Tumgik
sexwiththepast-blog · 5 years
Text
Épilogue
Et puis qu'est-ce que ça fait si tu te mets à causer directement, sans compter les syllabes ni le temps quel qu'il soit. Qu'est-ce que ça fait là ?
On pourrait continuer, on serait pas plus avancé, surtout sans les lunettes, on n'y voit pas bien clair, et puis quoi pas, pourquoi pas ouais finalement.
Si on savait d'où tu parles ce serait pas du jeu alors on le dit pas comme ça on le sait pas ; on le devine.
Quelqu'un scande à la fenêtre, un message assurément. Et toi tu retranscris, tu transcris la scansion.
Du marron tout autour de l'œil ; un marron tu t'es pris. Un marron pleine poire.
Tu vas continuer longtemps comme ça ? À ignorer le rouleau compresseur ?
Aujourd'hui est un jour comme un autre, différent, comme les autres.
On ne t'y reprendrait plus, tu t'étais dit.
Faire un détour perpétuel. S'y retrouver chaque fois. Au fin fond d'un virage.
Un type qui ressemble à Samuel Fuller. Une pince de coiffeur en plastique rose.
Sublimer ; subsister.
Se sustenter au mot près. Ces mots qui te sustentent.
Continuer d'ouvrir un espace de rire, de respiration ; rire-respiration.
Revenir à la différence. (La différence des sexes.)
Lâcher la main qui tient au pied.
Perdre le pied qui tient en main.
Remonter la vitre de la portière droite.
Ne pas lésiner sur la quantité / sur la différence / sur la quantité de (la) différence.
Ne pas lésiner.
Le désir c'est la différence.
Et vice versa.
Attends-tu une réponse à cette interrogation ?
Où est passée la différence ? Où est allée la nuit dernière ?
Attends-tu la nuit qui vient ? Que fait le jour alors ?
Que fait le jour suivant en attendant ?
La journée est passée. La journée est passée.
On s'accroche, on s'accroche. (C'est demain qui s'accroche.)
"Accroche-toi", est-il inscrit. Accroche-toi est-il inscrit dès lors.
Alors on s'accroche.
Eh oui, on s'accroche. (Et pas à trois fois rien, non non...)
On aime au risque de la vie, alors c'est vrai, sinon beau, même dans la douleur (la douleur d'ex-sister ; à l'étant).
Il s'agit ni plus ni moins (et il faut l'écrire) du retour du surmoi, au bon sens du terme. (Le souple !)
C'est le "me voici" au sens de l'affirmation du choix dont tu n'as pas le choix, le choix que tu n'as que le choix : le tiens, quoi.
"Te voilà."
En finir avec le fait d'être sidéré : être désidéré ? (Désirant ?)
C'est dimanche. Il est 7 heures du matin. On attend patiemment, mais quoi ? Alors on lit.
Que ne meure-t-on à l'intérieur de la vie même, si ce n'est pour re-vivre, précisément.
Solder la catastrophe, qu'est-ce à dire ? (Mais qu'il en coûte !)
Accepter de ne pas en sortir victorieux. Comprendre que c'est là bien un impossible.
Un impossible heureux. L'insensé est bon heur.
Le hors-sens est désormais le non-but auquel tu dois t'astreindre.
Le surmoi neuf est advenu.
Ce surmoi naît d'un reste qu'il a fallu écrire.
Il s'agira d'être considérant comme considéré. (Et non plus sidéré, et non plus sidérant.)
C'est cela la levée de la Verleugnung à l'échelle de la structure : un trou noir, immense ; comme une colonne de grand vide traversant le monde de part en part.
C'est bien Steffi que tu rencontres là, de nouveau, devant la table nue de la cafét' ; tu reconnais la robe bleue, la chevelure blonde.
Tel un gouffre qui n'en est pas un car il soutient, sous-tend, à sa façon.
Achopper sur telle absence est façon d'avancer.
À rouvrir inlassablement : l'étant, le rejeton d'une étoile de mer.
Un bébé se suce le pied ; un nouveau-né se suçote l'orteil.
Et à cet instant-ci, je tout entier suis ce pied. Je suis ce gros orteil. Petit peton pris en main comme en bouche.
La pulsion (libido) est alors, à la lettre, l'image toujours à venir d'un bambin prenant son pied comme un serpent se mord la queue.
Au fond de toi, un nouveau-né te prie de suivre son élan.
Un nouveau-né s'échine, et il a bien raison.
3 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 5 years
Text
Shoot again (autopsie d'un fétichisme)
Nom d'un chien, quel est ce pied qui me fait encore de l’œil ? Mais oui, quel pied surgit là, comme un chamois sur l'à pic ? Un pied de femme, assurément. Ongles faits et plante avenante. Modelé cadencé, sculpté de main experte. Les méandres suaves comme un chemisier qui bâille — mystérieux, énigmatique à souhait. Orteils cependant aventurés hors des draps, comme prêts de se détacher. Un coup de maître, je vous dis. À qui il est, ce peton-là, je ne sais pas. Peut-être est-ce le pied de cette journaliste à l'intégrité tenace intervenue avec brio dans la série regardée hier. Ou bien celui de Cathy, la voisine, qu'elle aura mis à tremper dans l'eau salée. Ou encore celui de Chantal, qui plaisante sur Instagram en publiant la mesure des panards en cuivre de la statue de la Liberté avec ce commentaire : «  Moi qui pensais en avoir de grands ! ». En fait ce n'est pas un pied en particulier qui me saute aux yeux ainsi, depuis le dedans même. C'est une idée de pied, pied générique ou presque. Une image sans doute. Le fait est que cet arpion qui m'habite le fond de l’œil en permanence ne va pas sans sérieusement me taper sur le système. Il est si joli ! Svelte, alerte, coloré. Le talon sûr, les doigts mobiles, le coup vif. Ça me fait, oui, un effet bœuf. M'attire, me fascine. Au point que ça me prend la tête. Une jouissance au fond de l’œil, sorte de clou du spectacle si vous voulez, c'est-à-dire ni plus ni moins comme un clou planté là. D'agrément, n'est-ce pas, tout à fait contestable.
Mon œil ne peut se détourner et moi non plus. Me voilà médusé ; scotché de l'intérieur, punaisé, bel et bien cloué sur place. Oui, ça me tient la jambe aussi, comme ce type l'autre jour dans la rue. M'en voilà carrément pétrifié. D'où qu'il vienne, là où il est, me collant à la vue, ce pied fait obstacle, m'obture par là même — oui, m'obstrue carrément —, me prive de tout accès, de tout accès extérieur, de tout accès au monde, de toute vision du monde. C'est simple, je ne vois que lui ; un film à lui tout seul. Autant dire que je ne vois, que je n'y vois plus rien. Sans compter qu'il remue toute la journée. Depuis l'arrière du globe, jusque devant la rétine. Ça me fiche un tournis d'enfer. Et un mal de crâne pas possible. Quand il bouge, ce sont mes yeux qui sont bandés, comme bandés. Alors là, oui, j'ai les yeux faits, comme des rats, plus bons qu'à tourner sur eux-mêmes, bons qu'à tourner en rond, comme s'ils étaient soûls. Le regard sourd, l'âme aveuglée, me voilà bien. Le front tapé, l'esprit aveugle au même titre que le blanc arrière depuis quoi ça se joue. Oui, me voilà dans l'angle mort, voire l'angle mort même. L'angle mort en personne. Non plus aigu ni obtus. Disparu. Comme mort.
Ce pied, pour qu'il me lâche, il faudrait l'attraper. Comme avec un filet à papillon. Le coincer dans un livre, l'y épingler en vue de le désépingler de moi. Le pousser à migrer, à migrer sur la page. Il faudrait m'en soustraire. Il est imaginaire. La solution ne peut être que mentale. Il s'agira de le faire descendre. Le faire descendre de là, de l'arrière de l'oculaire, des recoins des mirettes où il se projette et se promène à mon corps défendant ; d'où il me balade. Le faire redescendre et le garder au fond, non pas au fond de l’œil mais bien là où tu penses, au fond tout court, dans le nœud, dans le fond, m'en farcir, me le fourrer profond, bien dans le fondement, tout au fond de ce trou qui nous sous-tend, au fond du trou du cul.
Après, quand ce n'est pas un pied subreptice qui m'interdit, ce sont des mains, furtivement, des mains de femmes là encore. Des mains toujours plus ou moins comme sorties (ou pas sorties) d'un film de Bresson, oblongues et encore, un exemple parmi d'autres. Là c'est les mains anguleuses de la jeune femme à l'épicerie de quartier qui me reviennent en plein œil comme une flèche se plante dans le mille. Ou bien celles, piquantes, de la bibliothécaire en face de qui j'écris. Ou encore celles aux ongles ronds de Cathy, la voisine, qu'elle ne met pas à tremper dans l'eau salée. Des mains aux lignes qui me touchent. Dont les contours me parlent, allez savoir. Dont les creux et les pleins feraient signe, mystère, énigme, vie ; beauté sans doute, mais pas que. Sinon comment expliquer qu'elles ne font pas que me plaire, me flatter l’œil mais, dès lors qu'elles surgissent inopinément sous mes yeux comme depuis le dedans même, me séduisent de façon tout à fait radicale, vont jusqu'à me hanter.
Ces mains qui me poussent comme droit dans le ciboulot, me rabattent les oreilles, me sonnent la tête comme entre deux cymbales, elles ne sont pas images mais symboles. Oui, ces mains sont symboliques. Du passé qui cogne à la porte, qui frappe à la dérobée. Du passé qui te regarde. Ce serait les mains qui t'ont torché le derrière — celles de ta mère, celles de tes sœurs ; celles de ton frère aussi. Ce sont les marques d'un don. Un don fatalement, humainement partiel donc immanquablement privant de tout le reste, un don privant du Tout. Les prendre ainsi, mains tendues et non pas marques de ce Tout, non pas siège matriciel. Y couper à ce titre. Se couper de leur attraction totalisante, résister à leur caractère tentaculaire. Oui, il faudrait les couper : n'en garder qu'une part, qu'en partie elles manquent. Renoncer aux mains toutes, faire barre au plein courant, cette compulsion à la finalité diabolique. Extraire le plein de ces mains de ma tête, y faire place, en dépit de l'horreur qu'en éprouve la nature, à du vide ; y dessiner une fente. L'ombre d'un sexe de femme, pourquoi pas (ou celle d'un pin parasol). Le crâne dur et creux, grotte ornée de fresques inoccupée au demeurant. Oui, remplacer ces mains omniprésentes par la possibilité de leur absence — et la chérir, cette absence. Las manos desasidas. Lâcher les mains, s'en priver réellement. Elles m'enserrent le front, me tiennent comme pince, m'appuient dessus sans arrêt. Trouver à s'en défaire, consentir à les perdre en partie, se résoudre à ne pas les garder toutes. Ces mains n'ont de valeur que d'être la marque d'un don ; elles ne valent que d'être rétrocessibles, refilables. Sinon quoi je trébuche indéfiniment, à buter chaque fois que j'en croise une paire. Alors je n'y suis plus, je n'y suis plus pour personne. Leur attrait m'est fatal.
Pieds et mains font écran, écran de cinéma. Ce que je vois maintenant, entrevois tout du moins, aperçois, soupçonne plus exactement, c'est une verge, oui, une verge merveilleuse, ailée pour ainsi dire. Verge sublime, immaculée, saillante à souhait, ferme et souple, parfois dure comme du bois, pourquoi pas ; tout à fait délicieuse. Un vit radieux débusqué, détouré, apparu, deviné, imprimé comme au pochoir sur le blanc même qui, à force d'avoir été longé, limé, besogné, gratté, renonçant à l'opacité, propose accueil et transparence, entrée gratuite au cinéma. Pieds et mains font écran, font écran au réel. Ainsi, eh oui, je vois la Verge ! Illico je m'en vais tenter de l'attraper. Préhension, préhension. Mon propre sexe se détache et me rentre dans la bouche. (« Mange ta bite ! » lançait Lisa par téléphone à son mec à la sortie du théâtre.)
Ces visions (malheureuses !), ce sont elles qui m'attrapent. Je suis pris dans les rets, paradoxalement proie du regard de l'Autre ; l'effondrement m'y guette. L'Autre est un puits sans fond, et c'est bien comme ça. Mais pourquoi moi j'y tombe ? La faute au fuselé, à la cambrure, au relief et à la part d'ombre associée. Un attelage qui sait non seulement me charmer mais le fait avec une force telle que je m'effondre du regard, que je m'effondre, comme depuis le regard même. Ces formes allongées, phalliques s'il en est, en un mot, m'éblouissent ; éclaboussent mon œil, me harponnent, m'éborgnent. Un leurre bondissant, m'épinglant au passage. C'est par l’œil que je tombe, par la vue que je fond, que la saillie me voit m'effacer momentanément, par le fond s'ouvrant à l'endroit du sol qui se dérobe alors sous moi, comme jusque six pieds sous terre.
Alors c'est quoi qu'il faudrait faire, quoi pour que cessent ces effets ? Tomber l’œil, carrément ? Le crever, le priver de sa sensibilité ? Sans la vue, serais-je moins vulnérable, moins soumis à la sollicitation, moins tenté par ce qu'il faut bien se résoudre à appeler l'illicite ? Non, il me faut tolérer les charmes de ce monde. Intégrer qu'il n'y a rien de caché en dessous, absolument rien là, sous ces pieds et ces mains, ces formes de passage. Ni fabuleux érigé, ni... rien. Ces attributs font écran, c'est mon esprit qui fait le reste. Pures surfaces de projection, ils se prêtent à toutes les fantaisies. Il n'y a rien derrière, non, précisément rien. Rien là-dessous, vraiment, rigoureusement rien. Tellement rien que j'y projette à peu près tout, ce que je veux : la verge merveilleuse comme, aussi bien, le plein rêvé de ces années où nous étions enfants. Il y aurait là une origine à soi, un chiffre à qui on serait ? Non, absolument pas. Non, rien qu'un manque-à-être. Un manque face auquel, à le nier, je me retrouve, où plutôt je me perds, plongé là tête la première. Faisant face à mon propre manque, en faisant fi (dans le déni), je perds absolument la face ; j'y perds pied, et pour cause. Plaquant du familier sur l'inconnu, oui, familiarisant l'altérité et ainsi me l'appropriant, je m'y abîme.
Il y a là matière néanmoins, matière à volupté, origine à désir. Dès lors que tu t’assois sur le pied même, que tu t'en bas l’œillet, sans les mains qui plus est. S'agit de faire de ces formes zélées rencontrées à l'occasion, qu'on continue à apprécier, non pas mon miel mais mes maîtres, idéaux, inducteurs de désir. Les apprécier, non pas en jouir. En apprécier la beauté, m'en tenir là, m'arrêter là. Les faire m'arrêter là, sans les mains et ripaton ailé dans le fion. Oui, m'asseoir sur le pied, le rentrer et le perdre de façon motrice, m'asseoir sur la jouissance, me dépatouiller des mains, m'en passer comme Blaise Cendrars de son bras, y couper de façon féconde, la chose identificatoire réduite à portion congrue. (Ne pas s'y attacher, s'y rattacher, s'y retrouver dépossédé de tout discernement, perché, possédé, quoi.)
Jouer de mes lunettes, oui laisser place au jeu, façon de lâcher prise, de ne plus être aux aguets, en voie de disparition. Ce que j'entraperçois c'est le manque de ce que je crois regarder, c'est ça qui de fait me regarde — les lunules sont des yeux — mais tout ça n'est que de l'absence, rien ou sa cicatrice, une béance, sa suture. À vouloir à tout prix y voir quelque chose, il faut croire que je n'en veux rien savoir. À l'usure, venir à bout de la dénégation. Laisser tomber le jouissif d’œil, le regard éjaculatoire, satisfaction funeste. Accepter la dégringolade, apprécier la désillusion. Perdre non pas la vue mais la jouissance, ce hors-temps où vision et regard coïncident, se confondent ; la brèche est comble et patatras. Renoncer à la jouissance de l'Autre à laquelle je me prête par l'entremise d'un regard précisément sans entremise, lui qui me rentre dans l’œil comme un clou, littéralement me cloue, à défaut d'être non pas absent mais vide, défait de moi, libre : autre, pleinement autre, quoi. Laisser place à ce rien depuis lequel c'est moi qui suis objet de regard, sous le regard des autres. Apprendre à faire avec, m'en façonner un usage, un savoir-y-faire. Que le regard ne soit plus mien, plus le mien mais celui d'autrui ; d'une telle ou d'un tel, peu importe à vrai dire. Que mon œil ne soit plus qu'ocelle. Vue, simple vue, en paix et non plus succombant. Ceci afin que je sois mû, mû par ce regard-là, ce regard neuf et extérieur, autre, enfin autre. Y reconnaître du réel, impossible et irrémédiable. En faire mon maître, par-delà l'impuissance. Y retrouver contenance en m'y donnant la possibilité d'en revenir, d'en revenir dessillé. Est-ce à dire en renaître ? Ça baise dans la pièce d'à côté.
3 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Une image
Ninon est une image. Elle n'est qu'une image, et pas moins qu'une image. Elle est l'image de ma mère au même âge, comme sur la photo, la chevelure sombre, dans la cuisine au carrelage noir et blanc. Ou sur cette plage de Normandie, debout sur les épaules d'un homme inconnu de moi. Oui, Ninon est, ni plus ni moins, la jeunesse perdue de ma mère.
10 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
L'amour en personne
Stefanie s'est invitée, s'est invitée dans mon corps. Introduite, glissée là, elle en est la doublure. Ses pieds sont dans mes pieds, ses mains sont dans mes mains, sa tête est dans ma tête. Je ne tiens pas, comme en enfance, ses petons dans mes menottes. Je ne me prends plus non plus son cul dans la gueule. Son corps est dans mon corps, bien ajusté ici, ajusté à mon corps. Il en est le dedans, indubitablement. Il est bien dans ma peau. Je ne suis plus que peau, seconde peau du reste, autant dire un être de seconde main. Rien qu'un costume, quoi. Un pantin.
Le corps de Stefanie s'aligne sur mes entrailles, elle m'aligne sur ses hanches — je saute sur ses genoux pour ainsi dire ! Il double à l'intérieur le simple habit que je suis. Je ne suis plus que devanture, que façade. Une couverture, un manteau. Un masque. Le masque, le manteau dont Stefanie est le corps, le noyau, le cœur et l'agent de rêve, l'être même. Ce que certains appellent l'âme. Les cheveux décolorés, les oreilles percées, les sourcils écarlates et les extrémités bleues, comme tout droit sortie d'une planche d'Enki Bilal ; Stefanie est cette étendue, joyeuse plasticité ainsi que tête pensante. Pas étonnant que je rêve dorénavant en allemand. Si Ninon était le corps du délit et son pied le corps du délire, Stefanie, leur antidote, est le corps du désir. Psyché n'a qu'à bien se tenir. Stefanie est dans la place.
Il n'en a pas toujours été ainsi. Avant cette introjection, paroxystique, ultime s'il en est, Stefanie vécut sa vie et moi la mienne, chacun oui tout à fait séparément. À l'époque, elle était doctorante en médecine à la faculté de Nantes et portait un vieux pull de ski rouge à flocons blancs. C'est dans ces conditions qu'elle a connu son futur époux, Wilfried Zard, le cinéaste — l'auteur de la trilogie Le Désaveu, Le Différend, La Défection. Ils se sont rencontrés un soir de la fin août dans un bar du Bouffay. (Le Bouffay précisément, si mes souvenirs sont bons.) Un échange de regard et les voilà main dans la main, Stefanie et Wilfried, marchant du même pas, le long de la ligne de tramway, dans les bois le long de l'Erdre, sous les feux jusqu'à La Bourgeonnière, la résidence étudiante.
La chambre de Stefanie à la cité universitaire ressemble à une cellule, les barreaux métalliques en moins. Avec vue sur le tramway à intervalles réguliers — blanc, orange et vert — et les arbres ordinaires alentours, le boulevard de part et d'autre. Un peu comme chez moi, à Paris sur les Maréchaux, les remontées d'égouts en moins. Du reste, j'ai moi aussi eu un jour (ou plutôt une année) une chambre à La Bourgeonnière — quand j'étais élève-ingénieur. On se faisait des gueuletons dans la cuisine collective de l'étage. Je passais du temps chez Clément, le voisin. On lisait Bukowski à voix haute en sifflant la vodka-orange qu'il avait concoctée dans une bouteille plastique, devant la télé dont il avait coupé le son. Je me souviens de la vue — toutes ces chambres ont la même, à peu de choses près ; toutes ces chambres sont les mêmes.
Cette nuit-là, ce ne sera que la première de leur nuit, de toutes les nuits qu'ils passeront l'un avec l'autre, l'un contre l'autre, l'un pour l'autre — ensemble, quoi. Stefanie et Wilfried feront un nombre incalculable de fois l'amour dans cette piaule, des nuits, des semaines entières, directement sur le sommier, le matelas étant trop mou et trop étroit, ou (la plupart du temps) en levrette contre le mur, leur position préférée. L'amour toujours jusque longtemps après extinction des feux, jusqu'à complet écroulement.
Stefanie et Wilfried c'est pour la vie. Ce qui, étrangement, n'empêche pas Stefanie de vivre aussi désormais chez moi, en moi pour être précis. Je suis son hôte, je suis sien pour ainsi dire. Et je n'y suis pour rien. Son bassin anime le mien. Ses seins gonflent sous mes poumons. La porte ouverte de son sexe donne de l'air au mien. Sa voix même est ce qui souffle les quelques mots qu'on dira miens. Tout se passe comme si j'avais avalé Stefanie — pour ne pas l'être moi, avalé par le monde, englouti, confondu, pris dans les mondes du dessous. D'un coup d'un seul et toute entière, descendue là saine et sauve, en un seul morceau. J'ai comme ingurgité cette femme, de bout en bout qui plus est, sans mâcher aucunement, ni les mots, échappés, ni la chair aigre-douce, ni les os en forme de flûte. Stefanie est ici, elle est ici chez elle. Et je l'aime à ma façon.
Stefanie me le rend bien. Sa bienveillance est la mienne. Son épanouissement le mien. Je ne suis rien sans elle, c'est un fait. Elle est l'être dont je réponds (quelque part l'essence même, le fil auquel je tiens), ce qui me permet d'être en quelque sorte, oui d'être quelque part, d'ex-sister. Je l'ai en moi sans pour autant disposer d'elle, au contraire : elle dispose de moi. Moi qui ne suis plus qu'abstinence, que casquette — persona. Je ne la possède pas, c'est elle qui jouit de moi. Me fait porter le chapeau. Il aura bien fallu me faire une raison, renoncer à la Jouissance, la jouissance à l'état pur. Stefanie en est la marque, elle est cette raison-là, cette résignation même. Stefanie et moi c'est comme ça, on s'est choisi sans se choisir, on n'y peut rien. Elle est mon double féminin, ma moité intérieure. Non pas le fruit de mes entrailles mais leur arbre. Elle est cet arbre de vie, pommier de la connaissance, origine de mes actes, preuve de mes sentiments.
Stefanie est la Dame Jaune, l'or de la nuit qui m'achemine, qui m'emmenant m'amène, me mène à bon port. Le moindre de mes faits et gestes. Chef d'orchestre de mes actes, elle me mène à la baguette et c'est peu dire. Elle a la main sur mon destin, elle est cette main-là, matrice, pour ainsi dire destin même. J'aime être dirigé ainsi, ça me repose, me détend. Je ne suis pas à l'origine, il me suffit de suivre le mouvement, de respecter les consignes, d'épouser les courbes induites, d'obéir au doigt et à l’œil. Stefanie, c'est tout à la fois mon mentor et ma voix, mon regard et ma foi. Stefanie, oui, c'est moi. La prunelle de mon être, si tant est que je sois. Elle est, assurément. L'autre de moi, l'autre sans qui je ne suis rien, l'autre par excellence. Elle est ma vie, elle est ma joie, sa garantie, son expansion. Façon de contenir l'hémorragie spirituelle. Façon pour moi de rapatrier le Sexuel, le sexuel à l'état pur. De ne plus baigner dans l'extime. De ne plus me noyer dans le verre des eaux profondes. Stefanie, créature sans yeux et à la bouche sans fond, n'est pas ma raison d'être mais l'être de ma raison. Le secret bien gardé de mes jours comme de mes nuits. Je suis séparé d'elle, elle me manque, évidemment. Elle est l'amour en personne. Ce qui fait de moi quelqu'un. Moi-même en aucun cas, non, mais quelque un. Un gonze en l'occurrence, un gonze comme un autre — un pas-tout. Mais oui, Maman ! En voilà un homme heureux.
7 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Par ici la sortie
Voilà que je retombe sur Ninon. Elle est sur Facebook. Je retombe sur elle. Vais-je me ramasser ?
Elle est étendue là, sur un canapé noir. Les doigts de pieds en éventail. Ongles et lèvres assortis, assortis au canapé noir.
Ninon scrute l'objectif et tend l'index. Elle pointe du doigt le panneau lumineux, la sortie de secours. Le seau d'eau calé là se déverse sur moi.
Ninon m'a fait du pied au sortir d'un concert. On buvait à l'hôtel avec les musiciens — elle couvrait l'événement pour un webzine. (Ninon, elle est freelance. Elle écume les concerts. Elle écume les dîners. Elle couche avec des hommes. Moi, j'étais là par erreur.)
Ninon scrute l'objectif, elle en appelle à témoin. Ses yeux aussi sont assortis au canapé. Leurs environs plutôt : les contours et les cils, eyeliner et mascara. Les yeux, eux, sont marrons. Et Ninon l'a mauvaise.
Quand elle était au collège, Ninon tenait un journal intime. Mais sa mère le lisait. Aujourd'hui, elle tient un blog (que sa mère ne lit pas).
Ninon se lève et va dans la cuisine américaine se servir un verre. Elle constate au passage qu'il n'y a rien dans le frigo. Même pas du fromage à faire fondre sur les pâtes. Elle n'a pas très faim cela dit. La séance photo lui a coupé l'appétit.
Elle a la forte impression de s'être fait avoir. La paie est plutôt bonne, bien meilleure que pour un papier. Mais là n'est pas la question ; elle ne s'y retrouve absolument pas. Elle ne se retrouve pas, non pas sur la photo (ça, elle s'en fiche) mais dans la façon qu'a le gars de travailler. Dans la façon qu'il a de prendre des pincettes en même temps que de manquer totalement d'autorité. Du coup, ça laisse à désirer et ça traîne en longueur. Elle se sent flouée.
Ninon, elle aime la poigne et les directions précises. Elle veut bien être dirigée, à condition de l'être bien. En général, comme beaucoup, elle préfère diriger. Sa vie comme le reste. Elle préfère être aux commandes. Plutôt que de piger à la petite semaine en attendant la lune. Plutôt que de faire ainsi le tapin mental.
Ninon signera bien toutefois la décharge. (Il peut bien faire ce qu'il veut de cette image, elle est déjà ailleurs, elle n'est déjà plus, loin s'en faut, celle qui a posé, encore moins celle qu'il croit avoir imprimée, qu'elle n'a jamais été.) Avant de se saisir de l'appareil photo.
Ninon se saisira de l'appareil photo. Mais pas pour faire des photos. Elle se saisit du boîtier et fracasse le crâne du type avec. Le mec s'écroule sur le sol. Le sang coule jusqu'à la bonde.
Me voilà dans la plaie, pris dans le corps de Ninon. Et la plaie se referme. Et le corps se soustrait. Et le champ se rétracte. L'absence est à l'horizon, il n'y a pas d'autre issue. Il n'y a pas de hors-champ.
Alors je tue Ninon, la sortie de secours. Je la tue avec le poignard en verre de l'oncle d'Antonanzas. Je lui plante la lame translucide une bonne poignée de fois dans le ventre. Le sang se répand là, comme dans un giallo. Il s'écoule jusqu'à la bonde. Quelque chose y est passé, également passé là. Quelque chose ou quelqu'un : quoi, qui en plus de Ninon ? Qui, quoi de moi y est resté, dans cet éventrement pourpre ? J'ai la gaule à présent. Ninon, je ne l'ai pas mise. Au lieu de ça, je l'ai tuée. Je l'ai tuée dans le vestibule. Là, je l'allonge auprès du mec. Et je n'en reste pas là.
