lettreouverteimpro
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** J’ai eu envie d’écrire une lettre ouverte à toutes les ligues d’improvisation québécoises, même si j’ai arrêté de jouer il y a près d’un an. Même si elles se disent paritaires, place aux femmes, rafraîchissantes, féministes, bienvenues aux dames ou rien du tout: je pense que ce message pourrait être lu par toutes les ligues qui veulent bien l’entendre. Ça reste évidemment mes opinions, je ne suis pas fâchée: je veux simplement qu’on réfléchisse ensemble.**
La saison des camps est finie, et force est de constater que plusieurs ligues cette année ont décidé d’enfin adresser la question de la place des femmes en impro. Enfin! Merci! Publications Facebook, manifestes, site internet, courriel aux inscrit.e.s: on a vu plusieurs façons d’adresser ça. Et c’est un super bon pas en avant. Ça a marché dans certains cas, dans d’autres moins, mais on ne peut se le cacher: enfin plus de femmes sont dans les ligues. Le problème est réglé, non?
Encore aujourd’hui, certaines ligues sont très très loin du compte et diront, à juste titre, que le nombre de femmes s’étant présentées au camp était nettement inférieur, ou encore que les candidates présentes n’étaient pas de calibre: c’est super intéressant de s’en rendre compte. Et sincèrement, je vous crois entièrement que c’est ce qui a poussé vos choix. Par contre, je crois qu’il serait intéressant de pousser la réflexion plus loin. « Pourquoi les femmes sont peu intéressées à jouer dans ma ligue ».
Pour avoir moi-même eu à faire des recrutements, c’est une situation hyper stressante: on voit les inscriptions monter avant le camp: plein d’hommes, peu de femmes. Déjà, au lieu de le prendre comme une fatalité, aussi bien se demander les options. C’est là que certaines ligues cette année on pris la peine de pousser publiquement en ce sens, et d’afficher leurs couleurs avant leurs camps, de différentes façons, allant de « rien du tout » à « s’imposer la parité ». On remarquera que les ligues qui ont adressées d’avance la problématique ont effectivement gagné leur paris d’avoir plus de femmes.
Une autre question à se poser: « Quel est le taux de retour des femmes saison après saison dans ma ligue ? ». Ça peut avoir l’air con, mais des fois, prendre la peine de se poser la question peut faire ressortir des trucs hyper intéressants, si on se rend compte que les femmes entrent et quittent la ligue rapidement. Encore plus lorsqu’elles ont des points communs assez criants, comme par exemple le fait qu’elles soient plus constructrices, refusent dans les caucus les idées plus machos ou encore qu’elles disent haut et fort leurs opinions, par exemple. Dans certaines ligues, sans être mal intentionnées, les problématiques sont tellement insidieuses et enterrées profond qu’on ne réalise plus l’importance de les adresser, et quand une nouvelle femme y entre et voit ce genre de problèmes et tente de les pointer du doigt, les gens à l’intérieur de la ligue se braquent, se sentent attaqué.e.s, ou peuvent, dans les pires des cas, traiter la fille de « drama queen » et ne plus la reprendre les saisons d’après, si elle décidait de tenter de revenir. Parfois, le message va même s’étendre à d’autres ligues. « Ah, elle, on sait bien, elle pète des coches ». Parfois, prendre le temps de discuter avec ces femmes pourrait expliquer bien des choses.
Autre chose super importante à se demander: est-ce que la formule de votre camp est adéquate pour voir, réellement, les styles de jeu de chacun.e.s? Des camps, comme tout le monde, j’en ai fait plus qu’on ne peut en nommer dans les dernières années. La formule est généralement assez commune: on prend un nombre X de personnes que l’on fait jouer dans un court laps de temps pour « couper dans le gras », pour ensuite leur donner des call-backs ou les rappeler pour un deuxième jour de camp. « Passer plusieurs batchs de 20 personnes sur une journée, dans des plages horaires d’1h15 ». « Faire un mini-match de 12-14-16 personnes en 5 impros ». « Prendre un groupe de 40-50-60-70-80, le séparer en deux dans deux locaux en même temps». Pas mal de formules ont été employées, une constance reste: personne n’aime ça, et tout le monde se sent obligé.e.s de tirer la couverte, parce que c’est un camp. On accepte d’être plus rude, on n’embarque pas sur la première comparée pour pouvoir « shotgun » la mixte qu’on sait pertinemment qui suivra dans un « ah, mais t’es pas allé.e sur l’autre vas-y », on brise les histoires à grands coups de namedrops et d’interventions absurdes et farfelues qui vont faire rire notre ami.e qui est noyau. Arrêtons donc ça. Donnons-nous le temps de bien faire les choses: si ça prend 2-3 jours recruter, mais que toute la saison en bénéficie, ce serait ridicule de s’en passer.
