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hic--nunc-blog · 5 years
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“Ciao ! Manhattan” / Splendeur et désespoir d’une It Girl
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Une fille sublime et complètement défoncée, les seins nus sous son blouson de cuir et les hanches moulées dans un jeans, fait de l’auto stop le long d’une route côtière californienne au milieu de la nuit.
La camera suit sa déambulation vacillante, épouse le désordre et la lenteur de ses gestes, l’image sort du cadre de la narration, fixe chaotiquement des instantanés de la fille, de son regard de faon pris dans les phares des voitures, de ses seins si ronds et si fermes, de sa peau si pâle dans l’obscurité. Et, pour peu qu’on se laisse facilement entrainer dans l’univers d’une œuvre, nous fait glisser presque instantanément dans ce road movie qui n’en est pas un. On devient la fille, la nuit, le macadam, simultanément acteur et voyeur d’un vertige qui nous dépasse totalement. Combien de temps dure la séquence ? Pas plus de quelques secondes, en fait. Mais quand on la regarde, ces secondes pourraient être des heures. Ce court passage de la scène d’ouverture de “Ciao ! Manhattan”, balade hallucinée et kaléidoscopique autour du personnage d’Edie Sedgwick, actrice et protagoniste d’une histoire qui finira par la rattraper avant la fin du montage (elle meurt d’une overdose de barbituriques quelques semaines après les dernières prises) est, au sens propre, mémorable.
Faux documentaire, fiction biographique, le film explore la limite entre narration et déconstruction du réel, agit comme une drogue sur le cerveau du spectateur et l’entraine dans un trip fascinant, dérangeant et attachant. Je ne sais plus exactement combien de fois je l’ai regardé, mais je sais qu’à chaque visionnage la magie opère, m’entraine de l’autre côté du miroir, à la poursuite et dans la peau d’une héroïne grandiose et paumée, tour à tour reine de sabbat vivant presque nue dans un antre psychédélique aménagé au fond d’une piscine vide, créature rebelle et déchue de la Factory warholienne, jeune femme brillante et fragile, starlette nonchalante dont le seul talent est d’être elle-même, rat de laboratoire subissant des électrochocs ou divine funambule filmée en contre plongée, progressant en équilibriste sur le fil d’un destin à sa démesure : court, tragique, apparemment vide de sens mais pourtant lumineux et fulgurant.
Témoin insolite de la grandeur et de la décadence de l’Amérique à l’orée des années 70’, cet ovni cinématographique pratique - non sans tendresse - la dissection d’une It Girl dont les cauchemars et les rêves, tels des organes corrompus exposés dans des bocaux de formole, ont été enregistrés par la pellicule et voués à une éternité technologique factice dont l’Occident commence déjà à entrevoir l’obsolescence.
© image  : Edie Sedgwick avec Allen Ginsberg dans “Ciao! Manhattan” réalisé par John Palmer et David Weisman / Photo de Bob Adelman / 1972
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hic--nunc-blog · 5 years
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Berlin / 9 novembre 1989
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Ce texte, j’avais commencé à y penser fin octobre 2015. Novembre est arrivé et, un vendredi soir, je suis restée sans mots, littéralement. Pour la première fois de ma vie les mots, lus ou écrits, n’ont pas été un secours. Ils sont revenus, petit à petit, mais reprendre ces phrases ébauchées « avant », je n’y parvenais pas. Et puis, comme il n’y a pas de hasard, un soir, il y a peu, quelqu’un m’a parlé de la façon dont il avait vécu la chute du mur : la nouvelle dans les médias, le billet de train acheté presque aussitôt, l’effervescence dans Berlin, les attroupements, la fête, les embrassades, la fille, la ville, la sensation d’être de plein pied dans l’Histoire en marche. J’ai alors réalisé à quel point cette révolution, qui avait été, dans mon cas, intellectuelle et intérieure, avait pu être pour d’autres – hors les berlinois directement concernés – concrète, physique. Incarnée. J’ai eu soudain très envie de découvrir Berlin, même après coup, d’aller à la rencontre du lieu qui a pour moi réellement représenté l’espoir d’un monde meilleur. Mais, pour commencer, j’ai repris les phrases et les ai terminées.