Je descends à la quincaillerie du coin me procurer une scie. Remonté au studio, je coupe le pied de Ninon au niveau de la cheville. Oui, je démembre Ninon, en partie en tout cas. Je lui coupe un des pieds, comme on peut faire au cochon. Les orteils inertes n'en brillent pas moins pour autant. Je lui coupe le pied droit. La voilà, étrangement, comme blessée à la toison, séparée à la fente. Amputée d'un membre bas. Que je tiens comme un saucisson. Une passe comme une autre : je me le rentre dans le fion. M'y en fiche les doigts, me les carre dans le trou, comme autant de prises mâles sur lesquelles me caler, autant d'électrodes auxquelles me brancher. Cinq ampoules dans le cul. Et oui, je m'assieds dessus, allumé ce qu'il faut, je m'en fiche éperdument. Cinq lampions dans le fondement et me voilà ranimé. Me voilà réanimé. Je m'en tiens d'abord à ça, étoilé comme il faut, l'anus enguirlandé, illuminé comme un Noël. Ensuite, enfin, une fois sorti du chapeau (en vérité, du sac) le revolver ivoire de l'oncle d'Antonanzas, je me tire une balle avec. Non sans me faire dessus.
Le tableau est achevé, c'est le cas de le dire. Les trois morts étendus là sont comme l'Absence en personne. On ne peut pas nous manquer.
1 note · View note
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Une main à qui parler
J’ai trouvé une main à qui parler. Elle est au-dedans de moi. Elle est là du bout des doigts.
8 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Une main (en moins)
C'est l'histoire d'une main. Une main à laquelle tu tenais. Une main que tu lâches.
Des doigts longs comme le bras. Les voilà qui sont coupés. Te voilà comme amputé. De cette main secourable.
Tu dis adieu à la main. Il n'y a rien à faire d'autre. C'est sans recours ni retour.
5 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Un coït parmi d'autres
Je vois un homme dans ton dos qui passe devant toi. Je te vois être soulevée, attrapée par les cuisses. Je vois ton corps monté, je vois vos corps flanqués, bandés, arqués : jambes campées, bras employés — une entreprise en érection. Tu t'arcboutes à la commode, pied cambré, orteils vissés au sol. Son sexe vif se présente. Je vois le tiens écarquillé, béant. Et je l'entends. J'entends ton con en appeler, en appeler au plafond, épeler, épeler les jurons qui sortent de ta bouche. Ta vulve joue des lèvres, épelle les jurons qui sortent de ta bouche. Elle en est scintillante, brillante comme un alphabet, un alphabet nouveau. – Putain, tu cries. Oui, je t'entends. – Putain, putain. Tu t'ouvres à l'instant. Tu t'ouvres comme un livre.
Mon plaisir infini est de t'imaginer baiser avec un autre. Ma joie est d'imaginer. T'imaginer présente. Présente loin de moi. Présente en mon absence. En train de baiser, donc. J'aime t'imaginer. Dans cette position-là. Ce n'est pas toi qui fait l'effet, c'est la scène, ce film dans lequel tu es accompagnée. Tu couches avec un autre. Ça me met moi dans une position tout à fait savoureuse, à défaut d'être confortable. Il y a bien un léger pincement. Pas facile d'être exclu de pareille bombance. De n'être pas partie prenante. Et Dieu sait que tu aimes qu'on te prenne. Et Dieu sait que j'aime quand c'est le cas. Simplement ce n'est pas moi, ce n'est pas moi qui te prends.
Vous êtes tombés l'un sur l'autre dans l'escalator de Beaubourg — pas littéralement toutefois. Tu croyais aller à la conférence d'un critique d'art contemporain. Il s'agissait en fait d'une lecture poétique. Quoi qu'il en soit, vous alliez bien au même endroit. J'en veux pour preuve l'échange de regards appuyés en haut de l'escalier. « Enchantés » ça disait. Personne ne s'y est trompé, ni toi ni lui ni moi. Je vous ai regardé avancer assez loin, assez loin l'un de l'autre, déjà proches néanmoins. Celui qui était irrémédiablement loin, c'était moi seul. Vous avez assisté à la lecture chacun à votre place ; l'échange de regards s'est poursuivi. Vous vous cherchiez. Les mots de l'auteur emplissaient la pièce, habitaient le moment. Vous étiez bien là, à l'écoute, présents. Et pourtant à la fois déjà ailleurs.
À la fin de la lecture, tu es passée lentement dans la salle adjacente, lieu de la collection permanente. Tout aussi lentement, l'homme t'a suivie. Tout s'est passé comme si vous vous connaissiez. Le type est critique de cinéma. Le cinéma, un art plastique comme un autre. Toi qui croyais te rendre à la conférence d'un critique d'art, tu ne t'étais donc pas vraiment trompée : te voilà bien allant à la rencontre d'un critique. Je le connais le gars. (Je le revois encore en train de sauter cette amie réalisatrice au festival d'Oléron. Oui je vois tout le temps tout le monde en train de copuler !) Sébastien, il s'appelle. Sébastien Quelque chose. Toi, tu prends les devants. Il ne te fait pas froid aux yeux, tu le trouves même plutôt attirant. Tu es curieuse de lui — sous le charme, comme on dit. Tu sais ce qui t'attend, tu ne sais pas ce qui t'attend, c'est bien pourquoi tu lui proposes d'aller boire un verre.
Vous passez devant un bistrot bariolé. On va là ?, il demande. Pourquoi pas, tu dis. Installés au comptoir, sur des tabourets hauts. Tu commandes un Jack Daniel's et lui te suit, la même chose. Vous partagez le fait d'avoir apprécié la lecture. C'était vivant, dites-vous. Les grandes mains de l'écrivain semblaient respirer en propre pendant qu'il psalmodiait. Ça circulait, pas mal de qi. Ça vous a embarqués.
En sortant, c'est la nuit. Tu as envie de te promener dans le square des Batignolles. C'est fermé mais les clôtures pas si hautes, faciles à escalader. Là encore, ton nouvel ami te suit. Moi aussi, du reste. (Une fois je suis passé du côté de ce square avec une amie la nuit. On avait le même genre d'envie mais on n'était pas entré dans le square, on avait poussé la balade jusqu'à la gare Saint-Lazare puis pris un train de banlieue je sais plus lequel, n'importe lequel, jusqu'à son terminus et débouché dans la forêt. On avait marché là, marché dans la forêt, dansé même. On avait fait l'amour dans le train du retour.)
Maintenant vous allez chez toi. Tu l'emmènes chez toi, rue Berzélius. Vous passez sous le porche et traversez la cour. Il y a des draps noirs suspendus aux fenêtres. Je me remémore tes fesses sous la douche. Lui te prend sur le canapé.
Qu'est-ce qu'il m'a pris de vous suivre. Je vous vois donc poursuivre les ébats, en dépit des draps noirs faisant office de rideaux. Ça s'inscrit même en moi de façon infinie, comme une éternité, un symbole sans fin. Oui, ça va assez loin. Désormais c'est même de la figuration intérieure de ses ébats, de cet acte sexuel entre vous, que je tire ce je suis. Ça constitue désir. Ça fait corps, oui, ça fait identité. Me voilà comme l'enfant de ce coït inopiné et ininterrompu ; j'en suis le fils, j'ouvre la porte de vos nuits et voilà que c'est moi que ça ouvre, que ça forge. Je nais comme de vous. De la lumière de vos nuits, de ces nuits que vous passez l'un sur l'autre, l'un dans l'autre. J'en nais, de cet accouplement, de cet accouplement sans fin. J'en nais à chaque instant.
5 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Un pied dans le réel
Te réveiller avec un pied de femme dans la tête. Il faut imaginer ta tête. Il faut imaginer ta tête comme un grand bocal. Et le pied de Ninon flotter dedans. Non pas comme un morceau inanimé plongé dans le formol. Non, pas un pied embaumé, pas l'arpion d'une morte, non, rien de tout cela. Mais le pied vivant de Ninon, le pied de Ninon vivant, comme un crustacé dans son bol.
Drôle de tête que tu fais là. D'autant que le pied de Ninon ne se contente pas d'être remuant, de te nager dans le crâne, de tourner sur lui-même à l'endroit du cortex, de te travailler le front depuis le dedans, d'apposer sa griffe sur l'envers de tes tempes, de titiller de ses orteils versatiles l'arrière de tes globes oculaires. Comme si tu l'avais, ce foutu appendice, en guise d'encéphale. Non, le pied de Ninon ne se contente pas d'investir la place, de jouer de la plante, d'occuper l'espace. Il influe sur ton pouls. Il module ton devenir. Il occupe le temps. Et de quelle manière ? La pire des manières. Il te parle dans la tronche. Oui, ce putain de pied cause. Il dicte à voix haute le tempo. Sans vergogne qui plus est ; comme si tu lui avais donné carte blanche, comme si tu lui donnais raison. Il a pris possession du crachoir. Et il n'a pas l'intention de le lâcher. Il dégoise à tout va, te saoule de trop de mots. Il a la voix de ta mère, à l'accent juif de Sétif près. Ce sacrebleu de pied parle, te bassine à longueur de journée.
Ta première réaction a été d'essayer de le faire taire. Tu l'as prié de se taire. Tu es allé jusqu'à le menacer, jusqu'à le menacer de l'écraser pour qu'il s'écrase, c'était peine perdue. Il ne s'est pas écrasé. Tu t'es bouché les oreilles. Les index enfilés dans les oreilles. Ça n'a pas fonctionné non plus, et pour cause : l'importun te siffle depuis la cochlée même. De même, s'agissant du remue-ménage — littéralement, un remue-méninges — qu'il opère dans le bocal, déjà que tu n'as pas été foutu de changer le flexible de la douche, te voilà tout à fait incapable de l'immobiliser de quelque manière que ce soit. Il remue comme il l'entend. Il pousse sur les parois internes de ton chef. Tu devines les terminaisons luminescentes frétillant dans la nuit de la salle de cinéma qu'est ta ciboule. Tu perçois les doigts coquets qui te tapissent l'intérieur. Tu en fais, une tête.
Honnêtement, quitte à le sentir, ce ripaton, tu préférerais l'avoir dans le rectum. Qu'il te taquine le fond de la prostate. Plutôt que t'y cogner. H24 dans la tête, ce n'est pas possible. Ça fait un bruit pas possible. Ça fait un boucan d'enfer. Ça crie de vérité. Et ça vous lèche l'intérieur du bulbe comme si de rien n'était. Donc, oui, quitte à l'avoir en toi, plutôt qu'au fond du ciboulot, tu préférerais dans le fondement. Quitte à te le cogner, autant l'avoir dans l'os. Tu préférerais, et tu vas y travailler. Le sommer de descendre. Le tenir en respect. Le forcer à descendre. À descendre de là. De l'en-haut d'où il a pris le dessus sur toi. Le virer de ce piédestal. Le forcer à migrer, le dégager de là. Voilà la solution. Pour te sortir de là, tu en es convaincu, faut le bouger de là.
Renoncer à t'en débarrasser tout à fait. Faire que tu l'oublies. T'en cogner. C'est le seul moyen de t'en détacher. Te faire une raison, te résoudre à l'avoir. Mais pas là où il est. Non, pas là où il est pour le moment. Pas le garder dans la tête. Bien l'amener à descendre. Quitte à ce qu'il ne te lâche pas la grappe. Accepter qu'il te prenne — sauf la tête. Quitte à l'avoir dans le cul.
Il sera l'appendice réel en personne. L'appendice du réel, son éminence intime, sa prégnance, son prolongement. Le réel et son pied. Oui, le pied du réel. Le pédoncule sur lequel tu seras : fiché, accroché, épinglé, réponse faite du réel, du réel en personne. L'un des bouts sinon le seul par quoi tu ne seras pas tout à fait fichu, pas tout à fait foutu (mais bien fichu ; bien foutu). Le pied de ton désir. L'empreinte du réel. Le hile qui t'insérera, t'insérera au réel. Le clou sur quoi tu seras assis, qui sera cause et fera identité, qui te fera sujet, dont tu te recommanderas, sur quoi tu te tiendras droit, sur quoi tu tiendras debout, d'où tu te tiendras tranquille, d'où tu te tiendras tout court, hors de la confusion du grand Intemporel. Il sera bien sûr le siège de la parole, le siège de ta parole. Le strapontin d'où tu seras parlé. (D'où tu seras parlé.) Un coup de pied dans le cul. Oui, c'est lui qui te parlera. Tu parleras par l'entremise de ce pied. Ça parlera par toi depuis ce pied qui te sous-tend. C'est bien de ça qu'il s'agit, de cela que tu parles, ça qui te parle, d'où tu parles, dont tu parles. N'est-ce pas déjà le pied rien que de pouvoir le dire, de pouvoir le formuler ? Même le pied n'en revient pas. Il en est descendu de son perchoir. Plus exactement, il en a chuté. Eh oui, le pied est tombé.
4 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
En l'absence d'Aldiouma
Comment ça se dit, une image ? Est-ce que ça se raconte ? Est-ce que ça se lit ? Est-ce que ça se vérifie ? Et quel rapport avec la facture d'électricité ? Tu aimerais bien raconter, simplement raconter. Tu t'y évertuerais, si tu étais capable. Ce serait plutôt haut, une histoire exclusivement. Une histoire, toute une histoire, rien qu'une histoire. Ça défilerait comme dans une tête, les mots feraient image, les mots feraient son. Les images seraient, oui : ça tiendrait la route. On te dirait conteur, Dichter, narrateur, menteur, cinéaste, whatever. On ne te dirait pas, on se rendrait pas compte. C'est que l'histoire prendrait le dessus, bien le dessus sur toi, le dessus sur le reste, elle embarquerait l'autre. Avec bonheur, ta pomme n'aurait plus aucune espèce d'importance. Un maillon quelconque. Pas plus d'épaisseur qu'une feuille de papier à cigarette. Tu ne donnerais plus prise, ça raconterait seul et d'autant mieux que tu n'y serais pas. Personne ne prêterait plus attention au fait qu'à un moment tu fus dans la même barque qu'elle, que l'histoire qui prendrait forme là.
Il faudrait cependant retourner sur les lieux. Et retourner dans le temps. Car les images sont là, oui, mais les mots, non. Les mots se cachent. Les mots se planquent. Les mots se dérobent, ils se font la malle, ça ne date pas d'hier. Enfouis, enfouis, enfouis. Les souvenirs, non. Bittersweet memories. Mais les mots, si. Retirés, disparus, ensevelis peut-être, hors de portée à tout le moins. La mémoire ne flanche pas, ce sont les mots qui se refusent à l'entrée, les mots qui se rétractent, les mots auxquels tu n'as pas droit ou qui estiment à part eux que tu ne les vaux pas. Les mots te tournent le dos. Les mots, oui, te font défaut. Rétifs, ils manquent à l'appel. Les mots ne sont pas là. Ils te narguent même, on dirait ; ils te posent un lapin. Les mots te manquent, les mots manquent. Et les images, alors ? Elles sont là. Quelque part en tout cas. Elles ne manquent pas, non, mais, quoi faire pour autant ? Quoi en faire, quoi faire avec ? Les images là le sont à l'imaginaire, elles sont à l'esprit, peut-être pas qu'en toi mais pas partout non plus. Et le fait qu'elles ne semblent pas bien loin, est-ce que ça change quelque chose ? Et si oui, quoi ? Qu'est-ce que ça y fait ? Des images mentales, ça se cantonne tout de même, ça suinte un peu au mieux et puis c'est tout. C'est tout, voilà, y a rien à faire. Pour l'instant tu ne peux rien faire. Il va falloir attendre, attendre de nouveau. Attendre encore un bon paquet de temps résolument mauvais qui te semblera long comme le bras, qui te coûtera tout ce qu'il ne te rapporte pas. Et Dieu sait que tout ça ne te rapporte rien.
Il faudra faire un jour toute la nuit sur cette histoire. Pour cela, tu envisagerais de filmer. Filmer de près et de loin. Filmer par-ci et par-là. Avec opiniâtreté mais sans bouger de trop. Sans lumière ajoutée. Ou sous les phares d'une auto. Filmer en dépit de. Pas du bon sens, non, mais du reste. Filmer quoi qu'il arrive. La pelouse luisante. Les roches artificielles. Le dénivelé brut. Les grottes faméliques. Les nids de poule retors. Les ombres promenées. La vue panoramique mais voilée. Le livre abandonné sous le banc numéroté. Prendre aussi le bruit des graviers, tantôt un brin étouffé, tantôt plutôt amplifié, fonction du volume de la rumeur générale. Enregistrer le souffle dans les séquoias — le souffle des séquoias. Les bagnoles au loin, qu'on entend justement au loin, contrairement aux riverains de L'Eau-qui-dort, qui sourdent là, derrière vous. On pourrait faire ça avec le téléphone. La définition est correcte, la sensibilité idoine. Suffira d'y brancher le bon micro. L'absence de miroir est un miroir. On filmerait non pas la ville mais la nuit. Pas la ville de nuit mais la nuit même. On y cultiverait les tremblements d'obscurité. On en attraperait l'opacité prégnante. On y collecterait l'antiparticule du photon — à savoir le photon lui-même — et ce bien qu'un photon averti en vaille deux. (Sans parler de la chandelle sacrée que vaudrait la captation du faisant-trou.)
En attendant, tu descends l'avenue Bolívar sur un brancard. C'est le brancard du centre de rééducation où Aldiouma travaille. Elle y est infirmière. Elle vit chez son oncle. Tu n'en sais pas bien plus. Tu l'aurais rêvée, ce serait la même. Elle t'est comme apparue là. Ceci dit, elle est bien infirmière rue du Val d'Or et c'est bien elle qui t'inocule l'anticoagulant. À ce qu'on sache, tu n'es pas sous anesthésiant, analgésique, ni anxiolytique ou quoi. Pourtant tu sembles flotter comme dans un rêve. Autour de toi ça flotte aussi, comme si tu dormais. Réalité comme en sommeil. Mi-paradis, mi-enfer. (Et plus souvent enfer que paradis d'ailleurs ; un cauchemar, assurément.) Ça tourne, ça re-tourne. Léger et lourd à la fois. Un voyage à peu de frais et impossible, insupportable. Le tournis garanti. Un haut-le-cœur pénible. Une humeur malignement distillée. Le fruit triste d'un prurit intérieur. Bref, un état second. Cotonneux comme du plomb. Poisseux, terrible et froid comme, sinon la mort en personne, au moins l'angoisse en personne. – Eh ben v'là quoi, mon gars, tu redoutes le pire ? On ne te donne pas tort.
Qu'est-ce que tu fous en pleine rue à trois heures du matin à cheval sur un brancard ? Tu collapses ou tu fomentes un travelling ? Qui pour répondre à ces questions ? Qui pour arrêter le brancard, l'empêcher de rouler tout seul, de dévaler ainsi la pente, d'avaler au passage ce qui te reste de sauf ? Le goudron est si mat vu d'ici. Pas une mouette à l'horizon. Tu fonces sans t'en rendre compte. Y aurait de quoi flipper, mais non. Tu te tiens droit, pas vraiment comme un i, m'enfin. Comme tu peux, disons. En même temps, il faut bien que tu t'y accroches au brancard. Pas facile de rester debout dans ces conditions-là. Quoi qu'il en soit, c'est bien un aliéné qu'on voit débouler là à toute blinde dans le bas de Secrétan. Cet aliéné, c'est donc toi. La preuve, c'est qu'il n'y a personne pour le voir. (L'aliénation vaincra !) Ni pour le contredire. (Pas plus sain qu'une bonne aliénation !) Aucun doute, tu nages bien en plein délire. Tout à fait hors des lignes rouge et jaune de la piscine Pailleron.
C'est à la jambe qu'on t'a opéré. Au genou droit, pour être exact. Tu partages l'appareil de musculation avec un type sans cheveux qui, pendant que monte et descend la fonte, te parle de Maldoror. Précisément, préoccupé, tu n'as pas remarqué que tu sentais mauvais des pieds. C'est une patiente embêtée qui t'oblige à le constater. (Et force est de le constater.) Tu te rechausses derechef. Le type, lui, est tombé la semaine dernière de l'arbre dont il avait à tailler les branches, c'est son métier.
Quid de l'entreprise qui doit nous occuper ? Pour la mener à bien on finirait par n'utiliser plus que des infinitifs. Ça n'en finirait pas. De l'infinitif et quand même un peu de conditionnel. Infinitif, conditionnel. Conditionnel, infinitif. La paire gagnante à coup sûr. Comme Laurel et Hardy. Ou Buster et Keaton. Sinon, question lentille, va pour la focale fixe de marque suisse. On n'est pas près de se coucher. Avec de tels choix, on ne risque pas de se coucher. Tu vas voir ce que tu vas voir. Au lieu de quoi le brancard arrive à Jaurès. La plume en berne. La caméra tombée en rade. La ténèbre adéquate bien trop vite édulcorée. Tout roule et rien ne roule. Ça tourne mais pas comme il faut. Tu vas donc devoir continuer à appuyer sur la béance. Limiter la perte de sang. Contenir l'abus de dedans rencontré au-dehors. Ravaler le sang qui noircit — celui qu'on appelle mélancolie.
C'est toujours un arrachement. Un qui s'impose, on te l'impose, on se l'impose. À l'intérieur, ça fait un mal de chien. Une douleur, un cri de dogue. Est-ce une dent qu'on tire, est-ce un œil qu'on triture ? Qu'est-ce qu'on crève là, qu'est-ce qui y crève au passage ? Quelque chose crève en tout cas, ça t'en es sûr. T'en mettrais ta main à couper. Ça en crève et on continue — je me demande bien pourquoi quand même. Et puis c'est écarté d'un revers de main, tu t'écartes toi-même d'un revers de la main. Celle-là même que tu vas mettre à couper.
Le brancard continue sa course folle. Il en a pris, dis-moi, de l'assurance. Et de l'autonomie. Un brancard pareil, c'est pas commun, hein. Il file droit sous le métro aérien. Il lui fait la nique, même, on dirait. De là à dire qu'il persiste dans son être, faut pas non plus pousser Mamie dans les orties. (De toutes les façons, faut pas pousser Mamie dans les orties jamais !) Vraiment pas froid aux yeux, ce brancard-là. Tu paries que l'extravagance de son comportement va donner lieu à de nouvelles expressions ? Filer droit comme un brancard vide. Brave comme un brancard ensorcelé. Bringuebaler à brancard libre. Azimuté comme un brancard lancé pleine vitesse et de plein gré. Plein comme un brancard à jeun, pourquoi pas non plus. Bref. L'essentiel, c'est que ce soit bien le brancard, et le brancard seulement, qui attire l'attention. Passée la rampe d'escalier, pleins feux sur le brancard. Toi, maintenant, tu passes naturellement pour mort. Pour mort, tu passes crème, même. Et de mort naturelle. Ainsi, tu es tranquille. Enfin tranquille, enfin. Débarrassé enfin. Débarrassé de quoi ? De cette permanence noire qu'est la menace de mort. Ce sparadrap notoire. Tu ne seras plus obligé de raconter (la façon dont ça te collait, dont ça te poursuivait). Non, tu n'auras plus à te tordre. Maintenant que du point de vue de la mort te voilà mort. Mort aux yeux de la mort.
[Texte écrit dans le cadre de l’atelier de François Bon : construire la ville avec des mots #45 la nuit — cf. Je vous parlerai d”une autre nuit, Tiers Livre Éditeur]
2 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
J'ai trois souvenirs de films
Les masques s'avançant dans la pénombre du grand salon du château. Pénombre qui redouble le noir de la salle 2 du Katorza. Les fauteuils inoccupés n'en sont que plus rougeoyants.
(Nantes, automne 1999)
Jacques Dutronc laissé en plan dans l'étang dans lequel il plonge tout habillé depuis le début de la matinée. Laissé en plan parce qu'enfin la prise est bonne, la chemise, en prenant l'eau, « n'a pas gonflé », pas de bulles : on passe au plan suivant. Oubliant là celui qui tient le personnage titre à bout de bras, le peintre inouï qui vient de faillir se noyer.
(Marigny-Marmande, printemps 1990)
Les courts-métrages faits maison avec la bande des amis. Le Super 8 et les beaux jours, ou ceux qu'on voulait tels, en pleine adolescence. Ces « petits films », comme les appelait ma mère, y en avait trois. Sur la pelouse, Au bord de l'eau et Sur le fil. On les a oubliés depuis, mais eux se rappellent de nous.
(Saint-Cloud, été 1998)
[Texte écrit dans le cadre de l’atelier éponyme de François Bon]
3 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Comme au premier jour
Vous voilà arrêtés sur la route de Saint-Malo pour faire de l'essence. Réapprovisionner le réservoir de la Twingo. Les cheveux ras, le teint hâlé, vous êtes beaux comme dans une chanson de Julien Doré. Romain va pisser dans le fond de la boutique (enfin, dans l'urinoir). Mal perché sur un tabouret implanté dans le sol, les coudes sur la table haute plantée elle aussi, tu sirotes un jus de cranberry. Tu revois Marina te précéder un soir de juin dans l'escalier. L'odeur de détergent ne fait pas oublier les empreintes de pas noires dont le carrelage est couvert. Oui, c'est à vous le Seven Up et le paquet de Granola. Des cachous, il y en a dans la voiture. Non, vous n'avez pas la carte à points de la station.
2 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
9 portes seront passées
tu butes de nouveau sur la barre de seuil qui est mal vissée au plancher ton visage heurte le fer de la lame quand tu tentes de te glisser sous la porte ; c’est la poignée qui te retient le bouton de cuivre maculé de produit à astiquer l’argenterie et cette odeur qui te résiste sur les mains qui te résiste la mémoire que ta mère a badigeonnée de produit (l’argenterie de la famille était au coffre) ; la voie à privilégier : le trou de serrure — va falloir se faire petit mais la serrure, y a pas à tortiller c’est la promesse d’un accès sans précédent la caresse du doigt du voyage à venir ; tu planches, tu t’échines, tu astiques le dedans de la serrure avec le produit tu briques les gonds fixes de ce creux et sûr, ensuite, suffira de t’y glisser noix de métal liquide à régénérescence ; toute une ville emmanchée là dans le bois même de la porte qui te bloque et qui te voit franchir une à une les haies de ce terrier de sciures, tas de brindilles véritable repaire, bureau des termites ; le plus dur une fois que tu t’es engagé c’est de parvenir à sortir ; tu descends à la cave chercher des cartons que tu vas découper soigneusement et en enfiler les morceaux dans le travers de la cloison ; enfin, afin que ton corps tende à l’étroitesse adéquate, tu prends une douche glacée tu rases les poils, râpes ta peau au burin savonnes les extrémités ; épuisé, crachotant — diable, que tu as soif te voilà à nouveau face à la porte
[Texte écrit dans le cadre de l’atelier éponyme de François Bon]
3 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Le Malakoff Hôtel
Tchac, tchac, tchac. Un type aux cheveux longs tape à la machine. Tchac, tchac, tchac. Derrière lui, un lit défait.
Une vague de liquide rouge sang déferle dans la pièce, comme depuis le haut du mur. On ne voit pas la béance qui permet ça.
Nuit. Pluie. Rue. Un homme en pardessus descend d'un taxi. Marche quelques mètres en se tenant le col. Entre dans un hôtel. « Le Malakoff Hôtel » en lettres lumineuses.
Une femme dans un bain très chaud avec mousse. Fume une cigarette. Beaucoup de buée sur le miroir et la fenêtre. La fenêtre depuis la rue ; pluie ; nuit. Au-dessus, « Le Malakoff Hôtel », en lettres lumineuses.
L'homme entré dans l'hôtel accoudé à la réception. J'ai surtout faim, dit-il.
La femme sort du bain, s'enroule dans serviette. Passe la main sur le miroir pour effacer la buée. Se regarde de près, montre les dents serrées.
