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Une femme à Hong Kong / Une autre que moi
Elle vit dans un appartement en haut d’une tour. L’intérieur est petit, soigné et confortable. L’espace est parfaitement optimisé. Un canapé bleu nuit occupe la pièce principale. Une bougie parfumée ainsi qu’un vase rempli de fleurs sont posés sur la table basse. Sous la fenêtre est rangée une collection de vinyles des années 90. Elle les chine sur les marchés du dimanche, cherchant également des œuvres de peinture d’artistes émergents. La semaine dernière elle en a acheté deux en une seule fois ; ils sont venus s’ajouter à la dizaine déjà exposée sur le mur.
Le weekend, elle aime visiter de nouveaux quartiers dans la grande ville qu’elle habite. A pied, elle passe dans les rues des coins animés, traverse les parcs, monte les escalators, les redescend. Elle va voir des expositions dans les musées qu’elle affectionne. Elle prend plus de temps que nécessaire pour regarder les tableaux accrochés sur les grands murs blancs. Elle achète des livres d’art et de photos qu’elle lit assise dans des cafés.
La semaine, elle aime se lever tôt pour avoir le temps de se préparer à son aise. Elle choisit soigneusement sa tenue et après la douche, se maquille pendant quelques minutes. Elle se rend au travail en métro, où elle réfléchit à sa prochaine augmentation salariale. Elle arrive au bureau toujours calme et disposée. Assise dans une grande pièce, elle travaille de manière efficace et rigoureuse. Elle s’exprime clairement, ses interventions sont pertinentes. Son humeur et son énergie sont constantes durant la journée. Il lui arrive de rester après vingt heures pour terminer un dossier. De toute façon, elle préfère prendre le métro après les heures de pointe. En sortant, elle couvre sa nuque et ses épaules d’une élégante écharpe en soie et rentre chez elle se commander à manger.
Lorsque l’hiver arrive et qu’il commence à faire froid, elle porte son gros manteau de fausse fourrure acheté la saison dernière. Elle souhaite en changer. Elle va souvent flâner du côté des grands magasins, achète de nouvelles crèmes pour le visage et cherche un rouge à lèvres d’une couleur qu’elle n’a jamais porté. Il y a quelques mois, elle s’est offert son premier sac de luxe, une petite pochette en cuir bleu qu’elle porte sous le bras. Il lui faisait envie depuis plusieurs mois. Elle a la place d’y glisser son porte-monnaie, sa poudre, son étui à lunettes et son téléphone portable, dont elle se sert essentiellement pour communiquer avec ses amis.
Bientôt, elle prendra l’avion sur un vol long courrier pour pouvoir passer du temps avec sa famille. Retrouver la ville de son enfance lui fera plaisir d’abord, et l’irritera ensuite. Lorsqu’elle traversera en voiture cette bourgade autrefois aimée, elle la trouvera grise et vide. En rentrant dans la maison de son enfance, elle se dira qu’elle est plus petite que dans ses souvenirs. Baignée dans l’atmosphère familière et moelleuse de ses jeunes années, elle laissera sa mère lui préparer un chocolat chaud et lui donner des nouvelles de tout le monde avec excitation. Au bout de quelques jours, elle finira par se sentir étouffée par cette ambiance bienveillante, trop étroite pour ses ambitions.
Lors de soirées passées entre amis, il lui arrive de rencontrer des hommes qu’elle revoit ensuite en tête-à-tête. La plupart du temps, le premier rendez-vous a lieu dans un bar d’un quartier branché. Souvent, le premier rendez-vous se passe bien et mène naturellement à un autre. Le deuxième rendez-vous se tient alors dans un restaurant de bonne renommée, de préférence bondé et bruyant, présent dans les blogs de critiques gastronomes. Les conversations tournent autour de leurs connaissances en matière de vin français, de l’actualité des entreprises en bourses et des nouvelles adresses en ville pour dîner thaï. Elle leur plaira de par son charme discret et son goût raffiné. Ces soirées l’amuseront sans jamais complètement l’intéresser. Elle donnera suite aux rendez-vous à quelques reprises avant de cesser les échanges, sentant arriver les weekends entiers passés à deux, les présentations dites informelles aux amis puis assez vite, les projets du premier tapis acheté conjointement.
