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l’assommoir, émile zola
Préface
“J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort.”
“Mon crime est d’avoir eu la curiosité de ramasser et de couler dans un moule très travaillé la langue du peuple. Ah ! la forme, là est le grand crime.”
“Je ne me défends pas, d’ailleurs. Mon oeuvre me défendra. C’est une oeuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple.”
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le protocole compassionnel, hervé guibert (1991)
“j’étais désormais incapable de faire aucun de ces gestes sinon au pris de gesticulations et d’efforts grimaçants, un corps de vieillard avait pris possession de mon corps d’homme de trente-cinq ans.”
“les rapports avec les amis sont presque tous devenus des corvées, je n’écrivais plus jusqu’à ce jour”
“Je suis profondément reconnaissant à ces deux garçons que je n’aimais pas et qui, je le pensais, me détestaient, d’avoir réagi si spontanément et si délicatement, sans une parole inutile.”
“Pas de livre sans structure inattendue dessinée par les aléas de l’écriture.”
“maintenant je balance tout par écrit”
“J’ai toujours vécu seul, je n’ai jamais réussi à dormir avec quiconque sans gêner nos sommeils.”
“J’ai l’impression qu’ils sont en plus mauvais été que moi, mais peut-être que personne ne se voit lui-même tel qu’il est, peut-être qu’il subsiste un tel narcissisme fût-ce dans la personne la plus abîmée qu’elle n’est jamais capable que d’estimer les ravages de l’autre.”
“Je vous aime certainement, mais vous m’énervez. Je veux crever tranquille, sans votre hystérie, et sans la mienne, celle que vous déclenchez en moi. Vous apprendrez ma mort dans un journal.”
“le médecin et son malade doivent inventer la relation bienfaisante”
“C’est quand ce que j’écris prend la forme d’un journal que j’ai la plus grande impression de fiction.”
“je filme cette nudité décharnée, touchante et effrayante à la fois, pour quoi faire ?”
“Il ne faut pas oublier la caméra, d’ailleurs ce n’est guère possible, mais il faut jouer à l’oublier.”
“Le hasard joue toujours pour nous et contre nous.”
“Elle ne me l’a jamais dit [je t’aime de Suzanne], mais l’intercession de la caméra qui tourne lui permet de le dire, c’est incroyable.”
“Elle dit que je vais m’en sortir, qu’il le faut, qu’il ne faut jamais perdre l’espoir, ni la curiosité de la vie, que la mort est bien sûr tentante et obnubilante mais que la vie doit reprendre le dessus.”
“Vincent m’a dit : Forcément, ton livre a du succès, les gens aiment le malheur des autres.”
“J’ai dit à Jules : Trois ans ce n’est pas beaucoup, il a répliqué : Ça ne se mesure pas en temps. Ça fait plus de quatorze ans que j’ai rencontré Jules.
“Le fameux principe de délicatesse de Sade. J’ai l’impression d’avoir fait une oeuvre barbare et délicate.”
“Je vois écrit “J’étais une montagne”, ça me suffit”
“Je n’ai pas emporté la vidéo, je n’ai pas emporté la Digitaline. Pourquoi je n’ai pas emporté la Digitaline ? Je l’ai oubliée, comme par hasard, en partant en catastrophe comme toujours.”
“En fait j’ai écrit une lettre qui a été directement téléfaxée dans le coeur de cent mille personnes, c’est extraordinaire. Je suis en train de leur écrire une nouvelle lettre. Je vous écris.”
“Maintenant je souris sur les photos, Gustave dit que ça n’est pas un sourire mais une grimace.”
“J’aime les petits cercueils près du corps, fragiles comme des embarcations incertaines, qui voguent sur des mers vides.”
“C’est quand j’écris que je suis le plus vivant. Les mots sont beaux, les mots sont justes, les mots sont victorieux”
“En m’endormant je repense à ce que j’ai écrit pendant la journée, certaines phrases reviennent et m’apparaissent incomplètes, une description pourrait être encore plus vraie, plus précise, plus économe, il y manque tel mot, j’hésite à me relever pour l’ajouter”
“Lune mince, puis nuit étoilée un peu fraîche et humide, mais les gens étaient trop fascinés pour se soucier du vent, qui a gentiment décru.”
“Il me semble que je n’ai jamais eu un contact aussi bon, et aussi vrai avec les gens. Je les fuyais comme un sauvage, ils m’ennuyaient ou m’exaspéraient, je ne voulais rien leur donner, rentré en moi, le méchant garçon. J’ai toujours su que je serai un grand écrivain.”
“pour modérer mon enthousiasme, Jules a toujours été un contradicteur, mon subtil dialectitien.”
“Moi je savais qu’on ne me prendrait jamais comme un grand écrivain si je ne me prenais moi-même pour un grand écrivain.”
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l’amour du loup et autres remords, hélène cixous (2003)
“Il n’y a pas d’amour plus grand que l’amour du loup à l’agneau-qu’il-ne-mange-pas.”
“C’est le grand mystère : pourquoi me fait tant peur et tant plaisir l’idée que tu vas me manger ?”
“Même le loup est surpris.”
“la peur de celui des deux qui se sent aimé, désiré, qui veut être aimé, désiré, qui désire être désiré, qui sait qu’il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que l’appétit de l’autre, qui meurt d’envie d’être mangé et qui meurt de peur à l’idée d’être mangé, qui dit ou ne dit pas, mais signifie : je t’en supplie, mange-moi.”
“On aime, on tombe dans la gueule du feu.”
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l’été, albert camus (1950)
“Paris est souvent un désert pour le cœur”
“Vienne paraît plus silencieuse, c’est une jeune fille parmi les villes. Les pierres n’y ont pas plus de trois siècles et leur jeunesse ignore la mélancolie.”
“Certes, c’est bien cette solitude peuplée qu’on vient chercher dans les villes d’Europe. Du moins, les hommes qui savent ce qu’ils ont à faire. Ils peuvent y choisir leur compagnie, la prendre et la laisser.”
“A nous deux ! s’écrie Rastignac, devant l’énorme moisissure de la ville parisienne. Deux, oui, mais c’est encore trop !”
à propos du désert : “Pour toutes les douleurs du monde, c’est un lieu consacré. Ce que le cœur demande à certains moments, au contraire, ce sont justement des lieux sans poésie.”
“J’ai souvent entendu des Oranais se plaindre de leur ville : Il n’y a pas de milieu intéressant.”
“Mais cette application dans le mauvais goût prend ici une allure baroque qui fait tout pardonner.”
“On ne se décide que forcé.”
“des dizaines de Clarque et de Marlène se rencontrent, se toisent et s’évaluent, heureux de vivre et de paraître, livrés pour une heure au vertige des existences parfaites.”
“Ils méconnaissent ces congrès quotidiens de la jeunesse et du romanesque.”
“Mais le grand prix de ces îles surpeuplées, c’est que le cœur s’y dénude. Le silence n’est plus possible que dans les villes bruyantes.”
“Mais on tourne en rond dans des rues fauves et oppressantes, et, à la fin, le Minotaure dévore les Oranais : c’est l’ennui. Depuis longtemps, les Oranais n’errent plus. Ils ont accepté d’être mangés.”
“Mais comment s’attendrir sur une ville où rien ne sollicite l’esprit, où la laideur même est anonyme, où le passé est réduit à rien ? Le vide, l’ennui, un ciel indifférent, quelles sont les séductions de ces lieux ?”
sur la boxe : “Ce sont les prologues cérémonieux d’une religion sauvage et calculée.”
sur Oran et Alger : “Leur rivalité est d’autant plus forte qu’elle ne tient sans doute à rien. Ayant toutes les raisons de s’aimer, elles se détestent en proportion.”
“Ce sont là des injures plus sanglantes qu’il n’y paraît, parce qu’elles sont métaphysiques.”
“Dans cette atmosphère, le match nul est mal accueilli. Il contrarie dans le public, en effet, une sensibilité toute manichéenne. Il y a le bien et le mal, le vainqueur et et le vaincu. Il faut avoir raison si l’on n’a pas tort.”
“C’est que la violence et la force sont des dieux solitaires. Ils ne donnent rien au souvenir. Ils distribuent, au contraire, leurs miracles à pleines poignées dans le présent.”
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hors de moi, claire marin (2019)
“Un récit impudique.”
“L’intimité est interdite au malade. Cette expérience ne laisse pas indemne. La raconter n’est pas vraiment se faire violence, le mal est déjà fait.”
