'il avait intimement faite sienne. Sienne seule, peut-être, entre tous ceux qui s'élancèrent au combat, car, comme je l'ai dit, la fierté est une amante exigeante, et qui ne tolère qu'assez peu la pitié ou l'amitié à ses côtés. De fierté, Frère Pure Conscience n'en avait jamais eu, depuis le jour où il était arrivé crotté de son village, jusqu'à celui-ci où il fusait, crotté, jusqu'aux taillis où riaient les fées et hurlaient les innocents pris au piège. Il n'était mené que par sa bonne nature, par son amour de la vie humaine outragé.
Il n'était point seul lorsqu'il chargea, et pourtant, il était devant, au fer de lance de la ligne de cavalerie. Il ne voyait pas ses pairs, et il s'en moquait bien ! Comme fou, il se trouvait pris d'ailes, comme possédé du démon du commandement. Et derrière lui, des hommes et des femmes plus jeunes et forts que lui volèrent également à l'assaut, car ils ne se laisseraient point dépasser par un chevalier paysan sur une haridelle.
Il y eut un choc, des animaux et des bêtes contre le bois, et les cris. Qui n'a point vu une fée se battre n'a jamais connu les cauchemars ! Car dans les bosquets traîtres, elles avaient tendu des ronces et des épieux sur lesquels le beau sang des preux fut versé. Des câbles de toile d'araignée enchantée, fins comme des rasoirs, tranchaient les jarrets des montures, et des martyrs empalés, toujours vivants, formaient des boucliers larmoyants qui brisèrent la charge des chevaliers.
Ainsi les Chevaliers d'Argent si rutilants connurent-ils la guerre.
Ainsi Frère Pure Conscience connut-il l'horreur, et sentit sous ses jambes sa haridelle se dérober, les genoux fauchés par les ronces.
Et il se battit vaillamment ! Quoique sa main tremblât: il n'avait jamais tué. Quoique son bouclier se fendit: il fatiguait. Quoiqu'encore, son âme se questionnât: n'étaient-ils point piégés ? Et ils étaient piégés, car la forêt avait fendu l'implacable ligne des chevaux, et réduit à néant le violent avantage des guerriers du Onzième. Ils étaient enfermés dans les bois, et les bois, chacun le sait, appartiennent à la Féérie."
Déjà, les descriptions de Jeanne avaient généré quelques grimaces dans l'audience. Charité, la bouche tordue sur le côté, attendait. Attendait le moment où le héros deviendrait le méchant.
"Et encore, encore, il se battit ! Et de gloire, il ne vit que les corps mutilés des valets et des écuyers, piétinés par les sabots de leurs propres maîtres. Et les têtes tranchées des chevaliers, elles-mêmes, roulées à terre. Et des corps des fées ? Rien ! Rien ! Des rires et des fragments d'yeux vite réfugiés dans les canopées ou derrière les buissons, toujours évadés, n'apparaissant que pour frapper dans le dos encore un de ses camarades, l'insulter dans la langue universelle de la haine, ou le moquer d'un claquement à l'oreille.
Et encore, encore, il se battit. Son souffle devenait rauque." Et la barde inspira, expira violemment. Elle haletait, le regard en feu, lointain, fixé sur un point au delà de la pièce, plus intense que Charité ne l'avait encore connue. Elle reprit après avoir dégluti, d'un grognement lourd:
"Haaa, haa... et son poing devenait faible, son armure lourde de sang, ses jambes humides de pisse, et toujours, la bataille continuait, et les chevaux agonisants hennissaient en déchirant le monde de leurs cris. Et il vit ce que les fées avaient fait, et il reconnut certains des visages qui le poignardaient de leurs mots, et il pleura, oui, après avoir versé tout le reste, il continua de se vider, et il versa de grosses larmes qui refusèrent de s'arrêter.