Le 9 novembre 1989, les certitudes de l’Occident géopolitique volaient en éclat : le mur de Berlin tombait.
Je l’ai appris à la télévision, fascinée et incrédule. J’avais 19 ans, 3 mois et 4 jours. Dans ma tête raisonnait encore la voix saccadée de ma professeur d’histoire-géo, qui, trois ans plus tôt, en terminale, nous racontait l’histoire de cette cicatrice hypertrophiée symbolisant  la séparation de l’Europe en deux blocs inconciliables. Pas de happy end à l’issu du second conflit mondial mais l’ombre de la Guerre froide qui, à la fin des années 80, nous semblait encore une menace très réelle. Et soudain cette nouvelle incroyable, inimaginable seulement quelques mois plus tôt, de la chute du mur de Berlin. Il s’effondrait par pans entiers, ses débris enterraient définitivement l’ogre nazi. S’ouvrait une brèche, qui, comme ces petites fissures sur un pare-brise pouvant en quelques secondes, sous l’effet d’un choc, se propager à toute la vitre, allait rapidement s’étendre à une bonne partie de l’empire soviétique.
Je me souviens du cœur qui bondit dans la poitrine, je me souviens des possibles qui s’y engouffrent : la paix entre les peuples, peut-être, enfin. Le Grand Soir de la fraternité à portée d’imagination. Parce que, pour quelqu’un de 19 ans, à la fin des années 80, l’idéalisme ne relevait pas de l’utopie. On pouvait y croire. On voulait y croire.
Comme ceux de ma génération, j’ai grandi dans l’ombre du SIDA, des famines sur le continent africain, des guerres, déjà, au Proche Orient et ailleurs, des attentas de la rue de Rennes et de la rue des Rosiers, de la montée du chômage, de la ghettoïsation des banlieues. Mais aussi avec l’élan du Live Aid, avec Sos Racisme, avec l’écho de l’échange incroyable entre Balavoine et Mitterrand sur le plateau d’Antenne2 en 80. J’ai grandi en pensant que la vie, ça serait comme dans les chansons de Goldmann. J’ai grandi en étant persuadée que le meilleur restait à venir. Et, le 9 novembre 1989, mon cœur s’est gonflé de cet espoir, nourri de ce symbole d’une réconciliation toujours possible.
Puis j’ai continué à grandir. Il y a eu d’autres famines, d’autres crises sociales et économiques, d’autres attentats, d’autres guerres, dont certaines directement liées à l’effondrement du bloc soviétique. Et, un soir, j’ai appris la destruction du vieux pont de Mostar, le 9 novembre 1993. Quatre ans jour pour jour après la chute du mur de Berlin. J’avais 23 ans, 3 mois et 4 jours. La grande arche en dos-d’âne, qui enjambait depuis le XVIe siècle la Neretva, avait cédé face à la haine, à l’intolérance et aux enjeux économiques. Mostar, qui avait durant des siècles incarné l’entente possible entre Chrétiens croates, Orthodoxes serbes, Juifs séfarades et Musulmans bosniaques, devenait l’un des symboles de ce carnage humain, militaire, politique et culturel que fut la guerre de Bosnie-Herzégovine.
L’idéalisme est-il encore une posture possible, tenable ? Quand bien même il ne le serait plus, il me semble qu’il faut continuer de se battre, toujours, pour les enjeux sociaux, écologiques, politiques, qui nous semblent justes. Parce que les causes perdues n’en sont pas moins belles. Parce que tant que l’on se bat, on n’est pas tout à fait certain de l’issue de la bataille.