Salle à manger restreinte. Plafonnier éteint. Seule la loupiote à la réception est allumée. L'homme est là, seul à table. Steak-frites. Bruits de pas à l'étage.
La femme allume la télé en s'allongeant sur le lit double. À l'écran : de la neige. Appuie sur la télécommande. À l'écran : mire. Éteint la télé. Étendue là. Dans le noir.
[Texte écrit dans le cadre de l’atelier de François Bon : vers un écrire-film #1]
5 notes · View notes
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Montagne et les couleurs du _temps
MONTAGNE
*
Le roman de Montagne
*
Livre I
*
Une femme se déshabille
au-dessous du ciel rose
derrière un rideau jaune
éclairé de l’intérieur
Je regarde depuis la fenêtre
en faisant cuire les pâtes au thon
*
Je porte trois épaisseurs de manteaux
mais au soleil il fait encore chaud
Dans le caniveau de l’eau coule
et brille comme un torrent de montagne
Je jongle et je chante et je sue du crâne
Le poisson rouge chante aussi
*
Un écrivain américain grave sur bois
des Norvégiennes nues, je lis dans le journal
La grande aux yeux tombés qui vient de se moucher
est peut-être elle aussi modèle
— elle aurait pris froid dans l’atelier
Ses narines rougies me sourient
*
J’ai les doigts qui sentent le gingembre
sous les halos bleus des enseignes
Et j’ai les pieds qui poussent.
Le poisson revient dans la poêle
Tu coupes des citrons verts
pendant que nous faisons l’amour
*
Je me lave les dents, j’articule
face au miroir moucheté
les paroles du poème précédent
J’ai de l’eau sur le cou, des boutons fatigués
Derrière moi la serviette jaune
est bleue et je vais me coucher
*
Nous en foutons partout sur le sofa
aussi de ton liquide à toi
Je le déplie puisque c’est mon lit
Tous les jours je dois monter les draps
Des pièces tombent de mon vieux sweat noir
À la radio j’entends l’autoroute
*
Je me relève pour aller pisser
Je sens toujours le gingembre
Dehors mon sexe sent le sexe
Je prends ma couille la plus basse dans la main
J’imagine que tu me suces
J’en viens vite à me caresser
*
Défilent sous mes yeux les femmes de septembre
encore en tongs alors qu’il fait plus froid
Elles enjambent les carcasses de vélo
maculées de fiente
D’en haut j’aperçois le soleil sur les toits
Je me demande à quelle heure je vais descendre
*
La mer se réfléchit sur le rideau rose ocre
Ses plis sont immobiles
Il n’y a pas la mer mais le bruit des voitures.
Le morceau de rideau est figé dans la chambre
Il n’y a pas de vent
Une mer de soleil irise le rideau
*
Le ciel est bleu très ciel, bleu exactement ciel
au-dessus des lanternes et des cheminées
Un ciel de peinture liquide, ouais
du bleu numéro huit et puis beaucoup de blanc
et, plus bas, du ciel gris, au loin, derrière
Du gris sale
*
Le linge court la façade aux fenêtres nues
Je marche au pied la tête haute
Le mur est blanc troué, béant
si blanc que le soleil le cueille
Mur blanc, trous noirs : un visage aérien
rend au matin sa part de Méditerranée
*
La bretelle est tombée, l’épaule est nue
On se chauffe aux derniers rayons du jour
Je voyage à Paris, là où je vis
Hier je buvais déjà à la table derrière
des yeux deux autres femmes
Là l’épaule est partie, alors je bois la bière
*
Je me suis couché sans penser à rien
Maintenant je pisse dans le lavabo
Je me regarde dans la glace
Mais qu'y a-t-il au fond des yeux
Je me regarde au fond des yeux
Un instant je me sens moins seul
*
Mes yeux brûlants trempent dans leurs larmes
La douleur se disperse
Je me réveille avec la mort en tête
Mes yeux continuent de mouiller,
la douleur se répand
C’est le ventre qui brûle et désormais l’œil tremble
*
Une casserole me traîne la nuit
sur des graviers hostiles
Le vieil ascenseur me lancine
Le jour le parfum de Rosina me hante
jusque dans l’escalier
Le temps de ma mort est opaque
*
Tu te découvres la première
et tu me lèves le t-shirt
Tu passes tes mains dans mon dos,
t’accroches à mes omoplates
Je me penche et goûte tes seins
alors je ne peux plus les regarder
*
Il pleut dehors et ça me fait du bien
Il fait déjà presque nuit
J’ai la vue trouble et le ventre qui brûle
mais j’ai mis la lumière à l’intérieur
Je regarde au travers de la vitre
et je me sens chez moi
*
Le ciel était noir, il a plu au travers
Les tâches sur le toit de tôle en témoignent
Bout de bleu, nuages blancs ; le vent a pris
le dessus, il est orange et jaune
Le drapeau flotte sur les jardins
Je cours me baigner dans la lande
*
Tu sais, maman, les chaussures que j’ai aux pieds
c’est celles que tu m’avais achetées
Tu voulais absolument m’en offrir
et moi je voulais pas
Je les avais choisies mais je n’en voulais pas
Tu disais que je les mettrais plus tard
*
J’ai vu au mur que le ciel était jaune
Je me suis tu et j’ai couru sur les hauteurs
J’ai attrapé les escaliers
J’ai fait le tour du quartier sans trouver
la fenêtre
Entre temps la brume est devenue rouge
*
Je te mords le sein jusqu’au sang
Tu me devais bien ça
J’en mange en premier la naissance
et je demande du mamelon
qu’on le cuisine à la vinaigrette
— servi sur lit de pommes à l’huile
*
Le ciel est vent, statique et clair
Il tire en l’air les feuillages
On vire alors au vert olive
tandis que le soleil se niche
dans l’herbe rousse et sous les cailloux blancs.
Je me coule un bain chaud sur la voie ferrée
*
J’ai eu ma sœur au téléphone
J’ai les gencives qui saignent
On ne veut pas lui donner son argent
Je dis que c’est des bagatelles
Mais je comprends le mauvais sang
Je crie que c’est des bagatelles
*
Vais-je aller au cinéma ?
Ou vais-je rentrer ébranlé
Voilà les questions qui me viennent
là où je suis dans un square au soleil
le cul au bord de la fontaine
le désir aux oreilles
*
Les nuages migrent vers le nord
ils avancent en caravane
La fumée des usines tient la traîne
Je fais des bulles avec mon peigne
Je me demande quand c’est qu’à nouveau
je marcherai sur le chemin
*
On découvre un champ entier derrière l’immeuble :
du blé jaune à perte de vue
Il y a même un troquet, je remarque
Tu vas être bien ici, regarde
On installe un hamac en travers de la grève
Au fond la mer se ramène en rouleaux
*
Comme un chat le pigeon boit l’eau du caniveau
Je rencontre Lucie sous la pluie
Son sein me saute au cou en riant,
la fureur de sa joie me conforte
Je continue j’accuse, eu égard au bonheur
le malheur et sa boue d’impuissance illusoire
*
Je trouve le salut du dernier vers
— un instant j’ai moins froid
Le pont de Clichy me ramène à la ville
À l’amont j’ai même oublié l’hiver
Je grimpe sur l’écran en briques
sans croire à la mort du héros
*
*
*
Livre II
*
Prendre le train et aller voir ma sœur
et mes neveux que j’aime bien
Je partirai demain, ce sera les vacances
J’apporterai des livres. Je me lèverai
quand je me lèverai
Leur ferai écouter la chanson de Dylan
qui finit par : « It’s alright, ma.
It’s life, and life ONly. »
*
Cette nuit j’ai rêvé d’une femme
Je me tenais contre elle et ça faisait du bien
C’était chaud et de bon augure
Je suis allé parler à son copain,
il voulait bien me la laisser
Et lui je l’aimais bien aussi
C’est toujours un bon rêve, même après
que je me suis réveillé
*
– Sors le calibre sors le calibre sors le…
They have guns in their pockets,
les mains enfoncées et la voix qui porte
J’ai pris à droite, j’avais des courses à faire
Dans le Franprix ça chantait : « Don’t cry babe »
J’ai répondu aux attaques armées
chargé de bananes et de brocolis.
It’s alright, ma. I’m only bleeding
*
Le ciel très blanc d’automne
provoque un silence de neige
Marine va partir à l’île d’Yeu
avec Zoé qu’elle veut serrer dans ses bras.
J’ai dormi dans le lit du salon
Au lever nous avons cuisiné.
Les épinards ont bu l’huile d’olive
et j’ai flambé les crevettes au pastis
*
Y a pas de lézard avec moi, je musarde
J’ai que ça à faire toute la nuit
Comme les chevaux, je dors en marchant
C’est mieux que de raconter des conneries
Là j’ai fait deux fois la Porte de Versailles
Y en a des kilomètres, là-dedans
Fais attention quand même : une fois
j’ai fait cramer la poubelle avec un mégot
*
Je n’ai pas besoin que tu sois
la femme de ma vie pour que tu sois
la femme de ma vie.
Femme à la vie tu l’es déjà
Quant à moi, je ne suis pas
l’individu que l’on croit
C’est la vie seulement, c’est la vie qui nous voit
Et t’aimer, oui : t’aimer
*
J’aime quand tu mets la main sur moi
tu me touches du bout des doigts
Quand tu viens chercher ma main
et la cales entre tes doigts
J’aime quand tu me caresses
tu me surprends dans tes doigts
Quand tu m’appuies dessus avec
et tu demandes à mes doigts
*
Une nuit, dans Saint-Ouen, en quête de Camille
j’ai rencontré un chat.
Logé sur un fauteuil de paille
sous la fenêtre éteinte,
il me scrute à la lumière de la cour
Quand je me décide à partir, il me suit.
Je n’ai jamais plus retrouvé Camille
Je marche en compagnie du chat
*
En sortant du tunnel, — j’arrive à la Part-Dieu —
je découvre Lyon par derrière les arbres
J’ai le ventre barré, mais le sang circule
et mon sexe est gonflé.
À la vitre, le dehors défile
L’air est libre, le ciel a repris des couleurs
Je marche avec foi jusqu’au wagon-bar
et j’y descends dix verres d’eau en respirant
*
Je bois la mousse chaude et le robinet goutte,
le déjà d’eau me masse la nuque et m’enjoint.
Je me passe la main sur le visage
L’eau coule encore et fait floc
Si j’écris en pleurant, je mouille le papier
J’attrape le savon, j’attends, je sors du lit
Isis a peint une tête violette
à même la table de la cuisine
*
Un gamin joufflu grimé en clochard
me demande de l’argent
Je l’invite quand même à manger les burgers
(bacon, salade, ketchup et double fromage).
Les neveux l’emmènent avec eux à Trion
chez Eddy, chercher un film d’horreur.
Sœur Isis est au rouge et Nana la grand-mère
vient de leur envoyer un billet sous scellé
*
Je ronfle et je transpire un goût de tabac froid
au retour de la nuit mal passée en sommeil.
Les enfants sont montés sur le toit
Les tuiles ne tiennent pas, j’entends d’en bas.
Je roule sur le parquet noir,
je descends les morceaux à bout de bras
Et malgré mes narines encombrées
je me coule jusqu’à la tasse
*
Ébrouez-vous, ébrouez-vous
de colloque en colloque
Le temps fera rien à l’affaire
et ce rien nous importe.
À l’avant, chaise et table balancent
La femme de devant appuie ses avant-bras
vers moi. Alors pendant qu’il fait beau, je demande
– Est-ce que vous aimez qu’on vous lèche le sexe
*
Le rosier de Marine est si grand
qu’il me vient en tête à l’heure de l’apéro
Je repasse à Croix-Rousse où j’avais habité
un mois, pas plus, avec Laure, en janvier
et je cherche en montant le long des marches blanches
à roter la fougasse au poulet
Oui il en faudra encore, du sang
X-factor, X-factor; High power
*
Je souffle sur l’araignée pendue au journal
face aux scintillements de la Saône
Elle ne se fait pas mal en tombant sur le quai.
Isis se tord à dix mètres et ne voit pas
Le corbeau de Poe a les pieds dans l’eau
Tous les pigeons du coin ont rappliqué
C’est la fête des morts, et la messe à la plage
*
Si je t’appelle depuis les vacances
c’est que je me demande :
des trois que tu as emportés
quel livre tu relis, quel temps tu fais là-bas
quel feu, quelle terre tu plies
Quelle mer et quel pied tu y as mis en premier
Je me demande et toi, comme le Manito-
-ba, tu ne réponds pas
*
Montée de la Chana mène au Parc des hauteurs
Ces escaliers promettent un ailleurs vert bouteille.
Montée de la Sarra mène au Parc des hauteurs
Je n’ai pas de feu mais elle en a ma sœur
La nuit est éclairée depuis un bon moment
Tu es jolie, je lui dis
Elle m’emmène sous le sapin
*
Soyons avec nos sexes
regardons qu’ils sont bien, écoutons-les renfler
Ne nous enfilons pas avant d’avoir serré
le mouillé et le dur.
Suce-moi à l’envie, allumons la lumière
Fais voir les trous, les plis, les fonds en face ensemble
et laissons-nous goûter
avant aussi que de nous pénétrer
*
J’ai le gland qui brille à l’œil nu
Ça me démange encore au fond, ça tire
je me scrute le bout sorti du caleçon
J’ai l’estomac qui geint, les oignons me ravalent
les tuyaux, je me tiens
debout, sur le mollet crampé
Je pisse à la fenêtre et cela me respire
Malgré tout je ne peine au grand froid
*
On est allé se promener, sous l’échangeur
Il y a des marques fluorescentes au sol
et des chiffres à même la colline
Les phares tracent mal le jour brouillé
La descente aux autos est en panne.
Je fais le compte des paquets d’arbres cuits
le pied à contre-sens des gaz d’échappement
J’hurle en chantant, je donne des coups de marteau
*
Quand je rencontre Ninon, je suis pris
Les jolis pieds ça me fait kiffer.
Je dactylographie la malheureuse
Ça sort de sa bouche aigre-douce,
sa belle bouche de chair
Et ça m’imbibe l’oreille et la terre
Je m’incorpore à ses cuisses lactées, quatre ans
avant d’éjaculer dans le filtre à café
*
*
*
Livre III
*
Les feuilles cuites pendent comme des clochettes
devant la baie vitrée de l’atelier du peintre.
Il fait gris pluie sur Paris-la-forêt
Le froid pénètre les crevasses de Walt
Je lis Dostoïevski à la lumière de
mes pas qui courent malgré eux après la com-
-pagnie et désirent s’entendre.
Aucune hanche ne s’approche alors
Mais la lampe allumée s’accroche
Et je me penche
*
Il neige sur le rideau pétrole
de la voisine du premier, qui monte
ses courses lentement.
Elle me remercie de sa voix d’enfant
Autrement, elle les porte, tous ces sacs
C’est elle qui nourrit les cactus de l’immeuble
Tous les matins elle promène
ses géraniums dans l’entrée
Et le reste du jour, comble de bonheur
elle ne collectionne pas les coquillages
*
Dans le métro, Monsieur P. m’a vendu
un stylo qui ne marche pas
Je tousse encore à la mort.
Blanche vient d’appeler, elle tousse elle aussi
Elle préfère le grand vent
à son nouvel appartement
Du coup, elle fout tout en l’air
le fauteuil à l’envers, de peur
d’y rester.
Elle vient demain déjeuner
*
Je souffle sur la braise, et alors que je souffle,
je siffle
Plus près je me prends les poussières de charbon
dans l’œil.
Je tape du pied sans miroir
Je parle au parquet et voilà que je chante
à la mutine que j’ai rencontrée hier.
Elle veut le pouvoir et le dit
Et si elle ne peut aimer jamais
je sais déjà la désirer
*
Pourrions-nous nous revoir avant l’année prochaine ?
C’est que l’envie est là, déjà —
je vois bien que je ne t’oublie pas.
Retrouvons-nous ce soir à la Belle Ironie
Ton sourire penchera et nous serons ravis.
D’ici-là je me nappe de citron-miel :
chasser la toux, déboucher les cellules
que le désir ne soit pas empêché.
Le sang circulera et quand tu me diras
je sentirai des yeux aiguiller mes artères
*
Ce sont bien des mouettes qui crient sur les immeubles
La mer est loin, pourtant, à moins que là, derrière
vu qu’il n’y a pas d’arbres
À vol d’oiseau, j’y suis
Je mets un pied, c’est froid mais j’aime
et j’ai pris l’habitude.
Je ne résiste pas
Je nage à peine et je me vois déjà
Je l’aime cette fille
Je l’aime.
*
En remuant le miel, je me souviens Eva
en S sur le canapé, mangeant les frites
tard la nuit, en chantant Barbara
On couchait tous les trois, elle — Eva —, Pierre et moi
à même les tommettes de la chambre
On lui caressait la poitrine à tour de rôle
ou ensemble, on était d’accord
On pleurait tous les trois tellement c’était doux
On jouissait dans la soie qu’on parcourait ici.
C’est pas qu’on était riche ; on n’avait pas besoin
*
Quatre jours se sont écoulés sans te voir, hé-
-las ; je dois lutter pour retrouver le tracé
de ton visage.
La nuit, dans la bannette, je m’efforce
de tenir à portée une image fuyante
Mais elle ne se laisse pas.
Je n’ai pas parlé de toi à Jérôme
— je ne parle pas, c’est dire.
Je ne forcerai pas le jour
Je ne forcerai pas la vie
*
Je pense encore à toi ce soir,
le sexe entre deux eaux et les bronches meurtries
Voilà les faits et je ne cherche pas
Je ne t’appelle pas.
Pour l’instant, je revois la robe noire souple
faite pour être retirée
que tu portais vendredi
à la mi-nuit.
J’entends aussi parfois dans la journée
Tu me redis que j’ai du jaune entre les dents
*
Le peintre a allumé la loupiote à l'étage
Une fumée noire mord le ciel
J’entends les sirènes et la rumeur est large
On ne sortira pas vivant ce soir, on clame
à La Courneuve
« On ne sortira pas ce soir, tu resteras
chez toi jusqu’au départ.
– Le bateau reste à quai, c’est ça ??? »
On ne me répond pas, on me renvoie
Et à nouveau courir la mort
*
*
*
Livre IV
*
Je me souviens de ses grands doigts
glissés sous mon aisselle et promenant du chaud
pendant que du revers de ceux de l’autre main
elle longeait mon sexe enflé.
J’avais de mon côté jalonné son sein gauche
une heure auparavant.
C’était le Noël russe, et nous avions dansé
Sonnées les cloches de minuit, on a quitté
les invités, et rejoint le grenier
La télé restée allumée, on s’est jeté
Nous avons joui dans les coussins. Et on a bu
la fin du borsch maison que nous avions montée
*
J’ai bien aimé la promenade dans la nuit
qu’on a trouvée hier en sortant du restaurant.
Dominique avait du roi la moustache en place
Il repoussait la fermeture au maximum.
On a suivi bras dessus, bras dessous
jusqu’à la lisière des derniers bars ouverts
les amoureux premiers qui ne marchaient pas droit
En chantant les joies passées : les jeux, les rires
On sondait le quartier, c’est lui qui racontait
Et puis j’ai pris, avec l’encre d’hiver
le vélo seul et la lune en étoile.
La lumière est à la ville à jamais
*
Il y a du givre sur les rails, dans le fond du
tunnel à ciel ouvert qui borde les usines.
En bas, la mère des jumeaux ajuste à chaque
un son bonnet avant de reprendre la route.
Je les suis depuis la fenêtre
Je bloque et je me masse le plexus.
Mon souffle prend alors la forme d’un scorpion
du désert. Je le conduis dans le froid
La vitre qui me sépare du toit se brise.
Je vole maintenant bien au-dessus des voies
J’ai replié les jambes et rentré les coudes
J’étire un maximum les dorsaux
*
*
*
Lettres à Héloïse
*
I
*
Te souviens-tu de ce dimanche, t’en souviens-
tu ? J’ai grand-peine à ne pas l’oublier.
Le temps est à venir et par ici n’est rien
Les joues de mes yeux sont déchues, mon sommeil est
méchant.
Je ne veux écrire qu’à toi, me fous de la
littérature.
Je ne fais pas le temps ; je suis un grand enfant
Ce n’est pas moi d’ailleurs, c’est demain qui s’accroche.
*
Tu m’avais proposé de partir avec toi
en vacances ; aujourd’hui j’irais bien.
Je ne suis pas sorti de la ville depuis
l’été d’avant, la traversée du causse.
Le soir avec Marine au bord de la rivière
on tenait à genoux le feu sur les cailloux
mouillés. Et le matin on se cuisait des nouilles.
Aujourd’hui ce n’est pas demain la veille
Alors je lis Borges, pour que ça le devienne
*
C’est un dragon qui se déploie au loin
au son du piano, la tête la première.
Il a répandu tout son sang sur les toits
qu’il racle de son bas-ventre
avant de se dissiper dans le vent.
De mon côté le signal est faible
au moment où je gagne la frontière
au lieu de sombrer sobrement coincé
entre les lettres de l’abécédaire établi.
*
*
*
II
*
Chapeau mouillé décalotté sous la chaleur
je te vois me venir toute nue.
Sous tes pieds le ponton est solide ;
notre union sédimente au passage.
Sable et sel déposés, tu t’approches de moi.
Tu ne te lasses pas du bon goût de la mer.
Et si maintenant nous désirions un enfant ?
Il grandirait les poings serrés au monde
et nous verrait nous lire l’un l’autre à la bougie
*
L’eau gèle à la sortie du nez, les portes de
l’immeuble claquent, en même temps que dehors
le piquant du soleil annonce le printemps.
Les joues rosies, le front au frais, j’ai malgré ça
un mal de chien à sortir sur la ligne
Je rêve néanmoins debout épouser les
jeunes crêtes de tes dents de louve, et me fau-
-filer par tes lèvres jusque sous les gencives.
Force suprême est bien que tu ne dis pas non
*
J’ai dormi tout l’après-midi pour me soigner
la grippe. Une main de lumière pure m’a
cueilli au lever, rendant par là le lieu même
acceptable.
Tu as téléphoné, pour me dire oui encore ;
nous irons voir le film au cinéma ce soir.
Marine aussi a laissé un message, mais
elle n’est pas sûre : de vouloir, de pouvoir
Il manquera toujours un vers à cette histoire
*
*
*
III
*
Héloïse, entends-tu cette prière neuve ?
Vivement la vie tranquille en ta compagnie
le bon bout de l’allée cernée d’arbres pointus
Que les lieux soient des cieux cléments et favorables
à ce que nous goûtions ensemble le paisible
Que les temps de bercer ton petit ventre rond
arrivent jusqu’ici. Nos voix ne feront qu'une ;
Le z enfin sorti du beau milieu de Nietzsche
nous rirons, dans les champs, au voleur de rhubarbe
*
Nos baisers sont de loin mes baisers préférés
Ils l’ont toujours été — j’y repense à présent
La bonne nouvelle, c’est qu’ils le sont toujours.
Le goût de tes baisers, je ne l’oublie jamais
Il revient de lui-même quand tu n’es pas là.
Les lèvres se trouvent, les épidermes parlent
Bientôt nos langues aussi ont à voir ensemble
Cette adéquation-là, j’y repense à l’instant.
En attendant, il faut que j’aille au cinéma
*
Soudain je décroche du livre que je lis
celui que depuis tout petit j’adule (c’est
Raise high the roof beam, carpenters — dont Romain
vient de m’offrir une édition en serge bleu).
Mon attention s’en va alors suivant les grands
nuages blancs, par-delà l’antenne de té-
-lévision sur laquelle sont perchées deux pies.
Quand les deux pies s’envolent, le constat est là
clair comme un hémistiche : Héloïse me manque.
*
*
*
IV
*
Le sommeil ne veut pas de moi, je me sers une
bière dans un grand verre. Et dans le fond du verre
qu’est-ce que j’aperçois ? Des seins, des très beaux seins
Les plus beaux seins du coin, sans aucune illusion.
Je les connais ces seins : ce sont ceux de Marine.
Mais tiens-toi bien ma belle, ce n’est pas fini.
Ce sont tes seins à toi que je vois maintenant
tes deux jolis seins bruns. Puisse-t-on se trouver
l’un et l’autre bientôt du bon côté du verre.
*
Le drapeau mauve ondoie autour de la musique
et pendant que je siffle, un coq sort des tuyaux
de la ville. C’est un blues blanc et vide que
j’écoute à la radio, et je ne pense plus.
Le printemps tarde et je m’escrime jusque-là
à plaider la joie et à chanter par-dessus
les têtes et les toits de ceux qui volent bas.
Je sais, au fond, que tu n’en feras bientôt plus
partie. Aussi je crie, je ne crois pas pour rien.
*
Encore une lettre aujourd’hui, ça fera trois.
Il le faut bien, il le faut bien. Je ne veux pas
finir, je ne veux pas finir comme Vincent,
le soleil en travers de la gorge. Je veux
vivre, je veux aimer. Et si j’écris encore
c’est parce qu’aujourd’hui je ne suis bon qu’à ça.
Si je t’écris à nouveau, c’est parce que je
désire — un désir neuf qui jaillit dès ici
et qui bientôt dépassera l’alexandrin.
*
*
*
Nouvelles avec Marie
*
I
*
Aujourd’hui que je suis professeur de lycée
je vais quitter Paris, je le fais dans deux jours.
Avec Marie, on part dans le sud de la France
courir dans la nature à s’en couper le souffle.
Romain fournit la tente et la lampe à pétrole ;
Marie prend la guitare.
Le train sort de la gare et déjà nous voilà
délivrés des contraintes et des poids. Quand toi
le premier des heureux, tu nous salues du quai.
*
Le pigeon sur la branche mange le feuillage
Ses compagnons le surveillent depuis les toits.
Quand il tombe, il se sert de ses ailes
le mouvement précédant la pensée
et se rattrape avec à la branche voisine.
Moi aussi j’ai des ailes pour récupérer
frisant l’identité, le désir et la joie.
Une fois dévoré, je ressors par l’oreille
Et à nouveau je vole au-dessus des damnés.
*
Je stoppe la lecture page 33
Et je ne baisse pas les yeux
Je repense à ce film pour la première fois
quand une femme pleure dans la pharmacie.
Je m’assieds sur le rebord au pied de l’écran.
Et je l’attends.
Mon pouls reprend, je le sens qui remonte
Quand la femme ressort, elle ne pleure plus
Et je l’embrasse avant de retrouver Marie.
*
*
*
II
*
Pendant que nous marchons, je retrousse la manche :
la surface de peau, sur le chemin des Baux
qu’elle soit en contact avec sa main.
Marie m’explique la synthèse des couleurs.
Le soleil perce bleu au milieu des branchages
et projette du rouge à l’intérieur du ciel
sous le gris des nuages.
Il fait soif, on demande aux pompiers qu’ils remplissent
nos gourdes de camping avec leur lance à eau.
*
On fera bien un film sur Marie dessinant
le tronc du pin qui nous fait face à tous les deux.
Elle est assise dans un champ de romarin
par lequel pousse aussi du thym et de la sauge
unis comme dans la cuisine de Romain.
Elle masque le trop de lumière à main gauche
et peint sur le papier les lignes et les nœuds
qu’analysent ses yeux. Et avec les oreilles
elle écoute devant butiner les abeilles.
*
Marie dessine encore, en haut de la montagne
le haut des montagnes d’en face.
Elle n’a pas peur d’y mettre de la couleur.
Je songe alors à ma sœur — au trolleybus
qu’elle a peuplé d’un trait de feutre jaune.
Je lis la tête au vent, sous l’olivier auquel
Marie a accroché ses chaussettes de laine.
Ça souffle à l’intérieur de l’arbre, quand soudain
une buse en sort et me passe au ras du nez.
*
*
*
III
*
Le pull, le t-shirt et les jeans pendent aux branches
Nous voilà tout nus au milieu du petit bois.
Les oiseaux gazouillent en compagnie des guêpes.
Le choix fut de nous arrêter là pour manger
le jambon, le fromage et les tomates fraîches.
L’eau coule à flot là-haut, nous buvons à la source.
