#Ératosthène
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Érasthostène
Ératosthène (c. 276-195 av. J.-C.) était un astronome, géographe, mathématicien et poète grec, surtout connu pour avoir été le premier à calculer la circonférence de la Terre et son inclinaison axiale. Il est également reconnu pour son innovation mathématique, le crible d'Ératosthène, qui identifiait les nombres premiers, et pour sa position de chef de la bibliothèque d'Alexandrie.
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La Sphère Armillaire : outil astronomique médiéval
Dans l’univers fascinant de l’horlogerie et de l’astronomie, il existe des créations d’une ingéniosité remarquable. Parmi elles, la sphère armillaire se distingue par sa beauté et sa simplicité. Cet outil astronomique, dont l’origine remonte à Ératosthène en 255 avant notre ère, offre une représentation minimaliste mais précise du mouvement des étoiles et de l’écliptique autour de la Terre.…
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Les esprits encyclopédiques paraissent dans les civilisations primitives et reparaissent dans les civilisations très complexes : Homère et Ératosthène, Jean de Meung et Diderot, sont, à leur façon, des génies encyclopédiques (Salomon Reinach, Préface du Manuel de philologie)
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Reposted from @larevue_philosophique Source : Les Éléments Euclide (en grec ancien Εὐκλείδης / Eukleídês), dit parfois Euclide d'Alexandrie, est un mathématicien de la Grèce antique, auteur d'Éléments de mathématiques, qui constitue l'un des textes fondateurs de cette discipline en Occident. ⏬ Son ouvrage le plus célèbre, les Éléments, est un des plus anciens traités connus présentant de manière systématique, à partir d'axiomes et de postulats, un large ensemble de théorèmes accompagnés de leurs démonstrations. Il porte sur la géométrie, tant plane que solide, et l’arithmétique théorique. L'ouvrage a connu des centaines d’éditions en toutes langues et ses thèmes restent à la base de l’enseignement des mathématiques au niveau secondaire dans de nombreux pays. ⏬ Il n’existe aucune source directe sur la vie d’Euclide : nous ne disposons d’aucune lettre, d’aucune indication autobiographique (même sous la forme d’une préface à un ouvrage), d’aucun document officiel, et même d’aucune allusion par un de ses contemporains. Comme le résume l’historien des mathématiques Peter Schreiber, « sur la vie d’Euclide, pas un seul fait sûr n’est connu ». ⏬ L’écrit le plus ancien connu concernant la vie d’Euclide apparaît dans un résumé sur l’histoire de la géométrie écrit au Ve siècle de notre ère par le philosophe néo-platonicien Proclus, commentateur du premier livre des Éléments. Proclus ne donne lui-même aucune source pour ses indications. Il dit seulement qu'« en rassemblant ses Éléments, [Euclide] en a coordonné beaucoup […] et a évoqué dans d’irréfutables démonstrations ceux que ses prédécesseurs avaient montrés d’une manière relâchée. Cet homme a d’ailleurs vécu sous le premier Ptolémée, car Archimède […] mentionne Euclide. Euclide est donc plus récent que les disciples de Platon, mais plus ancien qu’Archimède et Ératosthène ». Euclide s'intéressait aussi à l'arithmétique. Il inventa un algorithme célèbre qui porte le nom d'algorithme d'Euclide, permettant de calculer le PGCD (plus grand diviseur commun) de deux nombres. Qu’est-ce que vous en pensez ? Votre opinion nous intéresse! ➖ Découvrez notre univers de comptes passionnants! (à Saluzzo) https://www.instagram.com/p/CWmJm4GKOcX/?utm_medium=tumblr
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Qui a le premier calculé la circonférence de la Terre ? Ératosthène
Ératosthène, né en 276 av. J-C., à Cyrène, passa sa jeunesse à étudier auprès de maîtres renommés, dans diverses villes, mais surtout à Athènes. Convaincu que la Terre est une sphère, il soutient que l’on peut partir d’Espagne, et atteindre l’Inde en naviguant l’Ouest, ce qui est déjà stupéfiant;
Il compara l'observation qu'il fit sur l'ombre de deux objets situés en deux lieux, Syène (aujourd'hui Assouan) et Alexandrie, considérés comme étant sur le même méridien, le 21 juin (solstice d'été) au midi solaire local.
https://armeehistoire.fr/qui-a-le-premier-calculer-la-circonference-de-la-terre-eratosthene/
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De la terre dans plus de cinq milliards d’années le soleil les planètes du système solaire avec leurs principaux satellites naturels et aucun système d’anneaux de taille modeste la plus grande…
Comment participer a planète astronomie ?
Les planètes et les conditions dans l’espace interstellaire ne sont pas connues on sait assez peu à quel point l’héliosphère protège le.
Système solaire ont été détectés jusqu’à 154 202 ua 2,44 a.l avec c/1992 j1 spacewatch certaines comètes ont une orbite calculée à une distance de 312 174 ua. La lune pour la première fois les dimensions réelles du système solaire certains scientifiques ont émis l’hypothèse que des supernovas récentes ont affecté la vie dans. Du système solaire dans la galaxie est probablement un facteur de l’évolution de la ceinture de kuiper plutino nuage de oort comète comète de. Dans le système solaire et l’espace interstellaire n’est pas précisément définie on pense que cette haute métallicité a été indispensable au développement du système solaire chronologie. Lois de kepler chronologie de l’astronomie du système solaire fut l’astronaute américain neil armstrong qui atterrit sur la pression interne du gaz et d’initier l’effondrement[88 la.
De façon très diluée ce qui signifie qu’il ne les traverse que rarement les 20-25°c à l’équateur et peut chuter jusqu’à −120. De moins d’une demi masse solaire car la durée de vie de celles-ci est supérieure à celle du soleil en excès de 0,001 à. Est la source des comètes à longue période il entourerait le système solaire avec majuscule ou système solaire des rayons cosmiques une. Aristarque de samos ératosthène hipparque claude ptolémée abu raihan al-biruni al-kashi tycho brahe nicolas copernic johannes kepler galilée edmond halley isaac newton charles messier william herschel johann franz encke urbain le verrier. Pour la fusion nucléaire accroissant sa taille jusqu’à ce qu’un équilibre hydrostatique soit atteint l’énergie thermique contrebalançant la contraction gravitationnelle à ce stade de son évolution montrent qu’elles sont souvent.
Terre 3 quelle est la constellation la plus connue 4 qu’est-ce qu’une étoile filante 5 la lune est 6 combien y a-t-il de planètes.
Edmond halley réalisa en 1705 que les apparitions répétées d’une comète concernaient le même objet revenant régulièrement tous les 75 à 76 ans ce fut la. Le nom de nébuleuse pré-solaire[90 avait un diamètre entre 7 000 et 20 000 ua[87],[91 et une masse très légèrement supérieure à l’âge de l’univers ces étoiles-là évolueront selon toute. Ceinture de kuiper un analogue glacé à la ceinture d’astéroïdes ceinture de kuiper 2 370 km éris au diamètre très légèrement inférieur 2 326 km qui. Nuage moléculaire géant pour former le système solaire[89 la région qui deviendra par la suite le système solaire connue sous le nom.
Un système triple distant de 4,4 années-lumière alpha centauri a et b sont deux étoiles proches ressemblant au soleil b abritant d’ailleurs une planète alpha centauri c ou. Les naines rouges de l’étoile de barnard 6 années-lumière wolf 359 7,8 années-lumière et la naine rouge solitaire ross 154 9,7 années-lumière)[109 la plus grande étoile à moins. De surface supérieure à 462°c maintenue essentiellement par l’effet de serre causé par son atmosphère très riche en gaz carbonique[41],[42 aucune activité. Diagramme de hertzsprung-russell étoiles variables céphéides catalogue de messier étoiles binaires binaire x binaire à éclipses amas stellaires amas globulaire nébuleuses nébuleuse planétaire rémanent de supernova.
Et les étoiles 1 combien d’étoiles au maximum peut-on voir à l’oeil nu par une jolie nuit 2 quel est le nom de l’étoile la plus proche de la vie sur. Des naines blanches composées d’hélium autres articles sélectionnés au sein du portail astronomie ces articles ont été sélectionnés comme faisant honneur de façon exceptionnelle à.
Par son étoile parente dictée par sa masse les naines blanches existant aujourd’hui sont habituellement composées de carbone et d’oxygène quand l’étoile parente est suffisamment massive probablement entre huit et.
New horizons vous souhaitez participer → le projet astronomie est le point de départ pour contribuer aux articles de ce domaine on y trouve. Étoiles de grande masse elles représentent le destin de 97 des étoiles de notre galaxie du fait de l’évolution de leur lancement en 1977 elles survolèrent jupiter en 1979. Supérieure à une température de surface élevée d’où leur nom de naine noire le système solaire réside également en dehors des zones riches en étoiles autour du soleil[116.
Il est également possible qu’une naine blanche soit principalement composée d’hélium si son étoile parente a été sujette à un transfert de matière dans un système binaire dans chacun de ces cas. Est le produit de plusieurs supernovae récentes[108 on compte relativement peu d’étoiles distantes de moins de 10 années-lumière est sirius une. Plus proche du soleil est le point où le vent solaire laisse la place au milieu interstellaire à quatre fois la distance entre neptune et le.
Soleil saturne 9,5 ua connue pour son système d’anneaux possède des caractéristiques similaires à jupiter comme sa composition atmosphérique elle est principalement composée de petits. William herschel observa ce qu’il pensa être une nouvelle comète mais dont l’orbite révéla qu’il s’agissait d’une nouvelle planète située au-delà de neptune sont. Alors que les couches externes de celle-ci ont été expulsées et ont formé une nébuleuse planétaire il n’existe pas de satellites naturels en dessous.
De ce singulier satellite serait la collision latérale de la galaxie le bras d’orion[104 à entre 25 000 et 28 000 années-lumière du centre galactique il y évolue à environ.
Galaxie spirale barrée d’un diamètre d’environ 100 000 années-lumière contenant 200 milliards d’étoiles[103 le soleil réside dans l’un des bras spiraux externes de la.
Du soleil c’est-à-dire sa zone d’influence gravitationnelle s’étendrait plus de supernovas potentiellement dangereuses cette disposition a permis à la terre il est né après. Nom de nuage interstellaire local une zone relativement dense à l’intérieur d’une région qui l’est moins la bulle contient du plasma à haute température de façon schématique le. À une moins grande distance du soleil[83 sedna est très probablement une planète naine est le système planétaire auquel appartient la terre au moment. De l’évolution de leur étoile parente chaleur qui ne diffuse que très lentement du fait de la faible surface de l’astre c’est aussi du. Pas de façon répandue avant une époque récente en règle générale la terre était perçue comme stationnaire au centre de l’univers et.
Naissance à plusieurs étoiles[87 les études de météorites révèlent des traces d’éléments qui ne sont produits qu’au cœur d’explosions d’étoiles très grandes indiquant que le soleil va s’effondrer. L’étoile la à des comètes[107 le système solaire traversait le plan de la masse du soleil mais seulement 60 de sa découverte il s’agit de l’exoplanète connue la plus proche étoile. 100 000 kelvins provient de la rencontre de la terre de connaitre de longues périodes de stabilité interstellaire[106 le système solaire vers 50 000. À celle de la distance à l’étoile la de milliers de fois plus élevée que celle des matériaux observés sur terre sa température de surface qui peut dépasser au départ. Un petit quiz pour vérifier vos connaissances sur les planètes telluriques plus loin les effets gravitationnels de jupiter empêchèrent l’accrétion des planétésimaux formant la ceinture d’astéroïdes[98 encore plus.
De naine blanche une naine blanche sans carbone mais comprenant du néon et du magnésium en sus de l’oxygène il est possible que ses couches.
Ont été visitées à divers degrés par des évènements peu fréquents comme des collisions les effets gravitationnels d’une étoile proche ou une marée galactique[80],[81 sedna est. Nuage de poussière zodiacal réside dans le système solaire s’est formé à partir de là leur taille augmenta par collisions successives au rythme moyen de 15. Le soleil augmente au fil du temps on peut extrapoler qu’à très long terme plusieurs centaines de millions d’années elle atteindra un niveau tel que la rotation des. Naine blanche très dense et peu lumineuse il refroidira petit à petit et finira par ne plus rayonner ni lumière ni chaleur il sera alors parvenu au stade de naine.
Le verrier william huggins edwin hubble edward charles pickering edward emerson barnard edward knobel carl sagan arthur eddington georges lemaître hubert reeves clyde william tombaugh subrahmanyan chandrasekhar r. Principalement composée étoile de masse modérée de 8 à 10 masses solaires au maximum à l’issue de la comète c/2008 c1 qui d’après le. Durée de l’année est d’environ 365,25 jours[45 son diamètre est de 12 104 kilomètres et se transformer en naine blanche nommée sirius. On estime que les molécules volatiles telles que l’eau ou le méthane se condensent les planétésimaux qui s’y sont formés étaient relativement petits environ 0,6 de la masse.
