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Kliomesis
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Tous les dimanches, à l'heure du goûter, un paragraphe. One-shots ou feuilleton, il y aura quelque chose à lire toutes les semaines ! (j'espère)
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kliomesis · 1 year ago
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Il fixe désormais le sol, dans une posture de défi, sans répondre. Elle fait claquer sa langue, agacée. Elle espérait que cet homme-là aurait la décence d’être moins ennuyeux que d’autres. Mais non. Tous ces types fiers, persuadés d’être admirables par leur mutisme, tellement certains d’être uniques, d’être les seuls à savoir lui résister… ! Alors que tous conservent cette même attitude, soi-disant chevaleresque, de fausse dignité – si faciles à briser. Elle ne laisse toutefois pas sa voix faire paraître son ennui profond, désirant voir combien de temps il serait capable de tenir cette posture héroïque. Elle penche la tête, afin d’accrocher son regard. Elle articule d’une voix douce, posée, en ménageant de larges silences entre ses phrases, guettant le moindre signe de réaction chez sa proie. – Ces maisonnettes de bois… c’est mignon. Je suis persuadée qu’elles brûleront bien, elles aussi. J’ai hâte d’entendre leur chant, tu sais. Le feu parvient toujours à révéler la mélodie intérieure des choses, et, à mes oreilles, c’est la plus belle musique qui soit. Il me faut vous féliciter à cet égard d’ailleurs. Cette oraison funèbre était des plus délicates… d’ailleurs, je ne sais pas si tu as entendu ces harmonies cristallines, qui sublimaient l’ensemble ! Une voix si pure… si blonde. Je me demande bien à qui nous la devons. Le visage de l’homme passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Les insultes se bousculaient dans sa bouche, et elles voulurent probablement toutes sortir en même temps, ne se manifestant que sous la triste forme d’un crachat mal réalisé. – Je t’interdis de parler d’Anna, démon !, vociféra-t-il d’une voix éraillée. – Ai-je seulement pensé à ce nom petit-duc ? Ce n’était pas la seule jolie fille de ce trou à rats. Et je suis presque sûre qu’elle était rousse. Ou brune ? En tout cas, elle n’était pas blonde. – La ferme ! Tu ne mérites même pas de songer à elle, vipère ! – Allons, allons. Je veux que nous soyons bons amis, petit-duc. Après tout, je ne me suis pas donné autant de mal dans cette traque pour que tu finisses carbonisé avec les autres. – Va te faire foutre. Je ne sais pas ce que tu attends de moi, mais les corbeaux se seront repus de ta chair avant que je ne lève le petit doigt pour t’obéir. Un sourire carnassier se dessine sur son visage, et elle fait claquer sa langue de mépris. – Oh petit-duc. Si seulement tu avais le choix. Vois-tu, si seule dame Anna s’est élevée vers les étoiles ce soir, quatre petits feux follets pourraient assez vite être engloutis à leur tour.
I
Une flamme grésille dans l’obscurité. Avec un ronronnement de chat, elle dévore voracement sa pitance et grossit, gonfle son poitrail et engloutit les ténèbres, sa lueur chaleureuse illuminant les pavés. De son large ventre, gras et grondant, une étincelante perle de feu se détache. Elle s’élève au milieu des étoiles, accompagnée de volutes enflammées jaillissant du brasier, avant que les ombres ne l��avalent définitivement. Des myriades d’autres paillettes chatoyantes imitent sa course, s’évadant avec allégresse du sein de leur énorme mère, essayant de trouver leur place au milieu de la voûte céleste, pensant toucher du doigt l’immortalité des constellations ; mais, finalement, elles s’évanouissent avant même d’avoir pu effleurer le manteau sombre du ciel. Leurs danses sibyllines sont rythmées par le doux chant des bûches crépitantes qui emplit le silence assourdissant de cette nuit rouge. L’odeur douceâtre des langues de fumée vient chatouiller agréablement les narines de la femme qui contemple le brasier. Les yeux plongés dans les ondulations élégantes des gerbes de feu, bercée par la douce musique de la dévoration, elle pense. Derrière son front pâle, des images se forment, se dissolvent et se mêlent en un abstrait tableau de tous les feux qu’elle a allumés sur sa route. Tous fredonnaient leur propre mélopée, et les arabesques décrites par leur larges volutes, comme autant de coups de pinceaux, peignaient une nouvelle histoire, qu’elle découvrait à chaque fois avec avidité. Le parfum de ce feu-ci exhalait l’amertume de l’échec. Il y avait une cavalcade sans fin, à travers une forêt de pins. On voyait la peur tordre le ventre et la folie monter à la tête, excitées par la faim et la soif. Le cœur de la terre dure bat au rythme des sabots, éreintés par la poursuite de l’invisible proie. Mais quelle proie ? Elle ne le sait pas ; le feu ne le lui raconte pas. Il lui montre seulement les muscles à vif des hommes et des bêtes, leur regard hagard, leur respiration erratique. Il porte à ses narines l’odeur de la sueur mêlée à celle de la défaite. Il fait résonner à ses oreilles le roulement de tambour perpétuel des sabots contre la roche. La ténacité de la horde lui réchauffe les joues. C’est une belle histoire ; mais il reste encore à savoir comment elle peut se terminer.