Marie fera pipi sur le bord du chemin.
Y a encore de la route, mais il nous reste
des pommes, des bananes et du chocolat.
*
Marie monte à l’arbre et rencontre des fourmis
à tête rouge. Elles sont carnivores, c’est
pourquoi la fourmi noire égarée là se sauve.
Elles peuvent tout aussi bien te mordre, mais
si tu fais attention à elles, elles font
attention à toi.
Marie va s’allonger sur la plus haute branche
et je la rejoins vite en grimpant comme un singe.
Dans les bras l’un de l’autre, on finit les bananes.
*
On prendra bien une photo, pas trop serrée
afin qu’on se souvienne de notre arrivée.
On a posé les sacs à l’entrée d’Eyguières
Tout notre linge sèche aux toilettes publiques
Je lave la vaisselle et le tapis de sol
quand Marie se fait belle à l’évier d’à côté.
On est léger toujours, on peut courir d’amour
au café du village et lire le journal
Ou rire à cloche-pied au sommet du clocher.
*
*
*
IV
*
Le garçon n’est pas seul, assis au bord de l’eau.
Il porte les couleurs de l’Olympique de
Marseille, et des ailes lui poussent dans le dos.
Marie lit Spinoza sur la pelouse, fume
les cigarettes de Laurent, chante Cabrel
et peint le désir en écoutant la musique.
Maintenant elle trempe les pieds dans le Rhône
Le garçon se relève et lui passe la balle
Ils traversent ensemble le fleuve en courant.
*
Un bon morceau d’écorce tombe de la dame
qui nourrit tous les chats et panse les pigeons.
Les cheveux gris, la marche séculaire
elle a l’allure feu de Danièle Huillet.
Avec Marie, nous reprenons le train.
On part en Italie, où les ciels sont divins
déguster la pasta comme on ne la fait plus.
Puis nous repartirons dans les pas de Corto
jusqu’en Abyssinie, Galilée, et Paris.
*
C’est ici que reprend l’histoire de Montagne.
Comment il n’est pas mort, comment il a vécu.
Il a passé la nuit à vaincre la tristesse
et libéré le jour à force de confiance.
Il a gagné la vie et la terre promises
Il en partage les fruits avec ses amis.
A la table, il y a Romain, Marie, Blanche, et Laure
— on boit du vin, on chante, on joue, on pleure, on rit.
Sur la piste : Mathias, Héloïse et Marine
— on tape dans les mains, on danse, on fait les zouaves.
Quant à Xavier, Cédric, François, Toto, Jérôme
et Pierre, ils sont debout sur la table et tout nus.
*
*
*
Vie de Montagne
*
I
*
Il pleut sur la chaleur, c’est la mousson d’été.
Dans le ciel, je revois l’ange blond avec qui
j’ai dansé dans la ville il y a quelques années.
Elle porte elle aussi les couleurs de Marseille.
Ses fesses sont un triomphe, et ses seins, si bien
montés en neige, portent très haut mon émoi.
Son rire d’or tintinnabule encore alors
que je l’embrasse — je l’entends qui résonne à
l’intérieur de moi. La pluie reprend de plus belle.
*
Le cheval qui court au loin est blanc, et non noir.
C’est celui de Marie, c’est celui de Marine.
C’est celui de ma mère, il est blanc comme l’air
Blanc comme le volet repeint avec Didier
Blanc comme le chapeau que je portais alors,
sous le soleil de juin, de juillet ou d’août.
Il court au loin et il se perd dans les nuages.
Il est seul comme moi et continue sa route.
Didier dit qu’on l’appelle Rocky Balboa.
*
Sur la tête de ma mère, les musiciens
chantent « Laisse saigner » et des ailes leur poussent
à eux aussi. Faut dire que ce sont les Stones
ce n’est pas le premier groupe de rock venu.
Du côté de ma sœur, ça fleurit, comme on dit.
Des iris jaunes à n’en plus finir, le rose
du prénatal à travers toute la cuisine…
On devient tous les deux, les vases communiquent.
Nous n’avons plus besoin de nous téléphoner.
*
*
*
II
*
Le ciel est dégagé et je ne risque pas
de rencontrer Mina en bikini vert pomme.
Elle est diable à merci et je ne l’ai pas prise.
Son cul fendu est un appel à se damner
J’ai fermé les rideaux plutôt que d’y sombrer.
D’autres ont succombé à la jeune première
comme à l’entrée du train au cinématographe.
Si vous lui prêtez trop l’oreille, elle vous chante
les sirènes et vous entraîne par le fond.
*
Je me souviens Nanteau — le petit banc de pierre
sur lequel je jouais aux voitures cul nu.
La salle de bain bleue y donnait sur le ciel.
Y avait qu’à ouvrir le vasistas et grimper.
C’est sur ce toit que Rachel m’a montré comment
fabriquer des bulles avec du chewing-gum.
Elle chantait aussi des chansons que son père
lui avaient apprises quand elle était petite.
Rien à voir avec les sirènes de malheur.
*
L’oreiller de Rimbaud protège du mauvais.
Je dors bien depuis que j’ai retrouvé la face.
Je lis Michon le soir avant de m’endormir
et la journée je me promène avec Marie.
Le matin, quand je nous fais couler du café
chaque fois je repense à la vieille, ma mère
qui fait ça elle aussi dans sa cuisine jaune
dès cinq heures, avant de réveiller les poules
et d’aller au jardin cueillir les petits pois.
*
*
*
III
*
Les nuages d’ici sont gros, blancs et soyeux.
Il fallait au moins ça pour accueillir les anges
ceux que l’on nomme saints parce qu’ils sont heureux.
Et je pense à ma mère, oui je pense à ma mère
qui a passé sa vie à conjurer le mal
sans pourtant parvenir à retrouver le temps.
Mais elle a eu de beaux enfants, et aujourd’hui
elle envoie des surprises aux fils de sa fille
et emmène aux canards les filles de son fils.
*
Aurore et Julie sont les filles de Montagne.
Elles aiment l’orage et courir à travers.
Marie est bonne mère, elle aime aussi l’orage
et courir à travers. Marie est bien avec
Montagne ; ils font l’amour souvent. Et ils cuisinent !
On peut les voir du haut de la colline blanche
préparer à manger pour les festivités
sans pour autant louper la dernière journée :
Marseille joue ce soir le titre au Vélodrome.
*
L’OM l’a emporté dans les arrêts de jeu.
Mes neveux sont déçus, ils tenaient pour l’OL
Ma mère, elle, est aux anges.
Elle a trouvé le ciel. Et les oiseaux qu’elle aime,
elle chante pour eux à gorge déployée.
J’entends d’ici sa voix, au sommet du Ruisseau,
quand eux parlent tout bas sous la fenêtre jaune.
C’est qu’en montagne, les oiseaux ne chantent pas.
Ils chuchotent.
*
*
*
Sonnet du retour à la ville
*
Les yeux ouverts se sont sortis du ventre obscur.
Le tapis bleu ciel est roulé, le sac est fait.
Je peux quitter les lieux, sauter par la fenêtre
atterrir sur les tilleuls de la promenade.
Je cours au Cabaret boire une mousse immense
à reflets d’or, en compagnie de Baudelaire.
La serveuse est jolie, la musique entraînante.
Je monte sur la table et j’en appelle au peuple.
J’appelle à la révolte la minorité
heureuse, celle des êtres libres. Je crois
à une vérité de la démocratie.
Femmes damnées, hommes damnés, je vous salue
et je vous plains. Bien triste est le butin qui vous
dérobe ainsi la possibilité d’aimer.
*
*
*
Haikai martial en forme de cœur
*
Le désir de Montagne est un nu blanc et rouge
sur lequel est inscrit à la pointe un Je t’aime
et qui s’offre à Marie comme elle s’offre à lui.
*
*
*
AMERICA
*
À la rencontre d’America
*
I
*
Un bon jour pour mourir, dit le livre de Jim
En attendant, je vide une pinte au soleil.
La femme devant moi boit un Cola glacé
pendant que ses gamins jouent à chat sur la table.
J’ai dans le nez l’odeur du tabac de mon père.
Ce relent du passé me fiche la nausée.
*
Il fait une chaleur de bête dans la plaine,
ce qui me coupe l’appétit pour la journée.
On me propose du pop-corn et je décline.
J’ai bien mangé un hamburger dans l’ascenseur
mais c’était ce matin à l’aube, il faisait frais.
Après midi je m’en tiens à siffler des bières.
*
Le ciel à l’horizon est arrosé de feu.
Le soir est là ; les aigrettes se montrent vives.
Je conduis le bateau plus au large, en pensant
à la blonde gorgieuse et qui bronzait topless
sur le balcon de mes vacances de minot.
(Une nuit, je l’ai même entendue copuler.)
*
J’ai couché au Cristal avec America.
L’enseigne du motel, clignotant rouge et bleu,
nous a tenus éveillés jusqu’au petit jour.
On a joué aux échecs — elle a choisi les noirs
mais avant la fin de la partie tous les pions
ont valsé : on a fait l’amour sur le plateau.
*
Agatha tient le regard avec le sourire
et une espièglerie qui lui va bien au teint.
Sans me quitter des yeux, en plus de la pinte
elle me met des frites avec de la sauce.
Et quand elle descend chercher un nouveau fût
elle demande que je lui file la main.
*
Elodie, elle, ne sert que des cacahuètes.
Quand la coupelle est vide, elle en apporte une autre
et moi qui n’aime pas trop ça les cacahuètes
force est de constater que j’en fais mon repas.
Elle est belle, Elodie, grande et pleine d’allant.
Elle prend du plaisir à me voir l’admirer.
*
America aussi elle est barmaid au Sud.
Et puisque la miss est de service ce soir,
je l’attends au Cristal en mangeant des saucisses.
Il n’y a rien d’intéressant à la télé,
j’écoute la radio. J’entends des cris d’oiseaux
en terminant la crème glacée familiale.
*
C’est le rire de mon frère que j’entends là,
celui qu’il poussait lui quand il me chatouillait
tandis que notre mère avait pété au lit.
America aussi pète souvent au lit.
Ça fait passer les maux de ventre, qu’elle dit.
C’est un bandit chinois qui le lui a appris.
*
J’ai mis la 4L de Julien dans le fossé.
Je tente d’oublier à coups de whisky sour
et de vodka moujik à l’herbe de bison.
On dira que je bois, ça suffit l’animal !
Ça freine le ressort et la tonicité
(Ouvre le rideau noir, me dit mon subconscient.)
*
Marina du Brésil, sœur de cœur, je revois
dans les rues de Janeiro le pas de tes hanches
après les baisers chauds qu’on échangeait à Nantes.
J’entends ta jolie voix qui chantait dans sa langue
tandis que ton grand frère avait séduit Stella.
Elle était sur le point de m’apprendre à danser.
*
Nous avons embarqué, America et moi
la 2CV tonnant sur la grand-route à blés
en vent arrière vers la mer comme, en leur temps
Polly Jean Harvey et Bonnie ‘Prince’ Billy.
Nous allons partager les moules marinières
à l’abri de la pluie — au bar du Coq Hardi.
*
J’ai enfilé dans le hall du supermarché
un sandwich au saumon, une salade aux pommes
de terre à l’ail, au fromage et aux noix, deux bières
et trois cafés avant de passer en revue
les huit cent vingt et un magazines du kiosque
et de brancher la rousse au bras droit en écharpe.
*
Mufle comme Bashung quand il avait vingt ans
j’ai pu l’être parfois. A m’approcher de celle
qui était, selon moi, la reine de la fête
sans avoir pour autant plus envie que ça d’elle.
Elle non plus, d’ailleurs, n’a pas envie de moi.
Heureusement, je sors avec America.
*
America possède un chat nommé Otis
qui passe les journées niché sur son épaule.
Les premiers mois, elle lui a même donné
le sein. Ils ne se quittent pas. Otis, chat blanc
et roux, avec America, femme à la robe
en chanvre et à la tignasse couleur de feu.
*
Combien de fois ai-je mangé dans ce bistrot ?
Le bien-nommé Refuge est l’abri qui me plaît
quand j’ai du mal à dialoguer avec le temps.
J’y commande une viande, un verre de brouilly
et lis le journal sous l’autoportrait de Van
Gogh au chapeau de paille avec liseré rouge.
*
Le chat qu’a recueilli Blanche est blanc, beige et noir.
Trois couleurs, tu me dis, c’est donc une femelle.
Un chat, j’en ai eu un, quand j’étais plus petit.
Il se cachait dans le sommier de mes parents
et me sautait dessus à travers le couloir
les yeux rivés, les pupilles dilatées.
*
« Futur infiniment présent dans le passé. »
est-il noté de ma main dans cet agenda
vestige d’un temps où je n’avais pas treize ans.
Je trouve le constat toujours d’actualité.
Le futur se construit et s’invente au présent
à la lumière de tous nos actes passés.
*
Au collège, America n’avait pas de seins.
Tu t’es bien rattrapée, on lui dit, dans la rue.
Montre-les moi, montre-les moi, je lui demande.
J’aime beaucoup les seins, je voudrais voir les tiens.
Elle m’a emmené derrière le pommier
et elle a fait couler du lait de ses tétons.
*
Ma mère, en rigolant, m’a traité de clochard.
C’est vrai qu’en ce moment je suis sans domicile
mais je ne suis pas à la rue. Cette semaine
je dors chez Blanche (je m’occupe de son chat).
Par la poste, ma sœur m’y envoie des copies
de ses dessins et de ses notes de travail.
*
À Berlin, sous un pont, je regardais les rails
tendre vers l’infini en aval de la gare.
Nous étions en juillet, c’était l’année dernière.
J’étais venu en bus en passant par Bruxelles.
Dans le fond, des gars jouaient du rebetiko
Ils m’ont convaincu de pousser jusqu’à Athènes.
*
« Caresse bien le chat. Pas à l’envers du poil. »
C’est ce que j’entendis aujourd’hui dans la rue.
« Mesdames, là, bientôt, l’amour refleurira. »
Voilà ce que prédit la chanson du matin.
Hier, déjà, j’ai croisé Abdellatif Kechiche.
On dirait que la semaine a bien commencé.
*
Voilà la Ford Mustang garée dans le quartier.
Missionné par le bon plaisir d’une Italienne
j’ai convoyé l’engin de Berlin à Paris
— non sans faire un détour par la Côte d’azur.
Conduire une auto pareille, c’est quelque chose.
Mais j’aime autant la 2CV d’America.
*
Les danseuses zieutaient mon pénis à travers
le voile de mon pantalon de Xing yi quan.
« Quel drôle de pantalon, fit l’une d’entre elles
en recomptant les syllabes avec les doigts. »
Je répondis qu’il était vraiment confortable
Elle vint me toucher comme si j’étais Prince.
*
J’ai dîné dans une gargote sur la route.
En plus des nouilles sautées que j’ai commandées
la patronne m’a offert un plein bol de riz.
Elle a dû estimer que j’étais maigrichon.
Marine aussi trouvait que j’étais mal foutu.
America, elle, elle dit que je suis svelte.
*
Je lis Jim Harrison dans l’eau chaude à l’hôtel
et ça me fout la gaule. On y copule à la
lampe torche autant qu’à l’ombre des cerisiers.
Le chat de Blanche a tenu à rester avec
moi. J’ai comme l’impression qu’il est dépressif.
Il miaule à la mort sans arrêt, sauf quand il mange.
*
C’est fête ce soir, j’entends les feux d’artifice.
Je ne vais pas sortir, je suis trop excité.
J’ai peur de me ruer sur toutes les femmes saoules
qui dansent la polka dans l’espoir de baiser.
Vous entendez comme je me mets à parler ?
Je suis sous l’influence de ce Harrison.
*
Il est temps que je mette un terme à cette errance,
que je prenne enfin les rennes de mon destin.
Que je quitte le giron dont je suis issu
sans ignorer le fil qui me relie aux miens.
Et en incorporant le bon agencement,
que je devienne enfin ce que je suis déjà.
*
En vérité, tout ça, je n’en suis pas si loin.
Longtemps, j’ai pu survivre (occupé à mourir)
de plaisirs et d’alcools au regard charbonneux.
Aujourd’hui, je ressens la nécessité d’être
— occupé à naître — et de ne plus déroger
à ce que je suis. Au fond, il n’y a rien d’autre.
*
*
*
II
*
Comme je parviens sur la piste des étés
leur parfum nie les trous anciens de ma mémoire
qui sont autant de chausse-trappes et de leurres.
Il me faut alors poursuivre la vérité
et pour ça ne pas me mettre le temps à dos.
Je ne suis pas un combattant de premier ordre
mais j’ai réussi à soulever le sabre et
je peux tailler la route au travers des maïs.
*
Farin, belle Anglaise dépourvue d’arrogance
m’a laissé lui peloter les seins dans les vagues
et continuait à rire quand je l’ai coursée
sur la plage, tout nu et le sexe érigé.
Après que nous nous sommes roulés dans le sable
elle m’a invité à terminer la nuit
dans sa chambre d’hôtel, non sans m’avoir d’abord
offert une douzaine de caïpirinhas.
*
Ce matin je me suis entraîné torse nu
j’ai fait prendre le soleil à mon petit corps
comme jadis me le recommandait ma mère.
Ceci avant de recevoir de tes nouvelles.
Qu’il est bon d’entendre ta voix, America.
Elle est d’ailleurs revenue me bercer pendant
le somme que j’ai piqué après déjeuner
dans la chambre bleue, au-dessus des terres fortes.
*
À trop suivre une règle, on est tourné par elle.
On risque alors de perdre le fil du bon sens
et de finir soumis, à savoir plein de peur.
Le riz sauté à l’ail au petit-déjeuner
préserve de la peur et des atermoiements.
America en sait quelque chose, elle en mange
tous les jours. Suivi d’un fromage blanc au miel
et au citron, ça donne un sacré coup de fouet.
*
C’est aujourd’hui l’anniversaire de Marine.
Je te le souhaite heureux, Marine, où que tu sois.
Je voudrais me serrer tout contre ta poitrine
sous la belle ride que tu as en commun
avec ma tendre mère — voilà ma prière.
Nous avons navigué dans le même bateau.
L’ample houle me faisait rendre tout mon saoul
et toi tu me soutenais la tête et le cœur.
*
Mon désir profond face à ta féminité
était de pénétrer en toi pour de bon et
de rester pour toujours à l’abri de tes hanches
dans ce creux parfaitement secret qui t’habite
et que tu campes avec tant de majesté.
Puisque je n’y suis pas, je vais rejoindre Tigre
Jaune pour continuer à chercher Yao Xing
et travailler les cinq éléments combinés.
*
C’est encore avec Tigre Jaune que je vais
préparer le dîner de ce soir : nous aurons
du melon en entrée, des courgettes et des
pommes de terre à l’eau accompagnées de riz
pour le hors-d’œuvre, et en dessert une salade
de céleri et de carottes afin de
cultiver la bonne circulation du qi.
Le processus de deuil finit de tuer la peur.
*
Dans ton bel utérus, me revoilà fœtus.
J’ai mis ma nouvelle tenue de Xing yi quan
celle que Sifu m’a rapportée du Hebei.
En réalité, dans ton ventre, je fais l’arbre.
Ancré grâce au travail des forces opposées
s’exerçant suivant les directions cardinales
j’accepte les limites de ma condition
et il ne m’est plus impossible de grandir.
*
J’étais allé au cinéma voir Dillinger
est mort et je t’ai rencontrée sur le chemin
du retour. On s’est assis au bord du canal.
Tu as déposé ta tête sur mon genou
et j’ai collé mon torse au-dessus de ta hanche.
Nous avons passé toute la nuit comme ça
bravant la pluie froide et la forêt broussailleuse.
Le matin, je suis allé chercher des croissants.
*
Ici s’achève l’atelier de Xing yi quan.
La logeuse nous a demandés, à Minh Tan
et à moi, ce que nous pensions de l’après mort.
Je lui ai répondu en citant le grand Gilles :
« La vie n’est pas, Madame, affaire personnelle.
Elle ne s’arrête pas à la mort d’un homme
— qui n’est que l’interruption d’une trajectoire.
La vraie mort est en vie : c’est la haine de soi. »
*
Pourquoi attendre demain ou le mois prochain
pour écrire un chant à la gloire de Neil Young ?
Neil, hier soir, j’ai couché à nouveau chez ma mère.
Pour le dîner, elle m’a servi deux biftecks
énormes. Ensuite, elle m’a forcé à prendre
un bain et m’a séché dans sa serviette rose
en coton épais. Puis elle m’a fait jurer
que je rendrai hommage à son balcon fleuri.
*
Je pense retrouver America ce soir.
Compte tenu de nos devenirs respectifs
« retrouver » est le mot juste. Nous risquons de
ne plus nous reconnaître et nous voir différés
par les doutes qui s’emparent de notre temps.
Mais, elle comme moi, nous n’avons peur de rien.
Et il nous est joyeux de battre la campagne
en solitaire, une guitare en bandoulière.
*
« Il y a du sang sur cette piste, dit l’Indien.
– Ne fais pas ta tête de Sioux, le prie ma mère. »
Ça sent la mer, à Saint-Cloud comme au Lavandou.
Eaux et bateaux stagnent à l’intérieur du port.
La traversée ne pourra avoir lieu tant que
je n’aurai pas payé mon titre de transport.
Échoué là par forfait, je goûte à l’amertume.
J’écoute au casque le On the beach de Neil Young.
*
America, let me tell you that you look like
Elvis / listening to himself on the train to
Memphis. And he is goddamn right to do so, as
you are damn right to be yourself. Yesterday,
Peter called me but it is too late now.
I am drinking an orange-juice at the Sud
waiting for A. — she's nearly finished her set.
How are you becoming today, pretty ? I ask.
*
La nuit dernière, impossible de m’endormir.
La lune était si pâle face à la fenêtre.
Tonight’s the night, chuchotait la mort dans ma tête.
J’ai préféré descendre les mains dans le dos
que porter le chapeau. En plan américain
j’ai parcouru les rues, l’écho des drums aux tempes.
Le concert s’est conclu par une horde de riffs
confirmant l’essentiel : rock’n roll never dies.
*
Je n’ai pas de douleurs au genou aujourd’hui
je peux marcher sans m’arrêter jusqu’à ce bar
du Port de la Bastille où l’on sert des Pastis
givrés géants. Sur le passage, l’ombre est rare.
Ça donne envie de tremper les pieds dans la Seine.
Vous me direz qu’elle est sale, l’eau de la Seine.
Mais je ne la mélange pas à mon Pastis.
Et je suis vacciné contre la diphtérie.
*
America a pissé toute la semaine
dans une bassine de litière pour chat
à la suite de la coupure d’eau chez elle.
Ce soir, elle va camper seule dans le parc
du château de Versailles. Elle a emporté
le riz à l’ail qui restait, du lait au miel et
une mangue. Elle compte y loger plusieurs jours
le temps de trouver ce qui l’attire chez moi.
*
La ressemblance est fondée par les différences
tandis que la proximité tient à l’écart.
Le rapprochement s’opère à partir de là.
Voyez Dylan et Young, la grande identité
Deleuze-Nietzsche-Spinoza, Romain Vallée
et moi, et désormais America et moi.
Les voies parallèles tendent infiniment
à ne pas se rejoindre, et cela les relie.
*
Sur une île du Nord, en veste de quart blanche
Florence, monitrice, émeuvait mon enfance.
Elle était avec un marin de sang indien
au ventre rebondi, qui ne finissait pas
toujours ses phrases. Le hic c’est que je ne peux
pas vous décrire le visage de Florence
bien qu’il soit à sa place inscrit dans ma mémoire.
La beauté résiste à la communication.
*
Faites un film qui montre votre vraie journée
et sauvez votre âme avec, nous enjoints Godard.
C’est bien ce qu’il a fait, c’est bien ce que nous sommes.
Il vaut mieux que ça sorte, ce passé caché
qu’on puisse ainsi entièrement le digérer.
Tous ces oignons continuent de me travailler.
Les remontées acides me rongent les bronches
mais je ne compte pas cesser de respirer.
*
Il semblerait que j’aie trouvé un nouveau point
de chute, à la croisée des routes de l'été :
un vieux grenier à blé arrimé à la terre
doté d'une charpente et d'un plancher en hêtre
planté au beau milieu d'un champ de salsifis.
Ici, je n'ai pas à répondre de mes actes.
La nuit, je tousse encore régulièrement
mais mon indépendance, à ce jour, est intacte.
*
*
*
III
*
C’est vrai ce que tu dis, elle est jolie Estelle.
Pour cette raison, quand elle est partie ce soir
-là du Hot Cat, j'ai vite enfilé mon blouson
et l'ai rattrapée afin de lui demander
de passer avec moi le reste de la nuit.
Je lui ai fait des compliments sur sa tenue
tandis que, dans l’entrée, elle était déjà nue.
Agenouillé sous son secret, je l'ai léchée
avec plaisir. Mais elle a rigolé de moi
et à aucun moment n’est grimpée aux rideaux.
*
Guillaume et Isis font le compte des hérons
à la tombée du jour, avant qu'ils ne s'envolent.
Pas loin de chez Murat, on entend la musique
depuis la grange qu’il a aménagée pour.
L’hôte des lieux, tantôt laid-back, tantôt rugueux
joue sur la vieille guitare de Hank Williams
que Neil lui a donnée en signe d’amitié :
« À vos regrets, messieurs, l'éclusière n'est plus
en train de lire sur le banc de la raison.
Elle s'est évanouie à la sortie du bourg. »
*
Du cagibi mental sourd un bruit perpétuel.
Dans la cuisine jaune, en l’absence du père
et dans la compagnie des femmes qui me choient
je répudie le lot qui m’était assigné.
Ma créance faisant les frais de la disgrâce
il n’en faudra pas plus pour qu’instantanément
me monte dans les sangs la noirceur du tourment.
Je devrai désormais faire droit à ce qui
en autant d’arriérés m’enlevant au présent
fut sans avoir été comme il aurait fallu.
*
Blanche m’a téléphoné pour me prévenir
que le chat était resté à l’appartement.
Je m’en vais vérifier qu’il n’est pas mort d’ennui.
Dès lors que la clarté paraîtra sur le fond
que mon identité ne s’opposera plus
je saurai respirer : je ne serai plus seul.
Je me demande où tu en es, America
car je n’ai pas reçu de nouvelles de toi.
J’espère que demain nous verra traverser
tous les États du monde en amoureux tranquilles.
*
Je ne marche pas plus loin que l’orée du bois.
Je préfère aujourd’hui rester à la lumière.
J’ai laissé un message sur le répondeur
d’America après que j’ai changé l’annonce
sur le mien au profit d’un ton moins défensif.
Au moment même, America me rappelait
pour dire qu’elle aussi désirait s’évader.
Nous partirons demain et à la première heure
par le train direction la Bretagne sauvage.
Nous rejoindrons en stop la pointe depuis Brest.
*
*
*
IV
*
Cassandra, ton regard avait croisé le mien
et on s'est rapproché sur le quai du métro.
On s’est trouvé plutôt joyeux pour un dimanche.
Le jus de tomate au Tournesol commandé
on n’a pas arrêté de discuter. On a
parlé sur le chemin jusque chez toi, et chez
toi, de nouveau, en faisant frire les oignons
pour le dîner. Tu tenais, de ton père, tout
Kafka dans le texte, et, de ta mère, une plante
carnivore. J’en ai toujours pincé pour les
lèvres ourlées. On a causé jusqu’à plus soif
Mais tu n’as pas voulu de moi en tes contrées.
*
Coline, tu rêvais de tomber amoureuse.
Moi, j’avais le béguin pour ta frimousse d’ange.
Ces larges yeux vert d’eau te venaient de ton père.
Ton vrai père, tu disais. Nous avons mangé
une pizza avant de nous baigner de nuit
dans la piscine de l’immeuble où tu logeais.
Tu as quitté tes vêtements sans hésiter,
j’étais un peu gêné. À force de marcher
sur les sentiers bordant la mer, tu avais des
ampoules aux pieds. Dans l’eau, ensuite, tu t’es
collée à moi, et, bien sûr, j’ai bandé, sans trop
savoir ce qui me retenait auprès de toi.