Alors, oui, se battre, au jour le jour, sans héroïsme mais avec entêtement, avec ce que nous offre le quotidien. Avec les armes que l’on se choisit, qu’il s’agisse de discussions, de bulletins de vote, de manifestations, d’actions individuelles ou collectives, de mots.
Parce que le 9 novembre est la date anniversaire de la Nuit de Cristal mais aussi celle de la chute du mur de Berlin.
Parce qu’après 1993, les drames ont continué de se succéder, mais que le pont de Mostar a été reconstruit.
Parce que ce n’est pas tous les jours que les murs tombent, nos murs intérieurs comme ceux de l’Histoire, mais que quand cela arrive, il faut escalader les gravas, y danser comme il faudrait danser sur les ruines de tous les totalitarismes, s’embrasser et embrasser la perspective qui se dégage.
Au fond, l’idéalisme, c’est peut-être simplement ça : même si l’on sait que l’Histoire est un cycle sans fin, un ouroboros vorace et obstiné, ne jamais renoncer à en soigner les plaies.
Faire chuter des murs et rebâtir des ponts.
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Image 1 : © Jacques Witt, Berlin, 9 novembre 1989
Image 2 : © Reuters/Damir Sagolj , pont de Mostar, juillet 2004
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hic--nunc-blog · 5 years
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Kamarade Annelise / texte expo 2016
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Après avoir baladé durant une trentaine d’années son âme slave et sa fine silhouette androgyne de plaines en montagnes, de villages en métropoles, Kamarade Annelise a pris le parti de poser ses bagages dans une contrée qui lui ressemble en devenant citoyenne du Neue Slovenich Kunst : « Je trouve fascinant de créer un état. Mieux, de créer sa mythologie, ses mythes fondateurs, en allant fouiller dans les poubelles de l’histoire d’Europe de l’Est ».
C’est dans cette même histoire, et plus précisément dans celle de la Russie communiste, qu’elle puisse l’esthétique et les thématiques de ses œuvres, toutes réalisées au feutre, principalement en noir et jaune, couleurs qu’elle a choisies sciemment, pour leur absence de référence politique en France. Si la rigueur géométrique de la forme fait écho au constructivisme et à une esthétique totalitaire assumée, chacun dessin, quand on l’observe, dégage une étrange mélancolie, aussi poétique qu’hermétique. Car n’attendez pas d’elle des réponses sur le sens de son travail : ses dessins, faussement lisses, poussent le spectateur dans ses retranchements idéologiques, l’entrainent dans un univers à la fois séduisant et subtilement oppressant, l’invitent à se questionner sur les interprétations qui lui viennent, sur son attirance ou son rejet de ce graphisme aux références stylistiques très connotées, et, pour peu qu’il en ait l’envie  et la curiosité, sur ses propres idéaux et leurs potentiels extrémistes.
Il y est des artistes dont la place est à la croisée des chemins, sentinelles d’une histoire qui, par nature ou par négligence, se répète sans fin. Ils nous tendent un miroir, ne justifient rien, n’expliquent rien, ne condamnent en apparence rien, mais nous obligent à nous poser cette question fondamentale : et toi, que vois tu venir ?
Kamarade Annelise, artiste totalitaire détestant la censure, nihiliste idéaliste, misanthrope toujours à l’écoute du monde et de ses contradictions, en fait partie.