à propos de la vie : “Ainsi vécue sur le mode de l’évidence, elle n’a pas à être questionnée.”
“Le discours de la maladie est presque toujours négatif, discours de la restriction et du renoncement. Il rappelle ce que l’on ne doit pas faire. Code de la vie, revu et appauvri.”
“précipiter les rapports aux autres. Ne pas s’attarder.”
“Tout devient plus violent. Le coeur bat trop fort. Elle nous plonge dans le vif de la vie, dans sa démesure.”
“Prétendre que le réel se décompose en trois parties, que le monde obéit sagement au dépassement dialectique, que l’épreuve est nécessaire.”
“Le beau déguisement rhétorique s’évanouit.”
“Il n’y a pas de place pour la demi-mesure.”
“Tout est plus fort. Jusqu’à s’abasourdir. C’est le sens étymologique de l’absurdité.”
“Se sentir la cible, se savoir le centre. [...] Mieux encore, céder et s’évanouir.”
“Mais j’ai compris que les explications du malade ne valent rien.”
“Cette puissance s’exerce contre moi, mais en moi. Je n’en suis pas le spectateur, j’en suis le lieu, j’en suis la scène.”
“Ce n’est qu’une petite coupure au bout du doigt. [...] L’infime marque de la maladie.”
“Mes accès de colère vive sont sans doute incompréhensibles.”
“J’éprouve ma vulnérabilité infinie. Tout est dangereux. L’extérieur me menace sans cesse. Sa force est décuplée par ma faiblesse. La paranoïa me guette.”
“Mais certains savent entendre autre chose que ce discours policé.”
“Comme on s’éloigne d’un ami, comme on voit s’effacer un grand amour, comme on se lasse d’un lieu familier, sans le désirer ni le vouloir, presque un peu désolé.”
“le prénom d’un ancien amant ne nous fait plus frémir”
“Sans que l’on sache pourquoi, l’infime modification que l’on avait tant attendue, celle que la volonté échouait à créer, cette modification s’est produite en nous, sans bruit, discrètement, alors qu’on ne l’attendait plus.”
“Et avec l’Immense réapparaît l’espoir. Peu importe qu’il soit illusoire. On se surprend à se projeter dans l’avenir, à imaginer d’autres possibles. Toutes ces bifurcations que la maladie avait censurées.”
“Mais comme en amour, ce n’est pas elle qui nous trompe, nous nous leurrons seuls. On croit ce qu’on veut croire, naïvement, comme des enfants.”
“Pour peu que notre maladie ne s’affiche pas sur notre visage, on peut, l’instant d’un café, l’oublier un peu.”
“Il s’est fait prendre au piège le plus élémentaire. Celui de la nudité.”
“Comprendre permet-il de guérir ?”
“Pourquoi expliquer si on est incapable de répondre à la seule question qui compte : pourquoi nous, pourquoi maintenant, pourquoi tout court.”
“Je suis dans la gueule du loup [...] Le loup dort dans mon lit.”
“Mais comme dans les langues mal maîtrisées, il y a toujours un moment où le discours dérape, sort de sa voie. Je ne parle pas de la maladie comme les médecins. Je parle de la maladie réelle, vivante, vulgaire. Je vois bien que ce n’est pas la même chose. [...] La maladie vulgaire n’en fait qu’à sa tête, se permet des réactions non répertoriées, transgresse les lois auxquelles elle devrait obéir.”
“Parfois on est épuisé. D’une lassitude plus vieille que nous.”
“Les infirmières de nuit vivent normalement leur journée, elles parlent fort, se racontent leurs histoires d’un bout à l’autre du couloir. Elles rient même parfois. Est-ce qu’on peut leur en vouloir d’être vivantes ?”
“Patient. C’est mon statut et l’ordre auquel je dois obéir. C’est un nom, un adjectif, et un verbe à l’impératif.”
“Personne ne saura jamais le secret d’où je parle.”
“Sans doute est-ce l’effet déformant d’une obsession, d’une relecture constante du monde qui nous entoure, selon la dichotomie du sain et du malade.”
“Le danger n’est pas à l’extérieur. Il est en moi. Il n’y a pas d’endroit où je sois en sécurité. Je porte en moi le détonateur.”
“C’est la cigarette pour elle il y a dix ans, c’est le soleil pour moi aujourd’hui. Ce désir idiot que j’ai de me laisser brûler un peu, comme je le faisais autrefois, désir plus fort maintenant qu’il est interdit.”
“Je peux comprendre qu��ils restent incrédules. Qu’ils ne croient pas tout. Je ressens ce même sentiment face à d’anciens souvenirs. Je doute même que j’aie pu vivre de tels moments.”
“Ne suis-je pas encore cette enfant qui se sert d’une chute pour pleurer une autre douleur, capter un peu d’attention, la marque d’une affection, d’un regard sur soi ? N’ai-je pas confondu cette maladie avec tout ce qui n’a pas de réponse ? Ces déceptions qui nous laissent sans voix, privés de nos espoirs.”
“Quel pacte faustien, quel compromis inavouable cache ma résignation si facile au fait d’être malade ? Je n’ai pas lutté contre cette idée. Pas un instant. Cela me paraissait inéluctable. J’ai l’impression d’avoir passé mon enfance à my préparer. J’ai l’impression de l’avoir toujours su.”
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la vie ordinaire, adèle van reeth (2020)
“Caprices”. J’espère du moins que c’est quelque chose de mieux que le caprice, mais nous ne pouvons pas passer la journée en explications. RALPH WALDO EMERSON
“Le drame, c’est l’eau tiède. La vie qui continue après la fin du film et dans laquelle il ne se passe rien. Les secondes qui se suivent et se ressemblent, d’année en année.”
“Si la vie domestique porte bien son nom, sa fonction est d’apprivoiser le fauve en sa demeure.”
“Pourquoi la vie possible est-elle plus séduisante que la vie réelle ? Le possible est commode : il se tient à égale distance du réel et de l’ailleurs. Il ouvre la porte et n’en franchit jamais le seuil.”
“La vie ordinaire est une vie de détails, une vie vue de très près, de beaucoup trop près, ça colle, on s’englue, et on finit par ne plus bouger.”
“Pour les endeuillés du possible, la vie ordinaire est l’ultime défaite, ce que le réel a de plus réel - et donc de plus repoussant.”
“Le langage qui tourne en boucle, les mots prévisibles qui déclenchent aussitôt une lassitude monumentale.”
“Je n’aime que ce qui existe, je ne trouve pas que chez le autres ce soit mieux.”
“Au cours des années précédentes, j’avais ingurgité trop de phrases que je ne comprenais pas pour retrouver l’appétit de lire.”
“Le perfectionnisme moral, expliqua-t-il [Arnold Davidson], n’était pas une quête de la perfection, mais de la transformation, avec, pour point de départ, une insatisfaction par rapport à soi.”
“Ces mots que j’entendais m’auraient-ils tant touchée si je les avais lus, ou si je les avais entendus dans la bouche d’un autre ?”
“Comment apprendre sans imiter ?”
sur le perfectionnisme moral : “briser l’opposition entre le bien et le mal et de montrer que l’essentiel de nos actions se situent entre les deux. La qualité de nos actions ne devrait pas être jugée en fonction de ce prisme binaire, mais en évaluant leur apport direct à notre propre transformation, que la philosophie a pour but de favoriser.”
“L’ordinaire n’est pas le banal, unanimement déprécié. Le ban est fade, lisse et transparent, il glisse sur moi et ne retient pas mon attention. Il me laisse tranquille. [...] L’ordinaire n’est pas non plus le quotidien, facile à décrire [...] - d’ailleurs je dis mon quotidien. Mais mon ordinaire, lui, semblait indescriptible. [...] Je voulais comprendre. Le harpon était lancé, je n’étais pas e paix (je compris soudain que je ne l’avais jamais été) et ce mot d’ordinaire me mit sur la piste de l’intranquillité.”
“ils ont beaucoup de choses à dire mais la parole leur manque”
“ces jeunes pousses incapables de fleurir par elles-mêmes”
“L’idée n’est pas de produire des rats de bibliothèque, mais des auteurs.”
“La pensée ne naît jamais hors-sol.”
“En matière de création, l’humilité ne crée pas de chefs-d’oeuvre.”