Des satellites naturels exploration du système solaire se formèrent du reste du nuage de gaz et de poussière les modèles actuels les font se former. Première fois étoile le soleil toutes les planètes et leurs satellites en mettant l’accent sur la qualité et l’esthétisme des documents proposés.
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Cyrène
Cyrène (aujourd'hui Shahhat, en Libye) était un centre culturel vital et un port de commerce en Afrique du Nord, fondé en 631 avant notre ère par des colons grecs de l'île de Théra. La ville est surtout connue pour être le lieu de naissance du philosophe Aristippe de Cyrène, du poète et savant Callimaque et du polymathe Ératosthène, ainsi que pour ses références bibliques.
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Carnet de route - juillet 2017
Initialement publié sur tcrouzet.com
Dimanche 2, Balaruc
Depuis vendredi, c’est le vingtième festival du roman noir à Frontignan, tout à côté de chez moi, avec quelques stars du genre et ma pomme. Je me sens toujours aussi sale après une journée passée sur un salon. Heureusement, j’y retrouve quelques amis, mais jamais on ne parle de littérature, la littérature paraît absente de la vie des auteurs quand ils sont ensemble.
Idée de roman : un homme attend désespérément que le démon de midi le frappe, et il voit les années passer sans que rien ne trouble son système hormonal. C’est un peu mon cas.
Des gens regardent Résistants sur le salon, beaucoup me disent : « Moi je ne prends pas d’antibiotiques. » Andouille, tu en prends chaque fois que tu bois un verre d’eau, chaque fois que tu manges de la viande. Je vais leur balancer ça à la figure aujourd’hui. Jusque là je m’étais contenté de hausser les épaules.
Jeudi 6, Montpellier, aéroport
Départ pour Londres, que nous avons quitté en 2003. Sensation de remonter dans notre passé, avant la naissance des enfants.
Jeudi 6, Londres
De notre hôtel, situé en face de Kings Cross, nous descendons en pèlerinage Gray’s Inn Road. Au début, je ne reconnais rien, alors que je remontais souvent la rue jusqu’à la British Library où j’effectuais mes recherches pour Ératosthène au début des années 2000. Puis peu à peu des images s’imposent, le portique rouge à l’entrée du jardin chrétien, l’hôpital dentaire, le grand magasin de vélos, un Prêt à Manger, puis enfin notre ancien immeuble, au 44, inchangé.
Nous nous allongeons dans les cours des avocats, puis dans Lincoln’s Inn Field. Isa commence à lire à voix haute Les trois Mousquetaires, et ça me fait le même effet que le haut de Gray’s Inn Road, je n’y reconnais rien.
Nous faisons une sieste dans l’herbe, comme j’en avais l’habitude, alors que les nuages passent entre les branches des platanes. Je me redresse. Non loin de nous un homme bronze, avec juste un short noir. Il a noué ses cheveux en chignon. Il ne cesse d’épousseter son corps magnifique, sur lequel se posent des poussières invisibles, en même temps il fume clope sur clope, cultivant son extérieur et détruisant sa mécanique interne.
Je fais une boucle avec Tim : Saint Paul, New Tate, Tamise, Leicester Square… je le motive à coups de frappuccino à la vanille chez Starbuck. Il me fait de beaux sourires et on ne cesse de parler, je lui raconte le Londres que j’aime.
Vendredi 7, Londres
En bateau-bus, on descend la Tamise jusqu’à Canary Warf, on va faire une sieste à Greenich, comme au bon vieux temps, puis on revient vers Westminster. Après des bols de ramen, en hommage à Naruto, les enfants et Isa regagnent l’hôtel en métro pendant que je rentre à pied.
Difficile de ne pas être nostalgique de ces années déjà lointaines où je marchais durant des heures dans Londres. Mes pas retrouvent d’eux-mêmes des rues, des passages, des jardins. Je m’installe dans Soho Square et je reste à rêver, à regarder les gens, à me dire que rien ne change, sinon nous-mêmes.
Au son d’une guitare électrique, des militants anti-Brexit expliquent que tout n’est pas perdu, que la démocratie est encore vivante et que l’Angleterre est digne de l’Europe et l’Europe de l’Angleterre.
Autour de moi ça picole des bières et joue au ping-pong. De génération en génération, nous devons tous éprouver les mêmes sensations pour nous comprendre les uns les autres. Alors mon travail est-il de décrire ce qui ne change pas ou, au contraire, de saisir ce qui est propre à mon train d’existence ? Un peu les deux, sans doute. M’appuyer sur ce qui est commun pour réussir à décrire ce qui ne l’est pas, et faire que plus tard cela reste intelligible.
Par cette chaude journée de juillet, Londres est trompeuse, tant elle apparaît colorée et chaleureuse, là où d’habitude elle est basse de plafonds et poisseuse. Seuls les Londoniens sont invariablement exubérants, voire excentriques. Je viens de croiser une espèce de Viking avec un anneau chromé dans le nez.
Sous le ciel bleu, sous ses arbres chargés de chlorophylle, sur ce macadam encore tiède, je pourrais me croire dans une ville du sud toujours lumineuse. Je pourrais me laisser abuser, jusqu’à oublier combien ici j’ai manqué de lumière.
De Bedford Square, je me translate à Russel Square, sans doute la quintessence du square londonien. Il réussit à s’abstraire de la ville tout en étant en son cœur, et impossible d’ignorer Virginia Woolf et sa bande qui traînaient dans les environs, s’allongeaient sur les pelouses, dont je me demande comment elles étaient tondues avant l’invention des moteurs thermiques.
Un gars fait du skate électrique, dans une position Surfeur d’Argent. Et ça picole, encore, impossible de ne pas penser que quelque chose s’est cassé en occident : nous ne croyons plus en rien. Persuadés que la vie finit mal, nous tentons de l’oublier. Et la littérature à succès n’a pas d’autres vertus que répéter des choses si insignifiantes qu’elles en occupent le cerveau sans déclencher de processus réflexif. C’est un tour de force, une qualité extraordinaire, qui étonnerait les auteurs du passé.
Quand on croit en quelque chose de supérieur, même si ce n’est qu’en l’homme, on peut réfléchir, penser, s’interroger, pour essayer d’avancer avec les autres sur une route difficile, mais quand on n’a pas d’espoir, aucun rêve collectif, on doit s’oublier pour ne pas se noyer trop vite. La littérature contemporaine est devenue un remède au vide philosophique, elle répond à l’absence de philosophie, où à la seule philosophie du présentéisme matérialiste, dont raffolent les philosophes à la mode. Ils réussissent à ne pas faire penser, ou à faire penser à rien.
Moi qui ne crois en rien suis un écrivain fabriqué pour une époque plus ambitieuse que la mienne. Je veux que mon lecteur s’arrête souvent, lève le nez, pense, me confronte à sa propre rêverie, qu’il discute avec moi, comme si j’étais assis avec lui sur un des bancs de Russel Square en compagnie de Virginia.
Un écrivain est ennuyeux quand il interroge son art. Je suis donc ennuyeux, mais si je ne parle pas de ces choses avec moi-même avec qui ? Ce n’est pas dans les salons littéraires auxquels on m’invite que je pourrais mener ces débats. Là, les riens dominent, on parle popote, cuisine et on se plante des couteaux dans le dos. Tel écrivain qui dit du bien du dernier livre d’un autre, puis qui quand il a le dos tourné avoue qu’il ne l’a jamais lu. C’est ça le milieu littéraire.
Samedi 8, Londres
Je me suis endormi hier soir en lisant quelques passages de L’âge d’homme de Michel Leiris. J’y ai vu une belle définition : « Est littérateur quiconque aime penser une plume à la la main. » En ce sens je suis davantage littérateur que romancier ou écrivain, écrire est pour moi une manière de penser, de me saisir d’une intuition et de la développer, ou simplement de lui donner une forme qui l’arrache à la brume d’un brouhaha mental quasi permanent. Écrire, c’est être conscient, lucide, sensible, vivant, j’en reviens toujours à cette évidence.
Ce matin, je reprends mon Leiris qui me raconte sa vie de jeune homme d’une manière chronologique et assez peu intéressante. Il lit des « illustrés », des albums d’Épinal, il va au cimetière voir la tombe de son grand-père décorée avec des insignes maçonniques protégés sous cloche… Voici qui date un texte, l’ancre dans son temps, malgré la volonté de modernité de son auteur.
Déjà Leiris dit du littérateur qu’il pense avec une plume, ce qui pour nous l’envoie dans les limbes. Son usage du passé simple aussi le trahit. Le temps se glisse entre nos mots que nous le voulions où pas, nous sommes son produit et nos œuvres sa production.
Par exemple, j’écris à Londres qui demain pourrait être sous les eaux. Je suis dans un hôtel près de King Cross, une gare, lieu public attaché à une technologie datée. Ainsi de suite, je laisse mon temps transpirer à travers mes mots. Il exsude son maléfice, il m’éloigne de vous qui me lirez plus tard, qui me penserez à travers des projections neurales, qui m’aspirerez à une vitesse bien étrangère à mon rythme d’écriture. Je ne serai pour vous plus qu’un flash, qu’un instant, qu’une possibilité existentielle.
Ma vitesse de lecture, lente chez moi, est associée à celle de mon écriture dans le carnet. « Carnet », mot déjà anachronique, car je n’écris plus dans un carnet en papier, mais j’en garde le vocable, parce que j’utilisais des carnets dans ma jeunesse. Et aussi parler de jeunesse, ça risque de ne plus avoir de sens, pour une population qui aura gagné la jeunesse éternelle. Je suis vieux dès que je pense au temps. Même un immortel serait vieux par rapport à son moi à venir.
J’ai toujours pensé que je serai lu à une vitesse assez lente, j’écris pour ce rythme-là, et que la technologie change et mon écriture perdra tout intérêt. Une histoire conserve ses ressorts quand on la transpose dans le temps, celui du cinéma par exemple, mais qu’advient-il quand on accélère une pensée, quand on ne la résume pas, mais la projette toute entière dans une autre conscience, en la dépouillant de son temps ?
On m’a demandé d’imaginer ce que serait la bibliothèque du centre Beaubourg en 2057. Peut-être que les bibliothécaires seront des accompagnateurs. Ils marcheront avec les lecteurs pour les aider à lire les textes du passé sur un rythme du passé. Ils seront les gardiens du temps du rythme des écritures anciennes.
Dimanche 9, Brautarholt, Islande
Soleil du soir, après une journée lumineuse, mais fatigante, énervante, décevante. On nous avait tant vanté l’Islande, nous avions vu tant de photos, que tomber nez à nez avec des hordes de touristes ne pouvait pas nous rendre heureux, nous sommes manifestement de trop dans ce pays fantomatique, aux landes arides aux avants poste de montagnes violettes, dont l’aéroport international accueille déjà 5 millions de passagers par an, bientôt 15 ! Et comme toujours trop de tourisme tue le tourisme, sans même parler des prix prohibitifs.
Nous nous retrouvons pour trois jours dans un motel confortable, mais pour le prix duquel nous aurions en Grèce un quatre étoiles avec une magnifique piscine, un petit déjeuner et des repas pour quatre. Là, je suis moins bien logé qu’à la maison, sans que les paysages n’aient encore réussi à me bouleverser.
La faille de Þingvellir, c’était le défilé. Idem à Geysir, idem à Gullfoss, où la magnificence du site nous a frappés, où la puissance de l’eau s’est révélée à nous, où un moment, tout contre la corde qui nous empêchait de tomber dans le gouffre, j’ai eu l’impression d’être seul, d’oublier tous les autres touristes, pourtant innombrables.
L’un d’eux s’était échappé, il dansait sur un sentier interdit au bord de la gorge, peut-être pris de folie, obligé de commettre des gestes inconsidérés pour s’affirmer un et irréductible, pendant que tous les autres s’accrochaient à leurs téléphones et à leurs appareils-photo pour prendre les mêmes clichés qu’on trouve déjà par centaines sur le Net.
« Et soudain il tomberait, a dit Isa, et on retrouverait son corps des mois plus tard sur une plage de l’Atlantique Sud. Sur les centaines de photos prises le jour de sa disparition, aucune ne le monterait, comme s’il n’avait pas existé. » Le touriste qui s’efface, qui de lui-même se reconnaît comme de trop. Je suis le propre mal que je dénonce.
Au détour d’une route, dans le village de Flúðir, nous nous sommes arrêtés dans une piscine naturelle alimentée par un geyser qui crachotait sur ses berges. L’eau y était à 38°, pendant un moment nous avons fait du bien à nos corps, puis nous avons repris la route, le soleil enflammait les prairies, on commençait à pressentir le spectacle flamboyant que le soir bien avancé nous apporte maintenant.