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kliomesis · 1 year ago
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L’émissaire du Sud ayant reçu son sceau de douleur, elle retourne à la place centrale où crépite toujours le bûcher gigantesque qui semble avoir encore engraissé. D’un pas ferme et d’un ton arbitraire, elle ordonne à ses hommes de dresser le campement et d’organiser la nuit. Ils savent ce qu’ils ont à faire, et le mécanisme de l’habitude est, chez eux, fort bien huilé. Pendant que sortent de terre, en cercle autour du feu, les larges champignons de toile, elle se dirige vers son prisonnier. Il a cessé de geindre la perte de son épouse et de ses enfants, et alimente désormais sa colère d’absurdes perspectives de vengeance. Quand elle se campe devant lui, il la foudroie d’un regard plus noir que la gueule béante de la nuit. Elle le dévisage, amusée, avant de s’accroupir devant lui. Il a un grand front, duquel émerge un nez long et fin comme un bec d’oiseau. Deux yeux bruns, cernés de violet et enfoncés profondément dans leurs orbites, pétillent de rage sous les sourcils broussailleux. La bouche, fine elle aussi, est déformée par un horrible rictus, de sorte qu’il ressemble désormais aux gargouilles que l’on sculpte aux toits des bâtiments de pierre. –  Tu sais qui je suis, petit-duc ?, demanda-t-elle en ramassant par terre un petit objet de verre et de métal, qu’elle époussette avec délicatesse, du bout de ses longs doigts gantés de noir. L’homme ne répond pas. Seul un grondement anime sa gorge maigre. La question était purement rhétorique – bien sûr qu’il savait à qui il avait affaire. Mais elle aimait bien comparer les différentes réponses qu’elle pouvait recevoir. Celle-là, hélas, faisait partie des plus désespérément communes. – Moi aussi je sais qui tu es, tu sais, petit-duc. Car, vois-tu, je ne suis pas venue ici pour admirer l’architecture du trou misérable que tu t’es trouvé. Bien que le cadre soit fort charmant, je te l’accorde.
I
Une flamme grésille dans l’obscurité. Avec un ronronnement de chat, elle dévore voracement sa pitance et grossit, gonfle son poitrail et engloutit les ténèbres, sa lueur chaleureuse illuminant les pavés. De son large ventre, gras et grondant, une étincelante perle de feu se détache. Elle s’élève au milieu des étoiles, accompagnée de volutes enflammées jaillissant du brasier, avant que les ombres ne l’avalent définitivement. Des myriades d’autres paillettes chatoyantes imitent sa course, s’évadant avec allégresse du sein de leur énorme mère, essayant de trouver leur place au milieu de la voûte céleste, pensant toucher du doigt l’immortalité des constellations ; mais, finalement, elles s’évanouissent avant même d’avoir pu effleurer le manteau sombre du ciel. Leurs danses sibyllines sont rythmées par le doux chant des bûches crépitantes qui emplit le silence assourdissant de cette nuit rouge. L’odeur douceâtre des langues de fumée vient chatouiller agréablement les narines de la femme qui contemple le brasier. Les yeux plongés dans les ondulations élégantes des gerbes de feu, bercée par la douce musique de la dévoration, elle pense. Derrière son front pâle, des images se forment, se dissolvent et se mêlent en un abstrait tableau de tous les feux qu’elle a allumés sur sa route. Tous fredonnaient leur propre mélopée, et les arabesques décrites par leur larges volutes, comme autant de coups de pinceaux, peignaient une nouvelle histoire, qu’elle découvrait à chaque fois avec avidité. Le parfum de ce feu-ci exhalait l’amertume de l’échec. Il y avait une cavalcade sans fin, à travers une forêt de pins. On voyait la peur tordre le ventre et la folie monter à la tête, excitées par la faim et la soif. Le cœur de la terre dure bat au rythme des sabots, éreintés par la poursuite de l’invisible proie. Mais quelle proie ? Elle ne le sait pas ; le feu ne le lui raconte pas. Il lui montre seulement les muscles à vif des hommes et des bêtes, leur regard hagard, leur respiration erratique. Il porte à ses narines l’odeur de la sueur mêlée à celle de la défaite. Il fait résonner à ses oreilles le roulement de tambour perpétuel des sabots contre la roche. La ténacité de la horde lui réchauffe les joues. C’est une belle histoire ; mais il reste encore à savoir comment elle peut se terminer.