Un jour cependant, elle en rencontrera un qui la charmera de par son élégance, sa culture et son bon goût. Après quelques mois de liaison il insistera un peu plus que les autres et, elle, se laissant faire un peu plus qu’avec les autres, finira par accepter sa demande en fiançailles. Leur mariage, tout comme leur relation, sera à l’image de sa vie : calme et beau, coûteux et sans remous ; un endroit où les excès de la passion et les fantaisies du désir sont autant de dérangements à l’imperturbable déroulé des choses.
Moi, j’ai choisi l’admiration de l’être aimé et l’excitation fiévreuse des sentiments invaincus. J’ai choisi l’ivresse de l’adoration envers un autre que soi, une pathétique ardeur de sentiments qui se transforme avec les années en attachement sans faille. J’ai choisi une vie lointaine, imaginée à deux, où le feu passionnel qui brûle en moi ne se tarit jamais. J’ai choisi l’amour.
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J'ai le corps d'une femme qui fait de son mieux. Et c'est déjà bien assez.
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Trouvailles
Je me cherche, sans jamais me trouver. Je n’ai pas d’objectif précis ni de rêve à poursuivre. Pour tromper ce manque de réalisation, je cumule les projets court terme sans importance, et je leur en donne beaucoup. Mes week-ends ressemblent de plus en plus à des checklist dont il faudrait barrer toutes les tâches. Pourtant, quand je fais le bilan le dimanche soir, rien d’intéressant n’en n’est ressorti. Rien de créatif, de beau, ni d’artistique.
Peut-être devrais-je accepter de me laisser vivre. De faire comme les autres : avoir la même vie qu’eux et ne pas me poser de questions. Travailler la journée, voir mes amis le soir, boire des verres, prendre le métro, ranger ma maison, dormir. Ne pas avoir de passion particulière, ou en avoir quelques-unes, mais rien de très original ni brûlant. Ne rien désirer trop fort.
Trouver en son travail la motivation qui permet de se lever tous les matins. Se voir confier des projets par son chef pour faire gagner plus d’argent à une entreprise qui n’est pas la sienne et ne le sera jamais. Dépenser beaucoup d’énergie dans ces projets, s’impliquer, s’y investir. Lorsqu’il y a des urgences, rester tard le soir et annuler ce que l’on avait prévu. Se fatiguer et se tordre le crâne. Voilà, le plus simple est peut-être que je me laisse aller comme les autres. Que je lâche tout, pour me conformer à la normalité inconsciente. Que je tolère que rien n'ait trop de saveur.
Mais la morosité m’envahit lorsque j’imagine me résoudre à cela. Je ne peux accepter que mon identité et mon style de vie soit tellement semblable à celui d’une autre que l’on puisse nous confondre, nous voir comme un tout homogène. J’ai besoin de m’exprimer, de faire sortir d’une manière ou d’une autre ce que je pense, de créer mes propres choses, que ça soit beau et que ça vienne de moi moi MOI.
Passer sa vie à exécuter les projets d’un autre sans se poser de questions sur ses propres envies, est un trompe-l’oeil, une petite escroquerie faite à l’esprit. Certes, cela permet de faire tenir en haleine son énergie et sa motivation sans interroger sa propre volonté. Et c’est sûrement plus facile que de chercher ou même de trouver ce que l’on désire profondément. Mais ce travail de recherche autour de son accomplissement personnel est nécessaire à sa propre survie. Ne pas le faire peut durer un temps, et encore. Pas celui d’une existence entière. En tout cas pas sans aboutir à une forme de frustration, qui peut finir par causer bien des dégâts.
Réaliser et mettre en oeuvre ses propres visions, est-ce que ce n’est pas ça l’objectif ultime d’une vie ?
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Comment aimer son corps ?
Comment aimer son corps, quand la société, cet ensemble flou et indéfini, cette pression de l’au-delà, ne nous apprend pas à l’aimer tel qu’il est ? Rien ne nous éduque à le contempler avec bienveillance, à apprécier ses particularités, à le caresser, à le masser. On nous apprend à en être fière seulement s’il est d’une forme très précise, c’est-à-dire très mince, et blanc de couleur. Pour la grande majorité de la population féminine naissant avec une autre silhouette, deux choix s’offrent à elles : travailler à ce qu’elle s’y conforme, ou rejeter son corps intégralement.
Précisons que même pour les nymphes divines naissant avec un corps envié de tous, l’amour propre ne va pas forcément de soi. On pourrait croire qu’il y a une corrélation directe entre validation de sa beauté et amour de son corps, mais je ne crois pas. Ce ne sont pas toujours les femmes considérées comme les plus attirantes qui sont les moins complexées. Evidemment, les choses sont bien plus nébuleuses que cela.