“Ma curiosité ne va pas plus loin. Je n’ai aucune envie de me documenter ni de comprendre davantage. [...] Peut-être la demande de savoir naît-elle d’un intervalle entre soi et le monde ? J’ai souvent eu, parfois de manière violente, la sensation d’être déconnectée, d’assister en spectatrice à ce qui se passe sans connaître le rôle que je pouvais y jouer.’
“je ne demande rien, mais ils me disent tout.”
“on s’était longuement regardés, un peu gênés par cette nouvelle formalité”
“nos retrouvailles régulières ne s’enlisaient pas dans le quotidien”
“Je n’avais pas trente ans et j’ai tout inventé dans ma relation à eux [...] J’ai tout inventé et j’ai aimé écrire ce rôle qui n’avait aucune partition.”
“constatant mon absence totale de désir pour d’autres bras que les siens, mon désintérêt pour d’autres vies que la sienne, mon dégoût à l’idée de me réveiller à côté d’un autre corps que le sien.”
“Peu importait sa réponse, j’avais nommé et reconnu mon désir {...] Loin de me sentir aliénée, je me sentais enfin libre, et beaucoup moins seule.”
“Une sainte n’a pas de désir, ou bien elle se sanctifie en sacrifiant son désir. Je ne sais qu’une chose : la vie que je mène aujourd’hui, je l’ai choisie. et même quand elle me rend dingue, je sais que c’est la seule qui m’aille.”
“A quel moment ma vie a rejoint mon sujet d’étude ? A moins que ce ne soit l’inverse ?”
“Que la jouissance soit une question de caractère et non une décision emportait mon assentiment.”
“l’éloge de la joie m’avait profondément ennuyée”
“Surtout, les partisans de la joie s’accordent dans leur mépris du bonheur. Parce qu’il est éphémère, le bonheur est risible. Faut-il être ignare pour courir après quelque chose qui ne dure pas !”
“La joie est sans caprice. C’est ce qui la rend désespérante.”
“la vie ordinaire était très précisément celle qui n’apparaissait pas au cinéma”
“La vie ordinaire compris comme tous ces moments qui ne sont pas retenus au montage”
“JE TOURNAIS LES PAGES FRÉNÉTIQUEMENT, JE SOULIGNAIS LES PHRASES QUI ME PARLAIENT SANS QUE JE LES COMPRENNE.”
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à l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, hervé guibert (1990)
“cette frange d’incertitude, qui est commune à tous les malades du monde.”
“Il me fallait vivre, désormais, avec ce sang dénudé et exposé, comme le corps dévêtu qui doit traverser le cauchemar.”
“Est-ce que ça se voit dans les yeux ?”
“j’avais voulu ne pas le dire [...] mais j’ai senti dès le premier déjeuner de silence et de mensonge que ça l’éloignait horriblement de moi et que si l’on ne prenait pas tout de suite le pli de la vérité ça deviendrait ensuite irrémédiablement trop tard.”
“Je m’ennuie de plus en plus avec elle. J’ai l’impression de n’avoir plus de rapports intéressants qu’avec les gens qui savent, tout est devenu nul et s’est effondré, sans valeur et sans saveur, tout autour de cette nouvelle.”
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Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre !
Un amour de Swann, Marcel Proust (1913)
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compter sur soi, ralph waldo emerson (1847)
épigraphes :
“Ne te quaesiveris extra.” (Ne te chercher pas hors de toi), Perse, Satires
“Rien ne nous advient trop tôt ou trop tard / Nos actes sont nos anges / Bons ou mauvais, / Nos ombres fatales, qui nous suivent sans bruit.” Beaumont et Fletcher
“Croire à sa propre pensée, croire que ce qui est vrai pour soi dans le fond de son cœur est vrai pour tous les hommes - voilà le génie.”
“Cependant nous écartons nos pensées sans y prêter attention, parce que ce sont les nôtres. Dans toute oeuvre de génie, nous reconnaissons les pensées que nous avons rejetées : elles nous reviennent avec une certaine grandeur dont on se sent dépossédé. C’est la leçon la plus marquante des œuvres d’art. Elles nous apprennent à rester fidèles à notre impression première avec une inflexibilité enjouée, surtout quand toutes les voix s’accordent contre nous.”
“Qui veut être un homme doit être non-conformiste. S’il veut recueillir des lauriers immortels, il ne peut s’arrêter à ce qu’on nomme le bien, mais examiner s’il s’agit vraiment du bien. Rien, en définitive, n’est sacré que l’intégrité de son propre esprit. Donnez-vous l’absolution et vous aurez le suffrage du monde.”
“Nulle loi n’est à mes yeux sacrée que celle de ma nature. Bon et mauvais ne sont que des mots que l’on peut facilement transposer à ceci ou cela ; le seul bien est ce qui est conforme à ma constitution, le seul mal est ce qui est contre.”
“Si la noirceur et la vanité se drapent dans le manteau de la philanthropie, doit-on l’accepter ?”
“sois aimable et modeste, aie cette décence [...] Tu aimes à distance et chez toi tu nuis ?”
“la vérité est plus belle que l’amour feint. Votre bonté doit avoir du tranchant - ou elle n’est rien.”
“On dirait qu’ils cherchent à excuser leur présence dans le monde [...] Leurs vertus sont des pénitences. Je ne veux pas expier mais vivre. Ma vie est à elle-même sa propre fin, elle n’a pas à se montrer en spectacle. Je la préfère de loin sur le mode mineur, si elle est égale et authentique, plutôt qu’étincelante et instable.”
“Toute mon affaire, c’est ce que je dois faire, non ce que pensent les autres. Cette règle aussi ardue dans la vie courante que dans la vie intellectuelle, permet de bien distinguer grandeur et petitesse. D’autant plus difficile qu’on trouve toujours quelqu’un qui pense savoir mieux que vous quel est votre devoir.”
“le grand homme est celui qui, au coeur de la foule, garde avec une parfaite douceur l’indépendance de la solitude.”
“Mais faites ce qui vous est propre et je saurai qui vous êtes. Faites ce qui vous est propre et vous serez plus fort.”
“Eh bien, la plupart des hommes se sont bandé les yeux avec tel ou tel mouchoir, et se sont attachés à l’une de ces communautés d’opinion. Ce conformisme ne les rend pas faux sur quelques points, mais faux sur toute la ligne. Leur moindre vérité manque de vérité.”
“expérience mortifiante” : “ce sourire forcé que nous affichons quand nous ne sommes pas à l’aise en société et que la conversation ne nous intéresse pas.”
“nous n’aimons pas tromper leurs attentes”
“Pourquoi traîner ce cadavre qu’est notre mémoire, de crainte de contredire ce que vous avez affirmé publiquement en telle ou telle occasion ? Supposez que vous deviez vous contredire , et alors ?”
“toujours vivre dans un jour neuf”
“Dites ce que vous pensez, maintenant ou paroles fermes, et demain dites ce que demain pensera en paroles tout aussi fermes”
“Être grand, c’est être incompris.”
“Un caractère est comme un acrostiche ou une strophe alexandrine ; - lisez-le en avant, en arrière ou en diagonale, vous trouverez toujours la même chose.”
“Nous passons pour ce que nous sommes. Le caractère passe avant la volonté.”
“Votre conformisme n’explique rien. Agissez au singulier, et vos actes singuliers passés vous justifieront dans le présent.”
“Quoiqu’il advienne, agissez au mieux maintenant.”
“La force de caractère est cumulative. Tous les jours de vertu accomplis communiquent leur santé au jour présent.”
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la parole qui me porte, paul valet (ed. 2020)
LACUNE
“Être pauvre en leçons / Enseigner des lacunes”
“La naissance et la mort / Deux portes siamoises”
“Un cercle vicieux / Est un cercle parfait”
“Le libre choix / Méconnaît son arbitre”
D’échec en échec / La route est sûre”
“Prenez soin / De vos vieux oublis”
“Les paroles qui tranchent / Sont à double tranchant”
“Seul / Sans visage / Le poète traversera son poème / Et la glace renverra son image / Comme une gifle”
“Mirages Virages Images / Resterai-je toujours votre valet ?”