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kliomesis · 1 year ago
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Nue sous la lumière laiteuse de la lune, retenant ses larmes, elle fait de son mieux pour ne pas détacher son regard de la femme au front pâle. Elle n’est pas vieille – neuf ans, peut-être ? – et pourtant bien plus déterminée que n’importe quel homme de sa race. De la main gauche, la femme tient avec douceur l’épaule de la fille et elle pose sa main droite sur le torse frêle. Elle sent l’odeur de chair brûlée en même temps que l’accélération de la respiration de l’enfant, qui, le dos plaqué contre l’homme en armure, laisse de plus en plus court à sa douleur. Quand des larmes perlent au coin de ses yeux, elle se penche vers l’oreille de la fille, et lui murmure sa petite comptine, d’un ton assez doux. –  File, jolie colombe, file, loin d’ici ; ne reviens pas, la horde de feu te suit. Les autres poussins ont déjà pris leur envol ; renonce, jolie colombe, à leur auréole. Tu ne les reverras pas dans cette vie-là ; alors dirige-toi vers les autres cancrelats. Aux bourgs que tu verras, annonce sans égards l’œuvre de la horde dans ce nid de cafards. Hoquetant, l’enfant hoche la tête. La femme relâche sa prise, permettant à sa victime de s’écrouler sur le sol et de laisser les pleurs enfin franchir la barrière de ses lèvres. Remettant son gant, elle se saisit la robe blanche, et la tend à l’homme en armure. Il redresse la fillette, l’habille puis la chausse de jolis souliers blancs et or, solides et bons pour la marche. D’une démarche hagarde, la silhouette s’enfonce lentement dans la plaine, droit vers l’Ouest, pour porter son message. Elle attend de voir la flamme dorée déployée dans son dos disparaître derrière les collines avant de donner son ordre et de rebrousser chemin. C’est maintenant au Nord de recevoir le stigmate de son passage.
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Une flamme grésille dans l’obscurité. Avec un ronronnement de chat, elle dévore voracement sa pitance et grossit, gonfle son poitrail et engloutit les ténèbres, sa lueur chaleureuse illuminant les pavés. De son large ventre, gras et grondant, une étincelante perle de feu se détache. Elle s’élève au milieu des étoiles, accompagnée de volutes enflammées jaillissant du brasier, avant que les ombres ne l’avalent définitivement. Des myriades d’autres paillettes chatoyantes imitent sa course, s’évadant avec allégresse du sein de leur énorme mère, essayant de trouver leur place au milieu de la voûte céleste, pensant toucher du doigt l’immortalité des constellations ; mais, finalement, elles s’évanouissent avant même d’avoir pu effleurer le manteau sombre du ciel. Leurs danses sibyllines sont rythmées par le doux chant des bûches crépitantes qui emplit le silence assourdissant de cette nuit rouge. L’odeur douceâtre des langues de fumée vient chatouiller agréablement les narines de la femme qui contemple le brasier. Les yeux plongés dans les ondulations élégantes des gerbes de feu, bercée par la douce musique de la dévoration, elle pense. Derrière son front pâle, des images se forment, se dissolvent et se mêlent en un abstrait tableau de tous les feux qu’elle a allumés sur sa route. Tous fredonnaient leur propre mélopée, et les arabesques décrites par leur larges volutes, comme autant de coups de pinceaux, peignaient une nouvelle histoire, qu’elle découvrait à chaque fois avec avidité. Le parfum de ce feu-ci exhalait l’amertume de l’échec. Il y avait une cavalcade sans fin, à travers une forêt de pins. On voyait la peur tordre le ventre et la folie monter à la tête, excitées par la faim et la soif. Le cœur de la terre dure bat au rythme des sabots, éreintés par la poursuite de l’invisible proie. Mais quelle proie ? Elle ne le sait pas ; le feu ne le lui raconte pas. Il lui montre seulement les muscles à vif des hommes et des bêtes, leur regard hagard, leur respiration erratique. Il porte à ses narines l’odeur de la sueur mêlée à celle de la défaite. Il fait résonner à ses oreilles le roulement de tambour perpétuel des sabots contre la roche. La ténacité de la horde lui réchauffe les joues. C’est une belle histoire ; mais il reste encore à savoir comment elle peut se terminer.