© image Kamarade Annelise
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hic--nunc-blog · 5 years
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La saison des magnolias / Giovanni Falcone (1939-1992)
« Le courage c’est savoir que tu pars battu, mais d’agir quand même sans s’arrêter. Tu gagnes rarement mais cela peut arriver. » Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
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L’avion en provenance de Rome dans lequel ont voyagé Giovanni Falcone et sa femme, Francesca Morvillo, a atterrit à l’aéroport de Palerme à 17 h 48. Le cortège, constitué de trois voitures, a ensuite pris la route en toute discrétion, sans sirènes ni signe distinctif. Aucune mesure de sécurité ne saurait être négligée pour un déplacement juge, même s’il s’agit en l’occurrence pour lui de venir prendre un peu de repos loin de Rome et du ministère de la Justice : c’est sur ses terres que la Camorra préfère abattre ses ennemis. Falcone et son escorte de savent. Le trajet via l’autoroute, à 160 km/h, dans des véhicules banalisés, diminue les risques d’embuscades. La voiture de tête, une Fiat marron, est occupée par Rocco Di Cillo, Antonio Montinaro et Vito Schifani. Rocco et Antonio ont tout juste trente ans, Vito en a quant à lui vingt-sept. Ils font partie de l’élite des gardes du corps chargés de la protection de Falcone. Vient ensuite la Fiat blanche dans laquelle ont pris place les Falcone ainsi que Guiseppe Costanza, fidèle parmi les fidèles, qui ne quitte pratiquement jamais le juge. C’est lui qui devrait être au volant, et Falcone à l’arrière, mais ce dernier aime tant conduire qu’il lui a cédé sa place. Francesca Morvillo s’est installée à l’avant, aux côtés de son mari. Fermant le convoi, une Fiat bleue, occupée par trois autres gardes du corps, Paolo Capuzzo, Gaspare Cervello et Angelo Corbo.
Les trois Fiat Croma blindés roulent à vive allure sur l’autoroute. Falcone fixe le pare-choc arrière de la voiture qui les précède tout en échangeant quelques mots avec Francesca et Costanza. L’escorte, les gardes du corps, tout cette logistique au moindre de ses déplacements, il s’y est habitué. Les risques, il les connait. Cette vie, il l’a choisie. Pour la Camorra, il est à la fois une cible mouvante, un ennemi en sursis et une menace constante. Pour les Italiens, il est un honnête homme, charismatique et rassurant, qui défie l’hydre mafieux avec le calme et l’entêtement de ceux qui ont choisi leur destin. Pour ses collègues, c’est un bourreau de travail à la mémoire hors norme, au sang froid exemplaire, à la détermination sans faille. Pour ses proches, c’est un homme chaleureux et bon vivant, au charme évident et au sourire duquel on ne résiste pas. Pour Francesca Morvillo, il est l’homme qu’elle aime, celui dont elle partage les convictions et les aspirations, celui qu’elle a épousé presque en secret pour minimiser les risques, celui pour qui elle a accepté de vivre sous une épée de Damoclès. C’est une très jolie femme, Francesca, mais aussi et surtout une magistrate brillante : après une thèse remarquée sur l’Etat de droit et les mesures de sécurité, elle a notamment siégé comme juge au tribunal pour mineurs de Palerme, ville dont elle est ensuite devenue présidente de la cour d’appel et au sein de la faculté de médecine de laquelle elle enseigne le droit dans la spécialité Pédiatrie. Elle seule, peut-être, connait et accepte la part d’ombre de Falcone. Elle sait bien aussi, ce que lui reprochent ses ennemis : une obstination qui confine à orgueil, un goût - discret mais évident - du pouvoir et de la célébrité, l’obsession, la curiosité insatiable et l’étrange respect teinté d’incompréhension que lui inspirent les mafieux et leur « code d’honneur ». Comme beaucoup d’hommes d’exception, Giovanni Falcone flirte avec l’hubris. Qui fait leur force. Et leur faiblesse. Dans ces traits de caractère, Francesca se reconnait pour une part, sans doute plus, même, qu’elle ne le voudrait. Quand on les voit ensemble, difficile de ne pas admirer ce couple solaire et conquérant, soudé par l’amour mais aussi par une ambition et des convictions communes.