*
Anita, c’est au port que je l’ai retrouvée.
À nous deux, nous avons fumé toute son herbe ;
le lendemain matin, on n’était pas au mieux.
Aujourd’hui, je n’ai plus ce besoin frénétique
qui me poussait si fort à entrer en contact
avec la quasi totalité de la gent
féminine. Je suis même revenu de
Copenhague et de ses top models en civil.
Rien n’équivaut la vérité de la rencontre.
C’est cette beauté-là qui s’adresse à nos sens.
Il en est bien ainsi avec America :
Nous nous aimons au diapason de nos désirs.
*
*
*
Renaissance et jeunesse
*
I
*
L’obsessionnel coureur de jupons que je fus
est tombé maintes fois au pied de jeunes filles
— soumis comme une bille à la langueur charmeuse
d’un décolleté ou d’un minois aux yeux bas
au fond desquels oscille un désir impuissant
qui s’appelle la peur. Je fais donc attention.
Je ne m’hasarde plus à mon corps défendant.
Je me tiens à ma place en tâchant de ne pas
basculer à la moindre sollicitation.
*
Selon les lois de la physique de l’esprit
un rapport inadéquat trouble la clarté
et induit l’intranquillité. Alain Bashung
connaît bien le problème, ainsi que le remède.
Hier, il portait, sous son gilet, le veston noir.
Il remontait du puits sans fond de l’origine
et tentait de renaître un peu mieux défini.
Ce soir, il tient la guitare de Hank et chante
avec entrain ce qu’il a tiré de ses plaintes.
*
Accepter de souffrir à la porte des larmes
Faire le deuil des liens qui tiennent au passé
Revenir nouveau-né, naturel comme l’eau
qui coule de la source sans mélancolie
Haute lutte en trois temps contre sa propre mort.
Et quand une Angora pointe son nez doux et
chaud dans mon souvenir, écartelé, je prie.
La seule chose à faire est d’aller de l’avant.
En ça, America ne me contredit pas.
*
*
*
II
*
Le chat de Blanche a trouvé la fenêtre ouverte.
Il a filé tout droit le long de la gouttière
et s’est coincé la patte dans un chien assis.
Les pompiers sont venus le récupérer.
Maintenant, il est étendu sur mon poitrail
à prendre le soleil et il ne se plaint pas.
Je peux rassurer Blanche restée à Crozon :
« Le chat va bien et je dors avec lui ce soir.
Je bois la fin du Bourgogne avec les pompiers. »
*
Je me suis acheté trois paires de chaussures
pour aborder l’hiver — j’ai jeté les baskets
trouées. La vendeuse a été arrangeante, elle
m’a adjugé les trois au prix de la moins chère.
J’ai aussi mis la main sur le coffret du King
dont rêvait Skorecki. Il est hors de question
que je l’écoute seul. Ce soir, America
travaille encore, je ne peux pas l’inviter
à dîner avec moi en compagnie du chat.
*
Papa, si tu ne m’as pas, toi, légué Kafka
tu m’as offert une traduction du Yi jing
livre des changements ou des métamorphoses
qui dit que je suis en phase de délivrance.
Bientôt s’ouvrira devant moi un boulevard
de liberté. (Le chat opine de la tête.
Il est bien content d’être de nouveau libre.
Partout il se frotte et ronronne de plaisir
comme moi quand je suis auprès d’America.)
*
*
*
III
*
J’ai retrouvé le numéro d’America
mais trop tard pour la joindre avant qu’elle n’embauche.
Pour patienter, je bois une bière au Refuge
à la table où j’ai pris, l’an dernier, un café
avec Ninon — je ne l’ai pas revue depuis.
Elle avait, ce jour-là, sur les ongles des pieds
du beau rouge et dans les cheveux le grand foulard
qu’elle portait le soir où je l’ai rencontrée.
J’ai eu moi bien du mal à ne pas succomber.
*
Je me retire dans la maison du Jura
qu’on a repérée avec Marine à Noël.
(Elle est inhabitée, je n’ai eu qu’à entrer.)
Finalement, j’ai vu America hier soir.
Elle était fatiguée et de mauvaise humeur.
Elle part au Niger du jour au lendemain
alors qu’elle en veut encore à la terre entière.
J’ai hâte de la retrouver à son retour
de la tournée des grands espaces intérieurs.
*
Bien entendu, je sais que cette tournée-là
n’a pas de fin. Le corps qu’on est travaillera
du dedans vers le dehors jusque après la mort.
Je continuerai à expirer depuis la
tombe, via les bruyères du Père-Lachaise.
D’ici-là, je vais arroser les pétunias
les pissenlits et les tournesols de Romain
prendre soin du pied d’éléphant d’America
et ne pas oublier que je suis amoureux.
*
*
*
IV
*
Dominique A ressemble à mon copain Benoit
que j’oublie maintenant depuis longtemps déjà.
Dominique A, je l’ai vu aux Bouffes du Nord
avec Laure. Elle, je ne l’ai pas oubliée
encore. On m’a dit qu’elle attendait un enfant.
Dominique A, je l’ai revu avec Marine
au Bataclan. Marine, je ne l’oublie pas
non plus. Attend-elle un enfant ? Je ne sais pas.
America, elle, je crois, n’en attend pas.
*
Dans l’appartement de Romain, j’ai retrouvé
l’odeur de la maison où j’allais en vacances
quand j’étais gamin. C’est de ce temps que me vient
le goût pour les promenades et les baignades,
les excursions dans la nature en général.
Cet été, je n’irai pas marcher sur les causses
ni rouler à vélo sur les côtes d’Armor.
Me voilà à nouveau à Paris, occupé
à résoudre les équations qui me régissent.
*
Je visite les lieux du passé qui remontent
à mon nez et je hume à plein leur parfum jusque
dans les recoins afin de découvrir l’endroit
de ce qui s’est tramé au fond de ces sous-bois
tout en me déprenant de ce qui ne fait pas
partie de moi. Il est grand temps que le présent
me voie sorti de la tourmente causée par
les faux-semblants que mon corps a subis, et que
les sentiments du fond soient libres d’affluer.
*
*
*
Souvenir familial
*
I
*
Mon père de sang ressemble à Orson Welles.
Même gabarit, même appétit de plaisir
et de travail, même carrière en dents de scie
et même mouvement de chute inexorable.
C’est le destin de certains grands que de sombrer
à titre personnel tout en renouvelant
la vie à quelque endroit. J’ai hérité de sa
sensibilité comme de celle de ma
mère. La filiation est indéniable et juste.
*
Orson Welles fut le héros de mon enfance
de cinéphile. Il était comme un dieu pour moi.
J’ai mis longtemps à voir ses films pour ce qu’ils sont :
des mirages d’or hantés par le désespoir
retraçant le sort triste d’hommes pris au piège
à l’intérieur de l’illusion selon laquelle
on n’est pas responsable de sa destinée
en même temps qu’on croit la mener à sa guise,
et qui paient de leur vie pareil entêtement.
*
D’autre part, il est de notoriété publique
que ma mère a été approchée par Welles.
Il lui a proposé de jouer le rôle de
Rita Hayworth, dans un film ayant pour objet
la propre vie d’Orson. Le film ne s’est pas fait,
la mère de ma mère a refusé pour elle.
En tout cas, ce n’est pas un hasard si je me
suis senti proche de cet homme et de ses films.
La tristesse est une folie qui se partage.
*
*
*
II
*
J.D. Salinger aussi ressemble à mon père.
Même gabarit de jeunesse, même goût
pour l’isolement et les mystiques d’Orient
même distance face à la paternité.
Et les enfants de fiction du premier rappellent
la fratrie de cinq dont je suis le benjamin.
Il n’est pas surprenant que me soient familiers
ces héros de papier aux couleurs assorties
que sont Seymour, Buddy, Zooey et Franny Glass.
*
Quant à leur sœur Boo Boo, c’est le sosie parfait
de Virginie, ma sœur aînée, qui s’est coincée
l’index dans la scenseur quand elle était petite.
Dans un autre registre, à la maison non plus
nous n’avons échappé à la neurasthénie.
Quand celle-ci est en germe chez un parent
elle a tendance à s’installer dans le foyer
et à distribuer son venin à tous ses membres.
C’est comme ça qu’en vient à régner la névrose.
*
Dans la famille de Ninon, seul Isidore
— le chien — se porte bien, et encore : à raison
de quatre doses de DHEA par jour.
Dans la famille d’America, le terrain
est, paraît-il, assez sensible également.
Ils ne s’en sortent pas si mal à l’arrivée.
De mon côté, j’ai pris la chose à bras-le-corps.
L’horizon se dégage petit à petit
et le mal finira pas être éradiqué.
*
*
*
III
*
Je ne vous ai pas encore parlé d’Éric.
Éric est mon grand frère, au sens double du terme
Il est l’aîné des cinq et il tient dans l’équipe
le poste de pivot, comme on dit au basket.
On dit, du reste, aussi qu’il eût été heureux
de mener son chemin en sportif de haut rang.
Je ne sais rien de plus, si ce n’est qu’au lycée
il portait avec flegme et devant l’Éternel
de vieilles Clarks marron et un long imper beige.
*
J’ai assisté en qualité d’enfant d’honneur
aux mariages de mes quatre frères et sœurs
célébrés avec faste au Château de la Pompe.
Nonobstant les usages et les conventions
j’enviais en secret la place des mariés
que je filmais en bas des marches de l’église
avec la caméra super 8 de Guillaume.
Ce n’était qu’à la nuit tombée qu’on m’envoyait
au fond du parc allumer les feux d’artifice.
*
Par la suite, je dus me détacher des miens.
La proximité m’a poussé à m’éloigner
de mes parents autant que d’Isis et Guillaume.
C’est que, de même que ce sont les différences
qui rapprochent, ce ne sont pas les ressemblances
qui unissent. Il vaut mieux tenir les semblants
à distance, le temps de grandir jusqu’à soi.
Je n’ai pas eu besoin de m’éloigner d’Éric
ni de Virginie car nous n’étions pas si proches
ce qui d’ailleurs ne m’aidait pas à m’affranchir
des autres, et de ma mère en particulier.
La famille est souvent un sacré sac de nœuds.
*
*
*
Présence du passé dans le futur
*
I
*
Au lycée, ce que j’enseigne, c’est la physique.
Je connais comme America la mécanique
spécialement la mécanique des fluides.
Ce n’est pas un hasard si j’ai connu Marine
en dépit du fait que ma verge se perdait
dans son large vagin. Pas un hasard non plus
si, gamin, j’ai aimé fabriquer des radeaux.
J’ai toujours préféré la montagne à la mer
mais c’était parce que, dans la mer, j’avais peur.
*
Ninon ressemble à Joan Bennett dans Scarlett Street.
Elle est à la fois sombre et pourvue d’un éclat,
sauvage et rutilante, exquise et ténébreuse.
Ce qui m’a attiré, — ce qui m’a fasciné —
bref, ce qui m’a séduit c’est cette dualité
cette opposition nette à l’intérieur de l’être
ce hiatus innommable et incommensurable
qu’on avait en commun et qui s’est reconnu
au moment où, pour lui, j’ai traversé la rue.
*
Avec Marine aussi (comme avant avec Laure,
comme avec Héloïse) on a partagé ça.
Ce sont nos dualités qui se firent écho
l’une l’autre jusqu’à constituer un bouquet
de tangentes convergeant toutes vers ce que
nous sommes aujourd’hui. C’est bien que le tramway
qu’on appelle désir n’avance pas en cercle
comme j’ai pu le croire à l’époque où j’ai vu
mon premier amour chanceler place du Cirque.
*
*
*
II
*
Si vous regardez bien Le Baigneur de Cézanne
au-delà des yeux clos et du visage bas
vous verrez apparaître des têtes de mort
dans son dos, et du vert lui courir sous la peau.
C’est que ce tableau est mort-né, il ne s’est pas
développé dans le bon sens. Fermé, aveugle
enveloppé sur lui-même, il est le reflet
de l’état dans lequel le peintre était tenu
prisonnier au moment où il pondait la toile.
*
L’histoire de l’art est pleine de ces scories.
Une grande partie des tableaux de Van Gogh
présentent des visages verdâtres et clos.
L’œuvre de Picasso dans sa totalité
est empreint de l’impossibilité de l’homme
à travailler vers le dehors et à aimer.
Et quand ma sœur s’acharne à peindre sous l’emprise
du malheur qui l’accable, aucun souffle vital
ne résulte sur la toile ainsi condamnée.
*
Face au mur qui se dresse à mesure que l’on
ne consent pas à soi, il faut trouver l’issue
afin d’y faire fuir la ligne débutante
permettant au dessin de se réaliser.
L’art est pratique pure, exempt de théorie.
Il est, comme la vie, question de création.
Il n’y a pas de fond. La forme naît de Rien,
vide obscur précurseur d’où soudain parvient un
éclair. Et ce qui débouche alors, c’est le monde.
*
*
*
III
*
De mon côté, pour déboucher hors de l'état
d'asservissement qui m'oppresse, j'ai besoin
de formuler en mots ce que mon corps ignore
afin qu'il puisse entendre et intégrer ce qui
jusque là lui échappe avec tant d'insistance.
Accepter de connaître, au risque de détruire
ses propres convictions ; marcher sans inquiétude
et partout dire ce refus de l'inquiétude.
Voilà ce qu'est écrire, cet engagement-là.
*
Nous mouvoir dans le vrai, en sommes-nous capables
ou passons-nous le temps à faire semblant d’être ?
Cette question-là, c’est la vie qui nous la pose.
Le souci, c’est que nous sommes étroitement
cernés par tout un tas de tribunaux emplis
de preneurs d’âmes et de juges qui ne jouissent
que du contrôle qu’ils exercent sur autrui.
C’est comme ça qu’on se retrouve un jour avec
un policier flanqué à l’intérieur de soi.
*
*
*
Hommage à mes parents
*
Mon père a une collection d’art africain
phénoménale. Il séjourne dans un musée
primitif clandestin, une espèce de jungle
abritant des trésors invoquant les puissances.
Ma mère, elle, tutoie ces puissances depuis
son balcon : via la tribu de géraniums rouges
qui se sont épanouis jusqu’au premier étage.
Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle a la main.
Si mes vieux ont du vert qui leur court sous la peau
ils ont aussi le chic — et cela saute aux yeux —
pour tirer d’un tas de mauvaise herbe une fleur.
Bien que soumise à l’aveuglement général
la fantaisie déborde de leur carapace.
Quand on est leur enfant, on a de qui tenir.
*
*
*
Secret levé
*
America c’est l’eau circonscrivant de bleu
la base du mont nu, autorisant le feu
à circuler du cœur vers la périphérie.
*
*
*
WILLIAM & PROVIDENCE
*
Le crépuscule des passions
*
I
*
Le devenir poursuit-il sa pente à la trace ?
Il semblerait que oui. Non-fumeur au Saint Jean
chocolat chaud postillonné sur le roman
skis et peaux de chamois chargés dans la valise.
Je suis bien qu’on me somme de payer le prix
de l’existence même alors que comme Job
je suis fauché — raide comme un passe-lacet.
*
Une odeur de choux de Bruxelles bouilli plane
dans le couloir ; la peur me rattrape à nouveau.
Sur la photo, j’offre à Cécile un livre orange
emmitouflé dans une couette bleu piscine.
S’ensuit dans mon sommeil que je ne trouve plus
ni la salle, ni l’heure où devait prendre place
l’exercice de ma titularisation.
*
Il faut bien accueillir la joie et la tristesse,
elles sont les deux faces de la même pièce.
On n’a plus qu’à apprendre à marcher sur la tranche
en épousant le flux commun tel un poisson
un cycliste en goguette au cœur du peloton.
Des efforts on en fait, pas forcément les bons.
Va pas falloir alors manquer de vitamines.
*
Filer l’obscurité sans craindre la lumière
voilà la possibilité du mouvement
— qui s’accomplit depuis l’obscur vers la clarté.
Ordre et désordre se conditionnant l’un l’autre
l’obscurité et la clarté sont les dangers
qui menacent en permanence la tenue
du monde et des individus qui le composent.
*
Pay for soup. Boom for real. Origin of cotton.
L’oreiller électrique a surgi du lit vert.
La Chouette me regarde avec des yeux d’acier,
l’air d’hululer : « C’est l’heure de passer à table. »
Un rien sait m’effrayer, la terreur est si proche.
Jusqu’où suis-je capable de la supporter ?
Par morceaux, je me fraie un passage en beauté.
*
Concilier les couleurs, ne pas les mélanger.
Ne pas confondre la présence avec l’absence
le jaune avec le cyan, le rouge avec le sang.
Aujourd’hui j’ai vendu Verlaine et Montesquieu
non seulement pour arrondir la fin du mois
mais aussi pour garder d’autant mieux Mallarmé
— qui était, paraît-il, friand de thé au miel.
*
Je continue d’inscrire à même le chaos
ces signes qui témoignent de ce qui n’est pas
— jamais — à l’arrêt mais toujours en devenir.
Et qu’on ne vienne pas me dire que tout ça
se répète. Car, oui, tout cela se répète.
Mais à cette différence près que le point
par lequel on repasse a bougé lui aussi.
*
La nuit de l’an, je suis tombé sur la sorcière
de l’immeuble. Le malheur a les yeux cernés
de charbon putrescent et la voix décatie.
Aujourd’hui je suis seul et je renais au mieux
des cendres du passé, ce tas d’arbres mauvais
que je dois avaler comme autant de couleuvres
et non pas contourner comme j’ai cru tantôt.
*
Le devoir est au monde, il précède le droit
Et ses lois sont des lois de transfert et d’échange.
J’ai mordu au talon le royaume éphémère
et perdu beaucoup de temps avant de comprendre
que nous devions aussi quelque chose à la vie.
Me voilà à la porte, au pied du grand Cerbère.
Je le prie de me laisser rentrer au pays.
*
Dipôle est un modèle ; utopie monopôle
Vogue alors la galère au milieu des courants
gravitation des astres fiers au gré des vents.
Regardez ce champ brun où pullulent les ondes
ondes qui, elles-mêmes, pullulent le champ
qui génère à son tour des particules roses
aussi bien qu’à nos yeux il absorbe les vertes.
*
« La nuit était tombée et le froid était vif. »
L’hiver est un désir, si tant est qu’on le puisse
et qu’on ne crève pas sous le toit qu’on n’a pas.
Mon destin est celui d’un homme qui a pied
pourvu qu’il ne fuit pas, façonnant patiemment
le plan selon lequel un désir agencé
le long d’un golfe clair lui permettra d’aimer.
*
Pas confondre vitesse et précipitation
Les êtres communiquent par les trous du temps.
Rien ne sert de courir, mieux vaut partir à point,
le risque est permanent d’être avalé tout cru
par la marée montante ordonnée par les lunes,
englouti par les eaux comme hier le fut en nous
le pavé de rumsteack sauce au poivre saignant.
*
Où sont passées Les aventures de Tintin
que me lisait mon père au chaud dans son bureau,
cette grotte enfumée creusée dans la maison ?
L’enfant chéri, qu’en as-tu fait, où l’as-tu mis
reprenait Skorecki en sourdine à Leos
le maudit. Oui, Jérôme, on n’est jamais qu’un homme.
Et audace et courage à ne pas être un autre.
*
La cloison intérieure apparaît au soleil
et se résorbe à l’ombre en profondeur du pli.
La théorie aura précédé le possible
tirant hors de sa cage le rat plein de rage
afin qu’il se découvre un nouveau contenant
ajusté au territoire qui est le sien
dont l’étendue est, par nature, limitée.
*
Que les femmes de ton pays sont jolies.
Bientôt je saurai leur parler mais aujourd’hui
il me faut dégonfler la baudruche du tort
et répondre au devoir, vivre face à la mort
qui rogne notre droit dès qu’elle a l’occasion.
(La nuit, par exemple, elle s’immisce chez toi
et rogne, rogne tout ce qui n’est pas fidèle.)
*
L’intégrité — il faut déjà la retrouver
avant de vouloir la défendre becs et ongles,
ce dont en fin de compte elle n’a pas besoin —
se définit précisément par la tombée
des défenses chez le sujet à l’équilibre
entre chacune des parties duquel, toujours
suivant le pli, réside une entente cordiale.
*
L’occupation des sols ne se fait pas sans peine.
On s’arrache à la nuit ; on creuse, on creuse, on creuse
au plus profond pour découvrir ses fondations.
Quand retombée la terre et rebouché le trou.
Il faut reprendre alors à deux mains son courage
recommencer l’excavation, et prolonger
connaissance de soi et construction du monde.
*
Le Bouddha dit « Écoute » et la Chouette dit « Parle ».
Le conciliabule est en train de se tenir
à l’intérieur de moi (j’entends d’ici les pschitt).
J’ai bu un rhum-banane au Café de la Chance
en sachant pourtant que je ne croiserai pas
cette fois Providence et son charme réel.
Il faudra pour cela que j’attende mon heure.
*
Après le Pont Marie, nous voilà au Pont Neuf
le pont du renouveau, qui est le plus ancien.
(Il n’y a là vraiment aucune anomalie :
c’est bien avec l’ancien qu’on construit le nouveau.)
Le titre du film de Carax ne trompe pas.
Il prévoit que ce soit sur ce pont-là qu’aient lieu
nos rendez-vous futurs avec la Providence.
*
Tu avais défendu Les Amants du Pont-Neuf
Tu as la vidéo, tu reconnais le cran.
Tu cultives chez toi une part entropique
signe d’adolescence et aussi de vigueur.
Aujourd’hui la fureur est souvent de rigueur.
Mais, bon sang, pourquoi je ne te sens pas au fond
un écho véritable à ce que je suis moi ?
*
J’avais voulu arrêter l’heure à vingt-deux heures
vingt-deux — un souvenir d’enfant, certainement.
Vingt-deux heures vingt-trois me renvoie la pendule
qui ne s’est pas laissée figer par ma torpeur
d’époque en habit de cinéaste de chambre.
J’avais d’ailleurs pensé à toi pour jouer le rôle.
Depuis, l’identification a fait long feu.
*
On se sent issu du plus profond de la faille
Poésie s’attelle à réparer la toiture.
On fabrique du soi comme on purge une loutre
quand le père nous souffle : « Arrête un peu ton jase. »
Alors il faut marcher, ou mesurer le vent
la vitesse à laquelle il passe à la fenêtre
sous nos yeux ébahis qui ne sont pas fermés.
*
Depuis qu’on se connaît, je me suis fui moi-même.
Est-ce à dire qu’au fond on ne se connaît pas ?
Ensemble on a grandi, sans grandir pour autant
on s’est entretenu les peurs mutuellement.
Quand c’est moi qui ai mal, tu ne ressens plus rien
mais si je suis à jour, tu te tiens toi le ventre.
C’est qu’on bute chacun sur ce qui nous sépare.
*
Ce matin, au lever du jour, je n’ai pas pris
le temps de polir les verres de mes lunettes.
Je n’ai su y voir clair qu’à partir de quinze heures
après que j’eus chu dans la neige recouvrant
le sol et dont le blanc réfléchit brillamment
le trait de soleil net venu du firmament
me transmettre la force de couper la mort.
*
Qui es-tu Providence ? As-tu vue sur l’antan ?
William, sommes-nous quittes de tous ces printemps ?
C’est en forgeant l’éclair qu’on devient simplement.
Je n’ai pas l’intention de renoncer à ça.
Puisse la planche de salut flotter, tenir
chaque fois que le ciel vire au feu de nouveau
et qu’on oublie alors de relever les yeux.
*
*
*
II
*
J’espère Providence, au Café de la Chance
avec la foi et la candeur d’un écrivain.
Autant jouer au Loto ou chercher une aiguille
camouflée dans du foin sous le dos d’un chameau.
Tu n’apparaîtras pas pour la simple raison
sur le seuil de l’entrée aux épais rideaux rouges
du moment que je tiens à t’attendre dedans.
Dehors on n’attend pas et il y a une chance
de rencontrer à son insu la Providence.
*
Je manque de chaleur, j’ai appelé Marine.
Pour apaiser mon sentiment de solitude
je pourrais aussi bien dîner avec ma mère.
Dans la foulée, je lui suçoterais le sein
sachant qu’elle n’aurait, elle non plus, rien contre.
Je ne sais plus pleurer et pourtant j’en ai gros
sur le cœur de tout ce funeste isolement.
Cette année, à Noël, il y a eu de la neige
Marine a dû aller skier dans le Jura.
*
Si Providence me voyait l’attendre là
tout seul avec mon punch et ma mélancolie
à ruminer au bar, elle ne viendrait pas
(prendre place à proximité de cet échec,
cette perte d’identité momentanée
demandant que soient lues les lignes de la main).
Je vais rester patient, écouter la musique
et regarder danser les foules : me saouler
jusqu’à l’ivresse de visages et de sons.
*
J’ai trouvé sur mon pull un très long cheveu blond.
D’où peut bien provenir ce très long cheveu blond ?
Peut-être de la fille avec qui j’ai passé
la nuit de vendredi, encore qu’il me semble
que sous la pleine lune elle était plutôt brune.
Peut-être est-il à Blanche, avec qui j’ai dîné
la semaine dernière habillé de ce pull
et d’une redingote mauve à basques noires ?
À moins que par miracle il soit à Providence.
*
Revenir à la vie est un deuil permanent
— de ce qui a été et de ce qui n’est pas.
Rien ne se sera jamais facile avec le temps
inflexible étant le fait que le devenir
soit pur mouvement et non aboutissement.
Devenir tout court et collectif, personnel
et collectif, d’êtres n’ayant rien à cacher
rien à dissimuler, se fondant dans le flux
tel Raymond Depardon, imperceptiblement.
*
La machine à chauffer du lait est réparée
le patron offre une tournée de chocolats.
Je dois me rendre à l’évidence : Providence
ne viendra pas ce soir plus qu’hier ou que demain.
Une rencontre ne se prémédite pas.
Il me faut oublier, reprendre le chemin
esquiver le danger, relancer le destin
manger un hamburger chez Irène et Bernard
et ne plus me soucier de ce faux manque en moi.
*
*
*
III
*
Gare à moi quand j’ai le malheur de me défendre.
Petit garçon, je tends moi-même le bâton
avec lequel, à tous les coups, je suis battu.
Me voilà tout rouge ; un peu plus et je titube.
C'est dire si je suis soumis dans cette affaire.
Tenaillé sous les eaux ou pris entre deux feux
il m’est comme impossible de poser le pied
par terre sans que celle-ci s’ouvre aussitôt
dessous, me laissant choir comme deux ronds de flanc.
*
Possédé, je suis fou, à jamais condamné
à répondre tintin continuellement
à l’appel à grands cris du néant, l’irréel.
Pour pallier l’irraison, je suis mis au régime :
le régime des passions (un régime sec,
draconien, qui n’autorise aucun aliment).
En tenant les attraits fantômes à distance
impérativement, je cesse de donner
du grain à moudre au ventre noir qui me tiraille.
*
L’emprise du rêver ordinaire me met
en délicatesse avec la réalité.
À défaut d’être idiot différant de l’espèce
il est de mon devoir de sillonner les bords
glissants qui longent les méandres de l'esprit.
Je n’entends plus alors en entier que les mots
qui font voix à mes yeux autant qu’à mes oreilles
et n’attends pas qu’on me donne la permission
pour rendre la parole à l’enfant que je fus.
*
J’ai été si longtemps humilié par mon frère
qui me tenait en laisse et se moquait de moi.
Il voulait que je voie les choses comme lui.
Il usait de sa force pour me dominer
Il m’immobilisait. J’étais à sa merci.
Ma mère faisait mine de me protéger
mais on avait besoin de s’occuper, alors
on se passait le gentil fils de main en main.
Au loin, mon père aimait autant n’en rien savoir.
*
Prince William, tu as confondu jaune et cyan
comme tu as tenu opposés jaune et noir.
Daltonien, tu as fui, en pyjama rayé
ton ombre avec ferveur et détermination
et moi je t’ai suivi comme un chien suit son maître.