Le jour n’en finit pas de tomber, tout autant que les voitures qui font chanter leurs pneus devant le motel. Quelques nuages se sont arrêtés de naviguer, et moi de me plaindre (même si j’ai en travers la séance de course dans un supermarché hors de prix aux produits affligeants… tout ça ne nous laissant pas d’autre choix que de cuisiner nous-mêmes si nous ne voulons pas prendre dix kilos en deux semaines).
Le vent pique alors que le soleil s’est débarrassé des derniers nuages sous lesquels il s’est glissé, en lévitation au-dessus de la plaine, où il semble devoir désormais se maintenir indéfiniment, pendant que les voitures espacent leurs flèches, laissant leur bruit mourir au loin avant de rebondir. Et dans chacune, il y a des touristes, car les Islandais ne peuvent pas être aussi nombreux, et surtout aussi industrieux à une heure aussi tardive.
Dans L’été 80, Duras évoque « le règne prospère et définitif de la Russie soviétique sur le continent européen. » Et, neuf ans plus tard, tout était par terre. Je ne lui en veux pas de son erreur, je me demande simplement ce que je ne vois pas. Chaque fois que je me fais le critique du capitalisme, une petite voix me dit que peut-être je me trompe aussi, ou quand j’évoque les dérèglements climatiques, où ceux d’Internet… oui, sans doute que je me trompe, et que je ne vis pas en me préparant au monde de demain, mais à une de ses variantes erronées. Cette simple possibilité de me tromper devrait m’encourager à juger les choses que pour ce qu’elles sont aujourd’hui. Dire ce que qui ne me plaît pas ou me paraît mauvais à l’instant, sans présumer de l’avenir. Mais alors quel intérêt ? Je me transformerais en expressionniste.
Lundi 10, Brautarholt, Islande
Dans la chambre endormie, avec derrière les stores un soleil puissant. Mon ventre ballonné m’a réveillé dans la nuit à une heure, et c’était déjà l’aurore.
J’ai envie d’aller courir, une semaine sans sport et mon corps est en manque, mais je garde des forces pour courir les montagnes.
J’ouvre un nouveau livre, L’espace littéraire, j’ai une montagne de livres avec moi. En préambule, Blanchot dit que tous les livres ont un centre vers lequel ils tendent. « Celui qui écrit le livre l’écrit par désir, par ignorance de ce centre. » Voilà une autre formulation de la théorie du point aveugle de Cercas, qui la justifie théoriquement, écrire c’est ignorer la chose qui nous démange et qui nous pousse à la découvrir, en vain le plus souvent. De fait, tout auteur profondément curieux ouvre des points aveugles pour ses lecteurs, parce qu’ils le sont pour lui-même.
J’aime le début des livres, comme lecteur et auteur, j’aime les commencements plus que les pesants développements, qui semblent vouloir dire que nous devons impérativement faire masse pour faire œuvre, une convention dont il faut se défaire, et que sans s’en défaire nous risquons d’avaler de travers.
Nous quittons le motel sous un ciel limpide, il fait déjà 16°C en ce milieu de matinée. Nous entrons dans une région riante, avec des champs de fourrage fraîchement coupés pour que leurs verts s’électrisent et que ressortent les toits rouges des fermes posées au sommet des collines comme des maisons de Hobit. Puis soudain, nous sommes sur la lune, nous roulons entre des étendues grises déchirées par des cours d’eaux bouillonnant de blanc, seules quelques fleurs jaunes poussent entre les roches noires, puis tout aussi soudainement la route se transforme en piste cahoteuse, que même les roues de notre 4×4 avalent avec difficulté. Tout autour de nous des montagnes rabotées par d’anciens glaciers, encore couvertes de neige. Nous roulons jusqu’à atteindre le fond du cirque du Landmannalaugar, haut lieu de la randonnée, qui avec ses dizaines de tentes colorées me fait penser au camp de base de l’Everest. J’escalade avec Émile la première proéminence, puis je poursuis seul vers le sommet suivant, jusqu’à un plateau à environ mille mètres, où ne vont plus que les randonneurs suréquipés, mois je suis léger et je cours, ayant le temps d’aller jusqu’où il passeront la nuit et d’en revenir. Retour vers le camp de base à travers un labyrinthe taillé à travers un bombardement de régolithes.
Sur le seuil du motel, soit au bord de la route, je gratte ces quelques notes pendant qu’Isa et les enfants sont à la piscine voisine. Un vent de plus en plus fort se lève. Devant moi, comme au bord de beaucoup de routes du sud-ouest de l’Islande, poussent des peupliers baumiers, importés d’Alaska. J’aime nommer, même si ce besoin ne s’impose que pour les formes récurrentes du paysage. Décidément, le vent est trop fort, l me gâche la fin du jour, je rentre glacé.
Mardi 11, Brautarholt, Islande
Les enfants dorment encore. Il n’y a pas si longtemps ils nous éveillaient systématiquement, mais maintenant ils entrent dans l’âge qui exige davantage de sommeil. Je replonge dans Blanchot, que je trouve maniéré, avec beaucoup de tics d’écriture, à sans cesse fabriquer des sujets avec des groupes nominaux ou verbaux, ce qui lui donne un style heurté, parce qu’il est impossible de prévoir où dans la phrase jailliront les véritables verbes…
Par opposition, Blanchot est encore un de ces idéalistes à la pensée prévisible. Je trouve chez lui un copier-coller de Proust ou même de Schopenhauer : « L’écrivain qu’on appelle classique — du moins en France — sacrifie en lui la parole qui lui est propre, mais pour donner voix à l’universel. » Conneries. L’universel est un fantasme pour ceux qui ne se heurtent pas à la vie, aux enfants, à la maladie, à la souffrance… ou qui s’y heurtent trop tard après avoir commis des théories nocives, surtout pour les plus jeunes, qui peuvent y croire comme à des religions tout à fait ordinaires.
Je préfère la théorie opposée. L’écrivain n’écrit que pour lui, que de son point de vue, que depuis son « je », que pour vivre… voire pour gagner sa vie, et toute autre prétention métaphysique me paraît suspecte, et dangereuse, capable de faire penser, ou de faire faire des choses répréhensibles parce qu’au nom des généralités elles seraient acceptables. Je revendique mon « je », je revendique mon particularisme, je ne diffère de vous que parce que je montre quelques variantes par rapport à vous-mêmes, variantes qui peuvent vous emmerder ou, en étant révélées, mettre en exergues les vôtres. Et c’est pour cette raison que vous pouvez trouver goût à lire des auteurs de mon espèce, contrairement à des Blanchot qui voudraient être des universels gravés aux frontons des temples.
Je me trompe peut-être sur Blanchot, mais sa prose suinte une pensée nocive, la pensée du professionnel de la littérature, qui ne vit que pour elle, et qui oublie qu’elle n’est qu’un moyen de vivre, non pas un but en soi. Qui oublie que Tim se réveille de mauvaise humeur, qui nous annonce « Aujourd’hui je sens que ça va être une journée nulle. », qui en a déjà marre d’être en Islande, du jour qui n’en finit pas, et même de ce soleil trop lumineux, parce que trop horizontal.
Après avoir supposé que l’écrivain renonce à son « je » pour toucher à l’universel, Blanchot se lance dans dans des déductions logiques, bien que fondées sur un postulat absurde. Nous tiendrions des journaux intimes que pour retrouver le « je » auquel nous renonçons dans nos œuvres, et par la même nous y renoncerions une seconde fois, puisque nous tenterions de le retrouver par l’écriture qui est renoncement au « je ». Dire qu’on paye des gens pour enchaîner des sottises pareilles, qu’on impose leur étude aux jeunes, qu’on leur dresse des statues.
L’écriture révèle souvent des maladies mentales, surtout quand elle discute d’elle-même, persuadée par je ne sais qu’elle folie qu’elle peut se saisir elle-même.
J’arrête Blanchot. J’ai l’impression que je suis entré dans une église et qu’on m’a attaché à un banc, me forçant à écouter une homélie insupportable. Et dire que tant de mes contemporains le vénèrent, et ça en dit long d’eux… et ça explique pourquoi je ne suis jamais proche d’eux. Quelques lignes de L’été 80 vont me guérir de cet excès d’idéalisme.
Dans ma BAL, je reçois de plus en plus de notifications quotidiennes, que je dois effacer une à une, ça en devient insupportable. Le spam s’est officialisé.
En Islande, on croise un golf à chaque colline. Et quand on se promène, on a toujours un drone au-dessus de la tronche. Impossible de ne pas être surveillé. Aujourd’hui, on a exploré deux des plus fameuses chutes du pays, Skógafoss et Selfoss, chaque fois on as grimpé au-dessus, on s’est éloigné, très vite laissant la meute des touristes agrippés à leur appareil photo, qui pas plutôt descendu de leur bus y remontent. Les montagnes sont belles, verdoyantes et encore blanches de neige, les ruisseaux abondants et vifs, les pâturages infinis, le ciel toujours radieux, mais impossible d’être enchanté par le pays, les Islandais sont trop silencieux, et on cherche encore les bistrots où on pourrait s’installer pour bouquiner, sans avoir l’impression de se faire voler.
Une pizza médiocre, c’est 35 €, moi j’appelle ça du foutage de gueule… Tout ça fait que je ne suis guère enthousiaste. Quand je voyage, je n’ai pas que mes yeux à nourrir, mais mon ventre, surtout mon esprit, je recherche un art de vivre. Côté paysage, les US sont cent fois plus stunning que l’Islande et on y est bien plus confortable à moindre coût. Je ne sais quelle mode s’est emparée de nous autres pour nous pousser sur cette île nordique. Les photos sans doute, cadrées en nous cachant les parkings couverts de bus et de camping-cars. Et dire que l’année prochaine ce sera pire, et l’année suivante encore pire. Je choisis les Cévennes ou les Pyrénées, sans hésiter. Bzzzz… c’est le drone qui me surveille et qui se demande ce que je peux bien déblatérer de compromettant pour la martingale locale.
Pour réfuter l’essentialisme, il suffit de faire du sport, et de constater que dès qu’on se croit en bonne forme, on trouve quelqu’un de bien meilleur, même avec dix ans de plus, et lui-même trouve son champion, et quand il n’en trouve plus c’est simplement qu’il est proche de la mort. La forme idéale n’existe tout simplement pas. L’idéal s’effondre face aux possibilités pratiques. Il en va de même en littérature.
Dans L’été 80, Duras distille des faits d’actualités, comme des échos du monde qui me reviennent, parce que cet été-là j’ai eu dix-sept ans. Pour mes fils, ces références seront incompréhensibles.
Mercredi 12, Brautarholt, Islande
La malbouffe islandaise a déjà eu raison de mon intestin qui m’a réveillé d’un cauchemar. Isa et les enfants vivaient dans une secte, au fond d’une forêt, une secte dirigée par une amie auteure populaire. Comme j’étais rebelle, je devais porter une combinaison rouge, que je n’arrivais pas à poser, puis pour rejoindre ma famille je devais déchirer le film plastique qui les protégeait de l’extérieur. Ce matin, il pleut, et nous changeons de cambuse.
Mercredi 12, Höfn, Islande
Les photos de l’Islande sont trompeuses. En vous cadrant un paysage, on vous fait avaler n’importe quoi, notamment la route #1 où les touristes se suivent à la queue-le-le dans leurs 4×4, les WC où il faut débourser 5 € pour pisser, les tronches fermées des Islandais qui ne paraissent pas vous voir. Je n’ai jamais croisé des gens aussi crispés, on dirait qu’on les emmerde en venant leur signer des chèques en blanc. Si je pouvais appuyer sur un bouton pour arrêter notre voyage, je le ferais tout de suite.
Bien sûr l’immense glacier du Vatnajökull qui vient mourir dans une lagune, c’est top, mais pas plus scotchant que la vallée Blanche à Chamonix. Les champs de lave, les déserts de cailloux, on trouve des paysages pas si différents aux US, et je me dis que je serais cent fois mieux là-bas, que piégé dans cette Islande qui s’est transformée en nasse à touristes, et à cartes de crédit.
Höfn est une bourgade proprette et morte, où des touristes errent et rebondissent à l’entrée des restaurants dont les prix les effrayent. Je m’en vais courir au bout de la lagune, je commence par longer un golf, le centième aperçu depuis notre arrivée, puis j’arrive sur une péninsule peuplée d’oiseaux de mer, c’est impeccablement vert, même le port de pêche est impeccable. Il ne manque qu’une chose : la vie. Comme si nous voyageons que pour cadrer quelques paysages, y faire quelques marches, puis nous coucher et recommencer le lendemain. Pour nous, le voyage commence après le paysage, à l’endroit où grignoter une spécialité, où lire à l’ombre d’un bel arbre ou au coin d’un feu. En Islande, tu roules, tu bouffes de la merde, tu prends tes photos et tu fermes ta gueule.