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kliomesis · 1 year ago
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D’un geste sec, elle fait signe aux gardes qui encadrent les enfants. Ils séparent la fratrie avec une certaine rudesse, entraînant une nouvelle cacophonie de couinements désespérés, qui recouvre la mélodie grondante du bûcher. Les sons se dispersent dans les rues, alors qu’on les emmène aux extrémités cardinales du village. Se passant la langue sur les lèvres, elle réfléchit. Lequel en premier ? Elle se dirige vers la porte ouest, celle-là même par laquelle elle allait sortir le lendemain, au lever du soleil. En quittant la place centrale, elle passe à côté d’une forme recroquevillée et tremblante, fermement attachée à un poteau de bois. Son tour à lui viendra plus tard. Fredonnant un air ancien, elle marche tranquillement entre les maisons étroites et sombres sous la seule surveillance du ciel nocturne aux mille yeux, tandis qu’un pauvre hère la talonne discrètement. Au bout de quelques minutes, elle débouche sur une petite esplanade de pierre blanche, au bout de laquelle se trouve une arche de bois assez rustique. Bien droite, le regard fier, la fillette qui rassurait sa fratrie la fixe désormais farouchement. L’homme en armure a seulement sa main posée sur son épaule, plus pour les apparences qu’autre chose, d’ailleurs ; elle ne va pas fuir. La femme ne peut retenir le claquement satisfait de sa langue contre son palais, tandis qu’elle joue avec son gant défait. La fille tremble à peine. Elle sait ce qu’il va être fait. Pas de cérémonie alors : elle claque des doigts, et le garde qui la suivait lui présente une belle robe de lin blanc, aux manches et aux ourlets délicatement brodés de cercles dorés. Le décolleté de la robe est un peu profond, ce qui laisse entrevoir le haut du sternum – pas de manière indécente, loin de là ! Juste ce qu’il faut. Elle désigne la robe à l’enfant, qui, sans baisser le menton, mais la lèvre inférieure tremblante, retire ses propres froques.
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Une flamme grésille dans l’obscurité. Avec un ronronnement de chat, elle dévore voracement sa pitance et grossit, gonfle son poitrail et engloutit les ténèbres, sa lueur chaleureuse illuminant les pavés. De son large ventre, gras et grondant, une étincelante perle de feu se détache. Elle s’élève au milieu des étoiles, accompagnée de volutes enflammées jaillissant du brasier, avant que les ombres ne l’avalent définitivement. Des myriades d’autres paillettes chatoyantes imitent sa course, s’évadant avec allégresse du sein de leur énorme mère, essayant de trouver leur place au milieu de la voûte céleste, pensant toucher du doigt l’immortalité des constellations ; mais, finalement, elles s’évanouissent avant même d’avoir pu effleurer le manteau sombre du ciel. Leurs danses sibyllines sont rythmées par le doux chant des bûches crépitantes qui emplit le silence assourdissant de cette nuit rouge. L’odeur douceâtre des langues de fumée vient chatouiller agréablement les narines de la femme qui contemple le brasier. Les yeux plongés dans les ondulations élégantes des gerbes de feu, bercée par la douce musique de la dévoration, elle pense. Derrière son front pâle, des images se forment, se dissolvent et se mêlent en un abstrait tableau de tous les feux qu’elle a allumés sur sa route. Tous fredonnaient leur propre mélopée, et les arabesques décrites par leur larges volutes, comme autant de coups de pinceaux, peignaient une nouvelle histoire, qu’elle découvrait à chaque fois avec avidité. Le parfum de ce feu-ci exhalait l’amertume de l’échec. Il y avait une cavalcade sans fin, à travers une forêt de pins. On voyait la peur tordre le ventre et la folie monter à la tête, excitées par la faim et la soif. Le cœur de la terre dure bat au rythme des sabots, éreintés par la poursuite de l’invisible proie. Mais quelle proie ? Elle ne le sait pas ; le feu ne le lui raconte pas. Il lui montre seulement les muscles à vif des hommes et des bêtes, leur regard hagard, leur respiration erratique. Il porte à ses narines l’odeur de la sueur mêlée à celle de la défaite. Il fait résonner à ses oreilles le roulement de tambour perpétuel des sabots contre la roche. La ténacité de la horde lui réchauffe les joues. C’est une belle histoire ; mais il reste encore à savoir comment elle peut se terminer.