Le diable jusqu’au cou, nous avons pactisé :
tu serais Joe Dalton, je jouerais Averell.
Il est vrai que tous deux sommes nés les pieds plats
mais j’aurais préféré incarner Lucky Luke.
*
*
*
IV
*
Ayant bu le café, fumé la cigarette
initiant la journée, les filles m’ont quitté.
À la table du fond, je retrouve Borges
qui me confirme le penchant de Mallarmé
pour le thé noir au miel. Je lui dis qu’il y a peu
Laure m’en a offert un saladier entier
accompagné d’encens drapé d’or et de rouge
provenant des faubourgs de Pékin la Captive.
Je lui raconte aussi que j’ai croisé ce jour
aux confins de Paris, et Marine et Marie.
Il n’est guère étonné (la prédestination
est aux yeux de Borges un soleil familier),
d’autant moins qu’il m’entend compléter le dessin :
Cette nuit, j’ai rêvé retrouver Providence.
*
J’ai pris un grand plaisir à embrasser sa joue
d’un baiser appuyé, tendre et audible à souhait.
Au verso de ce ciel réapparut la nuit
qui n’a jamais fini de se soucier de moi.
Je fis alors appel à la grande mémoire.
Dieu sait comme ont pesé sur la tête du fils
les cœurs attentionnés des parents du foyer
à l’aube du déclin dans lequel il échut.
Sous prétexte de lui épargner les ennuis
on prit un soin zélé à mentir au petit.
Le tenant à l’écart de la réalité
escamotant les faits mais pas les états d’âme
on lui transmit la peur et l’intranquillité.
Au point qu’il finit par se désigner coupable.
*
*
*
V
*
Papa m’a aidé à préparer l’exposé
sur les Incas pour le cours de Madame Prune.
On y dit qu’à leurs yeux l’éclipse de soleil
est moins disparition qu’apparition des dieux.
Faisant face à un monde ancien et trébuchant,
une constellation de nuages de verre
dansent en ronde autour d’un profond soleil noir.
La chose ainsi pensée me revient chaque fois
qu’ayant déjoué la peur en parcourant le fil
qui supporte le linge et relie nos entrailles
j’entends la voix du jour disputer à la nuit
les quartiers dévolus au vide et au silence.
*
*
*
Jour et nuit de pleine lune
*
I
*
Le froid me monte au nez, m’infiltre les sinus.
Je me sais malmené — l’angoisse est à mes trousses
néanmoins je dévale en m’opposant au sort
les pentes enneigées du sommet qui m’échappe.
Quand un arbre se dresse en travers de la piste.
Pas le temps de freiner ni de me détourner
Je me laisse tomber ; je glisse jusqu’au tronc
Et je sens mon genou emmailloter la souche.
*
Les années ont passé, le Navire Night sonde
cette moitié de toi qui fait partie de moi.
Il y avait Laure d’un côté et toi de l’autre ;
toutes les deux jouiez dans la cour intérieure.
Laure imitait gaiement et Bogart et Bacall.
Toi tu t’identifiais aux enfants de Duras
ces filles aux cheveux noirs à qui tu ressembles
qui rêvent à un bal qui n’a jamais plus lieu.
*
Libres sont ces pieds blonds sortant sur la pelouse
des jambes retroussées de ton pantalon rouge.
Réviser le latin du baccalauréat
n’est pas notre souci en ce jour de printemps.
On se roule dans l’herbe à en perdre la boule
jurant qu’on restera comme on est pour la vie
sans savoir qu’il faudra, pour ça, se séparer
l’un de l’autre et chacun accepter de grandir.
*
Tu te trouves la nuit dans les sous-sols du Louvre
tisant en compagnie des trois Karamazov.
Quand tu les reconduis tour à tour à l’hôtel
à bord du cheval noir que t’a donné ton père
la neige tenant bon, tu t’imagines suivre
les pas de l’ours ardent qui porte la moustache.
Même le jour, tu dors, car au fond tu préfères
le rêve, si labile, à la réalité
*
Se sentir proche de, voilà ce qu’est aimer.
Simple comme bonjour, rien ne semble plus clair
quand bien même il suffit d’un rien pour que tout sombre.
Je te rencontre enfin et tu me reconnais ;
rester à tes côtés, me souffle l’horizon.
Que demander de plus quand on trouve l’amour
et que le rêve accorde à la réalité
le sentiment de joie qui la rend désirable ?
*
*
*
II
*
Tu portais des yeux noirs et des escarpins rouges.
Nous allions voir ensemble au Centre Pompidou
L’amour fou de Rivette et Une sale histoire
le film de Jean Eustache avec Lonsdale et Picq.
Ça rêvait de jouissance et nous ça nous causait.
Nous pensions que la vie pouvait nous accorder
un peu plus que le lot qui nous était échu
— sans songer que ce plus était un rien du tout.
*
Les plantes ont poussé dans le salon d’Annie
à présent envahi par les serpents de mer.
Seuls émergent — dehors — les primevères jaunes
qui tiennent leurs couleurs malgré le vent glacé.
La pente est savonneuse et la marée montante ;
je ne vais pas tarder à évacuer les lieux
sans quoi je risque d’être englouti par les eaux,
noyé avant d’avoir reconquis la lumière.
*
Ruisselante Charlene au sortir de la douche
tu me demandes de t’apporter la serviette.
Tu t’enroules dedans puis ouvres le frigo.
Bière et mozzarella, pastrami et vin rouge,
un peu de pain beurré et beaucoup de café.
Tu veux maintenant que je te passe Linda
(la guitare qui a dormi entre nous deux)
et tu joues Une femme au chagrin perpétuel.
*
J’ai encore à l’esprit le fantôme d’un film
figurant les états d’un garçon désœuvré
qui rencontre une nuit un joli brin de fille
et l’invite chez lui à partager le thé.
La demoiselle accepte et les voilà en route.
Mais au dernier moment, en dépit des courants
ils décident d’aller nager à la rivière.
L'eau est froide mais le jeu en vaut la chandelle.
1 note · View note
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Comment j'ai fait (bloc)
Tu retranscris les mots, tu poursuis des deux mains, tu tapes des dix doigts ; tu dactylographies ce que tu as parlé, tu notes tout ce qui ne s'est pas tu. Tu n'as pas réussi à coucher tout le dire en amont de ce dit, tout le parler qui gît en amont du parlé, il a fallu que tu te prennes à causer et, même alors, que tu t'y reprennes à deux, à trois, à quatre fois. Il a fallu attendre, attendre, maturer, ravir le mode idoine et changer dans la peau, basculer, commuter, comme changer de peau, de langage de peau, emprunter dans la langue, te changer toi dans la, te changer dans la langue, et rechanger encore, dans les grandes largeurs, régler le traitement, revoir la fréquence des trous, la tension de la courroie. Il a bien fallu que tu te surprennes. En amont, il y avait, en amont du parlé, tout un rêve évanoui : un rêve de cinéma — projet de film, scénario même. Et cette actrice, Abigail D., avec qui tu avais rendez-vous, ce matin-là, cet hiver-là, cette rue-là (de Charenton), après que la production vous avait mis en relation. Mais très vite il n'y eut plus le projet initial, ni scénario, ni film ; la rencontre en son cours faisait tomber tout ça, liquidait, disqualifiait tout ça, tes intentions tout ça, ton scénario, ton rêve, tout ton cinéma. Il n'y avait plus que vous, Abigail D. et toi, assis là dans le clair du café, vous et là comme un livre, un livre posé là, sur la table entre vous. Un livre entre elle et toi. Un livre, pourquoi pas. Et puis l'azalée blanc, qui depuis le rebord vous veillerait, oui, vous regarderait. Vous regarderait faire. Remuer ciel et terre. Élaborer un plan, escalier de Copán. Vous résoudre à vous deux. Frotter des allumettes dans le noir. Imposer le silence à tout métalangage. Préférer le présent au contretemps. Continuer renonçant à la Vita Nova. Et là vous y seriez, et là on y serait, on verrait défiler ; tout aboutirait à, on se transmuterait. Comme on l'aurait voulu, pareil à du roman. On serait devenu. On serait devenu, on serait devenu / « les kyrielles de mots imagés trépidants qui se courent dans le dos et racontent des dates au milieu des forêts les plus touffues », sous l’œil uni des cinq aras multicolores.
[Texte écrit dans le cadre de l’atelier de François Bon : vers un écrire-film #03]
1 note · View note
sexwiththepast-blog · 6 years
Text
Au pied de la lettre
nuit zéro
*
la nuit se réverbère à l’orée des fenêtres
elle est blanche et défigurée,
en majesté malgré l’épaisseur des carreaux
*
le coin de l’immeuble d’en face
aussi blanc que la nuit
luit
malgré l’épaisseur du ciel
*
quand il est éveillé aux heures avancées
de la nuit, Erri De Luca
a une pensée pour les insomniaques,
eux qui veillent la nuit
*
quand Erri dit qu’ils veillent la nuit, il veut dire
ils la bordent — prennent soin d’elle
Et c’est la nuit qui dort.
*
*
*
revoir la neige
*
quelqu’un sonne à la porte
en plein milieu d’après-midi
c’est le plombier de la voisine
il s’est trompé de clé
il faut faire venir le serrurier
*
oiseaux de nuit, on dit
ceux qui sortent la nuit
dans la ville, les clubs
la où joue la musique
ceux qui jouent la musique
*
noir ténèbres le monde
en ses soubassements
comme en réalité
malgré tout, la beauté
la beauté qui résiste
*
le deux-tons des sirènes de Police
retentit quelque fois — assez souvent, en fait
juste en bas de chez moi
c’est aussi que j’habite
à côté d’un commissariat
*
nuit habitée sur les réseaux
je paie pas de taxe foncière
même été exempté
de service militaire
*
le phénix renaît de ses cendres
le phénix de ces dames
je ne parle pas de moi
*
lumière sèche
matinée mate
le visage éclairé au mobile
voyageurs sans mélancolie,
à vous l’éclat des petits matins blêmes
*
c’était donc ça, des pépiements
des pépiements, des pépiements
le mot qui me manquait
*
tu as mis un temps fou avant de t’équiper
même pas un ordinateur
tu te tapais la honte au laptop club
de l’école du centre
*
matité, encore elle
le tapi intérieur
sur mon clavier y a même
le tilde et le cadratin
*
on habite le vieux rêve
qui par delà les plaines,
par delà les immenses plaines
nous meut
*
la nuit finit toujours par s’éclipser
juste avant le matin, vous avez remarqué ?
l’aube, ils appellent ça
*
je n’ai pas pris l’avion
je n’ai pas pris le train
depuis des lustres ;
la voiture non plus
– ô voyageur immobile
qu’est-ce que tu fous
*
débrancher le chargeur du mobile
pour pas qu’il émette du CO2
pendant la nuit comme les plantes
*
j’ai un ami, on lui a fait
une coloscopie
retiré un petit polype
mais rien de grave, heureusement
il s’est même réveillé de l’anesthésie
*
premiers bleutés du ciel levant
pas trace de soleil, non non
que le voilé de la mer finissante
drapé-désir il dit, Didi
Georges Didi-Huberman
*
un peu pompeux le nom
de l’institut de formation
pourquoi pas B&YOU pendant qu’z’y sont
— le loup, le loup, le
*
le rose du matin a semble-t-il
assez à voir avec celui du prénatal
si cher à Artaud ardent défenseur
du peintre à l’oreille cassée
*
ça y est le ciel est en quinconce
je veux dire l’immeuble
d’en face
du moins, c’est comme ça que je le vois
depuis mon lit et depuis hier
*
gris comme neige écrasée le carreau
tellement il est opaque
au-dehors
et épais sur les bords
*
je rêve de muffins au petit-déjeuner
histoire de compenser la déconfiture
tiens, voilà le café
— black, le café
*
« un conférencier vous guide parmi les œuvres
d’Anselm Kiefer »
nous voilà rassurés
*
des chants scandés d’enfants montant depuis l’arrière
de la maison
me parviennent dans ce demi-sommeil tardif
qui m’a pris aux aurores
*
le café noir irradie son lot de matière
non pas noire mais latente
jusqu’à les poches sous mes yeux
*
parler à une absence, debout sur
le tabouret de la cuisine
qu’y a-t-il de plus quotidien
— à part bien sûr changer l’ampoule qui pendouille
*
oh pétard, se traîner au Casino du port
— le Casino, la supérette
où le manche de la cafetière à dispo
a disparu, fondu
(et je me brûle)
*
descendu au pressing
chercher chemises du neveu
sur la vitrine, la mention
saugrenue :
« tout fait flux »
*
le doigt sur la couture,
je veux dire la suture
le sang nous a séché
la cicatrice est en chemin
*
j’ignore tout à fait comment mettre z’en mots
le pudding que j’ai mangé en dessert
*
le radiateur gargouille
je dirais même : il glougloute
— et pourtant il fait froâ
à l’intérieur de moâ
*
et bing, à peine jour et re- la nuit
celle de presque hiver, là, qui déjà
vous enveloppe de son long manteau tressé
son long manteau tressé de nuit
*
la vitre du mobile — encore lui
a cessé toute transparence
envers les yeux du locataire
précisément de la manière qu’elle avait
obturé l’avant-veille
*
ai jamais trop aimé les marque-pages
— je préfère mémoriser
ma mère, elle cornait les pages
léchait le doigt pour les tourner
*
l’eau de Cologne de mon père
parfum dans ses maigres cheveux
bouteille dans la salle d’eau
peigne planté dans la brosse et
pinceau à barbe
*
ville, matin, toits
obscurité prégnante
brume de façade au dedans des pierres
fenêtres jaunes
*
dans les bureaux d’en face
les plafonniers sont allumés
la climatisation à fond
– fin décembre, bordel
éteignez-moi ça tout d’suite
*
il neige dans ma tête
c’est blanc, ça crisse sous les pas
encore au moins une heure de marche
avant d’atteindre le hall de l’hôtel
le feu de cheminée
*
« mouvement sans espoir
vers ce qui est sans importance »
ça vous pose un bonhomme
le désespoir, cet adjuvant
le tragique, un début
à la joie
*
l’impureté, la situation même
habiter dans les plis
se poudrer les recoins
l’homme est un animal
un animal à sens unique
*
le dark continent, ce serait
l’immensité des vestiges
du non-su, du non-dit
l’Océan proprement dit
— est étendu
n’en sait rien
*
à l’hôpital psychiatrique
j’ai lu Le poids du papillon
et quand on m’a changé d’étage
j’ai caché le livre dans les
plis de la camisole
*
dans le salon des patients
y avait la télé sans arrêt
— pop molle en continu, infos en boucle
et puis soudain, bénédiction
Mandela en personne
*
quand j’étais gosse, mon père
m’emmenait dans les beaux quartiers
visiter les librairies Fontaine
— c’est là qu’il m’offrait des Tintin
*
qu’est-ce qui t’a pris de casser
toutes ces pierres
te voilà dos foutu
la carcasse fourbue
— remplir d’eau chaude le tub
et y passer la nuit
*
Joyce Carol Oates ne pourra pas venir
dîner à la maison ce soir
quand même, on garde allumée la bougie
parfumée au cèdre blanc
*
qu’il m’emmerde, cet aphte
ulcération certes petite
qui me prend le fond de la langue
— ulcéré, ulcéré
et c’est presque pire qu’à l’estomac
*
cette année, pas de chorale à Noël
pas de « we shall overcome »
si ce n’est intérieur
silencieux #WeShallOverCome
dédié aux proches des victimes
*
sur le chemin d’Ismaelle
il y a des gravillons dorés par le soleil
de l’herbe grasse à souhait
et de la terre en petits tas
*
légère brise en centre-ville
légère bruine, pas de neige
un parfum de feu de bois
mais pas de feu de bois
un cabriolet bleu
insolite à Noël
*
rêve de grande étendue blanche
de chevaux et d’arbres erratiques et nus
d’herbe jaune séchée dépassant par endroit
de ce tapis de neige
*
Lovecraft est venu, je le retrouve en bas
il a apporté des sandwichs au corned-beef
et des pickles
on va se promener
le long du fleuve
*
neige à perte de vue
aventuré la nuit
un pas après l’autre
au faible rai de la frontale
plus d’une fois on se ramasse
– ça, on n’est pas rendu
*
25 décembre 1956
Robert W. a quitté
la clinique et les siens
pour le bout de la promenade
il s’est laissé choir dans la neige
et il est mort
*
j’ai toujours eu un faible
pour la périphérie
moi aussi, ce que je préfère chez les filles
c’est la banlieue
et puis j’aime les trains
*
de la buée plein les fenêtres
attention au verglas
il faut monter les chaînes
faire le plein et zou
crapahuter dans les collines enneigées
*
ce matin, footing avec Rick
sur les à-pics du Montana
flanc nord du mont Lost Horse
en l’occurrence, pile
à la verticale du Dirty Shame
*
après Blanchot, tu peux dire
toi aussi
j’ai aimé des êtres, je les ai perdus
je suis devenu fou quand ce coup m’a frappé
car c’est un enfer
*
après Lucrèce, tu peux dire
on rit d’autant mieux qu’on n’est pas
formé d’atomes rieurs
on écrit d’autant mieux
qu’on n’est pas écriveur
*
il possédait une casquette
de baseball estampillée
John Keats / John Keats / John
la portait en toute occasion
surtout pour aller à la pêche
*
Noah’s selfie :
mur bleu décrépi sale,
porte en contre-plaqué,
lumière blafarde.
ça rappelle le dortoir étudiant
et les années qui vont avec
*
ce matin, escapade à North Truro
sur les traces d’Edward Hopper
en compagnie de François Bon
— lecture à même le mobile
et le voyage est là
*
je suis encore heurté
à l’intérieur de moi
vi-olence rentrée
maladresse larvée
mal adressée
pansements maculés
de sang et de mercurochrome
*
la ville au fond c’est quoi
la verticalité des buildings
l’horizontalité des friches et des rues
les cafés, ces abris
et l’hospitalité de la périphérie
*
calé dans le fauteuil en velours rouge
élimé trouvé dans la rue
je lis Kafka sur l’ultrabook
que je tiens comme un plateau d’huîtres
*
quand tout à coup c’est la nuit même qui nous loge
la nuit qui se fend d’une porte
un canapé, une fenêtre
la nuit qui donne sur la rue
*
il faut entendre Rick parler
de la tombola de la neige
jeu qui consiste à deviner
quand tombera le premier jour de neige
— à David de parier
*
première soirée froide
ce sont les pieds nus qui le disent
— le livre de Rick Bass n’y est pour rien
je dresse donc un feu de camp sur le lino
*
quelque chose sourd crie en soi muet des tréfonds
tumulte de l’intime
limite
déflagration ;
les coups, on les a pris
les coups on les a rendus
*
quand pour tout déjeuner
une barquette de frites
tu bois de l’eau à la fontaine
de la porte d’Aubervilliers
le bus 35 te ramène à la raison
*
à l’époque on savait pas
que la salle de cinéma
rentrerait dans le téléphone
et pourtant l’écriture était déjà
technologie
comme le cinéma
*
longue marche abrégée, retour en jeep
la nuit est descendue vite
des hauts sommets neigeux jusqu’à nos plaines rêches
— pas volé douche chaude
*
ma mère adorait les géraniums
l’été je m’occupais d’eux en son absence
je retirais les boutons morts
et arrosais un jour sur deux
*
un phare dans la nuit de nos nuits quotidiennes
et le blanc du jour de se soulever
à mesure qu’est ramassée
cette nuit qui s’abîme en nous
*
l’écrivain a des clous dans la bouche
comme le tapissier, me direz-vous
c’est sans compter les cicatrices
afférentes aux trous générés
*
les nobles mains de ma grand-mère
se tenaient là dans ma mémoire
comme sur la photo
brunes, noueuses et d’écorce
telles deux chênes centenaires
*
le lirécrire est force vive
on semble pouvoir y passer
sa vie
voire y passer tout court
tant le lirécrire est tangible
et la mort inéluctable
*
post coitum ville triste
le jour de l’an est froid
gris
l’étendue de nos corps y erre pathétique
c’est Charles Trénet qui vient nous rasséréner
*
lire jusque tard dans la nuit
— se laisser embarquer
quitter le port et naviguer
rouler sa bosse au vent des dunes
une virée au gré des mots
*
sous la neige, les jours lambinent
exactement comme nous souhaitons les voir faire
*
il fait si froid que les mots gèlent en sortant
de la bouche des uns des autres
il faudra attendre ce soir au coin du feu
pour les entendre
*
et me voilà scotché, demeuré à la porte
des quanta
même pas de quoi ficeler un vlog
— nada
je me console en ressortant
mon vieil Instamatic
*
la Terre est creuse
me jure Mrs Dalloway
sous le manteau, on trouve
une chambre d’écho
où roupiller ses jours
numériser ses rêves
et apprendre à mourir
*
le texte est à écrire
mais en un sens il est déjà
inscrit dans ceux qui le précèdent
reste plus qu’à en découvrir
les mots
*
âpre réveil depuis ces rêves
dans lesquels on se trouve foutu
absolument sans issue
pris en échec et puis ça tourne
en boucle et en bourrique
*
la littérature, comme le graffiti
c’est moins l’action d’inscrire sur
que celle de révéler la
sous-couche
la couleur différente sous-jacente
*
les uns : bureau, les autres : chambre
wagon de train ou bien le lit
moi c’est un banc que j’affectionne
et sur la tête que j’écris
*
bouté hors du monde,
pauvre zigue
hors des mains de la gouvernante
hors des pas du pater
et par la suite, même
hors de la chapelle ardente
*
il n’y a plus de couverture au livre
il s’écrit sur le mur du monde
il n’y a plus d’auteur, le monde
s’écrit lui-même à flanc de livre
la
po-
-é-
-sie
a
fait
le
mur
*
on dit que le temps passe
et pourtant ce sont nous
ce sont nous qui passons
très passons
*
inscris tes mots sur le réseau
comme un street artist peint la grande ville
le dessous s’y révèle
à ton insu
*
les mots ne sont pas nôtres
ils appartiennent à la rue
à la ville
y a qu’à regarder les murs,
les sous-murs
les mots, ce sont eux les voyants
*
contrairement aux idées reçues
le temps est immuable
— et il est bien le seul
(avec les idées reçues)
*
ex nihilo, oui mais
pensée doit prendre appui sur quelque chose
sur ce qui la précède, en l’occurrence
nihil, in nihilum posse reverti
*
ce qui précède la pensée, c’est la lecture
du reste, c’est bien connu : avant de créer
le monde, Dieu lisait (du Nietzsche)
*
que devient la poésie lorsqu’elle n’est pas
prise entre les deux plats de couverture
elle devient, précisément
elle boit l’eau au robinet
*
certains rêves me torturent
me forcent à parler
je les envoie balader
d’une voix détachée
*
il y a un au-delà à la littérature
suffit que tu aies pris en grippe
rythmes et sonorités
et remisé à la cave
le grand linceul en plastique
*
c’est étrange ce terme de plaquettes
« publier des plaquettes »
pour voir la gueule des globules
de ton verbe à l’ancienne ?
*
comme si la poésie avait besoin d’un
emballage
alors qu’elle est la nécessité même
*
consigner dans ton blackbook
en deux trois sketches colorés
la ductilité du quartier
celle de ton enfance américaine
*
me promène toujours avec le mètre de
couturière que m’a légué ma mère
au cas où je tombe sur un meuble
qui rentre dans le coin de la cuisine
*
sacrée paire de manches, frère
j’ai brûlé les neuroleptiques
remplacé la toile cirée ;
on ne transige pas avec
la couleur de ses yeux
*
quel âge avais-tu quand ton père t’emmenait
visiter l’atelier Brancusi
les doux visages en or muet
et les queues d’oiseaux sybarites
*
ou alors un livre tellement épais
qu’on peut se perdre, piocher
les mots semés
un gros almanach, un bottin,
un ragoût japonais
toute une putain de littérature
*
juste tu poses le poème en haut du tas
tu ne commentes pas
et tu vois s’il est capable d’aller tout seul
chez ton bon ami le lecteur
*
risquer de tout perdre
y compris sa prose
dans le grand bassin
ou, pour dire comme Char
cours ta chance, va ton risque
serre ton bonheur
*
saisis ta grande chance
ta liberté farouche
toi-qui-n’es-pas-un-auteur
saisis t’en pour l’écrire
à grands coups de godasses
à même le talus
*
publication est bien affaire de réseau
en effet, le réseau est désormais le lieu
même du lirécrire
(l’art est pervasif, ou n’est pas)
*
on entre en écriture
et on en sort
à chaque mot
*
les grands auteurs américains sont obsédés
par la pêche à la truite
— John Fante excepté
*
le web est le creuset que la littérature
attendait pour à ciel ouvert
continuer sa nécessité
et présenter ses ombres claires
au peuple qu’elle invente
*
internet modifie la fameuse enclosure
de nos textes
en effet, désormais l’épaisseur est à plat
et la page infinie sur laquelle on dessine
*
je ne lis pas les premières de couverture
je ne lis pas non plus les quatrièmes
je lis les pages sur la tranche
infinie de nos écrans souples
*
faire voler les certitudes en éclats
comme au ball-trap
*
écrire le réel, cela ne veut pas dire
coucher sur le papier le réel qu’on observe
mais inventer celui qui vient
*
à toi qui as connu le vide
qui étreint à la gorge
le néant qui te tue
en te privant du monde
l’absence de toute chose
jusqu’à la suffocation
*
il n’y a de désir qu’agencé,
voilà l’éditorialisation
(Foucault avait raison, le siècle est deleuzien)
*
arriver où tu es étranger
l’inconnu te façonne, il te parle
de cet autrui tu vois se composer
un archipel qui fait identité
*
accepter l’impasse dans laquelle on vit tous
c’est le début du salut
*
une baraque en campagne dans l’Aveyron
des murs de pierre épais, de l’air et du silence
six ans et demi que je ne suis pas sorti
de Paris
*
ratisser les pièces de monnaie à la caisse
ranger les fruits mûrs dans ton sac à dos
te baigner dans la véranda
camper dans le supermarché
*
la pluie battante à la fenêtre
le bruit de la mer dans le loin
une poule au pot qui mijote
un verre de bon vin
le v’là le repos du guerrier
*
quoiqu’il advienne, j’aurai réussi cela :
en guise de carrière, vivre d’air
de temps — presque d’amour et d’eau
(chichement, certes)
*
bientôt tes vers iront viraux
« le Casey Neistat de Twitter »
éditorialisé
à ton corps défendant
*
la vieille dame du troisième
ne répondait pas à la porte
les pompiers sont entrés par la fenêtre :
personne
(elle était chez le coiffeur)
*
la poésie est un ghetto
qui, quoi pour nous sortir de là ?