Quel qu’en soit le prix, ils ont fait leur le combat que mène une partie de la magistrature italienne pour une certaine idée de la justice : celle qui veut que l’Etat, à condition qu’il en ait la volonté et s’en donne les moyens, soit en mesure de vaincre le crime organisé. Et Giovanni Falcone, auprès de l’opinion publique, incarne cette idée de la justice, car, c’est de notoriété publique sous ses airs bon enfant et jovial, il est une véritable machine de guerre juridique. Tout jeune magistrat, à Palerme au début des années soixante, il se familiarise avec les pratiques de la Cosa Nostra et du grand banditisme en étudiant les dossiers financiers qu’il traite dans le cadre de liquidations judiciaire. Minutieux, curieux, prompt à faire des rapprochements, à noter les détails et à dégager des schémas d’ensemble, il applique déjà la « méthode Falcone » qui le rendra célèbre. C’est en 1978, un an après sa prise de fonction en tant que juge d’instruction, qu’il intègre de pool antimafia du parquet palermitain, suite au meurtre du juge Terranova. L’instigateur de ce pool, le juge Chinnici, sera lui-même victime d’un attentat mortel en 1983. On ne défie pas impunément les riches parrains de la Mafia, dont l’influence, murmure-t-on, s’étend jusqu’à Rome et à ses cercles politiques. A moins que ce ne soit l’inverse. Pourtant, en 1984, la justice gagne une bataille de taille : elle obtient les aveux de Don Masino, ce qui va permettre à Giovanni Falcone et à Paolo Borsellino d’ouvrir en 1986 le célèbre Maxi-procès de Palerme, qui durera près de deux années. L’Etat fait spécialement construite à cette occasion une immense salle d’audience, un bunker disposant d’un système de défense antiaérienne et capable de résister à des tirs de roquettes, pour des questions de sécurité bien sûr, mais aussi au regard du nombre exceptionnel d’accusés - 474 - auquel s’ajoutent les juges, les avocats, les traducteurs, les carabinieri, etc. Le Maxi-procès est un succès dont la presse mondiale se fait l’écho. Parmi les 360 condamnés figure le parrain des parrains, Toto Riina. Les condamnations, dont 19 à perpétuité, ne représentent pas moins de 2 665 années de prison au total. La réussite de cette procédure hors normes est dûe en grande partie aux aveux de repentis qui ont suivi l’exemple de Don Masino. Or, c’est là que Falcone a joué l’une de ses cartes maitresses, en obtenant du gouvernement une véritable protection rapprochée pour lesdits repentis et leurs familles. Qu’il les menace d’obtenir contre eux une peine maximale ou qu’il leur offre une chance d’échapper à la mort, les interlocuteurs de Falcone le savent : il tiendra ses promesses. Il tourne à son avantage les règles d’un milieu dont il a méticuleusement analysé les usages et les rouages en épluchant par le menu des centaines de dossiers et en menant un nombre incalculable d’interrogatoires, tout en ne se départissent jamais d’une distance et d’une prudence qui le mettent à l’abri de tout soupçon de connivence. Pourtant il n’a pas que des amis au sein des milieux politiques et judiciaires italiens, loin s’en faut. D’ailleurs, dès 1988, il a été ouvertement désavoué par le Conseil supérieur de la magistrature italien qui a refusé de lui confier la direction du pool antimafia créé 5 ans plus tôt. Certains l’accuseront même d’avoir commandité l’attentat contre sa villa de l’Addaura, en 1989. En dénonçant le laxisme de la police et des autorités, il s’est fait beaucoup d’ennemis. Ceux qui collaborent avec la Cosa Nostra. Ceux qui ferment les yeux, par confort ou par peur. Ceux dont l’ambition politique se trouve embarrassée par ce petit juge à la fois trop intègre, trop fier et trop médiatique. Car en Italie, il est devenu aux yeux de tous le fer de lance de la lutte contre la Mafia. Ce que le pouvoir et une partie des ses pairs lui refusent, la rue le lui offre : il incarne à présent la figue du justicier dans un pays où la corruption règne en maître.
Bien qu’il reconnaisse que la pensée de la mort l’accompagne à chaque instant, Falcone, à un journaliste qui lui demande s’il éprouve des moments de découragement, de doute, et si la tentation d’abandonner lui vient parfois, répond simplement : « Non, jamais.»