Parfois, lorsque je refais le chemin des souvenirs de l’enfance, je me dis que le désamour de mon corps était inévitable. Comment pouvait-il être autre, lorsqu’à 6 ans je me vois refuser de porter des jupes pour cause de ventre trop gros ? Lorsqu’à 10 ans, ma meilleure amie m’annonce que je suis grosse ? Lorsqu’à 12 ans, la même réflexion vient d’un garçon de ma classe ? Autant de violences intériorisées qui ont fait leur chemin dans les méandres de mon développement.
Quelques années plus tard, j’ai 14 ans, du temps et de l’énergie pour m’impliquer dans une activité qui me passionne, avec l’amour et l’insouciance qui caractérise mon âge. J’ai en vue un grand projet dans lequel je vais pouvoir librement m’impliquer, me dépenser, m’épanouir : Maigrir. Et parce qu’il ne faut pas trop traîner avant que les jeans slims ne soient passés de mode et avec, l’occasion de pouvoir me permettre d’en porter, il faut démarrer vite.
Du jour au lendemain, je divise mes portions de nourriture par deux. Je bois sept grands verres d’eau pendant la journée. J’arrête le pain. Je refuse de dîner si j’ai goûté.
Trois mois plus tard et sept kilos en moins sur la balance, mes règles se sont arrêtées et je perd ses cheveux en masse. Mais guess what ? Je suis heureuse. Pour la première fois depuis que j’ai conscience d’avoir un corps, je l’aime. Et non seulement j’aime mon physique, mais je m’aime moi, aussi. Pourtant, aucun autre changement majeur que celui de la perte de poids n’a eu lieu, aucun travail intérieur n’a été fait, aucun effort intellectuel n’a été fourni. Non, mais je suis désormais mince. Et cela est idéal pour obtenir une validation sociale qui m’encourage à m’ouvrir à d’autres activités en-dehors de la beauté.
Quand je me couche le soir et que je refais le compte scrupuleux des aliments avalés pendant la journée, mon ventre gargouille, j’y suis désormais habituée. A quel point est-ce que ce corps dénué de graisse est-il véritablement mon corps ? N’est-ce pas là le fruit d’une arnaque ? Cela semble plutôt être un déguisement, un secret bien gardé, entre moi et moi-même. Pourtant, tout le monde est dupe. La gratification est immédiate.
Dix ans et quelques kilos repris plus tard, la réflexion est différente. Avec les années arrive un semblant de maturité ainsi que la conscience de la représentation usurpée du corps féminin dans le monde, de son statut d’objet, de chair fraîche à la disposition du regard d’autrui. Elle est à la disposition du regard masculin, surtout. A coup répétés de « t’es jolie », « t’es charmante » entendus en pleine rue, il est parfois difficile de penser que l’on puisse être autre chose qu’un objet laissé à la libre convoitise des hommes. On passe du temps et l’on dépense de l’énergie à gérer sa frustration, que l’on laisse souvent enfouie, face aux preuves du sexisme ordinaire (et moins ordinaire) auxquels nous sommes confrontées chaque jour.
A 25 ans, j’ai d’abord envie de prendre soin de moi, de mieux me connaître, de comprendre ce qui me fait du bien. Yoga, nourriture végétalienne, massages, méthodes de soins et médecines traditionnelles sont différentes pistes d’exploration pour se découvrir.
Mais l’âge de maturité n’est pas encore tout à fait atteint. Je reste très attachée aux idéaux que la société, malgré ma difficulté à la définir, m’a inculquée. Les séances de désaccord avec le miroir se poursuivent, les sessions de sport également. Il est important de « sculpter » ce corps qui naturellement, est de forme molle et lasse. C’est apparemment le signe extérieur du manque de dynamisme qui me caractérise. Apparaissent quelques victoires qui n’en sont en fait pas, car les moments de réjouissance sont ceux où l’on se trouve fine et mince.
Aujourd’hui, la relation avec mon corps n’est pas pleine d’acceptation, ni de bienveillance. Elle s’apparente davantage à de la résignation. Comme un « ok » un peu las, nourrissant l’espoir qu’un jour, le véritable amour pointera le bout de son nez. Un amour pur, inconditionnel, plein de gratitude.