“Se rendre spectateur / A son propre spectacle”
“Remonter le torrent des réponses / Jusqu’à la source des questions”
“Avant ma naissance / J’étais encore mort”
“Les paroles essentielles / Sont distraites”
“Un poème tire beaucoup d’eau / un mot en trop saborde le navire”
“La mémoire est volage”
“Je suis à peine ébauché / Et déjà ma glaise craque”
“Quand je me penche sur la petitesse de autres / Ma propre petitesse me donne le vertige”
“Rejeter son moi ? / Les autres s’en empareront”
“Se contredire / Souverainement”
“Sérénité : / L’homme insurgé demeure en paix / Au coin du feu de ses entrailles”
“Espoir : / Sur les ruines de demain / Reconstruire aujourd’hui”
“Sur mon étrange auto-route / Les états seconds doublent tous les autres”
“Le mot de passe d’un poème / Est un mot en souffrance”
“A mesure que j’avance / Je m’éloigne de moi”
“Où finit ma personne / Et où commence l’autre ?”
“Chaque homme est traversé par des voies sans issue”
“Savoir / Se contenter du Cosmos”
“Les Mystères éventés / Sont vomis par les dieux”
LA MARCHE DU POETE
“Quand on est pour soi-même / une cible vivante / Il est dur de viser juste”
“Bancal est le regard / En rupture de parole”
“Me refaire un profil / De proie”
“Me protéger du froid innommable / Par des mots usés jusqu’à la corde”
“J’ai deux pieds / L’un patauge dans la boue / Et l’autre / Dans l’abîme”
“L’angoisse / Est mon arme préférée”
AMOS
“Dans mon défilé de paroles / Il est une faille infaillible”
“Où sont les paroles qui adhèrent au sol ? / Où sont les faucons qui adhèrent au ciel ?”
“La scie nostalgie a les dents longues”
“Le sanglot des langues mortes / Refleurit dans ma bouche”
“Vos prophètes sont en sable / Voici les ténèbres condamnées à blêmir / Voici les barbares / Aux sourires impeccables”
“Si le temps tourne plus vite avec l’âge / C’est pour mieux s’échapper de son arbre”
“Dans mon for intérieur / Croît un arbre de folie”
“Rongez l’espoir / Jusqu’au bout de vos ongles”
“Ruminez le présent / A la lueur du passé / Le futur est en flammes”
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Consens à la brisure / C’est là que germera / Ton trop-plein de crève-cœur / Que passera un jour / A ton insu la brise
François Cheng
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la chambre de giovanni, james baldwin (1956)
“Je serai peut-être ivre d’ici l’aube mais cela ne me serai d’aucun secours. Je prendrai le train pour Paris malgré tout.”
“Elle était ainsi quand je l’ai rencontrée dans un bar de Saint-Germain-des-Prés. Elle buvait et elle observait, et c’est ce qui m’a plu en elle ; j’ai pensé qu’elle serait quelqu’un avec qui il ferait bon s’amuser. C’est ainsi que cela a commencé, c’est tout ce que ça signifiait pour moi ; je ne suis plus sûr maintenant, malgré tout ce qui s’est passé, que cela ait jamais signifié davantage pour moi. Et je ne crois pas que cela ait signifié davantage pour elle.”
“Je lui ai dit que je l’avais aimée et je m’en suis convaincu. Mais je me demande si c’était vrai.”
“Ces nuits étaient vécues sous un ciel étranger, sans observateurs, sans pénalisations possibles - et c’est cela même qui causa notre perte car rien n’est plus insupportable, une fois qu’on l’a, que la liberté.”
“La grande difficulté est de dire oui à la vie.”
“Je regrette maintenant - mais à quoi bon - un mensonge en particulier parmi tous les mensonges que j’ai dits, vécus et crus.”
“Il y a quelque chose d’ironique dans l’image que je me fais maintenant de moi-même : avoir couru si loin, avec une telle rage, jusqu’au-delà de l’océan, pour me retrouver une fois de plus face à face avec une bouledogue dans ma propre cour, et constater que, entre-temps, la cour a rétréci et le bouledogue a grandi.”
“Je savais que Joey n’était pas dupe mais il ne sut comment protester ou insister ; il ne comprit pas que c’était tout ce qu’il aurait eu à faire. Puis, moi qui tout l’été l’avait vu presque chaque jour, je cessai de lui rendre visite. Il ne vint pas me voir. J’aurais été très heureux de le voir s’il était venu, mais la manière dont je l’avais quitté avait créé entre nous une gêne que nous ne savions ni l’un ni l’autre dépasser.”
“C’est peut-être cet été-là que je commençais la fuite qui m’a amené devant cette fenêtre qui s’obscurcit peu à peu. Et pourtant, lorsqu’on veut retrouver le moment précis, le moment crucial, le moment qui a changé tous les autres, on est poussé dans un labyrinthe de fausses alertes et de portes précipitamment closes. Ma fuite a peut-être bien commencé cet été-là - cela ne me dit pas où trouver la racine du dilemme qui se termina, cet été, par la fuite. Elle est bien sûr quelque part devant moi, enfermée dans mon image que j’observe dans la vitre tandis que la nuit tombe. Elle est emprisonnée dans cette chambre avec moi, elle l’a toujours été et le sera toujours, et pourtant elle m’est plus étrangère que ne sont ces collines étrangères, là, dehors.”
“Il était de ces gens qui, riant facilement, se fâchent peu ; mais quand la colère se déchaîne, elle est d’autant plus impressionnante, elle semble bondir d’un abysse insoupçonné, comme un feu prêt à réduire en cendres la maison entière.”
“Cette nuit-là je ressenti soudain que quelque chose dans son état, quelque chose en lui, était méprisable.”
“Mon pauvre père était perplexe et il avait peur. Il ne parvenait pas à croire qu’il pouvait y avoir un problème sérieux entre nous. Et ceci, non seulement parce qu’il n’aurait su que faire pour y remédier mais surtout qu’il aurait été contraint de s’avouer qu’à un moment ou à un autre, il avait négligé de faire une chose, une chose de la plus haute importance. Et comme nous n’avions ni l’un ni l’autre la moindre idée de ce que cette omission vitale pouvait être, nous avions trouvé refuge dans cette réciproque cordialité. Nous étions, disait-il fièrement mon père, davantage des copains que père et fils. Je pense que mon père y crut parfois. Moi jamais. Je ne voulais pas être son copain, je voulais être son fils. (...) Le savoir ne me faisait pas plus sentir son fils - ou son copain -, cela me donnait seulement la sensation d’être un intrus, et cela me terrifiait. Il nous croyait semblables et je ne voulais pas penser que ma vie serait comme la sienne, ou que ma personnalité deviendrait aussi fade, aussi dénuée d’aspérités et de tranchant. Il ne voulait pas distance entre nous, il voulait que je le voie comme un homme pareil à moi. Et moi je voulais cette distance bénie qu’il y a entre un père et son fils, cette distance qui m’aurait permis de l’aimer.”
“Les autres ne le savaient pas, car je suis de ces gens qui continuent de paraître sobres alors qu’ils sont pratiquement prêts à s’effondrer.”
“Je voulais tout lui dire, mais parler faisait atrocement mal.”
“Je suis désolé, dis-je, soudainement. Je suis désolé. Je ne savais pas comment dire ce qui me désolait ainsi.”
“Et si parler m’avait mis à l’agonie, pleurer était pis encore et pourtant je ne pouvais pas m’arrêter.”
“Je me souviens d’avoir été sidéré par le calme absolu, glacial, de la tempête qui s’éleva en moi lorsque je réalisai soudain que mon père avait souffert, et qu’il souffrait encore.”
“Car je savais, au fond de mon cœur, que nous n’avions jamais parlé, et que désormais nous ne parlerions jamais.”
“Car je suis - ou j’étais - un de ces êtres qui s’enorgueillissent de la force de leur volonté, de leur capacité à décider d’une action et à la mener à bien. Cette vertu, comme toutes les vertus, est l’ambiguïté même. Ceux qui croient posséder une grande volonté et être maîtres de leur destin ne peuvent persister dans leur croyance qu’en se leurrant absolument eux-mêmes. Leurs décisions ne sont pas du tout des décisions - une décision réelle nous rend humble, car nous savons qu’elle est à la merci de plus de choses qu’on ne saurait en énumérer.”
“J’avais décidé de ne laisser aucune place dans l’univers à une chose qui m’effrayait ou me faisait honte. J’y parvins très bien - en refusant de regarder l’univers, de me regarder moi-même, en restant, en fait, sans cesse en mouvement.”