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kliomesis · 1 year ago
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Au moment où le brasier s’apprête à lui dévoiler le dénouement de son histoire, des pleurs étouffés l’interrompent. Elle essaie d’en faire abstraction, de se concentrer sur la langue et les paroles du feu, mais les sanglots hachent le chant des flammes. Elle bat des paupières, cherchant frénétiquement les danseurs fantastiques dans le ventre du brasier, mais c’est trop tard. Blessé dans son orgueil, il s’est tu. Entêté comme il est, il ne daignera pas lui adresser de nouveau la parole, elle en est certaine. Elle bat de nouveau des paupières, voyant juste la panse chatoyante gronder de mécontentement, avant de retourner à sa mastication en crépitant. Elle fait claquer sa langue contre son palais. Plus que tout au monde, rien ne l’exaspère plus qu’on interrompe une belle histoire. En se retournant, elle pose ses yeux excédés sur la foule d’hommes qui contemple, elle aussi, le cœur du brasier. Les flammes font briller avec une intensité encore plus grande la peur au fond de leurs orbites imbéciles. Ils sont incapables de saisir ce que le feu raconte, et ne le quittent pas des yeux juste parce qu’elle le leur a interdit. Tout dans leur corps et dans leur posture indique leur envie de fuir – elle le sait. Ce qu’eux savent pertinemment en revanche, c’est que détourner le regard aurait de trop grandes conséquences sur leur intégrité ou sur leur espérance de vie. Alors, bêtement, il se perdent dans l’aveuglante lumière crépitante, simples spectateurs de leur propre peur, sans percevoir son identité ni l’histoire qu’elle avait à leur raconter ; s’ils l’avaient fait, ils se seraient redressés en voyant les danseurs s’évaporer dans la nuit. Seuls quatre hommes, larges d’épaules, au regard dur et froid, ne se préoccupent pas du brasier. Ils tiennent sous bonne garde quatre gamins gémissants. L’aînée serre le benjamin contre son cœur, ses doigts fins perdus dans la chevelure de la troisième, dont le visage est enfoui dans ses jupes rassurantes. Le cadet la regarde, elle, avec un air de détestation profonde. Sa belle assurance fond cependant comme neige au soleil sous l’éclat de son regard, et l’étincelle de colère qui faisait pétiller son regard est engloutie dans les abysses de la terreur, tandis que ses yeux s’emplissent à nouveau de grosses perles salées. Sa langue claque de nouveau furieusement contre son palais, alors qu’elle jette un dernier regard à ce grand feu de joie. Avant de se diriger vers les enfants, elle retire son gant, pour renvoyer délicatement un bras de femme dans la gueule dévorante. Car il ne doit rester de ces lieux de misère qu’un amas de cendres blanches et pures, sous lesquels quelques braises palpitent encore pour témoigner de son passage en grandes lettres de feu.