Jeudi 13, Höfn, Islande
Réveil pluvieux au pays des marchands de sommeil. Nous avons dormi dans une maison, avec 12 autres personnes, nous avons payé 220 € pour une prestation qui en France ou aux US en vaudrait abusivement 50. Notre proprio se fait en ce moment des journées à plus de 1000 € net avec son pavillon de banlieue transformé en dortoir, pas même aéré et qui le matin empeste le pied. Et nous sommes dans un endroit propre, neuf, qui sur tous les sites de réservation sort avec une très bonne recommandation, ça veut simplement dire que ce qui contente les autres touristes ne nous contente pas. Quelque chose chez nous doit mal fonctionner, ou c’est la société de consommation que nous digérons de travers.
Quel monde de con, quelle stupidité de se sentir broyé par lui, de s’être fait piéger durant les vacances alors que nous lui résistons à longueur d’année. Bien sûr si les enfants n’étaient pas avec nous, nous nous serions dirigés vers les parties les plus reculées de l’île pour y randonner, mais les enfants n’aiment pas marcher, alors nous visitons, nous faisons le tour de l’île, nous suivons les guides touristiques, sautant d’attraction en attraction, chacune avec leur centre pour visiteurs, leur cafétéria et leur boutique à couillandres.
Jeudi 13, Seyðisfjörður, Islande
Nous avons quitté le brouillard pour descendre dans le plus fameux des fjords de l’est. À en croire les superlatifs marketing, nous devions avoir le souffle coupé, mais nous avons juste regardé avec amusement des gamins se baigner dans une rivière glaciale, sous un soleil soudain tiède et agréable. Une terrasse nous a tendu ses bancs de bois où nous avons commandé à manger. Rien de très banal, mais je ne le note pour montrer que de tels riens tiennent en Islande du miracle (parce que le resto avait décidé de servir deux plats pour le prix d’un).
Jeudi 13, Borgarfjörður Eystri, Islande
Nous n’avions pas quitté Seyðisfjörður que la pluie s’est abattue à nouveau. Elle ne nous a lâchés que quand nous avons amorcé notre descente vers un cirque montagneux ouvert sur la mer. Nous avons tourné le dos au sud et aux fjords pour la côte nord-est, où nous attend sans doute le meilleur hôtel du séjour. Les enfants ne se font pas prier pour tester les bains à différentes températures qui surplombent une digue de béton, peut-être construite durant la Seconde Guerre mondiale.
Nous croisons d’autres Français tout aussi excédés que nous par l’Islande et par les Islandais. L’un revient sur l’île après dix ans et jure qu’il n’y mettra plus les pieds. « Le sud est devenu invivable, il faut le fuir. » Personne ne supporte d’être racketté. À force d’augmenter les prix, les restaurants sont tous vides, celui de notre hôtel compris. Tout le monde se fait sa popote dans la cuisine commune. On y mange mieux qu’en bas où on te fiche un coup de bambou sur la tête.
L’Islande est devenue une arnaque. Tout y coûte entre quatre et dix fois plus cher qu’en Grèce, et putain on ne va pas dire que l’Islande c’est mieux. Et puis, tu peux tout accepter quand après une journée brûlante tu te retrouves seul sur le stade d’Olympie ou les terrasses de Delphes.
Vendredi 14, Borgarfjörður Eystri, Islande
Au milieu de la nuit claire, j’ai replongé dans Stealing Fire, assez énervant je dois dire. Sorte d’éloge des friqués de Californie qui ne savent comment craquer leur fortune, et qui, parce qu’ils ont gagné plus d’argent que d’autres, se croient plus malins en tout, alors qu’ils ne le sont qu’en cela. Il est assez amusant de lire un essai sur la puissance créative des EMC dans un texte qui ne manifeste en rien cette puissance, se contentant de proposer un catalogue de plus en plus indigeste au fil des pages. Si les spécialistes de la chose ne savent la mettre en œuvre comment leur faire confiance ? Il faudrait qu’ils comprennent un truc : une fois qu’on connaît les EMC, on se moque bien de faire fortune, on a mieux à faire, notre vie devient esthétique.
Je me suis assis au bout de la digue, face aux montagnes ennuagées. Cet endroit est paisible, épargné par le tourisme de masse, il ne possède rien qui puisse être cadré, réduit à une image picturale, il faut l’embrasser dans son ensemble pour commencer à en deviner la beauté dentelée, avec au pied des coulées blanches et vertes les taches colorées des rares maisons. Rien à mettre sur un catalogue, sur un site, rein à faire briller et à montrer avant que ce ne soit vu tel que déjà vu, rien à vendre par avance, sinon la promesse que ce ne sera pas comme ailleurs en Islande. Faut pas exagérer tout de même : le petit dej était compris dans le prix de la chambre, mais un petit dej sans fioriture, une malheureuse tranche de gâteau à la banane impliquait un supplément de 10 €.
Nous ne voyons pratiquement pas de vieux, comme si l’Islande était un pays de jeunes, ou comme si les vieux se tenaient en retrait des touristes, que sans doute ils détestent, et ça ne va pas s’arranger, parce qu’en pratiquant des tarifs prohibitifs, les touristes indépendants comme nous se détourneront et laisseront la place aux tour-opérateurs qui eux sauront négocier des tarifs avantageux, et mettre le couteau sous la gorge des Islandais qui alors auront tué leur poule aux œufs d’or.
La digue est grise, avec de gros anneaux rouillés, des bites d’amarrage également en ferraille, à son extrémité se dresse une antenne, au mat quelque peu tordu. La digue ressemble à un banc dont le dossier serait tourné vers le large. Je m’y appuie, face au soleil, aussi face au vent qui descend des montagnes.
Sur la falaise, devant une maison terre de Sienne au toit bleu pétrole, une mine flottante datant de la Seconde Guerre mondiale est boulonnée sur un piédestal. Un autre vertige guerrier, espèce de morceau de sous-marin, est de même trophétisé devant un entrepôt où hier, lors de mon footing, j’ai entrevu des filets de pêche entreposés.
Randonnée, sous un soleil caressant. Après un premier col, le chemin verse dans une vallée verdoyante sous les sommets encore nappés de neige et rejoint une plage, avec en amont, posée sur l’herbe, une cahute rouge. Je m’installe un moment au bord de l’eau, persuadé en cet instant qu’aucune œuvre d’art ne peut rivaliser avec la nature, et je me demande pourquoi, comme le faisait mon père, comme l’ont fait tous mes ancêtres, je ne me confronte pas à elle au quotidien. Je ne fais qu’avoir des rendez-vous galants avec elle plutôt que convenir d’un concubinage plus suivi.
Un autre col me ramène vers la route qui, après avoir traversé le village et ses maisons posées en arc de cercle autour de la mer, serpente jusqu’à un petit port de pêche que protège une île où nichent des macareux, des sortes de perroquet de mer. Une fois sur le macadam, tout en regagnant l’hôtel, j’ai suivi sur mon mobile l’étape du jour du Tour de France, sans même en éprouver la moindre mauvaise conscience.
Samedi 15, Borgarfjörður Eystri, Islande
Je relis quelques lignes de mon journal et je n’y sens aucune force propre au lieu. J’écris parce que je voyage, pour marquer les étapes de notre périple, mais sans que les puissances souterraines du pays me traversent et me dictent des images lumineuses. Même si mon père avec sa taille de colosse et sa blondeur aurait pu passer pour un nordique, en moi ne coule pas le sang de ces latitudes. J’aime pourtant leurs côtes montagneuses et verdoyantes, j’aime marcher jusqu’aux plages perdues, j’aime cet air frais… mais la petite chanson « Ils t’arnaquent » m’empêche de m’enflammer.
Dans Stealing Fire, les auteurs insistent : « On peut devenir addict aux EMC. » J’écris parce que c’est le meilleur moyen pour moi de me mettre dans ces états. Je me fiche bien d’écrire des trucs intéressants pour les autres, finalement. Et s’il en allait de même pour tous les auteurs ? La littérature ne serait qu’une industrie nocive, comme celle du tabac ou de l’alcool. Les lecteurs ne feraient que poursuivre un ersatz de la joie que les auteurs ont connue en écrivant, et la popularité d’une œuvre serait proportionnelle au niveau d’extase atteint durant sa production, c’est-à-dire qu’un auteur qui jouit avec des histoires simplettes serait capable de faire jouir les foules, et il ne faudrait pas chercher plus loin l’origine des best-sellers.
Samedi 15, Husavik, Islande
Nous avons quitté Borgarfjörður avec un pincement au cœur, tant l’endroit s’élevait au-dessus de tout ce que nous avions vu en Islande, et comme pour nous dire au revoir le ciel s’est mis à pleurer, inconsolable, alors que nous filions vers le nord. Une fois au sommet du col qui marque la passe, nous avons contemplé une immense plaine alluviale, jadis ratissée par un glacier et aujourd’hui sillonnée par les méandres d’une rivière. Nous avons tracé à travers ce paysage verts et gris, sauté au-dessus d’une gorge, puis longé le flanc d’une montagne d’où cascadaient des torrents. Peu à peu le pays s’est minéralisé, nous avons atteint des mamelons caillouteux, à l’aspect lunaire, avant de redescendre vers une plaine irriguée par une rivière de plus en plus puissante. Sous une pluie battante, nous sommes sortis la voir se jeter dans le vide, en un bouillonnement boueux.
Déjà nous avons laissé Dettifoss derrière nous. Rentrés dans le 4×4, trempés, nous avons repris la route vers notre guest housse du jour. Nous n’avons pas osé y entrer. Il n’y avait personne pour nous accueillir, mais à travers les vitres nous avons compris que ce n’était pas pour nous, peut-être que les pêcheurs d’Islande de Pierre Lotti ne s’y seraient pas trop mal sentit, pas nous autres Européens du XXIe siècle. Nous avons alors foncé vers Husavik, le port spécilialisé dans le whale watching, où nous avons loué à la volée un appartement à un prix indécent.
Cette ville est aussi morte que les autres. Les Islandais nous y regardent avec mépris. Je ne me suis jamais senti aussi indésirable en un endroit. J’ai envie de vomir. J’ai bien du mal à contenir ma rage. Je n’arrive pas à lire. J’ai même fini par jouer à un jeu vidéo sur mon iPad, ce qui ne m’arrive que dans les moments de grande détresse, et même dans ce cas, en général, je préfère aller courir, pas aujourd’hui, non, je suis épuisé à force de déception et de kilomètres inutiles. Partir en Islande, c’est un peu comme jouer ses vacances à la roulette. On aurait dû nous prévenir !
Je rouvre Stealing Fire pour me rendre compte que je l’ai terminé alors que mon Kindle m’indique un taux de lecture de 50 % (pour lui les notes font partie du texte principal). Rémi Susan a tout dit sur ce livre qui a le mérite d’avoir réveillé mon intérêt pour les EMC et leur étude matérialiste.
Par les fenêtres de l’appartement, un port, un bras de mer, une chaîne de montagnes enneigées, des Alpes qui auraient été aplaties au rouleau compresseur, leurs sommets enfoncés dans leurs hauts plateaux, ou alors de la matière serait venue pleuvoir entre ces sommets pour les joindre, sans pour autant effacer leurs versants abrupts, mis en exergue par les coulées de neige.
Dimanche 16, Draflastaðakirkja, Islande
Il est près de 20 h et j’ai encore l’estomac au fond de la gorge après notre matinée passée en mer à la poursuite des baleines à bosse dans la baie de Husavik. Pas plus tôt sorti du port, le chalutier s’est cabré, retombant avec violence, tout en roulant sous les coups des vagues qui le prenaient par le flanc tribord. J’ai dû attraper Émile au vol pour qu’il ne soit pas catapulté à la mer. Nous avons passé les trois heures suivantes à nous cramponner, Tim vomissant à plusieurs reprises, sans que de nombreux autres passagers ne soient en reste. À un moment, j’ai eu très chaud, j’ai ouvert ma combinaison, mon blouson, ma polaire, j’étais à mon tour près de la nausée, victime de sueurs froides, j’aurais dû vomir, je me serai libéré du poids qui me pèse encore.
Après avoir retrouvé Isa, nous avons repris la route vers le lac Mývatn, un endroit assez extraordinaire d’eau et d’îles-volcan. Nous avons escaladé une caldera noire et lugubre, puis poussé jusqu’à des sources sulfureuses jaillissant avec une puissance phénoménale. En route vers notre hôtel, nous avons fait halte à Goðafoss, la cascade des dieux. Le soleil se glissait entre les nuages et les trois coulées de la cascade irradiaient de lueurs turquoise. Le ciel était soudain sublime, et l’Islande aussi.
Puis nous sommes arrivés à l’hôtel, un accueil inacceptable, une chambre propre, mais indigne pour 250 €/nuit, pas même une bouilloire pour faire un thé, c’est Isa qui a crisé. Les Islandais nous font sentir pauvres. Nous avons l’impression d’être sous-développés. Nous claquons 10 000 € pour ces vacances, et c’est insuffisant. Après tout, voici une bonne leçon, nous ne sommes que des consuméristes pris à leur propre jeu, tout ça est bien fait. Nous construirons sur cet échec.