la poésie, pardi
*
suffit de peu, raconter sa journée
le reflet bleu sur la table de nuit
l’trajet en bus jusqu’à la maison de retraite
ou le bol de Follain
*
temps de chien, pluie froide, gris foncé
panini viande hachée avalé
courses pour le soir et le demain midi
vidéo-journal de l’hier à monter
ranger
*
la parole est le lieu de l’être
cette expression du manque
qui se déprend de la question de l’origine
pour constituer identité
*
naître de noms communs,
restaurer les noms propres
afin que chacun s’y retrouve
en famille, hors les murs
*
quantifier les mots n’est pas
les priver de sens
mais les faire aller à l’os
peau tendue comme un tambour
et ainsi juguler les atermoiements
*
des poèmes comme des notes
comme les notes en marge de l’œuvre
faire de ces marges le centre
ou plutôt : rien au centre
*
nous ne cherchons pas d’éditeur
ou plutôt notre éditeur
c’est Twitter
— nous nous passons assez bien
des encres pour illustrer
*
le réel est ce qui résiste à la demande
— l’objet du désir est inexorable
et ce qui fait la pluie et le beau temps
c’est précisément l’Autre
*
le saut mental que c’est
ne plus se rendre en librairie
quoiqu’on les aime bien
les librairies
*
tiens, le mètre de couturière de ma mère
le reste a été revendu sans sommation
à mon enfoiré d’oncle
mais on s’en fiche au fond, on en a la mémoire
*
donner ce que tu n’as pas (à qui veut)
le silence qui point des replis de tes mots
la vacuité momentanée
ce par quoi nous sommes seuls
*
le récit est le lieu de la rencontre
dont il s’agit dans le récit
(un lieu-dit)
et c’est le lecteur qui la vit
*
pain rassis thé terreux rien qui trempe
si ce n’est l’odeur de peinture
en provenance du deuxième
coincée en moi entre les sinus et le crâne
*
on n’écrit pas numérique, on écrit
— sauf à dire en lignes de code,
ou précisément là —
d’écriture il n’y a que des pratiques
qui demandent à être éditorialisées
*
si la littérature a inventé le web
ce n’est pas pour se passer des passeurs
mais pour en réinventer les instances
et se relancer elle-même
*
ma table de travail est un smartphone
j’y lis/écris au quotidien
le web est l’atelier contemporain
tout le tintouin et destination même
*
l’amour c’est pas dire « je t’aime »
ni la mythologie de la rencontre
l’amour c’est bien plus prosaïque, c’est du faire
faire à manger, baiser, se laver l’cul
ranger chez soi, descendre la poubelle
toutes choses du quotidien
empreintes de DÉSIR
*
fiat trou, il n’y a pas de moi augmenté
bien que somme d’identifications
moi est à l’arrivée le creux de soi à soi
qui fait place à l’altérité
*
l’éditorialisation, ce serait
la dissémination des médiateurs
percolateurs
la propension de la fiction
à produire le réel à venir
*
effacement progressif de l’auteur
littérature comme un long poème
horizontal autant que vertical
*
et d’écrire cette impossibilité même
celle de vivre vie commune
distincte
des rêves qui prennent la nuit
et retiennent le jour
*
l’œuvre majeure est à venir
le livre à l’œuvre, lui, mineur
tout entier ancré dans l’insu
fragmenté dans les plis
la ténuité du dit
*
les graines de pavot me courent l’occiput
une heccéité comme une autre
des plaques de chaos, soupe de cotons-tiges
ah, l’aimable virtualité
*
oups, la grande œuvre m’est tombée des mains
jamais aimé le papier bible
cela vous file entre les doigts
préfère lire sur YouTube
*
finalement, il s’est toujours agi d’écrire
le livre qu’on n’a pas trouvé sur les rayons
celui qu’on rêve, plus qu’on ne saurait le lire
*
chaque jour que je tiens ce vidéo-journal
je pense à Alain Cavalier ;
il en a inventé les termes
y compris ce micro que tu tends à l’image
*
voilà qu’un beau matin on entre dans le dense
— lecture de L’Idiot —
Jura, froid sec, rai de blanc sur la page
et toi comme épinglé au jour
*
la pluie te rentre dans les yeux, elle est glacée
tu te traînes sur le bitume
l’ambulance a pris du retard
obligé d’appeler ton éditeur
*
tu perds ta gangue violacée
dans les remous du monde ancien dont tu t’extirpes
il n’y a pas eu d’instant zéro
il n’y aura pas de resucée
*
la neige est beaucoup trop molle pour que tu sortes
le courrier attendra, toi tu traînes dans l’antre
tu joues à t’enrouler dans la moquette
*
laisse pas tomber les gnocchis
avant de les plonger dans la tomate à l’ail
était-il inscrit sur la porte
de la cuisine du chalet
*
si j’étais éditeur, j’ouvrirais la fenêtre
en passeur de littérature
et publierais sur internet
les textes qui me remuent
*
nous voilà circulant sur les géodésiques
à contempler les bords d’un continent perdu
courbés comme l’est la lumière
qui mesure son expansion
*
quand te monte le vague à l’âme
reviens donc à la théorie
quantique des champs qui ramène
le mouvement de celle-là
à une anse d’interactions
*
*
*
retrouver la parole
*
installer tes quartiers sur le toit du parking
ne plus quitter des yeux l’immensité des villes
retrouver peu à peu l’usage de la langue
*
les ondes issues du rayonnement verbal
courent leur propre train, déformant au passage
l’espace-temps des mots, le tissu de nos âmes
*
l’écriture est ce train qui déplace sans cesse
l’acception du passé, celle de l’avenir
à la lumière de ce qui n’était pas su
*
cette molaire qui te lance à bras-le-corps
comme un cri silencieux monté le long du nerf
coup de poing asséné à ton moi de synthèse
*
février printanier vient certir le matin
d’une aura inédite et stimuler la sève
à l’instar du violon de Scarlet Rivera
*
tu parles depuis cet extrême dénuement
risque ténu qui te tient lieu de compagnie
seul à porter aux nues ton défaut d’empathie
*
induit par les signes de l’Autre, nous voilà
évincé du lieu de la construction de soi
id est littéralement bâti sur du sable
*
le passage de la pulsion à la culture
ne s’est pas tout à fait passé comme prévu
pas question pour autant de renoncer à vivre
*
ne pas laisser s’effilocher la condition
physique : poursuivre abdominaux et gong fa
sans oublier d’aller courir sur le plateau
*
tous ces livres que je ne me procure plus
sont comme les carnets perdus d’une autre vie
ils viennent me saluer par capillarité
*
68 heures d’ANGOISSE — ça t’apprendra
toi qui as pris pour demeure l’abîme même
au lieu d’avoir épousé Jessica Chastain
*
la nuit, Sarah me fait la surprise et l’honneur
de venir visiter le grand collisionneur
drapée dans les volutes de sa finitude
*
garder un œil en l’air, sur le ballon d’eau chaude
afin d’éviter qu’il ne nous tombe dessus
quand viennent à trembler les murs du cabanon
*
saga trouée chinée au drugstore du coin
la généalogie en berne, rejeton
laissé pour mort au pied du building principal
*
le petit bouquet blanc arrangé ce matin
témoin de cette vie qui malgré tout demeure
a bu les larmes du violoncelle éphémère
*
le langage à lui seul est truffé de silence
les mots sont pleins de trous, traduisant au passage
l’innommable niché au cœur de la présence
*
mal aux fesses à force de rester assis
sur la banquette arrière de la Cadillac
ligoté à l’errance et à la dame nue
*
au coin de la rue, la généreuse Suzanne
m’apparaît ce matin auréolée de l’ombre
qui participe de ses courbes insensées
*
ciseaux glissés entre les seins, statue dogon
la scène de manquer définitivement
soustraite à la mesure de son agrément
*
pris appui sur les mains libres de Natacha
escaladé de nuit ses phalanges soigneuses
essuyé aux jonctions des tremblements indus
*
en dépit de son imbuvable ipséité
force est d’adopter cet articulé notoire
seul à te figurer, j’ai nommé ton histoire
*
hanté de ce grand film aux verts immémoriaux
tu vas comme le train traversant la forêt
et les tonnes de joncs mouillant dans l’alambic
*
tu n’as pas de maison si ce n’est cette adresse
faite à la cantonade et qui te réfléchit
te prête par la bande un peu de son séant
*
revenir aux mots sur une page sans seuil
comme le note Emaz à la marge des jours
promener la boule à facettes dans le champ
*
la fabrique de peu, tu t’emploies à tenir
c’est qu’à petit feu te tuer ainsi à te taire
avec des mots de rien, c’est toi que tu déterres
*
féconde, cette place à l’intérieur du lit
arrête de chercher ton double dans le pré
et cet amant, n’est-il pas trop goy à ton goût ?
*
je pointais chez un revendeur de mini-bars
les peindre au pistolet avec des couleurs vives
puis porte-à-porte à travers tout le Kentucky
*
les nuages font foi, les rues sont à l’écart
au milieu de la nuit dans la ville déserte
l’absence est à l’écoute ; parfois même elle parle
*
obligé de jeter la salade tapée
tenter de déboucher les canalisations
se débrouiller la vie dans l’antichambre de
*
ces jours où, borduré, tu ne sors pas du jour
tu ne sors pas du joug qui te tient au-dehors
tu ne sors pas du lot défectueux qui t’échoit
*
tombé en impuissance, en zone de non-droit
maintenu au-dessous du niveau de la mer
disrupté, condamné à l’état de faiblesse
*
il ne reste plus qu’à épouser le parterre
y cultiver les fleurs de l’intérieur du corps
ventiler les poumons depuis les nappes sourdes
*
s’accrocher malgré les émanations acides
la coulée des tréfonds qui remonte à la tête
le sentier miné par les erreurs de jeunesse
*
j’ai voyagé ton corps espiègle et l’outremer
dont tu t’étais enduite de la tête aux pieds
et trempé tes orteils dans le Bloody Mary
*
l’atmosphère locale est d’humeur astringente
sans compter que le sol du salon se dérobe
engouffrant la matinée entre deux étages
*
sur la photo, tu lis, allongée dans ta chambre
du Beverly Carlton Hotel, comme une enfant
tranquille à l’ombre, l’été, d’un pin parasol
*
tu continues d’humer l’envers de la pelouse
peu dire que tu as le nez dans le gazon
mais remisé la montre, enfilé bermuda
*
plonger les mains dans la glaise et modeler là
surface suffisante à y poser les pieds
aire de rien mais joie, tu ne t’enfonces plus
*
le cagnard de sortie, l’été proprement dit
la ville s’est fendue — en deux — d’une piscine
où tous les écoliers viennent prendre congé
*
Taos, Nouveau-Mexique, à crapahuter sur
les hauteurs, dans le bleu, presque à flanc de nuage
les mains endolories de se tenir au ciel
*
peu à peu tu disparais de ce monde-ci
un bonhomme de bois cuit à l’étouffée par
la folie qui lui règne à l’intérieur du tronc
*
les espoirs empoissés dans peinture fondue
bataille avec le White Spirit ; s’extirper
des conduits séduisants et néanmoins bouchés
*
les vapeurs de gasoil me retournent les sens
des yeux de brume et d’ombre à l’intérieur de moi
absorbés par la Chose, ici-même, ici-bas
*
prendre soin de l’incandescent incompressible
sur-reste non traduit et inassimilable
continuer de polir l’inadmissible absence
*
ci-gît le noyau dur, non-sens irréductible
en-deçà sous-tendant la mise en mouvement
l’effondrement de soi par quoi on est tenu
*
j’aime les survenues de septembre au mois d’août
l’humidité dans l’air — automne à l’horizon
une odeur de rentrée fendant le plein été
*
quand tenté de jeter le bébé avec l’eau
l’eau du bain de la perte, tenir, écouter
les grands d’ici : Alain, Dominique et Jean-Louis
*
la rue est pleine de dehors, ai-je cru lire
à moins que c’était ce rêve la nuit dernière
qui m’a vu faire un de ces détours pas possibles
*
malgré l’épuisement tu continues à boire
et un peu plus et mieux tu restes éveillé
et ainsi tu persistes à la verticale
*
camera obscura héritée de ton père
tu chutes depuis des roches de même veine
et te baignes dans les eaux blanches de l’Algarve
*
la mise à jour est relancée quand à nouveau
me traversent la peau les amantes secrètes,
ces reines de Saba : Abigail et Rajàa
*
béni sois-tu, toi qui pratiques le zaoum
et allèges d’autant la peine de ceux qui,
comme moi, chaque jour, réceptionnent le fruit
*
tu nettoies la tasse à café et ne sais plus
quoi faire de cette bedaine qui te pousse
et ce malgré les exercices quotidiens
*
« Servez à ce monsieur une bière hollandaise
et des kiwis » inscrit de façon répétée
comme sur le papier machine de Shining
*
faire provision de — Doliprane en vue des
migraines à venir, feuilles de menthe fraîche
et le parfum du bois ciré dans l’escalier
*
j’ai la mâchoire encore affreusement gonflée
bien que la dent coupable ait été retirée
— un trou béant se meut désormais dans le coin
*
l’entretien du vacant se fait par bain de bouche
solution colorée qui se termine en -drine
comme le nom du préposé aux talismans
*
passer la langue à l’endroit de la cavité
chérir la trémie, passer la langue au tamis
fil de bambou, repapilloter le treillage
*
en août, côté cour, on entend voler les mouches
la gaze claire flotte, ondoie dans le salon
le ventilateur joue comme dans Barton Fink
*
tu pousses bout du quai, histoire de tâter
de ce voyage qui s’est éloigné de toi
les images portées au café Les départs
*
on a le goût des gares ; c’est que semble s’y
annuler la pesanteur de l’irrémédiable
plus besoin même d’un train pour prendre le large
*
ton cerveau déploie ses connexions au-dehors
en autant de quartiers : la ville se fait le
miroir du moindre de tes plis et rabicoins
*
eût été judicieux de faire menuisier
au lieu de quoi c’est toi la planche au gré des eaux
la mer comme brossée à la paille de fer
*
ravi par tous ces vers en anglais d’Amérique
des milliers d’îles drues qui m’ôtent à l’effroi
me tiennent compagnie dans les moments perdus
*
pétri de sel de mer le retour à la ville
les monts du Livradois remis à la prochaine
et l’immeuble du coin fait office de cairn
*
la vieille batterie rouge et blanche qui suinte
t’as tout téléchargé, tout cleané les tiroirs
le cœur est restauré, la mémoire fin prête
*
(que faire de toutes ces piles usagées
les porterai à la pharmacie dès demain
ça en fera des pulls tricotés pour l’hiver)
*
*
*
reparti pour un tour
*
tu te plies de nouveau au traitement induit
la selle est éjectable et le roseau sacré
c’est la soif de revivre qui donne le la
*
le capital est mort sur son socle d’acier
en un chant continu, une flamme pérenne
basses entretenues depuis la nuit des temps
*
fi du hérisson noir qui te scrute les yeux
le cheval de bataille a viré sa cuti
dans le dos du squelette vient la manne jaune
*
voilà, tu as troqué tes pouvoirs de voyant
contre cette responsabilité civile
qui t’incombe et t’oblige et t’assure à la fois
*
l’homme soudain s’est évadé hors de sa tête
il garde le bras en écharpe et tout en bas
son propre cadavre confirme sa présence
*
tu ne te souviens pas de cette nuit de noces
ni d’une fin à la si longue traversée
qui t’aura vu noyer les sanglots du destin
*
dans un texto fiévreux, j’avais décrit son cul
en en faisant un personnage à part entière
— il fallait me comprendre, elle l’avait fameux
*
sensation qui s’immisce depuis la gencive
jusqu’en haut de la dent — en passant par le cœur
frisson avant-coureur d’une carie certaine
*
que fuis-tu ainsi quand tu lis à mille à l’heure
de long en large comme arpentant les couloirs
de l’asile mental où tu te veux suivi
*
tu comprends pas pourquoi ça court à l’intérieur
les stigma en branle comme des particules
l’esprit balafré qui donne dans la secousse
*
une virgule de travers et nous voilà
l’estomac flanchant tête en bas à la façon
manège de torture ou rade pleine mer
*
barbouillé tout du long, sur le rail de ceinture
tu poursuis le dessein qui te tombe dessus
avant même que tu n’aies le temps d’y songer
*
le fond du réacteur est angoisse véloce
une marée de poix à l’énergie prenante
— force est de replonger dans le bouillon visqueux
*
l’insoluble se présente alors comme neuf
c’est bien là l’essentiel — j’ai la cuisse qui fond
nuit dépensée, nuit due jusqu’à réparation
*
il est comme depuis l’intérieur de ton œil
ce réel qui s’entrouvre à toi et se retire
jusqu’à la parution d’un lui-même inédit
*
noyer le désarroi dans le bol de café
que va dire le comité éditorial
si tu tiens toujours tant à modifier les titres
*
il y a toujours eu un dedans et un dehors
cette phrase n’est pas de moi mais de Carver
Dieu sait de qui, d’ailleurs, à y bien réfléchir
*
la sauce tomate a maculé le t-shirt
et c’est ton moi qui se retrouve éclaboussé
à dramatiser le moindre petit pépin
*
tu as laissé beaucoup trop pousser les cheveux
bien plus que de raison ; tu as laissé pisser
tu as les cheveux longs, trop longs pour espérer
*
la sensation du canon froid contre la nuque
le mauvais roman qui te tomberait des mains
et le plomb, finalement, qui se logerait
*
on ne finit jamais d’interagir avec
le dedans de ce monde à tiroirs et consorts
dont on a tant besoin de retrouver la forme
*
c’est un pas de côté qui te permet tantôt
de passer outre la mesure de l’écart
et de ne plus subir le dessaisissement
*
tu prends enfin le chemin de la mer du Nord
le loin y est comme un de ces moutons pelés
l’écume volatile, une étoile de givre
*
on me dit qu’aux confins de l’espace et du temps
l’univers prend des airs qu’on ne lui connaît pas
il se fait granulaire, à boucles pendulaires
*
tu computes et pries les instances topiques
de s’accorder sur la réfraction des signaux
contingents qui, sinon, interfèrent de trop
*
revoir la cartographie de ces chants anciens
ce qui manque à sa place ouvre à ce qui t’échappe
et les amants d’apparaître là, nimbés d’ombre
*
que faire de la belle dame archétypale
qui passe au pied de ton immeuble le matin
et dans ta tête le reste de la journée
*
s’agit de supporter d’être le pair exclu
celui qui ne prend toujours pas part à la messe
qui n’est pas invité à la copulation
*
la rêvée te surprend, c’est que tu n’es pas mort
la désidération te tient même éveillé
la catastrophe a le droit de se retirer
*
la machine à rêver fonctionne donc encore
même si le reste du corps est engourdi
et que tu es toujours tenu pour prisonnier
*
cette nuit, Stéphanie, est venue me rejoindre
au milieu du sommeil, s’en est fallu de peu
on a pas mal causé, du coup, malgré la brume
*
c’est désormais le rêve de la nuit qui dicte
rythme et bon déroulé de la journée qui suit
concordance des temps : le dialogue est diurne
*
il n’est pas question d’annihiler la révolte
le feu qui t’anime et contribue à nos actes
simplement, si tu peux en adoucir les mœurs
*
se séparer pour établir la relation
le lieu de la rencontre est frontière sacrée
la parole une adresse à la communauté
*
que de dégâts au nom de la grandiosité
que de sentiments oubliés sous le boisseau
chauffe Marcel la voiture banalisée
*
comme tu peux, tu tiens tête au Démon du fond
toi, le témoin de la révolution des âmes
voyez, la couleur pleure et les pivoines saignent
*
le tour de force en deçà duquel tu repiques
moins mise à mort annoncée que négociation
solide bras de fer, en vertu du bon sens
*
encore un rêve, qui voilà ? Blanche et Éva
en pleine forme elles étaient, on a dansé
on a fait des tours à moto dans le quartier
*
qu’est-ce qui te prend de ruer dans les brancards
l’inflammation te remonte comme un coucou
c’est toi qu’on ramasse à la petite cuillère
*
le réel en impose et le corps, prolétaire
rendu au ministère, encore en pyjama
se voit planter des clous dans la paume des mains
*
de quel ciel insensé se dégage le sens
de quel bois Je me chauffe ; et la mer et le sec,
quelle hétéronomie les prétend tous les deux
*
remonter l’eau du puits chaque jour que Dieu fait
prendre soin du jardin qui t’a été confié
veiller à ne pas perdre une miette de vie
*
il marche tout du long, trépigne sur le toit
les pas sont décidés à tomber le plafond
que va faire la dame au visage d’oiseau
*
quelle est cette jouissance qui te prend la peau
ces merveilleuses fesses que tu hallucines
quelle est cette douleur avec quoi tu fais corps
*
la parole est au corps, l’occasion d’opérer
la stase différée, l’appétit qui revient
paupiette de veau, haricots, pommes poêlées
*
tu renonces à Marie, sans détricoter
pour autant l’impression qu’elle t’avait laissé
en même temps que son bas de survêtement
*
le froid sec à l’épreuve ne me déplaît pas
la faible densité à l’œuvre dans les bois
la promenade blanche à proprement parler
*
longtemps que tu carbures au jus de carotte
plus potiron et saupoudré de curcuma
le marchand ambulant le prépare pour toi
*
vieilles histoires de minuit moins à dormir
debout qu’à réveiller les morts, si on en croit
les craquements osseux provenant du sous-sol
*
tu souffres comme d’une panne de wifi
un sujet séparé de la communauté
sauf à téléphoner au drôle ami Cioran
*
cultiver ce lopin de terre te revient
la lettre le confirme — les esprits aussi
ne reste pas assis sur le gros caillou gris
*
la poussière est de mise sur le secrétaire
tandis que coule à flots l’eau chaude de la douche
tu n’as pas l’intention de refaire le monde
*
la chaumière est modeste, quelque part au nord
du Chili, donnant sur un parterre de fleurs
provenant du Japon, que Betty a plantées
*
mis les points sur les i et serré les boulons
demain j’irai renouer avec la boulangère
se détacher n’est pas se détacher de tout
*
épinglé d’attributs, orienté de semblants
le plaisir chevillé au chiffre qui te tend
tu te soustrais joyeux à la passe d’ivresse
*
chute de nos amours avec la vérité
la fuite du tonneau au point de capiton
comme une perfusion de liqueur de citron
*
tu veilles à ne surtout pas faire de vagues
tu ne te supprimeras plus qu’à demi-mot
du mou accordé à tes données personnelles
*
ne fais pas tout un plat, pas plus qu’un pas de plus
quand les uns de l’essaim te heurtent de plein fouet
vise la suppléance à cet effet sans lien
*
t’emballe pas, bonhomme, à quoi bon t’empaler
dresse belle la table, invite des amis
renonce à convaincre autrui de ton bien-fondé
*
tu te panses de mots mais ça saigne toujours
tu doutes même de ce qui fait souvenir
ce qui n’empêche pas de conduire le bus
*
tu ne peux t’empêcher de retourner là-bas
jalon d’un temps ancien où tu restais sans voix
face à la ruse qui s’était jouée de toi
*
le passé continue de te conduire à lui
roulé dans un tunnel au présent perpétuel
le futur est toujours sans nouvelles de toi
*
le réel est un Graal autant que repoussoir
à l’impossible nul n’est prié de cogner
bichonner les lambeaux en revanche est requis
*
tu fais ton Charles Juliet pour te dédamner
te dédouaner des années qui ont précédé
l’ouvrage constamment remis sur le métier
*
un aller-retour au désert et tu retrouves
à la discrétion du bas-relief intérieur
la rue du Dragon, les angles à arrondir
*
il te reste encore à reconnaître tes lieux
la piste, c’est d’abord le rêve qui la dit
tes pas dans la poussière en sont l’affirmation
*
où donc est passée la belle sexualité
que fait ce corps transi dans le coin du grenier
le lit de camp t’en prie, mettre le cap au sud
*
ce qui t’anime, c’est toujours la part de l’autre
l’étranger qu’à l’instant tu sembles reconnaître
là, tu peux voyager, faire lien d’amitié
*
moins pressante la tentation du point d’arrêt
tu ne tournes plus à l’obsession ; ça fait volte
au large d’un noyau d’oubli fort comme un roc
*
du voyage tu fais ton gîte et de la nuit
sans étoiles tu recueilles le noir profond
à t’entendre, la hutte même est vagabonde
*
Abi a été danseuse, son corps s'en targue
rompu au mouvement, tranchant comme une lame
au plus près de la vague prête à déferler
*
tu portes beau ton costume de nudité
marchant droit et sans fard à cet endroit du monde
le regard pointé vers la ligne bleue des Vosges
*
le visage marqué par l’âge et la fatigue
vieille tête coiffée dès potron-minet par
les câbles dans le ciel, les grues du boulevard
*
comment se constitue la visée d’un désir
quel appel a ouvert cette voie qui t’est propre
l’enfant continue de demander à parler
*
tu creuses le sillon de cet amour de l’autre
tu sacrifies tes biens, t’adonnes au labeur
que tu n’as pas choisi mais qui te le rend bien
*
tu fais ton maître de ces circonstances-là
tu y coules le ciment des jours à venir
en tâchant de ne pas laisser traîner les pieds
*
la traversée de la forêt s’est présentée
à moi d’abord en rêve ; un passage obligé
tant je me trouvais alors du mauvais côté
*
il te revient de faire avec la division
de combiner en vertu du contradictoire
les nombres dont ta personne tire son chiffre
*
la partition promet des retours de bâton
la pleine neige est seule à même de couvrir,
de calfeutrer les lacérations du terrain
*
tu ne peux pas te fier à la mythologie
les signes ambigus qui ponctuent nos chemins
ne sauraient faire mieux que saluer de loin
*
au mieux, tu mets à jour ta grande dépendance
faisant ton maître de la moindre défaillance
tu prends acte de ta prodigieuse impuissance
*
tu as été conçu l’année de la faillite
de l’entreprise de treuils de ton paternel
est-ce à dire que tu es l’enfant d’un fiasco
*
tes oreilles ont dû bien sifflé pendant la
gestation, pas à l’abri de la confusion
régnant alors parmi les dires et les dits
*
le langage est fécond à l’état initial
fertile est la façon qu’il a de mettre en jeu
le drame de l’espace, sa zone érogène
*
revenir à la nuit nu et couvert de cendres
entrer au cinéma trouver miséricorde
au sein, l’épiphanie ne te fait pas faux bond
*
liquider tout à fait ce reste d’arrogance
l’insigne crânerie dont tu as hérité
qui tel un boomerang te revient pleine poire
*
dès le début, tu es perdu : en pleine mère
petit d’homme égaré là sens dessus dessous
entre deux eaux déjà, peinant à respirer
*
depuis, tu restes pris dans les filets du rêve
qui tourne au cauchemar plus souvent qu’à son tour
tu n’en finis pas de ne pas te réveiller
*
pourquoi vouloir à tout prix se débarrasser
du nourrisson qui peuple et parle la mémoire
ne pas s’identifier mais lui rester fidèle
*
pourquoi te débats-tu, te bats-tu contre toi
pourquoi te tuerais-tu, anéantirais-tu
le poids d’altérité qui fait de toi un homme
*
depuis les hauts de l’âge étrange de ta peine
tu fais des croix sur la journée et sur la nuit
tu marques de pierres blanches, misère noire
*
tu n’étais pas dupe de l’enfance radieuse
l’ignominie larvée sous le poisson pané
l’effroi exhortait à freiner des quatre fers
*
raccommoder le loin qui te cligne de l’œil
récupérer le père à la place perdue
adoucir les saillies, surprendre le visage
*
la surprise est le corps, le corps dans son ensemble
dans cette façon qu’il aura de faire lien
de danser l’entre-deux ; l’amour est sans pourquoi
*
rapatrier l’écart, faire son maître de
la part psychotique présidant à l’entrave
– suppléons-nous les uns les autres, font les corps
*
te soustraire à toi-même est le moyen que tu
as trouvé pour tromper la vigilance des
quatre coins auxquels, allègrement, tu te cognes
*
tu te soustrais à toi, n’occupes plus la scène
les ombres sont portées ; ton petit monde va
tu ne prends plus les lanternes pour des vessies
*
non pas que tu te sois retiré, simplement
tu te soustrais à toi, conjurant la mainmise
l’envers tout contre, là, tu te plies à la mise
*
qu’est devenue la nuit passée avec Estelle
quand drapés l’un de l’autre en travers de la pièce
et tout le long du jour à manger l’oreiller
*
qu’est devenu le feu qui roulait dans le creux
des reins de ta jeunesse, à Nantes et ailleurs
qu’est devenue la nuit passée à vos côtés
*
t’accommodant des différents lieux qui te font
le pouls abandonné aux vibrations du sol
tu t’étaies à des souvenirs artificiels
*
efflanqué, nu comme un ver, en appui sur la
pointe des pieds, tu reprises la diagonale
reprends le fil de peu où tu l’avais laissé
*
au passage à niveau, tu pousses sur les jambes
tu recours à l’appel de la musculature
tu laisses de côté la forêt qui s’immisce
*
ça sent le graillon dans la cage d’escalier
le graillon, ça te fiche un bourdon pas possible
plus qu’à te coller du camphre sous les narines
*
la nuit est moins qu’avant l’occasion de te perdre
ponctuation de tes jours, battement à couvert
un rendez-vous avec le rêve qui t’éveille
*
tu exerces le corps, muscles la libido
le matin est propice, opportun comme tout
franc comme un incipit, il t’engage à le suivre
*
le corps se pose là, à côté de son jouir
et c’est dans ce déport qu’il reprend possession
dépossession de soi, liberté d’exercer
*
prendre la mesure des déterminations
qui s’imposeraient à la subjectivité
se déprendre d’autant sans décorner les bœufs
*
fi des bruits de guerre à l’étage du dessous
des lourds travaux de nuit le long du boulevard
tu adoptes le mal de crâne invétéré
*
tu renonces enfin à toi-même sans fin
sans chercher plus loin à te relocaliser
tu rends le tablier de toute entité fixe
*
quand ce qui prend tout à coup possession de toi
c’est le corps de cette camarade de classe
la Karine et ses sels qui recouvrent le tien
*
à quoi conduit la nuit, s’étonne la mésange
à qui il a suffit de te faire du pied
pour être reconduite où bon lui a semblé
*
tu sens au fond de toi pointer le renouveau
la sève est prête là à remonter le corps
tu marches désormais comme un poisson dans l’eau
*
il y avait le port droit, le strabisme des seins
Olympe s’effeuillait chaque jour un peu plus
cicatrices brandies en gage de pudeur
*
les mains élancées de Julie, les yeux de biche
ton cœur était adolescent, le sien aussi
vous arpentiez la nuit les jardins d’espérance
*
muni ce matin d’une bassine bleu ciel
tu t’attaques au gros du désengorgement
ménage de printemps, la rosée diluvienne
*
les jours de désarroi, tu creuses de tes mains
un tunnel au travers ; tu touches à ta fin
au milieu d’un amas d’ampoules de couleur
*
personne n’a jamais rien su de ces soirées
que tu passais chez Clément à débagouler
Bukowski dans le texte et la vodka-orange
*
Clément, tu l’avais connu à la cité U
il allumait toujours la télé sans le son
ramassait l’été les cerises dans la Sarthe
*
la mémoire ayant gardé trace de l’oubli
il suffira d’un éclair pour rouvrir le ciel
des grands espoirs déçus alimentant nos cœurs
*
tu te réhydrates le dedans du fuseau
la chair revisitée prend sa part à l’envi
toujours un peu plus bas tombent les branches mortes
*
tôt le lundi matin, les sirènes remontent
Ondine et compagnie font leur apparition
parées de ces atours qui vaudraient le détour
*
les fleurs de cerisier viennent à ton secours
il était temps que le printemps te récupère
parmi les ombres et décombres de l’hiver
*
tu lis les journaux de voyage de Bashô
te voilà transporté par les sentiers sinueux
le grand air te revient ; les monts sont ton chemin
*
engoncé dans ton corps, dépareillé dans l’heure
tu te raccroches au mollet galbé d’Olympe
aux ailes bleu nuit qu’elle a, tatouées, sur la lune
*
tu promènes le scope à travers le pays
le long des routes, des dévers du bord de mer
tes vues sont des visions non indicialisées
*
avide de plaisir, elle a pris position
au sommet du rideau, la mante religieuse
heureuse d’être prise à te tomber dessus
*
conjugaison des temps, migration des frontières
au réveil, le dinosaure est encore là
la nuit n’a pas fini de générer le jour
*
la nuit n’a pas fini de sous-tendre le jour
la nuit n’a pas fini, d’ailleurs le jour non plus
le jour n’a pas fini de venir à la nuit
*
tu me tiens par la main au milieu des statues
tu m’emmènes, Abigail, au fond du jardin
où nous faisons l’amour à l’abri des statues
*
tu t’ajournes la nuit et t’anuites le jour
tu fais ton miel avec ce dépôt bigarré
non sans y mêler le sang de tes disparus
*
un plat de gnocchis, une carafe de vin,
une échelle de bois ; le nouveau monde est là
le masque est un ajour d’où affleurent les morts
*
cousin hypostasié du génie qui nous porte
ces forces impersonnelles et anonymes
Polichinelle est l’emblème du devenir
*
renoncer au visage, échapper à ton cas
faire en dépit du caractère intelligible
la séité, l’ethos : il est bon d’en sourire
*
délice que le corps du fait qu’il est au monde
en contact avec soi et avec d’autres corps ;
son usage nous ouvre en possibilité
*
il y aurait tout au fond quelque chose de mince
rien moins qu’un secret, rien de plus qu’un interstice
la modulation d’un simple ruban de soie
*
rendez-vous était pris, minuit dans la forêt
autour d’un feu de joie, étreindre nos ivresses
attraper au matin un train pour le lointain
*
se glisser dans le bain à la force des bras
avec les sommités, rivaliser d’espoir
rivaliser de vie avec le désespoir
*
faire confiance au sort te réussit plutôt
te voilà dans la cour des grands, ou à peu près
hissé à mesure à la hauteur de ton pas
*
tu as perdu la vue au profit du miroir
qui t’a fait recouvrer la parole première
celle-là même qui t’exprime depuis lors
*
la pépée blonde réapparaît dans la nuit
ne sommes-nous pas faits de l’étoffe des rêves
la route enchantée n’a pas de fin, pas de fin
*
bon sang, tu es si belle ; il se met à pleuvoir
quoi faire d’autre alors que plagier Brautigan
t’embrasser derechef, ouvrir un parapluie
*
la robe en vichy rose a pris vie sous mes yeux
— sans que le corps de lait de sa propriétaire
n’eût besoin de se présenter sous les bretelles
*
qui était cette femme et quel était ce bruit
qui, cette nuit, ne m’a pas laissé de répit
quel affreux branle-bas m’a tout déménagé
*
et ce projet, désaffecté, quel était-il
rouler sans s’arrêter, traverser d’une traite
appareil au poing, les étendues, les vacances
*
Emma fut la clé de voûte de ton enfance
toujours fourrés l’un chez l’autre ; le pot aux roses ?