“Ce qui se produisit fut que, sans comprendre la nature de mon ennui, je devins las de tout ce mouvement, las de ces mers d’alcool sans joie, las des amitiés grossières, faussement joviales, superficielles, las des errances à travers des femmes désespérées, las du travail qui ne me nourrissait qu’au sens le plus brutal et littéral. Peut-être, comme on dit en Amérique, que j’espérais me trouver moi-même. C’est une expression intéressante (...) qui trahit le soupçon entêtant que quelque chose a été égaré.”
“Je pense maintenant que si j’avais eu la moindre idée que le moi que je trouverais se révélerait n’être que ce moi que j’avais passé tant de temps à fuir, je serais resté chez moi.
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récit de mlle x, anton tchekhov (1887)
C'était il y a environ neuf ans, au moment de la fenaison, à la fin de l'après-midi. Piotr Serguéitch, qui exerçait les fonctions de juge d'instruction, et moi-même, nous nous rendîmes à cheval à la gare chercher le courrier. Il faisait un temps splendide, mais au retour, nous entendîmes gronder le tonnerre et vîmes un gros nuage noir et menaçant s'avancer droit sur nous. Il approchait et nous allions à sa rencontre. Sur le fond de nuages se détachaient la tâche blanche de notre maison et de l'église, les hautes silhouettes argentées des peupliers. Cela sentait la pluie et le foin coupé. Mon compagnon était en verve. Il riait et débitait toutes sortes de sornettes.
"Ce serait pas mal, disait-il, s'il se dressait soudain sur notre chemin un château moyenâgeux avec des tours crénelées, de la mousse, des hiboux, de nous y abriter de la pluie et, finalement, de pérrir foudroyés..."
Mais voici que sur les seigles et les avoines courut la première houle, que le vent se leva et que la poussière tourbillonna dans les airs. Piotr éclata de rire et éperonna son cheval. "Bien ! cria-t-il en se raclant la gorge. Très bien !"
Sous l'effet communicatif de son entrain, à l'idée que j'allais être trempée jusqu'aux os et pouvais être tuée par la foudre, je me mis à rire à mon tour. Le tourbillon et le galop rapide où l'on suffoque et où l'on se sent léger comme un oiseau excitent et chatouillent le cœur. A notre arrivée, le vent était déjà tombé et de grosses gouttes de pluie s'écrasaient sur l'herbe et sur les toits. A l'écurie, pas âme qui vive. Piotr Serguéitch dessella lui-même les chevaux et les conduisit dans leurs stalles. En attendant qu'il eût fini, je me tenais sur le seuil et regardais les raies obliques de la pluie : l'odeur douceâtre, excitante du foin était plus forte ici que dans la campagne, à cause des nuages et de la pluie il faisait sombre. "Quel coup de tonnerre ! dit Piotr en me rejoingnant après une décharge particulièrement violente pendant laquelle le ciel sembla se déchirer en deux. Qu'en dites-vous ?" Il était à coté de moi, sur le seuil et, encore essoufflé de la course, me regardait. Je remarquais que je lui plaisais. "Mademoiselle Natalia, dit-il, je donnerais tout rien que pour rester ainsi à vous regarder. Vous êtes superbe aujourd'hui." Il avait un regard extasié et suppliant, la figure pâle, sur sa barbe et ses moustaches brillaient des gouttes de pluie qui semblaient, elles aussi me regarder avec amour.
"Je vous aime, dit-il. Je vous aime et je suis heureux de vous voir. Je sais que vous ne pouvez être ma femme, mais je ne veux rien, je n'ai besoin de rien, sachez seulement que je vous aime. Ne dites rien, ne répondez pas, ne faites pas attention à moi, sachez seulement que vous m'êtes chère et permettez moi de vous regarder." Son enthousiasme me gagna : je regardais sa figure inspirée, j'écoutais sa voix qui se mêlait au bruit de la pluie et, comme sous l'effet d'un charme, je ne pouvais faire un mouvement. J'aurais voulu pouvoir regarder indéfiniment ses yeux brillants et l'écouter. "Vous ne dites rien et c'est très bien ! dit Piotr. Continuez à vous taire." Je me sentais bien. Je ris de plaisir et courus à la maison sous la pluie battante, il rit lui aussi et en quelques bonds s'élança a ma poursuite. Bruyants comme des enfants, trempés, hors d'haleine, faisant sonner l'escalier sous nos pas, nous fîmes irruption au salon. Mon père et mon frère, qui n'étaient pas habitués à me voir riante et joyeuse, me regardèrent avec surprise et se mirent à rire, eux aussi. Les nuages étaient passés, le tonnerre s'était tu, sur la barbe de Piotr des gouttes pluie brillaient encore. Tout le soir, jusqu'à l'heure du dîner, il chanta, siffla, joua bruyamment avec le chien, le poursuivant à travers l'appartement, si bien qu'il manqua renverser le domestique qui apportait le samovar. A dîner il dévora, dit toutes sortes de sottises et assura qu'il suffisait de manger des concombres frais en hiver pour avoir dans la bouche une odeur de printemps. Au moment de me coucher, j'allumais une bougie, ouvris la fenêtre toute grande et un sentiment indéfinissable s'empara de mon âme. Je me souvins que j'étais libre, bien portante, de haut rang, et riche, qu'on m'aimait, mais que surtout j'étais de haut rang et riche. De haut rang et riche, que c'est beau, mon Dieu ... ! Puis, tout en me pelotonnant dans mon lit sous la fraîcheur légère qui montait du jardin avec la rosée, j'essayais de démêler si j'aimais ou non Piotr Serguéitch... Et m'endormis avant d'avoir rien compris.
Au matin j'aperçus sur mon lit les tâches tremblantes de soleil et les ombres du tilleul, et ma mémoire eut tôt fait de revivre les événements de la veille. La vie me parût riche, variée, pleine de charme. Un refrain aux lèvres, je m'habillai à la hâte et courus au jardin... Ce qui se passa ensuite ? Rien. L'hiver arriva, nous habitions en ville, Piotr venait parfois nous voir. Les amis de villégiature ne sont charmants qu'à la campagne et en été, mais en ville, et l'hiver, il perdent la moitié de leur agrément. Quand on leur offre le thé, à la ville, on a l'impression qu'il portent des redingotes empruntées et qu'ils tournent trop longtemps leur cuillère dans leur thé. En ville aussi Piotr parlait quelquefois d'amour, mais cela sonnait tout autrement qu'à la campagne. En ville nous sentions plus fortement le mur qui nous séparait : j'étais de haut rang, riche, lui était pauvre, pas même noble, fils de diacre, un simple juge d'instruction ; tous deux, moi, par jeunesse, lui, Dieu sait pourquoi, nous estimions que cette muraille était très haute et très épaisse et quand il venait chez nous, en ville, il souriait d'un air affecté, critiquait la haute société et observait un silence maussade lorsqu'il y a avait quelqu'un d'autre au salon. Il n'y a pas de muraille infranchissable, mais les héros des romans actuels sont, autant que je sache, trop timides, nonchalants, et ombrageux, ils s'accommodent trop vite de l'idée qu'ils n'ont pas de chance, que la vie les a dupés ; au lieu de lutter, ils se bornent à critiquer et à dénoncer la médiocrité du monde, oubliant que leur critique même tourne peu à peu à la médiocrité. J'étais aimée, le bonheur était tout proche, il semblait vivre à mes cotés ; j'étais sans souci, je n'essayais même pas de me comprendre moi-même, de savoir ce que j'attendais de la vie. Et le temps s'écoulait... Des gens sont passés devant moi avec leur amour, jours sereins et nuits chaudes se sont succédé, les rossignols chantaient, le foin embaumait et tout cela, si charmant, chargé de souvenir si merveilleux, a défilé aussi rapidement à mes yeux qu'à ceux des autres, est passé sans laisser de traces, sans être apprécié, s'est évanoui comme une nuée... Où est tout cela ? Mon père est mort, j'ai vieilli ; tout ce qui m'a charmée, flattée, tout ce qui a nourri mon espoir - le bruit de la pluie, des grondements du tonnerre, les rêves de bonheur, les entretiens sur l'amour - , tout cela n'est plus qu'un souvenir et je ne vois devant moi qu'une plaine vaste et déserte ; dans cette plaine pas une âme qui vive, et là-bas l'horizon et sombre, effrayant... Un coup de sonnette... C'est Piotr. Quand je vois les arbres en hiver et que je me rappelle comme ils verdissaient pour moi, l'été, je murmure: " Mes chéris !" Et quand je vois des gens avec qui j'ai passé mon printemps, je suis prise de mélancolie, j'ai chaud au cœur et je murmure la même chose. Depuis longtemps, grâce à l'appui de mon père, il a été muté en ville. Il a un peu vieilli, ses traits se sont tirés. Il a depuis longtemps cessé de me faire des déclarations, il ne débite plus de folies, il n'aime pas son métier, il souffre de je ne sais quelle maladie, de je ne sais quelle déception, il a tourné le dos à l'existence et vit à contrecœur. Voilà qu'il vient de s'asseoir près de la cheminée ; il regarde silencieusement la flamme... Ne sachant que dire je lui demande : "Eh bien ? - Rien..." m'a-t-il répondu. Et c'est de nouveau le silence. Le reflet rouge de la flamme s'est mis à danser sur son visage triste. Je me suis souvenue du passé, et tout à coup mes épaules ont frémi, ma tête s'est inclinée et j'ai pleuré amèrement. J'ai senti monter en moi une pitié intolérable pour moi-même et pour cet homme et j'ai désiré passionnément ce qui était passé et que la vie nous refusait aujourd'hui. Et je ne pensais plus alors que j'étais de haut rang et riche. Je sanglotait tout haut, en me serrant les tempes, et bredouillais : "Mon Dieu, mon Dieu, la vie est perdue..."