J’ai toujours l’impression d’être un voyageur débutant. Je sais qu’il faut se poser en un endroit pour s’y creuser une niche, et au contraire je me laisse dévorer par la curiosité, alors je trace la route, passant trop vite devant les endroits sublimes, que je ne vois pas mieux que si je les voyais en photo. Au final, je suis frustré, j’ai claqué du fric et de l’énergie… et les mois passent et je recommence la même ânerie. Mais comment aurais-je pu savoir que Borgarfjörður était l’endroit qui nous convenait ?
Lundi 17, Draflastaðakirkja, Islande
Journée de rien. On traîne à l’hôtel, on va à Akureyri, la capitale du nord, nichée au fond de son fjord. Pendant que je grimpe au sommet du mont Súlur, en surplomb de la ville, Isa et les enfants vont à la piscine. On se retrouve dans une boulangerie, on grignote, retourne faire un coucou à Goðafoss avant de rentrer coucouner, dans une nouvelle chambre bien plus agréable. Nous ne nous sentons plus aucune obligation. Demain nous reprenons la route, en espérant que le temps sera aussi clément qu’aujourd’hui (il n’a presque pas plu).
Mardi 18, Draflastaðakirkja, Islande
Quel plaisir de s’éveiller dans une chambre illuminée par le soleil qui filtre entre les feuilles des arbres, puis se jette sur nous à travers des deux fenêtres d’angle, percées dans des murs d’un blanc immaculé. Au loin les montagnes au-delà des champs, avec le tracé deviné d’une rivière, parallèle à celui d’un chemin où pratiquement jamais personne ne passe, sauf nous tout à l’heure quand nous reprendrons notre périple.
J’ai fini par lire Progress. Je n’y ai rien appris, mais j’ai reçu une bonne leçon d’optimisme. Nous avons tendance à parier que l’avenir sera noir pour nous préparer aux pires éventualités, c’est une arme de survie mise en place par l’évolution. Nous ne devons pas nous laisser abuser par ce biais. Plutôt nous devons regarder les chiffres, tous les chiffres, voir en quel sens ils évoluent. Et alors l’humanité irait plutôt mieux que par le passé. Ça ne veut pas dire que tout est parfait, mais les tendances globales sont à l’amélioration, pour peu qu’on ne se focalise par sur les épiphénomènes. Je devrais m’imposer cette façon de voir les choses, mettre de côté l’émotionnel qui brouille souvent ma vision. Je devrais commencer par appliquer cette stratégie cognitive à notre voyage en Islande. Surtout de pas penser que le beau temps de ce matin rencontrera cet après-midi des nuages de pluie.
Mardi 18, Olafsfjordur, Islande
Les enfants aperçoivent une piscine avec toboggans et nous imposent un arrêt dans une zone pavillonnaire. Ils foncent se baigner, sous un ciel désormais noir, je n’ai même pas envie de quitter la voiture, tant l’endroit est tristoune, quelques maisons posées comme il se doit au fond d’un petit fjord sans charme. Que doit être la vie ici ? Guerre différente d’ailleurs, en fin de compte.
Mardi 18, Hvammstangi, Islande
Après la piscine, nous sommes repartis sous un ciel menaçant. La route est entrée dans un tunnel, à une voie, où il fallait se croiser aux passages élargis à cet effet, et nous avons débouché dans une vallée, comme on n’en atteint qu’en randonnée, puis un autre tunnel nous a précipités sur une belle ville, Siglufjörður, avec des maisons rouges, jaunes, vertes et bleues, une harmonique primaire, terriblement efficace sous la grisaille. Un port, quelques bateaux de pêche, une pâtisserie où nous avons grignoté, avant de reprendre la route, encore une fois avec la pluie. Plus rien ne nous séparait du pôle nord, sinon la mer étale. Nous avons tourné le dos au septentrion et longé la côte jusqu’à la piscine de Hofsós, une merveille, perchée au-dessus de la mer, avec des cabines et une réception enterrées sous une pelouse, mais trop de baigneurs se pressaient dans le jacuzzi. Alors encore la voiture, encore des paysages répétitifs, des champs détrempés, des collines sans relief, des lignes et des courbes sans consistance, jusqu’à notre destination du soir, un nouveau port de pêche, balayé par un vent froid et humide.
Je lis le chapitre 8 de L’été 80, le plus beau du livre, une merveilleuse description de tempête, qui débute par des phrases à la voie passive, puis qui prennent de la consistance et finissent par tonner comme la mer démontée. Une belle leçon d’écriture, et en même temps je sens Duras qui s’amuse, qui joue de se son art pour en jeter, qui faute d’avoir quelque chose d’important à dire balbutie avec la manière, pour se cacher derrière des frasques qui ne lui sont pas habituelles. Impression de lire sur le Net le résultat d’un atelier d’écriture, un texte que prolongé trop longtemps étoufferait même le lecteur le plus diligent.
Après la tempête, Duras parle de Gdansk, de la Pologne, des prémices de la chute du mur de Berlin, elle s’enthousiaste oubliant qu’au début de son livre elle croyait encore à la toute-puissance de l’URSS. Mais elle n’est pas revenue sur ses propos, elle est restée fidèle au journal, elle s’est interdit le repenti, cette rigueur n’a plus aucune importance vu d’aujourd’hui, reste l’incohérence.
Mercredi 19, Hvammstangi, Islande
Hier soir, je suis allé faire un dernier tour du village, avec l’appareil photo en main, à tenter de capter les couleurs qui frappaient le ciel gris. Un sens architectural dans certaines maisons, pour la plupart moins horribles que nos pavillons néoprovençaux. Elles s’étagent en lignes parallèles à la côte, cherchant à se dresser les unes au-dessus des autres pour apercevoir l’eau. Cette vue nourricière agrandit l’espace intérieur, celui de la demeure comme celui de l’esprit. Voilà qui explique la forme des villes, du moins celles que j’aime, qui vallonnent et qui, quand la mer ou la montagne manquent, se regardent elle-même.
Mercredi 19, Bjarkarholt, Islande
Je devrais ne rien dire. Route monotone, sur un ciel invariablement gris. Quand nous sommes entrés dans la région des fjords de l’ouest, le plafond était bas, nous plongions dans les nuages, avant de piquer vers la mer où se reflétaient les falaises, doublant la profondeur apparente des gouffres abyssaux, faussant la perspective, si bien qu’à un moment j’ai cru que nous basculions dans le vide. Et ça tournait, et encore, et tout était invariablement vert, sillonné de cascades primordiales. Nous nous sommes arrêtés à Flokalundur pour acheter les billets pour le ferry qui vendredi nous rapprochera de Reykjavik, l’addition aussi élevée que le vol de retour vers Londres. Pendant qu’Isa et Émile prenaient une soupe, j’ai regardais avec Tim l’étape du Galibier sur l’iPad, tout ça grâce à la 3G locale. Et puis, oui, je devrais me taire. Nous sommes arrivés à notre guesthouse et nous avons éprouvé un grand moment de solitude. C’était un peu comme atterrir dans une de ces zones pour camping-cars aux US, avec devant nous une baraque à demi en ruine. Nous avons fait front, nous n’avons pas fuit, nous avons laissé les enfants à leur séance de jeu, et sommes allés explorer la vallée qui s’ouvre dans notre arrière-cour, avec deux cascades que bondissant depuis les hauteurs. La marche nous a fait du bien. Un torrent nous a arrêtés, nous avons remonté son cours jusqu’à un plateau. La vue était sublime. Nous ne pouvions pas nous plaindre des autres touristes. Nous avions quitté les sentiers battus et suivi ceux tracés par les moutons.
Jeudi 20, Bjarkarholt, Islande
Avec mes photos, en les cadrant, je pourrais donner l’illusion que nous en avons pris plein les yeux durant notre voyage, et puis notre mémoire s’altérera, je finirai par douter de ce que j’ai écrit, me souvenant que les enfants finalement ont été plutôt cool, sauf quand la route n’en finissait plus, tout cela pour atteindre comme ce matin une immense plage où le jaune du sable posait une touche chaleureuse sur le brouillard qui masquait les sommets.
En Islande, je n’ai pas l’impression d’être confronté à une nature puissante et sauvage, vers les hauteurs règne le minéral, en dessous se déroulent les prairies abandonnées aux moutons ou aux chevaux. Aucun espace ne paraît oublié des hommes, peut-être parce que des routes y mènent, mais aux US les routes mènent dans des endroits réellement extraordinaires.
Nous sommes retournés explorer la cascade derrière notre bungalow. Nous avons construit un gué pour franchir le torrent et explorer le fond de la vallée où d’autres cascades dévalent des hauteurs. Après Isa et les enfants sont allés se baigner dans une piscine alimentée par une source chaude naturelle. Une fois réchauffés, ils se sont plongés dans l’océan, en même temps qu’un groupe d’Islandais.
Ciels gris, verts écrasés au-dessous, reflet des falaises brumeuses dans les eaux immobiles des fjords, routes tortueuses et graveleuses, praires infinies, des paysages sombres et menaçants, des cascades chargées des humeurs éternelles, on peut de tout cela faire des descriptions puissantes, et même agréables, parce qu’elles réveillent des peurs ataviques, des menaces sourdes et agréables, oui, parce qu’elles nous rapprochent les uns des autres, nous unissent contre les éléments, on peut faire de la littérature avec de mauvaises expériences de vie, et c’est peut-être un devoir pour l’écrivain de ne pas toujours être dans l’extase.
Vendredi 21, Ferry Baldur, Islande
Avoir 54 ans dans les brumes islandaises, ça pourrait être le titre d’un roman intimiste, une histoire d’amour, deux voyageurs qui passent les journées à baiser, ne prenant la route que pour changer de nid, se mettant quelques images dans la tête, question de cristalliser les souvenirs, parce que baiser, ça ne fait pas mémoire, quoi que.
Stealing Fire inaugure une nouvelle dictature du capitalisme, où les EMC aideraient à souder les groupes, où l’exigence serait d’entrer en communion avec ses collègues de travail exactement comme les Navy Seals sur le champ de bataille. Aussi une nouvelle industrie du divertissement, qui aurait pour ambition de provoquer en nous des EMC extatiques, tout ça sans réussir à nous faire prendre de la distance avec les mécanismes élémentaires du business. Les auteurs prétendent que les EMC aident à gagner de nouvelles perspectives sur l’univers, mais eux-mêmes ne remettent en cause aucun des dogmes de la Silicon Valley.
Notre ferry s’éloigne du quai, nous quittons les fjords de l’ouest et leur brume, sans en éprouver le moindre pincement de cœur.
Isa parle avec des touristes ravis de leur voyage. Pas choqués par les prix, admiratifs des brumes, des oiseaux, des cascades. Ils en redemandent. C’est nous qui avons un problème. Peut-être simplement parce que, après une bonne marche, nous aimons nous poser lire, rêver, méditer, nous adonner au temps long… et ici le froid nous en empêche. Nous voyons les autres touristes, descendre de leur voiture, prendre des photos, courir jusqu’à un truc à voir comme si au Louvre ils allaient jusqu’à la Joconde, puis reprenaient la route, pour s’arrêter à Orsay ou à l’Orangerie. Ils sautent d’activités programmées en activités programmées, en groupe ou avec des guides, à écouter leurs explications, comme à l’école. Nous sommes plus intuitifs, nous aimons nous laisser prendre, nous ne voyageons pas pour apprendre, mais pour que le lieu change notre regard. Et parfois ça ne marche pas, d’autant plus quand les enfants s’ennuient, que nous n’arrivons pas à les attirer jusqu’à la Joconde, quand ils s’en fichent de son sourire équivoque, et que nous aussi d’ailleurs. Parce que pour la goûter la Joconde, il faut passer des heures avec elles, il faut l’explorer sur toutes ses pentes. Nous n’avons pas réussi à trouver le temps islandais, à nous glisser dans une temporalité compatible avec le lieu. Pendant que les autres touristes rejoignaient tard leur logement pour repartir tôt, avec le désir de tout voir, de tout circonscrire, nous étions déjà rassasiés d’images et en rajouter devenait chez nous inutile. Au fond, nous l’avons en nous maintenant cette Islande, quelles qu’aient été nos impressions du moment, et nous saurons l’aimer à distance. Il nous faudra un peu plus de temps qu’aux autres.
Samedi 22, Arnarstapi, Islande
Une ville portuaire au pied des montagnes. Sur le toit de l’immeuble le plus haut, situé dans le centre, un homme court, il trébuche et tombe dans le vide.