vous partagiez les mêmes taches de rousseur
*
tu deales du passé, des capsules de temps
tu n’en fais pas une maladie pour autant
tu ne mélanges pas business et plaisance
*
la tension née de cet échange de regards
une fois transmuée en fluide autonome
te tient la dragée haute pour un bon moment
*
la stupeur de la nuit a envahi les draps
l’intrigante d’un soir a tourné les talons
la torpeur me surprend tout imbibé de sueur
*
tu reprends le rythme de la vie pas à pas
la douche froide ne te laisse pas de marbre
le matin te tend une serviette en coton
*
pris en tenaille entre deux eaux inamicales
tu as cessé de mouliner en vain des bras
tu ne cries plus non plus ; tu te tiens au tuba
*
rouge est le sable qui recouvre le trottoir
quel sirocco l’a déposé là dans la nuit
quel désert sur la ville est en train de s’abattre
*
la sirène te lorgne depuis le couloir
elle a les ongles faits et les yeux globuleux
la chevelure prête à te sauter dessus
*
tout se passe comme si tu avais passé
ta jeunesse dans les rues de New York City ;
en toi, la marque de ses pâtés de maisons
*
cet été, tu feras à nouveau des photos
des endroits traversés imprimés des envers
flopée à tout le moins de dérivées mentales
*
tu ne tiens plus à la substantifique moelle
tu préfères la peau de la ville et la crête
des vagues et des monts, tu surfes l’alentour
*
la redoutable s’est bien sûr pointée nu-pieds
mon sang n’a fait qu’un tour comme à son habitude
la pilule est entière et dure à avaler
*
le vendredi tu fais le deuil des jours ouvrés
tu descends dans la crypte en prenant l’ascenseur
tu reviens de l’éclat et des rodomontades
*
pourquoi t’attache tant la forme de ses doigts
véhicule de ce qui d’elle tend à te
toucher mais qu’au bout du compte tu n’y es pas
*
si tu t’en tenais à l’ablatif absolu
tu débusquerais peut-être le caillou blanc,
le latent du regard ou l’orgasme de Jeanne
*
tant que farouchement tu te tiens en deçà
– mais en deçà de quoi, c’est à n’y rien comprendre
tu ne vois pas le jour, tu réponds à la nuit
*
ton beau-frère est en bas, prêt à prendre la route
pas question de rouler aux énergies fossiles
sans compter que tu n’as pas fini ton whisky
*
tu n’auras pas cédé un pouce de terrain
accroché à ta ligne et renvoyant les balles
Captain America, Rafael Nadal style
*
procrastiner tu fais ça bien mon gros loulou
tu remets à demain la vaisselle d’hier
tu renvoies aux calendes grecques l’imminent
*
tiens, revoilà le trait unaire, il fait son charme
le trait lunaire de celle qu’on n’attend plus
sur le quai de la gare le vendredi soir
*
comment ne pas s’étonner que, pour cette fois
il n’y ait pas de suite à la litanie des
apparitions dont on a par-dessus la tête
*
toi qu’on trouve en carence de partie réelle
en carafe sur le troisième parallèle
condamné à payer la dette des anciens
*
c’est le cul de la dame encore une fois qui
te prend au dépourvu au milieu de l’été
la courbe qui dans l’œil te tape au débotté
*
mettre l’autre à ton aune à moins que ce soit lui
qui te mette à la sienne à la table où vous êtes
l’un en face de l’autre assis comme il se doit
*
elle avait garé son pick-up devant la boîte
multiplier les drinks n’était pas son envie
entrer en elle fut une illumination
*
démantibulation des ratiocinations
liquidation bien sentie des sidérations
te voilà qui tires ton épingle du jeu
*
ce fut quand même étrange de croiser Roubaud
devant le city market de la rue Pouchet
banal en même temps, il attendait le bus
*
qui te dit que la chute est une métaphore
que ce n’est pas aussi cet ébranlement-là
ça qui s’empare de toi, qui te dessaisit
*
le trou d’air a duré le temps que tu déchantes
ça revient à dégringoler les escaliers
les pieds et les poings liés, la tête la première
*
tu t’accroches aux mots, ils s’accrochent à toi
la dépendance est lourde, le besoin pressant
se soumettre aux méandres de langue est risqué
*
mais comment as-tu pu oublier à ce point
perdre absolument le souvenir de Sandra
comme si votre lien n’avait pas existé
*
ça y est, tu t’es remis dans le sens de la marche
plus qu’à dérouler l’inédit des lendemains
à c��lébrer les jours inscrits à l’agenda
*
tu es prêt à dédier ton corps à cet usage
heureux de ne jamais savoir à quoi t’attendre
les journées passées à chasser le mauvais œil
*
tu continues d’incorporer Rajàa la Rouge
héroïne mentale de l’écosystème
qui t’inclut malgré lui depuis le fond des mers
*
pas seul à te sauver la peau à grand renfort
de livres, de chansons ; de danses de saint Guy
pas sérieux quand on a... – tous on fait ça, pas vrai ?
*
disparaître de soi, en voilà une idée
se fondre comme un sucre trempé dans la tasse
se résorber le soi comme on prendrait un train
*
une pornographie secrète te régit
non visible à l’œil nu, seul en sait la séance
le trou parabolique vêtu de velours
*
quelle est cette frayeur dont tu as la hantise
cet antécédent qui rend l’air irrespirable
cette obscure asphyxie qui précède ton pas
*
serais-tu né mort-né, aurais-tu été mort
mort avant même que d’être remis au monde
ne serais-tu pas né après y être passé ?
*
quelle ville brutale a forcé son destin
à l’intérieur de toi, pour le dire en vitesse
quelle horreur t’a poussé dans ces retranchements
*
si c’était simplement le goudron des Rothmans
qui t’entrait dans le sang à l’époque où la mère
t’alimentait par le cordon ombilical
*
tous ces clopes que tu m’as fait fumer de force
j’en recrache la cendre, la nuit, en dormant
amer de m’être fait enfler à l’origine
*
on aura tutoyé la folie tous les deux
une folie à deux, âpre gémellité
la forêt renvoie l’écho de ce qu’on y crie
*
le pays est tombé en 1940
qui n’a pas reçu la gifle de fonte rouge
la mort entrée en nous comme dans un moulin
*
avant la récidive, il n’était pas le même
le trait unaire est double et, qui plus est, mouvant
là c’est Marine qui me refait la cerise
*
que reste-t-il de ces loyautés qui nous forgent
nous ont-elles laissé nous émanciper d’elles
les avons-nous laissé remédier à nous-mêmes ?
*
tu n’épouseras pas la femme de ton frère
tu ne tueras pas le mari de la coiffeuse
ni tous ces gens qui t’ont si bien laissé te perdre
*
ce n’est pas sa chevelure qui rend Méduse
séduisante — ni ses yeux, qui te pétrifient
non, ce qui te séduit, c’est cet appel au sexe
*
hier c’était l’anniversaire de celle qui
a la peau brésilienne et le cheval d’arçons
– j’ai toujours les caleçons que tu m’as offerts
*
remballe ce pied pris dans l’entrebâillement
n’introduis pas tes doigts dans l’entrebâillement
tiens-t’en à avoir là une vue imprenable
*
tu as rêvé l’absence et c’est un bon début
tu as rêvé de l’absente et de son conjoint
tu as rêvé de la rage de dent du frère
*
tu rêves de mettre un terme à la fantasma-
-gorie, qui te requiert et te demande tant
tu rêves de repartir marcher en montagne
*
tu rêves de ne plus te noyer dans la ville
qu’elle te soit plutôt un radeau de fortune
mais n’est-ce pas le cas, à y bien réfléchir
*
tous ces livres d’images que tu te refuses
le passé t’a déjà suffisamment tenu
en laisse, captif de ses tours de passe-passe
*
laisse faire les songes, ils veillent sur toi
contente-toi de mener ta vie comme il faut
la part de réjouissances suivra, paraît-il
*
elle a du style Esther, tu as bien fait d’oser
rêver d’elle avançant comme sur un tapis
roulant, nue sous son immense blouson de cuir
*
ne tire pas comme ça sur le fil d’Ariane
fie-toi à la façon qu’ont les geais d’adoucir
le tableau ; fie-toi au sourire du tao
*
les blancs draps de Marie réfléchissant son or
les grasses matinées comme dans la chanson
autant d’étés indiens imprégnés d’infini
*
tu crois avoir laissé les fantômes sur place
tandis que ce sont eux qui jouxtent à l’instant
la lavande écrasée dans le fond de ta poche
*
où que tu aies posé ton baluchon, dis-moi
quelle est cette illusion d’un lendemain meilleur
qui gratte incessamment à l’arrière du crâne
*
il faut voir comme tu chéris l’imperfection
tu embrasses le manque et l’inachèvement
avec autant d’ardeur que s’ils étaient présents
*
ne te reste plus qu’à racheter des punaises
pour épingler au mur tout ce fatras qui traîne
cartes postales, fleurs séchées, papier journal
*
tu renonces à voir la dame étendue nue
sur le transat en plein soleil à son zénith
feront l’affaire trois petits pas en arrière
*
les femmes de ta vie se sont passé le mot
elles ont rendez-vous au milieu de la nuit
elles ont rendez-vous dans chacun de tes rêves
*
le maillon qui te manque, laisse-le filer
ne retiens pas le temps, ne retiens pas la nuit
qui fait, défait, refait son lit au fond de toi
*
*
*
battement des familles
*
le rêve a repris là où il t’avait laissé
Olympe s’est à nouveau glissée dans ton dos
pour ce qui ne fut pas que partie de plaisir
*
Déborah non plus ne te lâche pas la grappe
elle court après toi, sandales à la main
dans les rues de Rio jusqu’au petit matin
*
bien obligé d’ouvrir un chapitre nouveau
à ce qui n’est jamais que le fil de tes nuits
qui, comme les journées, sont comptées, sont comptées
*
*
*
reprendre connaissance
*
comment s’appelait-elle déjà, Émilie ?
tu la rencontres de nouveau à l’occasion
voyage dans le temps dont tu ne reviens pas
*
Pauline ruisselante au sortir de la douche
enfile le peignoir de ton colocataire
dans le salon, le breakfast anglais est servi
*
les affres ont eu beau ne faire que passer
te voilà pantelant, le gosier débondé
par la couleuvre bœuf que tu viens d’avaler
*
elle engage ses grands compas dans l’escalier
le téléphone sonne dans sa poche arrière
elle me prie de bien vouloir l’attendre ici
*
Géraldine, en voilà de drôles de façons
que d’être ainsi juchée sur le coffre en bois peint
à proclamer que le paravent vous revient
*
le bon vieux nœud de vipères refait surface
il te voit le nez collé derrière la vitre
hanté à la hauteur de l’abomination
*
le temps s’est arrêté, la forclusion prévaut
les parpaings s’empilent sous un soleil sans ombre
rien n’explique les effluves de patchouli
*
tu souffres le fer rouge étendu sur l’asphalte
la capitulation ne date pas d’hier
ne mésestime pas la main qui t’est tendue
*
tu as cru pouvoir te dispenser de l’affaire,
l’envoyer se brosser — fin de non-recevoir
in fine, tu dois renoncer à t’abstenir
*
à pavoiser, tu te mettais toi-même à dos
à plastronner tandis que des oiseaux mouraient
à quelques lieues de là, et des hommes aussi
*
t’est prescrit de réassortir amour et haine
comme on met en bouquet les fleurs complémentaires
comme on pèse les mains dans La Nuit du chasseur
*
tiens, voilà que notre passante préférée
s’épanouit les orteils dans le sable brûlant
une aise au-dessus des moyennes de saison
*
durant l’enfance longue et qui n’a pas fini
tu fus pris dans les rets (au passé pas si simple)
des atroces sujétions qu’on t’a réservées
*
cette fatalité est, non sans paradoxe,
contrecarrée par ce penchant que tu as pour
les seins de tes sœurs, autrement dit les rets mêmes
*
séduction du passé, et poison et remède
quand l’ombre de l’objet t’est tombée sur le râble
plus qu’à te restituer dans la gueule du loup
*
au-delà du roc sur lequel tu viens buter
il y a bien un moyen de te réaliser
il convient pour cela d’y figurer la passe
*
l’énoncé en lui-même institue une brèche
ou plutôt tend un pont par-delà l’aporie
le long de l’impossible auquel tu es tenu
*
par amour pour ta mère, et mépris du courroux
pour l’amour de ton père — et t’attirer les foudres
tu as mis en péril ta propre situation
*
la loi en vigueur était le brouillamini
une histoire de bleu mélangé à du jaune
de loumf inopiné et de charivari
*
Héloïse est là, elle s’offre devant toi
devant toi, non pas à toi, mais précisément
tout est là : devant toi, elle et lui, bel et bien
*
pour l’amour de Dieu et par crainte légitime
non sans passer tout près de l’annihilation
tu as su cette fois t’y retrouver en propre
*
la désaide te force à sortir de chez toi
les remontées d’égout semblent inéluctables
tu t’en vas par les ports en quête de salut
*
tout se passe comme si tu étais tenu
captif à l’intérieur, quel que soit le contexte
jamais vraiment sorti du ventre de ta mère
*
une façon singulière de conserver
ces chères aberrations qui te font de l’œil
tout en t’épargnant tout désaveu ultérieur
*
longtemps, tu as rêvé d’une autre destinée
tu ne voulais surtout, surtout pas de la tienne
tu ne voulais pas de ce qui était possible
*
tu reprends la besogne depuis le début
les fils, nombreux, vont et viennent dans tous les sens
c’est à désespérer d’en voir jamais le jour
*
replacer les événements sous l’abat-jour
décroché du plafond de la chambre du fond
y recoller les jambes en l’air en morceaux
*
un temps tenté de justifier l’injustifiable
de rationaliser le plus extravagant
tu as fini par descendre de l’escabeau
*
tu devais penser que ça passerait tout seul
sans même que tu aies à rebrousser chemin
encore moins à trimbaler le coffre-fort
*
ouvrir les yeux sur pareille absence est cuisant
les paupières ôtées d’un coup de bistouri
tu n’as plus qu’à t’en prendre à la réalité
*
pousser réalité dans ses retranchements
s’imaginer coucher avec la terre entière
que l’impuissance sache y prendre le pouvoir
*
le risque est effectif, rends-toi à l’évidence
l’ignorer conduit à bien des désagréments
combien de temps crois-tu pouvoir tenir ainsi
*
le phallus ou la mort, as-tu cru bon d’attendre
sous pareille pression, qu’espérais-tu atteindre
le coup rate et tant mieux — c’est pas la mort non plus
*
la tuile quand l’instance ne joue pas son rôle
le carent fait défaut comme son nom l’indique
au pied du mur, le crâne s’ouvre à tous les vents
*
l’insigne manque et patatras, tu n’y es plus
tu marches sur la tête à l’intérieur du corps
le cobra sort de la casserole fondu
*
que la métaphore fasse office de nœud
maintienne par effet de signification
évite au vestibule de perdre le nord
*
tu suis la partition, tu en es l’héritier
c’est mieux que d’être pris à déchirer la page
si j’en crois l’expérience et la tautologie
*
si tu ne consens pas à céder la parcelle
sur laquelle ont été plantés les capuchons
ne sois pas étonné qu’on te coupe le doigt
*
condescendre au désir, en distinguer le lieu
du point d’angoisse, agréer le blanc dans l’image
traverser le plan de l’identification
*
encore faut-il que tu le laisses courir
ce pied qui t’éblouit au point de conjonction
que tu supportes de ne pas t’y cramponner
*
c’est désormais le fond du puits qui t’origine
tu n’as plus à te soucier de ce qui fait cause
regarde devant toi, apprécie le périple
*
la présence d’un creux te fait tourner autour
de là à ce que tu tournes autour du pot
il n’y a qu’un pas ; garde-toi bien de le franchir
*
tu vises au cœur d’une flèche qui te rate
pas question de perdre la trace des caduques
Psyché et Cupidon rencontrent Thanatos
*
la côtelette et les pommes de terre à l’huile
ont conduit à la désintrication des feux
charge à toi d’atténuer les assauts de l’hybris
*
c’est le pied de Ninon qui brille au fond du puits
il cause le désir en tant qu’il est prenable
que le terme y échoit comme la lettre en tombe
*
ainsi soit le hile qui t’insère au réel
la perte de vue qui t’inscrit dans le réel
le pédoncule qui t’y offre un peu de prise
*
la réalité est un tenant-lieu de pied
ce fantasme de fond qui te sert de fenêtre
sur le réel et son caractère impossible
*
dorénavant les eaux s’écoulent sans encombre
tu nais du bocal où, sous les yeux de Chimène
sied un pied chatoyant, te donnant carte blanche
*
c’est le pied d’Abigail qui signe la façon
dont tu rebondis là sous la poussée des flux
ce courant ascendant, il en est l’estampille
*
c’est le pied de Rajàa qui produit son effort
son oblativité te coupe le sifflet
son retrait inaugure une accommodation
*
le pied rougi d’Olympe appuie sur le rebord
te voilà propulsé dans le plan contigu
ça remue bigrement côté séparateur
*
Héloïse et Marie sur la pointe des pieds
participent au bal chacune à sa manière
l’heure avancée n’entame pas les forces vives
*
Olympe est apparue sur le dos d’un cheval
nantie d’une améthyste et d’un peps contagieux
la tendance n’est pas à l’extinction des feux
*
tu rêvais d’être pris, en faute et en tout lieu
prompt même à te soumettre à la fustigation
comme à prêter le flanc à la fumigation
*
c’est le pied d’Émilie qui siffla la fin de
la récré quand elle te le ficha au cul
ne l’ayant pas volé, c’est comblé que tu fus
*
comme de marbre derrière la baie vitrée
qui coulisse à l’arrière-plan de l’aquarium
le mur du langage renvoie au saut du lion
*
le ver est dans le fruit, n’est-ce pas délicieux
la désagrégation promise n’a pas lieu
le pied d’Héloïse te rentre dans le cul
*
*
*
repiquer à la violette
*
l’entrave était une jouissance à part entière
de fait, tu disposais du corps qui te forçait
tu rêvais que ton frère te pisse dessus
*
aujourd’hui tu en ratifies la fantaisie
l’objet à la coupure a effet de sujet
la fantasmagorie te remet à ta place
*
sous le loup, la carotte et non plus le bâton
le pied de Ninon te remonte dans le fion
le fantasme te fait réponse du réel
*
*
*
à pied d’œuvre
*
tu t’assois rondement sur le pied pas possible
godiveau fabuleux scellant le fondement ;
où échoue l’éclosion, la dissipation luit
*
c’est le pied d’Abigail lochant à la rondelle
c’est le pied de Rajàa se fichant fermement
c’est le pied de Laure dont l’élision scintille
*
caracole intime qui atteste de l’Autre
ces trois pieds sont le t qui galamment te prie
de t’en remettre à pareille vacillation
*
*
*
de plain-pied
*
que vient faire Abigail dans le cours de ta nuit
si ce n'est te planter son beau pied dans le cul
tu te remets très bien de pareille attention
*
qu'attend de toi Ninon, le doigt sur l'échancrure
la poitrine ajourée, les jambes à ton cou
en retour, elle te fout son pied où je pense
*
que te souffle Olympe à cheval sur l'oreiller
au moment où elle t'enfile dans le trou
le pied badin que tu appelles de tes vœux
*
*
*
à la dérobée
*
ainsi surviens-tu du battement des marées
qui prête à l'inscription le sable de la chair
que balaie aussitôt le paréo d'Isis
*
ne pas te supposer le cul bordé de nouilles
si on te croit verni, qu'on t'admette plutôt
l'anus auréolé d'orteils mirobolants
*
le pied de tes rêves s'est volatilisé
l'ombre de Rajàa flotte sur la plage arrière
un vent rafraîchissant traverse l'habitacle
*
*
*
pied de nez
*
perdre le pied rêvé pour ne pas perdre pied
Abigail n'en a cure, elle étend les guiboles
sur le tableau de bord et pique un roupillon
*
bien campée dans un bain on ne peut plus moussant
la main mise au panier, Olympe prend son pied
chausse le gant de crin et te passe un savon
*
Ninon a embarqué depuis belle lurette
contrairement à toi, elle a le pied marin
et c'est sans un adieu qu'elle aura pris le large
*
*
*
bon pied, bon œil
*
le fantasme est, du manque, et le masque et l'écran
ce pied de femme qui te monte dans le pot
tu fais bien d'y tenir, il est déterminant
*
à l'ombre du pied de tes désirs, on devine
le zéro du gradient générant l'appétence
renonce, je t'en prie, à t'y identifier
*
Ninon, Olympe et Laure, Abigail et Rajàa
ne sont jamais bien loin des plaisirs qui te fondent
leur aura signe le fait que tu tiens debout
*
*
*
des pieds et des mains
*
le serpent se mord la queue, tu mords la poussière
à qui donc sont ces pieds, à qui donc sont ces mains
qui scellent à tes frais un pacte avec le diable
*
tu t'es répandu au lieu de te circonscrire
es entré dans des rapports d'intériorité
as noué des transferts, les as collectionnés
*
ces pieds et ces mains sont les marques du désir
l'alpha et l’oméga mis à disposition
quand c'est bien sur les tiens, de pieds, que tu retombes
*
*
*
pot aux roses
*
les jolis ongles faits te trottent dans la tête
les doigts de fée te massent l'intérieur du crâne
les orteils animés te pénètrent les yeux
*
Héloïse debout sur la pointe des pieds
tourne une énième fois les talons devant toi
bientôt tu ne vois plus que son derrière au loin
*
Rajàa vit désormais sur la côte normande
tu ne la croises plus que la nuit dans les rêves
Laure est loin elle aussi ; tu fais coucou quand même
*
*
*
Dieu est une façon de parler
*
et Romain dans tout ça ? il t'encule à l'envi
et tu le mets pareil, ainsi la nuit durant
non sans plaisir, vous vous prenez mutuellement
*
tu vas mieux depuis que tu remets l'incendie
qui t'a pris au berceau à la place du mort
tu vas mieux : tu respires ; tu as fait le deuil
*
reste à saluer Marie, Jérôme et Stéphanie
qui continueront de te tenir compagnie
durant les longs hivers et les étés torrides
*
*
*
coda
*
c'est à la cime même du particulier
qu’éclôt le général.
Tant qu'on a la lumière
0 notes