Et encore, encore, il se battit. Car rien ne finissait. Lourde, lourde, son armure, terriblement tranchante, son épée, quoiqu'il ignorât même s'il avait tué ne fut-ce qu'une fois. Le monde était zébré de noir et vert sur bleu et rouge: nuit et nature sur ciel et sang. Et argent... ah, bel argent terni, qui encore se battait ! Et quand il fut à genoux, il se battit encore, et quand son épée sauta de ses mains, encore, encore, et quand les fées furent sur lui, il se battit encore.
Et encore, encore, il se battit, et c'était en la Pure Conscience qui lui donnait son nom qu'il se battit."
Charité baissa les yeux. Les ongles de Jeanne crissaient dans la table. Dans, oui, enfoncés, saignants.
"Le mal que font les fées aux hommes, nul ne le sait, et quand bien même le sus-je, je ne le répèterais point, fit-elle, avec un sérieux grave. Mais elles le lui firent, néanmoins, à leur façon, qui est si dure, pour un chevalier déjà âgé et déjà blessé, qu'elles l'approchèrent de la mort. Car voyez-vous, agnelets, le plus grand mal des fées n'est pas leur venue d'Ailleurs. C'est leur venue d'Ici. Qui est pris est gardé, comme certains des écuyers et des valets l'avaient déjà été. Et Frère Pure Conscience, jugeaient-elles, feraient, une fois brisé, la plus splendide des fées de la douleur. Elles le torturèrent en âme et en corps, et en corps plus qu'en âme, car, pénétrant son esprit blessé et effrayé, elles durent s'arrêter au sanctuaire de sa Pure Conscience, qu'elles ne parvinrent pas à violer. Alors elles se contentèrent des choses qui ont des noms mais que je ne décrirai point: la danse d'eau, la danse de fer, et la danse de plume. Ou encore le jeu de la grande chaîne, et le supplice du roseau de verre, qui sont de bien trop beaux mots pour les maléfices qu'ils représentent.
Et ceci dura, alors qu'autour d'eux tous les autres chevaliers de la charge avaient succombé, fui ou péri depuis longtemps.
Et finalement, oui...
Finalement, le Frère au tempérament si doux, oui, le si brave et innocent !"
Charité se mordit violemment la lèvre en attendant la chute. Mais quelque chose était différent, cette fois. Plus profondément malaisant, encore, que les leçons sans morale des soirées précédentes.
"... périt. Et il sentait déjà la fraîche et si petite main de l'Infante se poser dans la sienne pour le guider vers le Onzième, car il était un juste.
Mais ses tortionnaires jaloux l'en arrachèrent. Avec de sombres maléfices, ils tissèrent ses chairs pour les réparer, forçant, malgré lui, son corps mourant à reprendre vie.
Et ils recommencèrent. Alors Frère Pure Conscience se perdit en lui, en ce qu'il était, et se baigna dans la lumière de son âme inviolable. Il ne sentait, déjà, presque plus rien, car il vient un point, n'est-ce pas ? Où la douleur se couvre elle-même, où les sens brûlés ne parviennent plus à rien. Méditant, naïvement, comme il l'avait fait tous les jours sans raison depuis trente ans, il protégea son esprit des griffes rageuses de la Féérie, alors même que son corps était profané et tiré à hue et à dia dans leurs jeux insensés.
Il n'était plus là. Il attendait la mort.
Et, de nouveau, elle vint. De nouveau, la main fraîche de l'Infante, et de nouveau !"
Les phalanges de l'autre main de Jeanne percutèrent violemment la table.
"De nouveau, il en fut arraché par les soins mauvais des gobelins acharnés. On dit, on m'a dit, oui, qu'il tint encore onze jours et onze nuits.
Mais en vérité, une journée suffit à broyer une vie. Il ne faut pas beaucoup d'heures pour mourir, même trois fois.
Lorsqu'il s'en fut enfin, trop vite cette fois pour que la fourberie magique de ses tortionnaires ne le ramène à la vie, on entendit dans le bosquet dévasté une litanie de cris de fureur inhumains.
Puis les fées s'en furent, et abandonnèrent leurs jouets brisés au milieu des ronçailles et des fleurs qui se refermaient dans le soir. Car les fées ne sont pas patientes, et mauvaises perdantes."