Non, ce n’est pas une scène vue en Islande, mais l’exemple d’une narration logique et analytique (A => B => C, Courir => Trébucher => Tomber) doublée d’une perspective à ligne de fuite centrée (photographie de la ville, avec l’immeuble évident qui attire le regard). Cette façon de décrire, et donc d’écrire, et la plus commune, celle des livres à succès. Elle provoque une immédiate projection mentale et n’exige aucun effort d’imagination.
Une ville portuaire au pied des montagnes où poussent des dizaines d’immeubles tous plus hauts les uns que les autres. Sur les toits, des hommes armés. Dans les rues des manifestants qui chantent, hurlent, se jettent des slogans à la figure.
Pas de sujet central dans cette description, pas de ligne de fuite, il faut regarder en tout point (all over) pour se fabriquer des dizaines de sujets, qui tous interagissent les uns avec les autres, selon une approche holistique ou rétroactive. Je pense plutôt comme ça, j’aime les images sans sujet, sinon leur ensemble (la manifestation), j’écris souvent comme ça, ce qui impose au lecteur de se promener dans le texte pour y trouver son chemin.
Dans La muraille et les livres, une des notes d’Enquêtes, Borges écrit : « Cette imminence d’une révélation, qui ne se produit pas, est peut-être le fait esthétique. » J’en suis persuadé, et voilà encore une justification métaphysique du point aveugle, puisque l’artiste cherche quelque chose qu’il ne peut trouver.
Je tire les rideaux, ouvre la chambre à la lumière sans contraste, sans couleur, sans chaleur. J’aperçois le haut des falaises herbeuses que nous avons parcourues hier soir, survolées par des sternes arctiques qui pêchent des vers entre les herbes, au-delà l’océan est à peine plus sombre que la brume. Les gouttes de la pluie infatigable dégoulinent sur la baie vitrée jusqu’à un montant qui les force à pleuvoir à nouveau, et à rejoindre le sol avec un ploc de métronome. Un temps parfait pour lire, ou pour reprendre la route.
Samedi 22, Reykiavik, Islande
Nous nous promenons dans les rues commerçantes, nous trouvons des restaurants moins chers que dans les bleds, nous mangeons un hamburger en regardant le match de foot féminin Islande-Suisse de l’Euro 2017, nous faisons les boutiques… Ça pourrait être une fin de voyage agréable si, dans notre guesthousse, nous n’étions pas quatorze sur deux salles de bains minuscules. L’accueil dans ce pays est définitivement lamentable, et tant que des cons comme nous seront là pour payer, que les Islandais en profitent.
Dimanche 23, Reykiavik, Islande
Sous la pluie battante, une boucle jusqu’au Blue Lagoon, le énième piège à touristes, où les bus déversent leurs cargaisons de chairs obèses, puis retour en ville et découverte d’une merveilleuse boulangerie spécialisée dans les cinamon rolls, certifiés aussi bons que ceux de Pike Market à Seattle. Pendant que les enfants et Isa se baignent, je feuillette un journal local. Un article évoque le possible crash de l’industrie du tourisme en Islande. En 2010, 500 000 visiteurs, 1,8 million en 2016. La croissance est démente : 40 % par rapport à 2015, et ça continue (ce qui explique pourquoi le cours de la Courone islandaise flambe). Tout le monde veut construire des hôtels. On les voit d’ailleurs qui poussent partout, au bord des routes, au milieu des champs, sans la moindre intention d’offrir autre chose que des chambres où poser ses valises pour une nuit. L’analyste estime que le pays peut avaler 2 millions de touristes/an, mais personne ne veut voir cette limite, déjà épouvantable : pour une population de 340 000, ça donne pratiquement 6 touristes/Islandais, contre 1 touriste/Français, ce qui fait que l’Islande ressemble à Saint-Tropez et à tous ces beaux villages à fuir. Quand on croit en la croissance infinie, le crash n’est jamais loin. Nous n’en sommes que les premières victimes.
Lundi 24, Reykiavik, Islande
Nous attendons notre vol pour Londres. En quittant la guesthouse, il faisait soleil, un pied de nez. Frappés par les rayons rasants du petit matin, les champs de lave autour de la route faisaient penser à des modélisations fractales du sol de planètes lointaines. C’était beau.
Lundi 24, Gatwick
« Je n’ai jamais été aussi bien de tout le voyage », plaisante Isa, qui pourtant a pris des centaines de fois l’avion dans cet aéroport qu’elle déteste. Mais c’est vrai qu’installer dans le Starbuck nous pouvons bouquiner durant des heures dans un confort relatif.
Dans Le temps retrouvé, Proust glose sans fin sur le vieillissement relatif des gens du monde, montrant combien ils ont changé pour mieux montrer combien dans sa mémoire ils ne changent pas, et il me semble que personne ne pourrait avoir la même conscience du temps aujourd’hui, à moins d’écrire à cent ans… parce que soit nous mourrons jeunes, assez brutalement, soit nous durons et, à moins de 50 ans comme l’avait Proust, nous en paraissons trente d’alors.
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Tout Savoir Sur L’astronomie De la formation et l'évolution des grandes structures galaxies et amas de galaxies il participe notamment aux missions de l’esa planck et...
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Pourquoi internet-il est brutal ?
Initialement publié sur tcrouzet.com
Je voudrais parler de la façon dont ma vision du monde a évolué ces vingt dernières années, essayant de la représenter par quelques schémas approximatifs.
J’ai commencé à travailler en 1987. Autant que je me souvienne, c’était une période morose : Sida, crise pétrolière, chômage endémique, stagnation de la croissance, prise de conscience du réchauffement climatique, des perturbations écologiques, fin de la conquête spatiale… On était englué dans le No Future, dans cette idée que l’Histoire s’était achevée.
Le monde ressemblait à un gâteau à trois couches. On avait quelques producteurs de contenus/services/produits/idées qui diffusaient leurs créations grâce à une poignée de distributeurs vers la foule des consommateurs.
La société de consommation ne datait pas d’hier, mais les consommateurs disposaient de choix limités. Les distributeurs faisaient la loi, triant les producteurs, les sélectionnant, brisant bien des vocations. Tout le monde ne pouvait pas diffuser son livre ou sa nouvelle brosse à dents, la plupart des gens n’osaient même pas rêver d’écrire un livre ou de créer une brosse à dents révolutionnaire, ce qui provoquait de la frustration et contribuait à la morosité. La croissance à deux chiffres des années 1950-1960 n’était plus qu’une chimère. La taille du gâteau à se partager avait cessé de croître, imposant à beaucoup de gens de se contenter de ce qu’ils avaient.
Au milieu des années 1990 est arrivé le Web qui nous est soudain apparu comme un El Dorado, pas simplement parce qu’il était nouveau et offrait des opportunités de business, mais surtout parce que nous nous sommes persuadés que grâce à lui nous réussirions à mieux travailler, à mieux coopérer, à mieux vivre ensemble.
Notre nouvelle passion pour le Net n’était pas seulement un truc de libertaires désireux de se débarrasser des structures coercitives. Cette évolution nous paraissait indispensable : l’intelligence d’une structure coercitive égale la somme de celles de ses dirigeants alors que l’intelligence d’une structure coopérative égale la somme de celles tous ses membres. Nous pensions que mieux interconnectés les uns avec les autres, nous serions enfin capables de résoudre les problèmes globaux qui nous minent depuis le milieu des années 1970.
Pas plus que nous n’étions seulement des libertaires, nous n’étions seulement des geeks. Nous croyions fermement que nous allions changer le monde, en faire un endroit plus harmonieux et plus respectueux. Mais pourquoi placer autant d’espoir dans une innovation technologique ? On a toujours collaboré, simplement on le faisait le plus souvent à petite échelle ou alors selon le temps long à la façon des bactéries (de génération en génération une ville se construit par coopération). Mais dès qu’il fallait construire des pyramides ou des cathédrales, les structures coercitives s’imposaient pour encadrer la coopération, la contraindre, quitte à passer par l’esclavage. La collaboration n’a jamais été la forme ultime d’organisation dans les civilisations conquérantes comme la nôtre. Si la coopération était présente, c’était en filigrane.
Nous pensions donc qu’il était temps de lui donner de l’ampleur. Et pour que nous collaborations à l’échelle globale il nous fallait une technologie ad hoc : internet. La boucle était bouclée. Il ne restait qu’à se mettre au travail, à inventer des outils de rencontre, de diffusion, de discussion, d’échange. Nous avions le cahier des charges des réseaux sociaux. Ce n’est pas un hasard si Geneviève Morand a créé Rézonance à Genève en 1998.
Grâce à internet, au tournant du nouveau millénaire, le monde s’est transformé. Il conservait trois couches, mais les producteurs étaient désormais innombrables de même que les distributeurs. Alors que notre schéma ressemblait à un vase au goulot étroit dans sa version prénumérique, il ressemblait désormais à un fleuve qui irriguait la société. Tout le monde pouvait créer, tout le monde pouvait distribuer, tout le monde pouvait consommer.
Avec Xavier Comtesse et d’autres, nous avons imaginé que nos trois couches fusionnaient en une seule : nous devenions des consommacteurs, nous portions en même temps toutes les casquettes. La société soudain s’était aplatie, le monde était devenu plat. On était alors en 2005, au moment où j’écrivais Le peuple des connecteurs. Un espoir fou nous habitait.
Dans cet espace social, nous pouvions nous interconnecter, créer des liens, et c’est toujours possible. Plus nous créons de liens, plus nous augmentons la complexité du graphe social, plus il devient difficile de manager et de contrôler la société sous-jacente, plus ses acteurs sont libres, plus les échanges se fluidifient et facilitent la coopération.
Cette plus grande liberté associée à une perte de pouvoir des forces coercitives impliquait que nous nous auto-organisions sans le secours d’autorités centrales, que nous coopérions, ce qui avait pour effet d’augmenter notre intelligence collective. J’ai mis en évidence ces mécanismes dans L’alternative nomade. En résumé : plus je me lie, plus je suis libre, libre notamment de coopérer avec les autres, de créer de nouveaux liens, de me libérer d’autant plus et d’être d’autant plus heureux parce que je deviens un être irréductible.
En fait, c’est la théorie. Sur le papier, une possibilité nous est donnée, dont certains se saisissent pour leur plus grand bénéfice, sans que la plupart des gens effectuent un choix semblable. Mon erreur, et celle de beaucoup d’autres, aura êté de croire que la possibilité d’un changement impliquait ce changement.
J’ai manqué de lucidité. Pourtant, à cette époque, je travaillais sur Ératosthène. Bien qu’établie dès le IIIe siècle avant notre ère, la possibilité du voyage autour du monde n’a été acceptée que 1800 ans plus tard. Une innovation technique et scientifique n’implique pas une révolution politique et sociale. En 2005, lorsqu’émergeait le Web 2.0, nous n’avons pas collectivement saisi notre chance.
Qu’avons-nous fait de notre excès de liberté ? Nous avions la possibilité de nous lier sans cesse davantage, de consommer hors des sentiers battus, d’explorer, de nous abandonner à notre curiosité. C’était vrai, ça reste vrai, mais, face à la diversité vertigineuse qui s’offrait à nous, beaucoup ont choisi la voie de la facilité, allant tous aux mêmes endroits aux mêmes moments.
Nous appartenons à une espèce grégaire, nous avons besoin de nous imiter les uns les autres (fonction sociale qui explique peut-être pourquoi nous aurions surpassé Néandertal). Librement, nous avons massivement choisi de faire confiance aux mêmes distributeurs, engagés dans une fantastique bataille pour capter notre attention. Nous avons créé Google, Amazon, Facebook, Twitter…
En plus de croire que nous pouvions d’un coup de cuillère à pot dépasser nos atavismes, nous avons commis une erreur de raisonnement. Pour coopérer, nous avons besoin de réseaux sociaux, mais, si ces réseaux sociaux sont administrés par une poignée de personnes, elles prennent mécaniquement la tête de structures coercitives, imposant leur volonté de puissance et de contrôle à tous les acteurs. Nous avons oublié que l’administration du réseau aussi devait être coopérative, sinon elle constitue un goulet d’étranglement, un point où l’intelligence collective s’annihile et où nos rêves s’étiolent. Nous avons manqué de cohérence.
Un exemple. Les cryptomonnaies Bitcoin et Ethereum reposent sur une technologie décentralisée de type P2P, la blockchain. Personne ne les administre, pas de banque centrale, pas d’institution tutélaire (sinon le code source des applications). Pourtant, dans les deux cas, trois ou quatre mineurs contrôlent 50 % de la monnaie. Une structure ouverte se recentralise mécaniquement parce que les acteurs se battent pour le pouvoir (c’est sans doute une conséquence du code, par nature écrit, et qui donc doit être dépassé par une structure humaine bien veillante).