Il est resté assis, silencieusement, il ne m'a pas dit : "Ne pleurez pas." Il comprenait qu'il fallait pleurer, ce temps était venu. J'ai vu à ses yeux qu'il avait pitié de moi ; moi aussi j'éprouvais de la pitié pour lui et du dépit contre ce malchanceux timide qui n'avait su faire ni ma vie ni la sienne.
Quand je l'ai reconduit dans le vestibule, il m'a semblé qu'il mettait délibérément plus de temps qu'il n'en fallait pour enfiler sa pelisse. Il m'a baisé deux fois la main sans souffler mot et a regardé longuement mon visage gonflé de larmes. Je pense qu'à cet instant il se souvenait de l'orage, des raies de pluie, de notre rire, de mon visage d'alors. Il aurait voulu me dire quelque chose, et il aurait été heureux de le dire, mais il ne l'a pas fait, il s'est contenté de secouer la tête et de me serrer fortement la main. Dieu soit avec lui ! Après l'avoir accompagné à la porte, je suis revenue dans mon bureau et je me suis rassise sur le tapis devant la cheminée. Les braises rouges se sont couvertes de cendres et ont commencé à s'éteindre. Le gel a frappé aux carreaux avec une fureur accrue et le vent s'est mis à chanter dans la cheminée. La femme de chambre est entrée et, me croyant endormie, m'a appelée...
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mes haines, émile zola (1866)
La haine est sainte. Elle est l’indignation des cœurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise. Haïr c’est aimer, c’est sentir son âme chaude et généreuse, c’est vivre largement du mépris des choses honteuses et bêtes.
La haine soulage, la haine fait justice, la haine grandit.
Je me suis senti plus jeune et plus courageux après chacune de mes révoltes contre les platitudes de mon âge. J’ai fait de la haine et de la fierté mes deux hôtesses ; je me suis plu à m’isoler, et, dans mon isolement, à haïr ce qui blessait le juste et le vrai. Si je vaux quelque chose aujourd’hui, c’est que je suis seul et que je hais.
Je hais les gens nuls et impuissants ; ils me gênent. Ils ont brûlé mon sang et brisé mes nerfs. Je ne sais rien de plus irritant que ces brutes qui se dandinent sur leurs deux pieds, comme des oies, avec leurs yeux ronds et leur bouche béante. Je n’ai pu faire deux pas dans la vie sans rencontrer trois imbéciles, et c’est pourquoi je suis triste. La grande route en est pleine, la foule est faite de sots qui vous arrêtent au passage pour vous baver leur médiocrité à la face. Ils marchent, ils parlent, et toute leur personne, gestes et voix, me blesse à ce point que je préfère, comme Stendhal, un scélérat à un crétin. Je le demande, que pouvons-nous faire de ces gens-là ; les voici sur nos bras, en ces temps de luttes et de marches forcées. Au sortir du vieux monde, nous nous hâtons vers un monde nouveau. Ils se pendent à nos bras, ils se jettent dans nos jambes, avec des rires niais, d’absurdes sentences ; ils nous rendent les sentiers glissants et pénibles. Nous avons beau nous secouer, ils nous pressent, nous étouffent, s’attachent à nous. Eh quoi ! nous en sommes à cet âge où les chemins de fer et le télégraphe électrique nous emportent, chair et esprit, à l’infini et à l’absolu, à cet âge grave et inquiet où l’esprit humain est en enfantement d’une vérité nouvelle, et il y a là des hommes de néant et de sottise qui nient le présent, croupissent dans la mare étroite et nauséabonde de leur banalité. Les horizons s’élargissent, la lumière monte et emplit le ciel. Eux, ils s’enfoncent à plaisir dans la fange tiède où leur ventre digère avec une voluptueuse lenteur ; ils bouchent leurs yeux de hiboux que la clarté offense, ils crient qu’on les trouble et qu’ils ne peuvent plus faire leurs grasses matinées en ruminant à l’aise le foin qu’ils broient à pleine mâchoire au râtelier de la bêtise commune.
Qu’on nous donne des fous, nous en ferons quelque chose ; les fous pensent ; ils ont chacun quelque idée trop tendue qui a brisé le ressort de leur intelligence ; ce sont là des malades de l’esprit et du cœur, de pauvres âmes toutes pleines de vie et de force. Je veux les écouter, car j’espère toujours que dans le chaos de leurs pensées va luire une vérité suprême. Mais, pour l’amour de Dieu, qu’on tue les sots et les médiocres, les impuissants et les crétins, qu’il y ait des lois pour nous débarrasser de ces gens qui abusent de leur aveuglement pour dire qu’il fait nuit. Il est temps que les hommes de courage et d’énergie aient leur 93 : l’insolente royauté des médiocres a lassé le monde, les médiocres doivent être jetés en masse à la place de Grève.
Je les hais.
Je hais les hommes qui se parquent dans une idée personnelle, qui vont en troupeau, se pressant les uns contre les autres, baissant la tête vers la terre pour ne pas voir la grande lueur du ciel. Chaque troupeau a son dieu, son fétiche, sur l’autel duquel il immole la grande vérité humaine. Ils sont ainsi plusieurs centaines dans Paris, vingt à trente dans chaque coin, ayant une tribune du haut de laquelle ils haranguent solennellement le peuple. Ils vont leur petit bonhomme de chemin, marchant avec gravité en pleine platitude, poussant des cris de désespérance dès qu’on les trouble dans leur fanatisme puéril. Vous tous qui les connaissez, mes amis, poètes et romanciers, savants et simples curieux, vous qui êtes allés frapper à la porte de ces gens graves s’enfermant pour tailler leurs ongles, osez dire avec moi, tout haut, afin que la foule vous entende, qu’ils vous ont jeté hors de leur petite église, en bedeaux peureux et intolérants. Dites qu’ils vous ont raillé de votre inexpérience, l’expérience étant de nier toute vérité qui n’est pas leur erreur. Racontez l’histoire de votre premier article, lorsque vous êtes venu avec votre prose honnête et convaincue vous heurter contre cette réponse : « Vous louez un homme de talent qui, ne pouvant avoir de talent pour nous, ne doit en avoir pour personne. » Le beau spectacle que nous offre ce Paris intelligent et juste ! Il y a, là-haut ou là-bas, dans une sphère lointaine assurément, une vérité une et absolue qui régit les mondes et nous pousse à l’avenir. Il y a ici cent vérités qui se heurtent et se brisent, cent écoles qui s’injurient, cent troupeaux qui bêlent en refusant d’avancer. Les uns regrettent un passé qui ne peut revenir, les autres rêvent un avenir qui ne viendra jamais ; ceux qui songent au présent, en parlent comme d’une éternité. Chaque religion a ses prêtres, chaque prêtre a ses aveugles et ses eunuques. De la réalité, point de souci ; une simple guerre civile, une bataille de gamins se mitraillant à coups de boules de neige, une immense farce dont le passé et l’avenir, Dieu et l’homme, le mensonge et la sottise, sont les pantins complaisants et grotesques.