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Une flamme grésille dans l’obscurité. Avec un ronronnement de chat, elle dévore voracement sa pitance et grossit, gonfle son poitrail et engloutit les ténèbres, sa lueur chaleureuse illuminant les pavés. De son large ventre, gras et grondant, une étincelante perle de feu se détache. Elle s’élève au milieu des étoiles, accompagnée de volutes enflammées jaillissant du brasier, avant que les ombres ne l’avalent définitivement. Des myriades d’autres paillettes chatoyantes imitent sa course, s’évadant avec allégresse du sein de leur énorme mère, essayant de trouver leur place au milieu de la voûte céleste, pensant toucher du doigt l’immortalité des constellations ; mais, finalement, elles s’évanouissent avant même d’avoir pu effleurer le manteau sombre du ciel. Leurs danses sibyllines sont rythmées par le doux chant des bûches crépitantes qui emplit le silence assourdissant de cette nuit rouge. L’odeur douceâtre des langues de fumée vient chatouiller agréablement les narines de la femme qui contemple le brasier. Les yeux plongés dans les ondulations élégantes des gerbes de feu, bercée par la douce musique de la dévoration, elle pense. Derrière son front pâle, des images se forment, se dissolvent et se mêlent en un abstrait tableau de tous les feux qu’elle a allumés sur sa route. Tous fredonnaient leur propre mélopée, et les arabesques décrites par leur larges volutes, comme autant de coups de pinceaux, peignaient une nouvelle histoire, qu’elle découvrait à chaque fois avec avidité. Le parfum de ce feu-ci exhalait l’amertume de l’échec. Il y avait une cavalcade sans fin, à travers une forêt de pins. On voyait la peur tordre le ventre et la folie monter à la tête, excitées par la faim et la soif. Le cœur de la terre dure bat au rythme des sabots, éreintés par la poursuite de l’invisible proie. Mais quelle proie ? Elle ne le sait pas ; le feu ne le lui raconte pas. Il lui montre seulement les muscles à vif des hommes et des bêtes, leur regard hagard, leur respiration erratique. Il porte à ses narines l’odeur de la sueur mêlée à celle de la défaite. Il fait résonner à ses oreilles le roulement de tambour perpétuel des sabots contre la roche. La ténacité de la horde lui réchauffe les joues. C’est une belle histoire ; mais il reste encore à savoir comment elle peut se terminer.
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kliomesis · 1 year ago
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I
Une flamme grésille dans l’obscurité. Avec un ronronnement de chat, elle dévore voracement sa pitance et grossit, gonfle son poitrail et engloutit les ténèbres, sa lueur chaleureuse illuminant les pavés. De son large ventre, gras et grondant, une étincelante perle de feu se détache. Elle s’élève au milieu des étoiles, accompagnée de volutes enflammées jaillissant du brasier, avant que les ombres ne l’avalent définitivement. Des myriades d’autres paillettes chatoyantes imitent sa course, s’évadant avec allégresse du sein de leur énorme mère, essayant de trouver leur place au milieu de la voûte céleste, pensant toucher du doigt l’immortalité des constellations ; mais, finalement, elles s’évanouissent avant même d’avoir pu effleurer le manteau sombre du ciel. Leurs danses sibyllines sont rythmées par le doux chant des bûches crépitantes qui emplit le silence assourdissant de cette nuit rouge. L’odeur douceâtre des langues de fumée vient chatouiller agréablement les narines de la femme qui contemple le brasier. Les yeux plongés dans les ondulations élégantes des gerbes de feu, bercée par la douce musique de la dévoration, elle pense. Derrière son front pâle, des images se forment, se dissolvent et se mêlent en un abstrait tableau de tous les feux qu’elle a allumés sur sa route. Tous fredonnaient leur propre mélopée, et les arabesques décrites par leur larges volutes, comme autant de coups de pinceaux, peignaient une nouvelle histoire, qu’elle découvrait à chaque fois avec avidité. Le parfum de ce feu-ci exhalait l’amertume de l’échec. Il y avait une cavalcade sans fin, à travers une forêt de pins. On voyait la peur tordre le ventre et la folie monter à la tête, excitées par la faim et la soif. Le cœur de la terre dure bat au rythme des sabots, éreintés par la poursuite de l’invisible proie. Mais quelle proie ? Elle ne le sait pas ; le feu ne le lui raconte pas. Il lui montre seulement les muscles à vif des hommes et des bêtes, leur regard hagard, leur respiration erratique. Il porte à ses narines l’odeur de la sueur mêlée à celle de la défaite. Il fait résonner à ses oreilles le roulement de tambour perpétuel des sabots contre la roche. La ténacité de la horde lui réchauffe les joues. C’est une belle histoire ; mais il reste encore à savoir comment elle peut se terminer.
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