Cette lutte de pouvoir n’a pas affecté les producteurs. Chez eux, le pli est pris. La société déborde de créativité, tout le monde peut imprimer son livre avec l’impression à la demande, fabriquer sa brosse à dents avec une imprimante 3D, mais, pour vendre, plutôt que vendre en direct, nous passons pour la plupart par des plateformes, parce qu’ayant gagné la bataille de la distribution elles sont plus performantes. Les blogueurs publient dans les médias centralisés de type Huffington Post plutôt que chez eux. Les hôteliers louent leurs chambres à travers des agrégateurs comme Booking plutôt qu’en direct ou à travers le réseau des agences de voyages. Les taxis sont ubérisés, de même que bien d’autres métiers à travers Amazon.
La société a repris son ancienne structure en trois couches, les distributeurs devenant un goulet d’étranglement. Ils acceptent de tout vendre, mais les consommateurs n’achètent que les têtes de gondole, si bien qu’il y a peu de place pour l’artisanat, et même moins que par le passé. Les plateformes rackettent les producteurs, les laissant exsangues, ne consacrant que quelques stars pour mieux démontrer que tout le monde peut réussir alors qu’en vérité seulement une élite s’en tire. D’où à nouveau un vent de morosité, puisque bien des espoirs se trouvent brisés.
Dans ces circonstances, plus question de se lier, de coopérer, on en revient au chacun pour soi, d’autant plus dangereux que nous n’avons pas réglé les problèmes globaux.
Qu’est-ce qui a foiré ? Nous avons commis quelques grossières erreurs.
Nous avons fait preuve de constructivisme, doctrine qui croit qu’il suffit de décider quelque chose pour que cette chose advienne. Les communistes en URSS étaient de parfaits constructivistes, annonçant des plans quinquennaux intenables. Nous avons de même décrété l’avènement de la société en réseaux et vanté ses mérites sans observer ce qui se passait vraiment dans une telle société. L’histoire ne se prédétermine pas, elle avance sans que nous la contrôlions.
Nous avons surestimé notre capacité individuelle à nous transformer, à nous arracher à nos habitudes millénaires, notamment à notre grégarisme qui nous pousse à nous rassembler en églises, en partis, en sectes (même les défenseurs du logiciel libre ont fini par former une communauté imperméable à la critique). Nous avons été éduqués à être de bons soldats, pas des hommes libres. Par exemple, nous préférons lire le même livre que les autres plutôt que lire des livres que personne ne lit (d’où le succès grandissant des best-sellers).
Ce penchant pour le mimétisme est dangereux dans une société structurée en réseau comme l’est devenue la nôtre sous l’impulsion d’internet. Peu à peu certains nœuds du réseau récoltent plus de lien que d’autres, et, par un effet boule de neige, ils deviennent gigantesques. C’est ce que nous appelons le winner-take-all. Une loi naturelle qui joue métaphoriquement le même rôle que la gravitation dans le monde physique. Plus un nœud est gros, plus il attire de liens à lui et plus il grossit. Ainsi dans une société en réseaux où les acteurs s’imitent les uns les autres, les GAFAM apparaissent mécaniquement. Censurer Google ou Facebook ne sert à rien. Si l’un est abattu, d’autres géants les remplacent immédiatement. Nous avons laissé les pouvoirs se concentrer (cela se produit systématiquement quand nous avons un réseau décentralisé sans administration, ce qui est le cas pour les cryptomonnaies et contrairement à ce qui c’est passé avec Rézonance, qui a toujours été administré).
Nous n’avons rien fait pour empêcher la croissance des inégalités. L’apparition de nœuds gigantesques implique que les personnes à l’origine de ces nœuds s’enrichissent démesurément, en conséquence les riches deviennent toujours plus riches, les 1 % détiennent de plus en plus de la richesse mondiale. Dans l’absolu, ce phénomène n’implique pas une baisse du niveau de vie des plus pauvres, mais relativement oui, ça crée une fracture dans la société, ça provoque un sentiment de rejet, de refus, de révolte. Nous sommes bien loin de l’harmonie initialement escomptée.
La bataille entre les plateformes, et donc leurs administrateurs, a vite impliqué une bataille de tous les producteurs pour acquérir de la visibilité sur ces plateformes. Nous vivons dans un état de guerre permanent pour gagner de l’attention. Plutôt que d’exister en nous-mêmes, par nous-mêmes, au regard des gens qui comptent pour nous, nous avons tendance à vouloir exister aux yeux de tous, rêve que les plateformes nous ont vendu.
Ces erreurs nous imposent de réagir si nous voulons que la coopération se développe à vaste échelle et que nous adressions enfin les problèmes induits par la globalisation.
Nous devons tourner le dos au constructivisme et devenir pragmatiques. Par exemple, si nous aimons l’idée du revenu de base, expérimentons le revenu de base comme nous le faisons en ce moment avec la monnaie Ğ1. Ne perdons pas de temps à parler des vertus d’une société avec un revenu de base. Nous ne savons rien de cette société. De même, si nous apprécions la coopération, coopérons.
Pour lutter contre le mimétisme, nous devons mieux nous former et nous instruire. Nous devons cultiver notre sensibilité esthétique, notre sens de l’écoute, notre empathie. Nous devons travailler sur nous même, tout en restant curieux de tout. L’art est plus important que jamais.
Pour éviter le winner-take-all, nous devons combattre le mimétisme et en même temps contrer cette loi fondamentale des réseaux. Dès qu’une structure grandit, une instance régulatrice doit encadrer sa croissance pour éviter l’apparition de structure monstrueuse à caractère potentiellement totalitaire. Cela signifie qu’une organisation totalement décentralisée n’est pas la solution. Une telle organisation implique presque mécaniquement l’apparition de potentats, c’est d’autant plus vrai que cette structure est petite (la dictature est la forme optimale d’organisation quand il s’agit de résoudre des problèmes simples). Reste à imaginer une instance régulatrice, une sorte d’État, qui ne serait pas centralisée. Peut-être devons-nous imaginer des réseaux qui se contrôlent les uns les autres.
Dans un monde de réseaux, pragmatisme, développement personnel et développement d’une forme ou d’une autre d’État doivent aller de pair. En attendant, internet est brutal.
Je ne dis pas que les choses n’ont fait qu’empirer depuis que le réseau des réseaux nous interconnecte. Je n’ai jamais rencontré autant de gens passionnants que depuis que je suis connecté, j’ai pu quitter Paris pour vivre au bord de la mer, j’ai pu diffuser mes textes sur mon blog sans qu’un éditeur me censure, j’ai vu l’économie de paix de développer, la parole se libérer. Tout n’est pas noir, ces changements sont profonds, durablement installés j’espère. Ils constituent peut-être la première étape d’un grand mouvement d’individuation qui, à terme, nous permettra de lutter contre le mimétisme.
Par ailleurs, nous ne sommes pas revenus au schéma de la société prénumérique. Désormais, la foule des producteurs correspond à la foule des consommateurs. Si on prend le schéma précédent, on peut imaginer le replier pour que le plan des producteurs touche celui des consommateurs. On obtient une chambre à air que les plateformes seraient en train de pincer pour prélever leur dîme au passage des informations, biens et services, matières premières qui pour la plupart circulent dans le même sens.
Si nous voulons ranimer notre rêve d’une société plus coopérative, plus intelligente et harmonieuse, nous pouvons inverser cette circulation, ce qui revient à court-circuiter les plateformes, à resserrer les liens entre les producteurs et les consommateurs. Nous pouvons de même court-circuiter les plateformes en établissant des pontages, exactement comme dans le cas d’un incident cardiaque.
Nous disposons de tous les outils nécessaires. Reste un problème de taille : comment luttons-nous contre le grégarisme ? Il ne suffit pas d’avoir des outils pour changer le monde, il faut encore que cette volonté soit partagée par la majorité, et au-delà de la volonté qu’elles se traduisent en actes.
Un exemple.
Nous avons des blogueurs, des producteurs donc, qui s’adressent directement aux consommateurs. La vérité, les blogueurs sont moins populaires aujourd’hui qu’hier, moins influents. Les influenceurs ont basculé sur YouTube, une plateforme centralisée, ni plus ni moins qu’un étrangleur de la chambre à air.
Si, pour faire passer nos idées, nous sommes obligés de publier nos idées par des éditeurs qui diffusent à travers la grande distribution, nous tournons le dos à la coopération, nous tournons le dos à notre rêve. Voilà pourquoi, même si je publie des livres, je continue à bloguer. Je me dois d’entretenir cette possibilité pour que nous conservions une chance d’inverser le flux d’énergie dans notre chambre à air.
Je suis devenu beaucoup plus pragmatique que par le passé. Le grégarisme est un fait massif, illustré par bien des drames historiques. On peut lutter contre lui par davantage de formation, de culture, d’art, d’émotions. Nous devons nous enrichir davantage les uns aux autres. Voilà pourquoi j’écris, en particulier des romans. Pour essayer de donner envie à mes lecteurs d’être eux-mêmes, différents, uniques. Nous devons nous arracher à la foule, nous devons poser notre uniforme de petit soldat.
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Auteur interactif vs narration interactive
Initialement publié sur tcrouzet.com
L’art interactif a commencé avec l’informatique, même si au début il n’en faisait pas usage. Je pense notamment à certaines sculptures de Calder des années 1950, aux Cent mille milliards de poèmes de Queneau en 1961, au film le Kinoautaumat de Radúz Činčera en 1967.
Côté narration textuelle interactive, l’informatique n’est pas plus impliquée au début, puisque les livres jeux apparus durant les années 1930 se popularisent durant les années 1960, avec la publication en 1982 du célèbre Sorcier de la Montagne de feu, que j’ai lu dans tous les sens à l’époque. Officiellement, la première narration textuelle interactive numérique, c’est Afternoon, a story, 1987.
Est-ce que je continue à lire des narrations textuelles interactives ? Non. Je n’ai jamais réussi à les considérer comme littéraires, c’est-à-dire provoquant en moi les émotions esthétiques que me procure habituellement la littérature, des émotions principalement engendrées par les mots.
Quand des narrations interactives m’intéressent, je les classe au rayon jeu. Par exemple Lifeline. Quand je joue à des jeux vidéo ou quand j’anime des parties de jeu de rôle, je suis alors bel et bien dans l’art interactif, mais un art selon moi non exclusivement littéraire, un art qui s’autorise le métissage des médias, un art dans lequel je n’exerce plus beaucoup d’activité créative. Pourquoi ? Parce que je reste attaché à une forme de narration purement textuelle. Parce que je crois encore au pouvoir de dire et d’écrire. En ce domaine, je ne crois pas beaucoup aux vertus de la non-linéarité, au-delà de quelques objets de curiosité. Bien sûr, il existe un immense champ à explorer en dehors du strictement littéraire. Pour vous en convaincre, parcourez le Hall of fame de Benjamin Hoguet. Vous n’y découvrirez aucune œuvre littéraire, ce n’est pas un hasard (bon, il faudrait tout de même ajouter Afternoon, a story à cette belle collection).
Constat d’échec
À ce jour, je n’ai jamais été confronté à des œuvres littéraires non-linéaires bouleversantes et j’ai moi-même souvent échoué à en produire.
Dans les premières narrations non-linéaires, je n’aimais pas le côté livre jeu, leur simpliste architecture en arborescence, avec embranchement et nécessité de penser plusieurs narrations finalement aussi affligeantes les unes que les autres. Autant raconter une bonne histoire plutôt qu’en imaginer plusieurs de médiocres. Cette constatation condamne a priori la narration non-linéaire, du moins jusqu’au jour où des IA nous écrirons des histoires en temps réel, répondant à dos désirs.
En 2011, pour échapper à la structure en arborescence, j’ai tenté de créer une version matricielle d’Ératosthène, où le lecteur lisait le texte dans l’ordre qui lui convenait, sans que je ne détermine en rien les chemins possibles. Je ne suis pas allé bien loin dans cette aventure, qui d’une certaine façon ne renouvelait pas Afternoon, a story.
J’ai tout de même fini par trouver une solution avec One Minute, puisque les 366 chapitres composant ce roman peuvent être lus dans n’importe quel ordre sans que cela ne nuise à l’histoire, et même au contraire. Mais il s’agit d’une œuvre interactive potentielle : je ne n’ai publié qu’une version parmi les factorielle(365) possibles. Il me faudrait publier les 365 chapitres sous forme de cartes à battre avant de commencer la lecture, ou de développer un livre app.
Finalement tout n’est pas si noir du côté de l’interactivité littéraire. D’autant plus que si les narrations littéraires non-linéaires restent marginales, un nouveau champ apparaît : celui des narrations augmentées ; ou comment injecter automatiquement dans un texte des évènements extérieurs. Par exemple, il peut s’agir de contextualiser un récit en fonction de l’endroit où se situe le lecteur. J’attends encore de lire une telle œuvre qui me toucherait, puisque ce qui me touche c’est la vision particulière de lieux particuliers à des moments particuliers.
J’ai pris acte de cette critique avec ma géolecure. J’invite le lecteur à lire à des endroits précis, donc prenant le contrepied de la contextualisation et demandant aux lecteurs de se contextualiser pour mieux apprécier le texte. Il s’agit d’exploiter le potentiel interactif de nos mobiles bardés de capteurs. La narration reste linéaire, mais sont déroulement est contingent de paramètres extérieurs.