Où sont, je le demande, les hommes libres, ceux qui vivent tout haut, qui n’enferment pas leur pensée dans le cercle étroit d’un dogme et qui marchent franchement vers la lumière, sans craindre de se démentir demain, n’ayant souci que du juste et du vrai ? Où sont les hommes qui ne font pas partie des claques assermentées, qui n’applaudissent pas, sur un signe de leur chef, Dieu ou le prince, le peuple ou bien l’aristocratie ? Où sont les hommes qui vivent seuls, loin des troupeaux humains, qui accueillent toute grande chose, ayant le mépris des coteries et l’amour de la libre pensée ? Lorsque ces hommes parlent, les gens graves et bêtes se fâchent et les accablent de leur masse ; puis ils rentrent dans leur digestion, ils sont solennels, ils se prouvent victorieusement entre eux qu’ils sont tous des imbéciles.
Je les hais.
Je hais les railleurs malsains, les petits jeunes gens qui ricanent, ne pouvant imiter la pesante gravité de leurs papas. Il y a des éclats de rire plus vides encore que les silences diplomatiques. Nous avons, en cet âge anxieux, une gaieté nerveuse et pleine d’angoisse qui m’irrite douloureusement, comme les sons d’une lime promenée entre les dents d’une scie. Eh ! taisez-vous, vous tous qui prenez à tâche d’amuser le public, vous ne savez plus rire, vous riez aigre à agacer les dents. Vos plaisanteries sont navrantes ; vos allures légères ont la grâce des poses de disloqués ; vos sauts périlleux sont de grotesques culbutes dans lesquelles vous vous étalez piteusement. Ne voyez-vous pas que nous ne sommes point en train de plaisanter. Regardez, vous pleurez vous-mêmes. À quoi bon vous forcer, vous battre les flancs pour trouver drôle ce qui est sinistre. Ce n’est point ainsi qu’on riait autrefois, lorsqu’on pouvait encore rire. Aujourd’hui, la joie est un spasme, la gaieté une folie qui secoue. Nos rieurs, ceux qui ont une réputation de belle humeur, sont des gens funèbres qui prennent n’importe quel fait, n’importe quel homme dans la main, et le pressent jusqu’à ce qu’il éclate, en enfants méchants qui ne jouent jamais aussi bien avec leurs jouets que lorsqu’ils les brisent. Nos gaietés sont celles des gens qui se tiennent les côtes, quand ils voient un passant tomber et se casser un membre. On rit de tout, lorsqu’il n’y a pas le plus petit mot pour rire. Aussi sommes-nous un peuple très gai ; nous rions de nos grands hommes et de nos scélérats, de Dieu et du diable, des autres et de nous-mêmes. Il y a, à Paris, toute une armée qui tient en éveil l’hilarité publique ; la farce consiste à être bête gaiement, comme d’autres sont bêtes solennellement. Moi, je regrette qu’il y ait tant d’hommes d’esprit et si peu d’hommes de vérité et de libre justice. Chaque fois que je vois un garçon honnête se mettre à rire, pour le plus grand plaisir du public, je le plains, je regrette qu’il ne soit pas assez riche pour vivre sans rien faire, sans se tenir ainsi les côtes indécemment. Mais je n’ai pas de plainte pour ceux qui n’ont que des rires, n’ayant point de larmes.
Je les hais.
Je hais les sots qui font les dédaigneux, les impuissants qui crient que notre art et notre littérature meurent de leur belle mort. Ce sont les cerveaux les plus vides, les cœurs les plus secs, les gens enterrés dans le passé, qui feuillettent avec mépris les œuvres vivantes et tout enfiévrées de notre âge, et les déclarent nulles et étroites. Moi, je vois autrement. Je n’ai guère souci de beauté ni de perfection. Je me moque des grands siècles. Je n’ai souci que de vie, de lutte, de fièvre. Je suis à l’aise parmi notre génération. Il me semble que l’artiste ne peut souhaiter un autre milieu, une autre époque. Il n’y a plus de maîtres, plus d’écoles. Nous sommes en pleine anarchie, et chacun de nous est un rebelle qui pense pour lui, qui crée et se bat pour lui. L’heure est haletante, pleine d’anxiété : on attend ceux qui frapperont le plus fort et le plus juste, dont les poings seront assez puissants pour fermer la bouche des autres, et il y a au fond de chaque nouveau lutteur une vague espérance d’être ce dictateur, ce tyran de demain. Puis, quel horizon large ! Comme nous sentons tressaillir en nous les vérités de l’avenir ! Si nous balbutions, c’est que nous avons trop de choses à dire. Nous sommes au seuil d’un siècle de science et de réalité, et nous chancelons, par instants, comme des hommes ivres, devant la grande lueur qui se lève en face de nous. Mais nous travaillons, nous préparons la besogne de nos fils, nous en sommes à l’heure de la démolition, lorsqu’une poussière de plâtre emplit l’air et que les décombres tombent avec fracas. Demain l’édifice sera reconstruit. Nous aurons eu les joies cuisantes, l’angoisse douce et amère de l’enfantement ; nous aurons eu les œuvres passionnées, les cris libres de la vérité, tous les vices et toutes les vertus des grands siècles à leur berceau. Que les aveugles nient nos efforts, qu’ils voient dans nos luttes les convulsions de l’agonie, lorsque ces luttes sont les premiers bégaiements de la naissance. Ce sont des aveugles.
Je les hais.
Je hais les cuistres qui nous régentent, les pédants et les ennuyeux qui refusent la vie. Je suis pour les libres manifestations du génie humain. Je crois à une suite continue d’expressions humaines, à une galerie sans fin de tableaux vivants, et je regrette de ne pouvoir vivre toujours pour assister à l’éternelle comédie aux mille actes divers. Je ne suis qu’un curieux. Les sots qui n’osent regarder en avant, regardent en arrière. Ils font le présent des règles du passé, et ils veulent que l’avenir, les œuvres et les hommes, prennent modèle sur les temps écoulés. Les jours naîtront à leur gré, et chacun d’eux amènera une nouvelle idée, un nouvel art, une nouvelle littérature. Autant de sociétés, autant d’œuvres diverses, et les sociétés se transformeront éternellement. Mais les impuissants ne veulent pas agrandir le cadre ; ils ont dressé la liste des œuvres déjà produites, et ont ainsi obtenu une vérité relative dont ils font une vérité absolue. Ne créez pas, imitez. Et voilà pourquoi je hais les gens bêtement graves et les gens bêtement gais, les artistes et les critiques qui veulent sottement faire de la vérité d’hier la vérité d’aujourd’hui. Ils ne comprennent pas que nous marchons et que les paysages changent.
Je les hais.
Et maintenant vous savez quelles sont mes amours, mes belles amours de jeunesse.