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Ainsi va la vie
Je ne crois pas être le genre de personne qui va au bout des choses afin de réaliser ses idées en entier. Je crois plutôt être le genre de personnes qui termine les projets à 80%. Je fournis beaucoup d’efforts au démarrage, je donne une bonne impulsion histoire de m’assurer qu’on démarre et que l’on avance. Et lorsque je vois la lumière au fond du tunnel, j’arrête. Je me repose. Car j’ai désormais l’assurance qu’arriver au bout est facile, et plus très long. Non pas que je me complaise dans la difficulté, mais la facilité m’effraie bien moins et me fait redevenir optimiste. Je m’arrête donc en bon chemin.
Parfois je me demande si en écrivant aussi régulièrement, je me retrouverai un jour vidée de toute matière à disserter. Peut-on avoir fait le tour du sujet ? Si oui, au bout de combien de temps ? J’aimerais qu’il existe un test en ligne sur lequel il suffirait d’indiquer son âge, le nombre d’années passées à l’école, le nombre d’enfants, le nombre de pays visités, d’autres indicateurs de soi-disant mesure de la maturité humaine, et qu’apparaisse sur l’écran le temps restant avant d’avoir fait le tour du sujet. Non, en fait je ne préfère pas que cela existe car je souhaite que ma vie m’apporte suffisamment d’expériences afin de toujours avoir de quoi écrire. Et des choses intéressantes, cela va sans dire.
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Quand on a passé un dîner à écouter les autres parler
Je me sens différente. Normale, et pas comme les autres. Tout ce que je dis est d’une logique simple, en revanche les raisonnements des autres sont des interrogations perpétuelles. J’ai l’impression qu’autour de cette table, chacun a son rôle à jouer : le blagueur qui ne prend rien au sérieux, la désinvolte qui amuse de par ses railleries, l’expansif qui assure un flot de paroles continu. Et moi, si l’on devait leur demander de décrire mon comportement, ma conduite, quels adjectifs utiliseraient-ils ? Quels adjectifs emploieraient-ils pour décrire autre chose qu’une nature réservée, une attitude en retrait ? Je me sens bien avec moi-même, et mal avec les autres. Est-ce là un problème de recrutement des personnes se trouvant autour de cette table ? Ou un problème d’adaptabilité de ma part ? S’entendre avec tout le monde, c’est s’entendre avec n’importe qui. Moi je n’ai pas le choix, je suis dans l’incapacité de faire semblant. Lors de chaque rencontre, mon tempérament agit comme un filtre immédiat : ou je connecte, ou je ne connecte pas. Et dans le second cas, le cheminement d’une discussion naturelle m’échappe, les mots s’enfuient, j’affiche un sourire plein de compassion et hoche doucement la tête. Car oui, je suis gentille et incapable de montrer à l’autre qu’il m’ennuie, que je ne comprends pas ses centres d’intérêts, que parler des choses pratico-pratiques de la vie me fait chier. Je suis incapable d’une quelconque méchanceté, ou même, d’actionner un simple signe qui montrerait mon désintérêt, mon ennui à son égard. Pourquoi une telle soumission, une telle docilité de ma part ?Quelque part, je suis incapable de faire preuve de sincérité. Mais si je révélais au grand jour mes véritables pensées, si je mettais fin aux échanges insipides, je crois avoir peur de me retrouver démunie de toute relation humaine. Comme si côtoyer des personnes qui ne m’intéressent pas était une gymnastique, un exercice bon pour l’esprit, comme l’est la course à pied pour le coeur, entraînant le cerveau et l'entrainant à être conciliant. Certains me diront hypocrites, peut-être aurais-je un jour le courage d’arrêter les relations non intéressantes. En attendant, je n’y arrive pas et leur laisse une chance.
Les personnes lisant ce texte doivent imaginer en son auteure quelqu’un de franchement introverti, non sociable, que les rapports sociaux n’intéresse pas. C’est faux, j’arrive d’ailleurs à m’entendre avec des personnes dont on pourrait penser en surface, de façon artificielle, que la compatibilité est improbable.
Aussi, j’arrive à m’entendre avec les garçons qui me posent des questions. Les garçons. Ou plutôt devrais-je dire, les hommes ? Car, nous les femmes, exigeons que l’on nous appelle femmes. Alors l’égalité est de mise. Les hommes, en soirée, me posent des questions. Je trouve alors facile de m’entendre avec eux. Sont-ils agréables parce qu’ils ont envers moi un intérêt autre que celui de l’amitié ? Je ne suis pas sûre.
Sinon, le problème n’est-il pas que j’ai besoin que l’on s’intéresse à moi ?
Est-ce un problème ?
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