Également, peu de ligues prennent la peine de tenter de diminuer le climat compétitif et de mettre les participant.e.s à l’aise. On sous-estime grandement toute la puissance d’un « pour de vrai, si vous êtes rudes, on va s’en rendre compte, on est ici pour voir qui vous êtes, comment vous interagissez sur scène, pas savoir qui est le.la plus drôle: si c’est vous tant mieux pour vous, mais ça ne montre pas si vous savez jouer de l’impro ». C’est con, mais depuis que je m’en fais un devoir chaque fois que je suis du côté des noyaux, les camps sont nécessairement plus intéressants et on voit de plus belles choses surgir.
Aussi, trop souvent j’ai vu des noyaux avoir une liste de noms et simplement mettre des étoiles à côté des « personnes intéressantes ». Aucune note n’est prise sur la personne qui joue devant vous. Je précise: pas besoin d’avoir un système hyper complexe, mais personnellement depuis que je prends la peine de regarder des qualités comme l’aisance, les personnages, le plaisir, les seconds rôles, l’écoute, les perches tendues et attrapées, la cohérence de l’histoire, la générosité ou encore la variété dans le jeu, j’ai loupé beaucoup moins d’occasions de jouer avec des joueuses et joueurs plus développé.e.s, qui permettaient de super belles impros. C’est pas un réflexe qui vient facilement au début et faut se forcer, mais c’est le genre de truc qui fait qu’on va arrêter de couper des perles qui ont moins « shiné » au détriment de celui ou celle qui parlait fort.
Également, on finit par s’arrêter souvent lorsque vient le temps de faire les équipes à « X était meilleur.e que Y, de façon significative, je le.la veux ». C’est d’ailleurs souvent là que les femmes y passent. Sauf qu’il faut se rappeler que rendu à un certain niveau de jeu, une différence de calibre, aussi significative puisse-t-elle sembler au camp, ne fera plus une énorme différence sur le jeu. Combien de fois la personne que vous avez pris en dernier dans votre équipe et dont à la base vous n’attendiez rien de particulier a finalement explosé sur un match, dans des bonnes conditions? Et même si en théorie la personne que vous « vous êtes forcé.e.s à prendre » est moins bonne que celle que vous auriez pu prendre, vos impros risquent d’avoir tellement plus de profondeur et votre équipe plus polyvalente si elle est diversifiée, et la façon de recruter favorise généralement le même type de joueurs et ses déclinaisons.
En finissant, il est intéressant de remarquer que malgré l’émergence d’une volonté de créer des ligues paritaires, à ce jour très rares sont les ligues qui ont plus de femmes que d’hommes dans leurs alignements. Pas que je le pointe comme forcément un problème, mais je me questionne sur combien de personnes pensent encore que « la parité c’est le nombre égal de personnes des deux genres, point barre ». Dans certains cas, on dirait que c’est du « on a X places, divisons le par deux: voici le nombre de femmes que l’on doit prendre, et donc le nombre d’hommes que l’on peut prendre ». Dans la même veine, des ligues et tournois ont dans leurs règlements qu’une pénalité peut être donnée à une équipe qui n’affiche pas un minimum de personnes hommes et femmes. Une équipe de 6 femmes pourrait donc avoir une pénalité? Le principe de ce type de règlement n’est pas à la base, justement, d’encourager la place des femmes en impro?
Bref. Je pense qu’il est important plus que jamais de se pencher sur notre façon de faire et de se questionner, quelque soit la ligue. Si on peut communiquer, on va grandir. (Ah, et svp, mettez plus de filles dans les CA, les noyaux, les coachs et les arbitres. Même si votre bassin est paritaire, si tout se décide encore entre hommes, il reste encore pas mal de chemin à faire.)
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