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hiroshima mon amour, marguerite duras (1959)
“J’ai regardé les gens. J’ai regardé moi-même pensivement, le fer. Le fer brûlé. Le fer brisé, devenu vulnérable comme la chair. J’ai vu des capsules en bouquet : qui y aurait pensé ?” (elle)
“Dix mille degrés sur la place de la Paix. Je le sais. La température du soleil sur la place de la Paix. Comment l’ignorer ?” (elle)
“L’illusion, c’est bien simple, est tellement parfaite que les touristes pleurent. On peut toujours se moquer, mais que peut faire d’autre un touriste que, justement, pleurer ?” (elle)
“Comme toi, je suis douée de mémoire. Je connais l’oubli. (...) Comme toi, moi aussi, j’ai essayé de lutter de toutes mes forces contre l’oubli. Comme toi, j’ai oublié. Comme toi, j’ai désiré avoir une inconsolable mémoire, une mémoire d’ombres et de pierres.” (elle)
“Il y aura dix mille degrés sur la terre. Dix mille soleils, dira-t-on. L’asphalte brûlera.” (elle)
“Tu me plais. Quel événement. Tu me plais. / Quelle lenteur tout à coup. / Quelle douceur. / Tu ne peux pas savoir.” (elle)
“J’ai le temps. Je t’en prie. / Dévore-moi. / Déforme-moi jusqu’à la laideur. / Pourquoi pas toi ? / Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareilles aux autres au point de s’y méprendre ? Je t’en prie...” (elle)
“Est-ce que tu avais remarqué que c’est toujours dans le même sens que l’on remarque les choses ?” (lui)
“La stupeur... à l’idée qu’on ait osé... La stupeur à l’idée qu’on ait réussi. Et puis aussi, pour nous, le commencement d’une peur inconnue. Et puis, l’indifférence, la peur de l’indifférence aussi...” (elle)
“Quand tu parles, je me demande si tu mens ou si tu dis la vérité.” (lui)
“Je suis d’une moralité douteuse, tu sais.” (elle)
“Nevers est une ville qui me fait mal. Nevers est une ville que je n’aime plus. Nevers est une ville qui me fait peur.” (elle)
“Nevers, tu vois, c’est la ville du monde, c’est la chose du monde à laquelle, la nuit, je rêve le plus. En même temps que c’est la chose du monde à laquelle je pense le moins.” (elle)
“C’est comme l’intelligence, la folie, tu sais. On ne peut pas l’expliquer. Elle vous arrive dessus, elle vous remplit et alors on la comprend. Mais, quand elle vous quitte, on ne peut plus la comprendre du tout.” (elle)
“C’est là, il me semble l’avoir compris, que j’ai failli... te perdre... et que j’ai risqué de ne jamais te connaître. / C’est là, il me semble l’avoir compris, que tu as dû commencer à être comme aujourd’hui tu es encore.” (lui)
“Ton nom allemand. Seulement ton nom. Je n’ai plus qu’une seule mémoire, celle de ton nom. / Je n’en peux plus d’avoir envie de toi.” (elle)
“Je pense à toi. Mais je ne le dis plus.” (elle)
“Dans quelques années, / quand je t’aurai oubliée, / et que d’autres histoires / comme celle-là, par la force / encore de l’habitude, / arriveront encore, / je me souviendrai de toi comme / de l’oubli de l’amour même. / Je penserai à cette histoire / comme à l’horreur de l’oubli. Je le sais déjà.” (lui)
“Il faut éviter de penser à ces difficultés que présente le monde, quelquefois. Sans ça, il deviendrait tout à fait irrespirable.” (elle)
“On croit savoir. Et puis, non. Jamais.” (elle)
“J’ai raconté notre histoire. / Je t’ai trompé ce soir avec un inconnu. / J’ai raconté notre histoire. / Elle était, vois-tu, racontable.” (elle)
“Il m’embrassera... Et je serai perdue.” (elle)
“Je te rencontre. / Je me souviens de toi. / Cette ville était faite / à la taille de l’amour / Tu étais fait à la taille de mon corps même. / Qui es-tu ? / Tu me tues. / J’avais faim. Faim d’infidélités, d’adultères, de mensonges et de mourir. / Depuis toujours. / Je me doutais bien qu’un jour tu me tomberais dessus. / Je t’attendais dans une impatience sans bornes, calme.” (elle)
“Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté. / Nous n’aurons plus rien d’autre à faire, plus rien que pleurer le jour défunt. / Du temps passera. Du temps seulement. / Et du temps va venir. / Du temps viendra. Où nous ne saurons plus du tout nommer ce qui nous unira. Le nom s’en effacera peu à peu de notre mémoire. / Puis il disparaîtra tout à fait.”
“Peupliers charmants de la Nièvre je vous donne à l’oubli.” (elle)
“Ils se regardent sans se voir. Pour toujours”
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sur racine, roland barthes (1960)
“sorte d’anthropologie racinienne, à la fois structurale et analytique”
“il renonce au prestige de la notion traditionnelle de personnage pour atteindre celle de figure, c’est-à-dire de forme d’une fonction tragique”
“la transparence est une valeur ambiguë : elle est à la fois ce dont il n’y a rien à dire et ce dont il y a le plus à dire”
“la littérature est essentiellement à la fois sens posé et sens déçu”
“Ecrire c’est ébranler le sens du monde, y déposer une interrogation indirecte, à laquelle l’écrivain, par un dernier suspens, s’abstient de répondre. La réponse, c’est chacun de nous qui la donne, y apportant son histoire, son langage, sa liberté ; la réponse du monde à l’écrivain est infinie : on ne cesse jamais de répondre à ce qui a été écrit hors de toute réponse : affirmés, puis mis en rivalité, puis remplacés, les sens passent, la question demeure.”
“être trans-historique de la littérature” : “système fonctionnel dont un terme est fixe (l’oeuvre) et l’autre variable (le monde, le temps qui consomment cette oeuvre)”
“il faut que l’oeuvre désigne un sens tremblé, non un sens fermé”
“Il y a trois Méditerranées dans Racine : l’antique, la juive et la byzantine. Mais poétiquement, ces trois espaces ne forment qu’un seul complexe d’eau, de poussière et de feu.
“Thèbes, Buthrot, Trézène, ces capitales de la tragédie sont des villages.”
“L’Extérieur contient trois espaces : celui de la mort, celui de la fuite, celui de l’Evénement” > “Atalide se tue sur scène, mais expire hors de scène. Rien n’illustre mieux la disjonction du geste et de la réalité.”
“l’épaisseur d’une réalité scandaleuse (la mort) puisqu’elle ne relève plus de l’ordre du langage, qui est le seul ordre du tragique : dans la tragédie on ne meurt jamais, on parle toujours. Et inversement, sortir de la scène,c’est pour le héros, d’une manière ou d’une autre, mourir : les sortez de Roxane à à Bajazet sont des arrêts de mort (...) comme si le seul contact de l’air extérieur devant dissoudre ou foudroyer”
“transplanté hors de l’espace tragique, le héros racinien s’ennuie : l’ennui est évidemment ici un substitut de la mort : toutes les conduites qui suspendent le langage font cesser la vie.”
“L’Extérieur est d’ailleurs un espace rituellement dévolu, c’est-à-dire consigné et assigné à tout le personnel non tragique, à la façon du ghetto inversé, puisque ici c’est l’ampleur de l’espace qui est tabou, c’est le resserrement qui est un privilège”
confidents, domestiques, messagers : “leurs entrées et leurs sorties sont des tâches, non des signes ou des actes”, “ils sont les secrétaires officieux qui préservent le héros du contact profane avec le réel”
“l’amant malheureux, celui qui n’a pu ravir, peut toujours essayer de remplacer l’Eros immédiat par l’Eros sororal : il peut par exemple énumérer les raisons qu’on a de l’aimer, tenter d’introduire dans ce rapport manqué une médiation, faire appel à une causalité ; il peut s’imaginer qu’à force de le voir, on l’aimera, que la coexistence, fondement de l’amour sororal, finira par produire cet amour. Mais ce sont là précisément des raisons, c’est-à-dire un langage destiné à masquer l’échec inévitable.”
“Ce que Racine exprime immédiatement, c’est donc l’aliénation, ce n’est pas le désir.”
“il n’y a pas de caractère dans le théâtre racinien, il n’y a que des situations, au sens presque formel du terme : tout tire son être de sa place dans la constellation générale des forces et des faiblesses.”
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le pays derrière les larmes, jean-pierre lemaire (2016)
“Nous ne sommes plus innocents. Tout en bas / la mer accuse les rochers sans relâche / avec la frénésie d’un enfant en larmes”
“Tu as longtemps rôdé autour du monde / comme une aube timide ou un crépuscule / qui ne se résout pas encore à s’en aller” “tu te demandais quelle apparence prendre / afin de franchir les portes de la ville”
“Je retrouve l’odeur des feuilles à Paris / le cri des oiseaux entre les fenêtres / dont se souvenait ma tête tombée”
“une petite obole pour le jour entier”
“Tu n’es pas perdue dans le lit centenaire / où tes aïeules accouchaient encore / sous la corniche sombre et les rameaux bénis / C’est pour nous que l’écart est devenu trop grand / entre elles et toi : nous flottons au milieu / d’un présent indistinct et des cris d’hirondelles / en te regardant tenir dans ton sommeil / le nœud secret des générations”
“Tu me reconnais sans presque me connaître / et nous n’avons pas les mêmes souvenirs / de cette histoire ensemble : à ce moment-là / tu entassais des mots sur les montagnes” “l’ouverture du masque vertigineux”
“Ne te hâte pas de regagner la surface / où tout s’oublie si vite. Ici, avec moi / et les pauvres qui voient le monde par en-dessous / tu n’es pas loin de son entrée. Sois fidèle au jugement / pour être fidèle à la grâce. Et si tu suffoques / dans les angles des villes cristallisées / les fumées d’or qui font vaciller le soleil / baisse-toi : l’air frais se trouve près du sol”
“Étrange mémoire où tu me conduis / comme au fond de la mer, en sandales de plomb / où j’avance lentement dans un double monde / le tien et le mien, avec mes jambes d’autrefois / et mes yeux d’aujourd’hui, étiré dans le temps / comme tu le fus jadis sur la croix / sans que se rompe aucun de tes os”
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