Elle marqua une pause, comme elle aimait souvent à en faire pour casser son récit et inspirer l'impatience. Des yeux ronds clignèrent. Deux mères avaient plaqué leurs paumes sur les oreilles de leurs enfants, mais la majorité de l'audience était encore en train d'assimiler les images d'horreur de la barde, qui lentement, leva son index blanc devant ses lèvres entrouvertes. Sa queue de cheval s'était défaite en mèches sauvages sur ses épaules, et son regard flambait encore d'une dernière braise. Moins rauque, plus douce, de nouveau, elle reprit.
"Pourtant, pauvre être, le corps du chevalier se dressa encore une dernière fois. Trois fois avait-il cogné à la porte de la mort, et trois fois il avait cru les voir s'ouvrir. Mais il n'avait senti la main de l'Infante le guider vers Dieu que deux fois. A la troisième, qui sait ? Peut-être s'était-elle lassée, peut-être avait-elle été appelée ailleurs. Mais elle l'avait laissé, et le Chevalier de Malbrisé s'éveilla au milieu des corps de ses compagnons. Infusé en corps de la sombre magie elfique, et pourtant toujours pur en âme: mal brisé ! Mal brisé se découvrit-il dans le miroir des cuirasses abandonnées, dans le lustre rouillé de sang des épées et des lances de ses camarades.
Le mort, le vivant, se dressa dans la forêt silencieuse. Ses plaies étaient vives, mais la douleur était morne, et son esprit demeurait en paix. Touché et changé par la Féérie, oui, mais non point de la façon dont la mauvaise l'entendait.
Béni et maudit par le Onzième, il s'agenouilla et pria. Onze jours, il pria, sans respirer, ni manger, ni même pleurer, car ses larmes s'en étaient allées avec son sang désormais figé. Au onzième jour, il prit les armes de ses camarades, honora les corps du mieux qu'il le put, et enflamma le bosquet maudit.
Et le Chevalier de Malbrisé, sans monture, sans compagnons et sans vie s'en fut sur les routes qu'il hante encore à ce jour, puni pour sa volonté exemplaire."
Une fillette perplexe leva avec violence la main. Le reste des paysans se grattait la tête. Un sort retombait sur la salle et on murmurait, marmonnait. Jeanne leva d'une pichenette l'index vers la gamine pour l'autoriser à briser le silence.
"-Il est méchant ou gentil alors ? demanda l'enfant avec un froncement de sourcils. Le culte était très clair à ce sujet: ce qui est monstre est mal, et ce qui est Onze est bon. Et la barde rouge, humble représentante de l'un des grands ordres religieux, lui répondit tout aussi clairement:
-Oui."
Pour s'en aller, d'un pas glissé-coulé, juste entre les bras des gens, juste avant que la foule ne se referme, laissant, une fois de plus à sa compagne le rôle d'interprète-philosophe-diplomate forcée qui semblait un si indispensable addendum à toutes ses histoires.
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"-Maintenant, soyez honnête, ma p'tite grande dame, fit Charité, les joues gonflées d'agacement et le front en sueur d'avoir bataillé à moraliser, une fois de plus, le récit de la barde rouge pour les oncles outragés. Vous le connaissez-vous, votre type ?
-Oh, vous êtes enfin là. J'allais partir sans vous. Qui donc, ma doucette, qui donc devrais-je connaître ? Il y a beaucoup de 'types' en ce beau monde.
-Le chevalier. Vous aviez..."
Maintenant qu'elle la confrontait et que l'air du soir rafraîchissait sa sueur, Charité n'était plus aussi certaine de la tournure à adopter pour ne pas être ridicule dans sa question. Jeanne avait chaque soir un nouveau récit d'êtres fantastiques, une connaissance presque illimitée des incursions du Mal en les terres humaines, un passé plus qu'incertain... et c'était elle, Charité, qui rougissait de la questionner ? La vie était réellement injuste.
"-... enfin, je l'ai senti, vous étiez différente ce soir. Comme si, comme si... comme...
-Si je connaissais ce pauvre Chevalier de Malbrisé ? Aigrelette, que t'ai-je dit des histoires, mh ?