A 17h59, ce samedi 23 mai 1992, alors qu’une semaine plus tôt Gionnani Falcone vient de fêter son cinquante-troisième anniversaire, alors que les trois Fiat sont déjà la hauteur de la commune de Capaci, une énorme déflagration souffle près de cent mètres d’autoroute, éventre le macadam et le remblai, creusant un cratère de plusieurs mètres de profondeur. Une tonne de tolite, cachée dans des canalisations souterraines, vient d’exploser, projetant dans les airs les deux premières voitures du convoi et abattant une pluie de gravas sur la troisième ainsi que sur d’autres véhicules circulant aux alentours. La première voiture est réduite à l’état d’amas de tôles broyées et ses trois occupants tués sur le coup. L’avant de la Fiat blanche, à présent à moitié ensevelie sous les décombres, est complètement écrasé, déchiqueté par l’explosion et le choc. Giovanni Falcone et Costanza sont grièvement blessés. Francesca Morvillo meurt quelques minutes à peine après l’explosion, à 46 ans. Falcone est transporté à l’hôpital. Immédiatement prévenu, son ami Paolo Borsellino (qui sera lui-même tué, à peine deux mois plus tard, dans un attentat à la voiture piégée) est à son chevet quand, deux heures plus tard, il succombe à ses blessures.
La nouvelle se repend rapidement, en Sicile, en Italie, dans le monde entier : Giovanni Falcone, le symbole de la lutte contre la “Piovra”, a été tué dans ce que les médias appelleront « le massacre de Capaci ». Dans la péninsule, l’émotion est considérable. A Palerme, c’est une foule qui se rassemble spontanément au pied du grand magnolia planté devant le 23 de la via Notarbartolo, résidence des Falcone. Autour de cet arbre va se développer un véritable pèlerinage, de nature à la fois sociale, politique et, pour une part, religieuse, qui cristallise encore aujourd’hui les revendications populaires anti mafieuses. Tous les 23 mai, depuis plus de vingt ans, on y commémore la mémoire des victimes de Capaci et on y célèbre Falcone, presque saint et définitivement martyr, entré dans le panthéon des héros de l’Italie moderne.
Il est des héros que révèlent les circonstances, qu’une guerre, une tragédie intime ou collective, une situation inattendue, pousse à dépasser leurs limites et leurs peurs. Et puis il est des hommes, qui, très tôt, sans obligation ni pression particulière, au nom d’un idéal ou d’une mission qu’ils se sentent capables et en devoir d’accomplir, choisissent en toute conscience, sans illusion mais avec détermination, un chemin de vie qui leur apportera peut-être la renommée, possiblement une mort violente, mais dont rien ni personne ne les fera dévier. Des hommes à qui la lâcheté est par nature étrangère.
J’aime à penser que Giovanni Falcone était de ceux-là.
« Celui qui se tait et courbe l’échine meurt chaque fois qu’il le fait ; celui qui parle et avance la tête haute ne meurt qu’une seule fois. » Giovanni Falcone
 Image : Francesca Morvillo et Giovanni Falcone © inconnu
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hic--nunc-blog · 5 years
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Il faudrait pouvoir écrire en marchant, en parlant, en rêvant, en luttant comme en aimant. Dans l’attente ou dans l’orage. Transcrire et non retranscrire. Que chaque mot, chaque phrase, ait la vigueur et l’évidence de ces messages griffonnés sur un coin de table, jetés sur la feuille arrachée au carnet. Peu importe le support. Il y a 3000 ans sur un ostracon à Set Maât, sur une écorce de bouleau dans la Novgorod des tsars, une nièce annonce sa visite, un homme dit sa colère. Il faudrait pouvoir effleurer le monde avec les mots, les imprégner de son impermanence, sentir la vie battre un bref instant au creux des phrases.
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