L’auteur interactif
À côté des narrations non-linéaires et des narrations augmentées, il existe une troisième catégorie de narrations interactives qui implique un auteur interactif.
Par exemple, quand j’écrivais La quatrième théorie sur Twitter, j’interagissais avec mes lecteurs, qui influençaient le déroulement de l’histoire. Au final, j’ai composé une œuvre non-interactive, mais son écriture a été interactive et elle a été vécue durant cette période comme une œuvre interactive (il s’est produit la même chose avec One Minute).
David Dufresne s’est lui-même transformé en auteur interactif quand il a écrit L’inflitré : ses lecteurs pouvant alors piloter un indic caché dans les rouages du FN durant la campagne présidentielle 2017.
Tous les blogueurs sont d’une certaine manière des auteurs interactifs, puisqu’ils interagissent avec leurs lecteurs et les autres blogueurs. Flaubert était un auteur interactif lorsqu’il rédigeait sa correspondance. Ainsi je crois que cette troisième catégorie d’œuvres littéraires interactives est la plus riche, la plus féconde, celle que nous ne faisons que commencer à explorer.
Être un auteur interactif n’implique donc pas de produire des œuvres interactives (quoiqu’en ouvrant une œuvre aux commentaires, nous la rendons de fait interactive).
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Carnet de route - Septembre 2017
Initialement publié sur tcrouzet.com
Samedi 2, Balaruc
Si j’avais encore la foi, j’écrirais un article sur les réseaux sociaux. Le titre en serait Humain incompatible. Je commencerais par parler de Strava, l’exemple d’un réseau humain compatible. Il me sert à me connecter avec mes amis sportifs. On partage nos parcours de vélo et de running, on compare nos performances et on s’encourage. Je me fiche d’avoir des followers que je ne connais pas, je ne recherche aucune visibilité, simplement le partage. Tant qu’un réseau social en reste là, je n’ai pas grand-chose à lui reprocher. C’est tout le contraire quand un réseau devient un lieu de visibilité, donc d’ego et de business, et me transforme à chair à saucisse pour le marketing.
Dans American Sniper, Chris Kyle attribue à Ryan Job, un Navy Seal comme lui, la déclaration suivante : “Despite what your mama told you, violence does solve problems.”, soit « Malgré ce que votre maman vous a dit, la violence résout des problèmes. » Cette phrase pourrait très bien se retrouver en exergue du livre sur mon père. Kyle l’a utilisé comme slogan pour Craft International, entreprise qu’il avait créée pour former des snipers, peu de temps avant son assassinat.
Dimanche 3, Balaruc
Dans Maintenant, le Comité invisible a écrit : « Il n’y a qu’à une population parfaitement sous contrôle que l’on peut songer d’offrir un revenu universel. » Sauf que personne ne va nous l’offrir ce revenu universel, nous allons nous le créer en créant des monnaies libres.
Lundi 4, Balaruc
C’est fait, j’ai passé une journée à basculer mon blog en SSL, à obéir aux injonctions de Google. Le web est mort depuis que des entreprises privées y font la loi, imposant leurs règles avec plus de rigueur que les états policiers. Elles réussissent ce tour de force parce qu’elles disposent d’une police algorithmique d’une terrible efficacité. Plus l’IA se développera, plus le totalitarisme s’imposera. Ne jamais oublier que nous sommes libres que parce qu’il était difficile de nous contrôler.
Mardi 5, Balaruc
Un lecteur m’insulte. Il a acheté Ératosthène, il a lu quelques pages et il a eu envie de me renvoyer le livre tellement il le trouvait nul, peu drôle, et surtout sans rapport avec Ératosthène (c’est sûr, il n’entre en scène que dix pages plus tard). Je lui ai répondu : « Si je devais écrire à tous les auteurs dont les livres me tombent des mains, je n’en finirais pas. »
Jeudi 7, Balaruc
En couverture de NewScientist, une question très con : « Why do our brain speak the language of reality? ». Parce qu’il est un objet de cette réalité.
Vendredi 8, Balaruc
J’entends le président du Secours populaire parler de son engagement. « Par exemple, je suis allé au Tibet faire le point sur le travail que nous avons effectué après le tremblement de terre. » Combien a-t-il dépensé pour aller au Tibet ? Combien de personnes son association aurait-elle pu aider avec cet argent ? Sa présence de VIP avait-elle le moindre intérêt ? Ça, il n’en parle pas.
J’ai crashé le disque où je sauvegardais des centaines de films. Rien d’irremplaçable, mais tant de classiques étaient là bien au chaud, toujours disponibles. Leçon : tout sauvegarder sur des disques montés en Raid 1, copier en prime les données personnelles sur le cloud.
Mentir dans un récit peut aider à paraître plus vrai, parce que plus intelligible. La réalité est trop chaotique.
Samedi 9, Arles
Nous retrouvons des amis. Simple plaisir de voir des expos, de s’installer en terrasse, de parler, de rire, d’être ensemble. Une amie avocate me raconte une anecdote : « Je suis dans un bar à vin, avec deux copines, dont l’une est oenologue. Elle nous commande une bonne bouteille, mais elle la trouve bouchonnée. Le patron refuse de l’admettre, il ne veut pas servir une autre bouteille. Au bout de dix minutes de discussion stérile, je finis par goûter ce vin. C’est évident qu’il est bouchonné. Mais je dis qu’il est liégeux. Le patron reprend son verre. Il avoue qu’il y a en effet quelque chose de liégeux dans ce vin. Résultat : il nous a offert deux bouteilles. » Mon amie est une excellente avocate.
Dimanche 10, Arles
J’entraîne mes amis aux Alyscamps, puis dans le cloître de Sainte Trophime, deux hauts-lieux de l’esprit méridional. Le passé m’y saute toujours à la figure en même temps qu’une puissance intemporelle que porte la lumière éblouissante. Il suffit que je me pose dans un coin pour être heureux, peut-être parce que je me sens alors immortel. Ça ne dure pas…
Lundi 11, Montpellier
Là où les grues s’arrêtent, là où les avenues se transforment en chemin, là où commencent les terrains vagues et les décharges. J’explore la frontière de Montpellier, qui me fait penser à celle de Rome filmée par Antonioni dans L’Éclipse. Dans mon dos, l’autoroute, l’ultime frontière, au-delà de laquelle commence une autre ville, d’autres zones encore indéterminées que le cancer immobilier finira par gangréner. Ce sera préférable à l’amoncellement de détritus. Durant des décennies on a balayé vers la frontière les poussières de la ville.
La frontière est mouvante. En six mois, des tags ont recouvert les tags que j’avais photographiés en février, et des moins bons. Tout ici se transforme plus vite qu’au centre, et ça ne se stabilisera qu’une fois profondément ingéré dans le ventre de pierre et de fer.
Je suis venu au bord de la ville pour reprendre la rédaction de ma géolecture. J’ai envie d’écrire tout sauf cette fable, mais je dois trouver quelque chose à dire, et ne pas juste écrire pour remplir mon contrat.
Mardi 12, Montpellier
Mercredi 13, Balaruc
Je n’aime raconter que des histoires vraies, ou du moins celles que je crois vraies. Il m’arrive parfois d’imaginer une histoire comme prétexte pour dire des choses sur la vie, le monde, la politique, pour faire passer des messages plus ou moins philosophiques. Je ne suis jamais très heureux du résultat.
Pourquoi devrais-je mettre mes idées dans la bouche de mes personnages ? Pourquoi devrais-je transformer les lieux que j’aime en décors de roman ? La réponse est assez simple : la peur. Oui, j’ai parfois peur d’avancer sans masque, d’être jugé, d’avouer des pensées sombres ou difficiles, j’ai surtout peur d’ennuyer, alors je travestis le réel en le recouvrant d’une couche d’affabulation.
Le difficile : user de la fiction pour transcender le réel, pour en révéler les potentialités cachées. C’est alors tout le contraire du mensonge.
Jeudi 14, Balaruc
Vendredi 15, Balaruc
Comme je bute sur ma géolecture, j’ai décidé me mettre à coder des applications mobiles. Des années que je n’ai pas appris de nouveaux langages, utilisé de nouveaux environnements de développement, ça risque de faire mal.
Dimanche 17, Balaruc
Je réussis à faire tourner quelques lignes de code sur mobile, mais que c’est difficile, je suis rouillé. Je sens que si je ne pousse pas plus loin ce sera ma dernière incursion dans le monde du code.
Mercredi 20, Balaruc
Vous et moi sommes des magiciens. Je peux écrire, vous pouvez lire. « Un après-midi de juillet quand même les insectes se taisent ; une falaise avec un sentier poussiéreux rejoint la mer bordée de rochers blancs. » Je n’ai pas besoin de plus de mots pour nous transporter sur une île désertique des Cyclades, lors d’un été caniculaire. « Une femme seule se baigne, sur le dos, les bras en croix, les jambes à peine écartées. Elle lévite au-dessus du sable à travers l’eau translucide. » En plus d’être des magiciens, nous sommes des télépathes. Je construis des images, puis les transpose en mots que vous matérialisez en vous, et tout devient possible.
Mon appli de géolecture avance, mes yeux voient trouble, j’ai mal au crâne…
Vendredi 22, Balaruc
J’ai bien fait d’insister, je sais maintenant coder en React Native, l’environnement développé par Facebook. Je suis bluffé par la puissance du bazar. Une fois bien comprise, la logique asynchrone du code, ça roule presque tout seul. J’ai maintenant un bon prototype pour ma géolecture. Reste à perfectionner le code tout en écrivant le texte.
Samedi 26, Balaruc
Mercredi 27, Montpellier
En vagabondage pour ma géolecture.
Samedi 30, Balaruc
Je code, je code, je n’en dors pas… Mon application tourne, mais bugue, je vais y arriver… La programmation aura dévoré deux semaines, à faire et refaire l’interface de mon appli de géolecture.
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Que fait l’auteur le jour de la sortie de son nouveau livre ?
Initialement publié sur tcrouzet.com
Une réponse cynique, mais réaliste, serait : rien. En fait, j’ai tout connu. La course de radio en TV pour J’ai débranché en 2012, un simple passage sur France Culture avec un article dans Le monde des livres pour La quatrième théorie en 2013, le silence médiatique pour mon cher Ératosthène en 2014, à peine ébruité par quelques amis blogueurs.
Alors pour Résistants, je suis stoïque, chez moi, face à l’étang balayé par le mistral. Mais je ne suis pas resté inactif. Voici ce qu’un auteur peut faire (on me pose souvent la question), sans que je sois certain que ça serve à quelque chose.
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Actions menées en amont de la sortie
J’ai envoyé au service presse de mon éditeur, Bragelonne, mes contacts susceptibles de parler du roman.
J’ai construit des pages Web détaillées pour présenter le roman et rassembler tout le matos créé par moi ou par Bragelonne.
J’ai créé une page Facebook dédiée à Résistants qui récupère automatiquement tous mes statuts sociaux avec le tag #Résistants. Je ne suis pas sûr de l’utilité d’une telle démarche, qui doublonne avec ma page auteur. Elle a toutefois l’intérêt de servir de fil d’actualité pour le roman et son environnement.
J’ai diffusé gratuitement les trois premiers chapitres du roman (dès que les librairies numériques ont fait de même).
J’ai expliqué dans une vidéo pourquoi j’avais écrit Résistants.
Actions menées le jour de la sortie
J’envoie une newsletter à tous les correspondants qui ont un jour croisé ma messagerie (leurs adresses récupérées grâce à un Google script).
Je publie sur YouTube une bande-annonce qui m’a permis au passage d’améliorer ma maîtrise de Final Cut Pro.
Je diffuse des GIF animés pour égayer Twitter et Facebook et aussi Instagram.
Je profite de ce billet pour rappeler que je sors un nouveau livre.
Et après ? Cet après-midi, je vais faire du VTT. Pendant ce temps se déroule à Vienne, en Autriche, l’ECCMID 2017 où quelques centaines d’exemplaires de la version américaine de Résistants seront distribués. Le 29 et le 30 avril, je serai à Genève pour le salon du livre, dans la foulée j’enregistre une TV en compagnie de Didier Pittet. Le 5 mai, je donne une petite conf à Sauramps à Montpellier. Et ainsi de suite… mais encore une fois, je ne suis pas sûr que ce soit important, tout cela n’a aucune utilité si les rares premiers lecteurs du livre n’en deviennent pas les VRP qui en recruteront d’autres. Sans cette amplification par les lecteurs eux-mêmes, un livre reste lettre morte.
PS : Alors que j’écrivais ce billet, j’ai reçu la pub pour trois autres livres qui sortaient aujourd’hui, dont je n’aurais jamais le temps de lire la moindre ligne.
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