-Qu'elles ne servent à rien, qu'elles sont essentielles à la civilisation, qu'elles mentent forcément, qu'elles ont toujours une part de vérité..." Fit la jeune femme avec agacement, sentant une nouvelle conversation qui ne menait nulle part, quoique la barde eut aisément deviné son sujet.
Charité s'occupa à seller son âne, bottant gentiment du coude son arrière train. La vieille bête trouvait bien plus à son goût l'avoine de l'auberge que l'odeur fraîche de la route nocturne. Jeanne, quant à elle, avait dû finir de se préparer à partir il y avait déjà plusieurs minutes, alors que la jeune femme se battait encore avec les familles épouvantées et les poivrots amusés. Du haut du beau cheval, en amazone moqueuse, elle penchait la tête pour observer sa compagne se démener avec sa monture rétive. Même l'oeil du gris racé semblait rire des déboires d'une inférieure.
"-Et arrêtez de me fixer. Je veux juste savoir. Si je dois raconter des histoires avec vous un jour, je veux savoir comment vous y touchez, et ce que... vous...
-Voulez ?
-Foutez. Voilà, c'est ce que j'aurais dû vous d'mander y'a vingt jours. Qu'est-ce que vous foutez avec moi, et qu'est-ce que vous foutez de manière générale ? Onze ! Pas un soir sans qu'vous fassiez pleurer un mioche ou sa mère ! Et ces histoires. C'était différent, ce soir, non ? Ça vient d'où ?
-La science d'un barde, entama Jeanne alors que sa jolie monture commençait doucement à faire sonner ses sabots sur les pavés d'un pas tranquille, est grande. Certaines m'ont été données, certaines, je les ai arrachées, et d'autres encore, oui, ont été vécues par moi. Tu hériteras beaucoup, si je te prends jamais pour apprentie.
-Je suis pas encore votre apprentie ?
-Tu n'es que ma servante."
Charité grogna sourdement en se hissant sur sa selle et planta, assez méchamment d'ailleurs, ses talons dans les flancs de l'âne pour toute réponse. La route pavée se mit à défiler sous elle.
Les cheveux rouges de la musicienne flottaient toujours au vent, en désordre.
"-Ah, ne te vexe pas, doucette, c'est bien trop facile. Le plaisir n'est jamais facile. Et tu le sais, c'est la sagesse qui le dicte: tu dois observer et comprendre ! Et vice versa. Pour l'heure, tu es nourrie, n'est-ce pas ? Et protégée, bien plus que tu ne le serais avec un bataillon de Chevaliers d'argent.
-Sauf votre sainteté, j'suis protégée que du moment que les gens sont des bons croyants, et pas rancuniers. Si on tombe sur des hérétiques, votre p'tite voix et tout votre sacré sacré serviront pas à grand-chose.
-Je connais aussi des histoires hérétiques, sais-tu ?
-Onze !
-Arrête de blasphémer, mon enfant." fit Jeanne en se retournant spécialement pour lui offrir la vue de la demi-lune ironique de ses dents.
La nuit retomba sur leurs fronts quelques minutes. L'air frais calmait toujours invariablement les joues en feu de Charité, et adoucissait les moues narquoises de Jeanne. Les ténèbres brouillaient ses traits, et la rendait presque telle qu'elle aurait dû être, sage, patiente, guide et intemporelle. Ce fut d'ailleurs finalement la barde qui brisa le silence, elle qui pourtant de jour s'amusait à laisser Charité fumer de frustration.
"Frère Pure Conscience, oui, et non. Nous étions, si tu veux, du même pays, et sa rumeur hantée traînait de longue date dans ma région natale. Son histoire est peut-être la première des miennes. La plus étrange, et certainement celle pour laquelle j'ai, moi aussi, pris les routes. Pour tout t'avouer, petite, j'ai passé presque cinq ans obsédée par le sort du Chevalier de Malbrisé, du moment où j'ai su son histoire...
-Jusqu'à celui où... ?
-Jusqu'à celui où je l'ai embrassé."
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